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Politique linguistique

Louis-Jean Calvet
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 275 à 280
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0276
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 02/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.91.184.225)

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Louis-jean.calvet@wanadoo.fr

« Politique linguistique » est une notion récente mais une pratique


ancienne. La création des premières écritures plus de mille ans avant
notre ère (les cunéiformes mésopotamiens, les caractères chinois) comme
celle de l’alphabet cyrillique au ixe siècle, et la fixation plus récente des
kanas japonais constituaient des interventions sur la langue. De la même
façon, la « grammaire » de Panini (en fait près de 4 000 sutras), autour du
ve siècle av. J-C, était une forme de standardisation du sanscrit. Et l’édic-
tion de l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 par François 1er était
une intervention sur les langues, avec la particularité, contrairement aux
exemples précédents, d’avoir un versant juridique ou légal. Depuis lors
les exemples se sont multipliés : débats aux USA sur la langue nationale
au début du xixe siècle, interdiction des « patois » dans les écoles fran-
çaises au début, « révolution linguistique » (dil divrimi) dans la Turquie
kémaliste à la fin des années 1920, etc. Ce n’est qu’au milieu du xxe siècle
que le domaine a commencé à être nommé et théorisé.
Cette intervention sur la langue et les langues est d’abord dési-
gnée dans l’article fondateur d’Einar Haugen (1959) par l’expression
language planning, qui sera traduite en français par planification lin-
guistique (aménagement linguistique au Québec). Haugen partait de la
situation de la Norvège où, du début du xixe siècle (lors de la fin de la
domination danoise) à nos jours, un débat portait sur le choix d’une

© Langage & Société numéro hors série – 2021


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langue nationale, sans vraiment parvenir à départager les deux langues


pouvant prétendre à cette fonction, riksmål (« langue du royaume ») et
landsmål (« langue du pays, de la terre ») devenues respectivement bok-
mål (« langue des livres ») et nynorsk « nouveau norvégien »). Le terme
planning, aux connotations économiques, allait mener Haugen à rai-
sonner en matière d’identification des problèmes, de solutions alterna-
tives, de choix et de décisions. Puis, influencé par la distinction proposée
par Heinz Kloss (1969) entre planification du corpus, qui porte sur la
forme de la langue (écriture, néologie, standardisation) et planification
du statut (fonctions de la langue, rapports avec d’autres langues), il allait
présenter un modèle croisant les couples forme/fonction et statut/corpus
des langues (Haugen, 1983).
On distingue désormais entre le stade des décisions politiques et
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celui de leur application pratique, ce qui mènera en anglais au couple
language planning/language policy ; en français politique/planification
(ou aménagement) linguistiques. Il faut cependant noter quelques varia-
tions terminologiques, comme celle de Louis Guespin et Jean-Baptiste
Marcellesi (1986) qui ont avancé le terme glottopolitique pour désigner
« les diverses approches qu’une société a de l’action sur le langage » sans
pour autant prétendre « périmer les termes de planification linguistique
ou de politique linguistique » (1986, p. 5), ou encore celle de certains
linguistes catalans qui dans les situations de conflits linguistiques dis-
tinguent entre substitution, lorsqu’une langue dominée disparaît sous
une langue dominante, et normalisation lorsque cette langue s’impose et
reprend les fonctions de la langue dominante (Aracil, 1982).
On peut définir la politique linguistique comme l’ensemble des choix
conscients concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale, et la
planification linguistique comme la mise en pratique concrète d’une poli-
tique linguistique (en anglais implementation). Un groupe social (par
exemple, la communauté mondiale des sourds, la diaspora romanii ou
celle des yiddishophones, des militants d’une langue régionale ou mino-
ritaire, etc.) peut élaborer une politique linguistique mais celle-ci ne
pourra être appliquée sur un territoire donné qu’à travers l’intervention
d’une puissance politique qui seule a le pouvoir de passer au stade de la
planification puis à celui de la législation. Ce qui n’exclut pas la possi-
bilité de politiques linguistiques régionales comme en Catalogne ou au
Québec, ou de politiques transnationales comme dans la Francophonie.
À la suite de Louis-Jean Calvet (1996), on distingue entre les inter-
ventions qui procèdent des pratiques sociales (in vivo) et celles qui pro-
cèdent des décisions étatiques et des linguistes (in vitro). Dans le premier
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cas, il s’agit de l’action des locuteurs sur la forme des langues (par
exemple la néologie spontanée, qui n’attend pas les décisions d’une quel-
conque académie) ou sur leurs fonctions (par exemple, dans les situa-
tions de plurilinguisme social, l’émergence de langues véhiculaires). Les
langues changent donc in vivo sous l’effet de leurs structures internes,
des contacts avec d’autres langues et des attitudes et des pratiques lin-
guistiques. L’action in vitro est d’un autre type : des linguistes analysent
les situations et les langues, les décrivent, font des hypothèses sur leur
avenir, des propositions pour gérer les problèmes, puis les politiques étu-
dient ces hypothèses et ces propositions, font des choix et les appliquent.
Les rapports avec l’action in vivo peuvent être conflictuels si les choix
in vitro vont à l’encontre de la gestion in vivo ou des sentiments linguis-
tiques des locuteurs.
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Quelques exemples de politiques nationales
Les politiques linguistiques interviennent in vitro, avec différents objec-
tifs dont les plus fréquents sont la modernisation (du lexique, du sys-
tème graphique), la défense ou l’expansion d’une langue, les rapports
entre langues, le développement, la volonté d’unifier linguistiquement
un pays, etc.
Pour les systèmes graphiques, on peut songer aux débats qui eurent
lieu en Afrique après les indépendances des années 1960 sur le choix du
système d’écriture des langues locales (alphabet arabe ou latin ?). Ou
à l’exemple de la Chine où, en 1955, le pouvoir décida de faciliter au
peuple l’accès à l’écriture en simplifiant 515 caractères choisis parmi
les plus fréquents et 54 particules, c’est-à-dire en diminuant le nombre
de traits utilisés pour les écrire, passant d’une moyenne de 16 à une
moyenne de 8. Voici un exemple de cette simplification, concernant la
façon d’écrire « cheval », avec dix traits pour l’ancien caractère (le carac-
tère classique : 馬) et trois pour le simplifié (马).
Concernant la néologie, la question se pose chaque fois que l’on
veut utiliser dans le système scolaire une langue qui jusque-là n’était pas
la langue de l’enseignement. Il faut lui donner les termes nécessaires à
cette fonction : vocabulaire de la grammaire, des mathématiques, de
la chimie, etc., cas de figure qui s’est fréquemment présenté dans les
situations postcoloniales. En Turquie à partir de 1923, Mustapha Kemal
décida de moderniser la langue en abandonnant d’une part l’alpha-
bet arabe au profit d’un alphabet « turc » inspiré de l’alphabet latin, et
d’autre part en lançant un vaste mouvement de néologie pour rempla-
cer des mots empruntés à l’arabe ou au persan par des mots d’origine
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turque ou empruntés aux langues européennes. Ici, comme en Chine, il


s’agissait de faciliter l’alphabétisation du peuple, mais aussi et peut-être
surtout d’élaborer le pendant linguistique de la laïcisation du pays.
Concernant l’action sur la fonction des langues, surtout dans les pays
très plurilingues, on peut citer l’exemple de l’Indonésie, qui après son
indépendance décida d’adopter comme langue nationale une langue
véhiculaire, le malais, utilisée principalement dans les ports et sur les
marchés, alors que la langue la plus parlée dans l’archipel était le javanais,
et que l’on y trouve en outre plus de deux cents parlers différents. Ces
choix avaient comme avantage de promouvoir à une fonction officielle
la langue de personne, une langue qui permettait de faire l’économie de
polémiques et de conflits ethniques.
La différence entre langue « officielle » et langue « nationale » n’est
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pas très claire, et l’usage de ces formules peut varier d’un pays à l’autre.
Sémantiquement, « officielle » connote plutôt les fonctions administra-
tives de la langue tandis que « nationale » renvoie à ses fonctions identi-
taires. La Constitution française, qui institue en son article 2 le français
comme « la langue de la République », évite de choisir entre ces deux
types de fonctions. Dans toutes les anciennes colonies françaises, les
deux formules sont utilisées conjointement : le français est la langue offi-
cielle et certaines langues locales (au Sénégal ou au Congo par exemple)
ou toutes ces langues (au Cameroun) sont nationales. Mais cette oppo-
sition est beaucoup moins utilisée ailleurs. En Irlande, l’irlandais est à
la fois la langue nationale et « la première langue officielle », la seconde
étant l’anglais. En Suisse, on a quatre langues nationales dont trois sont
officielles. Mais l’anglais n’a aucun statut juridique dans la constitution
des États-Unis, ni l’espagnol dans les constitutions mexicaine ou argen-
tine. Au Canada, l’anglais et le français sont les langues officielles ; en
Espagne le castillan est « la langue espagnole officielle » et « les autres
langues espagnoles » (catalan, basque…) sont officielles « dans les com-
munautés autonomes respectives ». Dans la Loi sur les langues des peuples
de la fédération de Russie, on distingue entre le statut officiel du russe et
la reconnaissance de droits égaux « à toutes les langues des peuples de la
fédération (qui) peuvent bénéficier du soutien de l’État ».

Les politiques linguistiques internationales


Un certain nombre de pays ont mis en place des organismes de diffu-
sion internationale de leur langue, proposant en particulier des cours
de langues : la Grande-Bretagne avec le British Council, l’Espagne avec
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l’Instituto Cervantes, l’Allemagne avec le Goethe Institut, la France avec les


Alliance française, la Chine avec les Instituts Confucius, etc.
D’autres pays partageant la même langue se sont réunis pour mener
une politique commune : l’OEI (Organización de los estados iberoameri-
canos) pour les langues espagnole et portugaise ; la CPLP (Comunidade
dos Países de Língua Portuguesa) pour le portugais ; l’OIF (Organisation
internationale de la francophonie) pour le français ; l’ALESCO
(Organisation de la ligue arabe pour l’éducation, la science et la culture)
pour l’arabe, etc. Ces organismes se préoccupent de la diffusion d’une
langue ayant pris des formes locales différentes (portugais du Portugal
et du Brésil, espagnol d’Espagne, de l’Argentine, de Cuba…), ce qui
les conduit à des travaux concernant la standardisation ou les systèmes
de certification.
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Certains de ces organismes se sont parfois unis pour mener des
actions conjointes, comme l’OIF, la CPLP et l’OEI lançant en 2001
le projet de Trois espaces linguistiques (TEL) dans le but de défendre la
diversité linguistique face au danger d’une uniformisation anglophone,
ou de développer des recherches sur l’intercompréhension en langues
romanes, projet « porteurs des valeurs de la diversité linguistique et
culturelle » (Piétri, 2016, p. 26). Dans chacun de ces trois espaces linguis-
tiques (francophone, hispanophone et lusophone) coexistent la langue
de l’ancienne puissance coloniale et des langues locales (africaines, amé-
rindiennes). Dès lors, la notion de diversité linguistique prend deux sens
différents. Elle peut renvoyer à une diversité verticale, entre une de ces
trois langues et les langues locales souvent menacées de disparition qui
gravitent autour d’elles, et tendre vers la protection de ces dernières et la
cohabitation entre la langue dominante et les langues dominées. Ou elle
peut renvoyer à une diversité horizontale, entre les trois langues concer-
nées, tendant alors vers leur protection face à l’anglais, ce qui pourrait
s’apparenter à un Yalta linguistique, pour garantir leur avenir sans se
préoccuper de celui des langues partenaires.
La Francophonie, l’Hispanophonie et la Lusophonie mènent certes
des actions de politiques linguistiques concernant la description, la stan-
dardisation, l’enseignement des langues africaines ou amérindiennes,
ainsi que la formation de cadres d’alphabétisation par exemple. Mais
elles peuvent cependant être considérées par certains comme des ins-
truments de défense des langues dominantes et donc comme des orga-
nismes néocoloniaux. C’est sans doute sur ces points que s’ouvrent des
perspectives de recherches et d’action à venir.
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Références bibliographiques

Aracil L. (1982), « Conflicte lingüÍstic i normalitzaciÓ lingüÍstica a l’Europa


nova » (publié d’abord en français sous forme ronéotée en 1965),
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Calvet L-J. (1987), La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris,
Payot.
Calvet L-J. ([1996] 2018), Les politiques linguistiques, Paris, PUF.
Fishman J (2006), An introduction to Language Policy. Theory and Practice,
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Guespin L. & Marcellesi J-B, (1986), « Pour la glottopolitique »,
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Langages 83, p. 5-34. En ligne : <https://www.persee.fr/doc/
lgge_0458-726x_1986_num_21_83_2493>.
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289.
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Piétri C. (2016), « Les trois espaces linguistiques : quel parcours et quelles
synergies développer ? », Hermès 75, p. 147-153.
Saint-Robert de M-J (2000), La politique de la langue française, Paris, PUF.

Renvois : Colonialisme ; Diglossie ; Droits linguistiques ; Langues régio-


nales ; Marché linguistique ; Norme ; Revitalisation ; Plurilinguisme.

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