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Louis-Jean Calvet
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 275 à 280
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0276
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 02/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.91.184.225)
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Louis-Jean Calvet
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Louis-jean.calvet@wanadoo.fr
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celui de leur application pratique, ce qui mènera en anglais au couple
language planning/language policy ; en français politique/planification
(ou aménagement) linguistiques. Il faut cependant noter quelques varia-
tions terminologiques, comme celle de Louis Guespin et Jean-Baptiste
Marcellesi (1986) qui ont avancé le terme glottopolitique pour désigner
« les diverses approches qu’une société a de l’action sur le langage » sans
pour autant prétendre « périmer les termes de planification linguistique
ou de politique linguistique » (1986, p. 5), ou encore celle de certains
linguistes catalans qui dans les situations de conflits linguistiques dis-
tinguent entre substitution, lorsqu’une langue dominée disparaît sous
une langue dominante, et normalisation lorsque cette langue s’impose et
reprend les fonctions de la langue dominante (Aracil, 1982).
On peut définir la politique linguistique comme l’ensemble des choix
conscients concernant les rapports entre langue(s) et vie sociale, et la
planification linguistique comme la mise en pratique concrète d’une poli-
tique linguistique (en anglais implementation). Un groupe social (par
exemple, la communauté mondiale des sourds, la diaspora romanii ou
celle des yiddishophones, des militants d’une langue régionale ou mino-
ritaire, etc.) peut élaborer une politique linguistique mais celle-ci ne
pourra être appliquée sur un territoire donné qu’à travers l’intervention
d’une puissance politique qui seule a le pouvoir de passer au stade de la
planification puis à celui de la législation. Ce qui n’exclut pas la possi-
bilité de politiques linguistiques régionales comme en Catalogne ou au
Québec, ou de politiques transnationales comme dans la Francophonie.
À la suite de Louis-Jean Calvet (1996), on distingue entre les inter-
ventions qui procèdent des pratiques sociales (in vivo) et celles qui pro-
cèdent des décisions étatiques et des linguistes (in vitro). Dans le premier
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cas, il s’agit de l’action des locuteurs sur la forme des langues (par
exemple la néologie spontanée, qui n’attend pas les décisions d’une quel-
conque académie) ou sur leurs fonctions (par exemple, dans les situa-
tions de plurilinguisme social, l’émergence de langues véhiculaires). Les
langues changent donc in vivo sous l’effet de leurs structures internes,
des contacts avec d’autres langues et des attitudes et des pratiques lin-
guistiques. L’action in vitro est d’un autre type : des linguistes analysent
les situations et les langues, les décrivent, font des hypothèses sur leur
avenir, des propositions pour gérer les problèmes, puis les politiques étu-
dient ces hypothèses et ces propositions, font des choix et les appliquent.
Les rapports avec l’action in vivo peuvent être conflictuels si les choix
in vitro vont à l’encontre de la gestion in vivo ou des sentiments linguis-
tiques des locuteurs.
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Quelques exemples de politiques nationales
Les politiques linguistiques interviennent in vitro, avec différents objec-
tifs dont les plus fréquents sont la modernisation (du lexique, du sys-
tème graphique), la défense ou l’expansion d’une langue, les rapports
entre langues, le développement, la volonté d’unifier linguistiquement
un pays, etc.
Pour les systèmes graphiques, on peut songer aux débats qui eurent
lieu en Afrique après les indépendances des années 1960 sur le choix du
système d’écriture des langues locales (alphabet arabe ou latin ?). Ou
à l’exemple de la Chine où, en 1955, le pouvoir décida de faciliter au
peuple l’accès à l’écriture en simplifiant 515 caractères choisis parmi
les plus fréquents et 54 particules, c’est-à-dire en diminuant le nombre
de traits utilisés pour les écrire, passant d’une moyenne de 16 à une
moyenne de 8. Voici un exemple de cette simplification, concernant la
façon d’écrire « cheval », avec dix traits pour l’ancien caractère (le carac-
tère classique : 馬) et trois pour le simplifié (马).
Concernant la néologie, la question se pose chaque fois que l’on
veut utiliser dans le système scolaire une langue qui jusque-là n’était pas
la langue de l’enseignement. Il faut lui donner les termes nécessaires à
cette fonction : vocabulaire de la grammaire, des mathématiques, de
la chimie, etc., cas de figure qui s’est fréquemment présenté dans les
situations postcoloniales. En Turquie à partir de 1923, Mustapha Kemal
décida de moderniser la langue en abandonnant d’une part l’alpha-
bet arabe au profit d’un alphabet « turc » inspiré de l’alphabet latin, et
d’autre part en lançant un vaste mouvement de néologie pour rempla-
cer des mots empruntés à l’arabe ou au persan par des mots d’origine
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pas très claire, et l’usage de ces formules peut varier d’un pays à l’autre.
Sémantiquement, « officielle » connote plutôt les fonctions administra-
tives de la langue tandis que « nationale » renvoie à ses fonctions identi-
taires. La Constitution française, qui institue en son article 2 le français
comme « la langue de la République », évite de choisir entre ces deux
types de fonctions. Dans toutes les anciennes colonies françaises, les
deux formules sont utilisées conjointement : le français est la langue offi-
cielle et certaines langues locales (au Sénégal ou au Congo par exemple)
ou toutes ces langues (au Cameroun) sont nationales. Mais cette oppo-
sition est beaucoup moins utilisée ailleurs. En Irlande, l’irlandais est à
la fois la langue nationale et « la première langue officielle », la seconde
étant l’anglais. En Suisse, on a quatre langues nationales dont trois sont
officielles. Mais l’anglais n’a aucun statut juridique dans la constitution
des États-Unis, ni l’espagnol dans les constitutions mexicaine ou argen-
tine. Au Canada, l’anglais et le français sont les langues officielles ; en
Espagne le castillan est « la langue espagnole officielle » et « les autres
langues espagnoles » (catalan, basque…) sont officielles « dans les com-
munautés autonomes respectives ». Dans la Loi sur les langues des peuples
de la fédération de Russie, on distingue entre le statut officiel du russe et
la reconnaissance de droits égaux « à toutes les langues des peuples de la
fédération (qui) peuvent bénéficier du soutien de l’État ».
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Certains de ces organismes se sont parfois unis pour mener des
actions conjointes, comme l’OIF, la CPLP et l’OEI lançant en 2001
le projet de Trois espaces linguistiques (TEL) dans le but de défendre la
diversité linguistique face au danger d’une uniformisation anglophone,
ou de développer des recherches sur l’intercompréhension en langues
romanes, projet « porteurs des valeurs de la diversité linguistique et
culturelle » (Piétri, 2016, p. 26). Dans chacun de ces trois espaces linguis-
tiques (francophone, hispanophone et lusophone) coexistent la langue
de l’ancienne puissance coloniale et des langues locales (africaines, amé-
rindiennes). Dès lors, la notion de diversité linguistique prend deux sens
différents. Elle peut renvoyer à une diversité verticale, entre une de ces
trois langues et les langues locales souvent menacées de disparition qui
gravitent autour d’elles, et tendre vers la protection de ces dernières et la
cohabitation entre la langue dominante et les langues dominées. Ou elle
peut renvoyer à une diversité horizontale, entre les trois langues concer-
nées, tendant alors vers leur protection face à l’anglais, ce qui pourrait
s’apparenter à un Yalta linguistique, pour garantir leur avenir sans se
préoccuper de celui des langues partenaires.
La Francophonie, l’Hispanophonie et la Lusophonie mènent certes
des actions de politiques linguistiques concernant la description, la stan-
dardisation, l’enseignement des langues africaines ou amérindiennes,
ainsi que la formation de cadres d’alphabétisation par exemple. Mais
elles peuvent cependant être considérées par certains comme des ins-
truments de défense des langues dominantes et donc comme des orga-
nismes néocoloniaux. C’est sans doute sur ces points que s’ouvrent des
perspectives de recherches et d’action à venir.
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Références bibliographiques
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Langages 83, p. 5-34. En ligne : <https://www.persee.fr/doc/
lgge_0458-726x_1986_num_21_83_2493>.
Haugen E. (1959), « Planning for a language standard in Norway », Anthro-
pological Linguistics 3, p. 8-21.
Haugen, E. (1983), « The implementation of corpus planning: theory and
practice », dans Cobarrubias J. & Fishman J. A. (dir.), Progress in Lan-
guage Planning. International Perspectives, Berlin, Mouton, p. 269-
289.
Klotz H. (1969), Research Possibilities on Group Bilingualism. A Report,
Quebec, CIRB.
Piétri C. (2016), « Les trois espaces linguistiques : quel parcours et quelles
synergies développer ? », Hermès 75, p. 147-153.
Saint-Robert de M-J (2000), La politique de la langue française, Paris, PUF.