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Faculté d’éducation

de l’Université de Montpellier

M2
UE : 402 Épreuve n° : 1
Date : 16/02/2022 Horaires 14-17h Durée : 3 heures

Proposition de corrigé et barème

1
Le passage se situe au début du roman. Gervais, blanchisseuse, et Coupeau, ouvrier zingueur,
se sont mariés et après quatre années de dur labeur, sont à la recherche du logement de leur
rêve.

Le choix d’un logement, depuis deux mois, les occupait. Ils voulurent, avant tout, en louer un
dans la grande maison, rue de la Goutte-d’Or. Mais pas une chambre n’y était libre, ils durent
renoncer à leur ancien rêve. Pour dire la vérité, Gervaise ne fut pas fâchée, au fond : le
voisinage des Lorilleux, porte à porte, l’effrayait beaucoup. Alors, ils cherchèrent ailleurs.
Coupeau, très justement, tenait à ne pas s’éloigner de l’atelier de madame Fauconnier, pour
que Gervaise pût, d’un saut, être chez elle à toutes les heures du jour. Et ils eurent enfin une
trouvaille, une grande chambre, avec un cabinet et une cuisine, rue Neuve de la Goutte-d’Or,
presque en face de la blanchisseuse. C’était une petite maison à un seul étage, un escalier très
raide, en haut duquel il y avait seulement deux logements, l’un à droite, l’autre à gauche ; le
bas se trouvait habité par un loueur de voitures, dont le matériel occupait des hangars dans
une vaste cour, le long de la rue. La jeune femme, charmée, croyait retourner en province ;
pas de voisines, pas de cancans à craindre, un coin de tranquillité qui lui rappelait une ruelle
de Plassans, derrière les remparts ; et, pour comble de chance, elle pouvait voir sa fenêtre, de
son établi, sans quitter ses fers, en allongeant la tête.
[…] Et ce fut elle qui nettoya le logement, avant d’aider son mari à mettre les meubles en
place. Elle eut une religion pour ces meubles, les essuyant avec des soins maternels, le cœur
crevé à la vue de la moindre égratignure. Elle s’arrêtait, saisie, comme si elle se fût tapée elle-
même, quand elle les cognait en balayant. La commode surtout lui était chère ; elle la trouvait
belle, solide, l’air sérieux. Un rêve, dont elle n’osait parler, était d’avoir une pendule pour la
mettre au beau milieu du marbre, où elle aurait produit un effet magnifique. Sans le bébé qui
venait, elle se serait peut-être risquée à acheter sa pendule. Enfin, elle renvoyait ça à plus tard,
avec un soupir.
Le ménage vécut dans l’enchantement de sa nouvelle demeure. Le lit d’Étienne occupait le
cabinet, où l’on pouvait encore installer une autre couchette d’enfant. La cuisine était grande
comme la main et toute noire ; mais, en laissant la porte ouverte, on y voyait assez clair ; puis,
Gervaise n’avait pas à faire des repas de trente personnes, il suffisait qu’elle y trouvât la place
de son pot-au-feu. Quant à la grande chambre, elle était leur orgueil. Dès le matin, ils
fermaient les rideaux de l’alcôve, des rideaux de calicot blanc ; et la chambre se trouvait
transformée en salle à manger, avec la table au milieu, l’armoire et la commode en face l’une
de l’autre. Comme la cheminée brûlait jusqu’à quinze sous de charbon de terre par jour, ils
l’avaient bouchée ; un petit poêle de fonte, posé sur la plaque de marbre, les chauffait pour
sept sous pendant les grands froids. Ensuite, Coupeau avait orné les murs de son mieux, en se
promettant des embellissements : une haute gravure représentant un maréchal de France,
caracolant avec son bâton à la main, entre un canon et un tas de boulets, tenait lieu de glace ;
au-dessus de la commode, les photographies de la famille étaient rangées sur deux lignes, à
droite et à gauche d’un ancien bénitier de porcelaine dorée, dans lequel on mettait les
allumettes ; sur la corniche de l’armoire, un buste de Pascal faisait pendant à un buste de
Béranger, l’un grave, l’autre souriant, près du coucou, dont ils semblaient écouter le tic-tac.
C’était vraiment une belle chambre.

Émile Zola, L’Assommoir, 1877

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I. ETUDE DE LA LANGUE (6 pts)

1) Donnez la nature et la fonction des mots ou groupes de mots soulignés :


1pt, si tout juste. 0,5 si 2 erreurs. 0 au-delà de 2 erreurs

- Le choix d’un logement, depuis deux mois, les occupait


> Pronom personnel (conjoint), 3e personne du pluriel, COD du verbe occuper

- Mais pas une chambre n’y était libre, ils durent renoncer à leur ancien rêve.
> Groupe Prépositionnel ([prép.+GN]), COI du verbe renoncer

- le bas se trouvait habité par un loueur de voitures


> Groupe Prépositionnel, Ct d’agent du verbe habiter ou se trouvait habité (mais pas
se trouver) à la voix passive

- La jeune femme, charmée, croyait retourner en province


>Adjectif féminin singulier (ou participe passé à valeur adjectivale), apposition (ou
épithète détachée)

- La cuisine était grande comme la main et toute noire


>Adverbe : les adverbes sont normalement invariables mais tout est ici un cas
particulier : tout au sens de très s’accorde devant un adjectif au féminin commençant
par une consonne (ou un h aspiré).

- Mais pas une chambre n’y était libre


> Y est pronom personnel complément, CC de lieu.
Le pronom personnel y équivaut à un complément construit avec dans. « Ils voulurent,
avant tout, en louer un dans la grande maison, rue de la Goutte-d’Or. Mais pas une chambre n’y était
libre[…]. » = « Pas une chambre n’était libre dans la grande maison, rue de la Goutte-d’Or ».
=y

2) Analysez la nature et la fonction des propositions soulignées dans l’extrait ci-dessous :


1pt pour les 3 relatives. 0,5 point si 1 erreur. 0 au-delà.

Un rêve, dont elle n’osait parler, était d’avoir une pendule pour la mettre au beau
milieu du marbre, où elle aurait produit un effet magnifique. Sans le bébé qui venait,
elle se serait peut-être risquée à acheter sa pendule.
- dont elle n’osait parler : PSR, complément de l’antécédent nominal rêve
- où elle aurait produit un effet magnifique : PSR, complément de l’antécédent
nominal marbre
- qui venait : PSR (déterminative), complément de l’antécédent nominal bébé

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3) Dans la phrase ci-dessous, identifiez les modes et les temps verbaux et justifiez leur
emploi :1pt si tout juste. 0,5 point si 1 erreur. 0 au-delà.

Sans le bébé qui venait, elle se serait peut-être risquée à acheter sa pendule.
venait : imparfait de l’indicatif du verbe venir, P3.
Valeur temporelle de passé qui évoque ici un futur proche
se serait risquée : conditionnel passé du verbe pronominal se risquer, P3 :
Valeur temporelle du conditionnel passé : exprime l’avenir par rapport au passé

On peut parler ici de système hypothétique si l’on considère que sans le bébé qui
venait équivaut à s’il n’y avait pas le bébé qui venait
En corrélation avec l’imparfait de la subordonnée introduite par sans, le conditionnel
passé de la principale présente une action possible, potentielle.

4) Relevez et classez les expansions du nom dans la phrase suivante :


1pt pour les 4. 0,5 pour 3, sinon 0
Un rêve, dont elle n’osait parler, était d’avoir une pendule pour la mettre au beau
milieu du marbre, où elle aurait produit un effet magnifique
Adjectifs Groupe prépositionnel PSR

beau du marbre dont elle n’osait parler


>épithète du nom milieu > complément du nom >complément de l’antécédent
milieu nominal un rêve
magnifique
> épithète du nom effet

5) Relevez et classez pronoms et déterminants dans la phrase suivante en précisant leur


nature et leur fonction :
2pt si réponse entièrement juste, 1pt si 2 erreurs ou oublis. 0 pt au-delà
Elle eut une religion pour ces meubles, les essuyant avec des soins maternels, le cœur
crevé à la vue de la moindre égratignure.
Pronoms personnels fonction

Elle : 3e personne du sing. Sujet du verbe avoir

les : 3e personne du pluriel COD du verbe essuyant

Déterminants

Articles définis féminins sing : la vue ; la moindre


égratignure
Article défini masculin sing : le cœur Détermine le nom
Article indéfini féminin sing. : une religion
Article indéfini masculin plur. : des soins

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Déterminant démonstratif masculin pluriel : ces
meubles

II-LEXIQUE ET COMPREHENSION LEXICALE (4pts)

1) Analysez la formation des mots :


1pt : 0,5 pts pour chaque analyse juste.
- Enchantement
Enchantement est un nom masculin
En diachronie le mot enchantement est hérité du latin incantare, qui signifie
chanter/ensorceler. En synchronie le mot peut être analysé comme un mot construit,
appartenant au même paradigme morphologique que chant, chanter et enchanteur.
Enchantement : mot construit par dérivation à partir du nom chant qui sert de base à la
création du verbe enchanter « charmer par des paroles » obtenu par adjonction du préfixe en-.
A partir du verbe enchanter est dérivée la forme enchante-ment obtenu par l’adjonction du
suffixe nominal -ment qui a le sens d’acte ou d’action. Le nom ainsi formé enchantement a
pour définition : « action d’enchanter ».

- Embellissement(s)
Embellissement est un nom masculin
Embellissement : mot construit par dérivation à partir de l’adjectif bel qui sert de base à la
création du verbe embellir « rendre (plus) beau » obtenu par adjonction du préfixe em-. A
partir de la forme longue du radical verbal embelliss- est dérivée la forme embeliss-ement
obtenu par l’adjonction du suffixe nominal -ement qui a le sens d’acte ou d’action. Le nom
ainsi formé embellissement a pour définition : « action d’embellir ».

2) Le mot « chambre » répété plusieurs fois dans ce passage, désigne le logement que
vont occuper Gervaise et Coupeau.
Proposez deux phrases dans lesquelles ce terme aura un autre sens que vous
expliciterez.
1pt : 0,5 pts pour chaque phrase juste.

I. Espace clos de dimension réduite où se tiennent des personnes et, par


extension,, où l’on tient des choses
1. Chambre = une pièce d’habitation aménagée principalement pour le sommeil : va
dormir dans ta chambre !
 Chambre d’amis ; chambre de bonne, chambre d’hôtel etc.
2. Pièce spécialement aménagée pour des personnes : le mort repose dans une chambre
ardente
 Chambre à gaz, chambre funéraire, chambre ardente…
3. Pièce spécialement aménagée pour renfermer des choses : La viande est conservée
dans une chambre froide
4. Cavité pratiquée à des fins techniques : il a crevé ; il lui faut réparer la chambre à air

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 Chambre à air, chambre de combustion

II. Salle, édifice où siègent des assemblées officielles


1. Salle, édifice où ont lieu des délibérations
 Chambre du conseil, chambre d’audience, chambre des délibérations etc.
2. Salle, édifice pour des réunions politiques
 Chambre des représentants, chambre des députés, etc.

3) En prenant appui sur les champs lexicaux, vous direz en quoi la perception de la
chambre par Gervaise est éloignée de la réalité.
2pts si identification des champs lexicaux et analyse

On notera une distorsion de points de vue entre d’une part la description du narrateur qui
soulignant la pauvreté du logement en égrène les inconvénients - une petite maison, un
escalier très raide, cuisine grande comme la main, toute noire, la cheminée qui brulait
jusqu’à quinze sous de charbon, la chambre qui fait office de salle à manger, une décoration
qui nécessite des embellissements – et d’autre part le contentement de Gervaise qui,
émerveillée, trouve une solution pour chaque défaut. On notera les contre arguments
systématiques – un petit cabinet où l’on pouvait encore installer une autre couchette
d’enfant ; une petite cuisine sombre mais, en laissant la porte ouverte, on y voyait assez
clair ; une cheminée trop couteuse en charbon (quinze sous de charbon de terre par jour)
remplacée par un petit poêle de fonte […][qui] les chauffait pour sept sous pendant les
grands froids etc.
Par ailleurs la subjectivité du regard de Gervaise, amoureuse, qui rêve au sein de son nouveau
logement de bonheur conjugal est traduit par une série de termes qui procèdent du champ
lexical de l’enchantement au sens magique du terme : rêve, trouvaille, charmée, croyait,
chance, enchantement, transformée. …

III- REFLEXION ET DEVELOPPEMENT (8 pts)

La maison est-elle selon vous un refuge ou une prison ?


Votre réflexion, structurée et argumentée, s’appuiera sur le texte d’Émile Zola ainsi que sur
l’ensemble de vos connaissances et de vos lectures.

Quelques textes pour le sujet d’essai


Texte 1

Dans ces conditions, si l'on nous demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous
dirions : la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de
rêver en paix. Il n'y a pas que les pensées et les expériences qui sanctionnent les valeurs
humaines. À la rêverie appartiennent des valeurs qui marquent l'homme en sa profondeur. La
rêverie a même un privilège d'autovalorisation. Elle jouit directement de son être. Alors, les
lieux où l’on a vécu la rêverie se restituent d’eux-mêmes dans une nouvelle rêverie. C'est
parce que les souvenirs des anciennes demeures sont revécus comme des rêveries que les
demeures du passé sont en nous impérissables. Notre but est maintenant clair : il nous faut
montrer que la maison est une des plus grandes puissances d'intégration pour les pensées, les

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souvenirs et les rêves de l’homme. Dans cette intégration, le principe liant, c'est la rêverie. Le
passé, le présent et l'avenir donnent à la maison des dynamismes différents, des dynamismes
qui souvent interfèrent, parfois s'opposant, parfois s'excitant l’un l’autre. La maison, dans la
vie de l'homme, évince des contingences, elle multiplie ses conseils de continuité. Sans elle,
l'homme serait un être dispersé. Elle maintient l'homme à travers les orages du ciel et les
orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l'être humain. Avant
d'être « jeté au monde » comme le professent les métaphysiques rapides, l'homme est déposé
dans le berceau de la maison. Et toujours, en nos rêveries, La maison est un grand berceau.
Une métaphysique concrète ne peut laisser de côté ce fait, ce simple fait, d'autant que ce fait
est une valeur, une grande valeur à laquelle nous revenons dans nos rêveries. L'être est tout de
suite une valeur. La vie commence bien, elle commence enfermée, protégée, toute tiède dans
le giron de la maison.
Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace (1957)
Texte 2

Il y a deux ans, par hasard, j'avais eu l’occasion de demeurer trois jours dans une cabane de
bois, sur les bords du Baïkal. Un garde-chasse, Anton, m'avait accueilli dans sa minuscule
isba qu’il occupait sur la rive orientale du lac. Il portait des lunettes d’hypermétrope et ses
yeux grossis par les verres lui donnaient un air de batracien joyeux. Le soir, nous jouions aux
échecs, le jour, je l’aidais à relever ses filets. Nous ne parlions presque pas, nous lisions
beaucoup – Huysmans pour moi, Hemingway, qu’il prononçait Rhémingvaïe, pour lui. Il
avalait des litres de thé, je partais marcher dans les bois. Le soleil inondait la pièce, des oies
fuyaient l’automne. Je pensais aux miens. On écoutait la radio : la speakerine annonçait les
températures à Sotchi. Anton disait : « Cela doit être bien, la mer Noire. » De temps en temps,
il jetait une bûche dans le poêle puis la journée tirée, il sortait l’échiquier. On buvait des petits
coups d’une vodka de Krasnoïarsk et on poussait les pions. J’avais toujours les blancs, je
perdais souvent. Ces journées interminables passèrent vite. Je songeais en quittant mon ami :
« Voilà la vie qu’il me faut ». Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne
m’apportait plus : la paix. Je me fis alors le serment de vivre plusieurs mois en cabane seul.
Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l’or.
Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l'eldorado. À mille
cinq cents kilomètres au sud, vibre la Chine. Un milliard et demi d'êtres humains s’apprêtent à
y manquer d’eau, de bois, d'espace. Vivre dans les futaies au bord de la plus grande réserve
d’eau douce du monde est un luxe. Un jour, les pétroliers saoudiens, les nouveaux riches
indiens et les businessmen russes qui traînent leur ennui dans les lobbys en marbre des palaces
le comprendront. Il sera temps alors de monter un peu plus en latitude et de gagner la toundra.
Le bonheur se situera au-delà du 60° parallèle Nord. Habiter joyeusement des clairières
sauvages vaut mieux que dépérir en ville. Dans le sixième volume de L'Homme et la Terre, le
géographe Élisée Reclus — maître anarchiste et styliste désuète — déroule une superbe idée.
L'avenir de l’humanité résiderait dans « l'union plénière du civilisé avec le sauvage ». Il ne
serait pas nécessaire de choisir entre notre faim de progrès technique et notre soif d'espaces
vierges. La vie dans les bois offre un terrain rêvé pour cette réconciliation entre l’archaïque et
le futuriste. Sous les futaies, se déploie une existence éternelle, au plus près de l'humus. On y
renoue avec la vérité des clairs de lune, on se soumet à la doctrine des forêts sans renoncer
aux bienfaits de la modernité. Ma cabane abrite les noces du progrès et de l'antique. Avant de
partir, j'ai ponctionné dans le grand magasin de la civilisation quelques produits
indispensables au bonheur, livres, cigares, vodka : j'en jouirai dans la rudesse des bois. J'ai
tellement adhéré à l'intuition de Reclus que j'ai équipé ma cabane de panneaux solaires. Ils
alimentent un petit ordinateur. Le silicium de mes puces électroniques se nourrit de photons.
J'écoute Schubert en regardant la neige, je lis Marc Aurèle après la corvée de bois, je fume un

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havane pour fêter la pêche du soir. Élisée serait content. [...] La cabane, royaume de
simplification. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché
aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menues jouissances.
L’éventail de choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser
le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres.
La forêt resserre ce que la ville disperse.
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie (2011)

Texte 3
Vendredi 21 août 1942.
Chère Kitty,
Notre « cachette » peut dorénavant prétendre à ce nom. M. Kraler était d'avis de placer une
armoire devant notre porte d'entrée (il y a beaucoup de perquisitions à cause des vélos
cachés), mais alors une armoire tournante qui s'ouvre comme une porte. M. Vossen s'est
dévoué comme menuisier pour la fabrication de cette trouvaille. Entre temps, il a été mis au
courant des sept pauvres âmes cachées dans l'Annexe, et il se montre on ne peut plus
serviable. En ce moment, pour pouvoir gagner les bureaux, on est prié de se courber d'abord
puis de sauter, car les marches ont disparu. Au bout de trois jours, chaque front s'ornait d'une
belle bosse, car on se cognait aveuglément à la porte rabaissée. Alors, on a cloué sur le bord
un pare-chocs : un chiffon rempli de paille de bois. On va voir ce que ça va donner ! Je ne fais
pas grand-chose comme études ; j'ai décidé d'être en vacances jusqu'en septembre. Ensuite,
Père sera mon professeur, car je crains d'avoir oublié pas mal de ce que j'ai appris à l'école. Il
ne faut pas compter sur des changements dans notre vie. Je ne m'entends pas du tout avec M.
Van Daan ; par contre, il aime beaucoup Margot. Maman me traite parfois comme un bébé ; je
trouve ça insupportable. Autrement, ça peut aller. Peter ne gagne pas à être connu, c'est un
raseur, un paresseux étendu sur son lit toute la journée : parfois il bricole, joue au menuisier,
et retourne faire un somme. Quel imbécile ! Il fait beau dehors, et il fait chaud. En dépit de
tout, nous en profitons le plus possible en nous prélassant sur le lit-cage au grenier, où le
soleil entre à flots par la fenêtre ouverte.
A toi,
Anne.
Le journal d’Anne Franck, 1942

Texte 4

L’idéal du bonheur s’est toujours matérialisé dans la maison, chaumière ou château ; elle
incarne la permanence et la séparation. C’est entre ses murs que la famille se constitue en une
cellule isolée et qu’elle affirme son identité par delà le passage des générations ; le passé mis
en conserve sous forme de meubles et de portraits d’ancêtres préfigure un avenir sans risque ;
dans le jardin les saisons inscrivent en légumes comestibles leur cycle rassurant ; chaque
année, le même printemps paré des mêmes fleurs promet le retour de l’immuable été, de
l’automne avec ses fruits identiques à ceux de tous les automnes : ni le temps ni l’espace ne
s’échappent vers l’infini, ils tournent sagement en rond. Dans toute civilisation fondée sur la
propriété foncière il y a une abondante littérature qui chante la poésie et les vertus de la
maison ; dans le roman d’Henry Bordeaux intitulé précisément la Maison, elle résume toutes
les valeurs bourgeoises : fidélité au passé, patience, économie, prévoyance, amour de la
famille, du sol natal, etc. ; il est fréquent que les chantres de la maison soient des femmes
puisque c’est leur tâche d’assurer le bonheur du groupe familial ; leur rôle comme au temps
où la « domina » siégeait dans l’atrium est d’être « maîtresse de maison ». Aujourd’hui la
maison a perdu sa splendeur patriarcale ; pour la majorité des hommes elle est seulement un

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habitat que n’écrase plus la mémoire des générations défuntes, qui n’emprisonne plus les
siècles à venir. Mais la femme s’efforce encore de donner à son « intérieur » le sens et la
valeur que possédait la vraie maison. Dans Cannery Road, Steinbeck décrit une vagabonde
qui s’entête à orner de tapis et de rideaux le vieux cylindre abandonné où elle loge avec son
mari : en vain objecte-t-il que l’absence de fenêtres rend les rideaux inutiles. Ce souci est
spécifiquement féminin. Un homme normal considère les objets qui l’entourent comme des
instruments ; il les dispose d’après les fins auxquelles ils sont destinés ; son « ordre » – où la
femme souvent ne verra qu’un désordre – c’est d’avoir à portée de sa main ses cigarettes, ses
papiers, ses outils. Entre autres les artistes à qui il est donné de recréer le monde à travers une
matière – sculpteurs et peintres – sont tout à fait insouciants du cadre dans lequel ils vivent.
Rilke écrit à propos de Rodin : La première fois que j’allai chez Rodin, je compris que sa
maison n’était rien pour lui sinon une pauvre nécessité : un abri contre le froid, un toit pour
dormir. Elle le laissait indifférent et ne pesait pas le moins du monde sur sa solitude ou son
recueillement. C’est en soi qu’il trouvait un foyer : ombre, refuge et paix. Il était devenu son
propre ciel, sa forêt et son large fleuve que rien n’arrête plus. Mais pour trouver en soi un
foyer, il faut d’abord s’être réalisé dans des œuvres ou des actes. L’homme ne s’intéresse que
médiocrement à son intérieur parce qu’il accède à l’univers tout entier et parce qu’il peut
s’affirmer dans des projets. Au lieu que la femme est enfermée dans la communauté conjugale
: il s’agit pour elle de changer cette prison en un royaume. Son attitude à l’égard de son foyer
est commandée par cette même dialectique qui définit généralement sa condition : elle prend
en se faisant proie, elle se libère en abdiquant ; en renonçant au monde elle veut conquérir un
monde. Ce n’est pas sans regret qu’elle referme derrière elle les portes du foyer ; jeune fille,
elle avait toute la terre pour patrie ; les forêts lui appartenaient. À présent, elle est confinée
dans un étroit espace ; la Nature se réduit aux dimensions d’un pot de géranium ; des murs
barrent l’horizon. Une héroïne de V. Woolf murmure : je ne distingue plus l’hiver de l’été par
l’état de l’herbe ou de la bruyère des landes mais par la buée ou le gel qui se forment sur la
vitre. Moi qui jadis marchais dans les bois de hêtres en admirant la couleur bleue que prend la
plume du geai quand elle tombe, moi qui rencontrais sur mon chemin le vagabond et le
berger… je vais de chambre en chambre, un plumeau à la main. Mais elle va s’appliquer à
nier cette limitation. Elle enferme entre ses murs sous des figures plus ou moins coûteuses la
faune et la flore terrestres, les pays exotiques, les époques passées ; elle y enferme son mari
qui résume pour elle la collectivité humaine, et l’enfant qui lui donne sous une forme
portative tout l’avenir. Le foyer devient le centre du monde et même son unique vérité ;
comme le note justement Bachelard, c’est « une sorte de contre-univers ou un univers du
contre » ; refuge, retraite, grotte, ventre, il abrite contre les menaces du dehors : c’est cette
confuse extériorité qui devient irréelle. Le soir surtout, quand les volets sont tirés, la femme se
sent reine ; la lumière répandue à midi par le soleil universel la gêne ; à la nuit elle n’est plus
dépossédée car elle abolit ce qu’elle ne possède pas ; elle voit briller sous l’abat-jour une
lumière qui est sienne et qui éclaire exclusivement sa demeure : rien d’autre n’existe. Un texte
de V. Woolf nous montre la réalité se concentrant dans la maison, tandis que l’espace du
dehors s’effondre. La nuit était maintenant tenue à l’écart par les vitres et celles-ci au lieu de
donner une vue exacte du monde extérieur le gondolaient d’étrange façon au point que
l’ordre, la fixité, la terre ferme semblaient s’être installés à l’intérieur de la maison ; au-dehors
au contraire, il n’y avait plus qu’un reflet dans lequel les choses devenues fluides tremblaient
et disparaissaient. Grâce aux velours, aux soies, aux porcelaines dont elle s’entoure, la femme
pourra en partie assouvir cette sensualité préhensive que ne satisfait pas d’ordinaire sa vie
érotique ; elle trouvera aussi dans ce décor une expression de sa personnalité ; c’est elle qui a
choisi, fabriqué, « déniché » meubles et bibelots, qui les a disposés selon une esthétique où le
souci de la symétrie tient généralement une large place ; ils lui renvoient son image singulière
tout en témoignant socialement de son standard de vie. Son foyer, c’est donc pour elle le lot

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qui lui est dévolu sur terre, l’expression de sa valeur sociale, et de sa plus intime vérité. Parce
qu’elle ne fait rien, elle se recherche avidement dans ce qu’elle a.
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, tome 2 : « L’Expérience vécue » (1949)

Texte 5
L'action se déroule en enfer, un enfer très ressemblant du monde réel. Trois personnages se retrouvent dans ce
microcosme.

INÈS. Pour qui jouez-vous la comédie ? Nous sommes entre nous.


ESTELLE, avec insolence. Entre nous ?
INÈS. Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n'y a jamais d'erreur et on ne
damne jamais les gens pour rien.
ESTELLE. Taisez-vous.
INÈS. En enfer ! Damnés ! Damnés !
ESTELLE. Taisez-vous. Voulez-vous vous taire ? Je vous défends d'employer des mots
grossiers.
INÈS. Damnée, la petite sainte. Damné, le héros sans reproche. Nous avons eu notre heure de
plaisir, n'est-ce pas ? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu'à la mort et cela nous
amusait beaucoup. À présent, il faut payer.
GARCIN, la main levée. Est-ce que vous vous tairez ?
INÈS, le regarde sans peur, mais avec une immense surprise. Ha ! (Un temps.) Attendez ! J'ai
compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble…
GARCIN. Prenez garde à ce que vous allez dire.
INÈS. Vous allez voir comme c'est bête. Bête comme chou ! Il n'y a pas de torture physique,
n'est-ce pas ? Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous
resterons jusqu'au bout seuls ensemble. C'est bien ça ? En somme, il y a quelqu'un qui
manque ici : c'est le bourreau.
GARCIN, à mi-voix. Je le sais bien.
INÈS. Eh bien, ils ont réalisé une économie de personnel. Voilà tout. Ce sont les clients qui
font le service eux-mêmes, comme dans les restaurants coopératifs.
ESTELLE. Qu'est-ce que vous voulez dire ?
INÈS. Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres. Un temps. Ils digèrent la
nouvelle. GARCIN, d'une voix douce. Je ne serai pas votre bourreau. Je ne vous veux aucun
mal et je n'ai rien à faire avec vous. Rien. C'est tout à fait simple. Alors voilà : chacun dans
son coin ; c'est la parade. Vous ici, vous ici, moi là. Et du silence. Pas un mot : ce n'est pas
difficile, n'est-ce pas ? Chacun de nous a assez à faire avec lui-même. Je crois que je pourrais
rester dix mille ans sans parler.
ESTELLE. Il faut que je me taise ?
GARCIN. Oui. Et nous… nous serons sauvés. Se taire. Regarder en soi, ne jamais lever la
tête. C'est d'accord ?
INÈS. D’accord. ESTELLE, après hésitation. D'accord.
GARCIN. Alors, adieu.
Jean-Paul Sartre, Huis clos, 1944

Texte 6
Roubaud, un employé aux chemins de fer qui fait les allers et retours entre Le Havre et Paris, apprend de sa
femme Séverine qu'elle a été abusée par le président Grandmorin quand elle n'avait que seize ans. Roubaud ne
peut pas le supporter, il entre dans une rage folle et la bat.

Alors ce fut abominable. Cet aveu qu'il exigeait si violemment venait de l'atteindre en pleine
figure, comme une chose impossible, monstrueuse. Il la jeta d'une secousse en travers du lit, il

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tapa sur elle des deux poings, au hasard... Mais se laissant glisser, elle s'échappa, elle voulut
courir vers la porte. D'un bond, il fut de nouveau sur elle, le poing en l'air; et furieusement,
d'un seul coup, près de la table, il l'abattit. Il s'était jeté à son côté, il l'avait empoignée par les
cheveux, pour la clouer au sol... Il lui empoigna la tête, il la cogna contre un pied de la table.
Elle se débattait, et il la tira par les cheveux, au travers de la pièce, bousculant les chaises.
Chaque fois qu'elle faisait un effort pour se redresser, il la rejetait sur le carreau d'un coup de
poing. Et cela, haletant, les dents serrés, un acharnement sauvage et impossible... Des cheveux
et du sang restèrent à un angle du buffet.
Elle, elle ne dit rien. Elle ne se débat pas. Elle attend que cela se passe. Elle en arrive même à
le prendre en pitié.
Du lit où elle restait assise, Séverine le suivait toujours de ses grands yeux. Dans la calme
affection de camaraderie qu'elle avait eue pour lui, il l’apitoyait déjà, par la douleur
démesurée où elle le voyait. Les gros mots, les coups, elle les aurait excusés, si cet
emportement fou lui avait laissé moins de surprise, une surprise dont elle ne revenait pas
encore.

Emile Zola, La Bête Humaine ,1890

Texte 7

Le pain, le feu m'avaient accueilli; la maison, pour solitaire qu'elle fût, me paraissait pure et
hospitalière. Et n'était-ce pas ma maison? N'étais-je point le maître du limon précaire sur
lequel on l'avait bâtie avec ces branches, ces roseaux issus de ce sol redoutable? L'île
m'appartenait, et j'étais cependant abandonné de tous, comme si les humains qui semblaient
vivre là, obligés à servir ce maître venu du dehors, l'eussent fait ponctuellement, niais en
demeurant invisibles. Pour quelle raison?... La raison me disais-je, paraît absente de ces lieux
où l'air et l'eau étendent leur domination et rendent la pensée instable. On ne voit, on ne sent,
on n'entend qu'eux, et c'est d'eux que vivent ces plantes et ces arbres, habitants naturels de
l'île...
Cependant, en songeant à la maison, je me rassurais un peu. Et j'y songeais comme au refuge.
Elle était le seul être humain qui me fût accessible : car de l'homme — et d'un homme grave
— elle gardait l'imprégnation : peut-être toute une pensée, une seule pensée, longtemps
soumise à la contemplation quotidienne. Tout y passe, tout la traverse, mais elle, soutenant,
immobile, son poids, subsiste par-dessus les courants éphémères, et tout s'y réfléchit sans en
ternir la pureté inaltérable. Peut-être, sous les eaux du fleuve, me disais-je, y a-t-il aussi un roc
pur où les courants ne laissent rien que des reflets venus d'en haut et que nul limon ne ternit
jamais.
J'entrepris d'explorer aussitôt la maison, avec la discrétion requise. Une maison, même si la
loi vous la donne, peut fort bien, elle, ne pas se donner. On y fait aisément figure d'intrus. De
plus simple que celle-ci, de plus réduite, on n'en pouvait imaginer. Mais les lieux simples sont
les plus difficiles à l'homme. On n'y est jamais bien chez soi; et on en fait le tour trop vite
pour y déceler la pensée qui s'y inscrit secrètement, peut-être, dans l'objet le plus banal.
Rien, dans la pièce où j'habitais, ne m'attira que je n'eusse aperçu la veille, sauf le secrétaire.
J'hésitai à l'ouvrir. « Il est décent d'attendre le notaire », me dis-je, en le touchant du doigt. Et
je passai. J'allai dans la resserre.
C'était une pièce très propre, avec des étagères, un placard, une soupente, un évier. Là se
trouvaient les provisions. Deux fenêtres l'éclairaient… Une porte donnait accès à de petits
communs. La pièce peinte en blanc sentait le bois sec, les épices. On s'y trouvait bien; elle
était pourvue pour la vie et, dans un angle, le foyer, où tiédissait encore un peu de cendres,
m'apprit qu'on y avait chauffé de bon matin mon premier repas.

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Ces humbles détails m'attendrirent, et j'entrai en contact avec la vie familière de cette maison
dont la pièce principale m'intimidait. Je fus rassuré par la vue des ustensiles domestiques. Ils
indiquaient, ici, les besoins modestes d'un corps dont l'autre pièce avait contenu l'âme. Mais
l'on allait facilement de l'une à l'autre, et j'en fus réconforté.
Henri Bosco, Malicroix, 1946

Texte 8

Un terrain vague, de vagues clôtures,


Un couple divague sur la maison future.
On s'endette pour trente ans, ce pavillon sera le nôtre,
Et celui de nos enfants corrige la femme enceinte.
Les travaux sont finis, du moins le gros œuvre, ça sent le plâtre et l'enduit et la poussière toute
neuve.
Le plâtre et l'enduit et la poussière toute neuve.
Des ampoules à nu pendent des murs, du plafond,
Le bébé est né, il joue dans le salon.
On ajoute à l'étage une chambre de plus,
Un petit frère est prévu pour l'automne.
Dans le jardin les arbres aussi grandissent,
On pourra y faire un jour une cabane.
On pourra y faire un jour une cabane.
Les enfants ont poussé, ils sont trois maintenant,
On remplit sans se douter le grenier doucement.
Le grand habite le garage pour être indépendant,
La cabane, c'est dommage, est à l'abandon.
Monsieur rêverait de creuser une cave à vins,
Madame préférerait une deuxième salle de bain.
Ça sera une deuxième salle de bain.
Les enfants vont et viennent chargés de linge sale, ça devient un hôtel la maison familiale.
On a fait un bureau dans la petite pièce d'en haut,
Et des chambres d'amis, les enfants sont partis.
Ils ont quitté le nid sans le savoir vraiment,
Petit à petit, vêtement par vêtement.
Petit à petit, vêtement par vêtement.
Ils habitent à Paris des apparts sans espace,
Alors qu'ici il y a trop de place.
On va poser tu sais des stores électriques,
C'est un peu laid c'est vrai, mais c'est plus pratique.
La maison somnole comme un chat fatigué,
Dans son ventre ronronne la machine à laver.
Dans son ventre ronronne la machine à laver.
Les petits enfants espérés apparaissent,
Dans le frigo, on remet des glaces.
La cabane du jardin trouve une deuxième jeunesse,
C'est le consulat que rouvrent les gosses.
Le grenier sans bataille livre ses trésors,
Ses panoplies de cow-boys aux petits ambassadeurs,

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Qui colonisent pour la dernière fois la modeste terre promise,
Quatre murs et un toit.
Cette maison est en vente comme vous le savez,
Je suis, je me présente, agent immobilier.
Je dois vous prévenir si vous voulez l'acheter,
Je préfère vous le dire cette maison est hantée.
Ne souriez pas Monsieur, n'ayez crainte Madame,
C'est hanté c'est vrai mais de gentils fantômes.
De monstres et de dragons que les gamins savent voir,
De pleurs et de bagarres, et de copieux quatre-heures, "finis tes devoirs", "il est trop lourd
mon cartable", "laisse tranquille ton frère", "les enfants, à table !".
Écoutez la musique, est-ce que vous l'entendez? Écoutez la musique, est-ce que vous
l'entendez? Écoutez la musique, est-ce que vous l'entendez? Écoutez la musique, est-ce que
vous l'entendez? Écoutez la musique, est-ce que vous l'entendez?

Bruno Benabar, Quatre murs et un toit, 2009


Texte 9

La Grande Nanon était peut-être la seule créature humaine capable d’accepter le despotisme
de son maître. Toute la ville l’enviait à monsieur et à madame Grandet. […] À l’âge de vingt-
deux ans, la pauvre fille n’avait pu se placer chez personne, tant sa figure paraissait
repoussante […] Forcée de quitter une ferme incendiée où elle gardait les vaches, elle vint à
Saumur, où elle chercha du service, animée de ce robuste courage qui ne se refuse à rien. Le
père Grandet pensait alors à se marier et voulait déjà monter son ménage. Il avisa cette fille
rebutée de porte en porte. Juge de la force corporelle en sa qualité de tonnelier, il devina le
parti qu’on pouvait tirer d’une créature femelle taillée en Hercule, plantée sur ses pieds
comme un chêne de soixante ans sur ses racines, forte des hanches, carrée du dos, ayant des
mains de charretier et une probité vigoureuse comme l’était son intacte vertu. […] Il vêtit
alors, chaussa, nourrit la pauvre fille, lui donna des gages, et l’employa sans trop la rudoyer.
En se voyant ainsi accueillie, la Grande Nanon pleura secrètement de joie et s’attacha
sincèrement au tonnelier, qui d’ailleurs l’exploita féodalement. Nanon faisait tout : elle faisait
la cuisine, elle faisait les buées, elle allait laver le linge à la Loire, le rapportait sur ses épaules
; elle se levait au jour, se couchait tard ; faisait à manger pour tous les vendangeurs pendant
les récoltes, surveillait les hallebotteurs ; défendait comme un chien fidèle le bien de son
maître ; enfin, pleine d’une confiance aveugle en lui, elle obéissait à ses fantaisies les plus
saugrenues.

Balzac, Eugénie Grandet, 1833

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Pistes de correction pour l’essai

Sujet : La maison est-elle selon vous un refuge ou une prison ?


Votre réflexion, structurée et argumentée, s’appuiera sur le texte d’Émile Zola ainsi que
sur l’ensemble de vos connaissances et de vos lectures.

I- La maison : un refuge

a) Se protéger de l'extérieur : la première fonction de la maison


- se protéger des intempéries et des aléas de l’environnement (froid, pluies, neige, agressions
de toutes sortes) cf. situations des sans abris
- slogan « Restez chez soi » en temps de pandémie (confinements)
- quand la maison devient cachette : texte 4, extrait du Journal d’Anne Franck (se protéger de
l’ennemi, contexte de guerre ; dimension dramatique et vitale)
b) Etre bien chez soi : le confort du cocon
- Un rêve partagé : texte 1 (Bachelard) + texte-support de Zola. Gervaise rêve d’un cocon
(réalité vs regard sur cette réalité)
- Décoration et aménagement intérieur : engouement pour la décoration (home staging)
et succès des émissions afférentes (+texte-support de Zola et texte de S. de Beauvoir)
c) Se retrouver, se ressourcer : Texte 8 (chanson de Benabar), texte 7 (texte de Bosco) et tous
textes qui disent le bonheur du foyer. (depuis Homère en passant par Du Bellay ..)

II- La maison : une prison

a) La maison, le lieu des secrets de famille ? Un secret, Philippe Grimberg, film Festen de
Thomas Vinterberg (quand la fête de famille dans une grande maison bourgeoise devient le
théâtre d’une révélation fracassante...)
b) La maison, un lieu d’enfermement et de contraintes : problématique de l’entretien de la
maison, souvent dévolu aux femmes … texte 4 (S. de Beauvoir) texte 9 (Balzac)
c) La maison, un lieu de violence voire de danger
- Vivre avec autrui, un enfer ? Texte 5 (Sartre)
- La violence conjugale : texte 6 (Zola) + recrudescence des violences faites aux femmes
(et aux enfants) durant les confinements
- de la violence au crime : fait divers affaire Dupont de Ligonès (a exterminé sa femme et
ses 4 enfants au domicile conjugal)

Rappel barème correction de la langue :


0-2 erreurs : aucune pénalité
3-4 erreurs : - 0,5 pt
5-6 : - 1 pt
7-8 : - 1,5 pt
Au-delà de 8 erreurs : - 2 pts

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