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Il est difficile de définir l’architecture ou de l’isoler se rend compte de l’illusion des proportions […] La magie
dans le cadre limité d’une science précise. Et même si l’on du théâtre, peut-être est-ce aussi ce mélange d’illusion et
considère que c’est « le premier des arts », on ne peut l’y de réalité. »
reléguer exclusivement, vu qu’elle va puiser ses paradigmes L’architecture constitue le réceptacle dans lequel un
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primaire pour devenir un élément majeur, voire même un moindre – n’est pas nécessairement tributaire des formes,
outil médiateur des enjeux sociopolitiques qui peuvent se qui pourraient même disparaitre (dans le cas des espaces
transformer soudain en jeux dangereux pour l’humanité. enterrés ou naturels), au profit d’une façon d’occuper l’es-
On croyait le temps de la démolition de la Bastille révolu, pace ou de l’interpréter. L’interpréter vient ici dans le sens
mais le 11 septembre 2001 nous a appris qu’un bâtiment de l’imaginer, voire même de le créer de toutes pièces, car
symbolique reste un moyen par excellence de transmission comme le dit Heidegger (2009), « l’espace n’existe pas en
de messages multipolaires – ces messages dont la polysémie soi, il est une forme subjective de l’intuition de la subjec-
est décuplée par une diffusion planétaire en temps réel. La tivité humaine ».
monumentalité de l’œuvre ciblée, les « twin towers », et sa
symbolique, ainsi que la communication gigantesque pro-
voquée par la violence de l’acte, ont offert la possibilité aux
terroristes de susciter des réactions opposées en Orient et
Oscillation
en Occident qui se sont transformées en conflit, réveil- entre fonction et communication
lant un antagonisme religieux latent. Ce choc, dont nous
vivons les conséquences aujourd’hui, et pour un certain L’architecture a toujours été à mi-chemin entre la fonc-
temps encore, freine entre autres la marche de la globalisa- tion pure et la communication d’une image ciblée et étu-
tion et divise les sociétés. En définitive, l’enjeu est énorme diée pour répondre aux objectifs du commanditaire. Elle a
pour l’humanité : un bâtiment tombe, frappé par la haine, toujours oscillé entre un contenu nécessairement pratique,
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ce qui nous amène au constat que l’architecture n’est pas inadaptées au lieu et à la fonction, la frontière n’est plus
seulement un art mais aussi une science et une culture. claire de nos jours, et nous nous retrouvons souvent pri-
Si l’on admet que l’architecture est en partie une sonniers des images « vendeuses » au détriment de la
science, il faut assumer l’aspect de la recherche méthodo- logique, du besoin, et même de l’habitabilité. Gregotti
logique liée à sa facette scientifique, ce que certains consi- (2007) explique comment ce phénomène du « branding »
dèrent comme une déviation, voire même un sacrilège qui ou de la consommation de masse a pu générer un nou-
astreint l’art et tue la créativité. Cela n’est pas faux dans veau langage architectural au xxie siècle : « Puis ce fut au
l’absolu, mais tous les arts sont-ils assimilables et assu- tour d’une middle class liée aux sciences anthropologiques
jettis aux mêmes critères de « créativité » ? D’un autre côté, particulièrement influencée par la grande distribution de
la créativité est-elle du ressort exclusif des artistes ? N’est- masse et par la publicité, de produire des formes, qui une
elle pas aussi du ressort des scientifiques, surtout dans fois amalgamées aux interprétations professionnalistes du
le domaine de la recherche ? Dans ce cas, pourquoi crier moderne, ont produit un langage, hybride et riche. »
au scandale quand il s’agit de « normaliser » une situa- Les préceptes de la grande distribution auraient
tion ambiguë comme celle du rapport entre les sciences et contaminé l’architecture, qui se retrouve engagée dans ce
l’art dans le sens large, et plus précisément l’architecture jeu perfide de promotion, voire même de produit. Un pro-
qui se différencie des autres arts de par sa monumentalité duit qui éloigne l’architecture de sa mission originelle. Les
structurelle, mais aussi sa fonctionnalité qui en fait un architectures nouvelles, qui façonnent par juxtaposition
art utile, voire même indispensable pour la vie de tous d’objets indépendants les villes émergentes des déserts, ou
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Le but de cette réflexion n’est pas de dénoncer la stan- ordre ; que le matériau a un ordre ; que la construction a
dardisation liée à la globalisation outrancière qui dénature un ordre ; que l’espace a un ordre à la manière des espaces
l’architecture, ni d’expliciter le paradoxe entre standardi- servants et des espace servis ; que la lumière a un ordre car
sation et fantaisie de l’architecture communicante, mais elle a l’ordre que lui donne structure, tout cela afin que la
d’aborder de façon pragmatique la dérive de cette dernière conscience des ordres soit ressentie. » (Ibid.). L’architecture
vers un extrême qui fait que la frénésie de la communi- est soumise à toutes ces lois et à bien d’autres encore qui
cation autour de l’œuvre architecturale devient un atout font que l’aspect intuitif ou créatif n’est pas suffisant à
majeur de « présence » qui s’impose souvent au détriment lui seul. D’où le besoin de régulation, de structuration de
de l’art même dans sa conceptualisation. Il serait donc l’esprit avant le projet, de réflexion qui prend en compte
utile de repenser l’architecture, et d’y intégrer la recherche toutes les variables artistiques, naturelles et scientifiques
scientifique, pas en tant que principe structural immuable dans la conception du projet. C’est là où la méthodologie
qui la rigidifie et brime sa créativité, mais en tant qu’élé- de la recherche peut aider, et c’est par ce moyen que l’archi-
ment régulateur qui freine sa dérive vers des courants qui tecte évite les erreurs de perception et d’appréciation dues
lui font perdre son âme et dénigrer sa mission. La recherche au seul instinct créatif.
permet d’interroger en permanence la pertinence de l’ac- Il est légitime à nos yeux d’accuser les politiques et
tion et ouvre la voie à une remise en question des savoirs les économistes (ou commerçants), ainsi que la commu-
et pratiques du métier. nication globale ravageuse, de corrompre l’architecture et
d’engager les architectes sur la voie de la quête du superflu
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ne sont pas antinomiques, mais complémentaires. Il suffit prouvé que c’est possible. Leurs artistes ne sont pas brimés
de trouver le dénominateur commun, et l’adaptation des pour autant, et le « système » ne s’est pas effondré pour
arts au « système » – ou le système aux arts – se fera sans avoir dérogé à certaines de ses « lois » ou dérangé son
remous majeurs. L’expérience dans de nombreux pays a ordonnancement.
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