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Revue de recherches
en éducation
Ruellan Francis. Jeu théâtral et pratiques d'écriture. In: Spirale. Revue de recherches en éducation, n°6, 1991. A l'école
du théâtre. pp. 85-118;
doi : https://doi.org/10.3406/spira.1991.1957
https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_1991_num_6_1_1957
J E U THÉ Â TR A L
E T PR A TIQUE S D ' ÉCRITURE
INTRODUCTION
Permettre à nos élèves d'être de véritables usagers de la com-
munication, c'est bien un souci fondamental qui se présente à qui en-
seigne le français.
Comment apprendre à parler, à écrire, à lire, dans l'établissement
scolaire, en créant les conditions d'une communication réelle ?
S'agissant précisément des apprentissages de lecture/écriture, on
est amené à proposer des situations de communication assurant à
l'élève les interlocuteurs qui vont lui permettre de vivre les dimen-
sions langagières de l'écrit. Vivre avec les enfants n'est-il pas d'au-
tant plus nécessaire que l'objet auquel on souhaite leur donner accès
est plus distant, plus abstrait, plus étranger ?
C'est sûrement le cas de l'apprentissage de l'écriture qui pour
beaucoup d'enfants est de l'ordre du non-vécu avant l'apprentissage
en milieu scolaire, surtout quand sa fonction langagière n'est pas du
tout perçue. Si la didactique du français a pour visée permanente la
construction du sens par l'enfant (par la lecture, l'écriture, le dialo-
gue, les débats,...) la sémantique pragmatique révèle que ce n'est
pas par la connaissance seule de la langue comme système, comme
objet d'analyse, que la signification s'élabore.
La pratique des discours à partir de diverses situations vécues
(quels projets ?) doit viser à mettre en lumière le fonctionnement
réel de la langue dans toutes ses implications.
Cela exige que l'enseignement fasse entrer l'écrit dans les cir-
cuits de communication intégrant les habitudes de vie des enfants. Il
est important que l'enfant puisse parler en classe comme il parle à la
maison et que ce soit effectivement sa façon de parler et d'être qui
soit prise en compte comme point de départ de travail à opérer sur
lui-même et pour lui-même.
Comment mettre en œuvre des pratiques de productions et
d'échanges écrits et oraux sinon en favorisant ces échanges dans la
dynamique d'un projet collectif ? Un projet à réaliser ensemble per-
met aux enfants de n'être plus seulement voisins de classe mais aussi
partenaires et interlocuteurs dans l'ensemble des tâches à accomplir.
La réalisation du projet suppose alors que la vie du groupe ne soit pas
ignorée mais qu'on en favorise l'émergence par une relation pédago-
gique adaptée.
I. L ' AMBIANCE DE TR A V AI L :
PR ÉA L A B L E AUX A P PR ENTIS S AGE S ?
Le projet consistait donc à établir une histoire qui puisse servir
de support à un spectacle de jeu théâtral. Il s'agit bien d'un projet qui
s'actualise grâce aux activités qu'occasionne le jeu théâtral dès la
rentrée.
Dès les premiers jours de l'année, il nous semble en effet pri-
mordial de veiller à établir un climat de classe basé sur la simplicité et
la confiance qui favorise les échanges et les relations interpersonnel-
les. Peut-on considérer que le climat de travail est un préalable aux
apprentissages de l'écriture dans la mesure où l'enfant est amené à
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se livrer, à s'engager personnellement dans ses productions ? Comme
l'écrit Pierre BARTH 1 :
"Si les enfants s'engagent totalement dans leur création en fai-
sant appel à ce qu'ils ont de plus intime, ils prennent le risque consi-
dérable de se remettre en question et d'affronter le regard critique
des autres tout en éprouvant le plaisir de fonctionner dans leur totali-
té et dans le dépassement de leurs propres limites."
Dans cette perspective, l'accueil de toutes ces propositions est
essentiel. Ce n'est pas seulement le maître qui est attentif à accueillir
les propositions des élèves mais aussi tous les membres du groupe-
classe pour chacun d'entre eux. Socialiser les apprentissages, ne se-
rait-ce pas aussi, en classe, aider le groupe à se constituer, c'est-à-
dire à devenir un élément d'auto-formation pour chacun de ses mem-
bres et à évoluer de façon à permettre une vie affective intégrée à
l'école ? Parvenir à ce que chaque enfant puisse se situer comme l'un
des pôles de la communication, c'est parier sur le développement so-
cio-affectif autant que sur le développement cognitif tout en jouant
sur les nécessaires articulations.
La vie du groupe va permettre à l'enfant d'essayer toute une sé-
rie de comportements sociaux relevant de l'intégration (être accepté)
et de la différenciation (jouer son rôle propre). S. Mollo a pu écrire : `
"C'est vers neuf-dix ans que la solidarité des enfants atteint son
apogée. Le groupe des camarades est extrêmement valorisé. C'est
l'âge des copains. Le groupe dépasse les seuls liens affectifs ; il est le
véhicule des pratiques sociales et permet un renforcement de la per-
sonnalité en faisant pénétrer l'enfant dans les diverses catégories de
rapport à autrui… La socialisation est bien une interrelation entre
l'enfant et le milieu, interrelation à laquelle le groupe procure un sup-
port privilégié. Le groupe est une donnée fondamentale de la psycho-
genèse "
Clarifier les enjeux et les objectifs du projet ainsi que les fonc-
tionnements au niveau des échanges dans le groupe pour permettre à
l'enfant de construire sa personne en même temps qu'il construit son
savoir serait une manière de s'engager à faire de la classe un milieu
de vie où le droit pour l'enfant de se sentir reconnu est considéré
comme une exigence éducative fondatrice. Cependant, au delà des
slogans généreux, le climat de travail et la vie de la classe, s'ils peu-
vent être considérés comme des "préalables" aux apprentissages ré-
ussis de l'écrit, n'en sont pas pour autant des éléments sur lesquels
on peut compter dès les premiers jours de l'année. Le dynamisme du
groupe et l'intégration d'un enfant à la vie du groupe ne sont pas des
données acquises d'emblée mais des réalités à construire.
En effet, nous ne voudrions pas tenir des propos angéliques et
donner à penser que le climat de travail s'instaure "naturellement" et
que le spectacle se construit de façon magique. Le préalable évoqué
II. VI VR E L E PRO J ET :
CON STRUIRE UN S P ECT AC L E DE J EU THÉÂTR A L
a - Pré sen t a tion du proje t
Nous avons souhaité que les activités de jeu théâtral "vitalisent"
les apprentissages de français et que les élèves soient impliqués dans
diverses pratiques d'écritures inhérentes au projet. Durant cette an-
née scolaire 1986-1987, le jeu théâtral n'a pas été vécu comme une
activité de type "atelier", par exemple, immuablement une heure et
trente minutes à tel jour de la semaine et toute l'année. Au contraire,
et selon l'évolution du projet, les activités ont été vécues à des mo-
ments différents de la semaine, souvent trois fois par semaine pour
des séances d'environ trente minutes.
Vitaliser l'enseignement du français ? C'est-à-dire partager en-
semble des émotions grâce à des textes drôles qui évoquent, sous
bien des aspects, notre propre vie à l'école et à la maison pour nous,
élèves de CE2, de CM1 et de CM2. Lire ce texte à plusieurs parce qu'il
y a des dialogues, le jouer même parce que c'est trop drôle et à force
de le lire et de jouer plusieurs histoires de ce type, avoir envie d'en
écrire soi-même, tout seul ou à deux, parce que c'est vraiment génial
toutes ces histoires
Le choix est délibéré : approcher le jeu théâtral par les textes en
constatant les intérêts suscités chez les élèves et en assumant les
limites d'une telle approche basée sur la rencontre par les élèves des
livres écrits par Sempé et Gosciny évoquant les histoires du "Petit
Nicolas" (Éditions Folio et Folio Junior). C'est d'ailleurs l'intérêt spon-
tané des élèves pour ces histoires qui, six ans auparavant, nous ont
2 Yves REUTER - "Pour une autre pratique de l'erreur" Pratiques n° 44, décembre 84
(117-124) p. 121.
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amenés à nous engager, sans formation personnelle préalable, dans
les activités de jeu théâtral. La difficulté d'introduire le jeu théâtral
en classe tient peut-être à la relative rareté des textes susceptibles
d'intéresser les enfants de cet âge (huit-onze ans). Trop enfantin ou
trop difficile à aborder, c'est très vite l'écueil. Bien entendu, on peut
aborder le jeu théâtral autrement que par les textes, et l'évocation
de la progression du projet montrera qu'un travail corporel et que des
propositions d'improvisation collective relayeront ce travail sur les
textes.
Simplement, ces saynètes à trois ou quatre personnages adap-
tées des histoires du Petit Nicolas, constituent des situations de
communication plus que probantes pour les élèves qui sont très sen-
sibles à l'univers familier évoqué (école, maison) et à l'humour qui
s'en dégage. Leur degré d'implication dans la lecture et la mémorisa-
tion de ces textes est à la mesure de leur enthousiasme pour les mille
et un petits faits qui arrivent à Nicolas et à ses camarades. Pourquoi
se priver de ce qui "marche" en classe quand les enfants s'investis-
sent avec un réel plaisir ?
C'est bien l'une des spécificités du jeu théâtral de proposer un
lien de communication et d'expression à l'intérieur du groupe qui peu
à peu fait l'expérience de ses divers intérêts, de ses habiletés et de
ses difficultés à jouer et à créer. Faire correspondre des activités
d'apprentissage à des jeux, c'est inviter l'enfant à s'engager totale-
ment au point de nous étonner par son aptitude à se dépasser, à
s'imposer ou à accepter des contraintes et des épreuves sans com-
mune mesure avec ce dont ont le croit ordinairement capable. Et
c'est vrai qu'en classe, les enfants nous révèlent des surprises.
"Il est fondamental que les activités théâtrales s'appuient sur le
jeu. Pas d'activités théâtrales à l'école sans ateliers de jeu, sans cet
espace de liberté, d'exploration passionnée et joyeuse des pouvoirs
du corps et de l'imaginaire. C'est par le jeu que l'enfant peut imiter,
simuler, modéliser, répéter, reprendre, s'essayer et inventer…
Il y a aussi le désir de se tourner vers l'autre, d'établir un
échange, qui permet en retour, de chercher sa propre identité."
Ce qu'écrivent J.-C. Lallias et J.-L. Cabet3 nous fait penser entre
autres exemples à Dalila, élève de CM1, qui avait toutes les peines du
monde à mémoriser les informations essentielles d'une synthèse
d'éveil. Deux jours après avoir pris connaissance d'un texte du "Petit
Nicolas" mettant en scène trois personnages (papa, maman, Nicolas),
elle avait surpris toute la classe en jouant par cœur le rôle de la ma-
man sans en avoir oublié aucun des ustensiles nécessaires à identifier
le personnage (tablier de cuisine, casseroles, ingrédients pour la re-
cette,...) accessoires qu'elle avait emporté en classe de sa propre
initiative.
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7. Répétition générale (jeudi 18 juin à 14 heures)
8. Représentation (vendredi 19 juin 1987 à 20 heures)
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3. Tra vail sur la v oix,
séanc e s d 'impro visa tion colle c tiv e
Toujours vécues sous le mode du jeu, ces séances programmées
en janvier et en février ne s'attachent pas au texte mais tentent
d'approcher au contraire les registres non-verbaux. Les enfants ont
perçu un certain nombre de contraintes relatives à la communication
théâtrale durant le travail sur les saynètes du Petit Nicolas. Les pro-
blèmes et les obstacles sont envisagés explicitement et travaillés en
fonction du projet de représentation. Les élèves sont véritablement
mentalement disposés pour un tel travail. Les improvisations collecti-
ves, à partir de consignes très simples, visent à libérer les énergies,
lever les inhibitions, éprouver le plaisir du jeu individuel dans le relatif
anonymat du groupe. En effet, si les consignes proposées amènent
d'abord les élèves à réagir, dans le même moment, individuellement
(adopter une attitude, faire une grimace, représenter un sentiment)
elles les invitent ensuite, graduellement, à collaborer dans l'improvisa-
tion (machine infernale, parade de cirque,...) à partir de situations
diverses.
Les gromelos ("mots" incompréhensibles proférés à voix forte)
et les jeux de diction complètent avec l'analyse de la pièce HOATME
que nous étions allés voir au théâtre La Fontaine, une sensibilisation
plus technique au jeu théâtral.
4. à 8. L e s a c tivit é s dé cloisonnée s
Si la phase 4 concernant la lecture et la mémorisation des textes
du spectacle a pu se vivre à l'intérieur de chaque classe, les phases 5
à 8 ont nécessité un décloisonnement entre les classes. En effet, cer-
taines scènes étaient jouées par des élèves de plusieurs classes.
A partir du début avril, il fallut convenir d'horaires plus précis
pour les activités de jeu théâtral, de façon à rendre possible les
échanges d'élèves entre classes. La souplesse que nous souhaitions
durant les six premiers mois dans la gestion de l'emploi du temps
n'était plus envisageable dès lors que s'engageait une collaboration
entre 58 élèves. C'était en effet le postulat essentiel : tous les élèves
de l'école participeraient au spectacle, interviendraient sur scène. Les
rôles se sont partagés au fil des semaines.
Bien entendu, un tel travail ne peut s'effectuer sans une coopé-
ration et une concertation suivies entre enseignants. Plus qu'une mul-
tiplication de réunions, c'est plutôt un état d'esprit favorisant
l'échange permanent et le dialogue qui semble profitable pour mener
à bien un tel projet.
Si le projet est entrepris dès le début de l'année, ne serait-ce
que par le dialogue entre enseignants, alors chaque jour apportera
des occasions, exploitées ou non, pour avancer à quelque niveau que
ce soit (conception, partage des responsabilités, démarches à entre-
prendre,...). Encore une fois, les choses ne se font pas facilement
mais il est essentiel de se parler beaucoup pour être au clair par rap-
port aux idées que se font les uns et les autres du projet : cinq minu-
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tes de discussion à la récréation, vingt minutes à la sortie des classes
le soir, un quart d'heure à 11 h 30…
Ces échanges, ces "réunions informelles" sont très précieuses.
Le petit nombre de personnes engagées, trois enseignants, permet
un tel fonctionnement. Cela n'empêche pas les conflits passagers, les
incompréhensions provisoires, car certains choix sont parfois difficiles
à faire et à assumer.
Mais si on se permet parfois de déranger son collègue en ou-
vrant la porte de sa classe pour lui confier une "idée géniale" qui est
apparue subitement, on peut difficilement agir ainsi pour la communi-
cation avec les parents ou entre élèves. Deux réunions (second et
troisième trimestre) pour les parents désireux de participer au projet,
en plus de l'appel lancé au cours des réunions de parents dans cha-
que classe en début d'année, étaient relayées au troisième trimestre
par une lettre hebdomadaire écrite par les enfants (annexe 1).
Nous étions particulièrement attentifs au fait que les activités
du projet n'envahissent pas, aux yeux des parents, tout l'emploi du
temps. Des échanges informels entre enseignants doivent s'accom-
pagner d'une grande rigueur dans l'organisation du travail pour les
élèves vis-à-vis de la réalisation du projet. Ce ne fut pas toujours fa-
cile de tenir les horaires que nous nous étions fixés pour les répéti-
tions du mois de juin. D'ailleurs, le mot "répétition" n'a été employé
que le plus tard possible.
Auparavant, c'est un travail spécifique par groupe qui réunissait
les élèves. En avril et mai, tous les élèves ne décloisonnaient pas né-
cessairement en même temps dans chaque classe. C'est lorsqu'il fal-
lut penser l'enchaînement des saynètes et assurer la cohérence du
spectacle que des répétitions s'imposèrent pour tous les élèves en-
semble. Elles eurent lieu durant la première quinzaine de juin. C'est
probablement le moment le plus difficile à gérer dans la communica-
tion avec ceux qui, parmi les parents, ont un rapport quasi-obsession-
nel aux "programmes" et à l' "emploi du temps". Ces parents sont
très peu nombreux et c'est ceux-là que nous voulons convaincre le
jour de la représentation. C'est ce jour là, en effet, que sera éprouvée
la mesure du travail effectué par les élèves : voix audibles, mises en
scène précises, enchaînements réglés.
Mais ces moments sont vécus avec beaucoup d'intensité. Les
enfants, sur l'immense scène du théâtre La Fontaine, face aux trois
cent sièges qu'occuperont leurs familles le soir, vont se préparer à
réaliser le rêve d'une année. Et ce moment là ne repassera pas une
seconde fois. C'est ce soir, ce vendredi 19 juin 1987 à vingt heures
que les deux pans du rideau vont s'écarter pour révéler le décor de la
cour de récréation après la complainte de Nicolas qui avouera quitter
sa maison parce que sa maman l'a grondé encore une fois pour une
toute petite tâche sur le nouveau tapis du salon.
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III. PR ATIQUE S D ' ÉCRITURE S INHÉR ENT E S AU PRO J ET
Vivre un projet de jeu théâtral révèle que c'est aussi par le jeu,
par la satisfaction de ce "besoin naturel" pour l'enfant, qu'il est pos-
sible de former l'apprentissage de l'écriture. L'entrée dans la démar-
che pédagogique par le projet semble pertinente en tant qu'elle per-
met aux enfants d'y rencontrer des situations globales, fonctionnel-
les, selon lesquelles on lit, on écrit, on parle, on dialogue, on commu-
nique vraiment, "pour du vrai", "pour de bon",...
Ainsi, on est confronté réellement aux difficultés de la
communication. On apprend à les lever quand c'est possible, on
essaie de les déjouer, de les contourner. Parfois aussi, on se retrouve
dans l'impossibilité d'avancer et il faut bien essayer de comprendre
ce qui se passe, tenter d'analyser les dysfonctionnements (mise en
scène, élaboration des décors, construction de l'histoire,
incohérences morpho-syntaxiques).`
Il s'avère ainsi que des moments d'analyse plus structurée, invi-
tant à plus de cohérence, deviennent indispensables. Comment les
organiser de façon à les articuler avec des situations de communica-
tion par lesquelles se vit le projet ?
PROJET
Situations de Situations de
langage et de lecture et de
communica- communica-
tion orale tion écrite
Activités de libération
PRATIQUE ET
Écouter/Parler ANALYSE DE LA Lire/Écrire
LANGUE
Activités
de structuration
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La démarche globale décrite par D. Brassart et C. Gruwez6 qui
établit en relation explicite des "situations langagières problèmes" et
des temps d'"exercisation-objectivation" de la compétence de com-
munication dans ses divers aspects, permet de préciser l'articulation
entre les situations fonctionnelles "initiales" et les situations "décro-
chées" d'entraînement intensif d'un savoir-faire. Ces propositions re-
prises par J.-P. Jaffré avec le concept de situations différées qui ont
pour but de "résoudre les problèmes que l'on juge exemplaires en rai-
son de leur fréquence d'apparition au cours des situations fonction-
nelles7 répondent également au souci d'intégrer l'évaluation aux ap-
prentissages (auto-évaluation, grille d'évaluation, élaboration de cri-
tères,...), dimension que nous ne pourrons développer dans cet arti-
cle.
C'est par une telle démarche que nous avons tenté de promou-
voir un projet qui incitait les élèves à écrire tous les jours et à jouer
au théâtre le plus souvent possible tout en développant des exigen-
ces de questionnement vis-à-vis de leurs pratiques langagières.
A partir de la seconde semaine de classe, les élèves disposaient
de trente minutes (8 h 30-9 h 00) pour écrire et réécrire leurs tex-
tes, ou les lire (fichiers de lecture) ou/et réaliser des activités de re-
médiations (fichiers individuels d'entraînement). Ce temps, qu'ils ap-
prenaient à organiser de façon autonome est passé à 45 minutes
(8 h 30 - 9 h 15) après les vacances de Toussaint pour atteindre une
heure au retour des vacances de Noël et ce jusqu'à la fin de l'année.
L'articulation entre les situations fonctionnelles et les situations de
structuration au niveau du vécu quotidien de l'élève peut-être repré-
senté de la façon suivante :
(I )
TEXTES Séances collectives
(écritures et réécritures) ( II )
FICHES D'ENTRAÎNEMENT
( III )
100
pression) 10 l'élève les éprouve dans la réalisation du "chantier d'écri-
ture".
A titre d'exemple, les prolongements des séances collectives ou
les "remédiations" à partir de ses productions, c'est l'élève qui sera
invité progressivement à les situer en utilisant la batterie d'outils
dont il apprendra le maniement en les créant (cahier d'orthographe,
tableau de conjugaison, répertoire de vocabulaire, grilles personnelles
d'évaluation, dictionnaires,...). Ces outils répondent au souci de diffé-
renciation des itinéraires, dans la mesure où ils peuvent être consul-
tés au gré des besoins individuels manifestés. Mais il faut bien cons-
tater qu'au départ, le degré d'implication des élèves dans de telles
démarches est très variable et le fait d'échanger sur les "méthodes"
d'organisation dans le travail est profitable à tous.
D'ailleurs, au cours des séances plus ou moins improvisées, de
tels cas sont envisagés. Les élèves expriment leurs difficultés et
échangent à propos des procédés (habitudes de rangement, conseils
d'organisation, gestion mentale,...) qui permettent progressivement
la construction des itinéraires personnels. Les premiers à savoir jon-
gler avec habileté avec ces différents éléments décrivent à la classe
leur manière de procéder. Cette notion d'échange et d'entraide est
très importante à vivre dans le groupe. On se partage des solutions
pour mieux se définir des stratégies d'apprentissage, c'est-à-dire des
façons d'opérer sur les consignes et les matériaux à disposition pour
remplir les tâches fixées.
Les textes des saynètes ont été écrits et réécrits selon cette
organisation. Chacun d'entre eux, qu'il ait été ou non intégré -selon
quels critères ? - au spectacle, figure dans le cahier d'expression
écrite du ou des enfants concernés et a été communiqué à la classe
oralement (lecture) et par écrit (journal "nos impressions après le
spectacle").
102
naviguer avec plus ou moins de précision entre "partition program-
mée" et "improvisations permanentes".
J O URN A L D E C L A S S E :
Impressions sur le
spectacle.
ACTI VI TÉ S
D ' EX P RE S SION
ÉCRIT E
Tex t e s p er sonnels
racontant la pièce
représentée au
Théâtre La Fontaine
Agathe
105
Comment exploiter l'idée de départ ?
Dans les faits, les six semaines de novembre et de décembre ne
donnèrent pas de résultats probants. Il y eut deux raisons à cela :
--> toute l'école était partie en classe rousse et les trois premiè-
res semaines furent consacrées au journal comme annoncé précé-
demment.
--> dans la classe, les trois semaines précédant les vacances de
Noël, les propositions de textes affluèrent. Les enfants s'étaient mis
par deux pour écrire (cinq groupes). et les autres écrivaient seuls. La
proposition de départ avait libéré les imaginations et chacun propo-
sait sa version des recherches entreprises. On ne s'était donné au-
cune consigne pour l'écriture et les histoires dialoguées "partaient
dans tous les sens".
106
- Une scène aura lieu dans la cour de récréation au tout début du
spectacle Une douzaine d'élèves évoqueront l'absence de Nico-
las et les recherches éventuelles à entreprendre. Elle sera écrite
par trois élèves de CM1 et deux élèves de CM2.
- Les groupes de recherche rencontreront des Clairères annon-
cées par des mélodies interprétées à la flûte ou au chant. Ces
clairières seraient des royaumes de l'imaginaire où tout serait
possible.
- Dans chaque clairière seront représentés des textes d'auteurs
ou écrits en collaboration avec les auteurs. Chaque clairière déli-
vrera un "message" susceptible de nous renseigner sur la desti-
nation de Nicolas.
T EX T E S T EX T E S T EX T E S T EX T E S
D ' ENF ANT S D ' AUT EUR D ' AUT EUR D ' AUT EUR
a ve c la adap t é s p ar le s
collabora ti on enfan t s
d 'un au t e ur
Mme. V a nd e wlle
I. Nicolas quitte la
maison
CM1-CM2
(Sempé-Gosciny)
2. Bulletin d'in-
formation
CM1-CM2
3. La cour de ré-
création
CM1-CM2
6. (PRAZ)
La ponctuation en
comédie
CM1-CM2
7. Les aventures
de Marcelin
CM1-CM2
107
8. La forêt musi-
cale CE2-CM1 et
CM2
9. LA CLASSE
CM1-CM2
Clotaire à des lu-
nettes
(Sempé-Gosciny)
Le code secret
(Sempé-Gosciny)
On a eu l'inspec-
teur
(Sempé-Gosciny)
FINA L : . Les chansons françaises (La bande à Basile)
. Remerciements.
. On voudrait faire cette chanson (Y. Duteil).
CONCLU SION
Nous avons tenté de montrer très partiellement comment les
pratiques langagières (parler, lire, écrire) pouvaient être stimulées en
situation de communication par le projet théâtral.
Les dimensions pratiques de notre entreprise se développent se-
lon deux exigences dialectiquement complémentaires au cœur même
de l'apprentissage : susciter le désir de lire/écrire et inciter à l'amélio-
ration du texte pour le rendre communicable par un travail de struc-
turation morpho-syntaxique et lexical. Nous avons constaté qu'il fal-
lait avoir le souci de la personne sans renoncer à celui du groupe. En
effet, c'est la dynamique instaurée par le projet qui porte les élèves à
progresser pour le groupe et pour eux-mêmes. Cela conduit à exploi-
ter les ressources qu'apporte la vie du groupe/classe et à guider le
déploiement des itinéraires personnels tout en favorisant l'interdisci-
plinarité. L'amélioration des textes individuels ne peut s'opérer qu'en
organisant les conditions favorisant les itinéraires personnels pour
110
intérioriser les acquis notionnels et méthodologiques en fonction des
besoins réels de chacun (grilles d'évaluation, contrats didactiques).
Si l'on s'accorde avec D. Hymes pour dire que "ce qui importe ce
n'est pas de mieux comprendre comment le langage est structuré,
mais de mieux comprendre comment il est utilisé" 11 , on conviendra
que pour apprendre le français, il y a autant d'expériences à vivre que
de savoirs à s'approprier. Cependant, instaurer le jeu théâtral favori-
sant d'authentiques expériences langagières ne dispense pas de la
recherche d'une cohérence didactique en se donnant "les moyens
d'éviter la parcellisation à laquelle conduit aussi bien une pédagogie
conçue exclusivement en termes d'objectifs opérationnels, qu'une
pédagogie conçue en termes de disciplines juxtaposées". Cette cohé-
rence consisterait notamment à harmoniser la progression des activi-
tés vécues selon le projet et les "esquisses" de répartition posées
dans chaque discipline de français. Problème tentaculaire et épineux
que de réaliser cet équilibre instable. Il ne peut, nous semble-t-il,
s'engager que dans la mesure où on permet à chaque enfant de bâtir
son cheminement personnel (quelles plages de temps libre lui accor-
der ?) en lui apprenant à situer ses besoins en situations fonctionnel-
les et en lui apprenant à y remédier en situations de structuration
(collectives, individuelles ou par groupes).
Les perspectives de cohérences visées entraînent un certain
nombre d'exigences que nous devons assumer à la fois :
- au plan des "élucidations théoriques" nécessaires pour situer
les véritables enjeux des apprentissages en didactique de la langue et
de la communication (apports linguistiques ?)
- au plan des "réalisations pratiques" qui conditionnent les initia-
tives et les responsabilités prises par l'enfant pour rendre ses ques-
tionnements opérants.
Francis RUE L L AN
Centre de Forma tion P édagogique
LIL L E
112
ANNEXE 1
113
ANNEXE 2
Nicolas est parti de chez lui. Il est parti dans la forêt. La radio a annoncé que
Nicolas Martin est parti de sa maison.
CLO TAIRE "Mais tu n'as pas écouté la radio ce matin, Nicolas est parti de
chez lui".
A LCESTE "Oh ! c'est dommage, il allait m'inviter chez lui et j'avais bien en-
vie de manger du chocolat".
L A MAÎ TRE S S E
"Écoutez les enfants, Nicolas est en danger."
114
MAMAN "Ça m'étonne, d'habitude, tu le réclames toujours".
ANNEXE 3
Dans la cour d e r é cr é a ti on
Geoffro y Oui ! Je sais que mon beau chien s'est fait écraser.
Clo taire Il m'a demandé de lui prêter mon vélo, mais je n'ai pas voulu.
Al c e s t e Chez moi aussi Nicolas est venu. Il m'a demandé si je voulais aller
avec lui.
Maiscen t Et alors ?
Al c e s t e Alors, il m'a dit que quand on sera grand, on sera riche et on aura
une grande auto et un avion.
Eud e s Les copains, j'ai reçu une lettre de Nicolas ce matin, dans ma
boîte aux lettres.
L e s élè v e s Montre.
Agnan AIE !
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L e s copains
J e suis parti dans la forêt pour y trouver le secret et quand je
reviendrai j'aurai une auto et un avion.
Nicola s
Agnan Non, il ne faut pas y aller, il paraît qu'elle a des pouvoirs surnatu-
rels et maléfiques.
J o a chim Ça va on a compris.
Eud e s Comme chez toi Clotaire, quand on a joué aux cow-boys et aux
indiens.
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(en même temps) (le bouillon arrive)
L e s élè v e s Pourquoi ?
L e s filles Nicolas ?
Geoffro y Bien oui, Nicolas a disparu dans la forêt et nous faisons notre en-
quête pour le retrouver.
t ous Oui !
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( Agnan revient )
Agnan Vous êtes fous, vous ne pouvez pas aller dans la forêt, vous sa-
vez bien que c'est trop dangereux.
Rufus Et alors, tu veux laisser Nicolas dans la forêt sans lui porter se-
cours ?
J o a chim Lui porter secours ! Qui te dit qu'il est perdu ? Peut-être sera-t-il
revenu chez lui ce soir !
Maiscen t Tu n'en sais rien du tout. Tu ne veux pas aider Nicolas parce que
tu as peur.
Marie C'est çà, et demain on attendra après demain. Non, non, tout çà,
ce sont des excuses pour ne pas y aller.
Chris tine Pourquoi des excuses, on n'est pas des lâches. Il faut faire atten-
tion, c'est tout.
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