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PIERRE REVERDY, À VERS LIBRE RIME LIBRE

Isabelle Chol

Le Seuil | Poétique

2006/1 - n° 145
pages 99 à 99

ISSN 1245-1274
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Chol Isabelle, « Pierre reverdy, à vers libre rime libre »,
Poétique, 2006/1 n° 145, p. 99-99. DOI : 10.3917/poeti.145.0099
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Isabelle Chol
Pierre Reverdy, à vers libre
rime libre
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Dès ses premières publications de textes poétiques1, Pierre Reverdy refuse de
choisir entre prose et poésie. Aux recueils de poèmes en prose publiés dès 1916 se
mêlent des recueils de poèmes en vers2, que complètent les contes et le roman poé-
tique Le Voleur de talan, accordant une large place au vers, au segment graphique.
Ce va-et-vient entre les formes, voire cet échange que manifeste encore le recueil
La Guitare endormie, dans la version accompagnée des dessins de Juan Gris3, faisant
alterner poèmes en vers et contes, ne s’accompagnent pas du rejet de toute différen-
ciation générique des textes. Pierre Reverdy, théoricien, insiste sur une opposition
fondamentale entre le prosateur – le romancier plus précisément – et le poète4.
Toutefois, la liberté prise par rapport aux formes régulières du vers met en valeur
l’irréductibilité de la poésie à un simple appareil formel codifié et fixé:

Les moyens sont le contraire des procédés; se borner à obtenir une perfection
formelle déjà créée, c’est se donner pour but le jeu de moyens déjà établis et
connus. Ce n’est ni un noble effort à tenter ni un but élevé à atteindre.
(«Certains avantages d’être seul», Sic, octobre 1918, n° 32.)

Refusant la réutilisation servile des moyens ou règles poétiques qui relèvent d’une
convention collective, l’œuvre n’en reste pas moins pour le poète une structure,
une tentative de mise en ordre dont les moyens seuls permettent de lutter contre
tout excessif et naïf sentimentalisme:

L’esprit, l’anecdote, l’expression libre, etc., sont des concessions faites au public qui
s’y raccroche plus facilement. Les artistes qui créent en art se préoccupent surtout
des moyens et d’en contrôler les fruits. C’est en effet grâce aux moyens qu’on peut
apporter quelque chose de nouveau, qui ne soit pas une indifférente et superficielle
manifestation de personnalité sentimentale ou spirituelle.
(Nord-Sud, octobre 1918, n° 16.)

Ainsi, toute parole poétique est d’abord, pour Pierre Reverdy, le lieu de cette
tension entre les données collectives – dont font partie les règles de versification –,
la prosodie linguistique, et un discours né d’une initiative individuelle5. Le main-
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tien, cependant plus aléatoire, de la rime, dans les poèmes de Pierre Reverdy, per-
met de rendre compte de cette tension. Mais, dans un contexte où l’uniformité
poétique n’est plus de mise, où la ligne typographique et syntaxique a subverti
l’usage majoritaire du vers régulier, la présence de la rime pose d’autres questions
que celle du respect de la règle, surtout pour un poète qui refuse la contrainte et se
veut résolument moderne. Si ce «bijou d’un sou6» continue, dans toute sa bana-
lité poétique, à faire signe, l’étude du rôle qu’il occupe, dans sa présence aléatoire,
dans son rapport aux vers, à la strophe ou au poème, permet de souligner qu’il
investit une place nouvelle, celle laissée libre par le refus du lyrisme excessif et par
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l’humilité ou la discrétion fondamentales de l’œuvre, une place paradoxale donc,

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expression du doute et de la disjointure.

Pierre Reverdy n’utilise pas de façon systématique la rime. Cette reprise sonore
finale, participant habituellement d’une mise en rapport des vers, supposant une
lecture tabulaire, n’est pas strictement respectée. Elle apparaît cependant à l’inté-
rieur des différents recueils, des poèmes ou des strophes graphiques. Perdant son
caractère obligatoire et conventionnel, elle devient un simple moyen parmi
d’autres, plus aléatoire. Son silence s’accompagne alors aussi d’une réévaluation
matérielle de l’aspect arbitraire de la répétition, substituant, à la suite d’Apolli-
naire7, à la différence graphique entre rime masculine et rime féminine, un écho
qui se donne d’abord comme sonore. Dans «4 et 9» (Quelques poèmes), «rire» et
«mourir» forment une rime riche, convoquant ainsi les expressions figées «mourir
de rire» et «avoir le cœur à rire», et construisant un autre écho sonore croisé entre
«armes» et «mourir»:

On a des armes pour rire


Et un cœur pour mourir.

Dans le même recueil, le poème «O» fait rimer «nuit» avec «pluie», puis «par-
tie», réduisant le bout-rimé à une simple assonance.
Si la rime est aléatoire par sa place, elle est aussi approximative du point de vue
de sa nature. La rime suffisante entre «bruit» et «nuit» est intégrée, dès le début
du poème «Stop», à une assonance en /i/ («rit», «scintille»), reprise à la fin
(«vite», «vitrine»):

Le bidon de pétrole
Et le bruit
Celui qui le porte rit

Une cigarette qui scintille


Dans la nuit
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Le tramway traîne une mélodie dans ses roues


Et une chevelure de lumière
Les étincelles de celle qui passe par la portière
Ses yeux sont tombés sur le rail

Un arrêt facultatif où personne ne descend


On repart
Le train mon cœur et mes mains ce soir sont en retard
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Je voudrais voir le bout de tes souliers

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Je voudrais savoir ce que tu penses de ce premier voyage à pied
Derrière les autres

Ils s’en vont vite


Ils t’ont laissé
Au coin du trottoir
Et la poupée qui sortit une fois de sa boîte
Dans la vitrine
Te dit bonsoir

La rue est grande et triste comme un boulevard

Le /i/ appelant par glissement la semi-consonne /j/ permet de construire entre ces
deux moments, à l’intérieur du texte où les vers s’allongent, les échos entre
«lumière», «portière», «rail», «souliers», «pied». C’est encore le privilège prêté à
la nature phonique de la rime qui construit l’écho entre le dernier vers isolé (et le
dernier mot «boulevard») et la rime entre «trottoir» et «bonsoir». Le premier terme
a introduit lui-même, par un jeu d’inversion, le mot «boîte» (/tRotwar/ – /bwat/).
Le refus de tout procédé systématique se double ainsi du maintien d’un lien par
échos sonores approximatifs. Il ne faudrait cependant pas en déduire une prépon-
dérance accordée à la seule matière sonore8, les rimes sont aussi graphiques et donc
visuelles:
On entend crier
C’est un oiseau de nuit
La montagne avale tout
Tous ceux qui ont peur sont debout
Les autres dorment
On descend l’autre côté du monde
On glisse dans un trou qui n’a pas de fond
On est content de s’en aller
Le ciel se fond

Et un petit clocher se dresse au bord de la mer.

(«P. O. Midi», Quelques poèmes.)


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La présence de rimes phoniques strictes – rime pauvre, ou assonance («tout»,


«debout»), rime riche («de fond», «se fond») dont l’écho sonore devient antana-
clase – est associée à l’utilisation d’un certain nombre de reprises phoniques
allant de la diminution par suppression d’un phonème («monde», «fond») à
l’allitération en /d/, réunissant «debout», «dorment» et «monde». Elle devient
un rappel graphique, intégrant «fond». Autre écho graphique, «s’en aller», repris
par «la mer», construit un lien sémantique entre le mouvement désiré et le lieu
traditionnellement associé au départ, la mer. L’écho à la rime normande se double
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de la reprise de mètres connus, l’octosyllabe et l’alexandrin.

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Le caractère approximatif de la rime devient alors le signe du refus d’une équiva-
lence stricte et régulière, au bénéfice de variations plus importantes, n’aboutissant
cependant pas à l’absence de toute structure répétitive sonore en fin d’unité. Entre le
refus des répétitions liées à l’ordre établi et la négation de toute reprise de structure,
Pierre Reverdy choisit une voie médiane, qui trouve un écho dans cette réflexion
du Livre de mon bord: «Mon caractère ne supporte pas la contrainte, mais mon
esprit se cabre de dégoût dans le désordre9.» Entre l’asservissement aux règles et le
libre jeu des échos sonores surréalistes, il donne à la rime une place intermédiaire.
Le constat de son caractère aléatoire doit être atténué par l’analyse des lieux d’ap-
parition dans le poème, dès lors qu’elle n’est pas présente sur l’ensemble. La rime est
placée à des moments stratégiques du poème, particulièrement au début et à la fin,
assurant la traditionnelle clôture et la lecture circulaire du mode poétique:

PLUS D’ATMOSPHÈRE (La Guitare endormie)

L’enseigne de la rue dévoile son mystère 12 syllabes (alexandrin)


Le bras tendu près du balcon porte un haltère 12 syllabes
Les yeux sont agrandis par un dernier rayon 12 syllabes (alexandrin)
Le clocher devient bas
Un nuage le casse
Dans le jardin l’arbre pourrait tomber
Une main rassemble les branches
Et les serre comme un bouquet
Les mille doigts du vent frappent plus fort à la fenêtre
La tête qui paraît regarde dans le ciel
Attend ce qui peut arriver
Les cercles lumineux qui fermaient le tonneau du monde se défont
Et l’air plus chaud qui monte 6 syllabes
Soulève le plafond 6 syllabes

Les trois premiers vers sont mis en équivalence métrique – ils reproduisent le
modèle de l’alexandrin – et les deux premiers sont réunis par la rime. Le troisième
trouve un écho dans le dernier segment graphique, un hexasyllabe complétant la
structure métrique de l’avant-dernier segment, lui aussi de six syllabes. L’alexan-
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drin décomposé fait alors écho, du point de vue des rimes («défont», «plafond»),
au vers précédent. Ce qui est d’abord une figure de l’expression met en valeur le
fonctionnement métalinguistique du texte et des figures du contenu, la métaphore
du «tonneau du monde» et «les cercles lumineux» qui «se défont» sont mis
en relation par la structure syntaxique et l’assonance («monde», «défont»). La
métaphore stéréotypée du «tonneau du monde» est revisitée, et sa reformulation
s’effectue par l’évocation de ce qui se défait, supposant à la fois une disjointure
(sème lié au préfixe négatif dé) et un dynamisme (sème lié au morphème lexical du
verbe). De même, le schème de l’obstacle lié à l’évocation du «plafond», complé-
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tant celui de l’enfermement, se trouve aussi reformulé dès lors que le mot est mis

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en relation phonique avec «défont» et en relation syntaxique avec «soulève». Les
vers mettent en scène l’activité poétique, comme déliaison, déconstruction de ce
qui est figé, régulier, en même temps qu’ils désignent un jeu entre le dedans et le
dehors, et l’ouverture possible de l’un à l’autre. La rime, plus largement le langage
poétique, ressaisissent cette opposition fondamentale entre le cosmos et l’homme10,
et l’expérience poétique, dans son dynamisme, manifeste le désir de construire une
nouvelle proximité entre le dehors et le dedans11.
La rime permet alors de dépasser le strict plan du pathétique, source de la
poésie12. Elle est un des moyens de l’émergence du poétique. Le poème «D’un
autre ciel» commence par une interrogation, un constat et un appel à l’aide:

Que veux-tu que je devienne


Je me sens mourir
Secours-moi

sorte d’introduction suivie de l’évocation du voyage, du pays natal à Paris:

Pays natal qui me revient tous les matins


Le voyage fut long
J’y laissai quelques plumes

Les segments graphiques sont des unités prosodiques de longueurs très variables,
de deux à treize syllabes, parfois reliées par les reprises phoniques finales n’ayant
cependant pas un caractère très régulier. La fin du texte, reprenant le sème de la
solitude, multiplie au contraire les échos sonores dont la fonction de mise en équi-
valence13 est renforcée par la répétition des mêmes structures métriques:

Que vais-je devenir 6 syllabes


Quelqu’un touche mon front d’une ombre fantastique 12 syllabes (alexandrin)
Une main 3 syllabes
Mais ce que j’ai cru voir c’est la fumée du train 12 syllabes (alexandrin)
Je suis seul 3 syllabes
Oui tout seul 3 syllabes

Personne n’est venu me prendre par la main 12 syllabes (alexandrin)


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Par-delà l’isotopie de l’abandon et de la solitude, le texte, de pathétique, devient


aussi poétique, exprimant ce désir de lien que soulignent la rime et la répétition du
mot «main»14. Le désir suppose alors une tension vers une plénitude se refusant
toujours15, imposant aux recueils ce ressassement et ce recommencement inces-
sants qu’a montrés Georges Poulet16, recommencement plus général de la poésie et
du sujet pour Henri Meschonnic17, cette incomplétude prenant la forme du frag-
ment. La non-régularité dans l’emploi des vers codifiés, ou de la rime, oriente le
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texte vers une cohésion sans cesse menacée par l’éclatement. Elle s’inscrit dans

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cette réflexion sur une incapacité à trouver sa place dans un monde qui se refuse
ou au contraire enferme le sujet. Le poème est le lieu même de cette tentative
jamais aboutie pour ajuster des pierres souvent irrégulières.
La présence de rimes permet alors de réintroduire des équivalences entre les vers,
équivalences déjà construites par les régularités métriques:
[…]

On descend l’escalier pieds nus


C’est un cambrioleur ou le dernier venu
Qu’on n’attendait plus
La lune se cache dans un seau d’eau
Un ange sur le toit joue au cerceau
La maison s’écroule

Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule

(«Surprise d’en haut», La Lucarne ovale.)

L’assonance en /y/ réunit des vers aux longueurs inégales, la régularité domine
cependant la fin du texte. L’équivalence phonique en /o/, redoublée («seau
d’eau»/«au cerceau»), est associée à une équivalence métrique, celle du décasyl-
labe dont la subdivision en deux parties égales donne le schéma du vers qui suit
comportant cinq syllabes: «La maison s’écroule.»
Mais comme le montre cet exemple, il s’agit une fois de plus d’un procédé
employé de façon non systématique, sujet à variation. Les vers réunis par la rime
sont certes majoritairement des vers codifiés, mais les longueurs varient, introdui-
sant une différence à l’intérieur d’une unité phonique, constituée par la rime, et
transtextuelle, celle du vers fixe:
Si tout ce que l’on n’attend pas allait venir
Si tout ce que l’on sait allait finir
Nouveau décor

(«Tourbillons de la mémoire», Cale sèche.)


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Rime et anaphore ont la même fonction de construire une structure supérieure au


vers, dont la régularité est cependant atténuée par le changement de mètre.
L’écriture de Pierre Reverdy manifeste cette tension vers une stabilité impossible, à
l’origine d’un équilibre précaire entre ce qui se répète et ce qui change ou sort du
patron rythmique, entre redondance et variation, que la redondance soit secondaire
par rapport à une liberté faisant disparaître la rime dans le corps du poème ou qu’elle
imprime une structure dont la fixité est cependant toujours réduite par la différence:

[…]
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Et tout dans le quartier semble marcher d’un bloc 12 syllabes (alexandrin)
Vers le même signal 6 syllabes
Même les arbres 4 syllabes
Même le parapet 6 syllabes
Et les groupes de marbre 6 syllabes
les passants réveillés 6 syllabes
les portes des maisons 6 syllabes
les rêves envolés 6 syllabes
Et l’air de la chanson 6 syllabes

[…]

Et puis la nuit revient 6 syllabes


Un œil bleu la surveille 6 syllabes
Derrière le volet une lampe qui veille 12 syllabes (alexandrin)

(«Nuit et jour», Cœur de chêne.)

L’avant-dernier vers de six syllabes rime avec l’alexandrin final. L’équivalence par
les rimes, entre les deux derniers vers, est atténuée par le décalage typographique.
Cependant, les deux vers plus brefs («Et puis la nuit revient», «Un œil bleu la
surveille») correspondent métriquement à deux hémistiches égaux, reconstituant
un seul alexandrin. Les vers qui précèdent sont aussi unifiés par le nombre de
syllabes régulier et par leur disposition sur le même axe vertical. Tout semble donc
«marcher d’un bloc», même si l’annonce du quatrain n’est pas réalisée. Et
le «bloc» lui-même, «groupes de marbre», joue sur la variation métrique – le
4-syllabes, intrus, rimant cependant avec un 6-syllabes –, et sur la variation dans
l’emploi des rimes – deux 6-syllabes ne riment pas.
Ainsi la rime participe à une mise en équivalence des vers, souvent en renfort
d’autres procédés (la typographie, la structure métrique). Cependant, elle n’est
plus seulement redondante par rapport aux autres modes d’organisation du
poème. Ils prennent alors chacun une indépendance produisant une structure dans
une composition d’ensemble non pas homogène mais multiple.
La fonction de la rime dans la strophe révèle ce même fonctionnement. Sa pré-
sence assure une cohésion en renfort de la typographie:
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[…]
Mais pour toi qui m’as rappelé
Il va falloir que je me lève
Allons les beaux jours sont passés
Les longues nuits qui sont si brèves
Quand on s’endort entrelacés

Je me réveille au son lugubre et sourd


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D’une voix qui n’est pas humaine

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Il faut marcher et je te traîne
Au son lugubre du tambour
Tout le monde rit de ma peine
Il faut marcher encore un jour

(«Dans le monde étranger», La Lucarne ovale.)

Si la rime assure ici la cohésion des strophes typographiques aux longueurs


variables (cinq puis six vers), elle dépasse le plus souvent cette seule structure. De
même que les derniers vers isolés sont inscrits dans l’ensemble du texte par la
reprise d’un phonème final préalablement posé, de même, les échos à la rime (/e/
et /ir/ pour ce qui concerne l’exemple suivant) relient des vers insérés dans des
strophes différentes:
J’ai perdu le secret qu’on m’avait donné
Je ne sais plus rien faire
Un moment j’ai cru que ça pourrait aller
Plus rien ne tient
C’est un homme sans pieds qui voudrait courir
Une femme sans tête qui voudrait parler
Un enfant qui n’a guère que ses yeux pour pleurer
Pourtant je t’avais vu partir
Tu étais déjà loin
Une trompe sonnait
La foule criait
Et toi tu ne te retournais pas
[…]
(«Ruine achevée», La Lucarne ovale.)

Les fonctions de la rime varient donc selon les textes. Rare dans le poème, elle
réunit certains vers; plus développée, elle retrouve sa place dans la structuration de
la strophe, mais celle-ci dépasse alors le plus souvent ce cadre pour relier les diffé-
rentes unités typographiques.
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Le caractère souvent non redondant de sa fonction, par rapport aux autres


moyens de mise en équivalence, n’en fait donc pas un simple renfort de la strophe.
Elle participe au contraire de la complexité de l’ensemble textuel proposant une
structure multiple qui varie selon les différents niveaux, syntaxique et typogra-
phique, métrique et rimique:

PARIS-NOËL (Quelques poèmes)


[1] Il neige sur le mont Blanc
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[2] Et une grosse cloche sonne dedans

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[3] Jusqu’en bas une procession de gens en noir descend

[4] Les cœurs brûlent à feu couvert


[5] Une ombre immense tourne autour du Sacré-Cœur
[6] C’est Montmartre
[7] La lune forme la tête
[8] Ronde comme ta figure

[9] Au temps des flammes plus ardentes


[10] Et de nos jours
[11] Chacun a une petite étoile
[12] Elles rampent
[13] La rue est noire et le ciel clair
[14] Un homme seul veille là-haut
[15] En longue robe blanche
[16] Le lendemain est un dimanche
[17] On sort de cette maison sans en avoir l’air
[18] On est gai
[19] Un bonheur qui tremble encore est né
[20] Le plus grand champ du monde est à l’envers
[21] Et des bêtes courent
[22] Elles ne veulent plus voir ce qui s’est passé
[23] L’ancien miracle est dépassé
[24] Au fond de l’ombre où l’on remue
[25] Un homme monte tête nue
[26] Le soleil s’appuie sur sa tête
[27] Quand on ne le voit plus on commence la fête
[28] Minuit
[29] Un homme marche devant et on le suit
[30] La Seine est là
[31] Et on entend sur l’eau claquer des pas
[32] Le reste se passe dans les restaurants de nuit
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Le poème comporte ainsi une structure visuelle de huit strophes typographiques


hétérométriques. En revanche, la reprise de mètres connus introduit une autre
structuration faisant se correspondre:
• les vers 4, 9, 13, 14, 16, 23, 24, 25, 26, des octosyllabes, placés à trois reprises en
début de strophe (v. 4, 9, 14), écho redoublé encore par la reprise d’un même
sème («feu», «flamme»);
• les vers 5, 17, 22, 27, dodécasyllabes, voire alexandrins pour les vers 5 et 27.
La rime tisse d’autres liens, construisant une structure plus complexe encore, aux
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réseaux multiples:

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• la première strophe propose une correspondance entre la typographie et la rime;
• le phonème /ã/ sert de trame liant, par assonance, les vers 9, 12, 15 et 16, ces
deux derniers formant une rime suffisante;
• la reprise de /εR/ permet de construire un écho entre les vers 4, 13, 17 et 20,
certes trop éloignés pour que l’effet de rime soit marqué.
Mais cet éloignement est compensé par:
• la contre-assonance en /R/ concernant, en plus des précédents, les vers 5, 6, 8, 10
et 21. Elle introduit aussi la reprise phonique en /yR/, pour les vers 10 et 21, annon-
çant l’assonance en /y/ formant une rime pauvre pour les vers successifs 24 et 25;
• l’assonance en /ε/, reliant aux vers précédents le vers 18, mais aussi les vers 7, 26
et 27, les deux derniers étant réunis par une rime suffisante.
Les échos sonores tissent ainsi des trames multiples18, permettant de réduire l’effet
de rupture lié à la distance entre les vers rimant ensemble. Ils organisent des réseaux
se défiant de toute fixité et régularité prévisibles, et de toute fonction de simple
redondance par rapport aux structures typographique et métrique. C’est aussi refu-
ser la fonction ornementale de la rime ou de l’homophonie finale, et en faire un
moyen qui maintient une cohésion textuelle tout en intégrant un éclatement, pas-
sant par la multitude des perspectives, des structures proposées. La rime ne trouve
plus sa place dans un texte uniforme, elle est aussi un facteur de ce qui se joue dans
le poème, entre équilibre et déséquilibre, entre jointure et brisure.
La présence de réseaux sonores dépassant le cadre de la rime est un facteur de
cohésion textuelle. Il participe au principe de composition du poème, tissant des
réseaux qui font se répondre les lignes typographiques et prosodiques.
La rime a une fonction accentuante, dès lors qu’elle s’inscrit plus largement dans le
cadre d’une répétition de phonèmes consonantiques dans une syllabe ouverte. En ce
sens, elle n’est plus systématiquement une mise en rapport d’unités métriques égales,
mais un rapprochement d’unités prosodiques et syntaxiques variables, dans une écri-
ture où la ligne typographique est en concordance avec la structure syntaxique. Le
poème «Stop» (cf. ci-dessus, p. 100) propose ainsi un écho consonantique entre
«rit», «roue», «rail» placés en fin de vers, se doublant des reprises internes («tram-
way», «traîne» et «train») et de la paronymie entre «repart» et «retard». La simple
redondance exacte est remplacée par des glissements sonores, reliant «bruit» et
«rit», puis «lumière» et «portière», devenant «souliers» et «premier».
Les jeux phoniques ne sont pas seulement consonantiques, à fonction pro-
sodique accentuante. Doublés d’un système vocalique, ils mettent en rapport
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des séquences dont la cohésion est aussi sémantique. Dans «Dernier recueil»
(La Lucarne ovale), le phonème /e/ en fin de vers (vers 1, 2, 6, 8, 9, 11, 13, 20, 23)
constitue une trame organisant une série sémantique liée à l’évocation du passé et
de la vieillesse, traversant l’ensemble du texte:
[1] Je lis à travers ton front jaune et ridé
[2] Les rires les éclats les lumières du passé
[3] Dansent
[4] Tu es saoule
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[5] Autrefois les boulevards étaient gais
[6] C’était un bal auquel ta vie était liée
[7] Maintenant c’est un cimetière
[8] On enterre les souvenirs ton passé
[9] Une à une tes dents sont tombées
[10] Et tu peux encore sourire
[11] Sans pleurer
[12] La coupe où tu baignais le bout de tes doigts
[13] S’est brisée
[14] Et tu y penses
[15] Le soir où tu es revenue pour la première fois
[16] Et qu’il n’y avait personne
[17] Dans la rue les lumières s’éteignaient
[18] On avait fermé les portes
[19] Et tu étais triste
[20] Les jours passés les yeux mouillés
[21] Reviennent et défilent
[22] Maintenant c’est le temps qui ferme sa porte
[23] Et c’est là que tu dois rester
[24] Sans rien voir
[25] Attendant qu’on t’emporte
Élément de la mise en rapport, l’isotopie formelle construit une isotopie séman-
tique. Le jeu des rimes s’inscrit alors dans une volonté de rapprocher des réalités
éloignées, voire opposées, répondant à la définition de l’image que Pierre Reverdy
propose dans Nord-Sud 19. Ainsi le poème «P. O. Midi» construit, dans la troi-
sième strophe, une opposition sémantique entre «dehors» et «dedans» placés en
fin de vers. La similitude phonique de la première syllabe est réorientée par la
deuxième introduisant deux rimes distinctes. Elles réunissent des termes apparte-
nant aux deux isotopies: «dehors» rime avec «s’endort» et «dedans» avec «vent».
La ressemblance phonique est alors un moyen de construction textuelle exprimant
la dissemblance et l’opposition, mettant en scène l’impossibilité pour le poète de
trouver une place stable dans un monde qui se refuse.
Mais, au-delà de ce constat, l’énonciation porte les marques d’une tentative de
composition et de structuration. Les enchaînements phoniques constituent alors
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110 Isabelle Chol

une trame redistribuant les éléments épars de ce qui réfère à un réel éclaté. Elle
construit une identité, à l’origine de l’émergence d’une unité sémantique, par-
fois atteinte: le poème «O» (Quelques poèmes) fait rimer les trois vers successifs:

Elle passe devant la bouche d’égout


Le trou
Quel dégoût

Mais la cohésion, le lien, entre les différents niveaux de l’expression et du contenu,


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sont assurés par un jeu d’homonymes («d’égout», «dégoût») introduisant l’hu-

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mour, mis au service de la reprise de sèmes négatifs qui réunissent le «trou» récur-
rent dans les poèmes de Pierre Reverdy et le «dégoût» au préfixe privatif. La
cohésion permise l’espace de quelques vers ne renvoie finalement qu’au manque et
à la privation, exprimés sur le mode du calembour. C’est encore une rupture que
met en valeur le poème, rupture exprimée par le contenu, et rupture dans le ton,
léger, alors même que l’unité recherchée est atteinte. Les poèmes sont alors,
comme le souligne Henri Meschonnic20, «inséparablement un jeu de langage et
une forme de vie, et l’invention de l’un par l’autre».

Pierre Reverdy ne refuse donc pas complètement la rime, mais sa présence irré-
gulière, qui ne met cependant pas en péril les équivalences rythmiques, traduit une
distance prise par rapport à la convention, déjà manifeste dans le choix des vers,
libres, gardant néanmoins le souvenir des formes anciennes. C’est encore une
volonté de refus de toute régularité stricte qui préside à ces choix formels, liée à
une esthétique de la réception et de l’émotion: l’homme (et le lecteur) doit
être «troublé et rassuré alternativement», écrit Pierre Reverdy, dans En vrac21. Ras-
suré par la répétition, la reconnaissance de formes connues; troublé par la varia-
tion ou la nouveauté. La rime est présente et absente, et sa présence n’est pas que
redondance.
Elle est ainsi un moyen parmi d’autres – reprises phoniques, voire graphiques –,
un moyen qui trouve cependant une certaine autonomie, participant à la compo-
sition du poème aux multiples structures, aussi métriques et typographiques.
Ces structures se croisent sans jamais complètement se superposer à l’échelle du
poème. Induisant des rapports sémantiques et prosodiques, la rime trouve place
dans un énoncé répétant la brisure, le manque, l’éclatement. Sa présence dans une
énonciation qui tente de maintenir une unité ou une cohésion relève alors d’une
quête du continu par la parole, par-delà la disjonction. Son emploi n’est plus lié au
désir de la loi, ou au respect de la règle, mais aux lois du désir, désir d’une unité,
insatisfait.

Université de Clermont-Ferrand
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NOTES

1. Le corpus étudié se limite aux poèmes publiés entre 1916 et 1922, dans les recueils Quelques poèmes
(1916), La Lucarne ovale (1916), Les Ardoises du toit (1918), Les Jockeys camouflés (1918), La Guitare endor-
mie (1919), Cœur de chêne (1921), Cravates de chanvre (1922). Ces recueils ont été réunis dans la publica-
tion de Plupart du temps en 1945. C’est cette édition qui sera retenue pour ce qui concerne les poèmes cités
et la disposition des vers sur la page.
2. Nous emploierons ici le terme de vers dans son sens large, non réduit à la métricité parfaitement régu-
lière. Voir à ce sujet: Benoît de Cornulier, Art Poëtique, Lyon, PUL, coll. «IUFM», 1995, p. 190.
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3. Pierre Reverdy, La Guitare endormie, Paris, Imprimerie Littéraire, 1919, recueil accompagné de quatre

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dessins de Juan Gris, dont un portrait de l’auteur. L’ouvrage peut être consulté à la bibliothèque littéraire
Jacques-Doucet.
4. Pierre Reverdy précise ainsi dans Le Livre de mon bord (Paris, Mercure de France, 1948): «Le poète est
maçon, il ajuste des pierres, le prosateur cimentier, il coule du béton» (p. 91), «le poète pense en pièces
détachées, idées séparées, images formées par contiguïté; le prosateur s’exprime en développant une succes-
sion d’idées qui sont déjà en lui et qui restent logiquement liées. Il déroule. Le poète juxtapose et rive, dans
les meilleurs cas, les différentes parties de l’œuvre dont le principal mérite est précisément de ne pas présen-
ter de raison trop évidente d’être ainsi rapprochées» (p. 132).
5. Cette interaction entre la convention collective, la composante linguistique et la prise de parole indi-
viduelle est analysée dans l’ouvrage d’Henri Meschonnic, La Rime et la Vie (Paris, Verdier, 1989), dont le
titre trouve encore un écho dans cette réflexion de Reverdy: «L’art pour l’art, la vie pour la vie, deux points
morts. Il faut à chacun l’illusion des buts et des raisons. L’art par et pour la vie, la vie pour et par l’art»
(Le Livre de mon bord, op. cit., p. 144).
6. Paul Verlaine, «Art poétique», Jadis et Naguère.
7. Aragon, dans «La rime en 40», souligne une volonté de rénovation de la rime: «Certains poètes, au
début du vingtième siècle, ont reconnu avec plus ou moins de netteté cette maladie de la rime, et ont cher-
ché à l’en guérir. Pour parler du plus grand, Guillaume Apollinaire tenta de rajeunir la rime en redéfinissant
ce que les classiques et romantiques appelaient rimes féminines et masculines» (dans Le Crève-cœur et Le
Nouveau Crève-cœur, Paris, NRF, coll. «Poésie/Gallimard», 1980, p. 65).
8. En réponse à l’enquête des «Cahiers d’études de radio-télévision» sur la diction poétique, en 1956,
Pierre Reverdy écrit: «La mémoire et la voix ont précédé non seulement la typographie mais encore les
tablettes et le papyrus. Je ne crois pas qu’il soit utile de revenir en arrière, et la forme poétique moderne a
perdu et perd de plus en plus ses liens avec la chanson. La forme en est devenue plus râpeuse – elle flatte
moins l’oreille, elle est moins agréable à entendre – dans les meilleurs cas, elle pénètre aussi plus profond.
Voyez-vous pour moi, je le dis nettement, il n’y a absolument qu’un moyen de contact entre le poème et
celui qui veut en prendre vraiment connaissance, c’est l’œil – parce que le poème ne peut atteindre celui qui
le reçoit que dans la solitude, l’intimité, le silence et le recueillement que seule permet la lecture individuelle
à l’écart.»
9. Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, op. cit., p. 75.
10. Renvoyant au modèle triadique mis en valeur par le groupe µ, dans Rhétorique de la poésie, Paris, Édi-
tions Complexe, 1977.
11. Ce jeu entre le dedans et le dehors, l’extérieur et l’intérieur, est plus précisément abordé dans mon
ouvrage: Isabelle Chol, Pierre Reverdy: Poésie plastique. Formes composées et dialogue des arts, Genève, Droz,
coll. «Histoire des Idées et Critique littéraire, 2006.
12. Pierre Reverdy déclare dans un entretien avec Jean Duché en 1948: «La poésie n’aura peut-être été
pour moi qu’un alibi, qu’il fallait de toute nécessité que je me crée pour supporter la vie. Ne sachant pas
gagner, que faire d’autre pour ne pas rester au fond de la cuve. Il fallait une ceinture de sauvetage pour sur-
nager. Il fallait en exploiter les moyens sans tomber dans le honteux travers d’étaler sans pudeur ses plus
intimes sentiments – sans exhiber ses plaies, ni trop habilement vouloir tirer parti de ses faiblesses. Il fallait
se sauver, non se perdre.»
13. A la suite de Benoît de Cornulier (op. cit., p. 30), nous employons le terme d’équivalence intégrant la
valeur que peut prendre cette autre notion qu’est la ressemblance.
14. Sur la fréquence et les valeurs du mot «main», cf. Jean-Pierre Attal, «Sens et valeur du mot “main”
dans l’œuvre poétique de Reverdy», Critique, avril 1962.
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15. Pierre Reverdy répète sans cesse, dans ses écrits critiques, l’importance de la privation, à l’origine de la
poésie: «[…] ce sont le désir et la privation qui donnent aux biens réels leur valeur poétique» (Le Livre de
mon bord, op. cit., p. 251), «La poésie est une absence, un manque au cœur de l’homme» (Cette émotion
appelée poésie, Paris, Flammarion, 1974, p. 61).
16. Georges Poulet, «Pierre Reverdy», dans Études sur le temps humain, 3, «Le point de départ», Paris,
Plon, 1961.
17. Henri Meschonnic, op. cit., p. 57: «Si la poésie est chaque fois un recommencement de la poésie, un
poème est un recommencement du sujet pour tout sujet. Il ne se fait pas dans le signe, pas plus dans le son
que dans le sens, ni écart ni compensation du signe, mais dans cette matière que le signe n’a jamais su com-
prendre, et qui échappe à son pouvoir. Parce que ce qui transforme les mots se passe entre les mots.»
18. Dans les années 1915-1918, influencée par le cubisme, la multiplication des perspectives du poème
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s’effectue aussi par un travail typographique décalant les vers, multipliant ainsi les marges, ou réorientant les

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lignes de lectures verticales et obliques. Je présente ces particularités typographiques dans Pierre Reverdy:
Poésie plastique. Formes composées et dialogue des arts, op. cit.
19. Nord-Sud, n° 13, mars 1918.
20. Henri Meschonnic, op. cit., p. 108.
21. Pierre Reverdy, En vrac, Paris, Flammarion, 1989, p. 28.

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