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Soraya Ayouch
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son histoire, ainsi que de ce qui lui valut d’être le martyr d’un des plus grands
courants mystiques de son temps.
BIOgRAPHIE D’AL-HALLAJ
Mansûr Al-Hallaj plus précisément Abû `Abd Allah Al-Husayn Mansûr Al-
Hallaj est né vers 857 (ou 244 de l’Hégire) en Iran, et mort le 26 mars 922 (ou
309 de l’Hégire) à Bagdad, à 65 ans. Il est né en fars près de Tur, près du bourg
d’Al Bayda, centre très arabisé, petit camp sur la route militaire allant de Basra
au Khorasan, provinces limitrophes d’Irak et d’Iran. Son grand-père, selon la
tradition, était un zoroastrien et descendait de Abu Ayub, un compagnon de
Mahomet. Quand sa mère tomba enceinte de lui, elle fit vœu de l’offrir comme
serviteur à des « fuqara » (religieux pauvres volontaires). Et elle le nomma
Hussein, en souvenir du fils martyrisé de fatima, la fille bénie du prophète. De
253 à 262, son père, probablement cardeur alla travailler dans le milieu textile de
l’Ahwaz et s’installa à Wasit, sur le Tigre, en Irak. Al-Hallâj est d’ailleurs un
surnom qui lui vient du métier de ce dernier, « cardeur de coton ».
Wasit était une grande cité en majorité sunnite de rite hanbalite (socle tradi-
tionaliste), avec cependant une minorité shiite extrémiste dans les campagnes,
près de paysans araméens. Elle était renommée pour son école réputée de
lecteurs du Coran, connue aussi pour des convertis célèbres arabisés (Salman et
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moment sur conseil du célèbre sufi Junayd qu’il était allé consulter à Bagdad,
se lassa, et partit pour la Mecque. Son départ coïncida avec l’écrasement d’une
rébellion populaire, le peuple abbasside à l’époque étant en pleins tumultes.
Hallaj entreprit son premier pèlerinage à la Mecque, allant chercher le sens
du « secret » issu de l’enseignement de la pratique du soufisme. Toujours vêtu
de noir, « car c’est l’habit qui convient à celui dont les œuvres sont réprouvées »
(Akhbar, 24 5) montrant l’exemple du dépouillement, de l’ascèse et de la rigueur
morale. Sa présence pendant une année près de la Kaaba, assis sur le parvis du
lieu saint, pratiquant le jeune et la prière, exacerba encore son mysticisme et son
intransigeance envers ceux dont il estimait la dévotion superficielle ou insuffi-
sante.
Hallaj retourna vivre à Basra, dans sa famille, d’une vie ascétique fervente
et toujours sunnite : il jeûnait tous les ramadans, et le jour de fête (rupture du
jeune), s’adonnait à la méditation et à la prière. Il était néanmoins attiré par le
rayonnement de Bagdad, où il fréquenta le cercle mystique et ascétique présidé
par son dernier maître Abû al-Qasim Junayd, mais à la longue, il n’arriva pas à
s’entendre avec ce dernier. Selon S. Ruspoly 6 : « tout d’ailleurs les opposait, le
tempérament, l’âge, et surtout l’approche de la vie mystique, méthodique,
progressive et contrôlée chez Junayd, intuitive, émotive et prophétique chez
Hallâj ». Le conflit entre les deux se développa jusqu’au jour où Junayd lui dit :
« Qui sait si ta tête n’ornera pas un jour le gibet ». À 36 ans, vers 280, naquît son
troisième fils, ce qui correspondait à son 2e pèlerinage à la Mecque.
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« Oui va-t’en prévenir mes amis que je me suis embarqué pour la haute
mer, et que ma barque se brise ! « C’est dans l’instance suprême de la
Croix que je mourrai ! Je ne veux plus aller ni à La Mecque ni à Médine »
Muqatta’ a 56. Diwan.
Tout au long de ces années, Al-Hallâj a des rapports complexes avec l’ortho-
doxie musulmane et avec le pouvoir en place. Les relations avec les shiites et
les sunnites s’exacerbent, et il est suspecté d’influence sur les foules.
7 : La Passion de Husayn Ibn Mansûr Hallaj, martyr mystique de l’Islam exécuté à Bagdad
le 26 Mars 922. Tome I : La vie de Hallaj, gallimard, 1975.
SORAyA AyOUCH – LA PASSION DE HUSAyN MANSûR AL-HALLAJ 137
Hallaj apparaît dans les souks de Bagdad, prêchant Dieu comme l’Unique
désir et l’Unique vérité, à la fin du IXe siècle de notre ère, troisième siècle de
l’hégire, époque pour l’islam, d’une floraison de renaissance. L’un des premiers
parmi les théologiens mystiques, plus fermement qu’al ghazali, Hallaj comprend
la valeur inestimable d’une méthode d’introduction, pour une règle de vie
intégrant les actes externes aux intentions du cœur. Il est par ailleurs proche du
pouvoir et de la cour califale et participe à une réflexion sociale et religieuse sur
les injustices du pouvoir et les injustices fiscales. Ce qui ne sera pas toujours
bien perçu.
LA DOCTRINE D’AL-HALLAJ
8 : Diwan, traduit de l’arabe et présenté par Louis Massignon, Éd. Lettres persanes, 2009.
9 : Ibid.
SORAyA AyOUCH – LA PASSION DE HUSAyN MANSûR AL-HALLAJ 139
J’ai abandonné aux gens leur usage et leur religion pour me dédier à ton
amour, toi ma religion et mon usage.10
D 46
10 : Ibid.
11 : Ibid.
12 : Ibid.
140 TOPIQUE
« L’aimé à l’amant qui le chérissait s’est uni, tendrement tous deux se sont
souri. Leurs formes se sont étreintes d’un seul élan, et ils ont succombé
dans le monde évanescent. »
« Mon cœur a banni tout amour, car un autre que le tien m’est interdit. Tu
es pour moi esprit et vin, tu es la rose et le parfum, tu es toute joie et tout
souci, guérison et maladie. Et couronnant désir après désir, en toi on
trouve une paix. » 13
Et, pour terminer : « Je suis le vrai ! Et le vrai, est rendu vrai par le vrai, j’ai
revêtu son essence, plus de séparation désormais. » Tous ces textes expliquent,
amènent le fameux « Ana al haqq » de Hallâj (je suis la vérité, je suis Dieu). Ou
je suis le réel vrai, c’est-à-dire Dieu, qui sera condamné par la suite comme un
inadmissible péché d’orgueil. Affirmation, qui, si elle ne doit être rendue
publique, n’est pas incongrue dans le milieu soufi dans lequel le mystique est
« fondu » dans l’« océan de la divinité », et qui renverrait à un rang spirituel
élevé. Les traductions de Louis Massignon viennent appuyer cette thèse, la
plupart des versets du Diwan de Hallaj traitant de la science de l’Unité (Tawhid).
LE PROCèS EN HÉRÉSIE
Les arrestations :
Hallaj avait la sympathie des vizirs des villes, des moulouks (propriétaires
terriens en Irak, à Jazirah, au Jibal et dans les pays voisins). Le public populaire
de Bagdad lui était largement favorable même si des dissensions pouvaient se
faire jour entre les différents clans, ou encore entre les artisans urbains et les
paysans.
Les interrogatoires se multiplient ; certains sont décisifs tel celui de la fille
d’Al Samarri, où la fascination, voire la séduction qu’opère sur elle la person-
nalité d’Al-Hallaj n’ont pas été sans effets. Il semble que la passion ou la folie
d’Al-Hallaj se soit emparée de tous. Le point culminant du procès est ce qui a
pu apparaître comme un cri apocalyptique : « ana al haqq » (je suis le vrai) qu’Al-
Hallaj, pris dans sa trajectoire mystique, n’a pas voulu renier publiquement.
LE MARTyRE
Il y a les récits officiels et les récits officieux, les récits synthétiques de l’exé-
cution et tous les épisodes successifs et les sentences isolées des témoins
présents, génératrices de légendes multiples : récit de la dernière nuit ; ses
dernières paroles ; ce qu’il a transmis à ses proches ; l’arrivée sur l’esplanade ;
les récits posthumes… Il y a aussi les récits d’autres soufis qui ont reparlé
longtemps de son supplice, tel Rumi. Son supplice est fait sur la place publique,
devant les habitants, l’atrocité de sa mort devant marquer les esprits.
Puis il récita : « tuez-moi donc, et brûlez moi, dans ces os périssables ; ensuite
quand vous passerez près de mes restes parmi les tombes abandonnées, vous
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Au lendemain de l’exécution, son cadavre est brûlé, et ses restes ensuite jetés
dans le Tigre. Après avoir été exposée à la vue du public, la tête de Al-Hallâj sera
exposée au musée des fortes têtes du calife. On relata des épisodes posthumes à
l’exécution. Le retentissement moral sur la population fut grand. Peurs et
16 : Diwan, op.cit.
SORAyA AyOUCH – LA PASSION DE HUSAyN MANSûR AL-HALLAJ 145
CONCLUSIONS
Malgré toutes les dissensions dont sa personne a été l’objet des années
durant, et les effets sur un des courants mystique de l’islam un temps par la suite,
il reste et est reconnu musulman par les musulmans. Durant le procès, la
sentence finale ne rencontra pas l’adhésion unanime des jurisconsultes musul-
mans
L’œuvre d’Al-Hallâj devait être considérable. Presque tous ses livres ont
disparu avec lui, ils auraient été brûlés avec sa dépouille, si l’on croit les deux
historiens Ibn Bakuyeh et Ibn Khafîf. Le reste a été refondu clandestinement par
les écoles hallâgiennes, repris par les historiens et les auteurs soufis, quelques
décennies après sa mort. finalement cinq types de textes nous sont parvenus :
une collection d’oracles et d’invocations composés à la Mecque vers 900, des
fragments théologiques, des Hymnes et prières, le livre philosophique du
Tâwasîn, et le plus célèbre de ses écrits le Dîwân (= le Registre), un recueil
poétique.
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Des siècles après sa mort, d’innombrables écrits sur l’œuvre poétique, des
bibliographies, des thèses, des approfondissements sur sa vie mystique n’ont
cessé de croître, dans les différents domaines des sciences humaines. Une biogra-
phie a été faite par son fils Hamd. Louis Massignon dans la Bibliographie sur
Al-Hallaj, répertorie 932 ouvrages de 636 auteurs (633 plus précisément : 3 sont
écrits en deux langues différentes) : 351 arabes (516 ouvrages), 75 persans (102
ouvrages), 5 de Malaisie (6), 6 hindis (7), 2 syriaques (4), 2 hébreux (2), 50 turcs,
136 européens (225 ouvrages). La légende savante existe en langue arabe,
persane, turque, hindoustanique, malaise et javanaise, ainsi qu’une légende
populaire …
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Soraya AyOUCH
24, rue Censier
75005 Paris
sorayaayouch@orange.fr
Résumé : Il est difficile de parler du martyr sans évoquer Al-Hallaj, l’un des plus
grands mystiques musulmans, condamné à mort après un procès qui dura près de dix ans.
Il fut le premier martyr mystique en Islam. Celui que Louis Massignon a fait découvrir
dans une œuvre magistrale, La passion d’Al-Hallaj (gallimard, Paris, 1975, 4 vol.), est
aussi connu pour son œuvre poétique. Nous présentons Al-Hallaj, dans sa biographie, ses
voyages et sa quête, mettant en relief des traits saillants de son histoire et de son itiné-
raire. Certains de ses textes mêlent la langue poétique à l’expérience mystique : « Ce qui
compte pour l’extatique, c’est que l’Unique le réduise à l’unité » ; ou encore « va préve-
nir mes amis que je me suis embarqué pour la haute mer… C’est dans l’instance suprême
de la croix que je mourrai. » Tous ces textes expliquent, amènent le fameux «Ana al haqq»
de Hallâj (« je suis la vérité, je suis Dieu ») qui avait choqué les théologiens et qui lui a
valu l’expérience du martyre.
Mots-clés : Martyr – Soufisme – Hallaj – Procès – Bagdad – Abbassides – Islam –
Itinéraire spirituel – Hérésie – Amour mystique – voyages – Autre – Compagnons –
Secret.