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Présentation

Leila Messaoudi
Dans Langage et société 2013/1 (n° 143), pages 5 à 8
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735114252
DOI 10.3917/ls.143.0005
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 02/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.71.132.30)

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Présentation

Leila Messaoudi
Laboratoire Langage et Société CNRST-URAC56, Faculté des lettres
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et des sciences humaines, Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc
lmessaoudi@gmail.com

Ce dossier consacré à la dynamique langagière au Maroc vient à point


nommé, à un moment où l’on note un intérêt croissant accordé aux
langues démontrant ainsi une réelle préoccupation de la place des varié-
tés linguistiques dans la politique linguistique et éducative du Maroc.
Au cours de ces dernières années, des documents marquants ont vu
le jour et ont abordé la question des langues : l’on peut citer le levier 9
de la Charte de la formation et de l’éducation1, le rapport du Conseil
supérieur de l’enseignement 2 et surtout, l’article 5 de la Constitution,
remaniée en juillet 20113.

1. Voir le texte intégral disponible à l’adresse : http://www.men.gov.ma/sites/


AdministrationCentrale/DAJC/DocLib1/charte/charte_fr.pdf
2. Rapport du Conseil.
3. Article 5 : « L’arabe demeure la langue officielle de l’État. L’État œuvre à la protection
et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation.
De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l’État, en tant que patrimoine
commun à tous les Marocains sans exception.
Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de
cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux
domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme
sa fonction de langue officielle.
L’État œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l’identité
culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des expressions culturelles et des
parlers pratiqués au Maroc.

© Langage et société n° 143 – mars 2013


6 LEILA MESSAOUDI

En dépit des difficultés à cerner les pratiques, usages et représentations


des langues au sein de la dynamique singulière qui caractérise le paysage
linguistique marocain, les contributions présentées ici sont traversées
par deux axes : un premier axe évoque directement ou indirectement le
paysage linguistique marocain et les variétés linguistiques qui y sont pré-
sentes, en favorisant l’étude de composantes nationales comme l’arabe4
et ses variétés dialectales (Youssi) avec une mention spéciale aux parlers
juifs (Levy), l’amazighe i.e. le berbère (Boukous) ; un deuxième axe est
constitué de réflexions émanant d’approches différentes, parfois diver-
gentes et de postures théoriques distinctes ; avec, en filigrane, le souci
de la transmission de la langue écrite – ici le français (El Amrani) – des
savoirs scientifiques ainsi que la question complexe des technolectes ou
langages spécialisés (Messaoudi).
Rappelons, en guise d’introduction à ce dossier, qu’au Maroc, le pay-
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sage linguistique est caractérisé par la coexistence de variétés linguistiques
de différents statuts :
• Celles bénéficiant du statut de droit sont mentionnées dans le texte
de la Constitution. Il : « la langue arabe »5 est qualifiée de « la langue
officielle » et constitue le médium de scolarisation dans le fondamental
et dans le cycle secondaire, l’amazighe (le berbère) est enseigné dans le
primaire dans un certain nombre d’écoles et est doté depuis juillet 2011
du statut d’« une langue officielle ».
• Celles relevant du statut de fait sont :
– le français qui oscille entre celui de langue étrangère et celui de langue
seconde notamment dans le système éducatif et le secteur socio-économique ;

De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à


l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde,
en tant qu’outils de communication, d’intégration et d’interaction avec la société du
savoir, et d’ouverture sur les différentes cultures et sur les civilisations contemporaines.
Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargé
notamment de la protection et du développement des langues arabe et amazighe
et des diverses expressions culturelles marocaines, qui constituent un patrimoine
authentique et une source d’inspiration contemporaine. Il regroupe l’ensemble
des institutions concernées par ces domaines. Une loi organique en détermine les
attributions, la composition et les modalités de fonctionnement. » (http://www.
maroc.ma/NR/rdonlyres/2298ADD6-703C-471E-B924 A5E4F396FEA2/0/
TexteintégralduprojetdenouvelleConstitution.pdf )
4. Rappelons que l’arabe se présente sous un double aspect : celui « standard » (dit clas-
sique, littéral, littéraire, régulier, écrit) et celui dialectal (appelé arabe dialectal maro-
cain ou arabe marocain ou « darija » (appellation locale)),
5. « La langue arabe » sans adjectif renvoie, de fait, au niveau codifié appelé communé-
ment « arabe classique » et que nous désignons par « arabe standard »
PRÉSENTATION 7

– les variétés dialectales arabes dont une koiné est en émergence, « la


darija6 » qui sert à la communication à l’échelle du pays et qui a une visi-
bilité de plus en plus grande dans le paysage urbain (à travers les planches
publicitaires) et médiatique – notamment dans la création artistique chez
les jeunes (chants, théâtre…) . Il convient de noter toutefois que l’usage
de la « darija » dans les domaines artistiques n’est pas un phénomène
récent et elle a été usitée pendant plusieurs siècles : « Le zajal, le malhoun,
sont des expressions artistiques qui se sont toujours faites en darija et qui
continuent de l’être encore aujourd’hui »7.
– les dialectes amazighes qui sont à vocation locale ;
– l’espagnol qui est peu utilisé et dont des traces subsistent dans le nord
et dans les provinces du sud du pays. L’anglais n’a pas une grande pré-
sence dans le paysage linguistique mais il commence à être utilisé dans les
entreprises multinationales et dans certaines écoles privées.
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Il est important de relever la diglossie séculaire qui caractérise le
dédoublement de la langue arabe en, d’un côté, une variété savante,
l’arabe standard (désormais AS) et d’un autre côté, en une variété « ordi-
naire », orale, non codifiée par écrit, utilisée dans les échanges langagiers
spontanés que nous désignons par arabe dialectal marocain (désormais
ADM) ou darija.
Certains chercheurs n’hésitent pas à parler au sujet de l’arabe stan-
dard de « langue morte » en la comparant au latin (Calvet, 1999 : 234)8.
Ce point de vue serait à nuancer et à relativiser (Larcher, 2012 : 30)9.
Peut-on réellement comparer l’arabe standard actuel au latin en faisant
table rase des conditions historiques différentes et des instruments tech-
nologiques extraordinaires qui marquent le XXIe siècle et qui contribuent
à la propagation de l’information et des langues ? Certes l’anglais est en
tête mais l’arabe standard, comme langue internationale à l’ONU ne peut
être comparée au latin des clercs du XVIe siècle. Langue officielle et ou
nationale dans au moins 22 pays, langue qui occupe la 6e place à l’ONU,
langue des instances institutionnelles dans tous les pays du monde arabo-
phone, l’arabe standard grâce aux chaînes satellitaires, grâce à Internet et
grâce aux systèmes éducatifs favorise la communication entre les différents
pays du monde arabe et facilite considérablement la circulation des biens

6. Catherine Miller. Usage de la darija dans la presse marocaine 2009-2010 www.cjb.ma/


images/stories/Darija__Presse_annee_marocaine.pdf
7. Id.
8. Louis jean Calvet, 1999, Pour une écologie des langues du monde, Paris, Plon.
9. Pierre Larcher, 2012, « L’arabe, une langue bimillénaire » dans Les Arabes, des origines
à nos jours, Le Nouvel observateur, Hors série, janvier-février 2012.
8 LEILA MESSAOUDI

et des personnes (sous réserve des procédures administratives et juridiques


en application dans chacun des pays). L’arabe standard est soutenu par
toutes les politiques linguistiques étatiques desdits pays et le Maroc ne fait
pas l’exception Certes, ce n’est pas une langue parlée spontanément par
tous les citoyens, mais elle est, à des degrés divers, maniée par eux, à l’écrit
et à l’oral (discours politiques, débats parlementaires, etc.) pour les sujets
ayant trait à la vie publique et aux secteurs socioculturels et éducatifs.
La langue arabe institutionnelle est diffusée par les médias mais les
variantes orales nationales le sont aussi : la darija, sous ses divers parlers,
et le hassani, utilisé dans les provinces du sud, occupent une large part du
paysage audio-visuel tout comme l’amazighe avec ses différents dialectes.
La langue française y a une présence importante à travers les documen-
taires, les films et le journal télévisé – diffusé aussi en espagnol mais cette
langue occupe une moindre place comparativement aux autres langues.
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La question épineuse de la transmission des savoirs techniques et
scientifiques est abordée ici en essayant de mettre en exergue le jeu des
langues et leur impact dans l’expression linguistique des domaines spé-
cialisés. Une mise en perspective de la place des langues pour le marché
du travail permet de dégager le rôle joué par la langue française même si
dans certains secteurs de l’économie, en particulier, dans les entreprises
multinationales, c’est l’anglais qui commence à s’imposer. Ceci étant,
la question de l’avenir des langues dans cette dynamique est tributaire
de plusieurs facteurs : politiques, socio-économiques et plus largement
stratégiques – sous le poids de la mondialisation et la globalisation qui
en découle. Au plan national, l’avènement récent de l’officialisation de
l’Amazighe, contribuerait-il à changer la configuration actuelle ? L’appel
au renforcement de la langue arabe, lancé à travers la Constitution,
conduirait-il à faire de la langue arabe l’outil privilégié du secteur éduca-
tif, notamment dans les domaines techniques et les filières scientifiques
de l’enseignement supérieur où c’est la langue française qui est encore
aujourd’hui exclusivement utilisée ?
Autant de questions se posent et des éléments de la configuration
actuelle permettent d’affirmer que l’avenir des langues au Maroc n’est
pas hypothéqué, que le choix du monolinguisme est définitivement
abandonné puisque le pays a désormais deux langues officielles : l’arabe
et l’amazighe, qu’il a adopté un bilinguisme de fait dans le domaine
éducatif puisque deux langues de scolarisation se partagent le terrain, de
façon plus ou moins égale et plus ou moins équilibrée et enfin, que le
plurilinguisme de fait et les mélanges qui en émanent, constitue un vec-
teur important du paysage linguistique.

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