Vous êtes sur la page 1sur 21

La Jalousie : les ambiguïtés d’un classique

Yves Baudelle
Dans Roman 20-50 2010/3 (hors série n° 6), pages 131 à 150
Éditions Société Roman 20-50
ISSN 0295-5024
ISBN 9782908481709
DOI 10.3917/r2050.hs6.0131
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-roman2050-2010-3-page-131.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Société Roman 20-50.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
La Jalousie : les ambiguïtés
d’un classique

Sans doute est-il peu de romans aussi minces qui aient fait couler
autant d’encre que La Jalousie1. Voici du reste un livre à paradoxes :
refusé par Gaston Gallimard malgré le succès du Voyeur, il n’est d’abord,
de l’aveu même de son auteur, qu’un « sanglant » « échec commer-
cial » (DJC2, p. 82), ne trouvant même pas cinq cents lecteurs l’année
de sa parution (1957)3 ; mais quinze ans plus tard, il est déjà devenu
un classique4 et un « long-seller » (1984, VTC, p. 440), vendu à plus de
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


cent mille exemplaires. D’abord incompris et attaqué de toutes parts,

1. — Cet article reprend et prolonge une précédente étude (« La Jalousie d’Alain


Robbe-Grillet », Littératures contemporaines, n°8, 2000, p. 157-177).
2. — Pour les œuvres de Robbe-Grillet, nous adoptons les abréviations suivantes : J (La
Jalousie), PNR (Pour un nouveau roman, 1963), MR (Le Miroir qui revient, 1984), AE (Angélique
ou l’enchantement, 1988), DJC (Les Derniers Jours de Corinthe, 1994), tous titres parus aux
Editions de Minuit ; VTC (Le Voyageur. Textes, causeries et entretiens [1947-2001], Christian
Bourgois, 2001), PVE (Préface à une vie d’écrivain, Seuil/France Culture, « Fiction & Cie »,
2005). Le Voyageur rassemblant des textes s’étalant de 1947 à 2001, et pour la plupart déjà
parus en revue, afin de ne pas alourdir nos références nous nous contenterons de donner
l’année de leur première parution.
3. — « Quatre cent cinquante-trois exemplaires […] pour l’ensemble des territoires
francophones » (PVE, p. 84) ; « L’année suivante, on en a vendu peut-être 600… » (VTC
[1984], p. 440).
4. — Vers 1972 Hachette publia coup sur coup, sous le même titre – « La Jalousie »
d’Alain Robbe-Grillet –, deux introductions scolaires au roman, l’une d’Henri Micciollo (clas-
siques Hachette, « Lire aujourd’hui », 1972, 96 p.), l’autre de Jean-Pierre Vidal (classiques
Hachette, « Poche critique », 1973, 94 p.). Comme le rappelle lui-même Robbe-Grillet
(VTC, p. 289), une édition destinée à l’enseignement du français aux États-Unis avait paru
encore plus tôt chez Macmillan (« La Jalousie » by Alain Robbe-Grillet, edited by Germaine
Brée and Eric Schoenfeld, New York, 1963). L’inscription de La Jalousie, avec Les Gommes, au
programme de l’agrégation des lettres de 2011 ne fait que confirmer ce statut précocement
acquis d’œuvre destinée aux classes.

ROMAN 20-50 - HORS SÉRIE N°6 - SEPTEMBRE 2010 - ROBBE-GRILLET

robbe-grillet.indb 131 04/10/10 16:07


132 YVES BAUDELLE

La Jalousie est aujourd’hui, selon Robbe-Grillet, son roman « le plus


connu, le plus lu […], le plus étudié à travers le monde » (AE, p. 160),
des générations d’élèves et d’étudiants n’ayant cessé d’y voir le symbole
même du Nouveau Roman. N’est-ce pas d’ailleurs à son sujet qu’Émile
Henriot, dans Le Monde (22 mai 1957), a le premier parlé de Nouveau
Roman, même si c’était, rappelle Robbe-Grillet, pour le « descend[re] en
flammes » (DJC, p. 83) ? Avant 1957 – année où Butor triomphe avec La
Modification –, l’institution littéraire n’avait pas encore pris conscience de
la « révolution » en cours : ainsi La Jalousie a fait date et apparaît d’ailleurs
comme un livre charnière, à la fois accomplissement du Nouveau Roman
phénoménologique (nous y reviendrons) et modèle pour la réorientation
« scripturaliste » du mouvement. Auparavant, ce texte insaisissable avait
pu être aussi bien présenté comme un nouvel exemple de cette « objecti-
vité » purement « optique » perçue par Roland Barthes dans Les Gommes
et Le Voyeur5 que donné pour la transcription d’une intériorité mentale
– celle d’un jaloux –, forcément subjective et presque hallucinée.
Pour ne rien arranger, il y avait la forte personnalité de l’auteur, dont
le goût pour la provocation trouva à s’exprimer dans les formulations
schématiques qu’entraîne la polémique, et qui aggrava son cas en assu-
mant les contradictions décelables dans ses écrits théoriques : dès lors que
ceux-ci n’étaient que des « aperçus » (VTC [1985], p. 464 ; PVE, p. 119),
volontiers « simplistes » (VTC [1988], p. 496), et qui n’avaient nullement
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


pour lui « valeur de vérité » (AE, p. 166-167), il va jusqu’à revendiquer,
au nom de l’humour, la distance qui sépare ses fictions de ses articles
de combat (MR, p. 69)6. Or, il n’est pas sûr qu’aujourd’hui encore les
« malentendus graves » (AE, p. 167) créés par une telle attitude se soient
dissipés, et il convient donc de tenter d’en démêler un peu l’écheveau
(ne serait-ce que parce que, selon l’auteur, ils ont contribué au succès
de son roman)7. Ce faisant, il s’agira aussi de justifier La Jalousie. Car aux
malentendus se sont dès l’origine ajoutés les soupçons, et le pire d’entre
eux, l’imposture, rôde encore8. Barthes avait d’emblée insinué une mysti-

5. — Voir les trois articles repris dans Essais critiques (Seuil, « Tel Quel », 1964, puis
« Points », 1981) : « Littérature objective » (1954), « Littérature littérale » (1955) et « Il n’y
a pas d’école Robbe-Grillet » (1958).
6. — « Je m’y livrais par exemple […] à une condamnation catégorique de la
méta­phore. Mais La Jalousie, que j’écrivais à la même époque, est en un sens un festival
de méta­phores ! » (VTC [1988], p. 496 ; cf. p. 463-464 [1985]). PVE défend encore avec
force une épistémologie de la contradiction, opposée aux articles « péremptoires » (p. 14)
rassemblés dans PNR et tenue pour « le moteur même de l’évolution de l’humanité » (« Les
vertus de la contradiction », p. 61). Le chapitre intitulé « L’ordre et le désordre » (p. 79-85)
analyse les « forces […] inconciliables » (p. 85) en lutte dans La Jalousie, illustrant ainsi la
thèse selon laquelle tout Nouveau Roman est un « lieu […] de contradictions » (p. 71).
7. — « Vous savez, c’est presque toujours sur des malentendus que les grands livres
réussissent à s’imposer » (VTC [1998], p. 511).
8. — Voir, par exemple, Nelly Wolf, pour qui le Nouveau Roman est avant tout
« un produit de marketing littéraire » (Une littérature sans histoire, Droz, 1995, p. 48), ou

robbe-grillet.indb 132 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 133

fication possible9, Robbe-Grillet lui rendant d’ailleurs la politesse dans Le


Miroir qui revient (p. 63). Mais on a encore une fois confondu ici l’homme
et l’œuvre. L’insolente et retorse mythomanie du personnage (Robbe-
Grillet) ne doit pas empêcher de prendre au sérieux un livre comme La
Jalousie, dont je m’emploierai à souligner en quoi il a compté, et dans
quelle mesure il compte encore.
La portée la plus manifeste du texte, et à quoi le réduit, pour l’es-
sentiel, la vulgate scolaire, est assurément sa puissance subversive, sa
contribution à « l’ère du soupçon »10. La Jalousie, en première analyse,
apparaît comme la quintessence du Nouveau Roman, caractérisé, selon
Robbe-Grillet, par son « refus d’accepter les normes du récit dit “réaliste”
léguées par le xixe siècle » (DJC, p. 86). Une telle lecture n’est certes
pas négligeable, ce « vent de liberté » expliquant probablement « l’im-
pact considérable » du mouvement « à travers le monde », où l’auteur
voit, non sans emphase, un « phénomène incontestable, désormais
historique » (DJC, p. 83, 85), mais sans doute manque-t-elle ce que La
Jalousie a de plus spécifique. Robbe-Grillet reconnaît du reste sa part de
responsabilité dans cette interprétation purement négative de ses romans.
Comme ceux-ci étaient « à la lettre incompréhensibles »11, il dut s’en
expliquer et en proposer une « signification claire, schématisée, presque
squelettique » qui « était tout bonnement l’envers des idées reçues par
l’idéologie narrative au pouvoir » :
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


Par un lecteur qui en connaissait si bien l’endroit, l’envers pouvait être
aussitôt reconnu. Mes romans n’étaient pas « lisibles » (ils le deviennent
ensuite peu à peu), mais les essais critiques de Pour un nouveau roman le
seront de façon immédiate, puisque tout lecteur y distinguait sans mal
« les oripeaux de l’ordre ancien », dont on leur [sic] faisait voir à présent
la doublure. (AE, p. 168-169)

Ces « oripeaux de l’ordre ancien » dont se défaisait le Nouveau


Roman, les articles regroupés dans Pour un nouveau roman en dressèrent
donc la liste avec une vigueur toute didactique, La Jalousie paraissant en
offrir d’autre part l’illustration la plus nette, à moins que ce ne fût l’in-
verse. Cet appareil critique qui accompagna très vite les textes de fiction,
en brossant à gros traits une opposition facilement assimilable entre le
« roman traditionnel » et le « roman futur »12, explique largement la for-

Dominique Viart, qui voit dans les Romanesques « une véritable esthétique de l’imposture »
(Le Roman français au xxe siècle, Hachette, 1999, p. 116).
9. — « Littérature objective », op. cit., p. 35.
10. — « L’ère du soupçon » est encore le titre de l’un des chapitres de PVE (p. 69-
77).
11. — Et même, s’agissant de La Jalousie, « complètement illisible » (VTC [2000],
p. 291 ; cf. p. 101 [1972]).
12. — « Une voie pour le roman futur » (NRF, 1956), repris dans PNR, p. 15.

robbe-grillet.indb 133 04/10/10 16:07


134 YVES BAUDELLE

tune scolaire du Nouveau Roman, les enseignants y ayant trouvé à peu de


frais une problématique d’histoire littéraire renouvelée par les questions
formelles et agrémentée d’un parfum d’actualité. Cette réussite fût-elle
ternie par le reproche de n’être qu’une « littérature de professeurs »13, on
doit bien constater, à en juger par les anthologies destinées aux classes,
qu’on ne connaît guère d’autres exemples, pas plus aujourd’hui qu’hier,
d’œuvres qui aient fait l’objet d’une exploitation pédagogique aussi pré-
coce et aussi considérable, y compris dans le supérieur et à l’étranger, en
particulier aux États-Unis.
Faut-il dès lors rappeler quelles sont ces fameuses « notions périmées »
dénoncées en 1957 dans une série d’articles parus dans France-Observateur
(PNR, p. 25-44) et que met précisément à mal La Jalousie ? Il y a d’abord
le personnage, ici privé de ses attributs essentiels, jusqu’à son nom et son
visage, et dont les choses tendent à prendre la place ; dans le même mou-
vement, disparaît aussi « la sacro-sainte analyse psychologique » (PNR,
p. 15) : moyennant une équivoque sur le mot jalousie, dont les mentions
dans le texte ne désignent que des persiennes, la gageure de ce roman,
dont le titre semble promettre l’étude clinique d’une passion dans la pure
tradition française et naturaliste, est de s’employer en effet à peindre une
conscience jalouse – celle de son narrateur invisible –, non pas seulement
en transcrivant de l’intérieur ses obsessions (ce que Proust avait déjà fait
dans La Prisonnière), mais sans jamais donner de nom à ses sentiments14.
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


Dans La Jalousie, on voit bien ensuite qu’il ne s’agit plus de « raconter une
histoire », les quelques éléments d’intrigue, au demeurant aussi minces
que conventionnels – A… a-t-elle couché avec Franck ? –, se trouvant
noyés dans une description envahissante, des répétitions crispantes et
les incertitudes du narrateur15. Comment d’ailleurs savoir où l’on en est
quand s’entremêlent réminiscences et fantasmes, rêves et perceptions16,
comment suivre la progression d’un récit quand les différentes scènes,
rapportées dans un présent perpétuel, s’enchaînent suivant d’autres
mécanismes que la logique temporelle-causale ? Car au delà de la simple
succession chronologique, à laquelle n’est d’ailleurs nullement tenu le
roman « traditionnel », c’est la cohérence même de la narration qui est ici
dénoncée comme l’expression d’une illusoire intelligibilité du monde17.

13. — L’auteur s’en défend dans un entretien avec Josyane Savigneau (« Robbe-Grillet,
l’intellectuel heureux », Le Monde, 22-23 janv. 1984 ; VTC, p. 432).
14. — Jean Rousset a bien montré que le soin de l’analyse psychologique, d’ordinaire
prise en charge par le narrateur, est ici laissé au lecteur (« Les deux jalousies », Saggi e
ricerche di letteratura francese, X, 1969, p. 97-120).
15. — « A la fin de La Jalousie, on ne sait toujours pas ce qu’il s’est passé entre le voisin
et l’épouse […] » (PVE, p. 85).
16. — Dans La Jalousie « rien n’est jamais assuré, […] et l’objectivité est par ailleurs
mise à mal par le fantasme » (loc. cit.).
17. — Soulignons la constance de la pensée de Robbe-Grillet sur ce point : voir par
ex. PNR (p. 31), AE (p. 68) et VTC (p. 418).

robbe-grillet.indb 134 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 135

Dès lors, c’est le principe de la mimèsis qui est à son tour contesté, La
Jalousie dressant le procès-verbal « d’une représentation impossible ».
Mais si la « fable » ne peut plus être un « analogon » du réel (MR, p. 18),
les rapports de la forme et du contenu s’en trouvent alors renversés.
Ce prétendu formalisme de Robbe-Grillet, qui mériterait à lui seul une
mise au point, a été souvent mal compris. Si l’influence dogmatique de
Ricardou a pu l’amener, vers 1970, à cautionner le modèle « produc-
teur » d’une initiative des signifiants dans la genèse textuelle18, à la fin
des années 1950 l’auteur de La Jalousie veut surtout mettre à distance la
littérature à message, qu’il s’agisse de « l’engagement » (PNR, p. 33-39)
incarné par Sartre et Camus ou du réalisme socialiste. Son aversion pour
le didactisme des œuvres à thèse le conduit à repousser en même temps
l’exigence académique d’une profondeur – morale ou métaphysique – du
roman. Pour autant, il ne défend nullement l’idée d’une littérature sans
contenu, ce qui n’aurait pas grand sens19. À supposer que La Jalousie soit
un roman du vide – conversation qui s’épuise (J, p. 98), maison désertée
(p. 122 sq.) –, ce vide y est encore traité comme un thème, de même que
la conscience centrale, aussi vide soit-elle (VTC [1988], p. 500), « parle du
monde extérieur » (PVE, p. 82) : c’est « un centre narratif […] vers lequel
toutes les informations converg[ent] » (PVE, p. 94). La fameuse formule
selon laquelle « le véritable écrivain n’a rien à dire », qui reste d’ailleurs
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


en pointillé20, signifie très littéralement que le romancier qui se met à
écrire ne sait pas encore ce qu’il mettra dans son livre, qu’il n’en a pas
l’idée préalable21. Reste qu’« il doit créer un monde » (PNR, p. 42) et qu’à
travers « les formes qu’il crée » il s’efforce d’« apporter des significations
au monde »22. S’il en allait autrement, si le Nouveau Roman – « piège
pour amateur de structures dépourvues de sens » (MR, p. 41) – n’était
que cet « avènement du rien »23 que certains dénoncent encore en lui,
on voit mal comment Robbe-Grillet pourrait en même temps défendre
le principe de l’interdépendance de la forme et du contenu, l’indisso-
ciabilité de « l’univers » d’un écrivain et de son écriture (PNR, p. 41-42).

18. — Voir notamment Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, actes du colloque de Cerisy-
la-Salle (1971), UGE, « 10/18 », 1972, t. 2.
19. — Dans PVE, Robbe-Grillet conteste l’idée flaubertienne « du livre sur rien »
(p. 131), car il y a toujours « des contenus » (p. 123).
20. — « Ne pourrait-on avancer au contraire que le véritable romancier n’a rien à
dire ? » (PNR, p. 42).
21. — « Quand j’écris à l’heure actuelle (et même depuis très longtemps, probable-
ment depuis La Jalousie), je m’avance, incertain, de phrase en phrase, le travail de l’écriture
produisant ce qui suit » (VTC [1994], p. 260) ; cf. VTC : « L’écrivain, par définition, ne sait
pas où il va » ([1964], p. 74).
22. — « Nouveau roman, homme nouveau », La Revue de Paris, sept. 1961 (PNR,
p. 120).
23. — N. Wolf, Une littérature sans histoire, op. cit., p. 141-158.

robbe-grillet.indb 135 04/10/10 16:07


136 YVES BAUDELLE

Au demeurant, l’intention subversive de La Jalousie ne vise pas seule-


ment les pratiques littéraires. Ce n’est pas un hasard, en effet, si le roman
évoqué par les personnages et qu’ils commentent si mal (J, p. 82), est un
roman colonial, qui rappelle Le Fond du problème de Graham Greene24. Le
procédé de la mise en abyme renforce évidemment la portée critique du
livre de Robbe-Grillet, dont elle contribue à éclairer le caractère d’antiro-
man. De plus, La Jalousie est elle-même la parodie d’un roman colonial25,
décevant l’attente du lecteur qui aurait cru avoir affaire à « un récit clas-
sique sur la vie coloniale, en Afrique, avec description de tornade, révolte
indigène et histoires de club » (J, p. 215). Ainsi la mise à distance des
conventions narratives s’étend-elle aux contenus du roman, à ses thèmes
ordinaires. Mais pourquoi avoir choisi de s’attaquer, parmi tous les stéréo-
types possibles, à ceux de la littérature coloniale, alors bien essoufflée ?
En 1957 le genre du roman colonial a en effet cédé la place à une nou-
velle littérature d’outre-mer, très active dans les années qui précèdent La
Jalousie, et où ce sont désormais les colonisés qui s’expriment, parfois avec
virulence26. Il est en vérité difficile d’abstraire le texte de Robbe-Grillet
de sa situation historique, celle de la décolonisation, qui domine alors la
vie politique française. À cet égard, on doit observer que la thématique
coloniale de La Jalousie est souvent négligée, sa présence étant généra-
lement ramenée à des motifs biographiques (en 1949-1951, l’auteur,
ingénieur de recherches à l’Institut des Fruits et Agrumes Coloniaux,
fit plusieurs séjours en Guinée et aux Antilles)27. Pourquoi du reste aller
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


chercher quelque message anticolonialiste chez un écrivain si acharné
contre l’esprit de propagande ? Mais c’était oublier qu’une véritable
œuvre littéraire exprime une vision du monde et non, sommairement,
des idées (pour cela d’autres moyens existent). Or, La Jalousie offre un
cas exemplaire de cette nécessaire distinction entre le monde du texte
et les convictions de son auteur. On a pu s’étonner que Robbe-Grillet,
tel un écrivain engagé, signe en 1960 le Manifeste des 121, alors que La
Jalousie, à sa manière, dénonçait déjà les mentalités coloniales, comme
l’a montré Jacques Leenhardt dans un livre d’une probité intellectuelle

24. — The Heart of the Matter (1948). Le rapprochement a été fait par Bruce Morrissette
(Les Romans de Robbe-Grillet, Minuit, « Arguments », 1963, p. 117, n. 4) et il est cautionné
par Robbe-Grillet (PVE, p. 193).
25. — Le genre a son manifeste, dû à Marius et Ary Leblond (prix Goncourt 1909) :
Après l’exotisme de Loti, le roman colonial (Rasmussen, 1926). Sur cette littérature, voir
L. Fanoudh-Siefer, Le Mythe du nègre et de l’Afrique noire dans la littérature française, Klincksieck,
1968.
26. — Citons seulement Mongo Beti (Ville cruelle, 1954, Le Pauvre Christ de Bomba, 1956),
Ferdinand Oyono (Une vie de boy et Le Vieux Nègre et la médaille, 1956), Mouloud Feraoun (Le
Fils du pauvre, 1950, La Terre et le Sang, 1953), Albert Memmi (La Statue de sel, 1952, et l’essai
Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, 1957), Kateb Yacine (Nedjma, 1956).
27. — L’épitexte situe l’action tantôt à la Martinique (VTC, p. 450 etc.), tantôt en
Guinée (PVE, p. 146).

robbe-grillet.indb 136 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 137

assez rare chez les tenants d’une sociologie marxiste du roman et où il


analyse la cristallisation, de l’intérieur, des manières de voir et de sentir
d’un colon – le narrateur-personnage – impuissant face à une réalité
qu’il ne maîtrise plus, incapable de dominer l’angoisse qui le saisit face
au naufrage prévisible de son univers28.
Qu’une telle lecture fût possible, qui renvoyait aux réalités sociohis-
toriques, n’empêcha pas la fraction la plus hardie de l’avant-garde de
tenir au contraire La Jalousie pour l’archétype du texte non référentiel.
À la lumière des romans suivants de Robbe-Grillet, à commencer par
Dans le labyrinthe (1959), et à en juger par les chemins qu’allaient bientôt
emprunter les néo-romanciers, il apparut bientôt que la nouveauté la
plus radicale de La Jalousie, son effet le plus « dévastateur » selon Jean
Ricardou29, le promoteur le plus résolu de cette théorie30, résidait dans
son caractère spéculaire. Le premier degré de cette tendance à l’auto-
représentation considérée par Ricardou comme inhérente au Nouveau
Roman est la mise en abyme. Si le procédé, qui vient des Faux-Monnayeurs,
n’est pas original, il est dans La Jalousie particulièrement marqué : alors
qu’au roman africain lu par Franck et A… s’ajoutent d’autres supports
de représentation où se reflètent des motifs de la fiction – une photo
(J, p. 124) et un calendrier des postes (p. 155) –, ces jeux de miroirs
paraissent en effet se multiplier, la configuration du texte pouvant se
retrouver aussi bien dans la complication du chignon de A… (p. 52)
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


et les circonvolutions d’une table (p. 124-125) que dans la façon dont
mange A… (« méticuleux exercice de découpage […], comme s’il s’agis-
sait d’une démonstration d’anatomie », p. 71), la santé de Christiane
(« Toujours la même chose », p. 192) ou la conversation des person-
nages – « Le sujet bientôt s’épuise. Son intérêt ne décline pas, mais ils ne
trouvent plus aucun élément nouveau pour l’alimenter » (p. 98) –, sans
parler de « l’air indigène » (p. 99) chanté par le chauffeur noir, et dont la
structure est homologique du roman que nous sommes en train de lire31.
Au-delà de la fameuse « rétroaction du sujet sur lui-même » dont parle
Gide32, ce livre se singularisait, en 1957, par une circularité si manifeste

28. — Lecture politique du roman, Minuit, « Critique », 1973. Confirmant que « le nar-
rateur de La Jalousie est un colon », Robbe-Grillet, sans citer Leenhardt, reprend à son
compte cette analyse (PVE, p. 81-84). Leenhardt est mentionné à propos du Voyeur, pour
aller dans son sens (p. 181).
29. — Le Nouveau Roman, Seuil, « Points », 1990 (1973), p. 110.
30. — Voir Problèmes du Nouveau Roman (Seuil, 1967), Pour une théorie du Nouveau Roman
(Seuil, 1971), Nouveaux Problèmes du roman (Seuil, 1978). L’influence de Ricardou apparut
surtout au colloque qu’il réunit en 1971 à Cerisy-la-Salle.
31. — Voir p. 101 et aussi, plus ironiquement, ce passage : « Les sons, en dépit d’évi-
dentes reprises, ne semblent liés par aucune loi musicale. […] On dirait que l’homme
se contente d’émettre des lambeaux sans suite pour accompagner son travail » (p. 195).
32. — Journal, 1889-1939, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951 (1ère éd. :
1939), août 1893, p. 41.

robbe-grillet.indb 137 04/10/10 16:07


138 YVES BAUDELLE

qu’elle n’a pas manqué, dès l’origine, de frapper la critique33. Empruntant


cette formule à Mallarmé, Genette avait parlé dès 1962 de « démon de
l’analogie »34, tandis que Bruce Morrissette, qu’on ne saurait soupçonner
de formalisme, écrivait :
Dans toute l’histoire de la littérature romanesque, La Jalousie est sans
doute l’ouvrage qui contient le plus de répétitions de scènes, ou d’élé-
ments de scènes. […] Sans ces répétitions, le roman ne saurait exister :
c’est en elles, et par elles, que l’ouvrage trouve son tempo et sa forme35.

Il reste que faire ce constat n’implique pas forcément qu’on souscrive


au scripturalisme de nos anciens modernes. L’écriture itérative de La
Jalousie peut en effet entraîner trois sortes de commentaires : une inter-
prétation psychologique ou mentaliste qui rapporte ces ressassements à
la subjectivité du narrateur-personnage, la jalousie étant par nature obses-
sionnelle36 ; à l’opposé, une systématisation formaliste, sorte de révolution
néo-copernicienne de la représentation qui, faisant valoir que plus le
roman se répète, moins il parle du monde, s’appuie sur cette « clôture »
du texte pour postuler son autonomie par rapport à toute visée référen-
tielle et affirmer la primauté du langage sur la pensée, des structures sur
les contenus, des signifiants sur les signifiés, etc.37 ; entre les deux, une
approche structuraliste et poéticienne, sensible à la composition sérielle
du roman de Robbe-Grillet et à la promotion du paradigme qu’elle ins-
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


taure dans l’ordre diégétique : comme Genette le marqua le premier,
la « structure thématique » de La Jalousie « étale horizontalement, dans
la continuité spatio-temporelle, la relation verticale qui unit les diverses
variantes d’un thème »38. Par cette formulation maladroitement jakobso-
nienne, Genette relevait simplement l’introduction d’un fonctionnement
métaphorique – en principe réservé à la poésie – dans l’ordre métony-
mique qui est celui du récit, mais il aurait pu aller plus loin en observant
que la dynamique à l’œuvre dans La Jalousie correspond exactement à la
fameuse théorie jakobsonienne de la poésie selon laquelle « la fonction

33. — Par exemple Philippe Jaccottet dans la Gazette de Lausanne (25 mai 1957).
34. — « Sur Robbe-Grillet », Tel Quel, n° 8, hiver 1962, repris sous le titre « Vertige
fixé » dans Figures I, Seuil, 1966 ; « Points », 1976, p. 83.
35. — Les Romans de Robbe-Grillet, op. cit., p. 140.
36. — L’archétype de ce type de lecture, dont Robbe-Grillet constate qu’elle « s’est
imposée dans les manuels » (VTC [1988], p. 495), demeure le livre de Bruce Morrissette
cité ci-dessus. En dépit du « grand danger » que présente cette approche psychologique
– celui de passer pour la seule lecture valable de Robbe-Grillet (PVE, p. 184) –, l’écrivain
la tient pour « utile » (VTC [1984], p. 442) et rappelle que c’est lui qui, l’ayant trouvée
« extrêmement intéressant[e] », l’a publiée avec Jérôme Lindon (PVE, p. 183-184).
37. — La monographie citée de J.-P. Vidal est une application à La Jalousie de ce
modèle « telquelien » qui se réfère tout à la fois à Lacan (Écrits, Seuil, 1966), Derrida (De
la grammatologie, Minuit, 1967) et à la sémiotique dialogique de Julia Kristeva (Semeïôtikè,
Seuil, 1969).
38. — Figures I, op. cit., p. 85.

robbe-grillet.indb 138 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 139

poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur


l’axe de la combinaison »39.
Une étude structuraliste du roman de Robbe-Grillet ne peut ainsi que
conclure à sa dimension poétique40. Si cette analyse n’a pas fait fortune41,
c’est qu’elle souffrait des évidentes limites de la thèse jakobsonienne42.
Aussi la notion de combinatoire fut-elle récupérée par les tenants de la
conception « sémiologique » du Nouveau Roman, lesquels y virent plus
raisonnablement un moyen de subversion (des variantes généralisées
n’étant pas compatibles avec la vraisemblance événementielle)43, un ins-
trument ludique et un principe de composition typique de l’art moderne
– peinture abstraite ou musique sérielle44. Quoi de moins poétique, en
vérité, et de plus sèchement technique que ces opérations formelles
dont l’énoncé pseudo-mathématique – « Supposons n éléments fictifs,
on appellera permutation… » – permet à un Jean Ricardou de décrire
La Jalousie comme une « machine à variantes » régie par des « règles de
métamorphoses »45 (permutation, substitution, transformation, pertur-
bation) ?
Ces formules, qui datent de 1973, prêtent aujourd’hui à sourire, et
Robbe-Grillet, prompt à se défausser, n’a du reste pas tardé à dénoncer
avec vigueur cette réduction de l’écriture à un « simple jeu combinatoire
qui pourrait à la limite être confié à une machine » : « rassurantes niai-
series » qu’il convient avoir lui-même « beaucoup encouragé[es] » mais
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


qui ont « fait leur temps » (MR, p. 11). Que ces thèses aient mal vieilli
n’empêche toutefois pas de reconnaître que la composition si particulière
de La Jalousie a fait date, et que ses récurrences et ses modulations, en
donnant l’impression d’un texte avec ses variantes, donc d’un roman qui
se prendrait lui-même pour sujet, annoncent ce qui deviendra, sous l’in-
fluence de Tel Quel, le « Nouveau Nouveau Roman » – celui de Sollers,
Ricardou ou Thibaudeau –, sans parler de l’infléchissement nettement
scripturaliste de l’œuvre de Claude Simon à partir des années 1960.

39. — Essais de linguistique générale, Minuit, 1963, p. 220.


40. — Voir Nicole Bothorel, Francine Dugast et Jean Thoraval, Les Nouveaux Romanciers,
Bordas, 1976, p. 74 et 123.
41. — Nulle trace de La Jalousie, ni d’aucun Nouveau Roman dans Le Récit poétique de
Jean-Yves Tadié (PUF, « Écriture », 1978), pourtant tributaire d’une conception jakobso-
nienne de la poésie. Robbe-Grillet lui-même déplore qu’on ait « très peu parlé de poétique
à propos du Nouveau Roman », étant lui-même sensible à « la musique du texte », aux
« sonorités qui […] se font écho », aux « rimes intérieures » (PVE, p. 137-138 ; cf. p. 171).
42. — A ce sujet, voir Georges Mounin, « Les Difficultés de la poétique jakobso-
nienne », L’Arc, « Jakobson », réimpr. 1990 (1976), p. 64-69.
43. — Ainsi « dans La Jalousie, il y a une maison dont le nombre de pièces varie suivant
les chapitres » (VTC [1968], p. 347).
44. — Robbe-Grillet se réfère lui-même aux séries schönbergiennes, par ex. dans MR
(p. 221).
45. — Le Nouveau Roman, op. cit., p. 101. Cf. Problèmes du Nouveau Roman, op. cit.,
p. 38.

robbe-grillet.indb 139 04/10/10 16:07


140 YVES BAUDELLE

Cela étant, La Jalousie est souvent considérée avec raison comme une
œuvre de transition, « présémiologique », qu’on ne saurait par consé-
quent réduire, pour reprendre la formule éculée de Ricardou, à « l’aven-
ture d’une écriture »46, ne serait-ce que parce que l’auteur a lui-même
pris ses distances, à partir des années 1980, avec la doctrine antiréféren-
tielle (allant jusqu’à revendiquer le caractère autobiographique de son
roman47) : « On ne peut pas dire de mes propres livres, ni de ceux du
Nouveau Roman en général, qu’ils ne représentent “rien” […] », ce qui
était la thèse « jusqu’au-boutiste » de Ricardou (« Un livre sur rien »,
PVE, p. 127). Insistant sur le fait que, dans La Jalousie, on a affaire, non à
des scènes identiques, mais à des « reprises », c’est-à-dire à « un système
de répétitions à variantes qui peu à peu modifi[e] considérablement
les éléments de départ », l’auteur fait notamment remarquer que, de
la sorte, « l’intrigue avance » (PVE, p. 88)48. D’où ce paradoxe : « On a
trop dit du Nouveau Roman qu’il ne s’y passait rien du tout, alors qu’il
s’y passe au contraire des tas de choses. Il s’y passe même beaucoup plus
de choses que dans n’importe quel autre livre traditionnel, puisqu’il
arrive à la fois une chose et son contraire, et toutes sortes de variations
possibles sur la même chose » (« Il se passe quand même beaucoup de
choses », PVE, p. 133-134)49.
Avec le recul qui est aujourd’hui le nôtre, on doit surtout déplorer
que le dogme moderniste de l’autoreprésentation, en emprisonnant le
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


texte dans un appareil conceptuel redoutable, ait conduit à occulter un
caractère essentiel du roman de Robbe-Grillet et que les plus lucides
des critiques lui avaient précédemment reconnu : sa dimension phéno-
ménologique. Il est vrai que plusieurs facteurs ont conduit à enfermer
La Jalousie dans une lecture formaliste, les poéticiens y ayant contribué
en insistant sur les innovations techniques du texte tandis que Robbe-
Grillet s’efforçait de masquer, en la matière, ses dettes envers Sartre,
dont il contestait par ailleurs la pratique d’une littérature engagée. Parce

46. — A l’origine, cet axiome s’appliquait à La Jalousie (Problèmes du Nouveau Roman,


op. cit., p. 111).
47. — « Mon troisième roman, La Jalousie, est purement autobiographique. Je l’ai situé
dans la maison où j’ai vécu, à Fort-de-France […]. Et cette histoire était très largement la
mienne, même si dans la réalité je n’étais pas le mari mais le voisin » (VTC [1985], p. 450 ;
cf. p. 255, 265-266 [1991], 526 [2000]). Cf. PVE : « […] C’est mon expérience vécue, la
maison de La Jalousie je l’ai habitée, ces personnages ont existé et je suis l’un des trois (qui
n’est pas l’absent, d’ailleurs) » (p. 18 ; cf. p. 82 et VTC [1991], p. 251).
48. — C’est déjà ce que suggérait, dans le texte, « le poème » (J, p. 194) chanté par le
chauffeur : « Si parfois les thèmes s’estompent, c’est pour revenir un peu plus tard, affer-
mis, à peu de chose près identiques. Cependant ces répétitions, ces infimes variantes, ces
coupures, ces retours en arrière, peuvent donner lieu à des modifications – bien qu’à peine
sensibles – entraînant à la longue fort loin du point de départ » (J, p. 101).
49. — De ce monde « mouvant » (PVE, p. 69) l’exemple le plus parlant est sans doute
la scutigère : « Elle a par moments trois centimètres de long, et à d’autres elle est grande
comme une assiette à soupe » (PVE, p. 85).

robbe-grillet.indb 140 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 141

que la phénoménologie, sous l’impulsion de Sartre, avait connu après


guerre son heure de gloire – au point que la presse elle-même, rappelle
Robbe-Grillet, parlait de phénoménologie50 –, elle en parut d’autant plus
désuète aux modernes, désormais épris de linguistique structurale. Enfin
les enseignants et leurs élèves trouvèrent leur compte dans cet abandon,
l’analyse formelle des textes leur étant d’un accès plus facile que les
notions d’être-au-monde, de négativité de la conscience, concepts plus
obscurs et comme teintés de métaphysique.
Sans doute parce que Robbe-Grillet, dans son article « Nature, huma-
nisme, tragédie », paru en 195851, rejetait l’absurdité camusienne et l’« in-
timité louche » de Roquentin avec les choses du côté d’un humanisme du
tragique (au nom d’un « être-là » des choses dont il avait pourtant indi-
qué dès 1953 1’origine heideggerienne)52, il fallut attendre 1963 pour que
la critique s’avise du caractère phénoménologique d’un roman comme
La Jalousie. Même si l’expression de « roman phénoméno­logique » avait
pu être employée avant lui, l’initiative en revint, semble-t-il, à Bruce
Morrissette, à qui les textualistes de Tel quel reprocheront d’avoir donné
dans le psychologisme alors que, loin de neutraliser les personnages sous
les étiquettes communes de la psychologie scolaire et l’analyse des « carac-
tères » – « notion périmée » (PNR, p. 27) –, le chercheur de Chicago, en
réalité, éclairait les apparentes singularités des romans de Robbe-Grillet
en les rapportant pour la première fois à la « phénoménologie existen-
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


tielle »53. Ainsi, à propos des Gommes :

Si l’on admet, comme il semble correct de le faire, que ces « yeux »


sont ceux d’une conscience observatrice, on est en droit de rattacher direc-
tement Robbe-Grillet au courant de la pensée existentialiste, représentée
principalement en France par Jean-Paul Sartre (il suffit de comparer les
expressions favorites de Robbe-Grillet, comme « l’être-là des objets », à la
terminologie de L’Etre et le Néant et de La Nausée) et par des phénoméno-
logistes comme Merleau-Ponty, écrivant par exemple54 que « rien n’est
plus difficile que de savoir au juste ce que nous voyons ». L’attaque de Robbe-
Grillet contre la signification et la profondeur n’est qu’un prolongement
de celle qu’avaient lancée les phénoménologistes aussi bien contre la
dualité objet-sujet que contre l’intériorité introspective précédemment
dénoncée par les « behavioristes » américains55.

50. — VTC [1989], p. 237.


51. — NNRF, oct. 1958 (PNR, p. 45-67).
52. — « Beckett ou la présence sur la scène » (PNR, p. 95-107).
53. — Les Romans de Robbe-Grillet, op. cit., p. 75.
54. — Phénoménologie de la perception, [Gallimard], 1945, p. 71.
55. — Les Romans de Robbe-Grillet, op. cit., p. 40. Plus loin, citant L’Être et le Néant (1943),
l’auteur affirme que c’est à « cet existentialisme du néant » que renvoient, « implicitement,
la technique du “je supprimé” de la Jalousie » et celle des « objectivations mentales » (p. 112,
n. 2).

robbe-grillet.indb 141 04/10/10 16:07


142 YVES BAUDELLE

Probablement parce que Merleau-Ponty avait fait paraître en 1962


« Cinq notes sur Claude Simon »56, cette intuition devint bientôt une
conviction. Tandis que Jean-Bertrand Barrère, peut-être pour diminuer le
cadet, donne pour une évidence que Robbe-Grillet « procède de Sartre »,
celui-ci ayant « le premier », dans La Nausée, « imposé au lecteur la pré-
sence des choses avec un pouvoir hallucinant qui leur rend leur autono-
mie »57, Ludovic Janvier commente La Jalousie en des termes sartriens :
Voilà un regard-de-quelque-chose, une conscience-de-quelque-chose
absolument parfaits […]. Le « Je » ayant été supprimé, et l’ombre qu’il
fait sur le monde, nous sommes à la pliure même du moi et du monde, à
leur articulation pour la première fois58.

Mais c’est surtout à Renato Barilli que revient le mérite d’avoir, dans
un article lumineux, montré que L’Être et le Néant et la Phénoménologie de la
perception fournissent « un fil conducteur presque irremplaçable »59 pour
se mouvoir dans l’univers de Robbe-Grillet. Enfin Pierre A. G. Astier, dans
des pages décisives, devait souligner à son tour en quoi les techniques
du Nouveau Roman se justifient par une conception phénoménologique
de la conscience60.
Ce n’était pas là qu’une lecture de plus pour un roman qui aurait
été conçu comme un défi à la critique. Car Robbe-Grillet, ayant peut-
être attendu pour cela la mort de Sartre, a fini par reconnaître dans les
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


années 1980 l’influence décisive de la phénoménologie sur son œuvre61.
Rappelant « l’importance énorme que Sartre a eue pour [s]a généra-
tion »62, il lui rend grâce, en 1989, d’avoir été ce « ferment » intellec-
tuel, précisant que c’est à travers lui qu’il a découvert Hegel, Husserl et
Heidegger, lesquels l’ont « beaucoup marqué »63. Dans les Romanesques,
revenant sur ses commentaires de 1958 sur L’Étranger et La Nausée (PNR,
p. 56-61), il présente le roman existentialiste comme la tentative inache-
vée d’une « phénoménologie romanesque des perceptions du monde »
(DJC, p. 179), dont l’échec même lui indiquait la voie à suivre64. Bien

56. — Médiations, n° 4, hiver 1961-1962.


57. — La Cure d’amaigrissement du roman, Albin Michel, 1964, p. 78, 84.
58. — Une parole exigeante, Minuit, 1964, p. 124.
59. — « De Sartre à Robbe-Grillet », Revue des lettres modernes, n° 94-99, 1964-1, p. 107.
Cf. « Nouveau Roman : aboutissement du roman phénoménologique ou nouvelle aventure
romanesque ? », in Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, UGE, 10/18, 1972, t. 2, p. 107-117.
60. — La Crise du roman français et le nouveau réalisme, les Nouvelles Editions Debresse,
1969.
61. — Voir VTC, p. 423-424 [1981], p. 215-219 [1982], 468-469 [1985], 499 [1988],
510-511 [1998]. Il est vrai qu’à Cerisy, en 1971, il approuvait déjà les analyses de R. Barilli
(cf. VTC [1972], p. 100-101).
62. — VTC, p. 237 ; cf. p. 499 [1988] et PVE, p. 33.
63. — VTC, p. 238-244.
64. — Dès 1979, à Cerisy, Robbe-Grillet rend grâce à Gerald Prince « d’avoir présenté
La Nausée comme l’ancêtre immédiat du Nouveau Roman », reconnaissant le « rôle considé-

robbe-grillet.indb 142 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 143

que Camus n’ait pas réussi à gommer chez Meursault toute trace d’in-
tériorité, par « cette présence stupéfiante du monde à travers la parole
d’un narrateur absent de soi » et « le surgissement pour rien des choses,
sous le regard d’une conscience vide » L’Étranger, notamment, donne
l’exemple d’un roman qui serait « la parfaite représentation, presque
didactique, de l’expérience phénoménologique selon Husserl » (MR,
p. 168)65. D’où cet aveu :
[…] Si je croisais allégrement le fer contre lui [Camus] vers la mi-temps
des années 50, comme aussi contre La nausée, c’était autant pour signaler
ma dette envers l’un et l’autre que pour définir, en m’en démarquant, la
direction de mon propre travail. (MR, p. 167)

À en croire Robbe-Grillet, Sartre aurait finalement admis dans les


années 60 que le Nouveau Roman incarnait désormais « le véritable
roman existentiel » (DJC, p. 187) qu’il avait lui-même tenté66 et sans doute
manqué67. Quoi qu’il en soit, à lire ses déclarations des années 50, il
n’était pas très difficile de voir que telle était bien à l’origine l’ambition
de Robbe-Grillet, lequel se référait dès 1953 à l’être-là heideggerien (PNR,
p. 95 ; cf. p. 18) puis, explicitement, à la phénoménologie68.
Il reste qu’éclairer La Jalousie par un rapprochement avec la phéno-
ménologie pose un certain nombre de problèmes. Ces difficultés sont
connues : la littérature est-elle censée illustrer la philosophie ? comment
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


croire qu’une pensée aussi complexe que celle de Husserl puisse tenir
dans un roman69 ? d’ailleurs les connaissances phénoménologiques de
Robbe-Grillet ne sont-elles pas limitées, de son propre aveu (VTC [1989],
p. 237-238 ; PVE, p. 154) ? Autant d’objections recevables, en un sens.
Mais le propos n’est pas de présenter La Jalousie comme un mémento
de phénoménologie, il s’agit seulement de souligner, après d’autres,
que les aspects les plus novateurs du roman de Robbe-Grillet demeurent

rable » joué par ce « déclencheur d’écriture » dans sa « carrière d’écrivain » (VTC [1986],
p. 226). La Jalousie, en particulier, « descendait directement, en un sens, de La Nausée de
Sartre et de L’Étranger de Camus » (PVE, p. 155).
65. — L’intervention de Robbe-Grillet à la décade de Cerisy sur Camus, en 1982 (VTC,
p. 215-224), est son hommage le plus vibrant à L’Etranger, ce « moment fondamental de
l’histoire de la littérature » (p. 224) : « Camus a eu le génie de nous présenter l’intérieur
vide d’une conscience husserlienne » (p. 217).
66. — Cf. VTC [1998], p. 513, et PVE, p. 153-154.
67. — R. Barilli montre très bien les pesanteurs naturalistes qui empêchent Sartre
d’accomplir sur le plan narratif la « révolution gnoséologique » qu’impliquait la phéno-
ménologie : « c’est le drame de celui qui a aperçu la terre promise mais ne réussit pas à
l’atteindre » (« De Sartre à Robbe-Grillet », op. cit., p. 117, 127).
68. — « Le cinéma présente les objets sous [un] angle phénoménologique, et peut
valablement influencer le roman de demain » (L’Express, oct. 1955-fév. 1956, cité par
B. Morrissette, p. 25). Cf. PNR, p. 120.
69. — Cf. Enzo Paci, « Robbe-Grillet, Butor e la fenomenologia », Aut Aut,
mai 1962.

robbe-grillet.indb 143 04/10/10 16:07


144 YVES BAUDELLE

incompréhensibles sans cette référence à la philosophie moderne. Sur


ce sujet qui exigerait de longs développements, on ne peut toutefois
donner ici qu’un aperçu.
« Toute conscience est conscience de quelque chose » : la fameuse
formule de L’Être et le Néant70 signifie que la conscience est vide en dehors
des liens qu’elle tisse avec les choses, lesquels définissent l’intentionnalité
selon Husserl. Si Robbe-Grillet, dans ses propos, insiste sur cette néga-
tivité de la conscience – le pour-soi, selon Sartre, n’ayant d’autre réalité
que d’être la néantisation de l’en-soi individuel –, c’est qu’elle fonde les
singularités narratives les plus criantes de La Jalousie, c’est-à-dire ce que
B. Morrissette appelle « le paroxysme du “je-néant” » et Robbe-Grillet la
« déconcertante technique du “centre vide” » (MR, p. 40), mais aussi,
corrélativement, la substitution d’un monde d’objets à la traditionnelle
intériorité romanesque. Non seulement le personnage-narrateur dans
la conscience duquel nous sommes plongés ne dit jamais « je », mais
cette conscience n’est rien sans ces « objets-supports » qui l’occupent en
permanence : telle est sa « projection intentionnelle » (MR, p. 12)71. À
cet égard, le roman de Robbe-Grillet semble sorti d’une page célèbre de
L’Être et le Néant sur la jalousie, regarder par le trou d’une serrure étant
une « pure manière de me perdre dans le monde » (« il n’y a pas de moi
pour habiter ma conscience », « je suis pure conscience des choses »,
« ma conscience colle à mes actes, elle est mes actes »)72. D’une certaine
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


manière, le lecteur a alors l’impression que c’est la pensée elle-même qui
est exclue du roman. Et en effet, la phénoménologie, tournée vers les
phénomènes (« l’être d’un existant, c’est précisément ce qu’il paraît »)73,
remonte à l’expérience première et délaisse l’intellection pour les per-
ceptions. Ainsi disparaissent du roman l’omniscience du narrateur et
l’idée même d’une vérité absolue. Privé de la logique commune, le texte
trouve alors son sens dans la liaison des perceptions, lesquelles, note
Robbe-Grillet, ne sont d’ailleurs pas seulement visuelles, mais aussi tac-
tiles, auditives, pleines des « craquements » dont parle Merleau-Ponty74.
Ainsi sommes-nous renvoyés vers la plus totale subjectivité, celle d’un
espace mental dont la narration explore le fonctionnement. Au-delà des
seules perceptions, nous voyons se succéder les différentes positions de
la conscience que Husserl et ses successeurs se sont attachés à décrire :

70. — Gallimard, 1943, p. 17 et 28.


71. — «Il n’y a pas d’homme intérieur, l’homme est au monde » (Merleau-Ponty,
Phénoménologie de la perception, op. cit., p. V).
72. — Op. cit., p. 305.
73. — Ibid., p. 12.
74. — Phénoménologie de la perception, op. cit., p. IV. Robbe-Grillet déplore qu’on ait
tant parlé d’École du regard à propos de La Jalousie, où « les bruits » « sont extrêmement
importants » (PVE, p. 136).

robbe-grillet.indb 144 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 145

mémoire, imagination, rêve, hallucination, etc.75. Dès lors s’éclairent


les aspects les plus déroutants du livre : la substitution d’enchaînements
associatifs à la logique temporelle-causale, les lois d’une temporalité
« vécue », toujours au présent – car « c’est toujours dans le présent que
nous sommes centrés » (Merleau-Ponty)76 –, jusqu’aux récurrences thé-
matiques, qui sont certes le symptôme obsessionnel d’une jalousie déli-
rante, mais qui s’apparentent aussi au processus de la variation libre77, au
critérium phénoménologique des Abschattungen (esquisses, silhouettes),
qui exige de porter sur les choses, pour les saisir, toute une trame de
perspectives78. Enfin, la déliquescence de la fonction narrative du roman,
qui couronne une révolution déjà engagée par Flaubert et Proust, fait
de la littérature la transcription d’une vision du monde, rejoignant par
là encore la phénoménologie79.
Reste le point le plus délicat : le traitement des choses comme de
pures surfaces. Or Robbe-Grillet s’en est assez expliqué : c’est introduire
dans la fiction la notion de phénomène et dissiper ce que L’Être et le
Néant dénonce d’emblée avec Nietzsche comme « l’illusion des arrière-
mondes » (« nous ne croyons plus, dit Sartre, à l’être-de-derrière-l’appari-
tion »)80. Certes, mais cela suffit-il à expliquer le traitement géométrique
des objets que Genette, entre autres, tient pour une aberration psycho-
logique, aucune représentation mentale n’atteignant cette ahurissante
précision ? Pour rendre compte de cette singularité de La Jalousie, il faut
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


alors, selon nous, la rapporter à l’épochê, la célèbre « réduction » phé-
noménologique selon Husserl, l’impression d’artifice donnée par les
descriptions de La Jalousie correspondant au fait que l’épochê, en tant que
méthode d’analyse, institue justement, dit Husserl, une « altération totale de
l’attitude naturelle ». Comme l’explique Merleau-Ponty dans une page
lumineuse qui semble faite pour Robbe-Grillet :
C’est parce que nous sommes de part en part rapport au monde que
la seule manière pour nous de nous en apercevoir est de suspendre ce
mouvement, de lui refuser notre complicité […]. [Dans la réduction] la
réflexion […] distend les fils intentionnels qui nous relient au monde
pour les faire paraître, elle seule est conscience du monde parce qu’elle le
révèle comme étrange et paradoxal. […] Tout le malentendu de Husserl
avec ses interprètes […] vient de ce que, justement, pour voir le monde
et le saisir comme paradoxe, il faut rompre notre familiarité avec lui,

75. — Voir Olga Bernal, Alain Robbe-Grillet : le roman de l’absence, Gallimard, 1964.
76. — Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 489.
77. — Voir P. A.G. Astier, La Crise du roman français…, op. cit., p. 212 sq.
78. — Voir R. Barilli, « De Sartre à Robbe-Grillet », op. cit., p. 109, 114, 124.
79. — « La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde », écrit Merleau-Ponty,
qui assigne la même tâche à la littérature (Phénoménologie de la perception, op. cit., p. XVI).
80. — L’Être et le Néant, op. cit., p. 12.

robbe-grillet.indb 145 04/10/10 16:07


146 YVES BAUDELLE

et que cette rupture ne peut rien nous apprendre que le jaillissement


immotivé du monde81.

Ainsi, et on peut s’étonner qu’on ne l’ait pas vu plus tôt, les préten-
dues contradictions des romans de Robbe-Grillet renvoient elles-mêmes,
pour l’essentiel, à la tension husserlienne entre l’intentionnalité et la
réduction, dont le paradoxe, comme l’indique Merleau-Ponty, fut à la
source de bien des malentendus – les mêmes, apparemment, que l’œuvre
de Robbe-Grillet.
Le recours à la phénoménologie permet du reste de résoudre l’une
des difficultés majeures de La Jalousie et des premiers récits de Robbe-
Grillet : la question de savoir si l’on doit parler d’objectivité ou de subjec-
tivité romanesque. On sait que l’auteur, réfutant Barthes, a fini par tran-
cher pour le subjectivisme82, et l’on vient de voir pourquoi. Mais ce débat
qui semble encore si confus83 a lui même pour fond la phénoménologie,
dont Merleau-Ponty dit très bien que sa « plus importante acquisition »
est « sans doute d’avoir joint l’extrême subjectivisme et l’extrême objec-
tivisme »84, d’avoir écarté aussi bien « l’idéalisme » que le « réalisme »
(ce sont les mots de Sartre) pour se situer, comme dit L. Janvier, « à la
pliure même du moi et du monde ».
On n’aura garde cependant de présenter la phénoménologie comme
une clef qui ouvrirait ici toutes les portes. Si la dialectique des objets et
du sujet s’en trouve éclairée, cette singularité plus spécifique à La Jalousie
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


qu’est la rationalité glacée d’un personnage pourtant livré, selon toute
apparence, à l’emportement d’une passion possessive admet d’autres
analyses. Genette, on s’en souvient, était troublé par ce « délire […] d’ar-
penteur »85 qu’il ne trouvait pas réaliste. On peut pourtant faire valoir,
avec Claude Mauriac, que « jamais peut-être le caractère démentiel de la
jalousie n’a été rendu sensible avec cette acuité »86. À cet égard, le dispo-
sitif le plus efficace est bien sûr celui des objets-supports (à commencer
par le mille-pattes, métonymie des pulsions de Franck et de leurs effets

81. — Phénoménologie de la perception, op. cit., p. VIII.


82. — Le mille-pattes, par exemple, « est absolument contraire à toute idée
d’objectivité » (PVE, p. 85).
83. — Robbe-Grillet rappelle qu’à sa sortie La Jalousie « a donné lieu à des discus-
sions sur l’objectivité », mais que « ce problème a été mal posé par la critique », « le mot
“objectif” » que Barthes avait le premier employé dans son « célèbre article » intitulé
« Littérature objective » ayant été pris dans son « sens courant » alors qu’il signifiait « tourné
vers l’objet » : « Barthes montrait que Les Gommes traitait en somme de l’intentionnalité
husserlienne, et que c’était donc une littérature subjective mais tournée vers l’objet ». Il
n’empêche : « Ce malentendu a duré extrêmement longtemps et dure encore aujourd’hui »
(PVE, p. 79-80).
84. — Phénoménologie de la perception, op. cit., p. XV. Cf. PVE : « Un roman comme La
Jalousie […] est un roman où l’objectivité et la subjectivité existent conjointement, incom-
patibles et sans espoir d’une synthèse » (p. 81).
85. — «Vertige fixé », op. cit., p. 81.
86. — L’Alittérature contemporaine, A. Michel, 1958 et 1969, p. 280.

robbe-grillet.indb 146 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 147

sur A…87), qui procèdent du fait, rappelle Sartre, que « la pensée de l’ob-
sédé ne peut pas, comme dirait Lacan, s’articuler »88 ; mais l’arpentage
lui-même est nettement pathologique, ajoutant au caractère délirant de
la jalousie tous les symptômes d’une névrose obsessionnelle (isolation,
rumination, vérification scrupuleuse, rites conjuratoires, obsession de
l’ordre). Ainsi a-t-on moins affaire à la peinture d’une passion qu’à un
tableau clinique, qui justifie à son tour la froideur analytique du style.
Encore importe-t-il, arrivé à ce point, de délaisser le personnage-nar-
rateur pour se tourner vers l’auteur. Car le roman, s’il s’efforce de trans-
crire le champ des représentations d’un colon névropathe, traduit en
même temps la vision du monde de l’écrivain (on a noté d’ailleurs que
la conscience politique de l’un dénonce la mentalité de l’autre). Mais il
suffit de confronter divers fragments pour se convaincre que le mal-être
du mari d’A… renvoie à un malaise existentiel nullement fictif : celui
de Robbe-Grillet lui-même. Évoquant en 1984 le narrateur absent de La
Jalousie, l’écrivain se dit avant tout frappé de son délire, qui avait selon
lui échappé à la critique :
Si j’ouvre aujourd’hui […] La jalousie, ce qui me saute aux yeux dès
l’abord, c’est précisément le difficile et inlassable combat mené par la voix
narratrice, […] celle du mari sans nom, contre le délire qui le […] guette
et qui affleure à maint détour de phrase […]. (MR, p. 38 ; cf. PVE, p. 80)
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


Ce délire du narrateur n’est pas réductible à la psychose du jaloux,
il tient aux « choses que son regard tente désespérément de mettre en
ordre, de tenir en main, contre la conspiration qui menace à chaque
instant de faire chavirer » ses « fragiles échafaudages »89. Confronté à
« tout un univers parallèle, innommable », il est comparable à Mathias,
qui « décrit avec un soin méticuleux à garde-fou géométrique le monde
qui l’entoure, et dont il redoute la traîtrise ». Or, cette analyse, replacée
dans son contexte, n’abandonne pas au seul personnage ce « vertige »
dont Genette avait parlé, elle le rapporte aux démons de l’auteur, à sa
phobie d’une aspiration par les profondeurs (MR, p. 39-40)90. De toute
évidence, Robbe-Grillet partage le « malaise métaphysico-viscéral » de
Roquentin face à la « contingence agressive et poisseuse des choses »
(MR, p. 164-165). « Mettre les choses en ordre », telle est, « à travers
tout son travail romanesque », « l’obsession » de l’écrivain, pareil en
cela à son héros qui « compte et recompte ses bananiers mouvants »

87. — Le mille-pattes est un « objet […] perturbé par le fantasme » (PVE, p. 85).
88. — « Jean-Paul Sartre », entretien avec Madeleine Chapsal, dans Les Écrivains en
personne, Julliard, 1960 ; U.G.E., « 10/18 », 1973, p. 265.
89. — Sur « ce narrateur colon obsédé par l’idée de faire régner l’ordre », mais « aux
prises avec le pire désordre », cf. PVE, p. 81-84.
90. — Robbe-Grillet a fini par évoquer, sans ironie, sa « propre folie », suggérant en
même temps qu’il n’y a « pas d’autre littérature que celle de la folie » (PVE, p. 169).

robbe-grillet.indb 147 04/10/10 16:07


148 YVES BAUDELLE

ou « reprend inlassablement le même épisode » (MR, p. 59). Les aveux


de l’autobiographe donnent alors une résonance toute personnelle à
certaines phrases écrites vingt ans plus tôt :
Le souci de précision qui confine parfois au délire (ces notions si peu
visuelles de « droite » et de « gauche », ces comptages, ces mensurations,
ces repères géométriques) ne parvient pas à empêcher le monde d’être
mouvant jusque dans ses aspects les plus matériels […]. (PNR, p. 127 ; cf.
VTC [1963], p. 70)

Car l’œuvre tente de traduire un rapport au monde et à soi double-


ment fuyant (MR, p. 41) : angoisse heideggerienne du monde comme
néant (AE, p. 125-126, MR, p. 212 ; cf. VTC [1963], p. 188) et « terreur »
du vide en soi, La Jalousie apparaissant en définitive comme la « réminis-
cence » ou la « figuration cathartique de cette expérience fondamen-
tale d’une désertion par l’intérieur » (DJC, p. 79). Et comme le souligne
Roger-Michel Allemand, ce n’est pas le moindre paradoxe de cette œuvre
qui avait si obstinément refusé tout tragique que d’avoir en réalité depuis
toujours craint les « derniers jours » (de Corinthe) et tenté en guise
d’exorcisme d’édifier un « royaume du lisse » (AE, p. 163) qui réponde
à « l’idéal d’une image imputréfiable »91.
Or, comment ne pas reconnaître dans cet effort d’aseptisation
l’un des visages de notre modernité ? Sur la modernité des romans de
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


Robbe-Grillet, et de La Jalousie en particulier, on a déjà beaucoup écrit92.
L’écrivain avait lui-même dès l’origine revendiqué la nécessité, sinon
le mérite, d’écrire en fonction de son époque, c’est-à-dire, pour l’es-
sentiel, d’achever la révolution épistémologique du roman en le faisant
renoncer à « l’image d’un univers stable, cohérent, continu, univoque,
entièrement déchiffrable » (PNR, p. 31). Les Romanesques prolongent ce
discours en lui donnant la tonalité plus radicale d’un cataclysme « fin
de siècle », vision « grunge » où pointe une fascination perverse pour
les champs de ruines : dissolution de l’être, désintégration du sens et
des croyances, naufrage des idéologies et des empires coloniaux (DJC,
p. 144-146 ; cf. MR, p. 208-215)93. La critique n’a pas manqué non plus de
replacer un roman comme La Jalousie dans son contexte culturel, y voyant
notamment, non sans raison, l’équivalent littéraire de l’art abstrait et de

91. — Alain Robbe-Grillet, Seuil, « Les Contemporains », 1997, p. 239.


92. — Voir Raylene Ramsay, Robbe-Grillet and Modernity. Science, Sexuality and Subversion,
Gainesville, University Press of Florida, 1992.
93. — PVE revient, notamment au chapitre 4 (« Retour sur les ruines »), sur « cette
notion de monde en ruine » (p. 37), sur sa dimension personnelle (« je me sens moi-même
comme sans cesse en train de tomber en ruine », p. 39), ses origines historiques et ses
conséquences littéraires (le roman « d’un monde toujours déjà en ruine », p. 69), jusqu’à
La Reprise (2001), qui « se situe dans le Berlin en ruine de l’après-guerre » (p. 39). Cf. VTC,
p. 264 [1994] et 540 [2001].

robbe-grillet.indb 148 04/10/10 16:07


LA JALOUSIE : LES AMBIGUÏTÉS D’UN CLASSIQUE 149

la vision cinématographique, dépourvue d’intériorité (pensons aussi à


l’hébétude répétitive et préconceptuelle des clips). Avec le recul – mais
sans la distance qui nous permettrait de définir sans erreur notre propre
modernité –, il semble toutefois que la saisie la plus marquante de l’es-
prit de son temps par La Jalousie réside dans ce qu’il faut bien appeler sa
déshumanisation et, corrélativement, sa technicisation. Conformément à
la doxa qui confond modernité et technologie, l’ingénieur Robbe-Grillet,
prenant à rebours la topique du roman africain, y introduit les thèmes
de la planification agronomique (le nombre de bananiers à couper),
de l’ingénierie (le pont à reconstruire) et de la mécanique (pour plaire
à A…, il faut être un bon mécanicien, ce qui est aussi, bien sûr, une
conception de la sexualité, les mouvements du corps étant d’ailleurs
atteints par la mécanisation : repas d’A…, marche du boy, p. 110-112)
–, ainsi que la mathématisation de la nature (où Husserl voit l’origine
de la crise moderne de l’humanité européenne, dominée par l’objecti-
visme)94, transformant surtout l’écriture en un champ d’expérimentation
technique (c’est le « roman-laboratoire ») et en un système conçu en vue
de son propre fonctionnement (MR, p. 41) : aussi a-t-on pu définir La
Jalousie comme un roman technocratique95. Pour autant, le coup de force
de Robbe-Grillet n’est pas d’avoir substitué les objets au sujet – il n’en est
rien –, il est dans l’invention d’une psychologie marquée par « l’absence
totale de sentiments » (J, p. 42)96. Là est le vrai trou noir du livre et la
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


nature exacte de sa possible « objectivité » : dans cette conscience dépour-
vue d’affectivité (de A…, le narrateur ne voit que la robe très collante).
Entre l’intellection froide et la « libre disposition du corps », le champ
laissé à la sentimentalité s’est rétréci jusqu’au néant : par où La Jalousie
participe déjà de notre « ère du vide » (Gilles Lipovetsky97). Car au delà
de son seul vernis technologique, le roman de Robbe-Grillet présente
les principaux symptômes de ce que tout un courant de la philosophie
contemporaine définit, avec des accents nietzschéens, comme « le malaise
de la modernité »98 : primauté de la raison instrumentale, perte du sens,
et surtout paradoxe d’une subjectivité exacerbée qui, libérée de toute
adhésion au monde, ne se retire en soi-même, dans sa « cage tremblante

94. — Voir L’Origine de la géométrie (1936 ; trad. fr., PUF, 1962) et La Crise des sciences
européennes et la phénoménologie transcendantale (1954 ; trad. fr., Gallimard, 1976).
95. — Voir J. Leenhardt, Lecture politique du roman, op. cit., p. 35-36.
96. — L’erreur de L’Étranger est d’avoir fait leur place aux « sentiments », aux « pas-
sions » (MR, p. 171), Robbe-Grillet n’ayant jamais écrit, au contraire, que pour vaincre sa
« sensibilité excessive » de « tendre pleurnicheur » (MR, p. 185).
97. — L’Ère du vide, Gallimard, 1983 ; « Folio », 1993, p. 43, 110. Sur les échos entre
le Nouveau Roman et les analyses de Lipovetsky sur l’esprit de notre époque, cf. Francine
Dugast-Portes, Le Nouveau Roman : une césure dans l’histoire du récit, Nathan-Université, « Fac.
Littérature », 2001, p. 177-178.
98. — Charles Taylor, The Malaise of Modernity, Toronto, Anansi, 1991 ; trad. fr., Le
Malaise de la modernité, trad. fr., Paris, Cerf, 1994.

robbe-grillet.indb 149 04/10/10 16:07


150 YVES BAUDELLE

et dorée »99, que pour y trouver son vide intérieur. Jean-François Mattéi
appelle même « barbarie »100 ce repli de l’âme sur soi, cet enfermement
du sujet sur « une conscience de soi totalement vide » (Hannah Arendt)101
où l’on reconnaît sans peine La Jalousie, roman d’« une conscience enfer-
mée dans son propre vide » (DJC, p. 74).
C’est à la lumière de telles analyses qu’il faudrait poser, pour finir,
la question de la postérité littéraire de La Jalousie. Comment affirmer,
par exemple, que la froideur clinique et l’absence de sentiments qui
caractérise, pour une part, le roman des années 1990-2010 procèdent de
Robbe-Grillet quand le cynisme apparaît comme un trait d’époque102 ?
Pour autant, suffit-il de mentionner une filiation directe (Claude Ollier),
une dérivation sans lendemain (le textualisme de Tel Quel) ou des traces
de parodie (J. Echenoz)103 pour sauver La Jalousie aux yeux de l’histoire
littéraire ? Certes, le trait le plus spécifique et le plus étrange du texte – sa
géométrisation de la perception – est demeuré, autant dire, sans exemple,
mais c’est qu’il tenait, pour l’essentiel, à une idiosyncrasie d’auteur, à son
rapport au monde. Il reste qu’il serait absurde de tenir La Jalousie pour
un accident de l’Histoire, une tentative avortée, en constatant une fois de
plus que l’ancien roman n’est pas mort, comme si la littérature destinée
au grand public n’était pas depuis toujours insensible aux innovations
des créateurs. En réalité, ce livre a contribué, avec d’autres nouveaux
romans, à remodeler le paysage de notre littérature d’auteur, où domi-
nent désormais la mauvaise conscience de la fiction, la discontinuité de
© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)

© Société Roman 20-50 | Téléchargé le 29/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.106.53.201)


l’écriture104, la fragmentation du sujet et, par-dessus tout, le solipsisme
des consciences.
Yves BAUDELLE
E. A. Analyses littéraires et histoire de la langue
(ALITHILA, E. A. 1061)
Université Charles-de-Gaulle –Lille 3
baudelle@skynet.be

99. — Roberto Calasso, La Rovina di Kasch, Milan, Adelphi, 1983 ; trad. fr., La Ruine
de Kasch, Gallimard, 1987. Cf. Ph. Bénéton, De l’égalité par défaut : essai sur l’enfermement
moderne, Paris, Critérion, 1997.
100. — La Barbarie intérieure : essai sur l’immonde moderne, PUF, 1999, chap. III, p. 112.
101. — The Human Condition, 1958 ; trad. fr., Condition de l’homme moderne, Calmann-
Lévy, 1961, p. 352.
102. — Citant Camille Laurens, Jean-Philippe Toussaint et le premier Echenoz comme
typiques de notre époque « prise d’une espèce de lassitude », de « désenchantement »,
Robbe-Grillet relève en même temps leur « filiation avec le Nouveau Roman » (VTC [2000],
p. 533-534). Faut-il en outre relever qu’il avait fait des « particules élémentaires », avant
Michel Houellebecq, la métaphore de notre vide intérieur et de 1’« espace en ruine » du
roman moderne (DJC, p. 146) ?
103. — Sur cette « filiation », voir VTC [2000], p. 533.
104. — Au point qu’un romancier comme Jean-Paul Goux en est venu à plaider contre
l’illisibilité de cette « compulsion moderne au discontinu » (La Fabrique du continu, Seyssel,
Champ Vallon, 1999).

robbe-grillet.indb 150 04/10/10 16:07

Vous aimerez peut-être aussi