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2004/3 n° 40 | pages 84 à 86
ISSN 0767-9513
ISBN 2271062462
DOI 10.4267/2042/9506
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2004-3-page-84.htm
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SENSIBILITÉS MALGACHES
« Il y a des paroles qui fuient dans les oreilles et qui n’arrivent à ficeler rien d’autre que le souffle de leur émission ;
d’autres à l’inverse, davantage mûries et mieux macérées dans l’intimité du silence intérieur de leurs auteurs, atterrissent
tout naturellement dans les deux oreilles, pour venir s’y loger directement au fond du tympan », nous dit un vieil adage1
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Sensibilités malgaches
Sans minimiser pour autant la voix de Marcel de Corte, on peut toutefois se demander si sa « parole-ficelle » n’a pas été
finalement, elle aussi, qu’un nœud habilement « coulissé » sur une autre « parole-ficelle » plus ancienne, celle du philosophe
russe Nicolas Berdiaeff. De son temps, ce dernier avait déjà vigoureusement renvoyé dos à dos la parousie marxiste de l’Est
communiste et la promesse de démocratie et de progrès économique de l’Ouest capitaliste4. Des paroles qui lui avaient valu
dès 1918, de la part de Lénine et de ses partisans, des vexations policières, le contraignant ainsi à l’exil en France où il
mourut sans pouvoir retourner dans son pays qu’il aimait tant. Tout cela pour dire que les idées apparemment les plus
novatrices ont finalement leur antécédent. Et les Malgaches n’en pensent pas moins d’ailleurs : « La plus grande des
embouchures vient souvent boire dans un mince filet d’eau, sa source », aiment à dire présisement les Antandroy, un autre
groupe ethnique vivant dans la zone aride du sud de Madagascar. Autrement dit, pour se réaliser pleinement dans une
démarche personnelle et identitaire, on est toujours redevable de quelque chose à quelqu’un. Toute créativité se nourrit de
l’imitation.
C’est donc par une marche graduelle que l’on s’initie à Madagascar dans l’art de manier la parole. Parvenu à la pleine
maîtrise, l’initié est ainsi en mesure de rendre audible et vivant un monde devenu muet par la mort de tous ceux qui l’ont
animé jadis. Le « maître de la parole » est un passeur. Car sa parole est à l’image d’une pirogue qui arrive à relier les deux
rives, celle d’un passé silencieux et froid en passe d’être enfoui dans les replis de l’oubli, et celle d’un avenir incertain, dans
une modernité qui s’annonce de plus en plus bruyante.
L’analyse de la symbolique de la parole et de sa production chez les Malgaches est éclairante à plus d’un titre pour
mieux comprendre le double mouvement qui structure la démarche des chanteurs-compositeurs malgaches de ces deux
dernières décennies. Dans un premier temps, il s’agit d’un mouvement vertical qui les renvoie à leur terroir, à leurs racines.
Ce premier mouvement est vital : « C’est par la force de l’enracinement dans son sol nourricier qu’un arbuste trouve toute
sa fécondité et finira par devenir une pirogue » (ny hazo vanon-kolakana, ny tany naniriany no tsara) ; et c’est ainsi que
l’arbuste devenu grand résistera également à la furie des cyclones. Dans un second temps, il est question d’un mouvement
plutôt horizontal qui les oblige à être en phase avec toutes les sollicitations de nos sociétés modernes et postmodernes. Pris
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Profondément consciente de cette vérité élémentaire, mais ô combien fondamentale pour l’avenir de notre planète,
l’Agence universitaire de la Francophonie s’est depuis longtemps mobilisée pour essayer de faire entendre ce qu’elle croit
être l’une des « paroles-ficelles » susceptibles de relever le défi de la diversité culturelle au service de l’humain. Réunis à cet
effet, au début du mois de juin 2004, à Ouagadougou, les universitaires et chercheurs francophones veulent maintenant se
positionner en véritables forces de proposition face aux décideurs politiques d’aujourd’hui et de demain pour l’ensemble
de notre planète.
NOTES
1. Voici le texte original : « Misy völaña milefa an-tadiñy tsy mahafehy hafa tsy rivotro an’azy ; ny sasany ndreky edy, izay tsara tsakotsako an-
tsarôron’ilay namôroñ’azy, tönga dia milatsaka möramöra an-tadiñy, kay tafafantsiky añy am-pôtotsôfiñy akañy. »
2. Madagascar compte dix-huit groupes ethniques, parlant tous le malgache, et ce par-delà les variantes dialectales.
3. CORTE DE M., « Transformation de l’homme contemporain », in Revue de l’université de Laval (Québec), février 1960, vol. XIV, n° 16, p. 487.
4. « C’est que la violence présente une graduation compliquée […]. L’éducation, la religion, par les terreurs qu’elles inspirent, les mœurs
familiales, la propagande, la suggestion quotidienne exercée par les journaux, le pouvoir des partis politiques sont autant d’aspects que revêt
la violence, autant de formes qu’elle emprunte, sans parler du pouvoir de l’argent qui est la source de la plus grande violence […] » ; Nicolas
BERDIAEFF, Dialectique existentielle du divin et de l’humain, Paris, Éd. Janin, col. Janus, 1947, p. 134 et suiv. Lire également, du même auteur,
Un nouveau Moyen Âge, Paris, Plon 1927 ; De l’esclavage et de la liberté de l’homme, Paris, Aubier-Montaigne, 1946 ; Les Sources et le sens du
communisme russe, Paris, Gallimard, 1951 ; Royaume de l’esprit et Royaume de César, Paris, Delachaux ex Niestlé, 1952.
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