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CHACUN CHERCHE SA PLACE...

Tristan Garcia-Fons

Érès | « La lettre de l'enfance et de l'adolescence »

2013/1 n° 88 | pages 15 à 20
ISSN 2101-6046
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-
adolescence-2013-1-page-15.htm
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Construction psychique
de l’adolescent
Chacun cherche sa place…
Tristan Garcia-Fons

En 1996, le film français de Cédric Klapisch, Chacun cherche son chat,


exposait sur le ton de la comédie comment chacun se débrouille avec la
solitude, l’incomplétude et les difficultés dans la rencontre de l’autre. Seize
ans plus tard, chacun continue sans doute de chercher son chat mais désor-
mais, c’est surtout « chacun cherche sa place » car tout le monde semble
perdu et le doute règne. Que les adolescents cherchent leur place, c’est le
propre du processus adolescent, mais que les adultes sombrent dans la
confusion, c’est plus problématique. Cette confusion tient non seulement à
l’indifférenciation des générations et des sexes, mais à l’indistinction
promue par les discours consensuels de la pensée unique dominante
mondialisée qui nivelle, déspécialise et fait l’apologie de la flexibilité et de
l’interchangeabilité des places. Chacun alors perd sa singularité et court
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après son identité, devenant une proie rêvée pour tous ceux qui veulent faire
endosser à leur prochain un costume identitaire prêt à porter. Comme l’a
souligné Stéphane Thibierge 1, l’identité relève moins aujourd’hui d’une
quête que d’une demande de reconnaissance de particularités pour l’obten-
tion d’une place revendiquée comme un droit. Et beaucoup se satisfont
aujourd’hui d’être affiliés à une appartenance communautaire qui fixe ce
que l’on est et ce que l’on doit faire.

Trouver son langage, reconnaître son savoir et ses limites


Cette nouvelle économie psychique s’inscrit dans le discours ambiant,
et dans la langue commune qui nous aliène en nous assignant à une place.
Chercher sa place, reviendrait alors à chercher son langage propre, à s’assu-
rer d’une langue suffisamment singulière et consistante pour traduire ce
que l’on vit, dans un langage qui puisse aussi être entendu par l’autre. Mais

Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, psychanalyste.


1. S. Thibierge, Clinique de l’identité, Paris, Puf, 2007.

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notre parole singulière semble menacée d’évanescence de même que l’assu-


rance en notre savoir individuel. Chacun doute de son savoir ou du savoir.
Pour les adolescents, c’est une nécessité d’abandonner le savoir qui prévalait
dans l’enfance pour s’en constituer un plus adéquat à leur nouvel état post-
pubertaire. Mais les adultes semblent eux aussi vaciller quant au savoir. Non
pas tant qu’ils butent sur les limites de leur savoir, ce qui serait plutôt rassu-
rant, mais plutôt que le doute règne sur la validité de ce qu’ils pourraient
savoir. Aujourd’hui tout savoir s’équivaut et aucun savoir ne vaut vraiment,
hors le savoir efficace pour le marché. Tout savoir peut être contesté par
l’opinion et un simple avis suffit comme gage de vérité : on passe de l’in-
complétude de l’Autre, limité dans son savoir, à son inconsistance puisque
quiconque peut prétendre à une vérité sans faille. Perdant toute assurance
et convaincu de l’inanité de ses connaissances, l’adulte, parent ou profes-
sionnel, s’en remet à l’autre : « L’expertise » a remplacé les compétences, et
l’opinion consensuelle – un plus petit commun dénominateur, souvent
trompeur – a supplanté les acquis de l’expérience, de la recherche et des
efforts de théorisation, comme on l’a vu récemment en France avec la polé-
mique sur l’autisme.

Les identifications réductrices


Mais revenons à l’adolescent et à son processus de construction subjec-
tive. L’adolescent est conduit à se détacher de ses parents, et même à s’en
arracher violemment et ce, pour le plus grand bien de la culture et de l’ave-
nir de tous. C’est ce que souligne Freud dans les Trois essais lorsqu’il nous
parle de « … l’une des opérations psychiques les plus importantes, mais
aussi les plus douloureuses de l’époque de la puberté, celle qui consiste à se
détacher de l’autorité des parents et par laquelle seule est produite l’oppo-
sition de la nouvelle génération à l’ancienne, tellement importante pour le
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progrès culturel ». Le processus adolescent, comme opération logique,
suppose donc la transgression des signifiants et repères de l’enfance – y
compris l’affranchissement de la langue qui avait cours jusqu’alors, ce qui
s’apparente à une sorte d’exil – et cette transgression va notamment passer
par l’aliénation à des codes et modes identitaires, à des images de soi et à de
nouveaux idéaux qui signent de nouvelles appartenances. Mais l’ado
d’aujourd’hui a également affaire à un discours ambiant qui l’assigne à une
place, ou projette sur lui une imagerie dont il peut être captif, et où il est
conduit à revêtir diverses figures proposées comme modèles : images des
magazines et de la pub, personnages de films ou de jeux vidéo, avatars
virtuels, etc. Ces modèles peuvent être ceux qui marquent l’appartenance à
la famille, à la religion, ou à toutes formes de groupes et de causes, et ces
identités imaginaires, ces refuges identitaires, souvent éphémères, dont s’af-
fublent les ados ou qu’on leur colle à la peau, fonctionnent comme des
costumes qui leur procurent une apparence d’identité déterminée. On
rejoint ici le discours ambiant, dominé par le fantasme d’une identité
unique et sans faille, qui pousse à aller se faire dire par l’autre qui on est,

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c’est-à-dire à se faire coller une étiquette identitaire, qui peut aller jusqu’au
diagnostic psychiatrique. Tout le monde, et en particulier les enfants et
adolescents, peut se voir aujourd’hui épinglé dans la « novlangue » classifi-
catoire du dsm – la classification des maladies mentales élaborée par l’asso-
ciation des psychiatres des États-Unis, aujourd’hui hégémonique 2 – qui
réduit les sujets à leurs comportements, à la surface apparente de leurs
comportements, et identifie comme anomalique tout individu hors norme
susceptible dès lors, de bénéficier d’un traitement psychotrope ou
comportemental.
Si l’adolescent cherche à se construire en évoluant de place en place, au
gré des expériences et des rencontres, voire des conflits avec des adultes
amenés à incarner des fonctions symboliques, il doit actuellement se
confronter à cette idéologie de réduction imaginaire des sujets qui se déploie
partout avec sa folie diagnostique et évaluatrice, qui a envahi l’école, en
particulier. La langue de l’évaluation constitue un dispositif de gouverne-
ment des consciences qui cherche à modeler les conduites, et à formater la
pensée. Un homme fonctionnel, transformé en robot procédural, se substi-
tue au sujet désirant, créatif. Et les guides de « bonnes conduites » préconi-
sés par les conférences de consensus, rabattent la complexité de la praxis sur
des procédures uniques désincarnées. L’évaluation avec ses protocoles et ses
patterns comportementaux, produit des sujets non divisés, indifférenciés,
sans complexité ni profondeur. La société des identités fixes et du désaveu
de la limite, de l’illusion de l’illimité (c’est le cas des forfaits dits « tout
compris illimités »), à défaut d’ouvrir à la construction subjective et à l’éta-
blissement du lien collectif, propose des egos, des identités de suppléance
pour tous. Autant d’identifiants réducteurs qui fournissent des prédictions,
voire des destins pour l’adolescent. Certaines de ces nominations valent
parfois comme de véritables malédictions ; en particulier, la prédiction d’un
destin de délinquant, pour l’adolescent coupable désigné de toutes les trans-
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gressions, objet de projections des fantasmes des adultes. Alors que les
adolescents sont en errance et en quête d’inscription dans une langue
nouvelle à créer, ils peuvent se retrouver captifs des identités aliénantes
auxquelles on les assigne. Ils peuvent aussi se prendre eux-mêmes dans
celles qu’ils cherchent à se constituer et qui les situent forcément en porte-
à-faux transgressif par rapport à ce à quoi ils devraient se conformer (se
jouer le film du voyou ou du dealer des films d’action, par exemple). L’ado-
lescent risque ainsi d’être la proie d’identités « leurrantes » (à la fois pour
eux-mêmes et pour les adultes qui y donnent foi), dans un continuel double
bind social, comme on le voit par exemple, avec l’usage du cannabis : inter-
dit par la Loi (c’est le cas en France et au Brésil), réprouvé par les discours
officiels et l’opinion des sondages, en même temps que disponible à la porte
de la maison et du collège, et représentant un des marchés les plus florissant
de la planète, ce qui en fait un parfait exemple d’objet illicite dont la dispo-
nibilité et la facilité d’accès valent comme autorisation dans la réalité
2. Pour une approche critique du dsm, voir l’ouvrage collectif, Pour en finir avec le carcan du dsm, Initia-
tive pour une clinique du sujet, Toulouse, érès, 2011.

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concrète du deal général mondialisé. Les petites transgressions et les délits


mineurs, si fréquents à l’âge où l’on tutoie les limites, sont pour la généra-
tion actuelle davantage réprimés et pénalisés qu’ils ne l’étaient pour la géné-
ration précédente. Comme si la société actuelle ne parvenait plus à
différencier le jeu transgressif passager – qui peut bien sûr appeler une sanc-
tion – du délit qui réclame une peine. Il y a de plus en plus d’assignation à
une place unique, et de moins en moins d’espace possible pour le jeu avec
les places, qui est pourtant si nécessaire à l’adolescent. Car l’adolescent peut
endosser temporairement les identités qui se proposent avant de s’en débar-
rasser par un acte créatif qui fait inscription pour lui, généralement à partir
d’un point d’extériorité permettant la symbolisation, que ce soit par le biais
de l’invention langagière, ou par l’écriture, ou encore par la rencontre
analytique. L’enjeu fondamental pour lui, est de rompre avec les idéaux et
attendus familiaux quitte parfois à « déshonorer » ses parents et le nom qu’il
porte. Mais aussi de s’affranchir des identités fixes qui l’assureraient de son
être de garçon ou de fille, sans faille et une bonne fois pour toutes. Il s’agit
de renoncer à trouver dans l’Autre l’assurance d’une identité garantie, pour
construire son propre montage identitaire constitué d’identités multiples,
jamais définitivement établi, toujours de l’ordre d’une combinatoire identi-
ficatoire en mouvement. Il s’agit de ménager l’espace de l’absence de place
fixe, et d’ouvrir à la possibilité de l’errance et de la quête, comme l’illustrent
tant d’œuvres de la littérature et du cinéma : on pense bien sûr aux road
movies…

Trouver sa place, écrire l’événement


Car chercher sa place c’est aussi chercher un lieu, explorer l’espace.
Avec l’adolescent, en effet, il faut imaginer l’espace extérieur en pensant au
voyage, aux toits et catacombes, aux jardins en friches, aux champs libres en
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jachère, ou aux usines désaffectées… Des espaces incertains et contrastés
qui rendent possible l’apprentissage et l’exploration, qui disent quelque
chose du changement d’échelle et de l’embarras du corps et du sexe, de la
violence et de l’angoisse. Des lieux qui permettent de se mettre en jeu, de se
voir et de s’entendre, de saisir quelle place on occupe. Des points d’extério-
rité d’où l’on peut se découvrir.
Michel Foucault, dans une intervention de 1967 au Centre d’études
architecturales 3, a parlé d’espaces qu’il nomme hétérotopies, qui sont à la
fois en lien et en opposition à tous les autres : « … des sortes de contre-em-
placements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles… tous les
autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture
sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont
hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisa-
bles ». Foucault décrit ainsi des « hétérotopies de crise » qui concernent,

3. M. Foucault, « Dits et écrits 1984 », Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales,
14 mars 1967), Architecture, mouvement, continuité, n° 5, octobre 1984.

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notamment, les adolescents. Ces contre-emplacements, qui s’insèrent dans


les interstices des emplacements reconnus, peuvent constituer des lieux
d’ouvertures et d’expériences créatives. Car les ados sont en quête de lieux et
d’événements en espérant qu’il en ressorte quelque chose, que l’événement
soit producteur d’identité, créateur d’être. Le lieu est ici espace d’inscription,
de symbolisation. Tous les adolescents écrivent, sous une forme ou une autre.
L’écriture permet un arrimage : celui de la sensation, de l’événement qui ne
deviendra réellement événement qu’a posteriori, dans l’après coup, à partir
de ce qui l’inscrit et le fait entrer dans l’histoire et le temps social. De
nombreuses œuvres, littéraires en particulier, témoignent de ce processus et
du passage adolescent qui emprunte la voie de l’écriture. Dans un des plus
beaux romans initiatiques de Conrad, La ligne d’ombre 4, le personnage prin-
cipal, un jeune homme, décide impulsivement de devenir capitaine d’un
navire dont le précédent capitaine est mort dans des circonstances troubles :
ce premier commandement l’amènera à affronter la maladie, la superstition,
la folie, et surtout l’attente et l’arrêt du temps, puisque le vieux voilier se
retrouve immobilisé, faute de vent, encalminé dans un « pot au noir ». L’his-
toire prend valeur d’épreuve initiatique : une traversée de l’angoisse et de
l’impuissance, entre acting et inhibition. Le jeune capitaine, alors qu’il
touche au fond du désespoir, va trouver secours dans l’écriture de son jour-
nal. Et au terme de cet écrit, le vent se lève, le navire parvient à bon port et le
jeune homme se sent soudain plus vieux : un passage a eu lieu. Il a franchi la
ligne d’ombre que doit franchir chaque génération. Une ligne de franchisse-
ment comme l’ombre projetée par le stylet d’un cadran solaire qui sépare le
temps passé du temps à venir, qui n’est en réalité jamais franchie pour
toujours, et qui accompagnera chacun tout au long de sa vie.

Trouver un interlocuteur ?
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Il faudrait que les adolescents, comme le jeune capitaine de Conrad,
puissent se risquer à chercher leur place, essayer différentes places, c’est-à-
dire aussi pouvoir ne pas la trouver trop vite ; qu’ils puissent faire un
parcours pas forcément linéaire qui suppose des épreuves et de l’invention.
Mais il me semble que ce processus accidenté et parfois douloureux est
particulièrement malaisé pour les ados d’aujourd’hui.
Comment faire en effet lorsqu’il n’y a plus vraiment place pour vivre
une enfance ou une adolescence qui ne tire pas à conséquences, et lorsque
l’adolescent se trouve soumis au Surmoi féroce de la postmodernité avec ses
deux visages : celui qui ordonne de jouir (la jouissance immédiate du
consumérisme) mais qui dans le même temps interdit tout (impossibilité de
l’accès aux objets dans la réalité).
Comment supporter d’être identifié à l’image idéale d’une jeunesse qui
est le miroir tendu au narcissisme des adultes, tout en se heurtant aux failles

4. J. Conrad, La ligne d’ombre, Paris, Folio classique, 2010.

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de la rencontre sexuelle et aux difficultés de l’inscription sociale, dans le


travail, le logement…
Comment enfin, inventer un langage, être messager, porteur de
nouveaux signifiants dans la culture, mais sans parvenir à se faire entendre.
Personne ne semble en effet ni entendre ni répondre, ce qui fait du dire une
lettre morte. Il faudrait des interlocuteurs, qu’il y ait du répondant. Mais
l’appel ne récolte souvent qu’un écho en miroir car l’adolescence est deve-
nue pour la société, elle-même en état-limite adolescent, le lieu où elle vient
situer ses propres questions et en particulier la question du rapport du sujet
au collectif, au politique. L’adolescence est devenue la surface de projection
du questionnement et du trouble des adultes qui s’intéressent à elle comme
si elle était détentrice d’une vérité qui les concernent sur le trouble qui les
perturbe. Ferenczi a parlé de « confusion de langue entre adultes et enfant »
à propos de la confusion entre tendresse enfantine et passion sexuelle de
l’adulte, entre amour et désir. Dans la même perspective de ce qui se
présente comme « en trop » ou « trop tôt », avec les questions que les adultes
projettent sur les adolescents, on pourrait parler de « confusion de langue à
l’adolescence » : une confusion de langue entre adolescents et adultes qui
pensent partager la même langue. Les représentations et les propres difficul-
tés des adultes saturent alors l’espace où l’adolescent cherche à élaborer ses
propres expériences et à se les représenter, là où il cherche plutôt un inter-
locuteur, un autre à qui parler, avec qui débattre, voire s’opposer. Mais
qu’est-ce qu’être interlocuteur ? Et qu’est-ce que ça suppose ?
Sans doute de rester à sa place comme on dit, ou d’essayer de la tenir :
de soutenir sa fonction, soutenir une parole, tenir parole. Mais pour autant,
il ne s’agirait pas de coller à cette place en s’identifiant au rôle ou à la fonc-
tion. Cela suppose de pouvoir suffisamment se séparer, se distinguer, et
d’assumer ses actes c’est-à-dire d’assumer sa condition de sujet divisé, dési-
rant, d’assumer sa castration. Il s’agirait aussi de prendre en considération
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les adolescents autrement que comme des icônes angéliques ou de dange-
reux sauvages, d’observer comment ils se débrouillent comme ils le peuvent
en tant que sujets, avec les symptômes du moment, avec les outils, les adul-
tes et la société d’aujourd’hui, et aussi avec leurs trouvailles. Il s’agirait de
leur ménager de la place et de reconnaître aussi comment ils réussissent à
« se passer de père à condition de s’en servir », comme le disait Lacan. Faire
place à l’adolescent, à ce qu’il dérange et à ce qu’il apporte, et tenir sa place
à son côté, c’est le fameux défi à relever dont parlait déjà Winnicott, il y a
plus de cinquante ans : « Laissons les jeunes changer la société et montrer
aux adultes la manière de voir celle-ci d’un œil neuf. Mais quand un jeune
lance un défi, il faut qu’il y ait un adulte pour relever ce défi. Ce ne sera pas
forcément agréable. Dans le fantasme inconscient, c’est une question de vie
et de mort. »

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