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Notes sur une édition récente des "Paysans"

Author(s): Pierre Barbéris


Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 65e Année, No. 3 (Jul. - Sep., 1965), pp.
494-502
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40522745
Accessed: 20-12-2017 20:07 UTC

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494 BEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

NOTES SUR UNE ÉDITION RÉCENTE DES «PAYSANS»

M. Donnard ' applique aux Paysans, dont l'histoire fut si mou-


vementée, les sûres méthodes de la critique universitaire. Il en
procure une édition x apte à satisfaire bien des curiosités. De
l'ébauche de 1834, Le Grand Propriétaire, rédigée à la demande de
Mme Hanska, jusqu'à la publication posthume, en volume, en 1855,
en passant par une grossière première rédaction, en 1838, puis par
la publication en feuilleton, dans La Presse, en 1844, on revit avec
intérêt le « roman » de ce roman maudit que Balzac n'eut jamais
la force de terminer. M. Donnard reprend et complète les indis-
pensables travaux de Lovenjoul. Il signale, au chapitre des sour-
ces, le proverbe de Théodore Ledere, Les Paysans, paru en 1823,
et insiste, avec juste raison, sur le fait que Balzac renoncera au
dénouement traditionnellement rassurant des « bergeries » pour
finir sur la victoire des « partageux ». Introduction et notes sont
claires, informées, précises. Et pourtant, la lecture de l'édition de
M. Donnard ne satisfait pas pleinement. Pourquoi?
Il semble que la réédition d'un texte aussi important que Les
Paysans aurait dû être l'occasion de s'interroger au moins autant
sur sa signification profonde que sur la petite histoire de sa genèse.
Etre précis ne devrait pas empêcher de prendre de l'altitude, et
l'on ne voit pas pourquoi le détail ne conduirait pas à l'ensemble.
L'édition de M. Donnard, si consciencieuse au ras du texte, passe
parfois à côté de l'essentiel en ce qui concerne les idées générales.
N'est-ce pas un peu la rançon de tout travail appliqué? On finit
par être prisonnier d'un récit dont les implications semblent moins
importer que les coordonnées immédiates. Il n'empêche que le
lecteur, plus détaché, ne peut s'empêcher d'éprouver quelque gêne
à voir un texte aussi brûlant, aussi riche, se trouver rapetissé, ligo-
té, par l'érudition. Je voudrais, sur trois points, tenter d'apporter
des compléments.

I. - LE PROBLÈME DE LA LOCALISATION

M. Donnard s'est attaché à justifier le choix de la Bourgogne com-


me cadre du roman. Or, il s'agit là d'une région que Balzac igno-
rait totalement. Sa gouvernante (à partir de 1840), Mme de Brugnol,
était nivernaise, et son vieux « camarade » de la boutique Girardin,
Lautour-Mézeray, fut, de 1843 à 1846, sous-préfet de Joigny. Mais
c'est dès 1838 que la Touraine du Grand Propriétaire a fait place à la
région de l'Yonne. Voici donc deux informateurs à écarter sans hésita-
tion. M. Donnard, il est vrai, a trouvé aux Archives de nombreux do-
cuments prouvant que l'Yonne, sous Louis-Philippe, présente bien
les mêmes caractères que l'Yonne du roman de Balzac : anti-clé-
ricalisme, misère matérielle des classes rurales, nombreux attentats
contre les biens et les personnes, assassinats de gardes, chocs avec
1. Paris, Classiques Garnier, 1964.

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NOTES ET DOCUMENTS 495

la gendarmerie, etc. Balzac se serait donc, en «


de la « réalité ». Mais quelle que soit la valeur des
l'argumentation de M. Donnard laisse sceptiqu
qu'il cite à l'appui de sa thèse sont des documen
de presse. Comment Balzac en aurait-il eu con
document publié est un rapport de Dupin, dat
voit-on qu'on ait parlé de la Bourgogne, d'un p
gnon, aux environs de 1838? Nulle part. Les
cités par M. Donnard et concernant des menace
se rapportent pas spécialement à la Bourgogne. Al
la possibilité que Balzac ait tout simplement sit
une histoire qui avait ses racines dans une autr
grâce à M. Pierre Citron, qu'il a transporté en
le Médecin de Campagne, une ferme touran
Castex vient de montrer que le Saumur d'Eug
doit qu'un décor au Saumur de la réalité, et tra
nirs de Touraine. M. Donnard s'est peut-être tr
d'un Balzac « photographe ». La clé des Paysans
Bourgogne : des indices nombreux et concorda
penser que ce roman se rattache à de très anciens
auteur. Les repérer est déjà y voir clair :

1. Le Cabaret du Grand I Vert figure à deux


Vicaire des Ardennes, en 1822.

2. Parmi les proverbes complaisamment cités p


dans ce même roman, figure Qui a terre a gu
3. La rivière qui bordait le château du Grand
1834, s'appelle YArneuse, comme celle, tributa
coulait près de Villeparisis, où vécut la famil
à 1926. D'Arneuse est le nom de famille de deux des héroïnes
de Wann-Chlore (1823) qui ont pour modèle Mme Balzac et sa
fille Laurence. C'est en 1834 que, revoyant La Femme de Trente
Ans, Balzac remplace la marquise de Belorgey par la comtesse de
Listomère-London. On sait que Landon est le nom patronymique
du héros de Wann-Chlore.

4. Dans La Dernière Fée (1823), Jacques Bontemps est déjà un


ancien cuirassier de la garde impériale... qui n'avait pas de cui-
rassiers. La polémique avec Le Moniteur de T Armée au sujet
de l'appartenance de Montcornet à ce corps mythique a pour
base une erreur vieille de plus de vingt ans.
5. La Ville-aux-Fayes est évidemment forgée d'après Villers-la
Faye, ami de Balzac père, chez qui Honoré passa plusieurs
fois ses vacances d'été, jusqu'en 1821. Villers-la Faye habitait
l'Isle-Adam. Villers-la Faye était un défroqué, comme Rigou.
Là s'arrête leur ressemblance, puisque Rigou est un être abject,
alors que Villers est un noble homme de « gauche ». Mais Nise-
ron, admirable figure de républicain intègre dans le roman, a
peut-être bénéficié d'une répartition des souvenirs.

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496 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

On sait tout ce que l'inspiration balzacienne doit au « cycle de


l'Oise » : Wann-Chlore, en 1822-1823, La Physiologie du mariage,
en 1829, Adieu, en 1830, Un Début dans la Vie, en 1842, surtout,
évoquent cette autre « chère vallée », la petite ville de Chambly,
le parc de Cassan, les voitures qui la relient à Paris, la route de
Saint-Denis, etc. Mince lien que celui, évident, et d'ailleurs relevé
par M. Donnard, entre le nom d'un vieil ami et celui d'une petite
ville bourguignonne ? Non. Car la vallée de l'Oise, littéralement,
assiège la conscience du romancier, lorsqu'il écrit les Paysans. Voi-
ci des preuves.
6. L'un des villages souvent évoqué dans ce roman est celui de
Ronquerolles. On sait que Ronquerolles est le nom de l'un des
Treize. Mais il se trouve aussi que Ronquerolles existe, à proxi-
mité de l'Isle-Adam, ainsi que les villages d'Hérouville, de Chau-
vry, de Fosseuse, qui n'ont pas été perdus pour le jeune vacancier
de 1820. Voilà qui aurait pu faire l'objet d'une note de M. Don-
nard. Si Nerville-la-Forêt, Baillet-en-France et Villiers-Adam ont
été directement utilisés dans Adieu, si Presles et Cassan figurent
dans un Début dans la Vie, les villages d'Hérouville, de Chau-
vry, de Fosseuse et de Ronquerolles ont servi à baptiser des
personnages de La Comédie humaine. Le transfert de Ronque-
rolles en Bourgogne ne donne-t-il pas un autre poids, déjà, à
celui de Villers-la Faye? Mais c'est Balzac lui-même qui nous
invite, et très explicitement, à aller plus loin.
7. A propos des démêlés de Montcornet avec Gaubertin, il renvoie
le lecteur à Un début dans la vie et aux démêlés du comte de
Sérizy, châtelain de Presles, avec son régisseur. L'affaire de
Presles est encore une affaire relative à la vallée de l'Oise.

8. Lorsque Balzac, surtout, veut renforcer sa déploration concer-


nant la vente et la division des nobles terres, quel exemple va-t-
il chercher? Persan, Le Val, Montmorency, Cassan. Pourquoi
cette quadruple référence à des châteaux de la vallée de l'Oise
dans ce roman bourguignon ? Cassan, dans Un Début, est acheté
par le père Moreau. Le schéma est le même, les références
obsédantes.

Comment, dès lors, ne pas, au moins, formuler cette hypothèse :


Balzac aurait utilisé, pour Les Paysans, de vieux souvenirs relatifs
à une affaire ayant opposé, du côté de l'Isle-Adam, un grand pro-
priétaire à une avide bourgeoisie qui n'avait pas oublié l'expé-
rience des biens nationaux ? La recherche serait à faire x. On ne
peut nier, en tout cas, que de l'ébauche de 1834 au roman de 1844,
Balzac n'ait eu à l'esprit bien des choses qui ne devaient rien à

1. En direction, aussi, de M. d'Orviliiers, qui avait acheté sous l'Empire l'antique


seigneurie de Dedelay de la Garde, près de Villeparisis, et qui eut de graves difficultés
avec les habitants de la commune pour une affaire de biens communaux qu'il cherchait
à s'approprier. On voyait le château de la maison des Balzac. Il avait été surnommé
« le Dévorant » (Cf. Léon Rish, Balzac et sa famille à Villeparisis, Société historique du
Raincy et environs, 1936). Dans une tout autre direction, il faudrait, évidemment, songer
à Paul-Louis Courier, assassiné par ses paysans.

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NOTES ET DOCUMENTS 497

la Bourgogne. En 1834, d'ailleurs, il voulait c


les confins de la Touraine et du Berry, lieux auss
que la région de llsle-Adam ! La Bourgogne n
bien tardivement, en 1838, avant toute interv
Lautour-Mézeray ou de Mme de Brugnol. On
réalisme balzacien n'était pas un réalisme de
d'aucune importance que l'Yonne des Paysans
de la réalité, parce que la réalité qui compte d
d'un autre ordre que descriptif et géographiqu
scène du prolétariat dans le conflit qui opposai
l'aristocratie foncière à la bourgeoisie urbaine
taux. Ceci, que M. Donnard a vu, constitue l'or
de 1838-1844 par rapport au Grand Propriétair
1840, la question sociale s'impose avec une fo
tions neuves. Dès lors, qu'importe la Bourgogn
dont rien ne prouve que Balzac ait pu la connaîtr
est décrite dans les documents officiels de l'é
pas un provincialiste : c'est un homme qui a v
la province. C'est un homme qui a saisi les pr
développement, des mutations survenues dan
Les Paysans, pas plus qu'aucun des autres rom
de campagne, ne sont un roman folklorique. L
roman français, un roman des problèmes de l
Alors, autant qu'une douteuse Bourgogne, vau
qui a pour elle, si l'on tient aux identification
souvenirs de l'auteur, et, ce qui n'est pas rien

H. - « LES PAYSANS » ET « LES SCENES DE LA VIE DE CAMPAGNE »

Une relecture des Paysans devrait conduire à s'interroger sur


rapports de ce roman avec ses trois compagnons de Scènes
Médecin de campagne, Le Curé de village, Le Lys dans la va
dans lesquels l'élément « vie privée » joue un rôle aussi impor
au moins, que l'élément « vie de campagne », celle-ci n'étant
dérivatif, occasion d'agir, de se donner, d'oublier. Dans Les P
sans, la terre n'est pas une évasion, elle est une réalité ; elle
pas un point d'application pour des énergies venues d'ailleu
elle est, elle-même, génératrice d'énergies, de problèmes. L'ét
ger, ici, c'est le Parisien, l'homme qui a mis ses fonds dans la te
dont il « prive » les paysans. On pourrait, à propos de l'aff
Montcornet, rappeler l'affaire Gabin. Bel exemple de la fam
« éternité » des chefs-d'œuvre ! Il n'y a pas, dans l'Yonne ba
cienne, de syndicats paysans. Mais il y a, déjà, la volonté de v
qui y conduira. En face d'elle, un propriétaire absentéiste qu
tend défendre ses droits, mais qui ne parle jamais de ses dev
Et c'est sur ce point que Les Paysans se distinguent avec écla
trois autres Scènes de la Vie de campagne : l'homme qui pos
la terre ou en dirige l'exploitation n'est pas justifié en sa posses
par ses capacités ou ses intentions réformatrices. Montcornet n
Revue d'hist. littér. de la France (65« Ann.), lxv. 32

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498 BEVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

carne pas la figure encore incertaine d'un avenir mieux « orga-


nisé» (comme on disait aux environs de 1830, alors que Balzac
apprenait à penser avec les saint-simoniens), mais uniquement la
propriété de fait. Il n'est pas question, dans Les Paysans, de trans-
formations de la nature, de création de nouvelles sources de ri-
chesse. Chez Benassis, comme à Montégnac (comme à Cloche-
gourde, même), la terre apparaît moins comme propriété que
comme entreprise ; elle n'est pas moyen de « vivre noblement »,
mais moyen de création. La terre des Aiguës, elle, doit beaucoup,
c'est évident, à cette terre d'Ukraine qui ne veut que durer. Elle
ne doit plus rien à ces terres d'utopie, découpées dans des Alpes
ou dans un Limousin que la nature laissait vierges à l'imagina-
tion. La terre des Aiguës est la propriété nécessairement malthu-
sienne et frustratrice, uniquement soucieuse de rentabilité immé-
dite. Elle a d'ailleurs pour pasteur le très réactionnaire abbé Bros-
sette, alors que le bourg de Benassis et Montégnac ont des curés
mennaisiens, et que l'abbé Bonnet, en particulier, est soutenu con-
tre l'évêché par le grand-vicaire Dutheil, lui-même clair disciple de
l'homme qui, fin 1838, venait de publier son Livre du Peuple.
Contradiction ? Non. Balzac répartit. Les romans utopistes pei-
gnent une réalité susceptible de dépasser ses contradictions et
impuissances actuelles, pourvu qu'elle se mette à obéir à d'autres
impératifs que ceux du libéralisme capitaliste. Mais ce sauvetage
de la propriété devenant entreprise n'est possible qu'en des en-
claves au sein de l'univers capitaliste, sous la houlette de héros
qui ont renoncé à vivre selon les lois et critères de la société bour-
geoise. Dans la montagne savoyarde et autour de Montégnac, le
monde continue d'aller selon la loi du profit. Le bourg de Benassis
et Montégnac n'existent que dans les romans de Balzac, signes
d'un avenir pensable. Les Aiguës existent partout en France, où
la grande propriété ne trouve face à elle qu'une conception petite-
bourgeoise de la propriété, non l'idée d'un au-delà de la propriété.
A l'anarchie du laissez-faire, Le Médecin et Le Curé opposent des
principes d'organisation qui déclassent, d'un coup, ce laissez-faire.
Les Paysans sont un roman de ce qui est, dur, âpre, que ne sou-
lève aucun messianisme, aucun enthousiasme. Balzac en com-
mença la première version fin 1838, à peu près en même temps
qu'il se mettait au Curé de Village, qui n'était alors, il est vrai,
qu'une sorte de Scène de la Vie privée mâtinée d'une Scène de
la Vie cléricale, mais qui était déjà directement inspiré par une
admiration peu dissimulée pour les idées de Lamennais. C'est en
1839 qu'il créa le personnage de Gérard ' et c'est en 1840 qu'il dé-
veloppa le grand roman de la mise en valeur de Montégnac. Les
Paysans, roman sentimentalement de « droite », encadrent donc la
rédaction du Curé de village, roman d'esprit plus nettement •« pro-
gressif », animé par les besoins ou les désirs moraux des hommes
et des femmes de la ville : comment faire tourner les passions au

1. Dès la première version du Curé de village, parue en 1839, dans La Presse, il est
fait mention de Gérard sans qu'on sache qui il est ni d'où il vient. Le personnage
existait pour son créateur, qui n'avait donné au journal de Girardin que des fragments
suffisamment élaborés, mais gardait en réserve plus d'un développement possible.

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NOTES ET DOCUMENTS 499

profit de tous et de l'individu lui-même ? La «


n'y est pas vue en elle-même, à partir d'elle-m
Le Médecin en 1833, les paysans ne sont pas
ils ne sont qu'occasion et rencontre. Dans le ro
nom, ils sont les héros premiers, et ceci expli
tations : éléments d'un monde à remodeler, la
s'organisent, dans l'esprit du créateur, selon
d'une certaine « logique » à portée nécessaire
vriers agricoles, petits exploitants, propriétaires
de production indispensables à la promotion d
ficace et intelligente, se trouvent « réconcilié
sion objectivement révolutionnaire d'une nou
pagne », chacun cessant d'occuper exactemen
classe pour assurer l'exercice d'une véritable «
gnac, comme en Savoie, chacun est à sa place
de nécessité, non d'une situation de force. Il n
dans Les Paysans où ni Blondet, ni Montcorne
comptent vraiment. Il n'est pas question, ici,
ou de se sauver. Il s'agit de vivre, dans les con
l'Histoire. Les Paysans, ce n'est plus du touris
même de « vie de campagne » change de sens
cornet partis, la scène est libre pour cette lut
opposer les prolétaires aux bourgeois. Il n'y a
dans Les Paysans ; il n'y a que la poussée de
cessus à l'œuvre, invincible et puissant comme
logique. Les Paysans sont le roman le plus m
zac : I' « esprit », la « culture », la tradition
qu'un rôle marginal, un rôle de récitant. L'es
à nu plus que jugée, la poussée des intérêt
donc parler de contradiction au sens marxiste
dans Le Curé de village, dans Les Paysans, Ba
aspects complémentaires du réel. Défend-il M
pas sûr ! Il montre que Montcornet n'est mena
révolution des hommes d'argent, ce qui corr
du xrxe siècle, et si Les Paysans sont un livre
contre la bourgeoisie plus que pour les féodau
cet imbroglio, Balzac romancier n'avait qu'un
du travail. Les Scènes de la vie de campagne,
pique, montrent l'esprit intervenant dans le réel
sance du romancier ; par Les Paysans, elles no
ture de ce qui est en cours, que Ton peut dép
laisse pas d'être. La bucolique avait pu, grâce
se transformer en récit critique et visionnair
faisait le bien, on passait au démiurge d'un m
prophète d'une organisation sociale encore sa
avancée n'aurait été qu'idéalisme si Balzac, en m
vu et fait voir ce qu'étaient, dans la vie de camp
rapports sociaux.

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500 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

m. - l'analyse des nouveaux rapports sociaux

Cette question a fait l'objet d'un remarquable article de Georges


Lukács, non traduit en français, The Peasants, recueilli en 1950,
dans Studies An European Realism (Hillway Publishing Co., Lon-
don), où il voisine avec un autre consacré à Illusions perdues. Cet
article aurait bien mérité de figurer dans la bibliographie de M.
Donnard.
Suffit-il de dire que Les Paysans enregistrent l'intrusion sur la
scène politique et sociale de ce prolétariat jusqu'alors, comme il
était dit en 1830 dans le Traité de la Vie élégante, « bâté » pour
longtemps ? M. Donnard n'avait pas à épuiser, dans une édition de
ce genre, le problème de la signification des Paysans. Un esprit
soucieux des vrais problèmes souhaiterait peut-être, toutefois, qu'un
peu moins ait été consacré à l'histoire extérieure du texte, et un
peu plus à son importance dans l'histoire des idées. Un peu plus
aussi à ce que l'analyse balzacienne conserve de valable pour abor-
der, aujourd'hui encore, les phénomènes sociaux. Il est d'une cer-
taine tradition de parler de la valeur « éternelle » des chefs-d'œu-
vre. Pourquoi limiter cette « éternité » au seul domaine psycho-
logique et moral, et parquer dans l'historique pur des œuvres po-
litiques dont on semble vouloir limiter la puissance d'irradiation
à des contextes disparus ? Les classiques sont, répète-t-on, des
modèles d'analyse de l'immobile humanité, mais une œuvre com-
me Les Paysans, qui montre en action la lutte des classes, se voit
quelque peu ramenée à n'être qu'un témoignage sur une certaine
manière d'envisager les choses en un temps qui saurait rien avoir
de commun avec le nôtre. Or la lutte des classes demeure un fait
aussi important que les « mystères » du cœur humain. Voilà pour-
quoi il nous semble que la réédition des Paysans aurait pu, aurait
dû, être l'occasion de signaler tout ce que la vision balzacienne a,
aujourd'hui encore, de révolutionnaire et d'instructif. Certes, Balzac
a commis l'erreur de croire que la menace était agraire, alors
qu'elle devait se révéler ouvrière et urbaine : vieux réflexe de
Français dressé à raisonner en termes de Grande Peur, pour qui
le Peuple, depuis des siècles, c'était le peuple des campagnes ; ré-
flexe aussi de l'amant d'une comtesse polonaise dont les serfs pou-
vaient être un jour infestés par des doctrines nouvelles ; mais ce
qui compte, c'est que Balzac ait vu et fait voir quel était le méca-
nisme de la lutte des classes dans une société encore très diffé-
renciée (très « classifiée », écrivait-il en 1830, dans les Lettres sur
Paris) comme la société française du xixe siècle : pour le clan
Tonsard, la liberté passe par le clan Gaubertin-Rigou, qui, par sa
position centrale, impose sa loi aussi bien aux féodaux qu'aux
petits exploitants pauvres. « Ainsi, écrit Lukács, sur le vrai champ
de bataille de la lutte entre deux groupes d'exploiteurs, le groupe
des usuriers de province est-il le plus puissant des deux ». Balzac,
continue-t-il en substance, aurait bien voulu, au nom de ses pré-
suppositions politiques, que les paysans, ouvrant les yeux sur la
nature exacte des menées de Rigou-Gaubertin, se joignissent aux
féodaux, symboles de culture et de tradition morale, contre le clan

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NOTES ET DOCUMENTS 501

des capitalistes petit-bourgeois. Mais il ria p


que les paysans, obéissant à une imprescrip
vaient s'allier aux capitalistes contre les grand
La lutte des paysans contre les vestiges d'exploitat
un morceau de terre, une petite exploitation qui leu
nécessairement les instruments du capitalisme usur
tragédie de la mort de l'aristocratie se transforme
sans ; la libération des paysans de l'exploitation féod
nulée par l'avènement de l'exploitation capitaliste.
la dialectique de la situation : les paysans dépendent
riers de village ou de petite ville, et, bien que les p
riers, la nécessité économique, cependant, les condu
pres.

Et Lukács cite Marx, écrivant dans son Dix-


Louis-Napoléon : « Au cours du xixe siècle,
prend la place du seigneur féodal, les hypo
droits féodaux, attachés à la terre, et le
place de la propriété terrienne aristocratiq
rialisme de l'analyse et de la description ba
Ir refus de traiter le sujet en obéissant à d
rales abstraites. Comme, déjà, dans Le Dern
ce n'est pas la faute de l'auteur « si les cho
si haut ».
Ainsi, ce roman inachevé fait comprendre, en quelques sau-
vages éclairs, la nature du jeu social dans la France post-révolu-
tionnaire. Gaubertin, Rigou, sont, au temps de Balzac, des hommes
de la gauche, des « progressifs », les apôtres d'une liberté qui est
leur liberté. Comme du Bousquier, dans La Vieille Fille, qui ouvre
les premières filatures dans sa province, et renverse, en 1830, le
drapeau blanc à la mairie, « aux applaudissements du peuple »,
Rigou et Gaubertin nous font comprendre quelles sont les bases
concrètes des mots d'ordre de la démocratie bourgeoise.
Que Balzac ait eu claire conscience de tout ce qu'impliquait sa
création, peu importe. Quii l'ait voulu ou non : Victor Hugo devait,
à ce sujet, dire, sur sa tombe, des choses définitives. Une œuvre
littéraire demeure vivante lorsqu'elle peut encore fournir des thè-
mes de réflexions, des thèmes d'analyse, des orientations critiques
pour aider une conscience moderne à se retrouver dans le fouillis
du réel.
Une certaine conception de l'histoire littéraire qui s'en tient trop
souvent, il faut le dire, à l'accessoire, s'attache à l'anecdote et né-
glige les grandes continuités, révèle assez vite, en ce domaine, ses
limites et ses insuffisances. Les rapports d'un fournisseur de feuil-
leton avec un directeur de journal sont certes chose importante,
intéressante, curieuse, mais l'essentiel n'est-il pas le contenu de
l'œuvre ? Et non pas le contenu statique, mais le contenu dyna-
mique ? L'abondance des matériaux et des documents conduit trop
souvent les balzaciens à trahir Balzac, à passer à côté de ce qu'il
y a d'essentiel dans ses romans. Tout ce travail d'érudition événe-
mentielle pourrait être entrepris, aussi bien, pour un Frédéric
Soulié, pour un Alexandre Dumas. Si on l'entreprend pour Balzac

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502 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE

et non pour ces autres feuilletonistes, n'est-ce pas parce que l'œu-
vre de Balzac est d'un autre rayonnement?
L'édition de M. Donnard est une œuvre de conscience et de ri-
gueur, mais elle aurait gagné à s'ouvrir à d'autres préoccupations
que strictement documentaires. Pourquoi s'arrêter au bord de ce
qui compte? L'homme éternel des idéologies pessimistes trouve à
se nourrir dans l'éternité de l'œuvre des « psychologues » et des
« moralistes ». L'homme en mouvement, l'homme qui cherche et
qui ne se satisfait pas de prendre sa place dans le monde tel qu'il
est, peut trouver la sienne dans l'œuvre des grands réalistes qui,
montrant comment fonctionnent les choses, en préparent, par leur
compréhension, la possession et la domination. Laisser de côté
cette efficacité du réalisme et du matérialisme balzaciens ne re-
lève-t-il pas, au fond, d'un choix accompli moins entre diverses
méthodes de travail, qu'entre deux conceptions des rapports de
l'Homme et du monde établi? Henri Guillemin a fait remarquer
que l'histoire littéraire avait longtemps enseigné le point de vue
des possédants, et il est vrai que les manuels de ma jeunesse, à
la suite de Lemaître, Faguet, Brunetière et tant d'autres, s'achar-
naient à donner raison aux anciens contre les modernes, aux clas-
siques contre les romantiques, aux idéalistes contre les réalistes,
à tout ce qui était « sagesse » contre tout ce qui était inquiétude,
« invention », et pouvait donner le goût du changement. Le débat,
aujourd'hui, se présente en termes plus subtils, mais toute mé-
thode critique correspond à une certaine vision d'ensemble des
choses, « naturelle » ou acquise. A l'abri de l'érudition, d'une éru-
dition mutilante et mutilée, on se garde trop aisément, et à trop
bon compte, de ces grandes choses que sont l'Histoire, la Vie. On
est bien forcé, aujourd'hui, d'admettre Balzac au nombre des
« gloires » et des « valeurs ». Comprendra-t-on pourquoi on en
arrive, faute d'aborder en face les vrais problèmes qu'il a su
poser, à le désamorcer?
Pierre Barbéris.

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