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Philippe Foray, La laïcité, Saint-Étienne, Presses

universitaires de Saint-Étienne, 2020, 93 p.


Pierre Kahn
Dans Le Télémaque 2021/2 (N° 60), pages 193 à 199
Éditions Presses universitaires de Caen
ISSN 1263-588X
ISBN 9782381850269
DOI 10.3917/tele.060.0193
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Philippe Foray, La laïcité, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-
Étienne, 2020, 93 p.
Parmi les innombrables ouvrages consacrés à la laïcité, celui de Philippe Foray appar-
tient à un genre bien défini, fort utile sur un sujet aussi passionnément controversé
et auquel s’est d’ailleurs aussi efforcé de contribuer l’auteur de cette recension 8 :
celui des mises au point synthétiques (mais non schématiques concernant le livre
de P. Foray) et courtes. Ce sont là quatre-vingt-treize pages (bibliographie, illus-
trations, chronologie et documents de référence – bienvenus – compris) au terme
desquelles le lecteur est censé disposer des éléments essentiels de compréhension
de cette notion et ses enjeux.

8. Voir P. Kahn, La laïcité, Paris, Le Cavalier Bleu (Idées reçues), 2005.


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L’ouvrage est divisé en trois parties : histoire, principes, questions et contro-


verses.
L’histoire rappelle le contexte social et politique dans lequel la laïcité est appa-
rue, et les évolutions de ce contexte au XXe siècle. P. Foray refuse, à mon avis à
juste titre, d’aller chercher trop loin les origines de la laïcité (dans le gallicanisme
du XVIIe siècle, voire la Renaissance, voire, pourquoi pas, la démarche socratique 9).
La question de la laïcité ne se pose pas avant le XVIIIe siècle, la philosophie des
Lumières et le contexte de la Révolution française, notamment avec Condorcet
(et encore ne s’y pose-t-elle que dans le manque du mot qui la qualifie, « laïcité »
étant un néologisme apparu seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle),
quand la place de la religion dans la vie politique et sociale cesse d’être centrale.
La laïcité est même précisément, écrit P. Foray avec profondeur, une réponse à
la question de savoir quelle place doit occuper la religion quand cette place n’est
plus centrale (p. 10).
Sont alors distinguées (la distinction est désormais classique, mais la dimen-
sion explicitement pédagogique de ce livre en justifie le rappel) la laïcité, concept
politique, et la sécularisation, concept sociologique visant à décrire le fait que les
sociétés modernes ne sont plus rythmées par la religion. De sorte que si un grand
nombre de pays peuvent être dits aujourd’hui sécularisés, peu connaissent ce qu’en
France on a appelé « laïcité », à savoir la séparation institutionnelle des Églises et
de l’État. On pourrait aussi, ce que ne fait pas P. Foray, renverser la formule, ce
qui aurait le mérite de relativiser l’invocation d’une “exception française” : si peu
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de pays sont laïques, au sens institutionnel du terme, beaucoup sont néanmoins
aussi sécularisés que ne l’est la France laïque. La distinction entre « laïcité » et
« sécularisation » est-elle d’ailleurs si tranchée que le suggère P. Foray ? À l’article
« Laïcité » de son célèbre Dictionnaire de pédagogie…, Ferdinand Buisson établit
une quasi synonymie entre les deux termes, et il affirme que la France est « le plus
laïque » 10 des pays développés, ce qui laisse entendre qu’à ses yeux, il n’était pas le
seul. De même, des historiens ou sociologues de la laïcité aussi confirmés que Jean
Baubérot, Micheline Milot ou Valentine Zuber n’hésitent pas à parler, au pluriel,
de « régimes de laïcité » (ou « modèles de laïcité ») 11.
Pour décrire l’évolution de la laïcité en France au XIXe siècle, P. Foray reprend
d’ailleurs la catégorisation proposée par J. Baubérot, en distinguant un « premier

9. Un bon exemple de cette remontée intempestive de « l’esprit laïque » à l’origine même de la


philosophie se trouve dans le livre de G. Bouchet, Laïcité et enseignement, Paris, Armand Colin,
1996, p. 36-37.
10. F. Buisson, « Laïcité », in Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, F. Buisson (dir.),
Paris, Hachette, 1882-1887, p. 1469.
11. Voir La Laïcité à l’épreuve. Religions et libertés dans le monde, J. Baubérot (dir.), Paris, Univer-
salis, 2004 ; M. Milot « Séparation, neutralité et accommodements en Amérique du Nord », in
ibid., p. 109-123 ; J. Baubérot, Les laïcités dans le monde, 5e éd., Paris, PUF (Que sais-je ?), 2020 ;
J. Baubérot et M. Milot, Laïcités sans frontières, Paris, Seuil, 2011 ; V. Zuber, « La laïcité française,
une exception historique, des principes partagés », Revue du droit des religions, no 7, mai 2019,
p. 193-205.
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seuil de laïcisation », initié par le régime des cultes reconnus issu du Concordat
signé entre Napoléon et le Vatican, et qui court sur l’ensemble du XIXe siècle, et
un « deuxième seuil », correspondant à l’œuvre de la IIIe République, d’abord avec
les lois scolaires des années 1880 puis avec la loi de séparation de 1905. La consti-
tutionnalisation de la laïcité, avec la Constitution de la IVe République (1946)
confirmée avec celle de la Ve (1958), marque-t-elle alors la fin de la « guerre des
deux France » (Émile Poulat) à laquelle les lois Ferry et Goblet dans les années 1880
et la loi de 1905 avaient donné lieu ? P. Foray apporte une réponse nuancée à cette
question. Il remarque que dans la seconde moitié du XXe siècle, « la laïcité en France
est faite de pleins et de creux » (p. 20). La constitutionnalisation de la laïcité n’a
notamment pas empêché ce principe de continuer d’être l’objet de débats passion-
nés, dont la plupart concernait – comme à l’origine, au temps de J. Ferry – l’école.
La mobilisation du “camp laïque” contre la loi du 31 décembre 1959 organisant
le financement par l’État d’établissements d’enseignement privé en témoigne de
façon exemplaire. Reste toutefois, écrit P. Foray, que le second XXe siècle marque
un « apaisement progressif des conflits » (p. 21). Le contexte sociétal général favorise
cet apaisement : la révolution des mœurs qui s’amorce dans les années 1960 et
culmine avec mai 1968 a pour conséquence une forte relativisation de l’opposition
entre une “morale laïque” et une “morale religieuse”, toutes deux désormais de
plus en plus comprises comme deux variantes d’un même ordre moral dépassé.
À la fin des années 1980, toutefois, les débats ressurgissent, mais en se déplaçant :
ce n’est plus la question des relations de l’État laïque avec le catholicisme qui se
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pose (avec le concile de Vatican II – 1962-1965 – l’Église avait fini par se rallier
aux idéaux de la modernité démocratique, notamment au principe de la liberté
de conscience), mais avec l’islam, en continuant toutefois de se centrer sur l’école
(les premières affaires dites « du voile islamique » dans l’espace scolaire datent de
novembre 1989).
Dans la deuxième partie du livre, consacrée aux « Principes », P. Foray com-
mence par affirmer l’importance qu’il convient d’accorder au droit pour com-
prendre la laïcité : c’est-à-dire essentiellement, en l’absence d’un code explicite de
la laïcité, à la loi de séparation des Églises et de l’État. On doit remarquer qu’une
telle affirmation fait sortir ce livre de la stricte perspective pédagogique adoptée
dans la partie « Histoire », qui s’attachait en somme à ne retenir de cette histoire
que les acquis historiographiques les moins contestables. Commencer l’analyse des
principes en soutenant que c’est d’abord à partir du droit positif existant qu’il faut
les formuler est en revanche une thèse, et même une thèse renfermant la critique
implicite de l’idée selon laquelle il s’agirait de procéder d’abord à une élucidation
philosophique de la laïcité : démarche dont les écrits de Catherine Kintzler 12 ou
d’Henri Pena-Ruiz offrent des exemples 13, et qui évalue l’état du droit positif à
l’aune d’une analyse conceptuelle de la laïcité. C’est exactement le contraire que

12. Voir C. Kintzler, Penser la laïcité, Paris, Minerve, 2014.


13. Voir H. Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard (Folio actuel), 2003.
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P. Foray se propose de faire ici. P. Foray est lui-même philosophe, et il ne récuse


pas le point de vue philosophique au profit du point de vue juridique ; mais il
soutient que c’est en quelque sorte a posteriori, du droit et des lois existantes, qu’il
faut partir pour déterminer le contenu du concept de laïcité.
Le problème n’est pas ici simplement méthodologique. Il renvoie à deux concep-
tions qui s’opposent aujourd’hui dans les débats sur la laïcité et que j’ai quant à
moi proposé de décrire en des termes empruntés à la philosophie politique de John
Rawls : l’opposition entre une approche plutôt « procédurale » et une autre davan-
tage « substantielle » de la laïcité 14. S’observe peut-être ici, de la part de P. Foray,
une évolution dans ses réflexions sur la laïcité, amorcées depuis longtemps déjà 15.
Dans une discussion entre nous, dont un numéro de la revue Spirales 16, en 2007,
a témoigné, P. Foray me reprochait une compréhension trop juridique, sinon
“juridiste”, de la laïcité. Il semble aujourd’hui davantage reconnaître l’importance
de la part du droit dans cette affaire.
La loi de 1905 permet de dégager, aux yeux de P. Foray, deux principes essen-
tiels de la laïcité : la liberté de conscience (avoir la religion de son choix, ne pas en
avoir, en changer) et la neutralité de l’État. La liberté de conscience, qui implique
évidemment l’impossibilité de considérer l’État laïque comme un État athée (p. 32),
est une liberté privée, mais aussi une liberté publique : elle peut s’exercer individuel-
lement, mais aussi collectivement (p. 32). Autrement dit, s’il est vrai de penser que
la laïcité fait de la religion une affaire privée, il ne faut pas se méprendre sur le sens
de cette épithète : “affaire privée” ne signifie pas ici affaire intime ou domestique,
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mais “affaire qui ne relève pas de la compétence de l’État”, autrement dit “liberté
privée”, dont les individus peuvent faire usage soit seuls, soit en groupe (au sein
d’Églises, d’associations cultuelles, etc.), voire dans l’espace commun à tous (les
pèlerinages, les manifestations des Journées mondiales de la jeunesse, etc.). Cela
sera repris de façon plus développée dans la troisième partie du livre (« Questions et
controverses »). Mais notons d’emblée l’importance de cette précision sémantique :
ce qu’on appelle (trop) souvent « l’espace public » (l’espace en dehors de chez soi, la
rue, un stade, un commerce…) devrait plutôt être appelé « espace social ». L’espace
public, c’est celui correspondant à la sphère des institutions publiques (tribunaux,
mairies, préfectures, écoles…). Seul celui-ci est régi par l’obligation de neutralité.
L’espace social au contraire, est “privé” : c’est « l’espace de la société civile où cha-
cun seul ou avec d’autres […] peut librement manifester sa religion par le culte »
(p. 33). De telles remarques, elles aussi conformes à la vocation pédagogique de cet
ouvrage, ne sont en un sens que des rappels. Mais par le seul fait qu’ils donnent à
connaître des éléments fondamentaux de la signification juridique recouverte par

14. Voir P. Kahn, « Le retour ambigu de la morale laïque. Faux consensus et vrais différends », Diversité,
no 182 : L’école et les valeurs. Charlie et après, 4e trimestre 2015, p. 75-79.
15. Voir P. Foray, La laïcité scolaire. Autonomie individuelle et apprentissage du monde commun.
Bern – Berlin – Bruxelles, etc., Peter Lang, 2008.
16. Voir P. Kahn, « La laïcité est-elle une valeur ? », Spirales, no 39 : Laïcité, croyances et éducation, 2007,
p. 29-37 et P. Foray, « L’école laïque entre respects de la liberté de conscience et construction du
monde commun », ibid., p. 15-27.
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le principe de laïcité, ce sont des rappels nécessaires dans un débat public dont les
protagonistes semblent parfois tout simplement ignorer de tels éléments.
Le second principe est celui de la neutralité de l’État. P. Foray rappelle à cet égard
ce qui, là encore, devrait être connu de tous mais semble méconnu par certains, à
savoir que la neutralité des institutions publiques implique celle de leurs agents,
mais non celle de leurs usagers : « Les personnes privées ne sont pas, quant à elles,
soumises au principe de neutralité de l’État et ne sont donc pas tenues au devoir
de neutralité, même en tant qu’usagers des services publics » (p. 36). L’usage du
présent de l’indicatif est ici presque ambigu : peut-être aurait-il été plus pertinent
d’écrire, au conditionnel, que, en principe, les usagers ne devraient pas être tenus à
une telle neutralité… Ce qui de fait n’est pas toujours, tant s’en faut, le cas : il s’est
même trouvé des maires pour vouloir interdire le “burkini” à la plage, qui n’est
pas précisément un espace public. Bref, la neutralité de l’espace public n’est pas la
neutralité dans l’espace public. P. Foray nous le rappelle à propos, et cela témoigne,
il faut le répéter, de l’intérêt majeur d’un ouvrage dont le caractère informationnel
est en lui-même indispensable à un débat trop souvent pollué par les partis pris
idéologiques et une certaine propension à prendre ses représentations personnelles
de la laïcité pour l’état du droit positif en la matière.
Le problème que pose la reconnaissance de ces deux principes est qu’ils peuvent
entrer en contradiction l’un par rapport à l’autre. Ainsi l’autorisation d’aumôneries
dans les lycées publics, les hôpitaux ou les prisons fait-elle primer le libre exercice
des cultes sur la neutralité de l’espace public. P. Foray remarque que c’est en général
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en ce sens que le droit hiérarchise les deux principes de la laïcité : « en faveur de la
liberté de conscience au détriment de la neutralité » (p. 44). Il est fondamental de
souligner ce point, dans un contexte où existe de plus en plus une tendance à inverser
la hiérarchie et à faire de la neutralité le principe laïque cardinal au nom duquel
il serait parfois légitime de limiter la liberté d’expression. On pourrait d’ailleurs
formuler le principe de cette hiérarchisation plus radicalement encore que ne le
fait P. Foray, en ne voyant dans la neutralité de l’État qu’un moyen ou un « mode
opératoire » (certes non contingent) au service de la liberté de conscience posée
comme la finalité essentielle visée par la laïcité. C’est notamment en ces termes
que Jocelyn Maclure et Charles Taylor caractérisent la laïcité 17. Ces différences
de terminologie peuvent certes donner lieu à d’intéressantes discussions. En deçà
de celles-ci on peut toutefois remarquer que chacune de ces deux formulations
partage avec l’autre le fait de correspondre à l’ordre syntaxique de la loi de 1905 :
la liberté de conscience est énoncée en premier (article 1) et la séparation – donc
la neutralité – en second (article 2).
La troisième partie de l’ouvrage aborde les controverses dont la laïcité est
aujourd’hui l’objet. Qu’est-ce que l’espace public ? Faut-il réviser la loi de 1905 ?
La laïcité est-elle une exception française ? Que penser de l’interdiction des signes
religieux à caractère ostentatoire à l’école ? Et de l’enseignement “laïque” des faits

17. J. Maclure et C. Taylor, Laïcité et liberté de conscience, Paris, La Découverte, 2010, p. 30.
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religieux ? Dans le cadre de cette recension, il n’est guère possible d’entrer dans
le détail des réponses, toujours mesurées et argumentées, que P. Foray donne à
ces questions. On doit toutefois relever le caractère critique, au sens positif du
terme, de ses analyses : il s’agit à chaque fois de faire apparaître la complexité et de
problématiser des “évidences” trop souvent affirmées comme telles dans le débat
public (la nécessité du lien entre République et laïcité, les prétentions universalistes
de la laïcité à la française, le bien-fondé “laïque” de la loi de 2004 sur les signes
religieux à l’école, etc.).
Un des résultats notables du livre est la mise en lumière de l’irréductibilité de la
laïcité à son cadre juridique : convoquée, dans une république qui voit se fragiliser le
lien politique qui la constitue, pour reconstituer ce lien, elle tend à se donner pour
un ensemble de valeurs qu’il s’agit de faire vivre dans la vie associative et militante
comme à l’école. Dès lors, comme le développe P. Foray dans sa conclusion, la
laïcité devient l’objet d’un conflit des interprétations, et s’opposent une laïcité
qualifiée ici de « libérale » et une autre « intransigeante et offensive » (p. 84). C’est
même le propre des débats actuels sur la laïcité, remarque P. Foray avec justesse,
que d’opposer non plus, comme par le passé, la laïcité à un adversaire idéologique
(le catholicisme antirépublicain de la fin du XIXe siècle) mais deux compréhensions
différentes de la laïcité. On peut toutefois s’interroger sur la pertinence des adjectifs
utilisés ici pour qualifier cette opposition : en quoi notamment la laïcité « libérale »
est-elle moins « intransigeante » que l’autre ? Les nombreux écrits de J. Baubérot
en attestent : la laïcité « libérale » peut elle aussi être défendue de façon « intransi-
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geante » et « offensive ». Cette terminologie (plus médiatique que conceptuelle) est
biaisée dans la mesure où elle ne permet pas de déterminer en quoi, du point de
vue notionnel, l’opposition consiste. On suit plus volontiers P. Foray quand il y voit
l’opposition entre une conception faisant de la garantie de la liberté de conscience
le fondement même de la laïcité, et une autre faisant résider ce fondement dans
le principe de neutralité. Ce qui est néanmoins curieux, c’est que la conclusion de
l’ouvrage évoque cette opposition en ne se situant pas franchement par rapport à
elle, en renvoyant pour ainsi dire les deux conceptions dos à dos, alors que, dans
le chapitre consacré aux principes, P. Foray soulignait le caractère second de la
neutralité quand les exigences liées à son respect contredisent le principe de la
liberté de conscience. Telle était du moins la jurisprudence issue de la loi de 1905,
de sorte que l’inversion de la hiérarchie (propre à la laïcité dite ici « intransigeante »
et « offensive »), contrairement à ce que prétendent ses partisans, correspondrait
alors à une transformation de l’esprit de la laïcité française. Tout cela n’est pas
clairement énoncé dans la conclusion de P. Foray, dont on peut penser néanmoins
qu’il se reconnaît davantage dans la laïcité « libérale ».
Peut-être cette prudence est-elle due au format de ce livre qui se donne comme
une sorte de « Que sais-je ? », une synthèse de ce qu’il convient de savoir sur la laïcité.
Il l’est certes indubitablement, et les premières qualités de cette synthèse sont sa
clarté et sa sobriété analytique, heureusement dépourvues de la grandiloquence
qui accompagne parfois les essais, fussent-ils théoriques, sur la laïcité. Mais il ne
faut pas s’y tromper : l’ouvrage est plus que cela. Les analyses qu’il contient, dans
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leur concision et leur sobriété mêmes, sont en effet autant d’éléments de réflexion
qui permettent de se situer dans un débat vis-à-vis duquel P. Foray, comme il le
reconnaît dans son introduction (p. 6), n’est pas neutre, mais qu’un des grands
avantages de son texte est d’aborder en substituant systématiquement la clarification
des problèmes et la discussion argumentée au style apologétique qui est si souvent
celui des écrits consacrés à cette question.

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