Vous êtes sur la page 1sur 4

‪BARBARA CASSIN, LA NOSTALGIE. QUAND DONC EST-ON CHEZ SOI ?

Paris, Autrement, 2018, 157 pages, 10 €

Mustapha Harzoune

Musée de l’histoire de l’immigration | « Hommes & Migrations »

2018/4 n° 1323 | pages 212 à 212


ISSN 1142-852X
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2018-4-page-212.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)

© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)


Distribution électronique Cairn.info pour Musée de l’histoire de l’immigration.
© Musée de l’histoire de l’immigration. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Hommes & migrations
Revue française de référence sur les dynamiques
migratoires
1323 | 2018
Persona grata

Barbara Cassin, La Nostalgie. Quand donc est-on chez


soi ?
Paris, Autrement, 2018, 157 pages, 10 €

Mustapha Harzoune

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/7893
ISSN : 2262-3353

Éditeur
Musée national de l'histoire de l'immigration

Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2018
Pagination : 212
ISBN : 978-2-919040-42-1
ISSN : 1142-852X
© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)

© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)


Référence électronique
Mustapha Harzoune, « Barbara Cassin, La Nostalgie. Quand donc est-on chez soi ? », Hommes &
migrations [En ligne], 1323 | 2018, mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 14 mars 2019. URL :
http://journals.openedition.org/hommesmigrations/7893

Tous droits réservés


212

nulle part dans l’épopée d’Homère, inir avec l’errance, pour fonder
Ulysse, souvent, est associé à la Lavinium (du nom de sa femme) qui
première, mal du pays et retour deviendra Rome, Enée doit oublier
aux pénates : l’exilé n’a qu’une le grec. « Je les rendrai tous Latins
idée ixe, revenir dans sa patrie. par leur bouche une » dit Junon.
Pourtant, souligne l’auteure, une « C’est avec la langue de l’autre que
fois revenu de sa tournée des bars, l’on se fait une nouvelle patrie. »
de l’enfer des usines, après s’être « Altérité incluse » et d’autant plus
détourné du chant des sirènes et « ouverte au métissage » qu’Enée a
abandonné la couche féconde de ini par abandonner les Troyennes
Calypso ; libéré du bon vouloir des « fatiguées », « c’est précisément
dieux ou de quelques campements sans les femmes d’avant que l’exil
inhospitaliers, une fois donc de peut se transformer en émigration,
retour au bercail, qu’il ne reconnaît en re-fondation par métissage ».
pas d’abord – « la patrie n’a rien Avec Enée, la nostalgie perd la
d’une évidence » – et après avoir fait boule dans les dédales d’une
le ménage, dégager les importuns, origine devenue une iction –
rétabli un peu d’ordre et de justice, « Lacan propose d’écrire « ixions
après avoir passer une nuit, « si pour faire lire qu’il s’agit d’une
distendue soit-elle » avec la douce fabrication, et non d’un donné,
et patiente Pénélope, dans ce lit d’une iction que l’on choisit de
nuptial et enraciné, par ses mains ixer » – et d’un rapport langue/
habiles creusé à même un olivier peuple qui se joue des impératifs
sans doute séculaire, Ulysse décide de l’unicité et ouvre le champ des
de reprendre la route, portant une appartenances.
Malgré les « petites doses d’arsenic »
rame de navire – ou une pelle à
(Victor Klemperer) que l’Allemagne
La Nostalgie. Quand grain, ce sera selon le dépaysement
nazie y a infusées, Hannah Arendt
et l’altérité rencontrée. Est-ce la
donc est-on chez soi ? perspective de l’ennuyeux ronron
s’est toujours déinie par la langue
allemande, non par rapport à un
© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)

© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)


Barbara Cassin, Paris, d’un foyer pépère ou, autre face de
Autrement, 2018, peuple ou un pays. Chez Arendt, la
la nostalgie, de n’être « pas encore »
157 pages, 10 €. langue n’est pas enracinée dans un
arrivé ? « Le désir douloureux non
peuple : « Ce n’est tout de même pas
pas du retour mais de l’errance – en
la langue allemande qui est devenue
toute trivialité, besoin d’air et envie
folle ! » Cette dissociation langue/
de se tirer… » ? Quand donc Ulysse
peuple, permet non seulement de
est-il chez lui ? Jusqu’où son « lui »
sauver la langue, mais se conjugue
et son « chez lui » s’étendent-ils ?
avec « le souci de la pluralité
Comme il ne s’agit pas de simpliier,
humaine ». Pour Arendt « l’équivocité
il faut prendre Ulysse dans son
de sens » que portent les langues
entièreté – deux Ulysse pour le prix entre elles et que porte chaque
d’un ! – et veiller à cette nostalgie à langue en soi, produit « l’équivocité
double détente, rusée et polytrope, chancelante du monde ». « De la
aux milles tours : « garder Ithaque nostalgie à l’équivocité chancelante :
en son cœur, mais aussi à ne pas que l’essence vacille ! N’être pas
Quel vertige offert par perdre la vision de ses errances » assurés de l’essence des choses
l’universitaire dans cette rélexion (Günther Anders). sera ce qui peut arriver de mieux
menée en trois temps (Ulysse, Enée, Fuyant Troie, Enée campe la igure pour le monde et pour nous », écrit
Arendt) « pour faire de la nostalgie du déracinement sans retour, du l’auteure.
une tout autre aventure nous bannissement. Comme Enrico
M. H.
conduisant au seuil d’une pensée Macias, « le pieux Enée » a emporté
plus large, plus accueillante, d’une sa patrie – « les liens de la piété
vision du monde délivrée de toutes et de la religion » – non pas aux
les appartenances ». La nostalgie talons de ses souliers mais sur
chez Cassin est double : nostalgie son dos. Lourd fardeau que Junon
de l’ici et du même, nostalgie de l’obligera à abandonner. Comme
l’ailleurs et de l’autre. Même si le « il vaut mieux changer ses désirs
mot n’est pas grec et ne se trouve que l’ordre du monde », pour en
HOMMES & MIGRATIONS N° 1323 213

Pour la plupart, ces « cousins » et québécois, l’anglais », inventant


ont débarqué dans les années une savoureuse novlangue. Ainsi,
Mes cousins 1990 ; histoire parfois d’éviter les pour dire les raisons du départ :
des Amériques frilosités de l’hospitalité française « il n’y a pas que les conditions
ou attirés par le rêve américain. matérielles dit Amine. C’est qu’en
Arezki Métref, Alger, Algérie, makache the hope (no
Ce rêve ne baigne pas dans un
Koukou éd., 2017, 215 pages. romantisme de mauvais aloi future). » On bricole, et on s’installe !
car, « en tant qu’Algérien » pour À l’instar des 300 Algériens de la
paraphraser Hannah Arendt, dificile Silicon Valley (« c’est la première
d’oublier ces autres « cousins », fois depuis des années que je
les peuples autochtones eux aussi rencontre des Algériens vraiment
victimes de la colonisation, ou les bien dans leur peau ») ou de cette
igures de la contestation (Angela tripotée de professeurs, journalistes,
Davis ou Mohamed Ali) et de la scientiiques, responsables
contre-culture (Bob Dylan) qui ont associatifs rencontrés.
accompagné la formation d’une Et pourtant, au Québec, l’image
partie de la jeunesse algérienne des Algériens se détériore. « Le
et singulièrement celle de l’auteur. voile pour les femmes et la barbe
D’ailleurs, Métref glisse, comme en canonique pour les hommes
À l’occasion de deux séjours en miroir, quelques éléments de sa concourent à produire ce qu’un
Amérique du Nord – à l’été 2015, en « matrice volatile », la carte et les observateur appelle, peut-être un
Californie et dans le Nevada puis, recompositions de son imaginaire peu hâtivement, la “daeshisation
en 2016 à Montréal –, Arezki Métref, américain, la géographie de son du look”. » Notamment du côté de
journaliste et écrivain algérien, note monde intérieure. La littérature y la rue Jean-Talon, « la Bab el Oued
ses expériences, conversations et occupe une bonne place. ou le Barbès de Montréal », le très
impressions de voyage. Depuis les Le ton est enjoué, le texte à oficiel « Petit Maghreb » : « Cet
années 1990, Métref a rejoint cette l’image des escapades ile au pas espace qui devait mutualiser nos
diaspora algérienne disséminée de course, la langue, littéraire en efforts pour donner de nous-mêmes
désormais « aux quatre coins » de diable, et la formule tangue entre une image positive, socialement et
© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)

© Musée de l?histoire de l?immigration | Téléchargé le 08/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 86.211.15.124)


la ronde planète, lui à Paris, quand poésie et journalisme. Souvent, économiquement dynamique, n’a-
ses « cousins » s’enracinent dans le lotte le parfum de la nostalgie, t-il pas au contraire mutualisé nos
nouveau monde. De la colonisation nostalgie non pas seulement de ce défauts ? » À méditer.
à la mondialisation, l’algérien cultive qui a été, mais de ce qui aurait pu M. H.
à son tour le don d’ubiquité et peut- advenir. C’est peut-être pour cela
être une façon bien à lui de faire son que tout est objet de comparaison
trou. avec la lointaine et proche Algérie.
Il ne s’agit pas d’essentialiser Le regard est attentifs aux exilés Le Livre d’Amray
ce qui ne peut l’être, mais de du monde entier jusqu’à traquer
picorer dans ces « détails insipides,
Yahia Belaskri, Paris, Zulma,
l’ombre de Piaf au Carnegie Hall
événements insigniiants » quelques
2018, 144 pages, 16,50€.
(qui n’était pas d’origine algérienne
traits partagés par des membres mais marocaine). En matière Depuis 2008, Yahia Belaskri s’afirme
de cette grande famille qui, d’exil, il s’agit toujours de la même comme un écrivain de premier plan.
nolens volens, ont dû s’esbigner histoire, tenter de transformer Ce roman, qui rassemble bien des
de leur si jeune et déjà si vieux « le déracinement et une forme thèmes qui constituent l’univers
bled. Macronistes avant l’heure, de nostalgie en combustible pour littéraire, l’imaginaire poétique, la
les Algériens semblent maîtres se faire un nouveau départ ». De singularité de cet auteur, vient le
dans l’art de cultiver le « en même ce point de vue, algérien n’est conirmer, s’il en était besoin. Amray
temps» : iers et en même temps pas que l’anagramme de galérien. naît dans un pays en guerre. Mais,
déçus, heureux et en même temps Loin de son Ithaque algérienne, la paix revenue, le gamin découvre
malheureux, généreux et hospitaliers Ulysse commence par « bricoler » ; que ses copains, Shlomo et Paquito,
comme nuls autres et en même depuis son breakfast kabylo- ont disparu. Il ne se consolera
temps sourcilleux et susceptibles québécois où les thighriine (crêpes pas d’un autre départ, d’une autre
comme pas deux, solaires et en aux mille trous) sont arrosées fuite, celle d’Octavia. Plus tard,
même temps nostalgiques, déjà de sirop d’érable jusqu’à parler Manon, professeur dévouée, jugée
d’ici et en même temps, encore et « indifféremment et parfois dans la « néfastes pour nos constantes »,
toujours, un peu là-bas, rassemblés même phrase, le kabyle, le dardja, le sera virée. Par les livres, l’amitié,
et en même temps divisés… français avec ou sans l’accent kabyle l’amour, Amray apprenait à

Vous aimerez peut-être aussi