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Amina Alaoui
2009/2 N° 28 | pages 71 à 90
ISSN 1621-5338
ISBN 2-7427-8413-4
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2009-2-page-71.htm
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AMINA ALAOUI*
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Bien que la langue arabe soit chantante et imagée, il fallait revêtir cette
poésie de chant et de musique pour accompagner la traversée des cara-
vaniers dans la solitude du désert : le huda. Ou la mélopée des qaïnates,
ces prêtresses du chant qui viennent exalter les veillées nocturnes du dé-
sert dans l’intensité de son silence et de ses mystères. Ce n’est pas une
idée romantique, l’expérience du désert nous marque d’étonnement et
de crainte.
Cette vieille poésie arabe est uniquement lyrique : une efflorescence
d’images pour exprimer la passion de l’amour, les cris de colère ou la voie
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(1) Ibn Khaldoun, Discours sur l’Histoire universelle, Beyrouth, Sinbad, 1967. (Toutes les
notes sont de l’auteur.)
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(2) Marc Bergé, Les Arabes, Lidis, 1978. Voir notamment le chapitre “Les caractéristiques
de la langue arabe”.
(3) Federico García Lorca, extrait des Œuvres complètes, “Teoría y juego del duende,
conférence en 1928”, Aguilar, Madrid, 1955.
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mon guide. Les poèmes d’Ibn Hazm, d’Ibn Zaydûn, de Wallâda, d’Ibn
Arabi, d’Ibn Al Khatib, d’Al Mutamid et de bien d’autres m’en frayè-
rent le chemin. J’explorai l’humanisme et la richesse d’une créativité lit-
téraire et poétique intense, sur plus de huit siècles, dans cet étrange sud
de l’Europe : l’Espagne musulmane.
enfants dès l’âge de cinq ans dans des Madrasa(4), pour apprendre par
cœur le Coran, alors qu’ils savent à peine lire et écrire ; dans certaines
régions, ils ne connaissent même pas la langue arabe. Rien ne les pré-
pare à la compréhension du texte sinon sa mémorisation pure et simple.
Henri Pérès(5) nous dit : “Les Andalous, à quelque classe qu’ils appar-
tinssent, montraient un tel goût pour la poésie qu’on aurait pu croire
que tous étaient nés pour versifier ou, tout au moins, pour sentir la
beauté obscure enclose dans les syllabes rythmées… Non seulement les
princes, les dignitaires et les magistrats, mais encore les artisans les plus
humbles, les hommes du peuple les plus privés de culture littéraire pro-
prement dite, versifiaient et goûtaient la poésie.”
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L’élégie de la femme dans les épîtres d’Al Andalus atteint son som-
met avec Ibn Hazm (993-1064) de Cordoue. Grande figure intellectuelle,
Ibn Hazm est une incontournable référence en théologie. Sa plume acé-
rée dénonçait l’orthodoxie régnante, où il comptait bien sûr de nom-
breux ennemis ; il fut l’un des pionniers de l’histoire comparée des
religions dans son livre Kitab al fisal wa-l nihal (7). Ce vizir, fils de vizir,
consacra un inégalable traité à l’amour courtois, intitulé Le Collier de
la colombe, de l’amour et des amants (Tawq al hamâma). Il fait témoignage
de reconnaissance aux femmes :
“Longtemps, je fus témoin parmi les femmes et j’ai appris de leurs se-
crets plus qu’aucun autre peut-être. C’est que j’ai été élevé sur leurs ge-
noux, et que j’ai grandi entre leurs mains. Je ne connais qu’elles. Je n’ai
pris ma place parmi les hommes qu’à la frontière de l’adolescence, quand
déjà mes joues se couvraient de duvet. Ce sont elles qui m’ont appris le
Coran, m’ont transmis bon nombre de poésies et m’ont formé à l’écriture.”
Dans d’autres passages, il évoque la femme aimée : “Cette perle que
Dieu a faite lumière.” Quant à la soumission en amour, il écrit : “En amour
s’humilier n’est point bassesse d’âme ; en amour, l’homme le plus fier se
soumet.” Ailleurs : “L’union des âmes est infiniment plus belle que celle
des corps.” Ou encore : “Si tu me dis : est-il possible d’atteindre le ciel ?
Je réponds : oui ! Et je sais où se trouve l’échelle pour y monter.”
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(7) Al Biruni (973-1050) l’avait devancé avec Le livre de l’Inde, paru en Orient.
dûn dans une veillée poétique, où selon la coutume favorite des Cor-
douans, on aimait jouer à compléter les poèmes à tour de rôle. Ibn
Zaydûn sut la séduire par la grâce de sa poésie. Elle prit l’initiative d’une
invitation galante, qu’elle esquissa dans un billet doux :
Espère ma visite à l’heure où les ombres de la nuit deviennent obscures,
Car selon moi, la nuit occulte le mieux les secrets.
J’ai senti pour ta cause une telle fascination que si elle coïncidait avec le
soleil,
Celui-ci ne brillerait point.
L’idylle finalement se brise. Ibn Zaydûn trahit Wallâda avec Muhdja,
l’une de ses esclaves. Wallâda eut ensuite pour amant le puissant et riche
vizir Ibn Abdûs, rival politique et ennemi d’Ibn Zaydûn. Cette union
amoureuse prit le caractère d’une vengeance ; Ibn Zaydûn fut bientôt
privé de ses biens et incarcéré. Libéré, il tenta un nouveau destin auprès
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des princes Ibn Abbad de Séville et continua malgré tout à déclarer son
amour à Wallâda :
Pose sur moi un regard clément
car tes faveurs éveilleront à la vie
ce que tu n’as pas encore tué en moi.
Wallâda dilapida sa fortune dans son activité de mécénat pour main-
tenir en vogue son salon littéraire. Ruinée, elle dû parcourir les cours
princières et royales d’Al Andalus et des royaumes chrétiens, exhibant
ses talents de poétesse et de chanteuse. Mais elle revenait toujours à Ibn
Abdûs, avec lequel elle vécut le restant de ses jours, hors mariage, dans
leur luxueuse résidence de Cordoue.
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(8) Sawt : Ziryab réforme la séance musicale traditionnelle du sawt sous une nouvelle
forme qu’il nomme nûba (synonyme de “tour”, “ordre de passage” dans la camerata
royale) composée de quatre parties : une ouverture, le nashid, récitatif à rythme libre ; un
développement, le basît, à rythme lent ; un mouvement allegro, Muharrakat, chants à
rythmes légers ; une clotûre, les ahjaz, des chants vifs en accelerato.
MUWASHSHAH ET LE ZAJAL
Le terme muwashshah se réfère au wishah, ceinture à bande double bi-
garrée, tissée, sertie de perles ou de pierres précieuses portée par les
femmes andalouses. En poésie, la relation entre son refrain et les mu-
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(9) Information recueillie dans Nafh al tib : Analectes sur l’histoire et la littérature des Arabes
d’Espagne, M. Al Maqqari, XVIe siècle.
(10) Encyclopédie Lavignac.
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Quand je vois l’aube arriver / Il n’est rien que je déteste tant / Car elle
s’éloigne de moi / Mon ami que j’aime d’amour.
L’influence de cette tradition poétique arabo-andalouse sur les trou-
badours de l’Europe est désormais bien établie. Les contacts sont indé-
niables entre la culture chrétienne et celle d’Al Andalus, d’Espagne vers
l’Europe.
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Illustration sonore :
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