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L'UN, MODÈLE DE LA PENSÉE RELIGIEUSE DE BERGSON ?

Jean-Marc Narbonne

Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »

2012/1 Tome 75 | pages 77 à 86


ISSN 0003-9632
ISBN 9770003963008
DOI 10.3917/aphi.751.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2012-1-page-77.htm
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Archives de Philosophie 75, 2012, 77-86

L’Un, modèle de la pensée religieuse de Bergson?

J E A N - M A RC NA R B ON N E
Université Laval (Québec)

Pour donner une idée du défi que propose à l’esprit la pensée religieuse de
Bergson, je partirai tout d’abord d’une citation d’un auteur contemporain, lui aussi
à sa manière très préoccupé de religion, même si ses liens avec Bergson n’apparais-
sent peut-être pas d’entrée de jeu, je veux parler de Marcel Gauchet et de son étude
d’histoire politique de la religion 1, dans laquelle il écrit:
Il ne s’agit pas de nier l’essentielle nouveauté qu’introduit le message chrétien en
matière de compréhension de l’histoire. En y logeant le déroulement d’un plan de salut
divin, il lui confère une épaisseur, une dignité et un sens global, entre la chute, la venue
du Rédempteur et la fin des temps, dont aucune autre tradition n’avait jusqu’alors
investi le destin collectif de l’humanité. Et il est vrai également qu’au travers de la place
faite à l’attente eschatologique de la résurrection des corps et du Jugement dernier, il
constitue pour la première fois le futur en dimension cruciale de l’expérience terrestre.
Simplement, ce futur eschatologique, suspendu à l’imprévisible intervention extérieure
de la divinité, n’a rigoureusement rien à voir avec l’avenir historique devenu depuis
guère plus que deux siècles l’horizon actif de nos sociétés. L’attente du terme, si intense
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soit-elle, n’implique aucunement de prêter à la durée humaine la moindre puissance
productive – et productive en particulier de quelque chose qui serait susceptible de pré-
cipiter l’apocalypse rédemptrice. Nul rapport entre ce qui se passe dans l’histoire et la
fin qui lui sera assignée du dehors (toute l’opération des philosophies de l’histoire
consistera, par contraste, à connecter les deux). Ce qui est expérimenté au travers de
l’attente eschatologique, c’est que tout vient de Dieu et rien de l’homme, c’est la confir-
mation paroxystique de l’assujettissement présent au Tout-Puissant, que sa projection
dans l’espérance des derniers jours ne fait que renforcer ici et maintenant. Au lieu que
la tension de toute la pratique sociale vers un avenir à faire, c’est, strictement à l’op-
posé, l’attestation de ce que ce sont les hommes qui produisent leur propre monde dans
le temps, c’est l’affirmation en acte de ce que leur devenir créateur a son sens, ses déter-
minations et ses fins exclusivement en lui-même.
Dans L’évolution créatrice, on peut penser que Bergson cherche à accomplir
exactement ce qui est donné ici pour impossible par Gauchet, soit, dans un cadre
religieux chrétien que Bergson non seulement ne rejette pas mais qu’il compte
comme un ressort interne indispensable de sa réflexion, une temporalité créatrice en
acte, l’idée, en d’autres termes, d’une « réalité qui se créerait au fur et à mesure », ce

1. M. GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion,


Paris, Gallimard, 1985, p. 254-255. Nous soulignons.
78 Jean-Marc Narbonne

que Bergson dénomme une « durée absolue », par opposition à une vérité qui « serait
intégralement donnée dans l’éternité 2 », ou ce qu’il appelle encore « un accroisse-
ment progressif de l’absolu 3 ». Chez Gauchet, ce qui s’oppose au développement
créateur humain est précisément le plan divin, dont le caractère dynamique propre
n’est pas envisagé, renvoyé qu’il est à une eschatologie déjà donnée simplement livrée
à l’attente, alors que chez Bergson, c’est la totalité elle-même, faits et hommes ensem-
ble, qui s’invente à mesure qu’elle se crée; le programmé, au fond, est le processus
lui-même et non le terme auquel il est censé aboutir. On en trouve une belle image –
plotinienne, nous semble-t-il, d’inspiration – dans l’explication qui suit:
Quand l’enfant s’amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d’un jeu de
patience, il y réussit de plus en plus vite à mesure qu’il s’exerce davantage. La recons-
titution était d’ailleurs instantanée, l’enfant la trouvait toute faite, quand il ouvrait la
boîte au sortir du magasin. L’opération n’exige donc pas un temps déterminé, et même,
théoriquement, elle n’exige aucun temps. C’est que le résultat en est donné […]. Mais,
pour l’artiste qui crée une image en la tirant du fond de son âme, le temps n’est plus un
accessoire. Ce n’est pas un intervalle qu’on puisse allonger ou raccourcir sans en modi-
fier le contenu. La durée de son travail fait partie intégrante de son travail […]. Le
temps d’invention ne fait qu’un ici avec l’invention même. C’est le progrès d’une pen-
sée qui change au fur et à mesure qu’elle prend corps. Enfin, c’est un processus vital,
quelque chose comme la maturation d’une idée 4.
Pour Bergson, la poussée intérieure, à chaque instant, ouvre des possibilités iné-
dites, imprévisibles. Le temps lui-même et tout ce qui se trouve en lui est matriciel,
il est « temps-invention », comme l’énonce Bergson, et, l’idée même de « déplier tout
d’un coup » l’histoire des choses « doit renfermer une véritable absurdité 5 ».
Cette conception d’une « durée absolue », c’est-à-dire d’une pensée « qui change
au fur et à mesure qu’elle prend corps 6 » – Bergson en est pleinement conscient –,
est sans antécédent véritable, que ce soit à l’époque antique ou dans la science
contemporaine. Il écrit : « les ressemblances de cette nouvelle métaphysique [spécia-
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lement celle de Leibniz et de Spinoza] avec celle des anciens viennent de ce que l’une
et l’autre supposent toute faite, celle-là au-dessus du sensible et celle-ci au sein du
sensible lui-même, une Science une et complète, avec laquelle coïnciderait tout ce
que le sensible contient de réalité 7 ». Bref, pour l’une comme pour l’autre, le temps
ne fait rien à l’affaire, il n’est pas durée mais simple déroulement et succession,
oubliant qu’il doit y avoir « plus dans un mouvement que dans les positions succes-
sives attribuées au mobile 8 ».
À partir de là, nous nous proposons de préciser la nature du constat que Bergson
lui-même dresse de la pensée antique – en particulier de celle de Plotin – d’une part,
et de faire apparaître d’autre part les quelques éléments qui, à l’intérieur de cette

2. H. BERGSON, L’évolution créatrice, Paris, PUF, [1907] 1969, p. 353.


3. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 343.
4. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 339-340.
5. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 340.
6. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 340.
7. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 353.
8. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 315.
Les Grecs chez Bergson 79

tradition, ont pu contribuer à l’éclosion de la philosophie de Bergson dans ce qu’elle


a de plus original.

Les Grecs selon Bergson

L’on trouve chez Plotin un passage qui, de manière très caractéristique, abolit
l’efficience réelle du temps entraperçue par Bergson :
Si nous rangeons le principe directeur de l’univers dans la catégorie de celui qui sait,
nous devons considérer sa réflexion comme au repos, parce qu’elle est en possession de
sa limite […]. Et sa connaissance de l’avenir, si on concède qu’elle lui est présente, ne
sera pas telle que celle que l’on trouve présente chez les devins, mais comme celle de
ceux qui font advenir les choses avec la confiance qu’elles seront, ce qui revient à dire
ceux qui maîtrisent totalement, et pour lesquels il n’existe rien de douteux ni de dispu-
table, pour lesquels, par conséquent, l’opinion est ferme et ceux-là la retiennent pour
de bon. Ainsi, l’intelligence des choses qui doivent être est la même, en sa stabilité,
que celle des choses qui sont présentes 9.
La pensée de Plotin s’inscrit ici dans la lignée directe de celle de Platon, pour
qui le temps est une « image mobile de l’éternité », selon la célèbre expression du
Timée 37 d, reprise et commentée par Bergson, qui explique que le devenir n’a plus
rien de fontanier, qu’il aboutit « à faire du temps une dégradation, du changement
la diminution d’une Forme donnée de toute éternité 10 », ce qui amène ainsi à conce-
voir la physique comme un « véritable affaissement de l’ordre logique 11 ». D’où chez
Bergson un jugement que d’aucuns diront sans appel :
Cela revient à dire que la physique est du logique gâté. En cette proposition se résume
toute la philosophie des Idées. Et là est aussi le principe caché de la philosophie innée
à notre entendement. Si l’immutabilité est plus que le devenir, la forme est plus que le
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changement, et c’est par une véritable chute que le système logique des Idées, ration-
nellement subordonnées et coordonnées entre elles, s’éparpille en une série physique
d’objets et d’événements accidentellement placés les uns à la suite des autres 12.
Pour penser la durée, il faut alors remonter la pente non seulement de la science
moderne, imprégnée qu’elle reste de la pensée antique, non seulement de la philo-
sophie de l’Idée héritée de Platon et perpétuée par Aristote – qui essaya « en vain
[…] de s’y soustraire 13 » – et par les Alexandrins (Plotin), mais remonter la pente
naturelle de notre entendement, Bergson y revient très souvent 14 : « Pour penser le
mouvement, il faut un effort sans cesse renouvelé de l’esprit. Les signes sont faits
pour nous dispenser de cet effort en substituant à la continuité mouvante des choses
une recomposition artificielle qui lui équivaille dans la pratique et qui ait l’avantage

9. PLOTIN, Traité 28 (IV 4), 12, 16-28.


10. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 343.
11. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 320.
12. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 319. Nous soulignons.
13. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 321.
14. Cf. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 322: « le mouvement naturel de l’intelligence »;
p. 325 : « la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine » et note 16 ci-dessous.
80 Jean-Marc Narbonne

de se manipuler sans peine », ce que, on le sait, Bergson dénomme la « méthode ciné-


matographique 15 », et dont il dit qu’elle est « si naturelle à notre intelligence, si bien
ajustée aussi aux exigences de notre science, qu’il faut être deux fois sûr de son
impuissance spéculative pour y renoncer en métaphysique 16 ».
Sur les traits généraux du constat dressé par Bergson, selon lesquels la philoso-
phie grecque – comme pour l’essentiel toute philosophie – adosse le devenir à une
ou des entités données pour toujours déjà réalisées, réfère sans cesse, en d’autres ter-
mes, la puissance à une actualité qui non seulement la précède, mais l’enveloppe et
en détermine par avance tout le cheminement, l’on ne peut guère qu’être d’accord.
Certaines recherches modernes nous amèneraient cependant à nuancer peut-être le
portrait que dresse Bergson du divin chez Platon et surtout chez Aristote, à la fois
dans L’évolution créatrice 17 et Les deux sources de la morale et de la religion dont
l’exposé 18, plus complet, reste parallèle à ce qu’on trouve dans le premier. Nous pen-
sons à l’identification de l’Idée des Idées, l’Idée du Bien au divin, et à l’identifica-
tion subséquente du Premier Moteur, Pensée de la Pensée, au divin ou à Dieu lui-
même chez Aristote, qui ne font plus du tout l’unanimité. Bergson écrit dans Les
deux sources :
Il est vrai que Platon n’identifiait pas celle-ci [i.e. l’Idée du Bien] avec Dieu : le
Démiurge du Timée, qui organise le monde, est distinct de l’Idée du Bien. Mais le Timée
est un dialogue mythique ; le Démiurge n’a donc qu’une demi-existence ; et Aristote,
qui renonce aux mythes, fait coïncider avec la divinité une Pensée qui est à peine, sem-
ble-t-il, un Être pensant, que nous appellerions plutôt Idée que Pensée. Par là, le Dieu
d’Aristote n’a rien de commun avec ceux qu’adoraient les Grecs ; il ne ressemble guère
davantage au Dieu de la Bible, de l’Évangile 19.
Portrait similaire dans L’évolution :
Tel est le Dieu d’Aristote, – nécessairement immuable et étranger à ce qui se passe dans
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le monde, puisqu’il n’est que la synthèse de tous les concepts en un concept unique 20.
S’agissant de Platon, cette identification, qui était courante à l’époque 21, repo-
sait sur une interprétation néoplatonicienne tenant spontanément les Idées pour des
dieux, alors que Platon lui-même demeure peu explicite sur ce point. Le passage le
plus appuyé en ce sens est peut-être celui, en République (VII, 526 E 5), où le Bien
est déclaré « le plus heureux de ce qui est (τò εÇδαιµονéστατον το íντοσ) », le bon-

15. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 328.


16. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 346.
17. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 316-323.
18. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 255-259.
19. Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, [1932] 1967, p. 257.
20. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 321. Nous soulignons.
21. Cf. par exemple E. Chambry qui, dans sa traduction de la République (Paris, Les Belles
Lettres [Coll. Budé], 1931), écrivait : « Le Bien de Platon était dans l’Antiquité un dicton pour
désigner quelque chose d’obscur. La majorité des interprètes s’accordent à présent à identifier
le Bien de Platon avec sa conception philosophique de la divinité » (p. 134 n. 1). Et Chambry
de renvoyer alors à l’étude à ce sujet de P. SHOREY, On the Idea of Good in Plato’s Republic,
Université de Chicago, 1895.
Les Grecs chez Bergson 81

heur s’attachant naturellement, comme l’observait pertinemment Aristote, à ce qui


est divin 22, ou encore, lorsque Platon se réfère au Soleil comme au maître « des dieux
qui sont dans le Ciel (τòν ν οÇρανþ θεòν) » (508 A 3). En effet, si le maître des dieux
du Ciel est lui-même le rejeton (žκγονοσ) et comme l’analogue (‡νáλογον) du Bien,
on peut estimer que le Bien lui-même doit être quelque chose de divin, voire de
supra-divin. Or il est de fait que Platon lui-même n’en parle pas en ces termes, et
garde plutôt de la divinité une conception variée et foisonnante 23. La Pensée de la
Pensée est-elle le Dieu d’Aristote ? Par analogie seulement, dans la mesure où ce qui
relève de la divinité est transférable au Premier Principe qui, comme le dieu, est supé-
rieur aux réalités naturelles mortelles, et qui incarne non ce que le Dieu est mais la
science qui serait la sienne 24. Si cela est vrai, il s’ensuit que la « religion » d’Aristote
ne serait pas tournée vers cette abstraction détachée du monde que Bergson et d’au-
tres ont crue apercevoir, mais vers toutes ces figures divines traditionnelles de la
Grèce, soucieuses des hommes, bienveillantes et providentielles. Mais j’ai traité cette
question récemment ailleurs 25.

Les Grecs chez Bergson

Beaucoup plus intéressant est de chercher à voir si, dans la conception même du
divin qui transparaît dans L’évolution créatrice, quelque chose de la sensibilité grec-
que se maintient. L’on se retrouve donc à la recherche de ce qui, dans l’Antiquité,
participerait de ce qui s’invente à mesure qu’il se crée, d’un Dieu pour qui la créa-
tion ne serait pas simplement continuée mais continue 26, c’est-à-dire un Dieu se res-
sourçant et se renouvelant lui-même à chaque instant, bref un être entendu non
comme actualité et comme achèvement, mais comme dynamisme pur, et dont la
condition ou la disposition se créée au fur et mesure de l’opération, dont la subs-
tance même ou plutôt la quasi-substance résulte continûment de l’activité, en est
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pourrait-on dire la trace, selon le principe non plus où, comme on le disait tradition-
nellement, l’agir s’ensuit de l’être (operari sequitur esse), mais où, à l’inverse, Fichte
l’avait déjà énoncé, l’être s’ensuit de l’agir (esse sequitur operari).
L’on songerait spontanément à Héraclite, philosophe emblématique du devenir,
pour qui le changement constitue la ressource même de la réalité, et qui se réfère au

22. Cf. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, X 8, 1178 b 8-9.


23. À l’inverse, nous n’irions cependant pas jusqu’à soutenir, avec R. Bodéüs (Aristote et
la théologie des vivants immortels. I. Paris, Les Belles Lettres; II. Montréal, Bellarmin, 1992),
que « les idées intelligibles en général, dont participent les sensibles constituant notre monde,
et, en particulier, l’idée du Bien qui préside à leur ordre, sont les dernières choses à mériter le
nom de dieux » (p. 30).
24. Voir sur ce point les développements très suggestifs de BODÉÜS, Aristote, op. cit. (note
23), p. 70-74.
25. J.-M. NARBONNE, « Lévinas et l’héritage grec », in J.-M. Narbonne, W. Hankey, Lévinas
et l’héritage grec, suivi de Cent ans de néoplatonisme en France, Québec-Paris, PUL-Vrin,
2004, p. 34 sq.
26. Cf. H. Bergson (L’évolution, op. cit., p. 345) à propos du mouvement pensé comme un
absolu dans les Principes de la philosophie de Descartes (II § 36 sq.).
82 Jean-Marc Narbonne

Soleil comme à ce qui est non pas simplement « nouveau chaque jour, mais sans cesse
nouveau continûment (‡λλ@ ‡εì νéοσ συνεχòσ) 27 ». Bergson a bien retenu que « le
système d’Héraclite est un dynamisme radical », et donc proche, écrit-il, de ce « chan-
gement perpétuel qui, aujourd’hui, a si vivement frappé les partisans de la doctrine
de l’évolution 28 ». Mais le devenir, il faut se le rappeler, n’est pas pour Héraclite
ouvert à la manière de ce que Bergson entrevoit, puisque le Soleil, comme Héraclite
le relate lui-même, « n’outrepassera pas ses limites, sinon les Érinyes, servantes de
Dikè, le dénicheront 29 », et puisque, Bergson le notait, Héraclite admet malgré tout
« une substance permanente, le feu, qui se transforme à la manière d’une personne
humaine, qui passe par une série d’états, qui change continuellement et néanmoins
reste toujours la même 30 ».
À tout prendre, peut-être est-ce chez Plotin lui-même, que Bergson a plusieurs
fois enseigné et tant prisé, que l’on pourrait trouver ébauché quelque chose du Dieu
qui se renouvelle et s’invente sans cesse dont nous parle L’évolution. Non pas la chose
même, c’est sûr, mais quelque chose comme sa précondition.
Pour que la durée existe, pour qu’elle soit seulement envisageable, il faut,
comme le formule Bergson, que tout ne soit pas déjà donné 31, que le temps ne soit
pas rendu inutile 32, bref il faut que le but à atteindre soit autre chose « qu’un
modèle préexistant qui n’a plus qu’à se réaliser 33 ». En termes absolument géné-
raux, l’on posera donc qu’il faut que le dynamique prime sur le statique, la puis-
sance sur l’acte, l’activité proprement dite sur l’entéléchie. C’est à ces seules condi-
tions, en effet, que l’on peut entrevoir ce que Bergson dénomme un « accroissement
progressif de l’absolu 34 ». Or le concept d’une telle prépondérance et même d’une
telle préséance de la puissance sur l’acte, ne se rencontre à notre connaissance
qu’une seule fois dans la littérature grecque, quand Plotin, par un exorbitant exer-
cice de la pensée, en vient à affirmer que l’Un est davantage à ranger dans la puis-
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sance que dans l’acte, dans ce qu’il peut et veut que dans ce qu’il est, quand, autre-
ment dit, Plotin refuse pour son Principe tout forme de limitation, que celle-ci soit
extérieure mais aussi et surtout intérieure. Techniquement, Plotin exprime la chose
en parlant d’une activité sans essence ou substance. Il écrit à propos de l’Un : « Il
ne faut pas craindre de poser son activité première sans essence (ˆνευ οÇσíασ), mais
l’on doit poser cela même [i.e. cette activité] comme sa pour ainsi dire existence
(οµον Ãπóστασιν) 35 ». Plotin l’explique un peu plus loin, « l’activité est supérieure

27. HÉRACLITE, fr. 6 [Diels], trad. J.-P. Dumont, Les présocratiques, Paris, Gallimard
(Pléiade), 1988.
28. H. BERGSON, Cours IV, Paris, PUF, 1990, p. 166 et 168.
29. HÉRACLITE, fr. 94.
30. H. BERGSON, Cours IV, op. cit., p. 168. L’on n’a donc pas encore la durée, comme le
remarque l’éditeur ad locum.
31. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 38.
32. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 39 et 46.
33. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 51.
34. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 343.
35. PLOTIN, Traité 39 (VI 8), 20, 9-11, notre traduction.
Les Grecs chez Bergson 83

à l’essence (τελειóτερον Ó νéργεια τÒσ οÇσíασ) 36 », ce qu’on peut interpréter en


disant que ce qui se joue est supérieur au déjà joué. Or il n’y pas de déjà-joué dans
l’Un. Et tel est ce que Plotin conçoit comme l’absolue liberté : « Or une activité qui
n’est pas l’esclave d’une essence est purement libre (νéργεια δÑ οÇ δουλεúσασα
οÇσí‹ καθαρòσ στιν λευθéρα) 37 ». N’ayant pas d’essence, l’Un n’a pas non plus
de « nature », si bien qu’on ne peut dire qu’il agit « comme sa nature (÷σ πéφυκεν) »,
car c’est là aussi quelque chose de postérieur à lui 38. Ne possédant donc ni essence
ni nature identifiables, aucune approche réifiante ou chosifiante ne peut lui conve-
nir, et c’est pourquoi aussi Plotin parle plutôt de sa « pour ainsi dire essence (οµον
οÇσíα) » ou de sa « pour ainsi dire existence (οµον Ãπóστασιν) », toute détermination
fixe et arrêtée de ce qu’est le divin devant être bannie. Or, rien n’est plus contraire
aussi à l’esprit de Bergson que de réduire le divin à un concept clos, à un terme
fixe 39, à une définition, etc. Certes, chez Plotin il n’y a pas la durée, la morsure du
temps et le devenir progressif, mais l’on retrouve tout de même cette idée – sans
laquelle la durée elle-même ne pourrait apparaître – que le divin non seulement se
comprend mais se fait par son activité même, et l’on rencontre chez Plotin cette
phrase sur l’Un qu’à un élément près, nous semble-t-il, Bergson eût pu reprendre
textuellement à son compte s’agissant de son Dieu : « sa pour ainsi dire essence
coexiste et pour ainsi dire naît ensemble de toute éternité avec son activité (Ó οµον
οÇσíα συνοÂσα καì οµον συγγενοµéνη ξ α¸δíου τÞ νεργεí‹ ) 40 ». Retirons de la
phrase de Plotin la référence à l’éternité, pour la remplacer par un recours à la tem-
poralité, et l’on obtient une formule que, pour traduire son intuition profonde de
la durée, Bergson n’aurait peut-être pas récusée. L’ajout de la dimension temporelle,
c’est indéniable, change de fond en comble toute la perspective, mais la dimension
temporelle elle-même ne suffit pas, et reste au fond stérile, Bergson l’a assez répété,
si elle n’affecte pas de l’intérieur même l’entité qui est prise en elle, bref si la puis-
sance ne détient pas métaphysiquement parlant la possibilité de déborder l’acte qui
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la constitue, ce qu’admet pour la première fois Plotin.

Le malaise théologique de Bergson


Il est difficile, sur la base de L’évolution, de tirer un portrait très précis de la
manière dont Bergson se représente finalement le divin. Une description un peu pré-
cise, mais qui concerne en même temps Descartes – le seul exemple donné d’une
véritable métaphysique nouvelle impliquant la durée – laisse ouverte la question de
savoir si Bergson y adhère tout à fait. Il écrit:
Descartes croit au libre arbitre de l’homme. Il superpose au déterminisme des phéno-
mènes physiques l’indéterminisme des actions humaines, et par conséquent au temps-
longueur une durée où il y a invention, création, succession vraie. Cette durée, il

36. PLOTIN, Traité 39 (VI 8), 14.


37. PLOTIN, Traité 39 (VI 8), 17-18.
38. PLOTIN, Traité 39 (VI 8), 8, 15-16.
39. H. BERGSON, Les deux sources, op. cit., p. 279.
40. PLOTIN, Traité 39 (VI 8), 7, 52-53.
84 Jean-Marc Narbonne

l’adosse à un Dieu qui renouvelle sans cesse l’acte créateur et qui, étant ainsi tangent
au temps et au devenir, les soutient, leur communique nécessairement quelque chose
de son absolue réalité. Quand il se place à ce second point de vue, Descartes parle du
mouvement, même spatial, comme d’un absolu 41.
Bergson appuie ici son exégèse sur les Principes de la philosophie de Descartes
(II, § 36 sq.), d’où il tire plus que ce que, nous semble-t-il, l’extrait donne effective-
ment à lire. Mais là n’est pas le point principal. Ce qui compte, c’est la description
de Dieu comme ce qui est « tangent au temps et au devenir, les soutient, leur com-
munique nécessairement quelque chose de son absolue réalité ». Le Dieu et le deve-
nir-temps sont distingués ici, tant et si bien que la durée apparaît davantage comme
l’effet du divin que comme sa vie ou son être même. Mais si le devenir-temps est dis-
tinct du Dieu lui-même, en quoi, absolument parlant, y aurait-il accroissement de
l’absolu ? Le tout ne serait-il pas donné d’emblée, comme Bergson souhaite juste-
ment l’éviter 42 ?
Ailleurs dans L’évolution, les choses ne semblent pas si claires. Bergson parle
dans le même chapitre de la conception nouvelle pour laquelle le temps serait « un
accroissement progressif de l’absolu 43 », et il note un peu plus loin que dans l’an-
cienne comme dans la nouvelle métaphysique, qui n’est pas encore celle de Bergson
lui-même, l’on répugne « à l’idée d’une réalité qui se créerait au fur et à mesure, c’est-
à-dire, au fond, d’une durée absolue 44 ». Dieu, il est vrai, n’est mentionné en aucun
de ces deux passages, mais il l’est expressément dans un développement antérieur de
l’ouvrage où, en opposition au concept classique de création, Bergson développe
l’image de l’activité vitale comme image d’une réalité qui se fait à travers ce qui se
défait :
Si, partout, c’est la même espèce d’action qui s’accomplit, […] j’exprime simplement
cette similitude probable quand je parle d’un centre d’où les mondes jailliraient comme
les fusées d’un immense bouquet, – pourvu toutefois que je ne donne pas ce centre
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comme une chose, mais pour une continuité de jaillissement. Dieu, ainsi défini, n’a rien
de tout fait ; il est vie incessante, action, liberté 45.
Dans la durée, dont Bergson approfondit le concept, une opposition du type de
la chose d’avant par rapport à la chose d’après n’a plus sa place. Celle-ci est simple-
ment le reflet d’une segmentation contingente plaquée par notre entendement sur le
devenir, une vue prise sur le devenir, mais qui est malheureusement tenue pour le
réel lui-même. Désormais, la représentation même d’un écart possible entre Dieu et
son « produit », fondée sur le modèle de la τéχνη aristotélicienne et dont l’héritage a
pesé si lourd dans la compréhension du devenir, s’estompe et perd toute légitimité.
Le nouveau ne se surajoute pas inexplicablement à l’ancien, c’est plutôt que l’action
grossit en avançant et crée au fur et à mesure de son progrès 46.

41. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 345. Nous soulignons.


42. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 344.
43. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 343.
44. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 353.
45. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 249.
46. H. BERGSON, L’évolution, op. cit., p. 250.
Les Grecs chez Bergson 85

La représentation de Dieu comme d’un centre qui n’est pas une chose est ici très
éloquente et elle aussi très plotinienne. Bergson, qui a enseigné le traité 9 (VI 9) 47,
n’a pas pu ne pas être frappé par la métaphore du centre utilisée par Plotin en rap-
port avec l’Un 48, par l’insistance sur le fait aussi que l’Un n’est pas « quelque
chose 49 », et qu’il n’y pas non plus de séparation entre nous et lui 50, de même que
par la figure du jaillissement 51 si prégnante chez le néoplatonicien. Mais la question
du lien effectif entre Dieu et le devenir chez Bergson garde une partie de son mys-
tère, et la possible confusion entre le créateur et la créature (et de là le reproche de
panthéisme ou parfois de prométhéisme) a été, on le sait, soulevée fréquemment
contre lui. La précision apportée par Bergson dans Les deux sources n’aplanit évide-
ment pas toutes les difficultés, puisqu’il y est dit de l’effort créateur que manifeste
la vie, en une formule quelque peu équivoque: « Cet effort est de Dieu, si ce n’est pas
Dieu lui-même 52 ».
Comment réagir à cette énoncé? Il nous semble qu’il est dans l’esprit de la phi-
losophie de Bergson de ne pas répondre à ce type d’alternative ou, plus exactement,
que ce type de questionnement est l’inverse de ce qui constitue le cœur de l’appro-
che bergsonienne, qui consiste en général à commencer par se débarrasser des « faux
problèmes 53 », lesquels touchent ici « des difficultés accumulées par la philosophie
autour des attributs ‘métaphysiques’ de la divinité 54 ». Vouloir régler dogmatique-
ment la question de la nature du lien entre le divin et le monde, c’est croire que d’un
réseau de catégories arbitraires la réalité du divin pourrait naître, et comme référer
le religieux à la construction intellectuelle plutôt qu’à l’expérience que les hommes,
et tout particulièrement les mystiques, peuvent avoir de Dieu, l’expérience qui ne
varie guère et qui seule enseigne et convainc véritablement. Or, écrit Bergson, évo-
quant le problème de l’âme qui lui aussi doit être posé « en termes d’expérience 55 » :
« [L] a même méthode s’applique à tous les problèmes de l’au-delà 56 »,.
Telle est la conclusion dans Les deux sources, mais telle était déjà la méthode pré-
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conisée, et donc la réponse fournie, dans L’évolution. « Dieu, ainsi défini, n’a rien de
tout fait ; il est vie incessante, action, liberté 57 ». Comment expliquer cela? Bergson

47. Le cours fut donné au Collège de France en 1901-1902. Cf. H. BERGSON, Mélanges,
A. Robinet éd., Paris, PUF, 1972, p. 512.
48. PLOTIN, Traité 9 (VI 9), 8, 11-12 : « l’âme se déploie à partir d’un principe qui est du
même genre qu’un centre ».
49. PLOTIN, Traité 9 (VI 9), 3, 37. Sur le dépassement de la choséité du premier principe
plotinien, voir notre étude, « L’ou ti de Plotin », Cahiers philosophiques de Strasbourg, t. 8,
1999, p. 23-53.
50. PLOTIN, Traité 9 (VI 9), 9, 7-8.
51. Par exemple, 10 (V 1), 6, 7 et 11 (V 2), 1, 8-9.
52. H. BERGSON, Les deux sources, p. 233. Sur l’équivocité de la formule, cf. J.-L. VIEILLARD-
BARON, Bergson, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1991, p. 83.
53. H. BERGSON, Les deux sources, op. cit., p. 266.
54. H. BERGSON, Les deux sources, op. cit., p. 267.
55. H. BERGSON, Les deux sources, op. cit., p. 280.
56. H. BERGSON, Les deux sources, op. cit., p. 279.
57. Cf. note 45.
86 Jean-Marc Narbonne

poursuivait comme suit : « La création, ainsi conçue, n’est pas un mystère, nous l’ex-
périmentons en nous dès que nous agissons librement […] ; que l’action grossisse en
avançant, qu’elle crée au fur et à mesure de son progrès, c’est ce que chacun de nous
constate quand il se regarde agir ». Vouloir statuer sur le divin au-delà de cela, est-
ce pratiquer encore le bergsonisme 58 ? Il est évidemment permis d’en douter.

Résumé : Bergson a critiqué l’ensemble de la métaphysique occidentale, héritée du modèle


platonico-aristotélicien, pour son incapacité à penser une véritable maturation possible
des choses, un temps-invention, dans lequel la réalité se renouvèlerait au fur et à mesure
qu’elle se créerait – ce qu’il appelle la durée –, en opposition à un devenir dont le résul-
tat est toujours donnée d’avance, fixée dans l’Idée ou l’Intellect divin, tel un plan que l’on
se contenterait de déplier. Mais Bergson a sans doute trouvé également, tout particulière-
ment chez Plotin, les prémisses d’un dépassement de ce cadre grec classique, par exemple
dans la notion plotinienne de la préséance possible de l’agir sur l’être, renversant l’adage
selon lequel l’agir s’ensuit de l’être (operari sequitur esse), en celui de l’être qui s’ensuit
de l’agir (esse sequitur operari), l’idée également d’un dépassement de la choséité par le
Principe premier, l’Un plotinien, qui est un pur jaillissement antérieur au quelque chose,
préfigurant la continuité de jaillissement qui, selon Bergson, serait de Dieu, si ce n’est pas
Dieu lui-même.
Mots-clés : Bergson. Plotin. Devenir. Durée. Théologie. Métaphysique.

Abstract : Bergson criticized all western metaphysics, inherited from the platonico-aristote-
lian model, on the grounds of its incapacity to envision a real maturation of things, a
time-invention, in which reality as a whole would renew itself as it progressively deve-
lops – what Bergson calls duration –, as opposed to a becoming for which the result is
always foreseen in advance, fixed as it is in the Idea or the Divine Mind, as a plan which
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one has only to unfold. But Bergson also found, especially in Plotinus, the basis for a pos-
sible overcoming of this standard Greek frame. For example, the Plotinian notion of the
possible precedence of activity over being, which effectively inverts the classic formulation
of operari sequitur esse as esse sequitur operari, or the notion of an overcoming of ‘thin-
gness’ by the First principle, the Plotinian One, which is understood as pure overflowing
prior to any ‘something’, prefiguring the continuity of overflowing which, according to
Bergson, is of God, if not God himself.
Key words : Berson. Plotinus. Becoming. Duration. Theology. Metaphysics.

58. Une première version de cette étude est parue en italien sous le titre « I Greci nel pen-
siero religioso di Bergson », dans Dio, la vita, il nulla. L’evoluzione creatrice di Henri Bergson
a cento anni della pubblicazione. Atti des Colloquio internazionale Bari, 4 maggio 2007, a
cura di Giusi Strummiello, Bari, Edizioni di Pagina, 2008, p. 19-36. Nous remercions
Madame Giusi Strummiello d’avoir permis sa parution, légèrement remaniée, dans la présente
revue.

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