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Arnaud Corbic, « La place de l'écriture dans la perspective d'un christianisme non
religieux chez Dietrich Bonhoeffer », Revue d'éthique et de théologie morale
2007/HS (n°246), p. 127-147.
DOI 10.3917/retm.246.0127
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Arnaud Corbic
LA PLACE DE L’ÉCRITURE
DANS LA PERSPECTIVE
Mon propos ici n’est pas celui d’un exégète, mais d’un lecteur
de la Bible en quête de comprendre comment l’Écriture vient
fonder et éclairer les réflexions théologiques de Bonhoeffer
durant sa captivité. Rien d’étonnant que la lecture de la Bible
tienne une place centrale dans la vie et la réflexion du pasteur
luthérien, et cela en lien avec son expérience, avec les autres
lectures qu’il fait en prison, son dialogue avec la culture et la
modernité, en particulier avec les hommes sans religion. Il s’agira
ici d’expliciter le rapport de Bonhoeffer à l’Écriture, ainsi que
les fondements bibliques de ses derniers écrits quant à la question
d’un christianisme non religieux.
2. Ibid., p. 332.
3. Voir, en particulier, Paul BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, vol. 2, Accomplir les
Écritures, Paris, Éd. du Seuil, « Parole de Dieu », 1990.
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Suite note 9
une conception du christianisme qui ne laisse plus d’autonomie aux réalités du monde,
et qui omet précisément que le Christ a révélé que le monde comme monde a du prix
pour Celui qui l’a créé; en second lieu : une conception laïciste qui ne laisse plus de
place à la réalité dernière qu’est Dieu, et qui omet que le monde a été adopté dans
l’Incarnation, la Croix et la Résurrection du Christ qui a mis son sceau sur toutes choses.
10. Dès 1935, dans une conférence donnée aux étudiants poméraniens de l’Église
confessante à Finkenwalde, intitulée Le Christ dans les psaumes, Bonhoeffer affirmait
que « la piété ou l’impiété de celui qui prie dans les psaumes subsiste, tout comme
le caractère laïc du psautier. [...] Le monde dans le psautier reste ce qu’il est, à savoir
le monde. Mais Dieu entre dans ce monde : le Christ est au milieu des hommes pieux
et de ses ennemis » (Richard GRUNOW (éd.), Textes choisis, trad. Lore Jeanneret,
Genève/Paris, Labor et Fides/Centurion, 1970, p. 207).
11. « [...] le Verbe s’est fait chair ».
12. D. BONHOEFFER, Résistance et Soumission, p. 338.
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13. Les protestants allemands se divisèrent : les uns, les chrétiens allemands, furent
inféodés au Führer; les autres, dont Martin Niemöller, le Suisse Karl Barth et Dietrich
Bonhoeffer, lui résistèrent sous le nom d’Église confessante. Celle-ci se constitua
formellement autour de la confession de foi adoptée à Barmen en mai 1934. Plus tard,
la répression et le sentiment national manipulé par les nazis allaient provoquer des
défections dans ses rangs. C’est alors que Bonhoeffer déclarera : « Celui qui se sépare
de l’Église confessante se sépare du salut. »
14. D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 167.
15. Le paragraphe aryen, qui fut accepté le 5 septembre 1933 par l’Église unie de Prusse,
interdisait à quiconque ayant du sang juif ou marié avec un juif d’exercer un ministère
public dans l’Église.
16. « L’exclusion des judéo-chrétiens hors de la communauté détruit la substance de
l’Église du Christ [...]. L’Église n’est pas la communauté de ceux qui sont de la même
espèce, mais elle est celle des étrangers qui ont été appelés par la Parole. Le peuple
de Dieu est un ordre au-delà de tous les autres » (Richard GRUNOW (éd.), op. cit.,
p. 181 s.).
17. « Chasser les Juifs de l’Occident signifie chasser le Christ; car Jésus-Christ était juif »
(D. BONHOEFFER, Éthique, p. 66).
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« CHRIST ET LE MONDE
D E V E N U M A J E U R ³ ¹ »
28. Gerhard VON RAD, Israël et la sagesse, trad. fse, Genève, Labor et Fides, 1971, p. 72-77.
29. Ibid., p. 117-120.
30. Ibid., p. 193.
31. D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 387.
32. Ibid., p. 408. [Souligné par A.C.]
33. Ibid., p. 390.
34. Ibid., p. 434.
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38. Voir K. BARTH, Dogmatique (Kirchliche Dogmatik, 1946), 1 vol., t. II, chap. II,
3 section, § 17, trad. fse, Genève, Labor et Fides, 1954, p. 71 s.
39. Voir, là encore, la parabole du fils perdu et retrouvé (Lc 15, 11-32).
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C’est lui qui a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies“,
NdA] indique clairement que le Christ ne nous aide pas par sa
toute-puissance, mais par sa faiblesse et sa souffrance! Voilà la
différence décisive d’avec toutes les religions. La religiosité de
l’être humain le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu
dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie
à la faiblesse et à la souffrance de Dieu; seul le Dieu souffrant
peut aider. Dans ce sens, on peut dire que l’évolution du monde
vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une
fausse représentation de Dieu, libère le regard de l’homme pour
le diriger vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa
place dans le monde par son impuissance. C’est ici que devra
intervenir « l’interprétation séculière » [intra-mondaine (weltlich),
NdA]⁴¹.
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43. On pourrait dresser ici un parallèle avec l’œuvre de Hans JONAS dans la tradition
juive d’aujourd’hui : Le Concept de Dieu après Auschwitz. Une voix juive, trad. Philippe
Ivernel, Paris, Payot & Rivages, « Rivages poche », 1994.
44. Voir H. JONAS, op. cit., p. 37 et 38. C’est le rabbin Isaac Louria (1534-1572) qui a
introduit dans la Kabbale la notion de Tsimtsoum, phénomène de contraction divine
permettant à la Création de prendre place.
45. Voir D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 491.
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46. Rm 8, 15; Ga 4, 6.
47. Voir, en particulier, D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 256.
48. Ibid., p. 450.
49. Ibid., p. 452.
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54. Gesammelte Schriften III, Eberhard BETHGE (éd.), Munich, Kaiser, 1960, p. 57.
55. « Jésus revendique pour lui et pour le royaume de Dieu la vie humaine entière dans
toutes ses manifestations » (D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 408).
56. « Matthieu 25, 36 subsiste comme ce qu’il y a de plus important » (ibid., p. 293) :
« J’étais nu, et vous m’avez vêtu; malade, et vous m’avez visité; en prison, et vous
êtes venus à moi. »
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60. Eberhard Jüngel reconnaît en Bonhoeffer l’un de ses inspirateurs. Voir E. JÜNGEL,
Dieu mystère du monde. Fondement de la théologie du Crucifié dans le débat entre
théisme et athéisme (Gott als Geheimnis der Welt. Zur Begründung der Theologie
des Gekreuzigten im Streit zwischen Theismus und Atheismus, 1977), t. I, trad. fse
sous la direction de Horst Hombourg, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 116, 1983, p. 25 s.;
p. 85-96.
61. Gn 1. Durant le semestre d’hiver 1932-1933, Bonhoeffer avait enseigné comme
privat-docent à l’université de Berlin sur le thème de la création. Voir son cours : Création
et chute (Schöpfung und Fall), interprétation théologique de Gn 1-3. Voir aussi
H. MOTTU, « Le cours de D. Bonhoeffer : Création et chute », RSR, t. 83, n 4 (1995),
p. 621-637.
62. Avec André Dumas (Une théologie de la réalité : Dietrich Bonhoeffer, Genève, Labor
et Fides, 1968, p. 130) et Bernard Lauret, nous préférons traduire Nachfolge par
« suivance », à la fois plus dynamique et plus fidèle à l’allemand et à la perspective de
Bonhoeffer que l’expression « suite du Christ » (qui renvoie à la traduction latine, sequela
Christi), entendue parfois au sens de L’Imitation de Jésus-Christ, laquelle s’est inscrite
dans une tradition plus contemplative et plus intérieure. Or, il ne s’agit pas, pour
Bonhoeffer, de suivre les traces de Jésus, ni d’imiter ses gestes de manière littérale,
mais de suivre le Christ ici et maintenant, pour reprendre le leitmotiv de l’Éthique.
Nachfolge (Christi), traduit ici par « suivance », implique davantage la dynamique de
suivre le Christ aujourd’hui. Nachfolge est employé absolument (sans complément
de nom) en allemand. En français, cet usage n’est guère avéré [voir dans ce même
volume la contribution de Hans-Christoph Askani, NdE].
63. D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 452.
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64. Ibid., p. 432 s. La veille de sa mort, le dimanche 8 avril 1945, Bonhoeffer avait
prêché sur le texte du jour, tiré d’Es 53 : « En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées,
ce sont nos douleurs qu’il a supportées », et sur 1 P 1, 3.
65. D. BONHOEFFER, Résistance et soumission, p. 438.
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