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Éléments d’épistémologie

de la géographie
ANTOINE BAILLY
ROBERT FERRAS
AVEC LA COLLABORATION DE RENATO SCARIATI

Éléments
d’épistémologie
de la géographie
3e édition
Illustration de couverture : © jolly/Fotolia.com
Mise en pages : Belle Page

© Armand Colin, 1997, 2001, 2004, 2018


Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN 978-2-200-62350-0
Remerciements

Un grand merci à Renato Scariati et Jean-Paul Volle qui ont pris le soin et
le temps de revoir la première version du manuscrit de cet ouvrage. Après
le décès de Robert Ferras, j’ai décidé de poursuivre la voie que nous nous
étions tracée, celle d’un mariage entre histoire de la géographie française,
domaine de compétence de Robert Ferras, et épistémologie générale des
sciences humaines, mon domaine. C’est ce qui confère à cet ouvrage son
originalité et sa longévité. Il fallait cependant l’actualiser, car l’évolution
de la géographie est rapide ; c’est ce que j’ai fait, à l’aide de Renato Scariati,
de l’Université de Genève. Il s’agit donc d’une 3e édition revue et corrigée.

Antoine Bailly
Introduction

Questions à la géographie

« Les géographies, dit le géographe, sont les livres les


plus précieux de tous les livres.
Elles ne se démodent jamais. Il est très rare qu’une
montagne change de place.
Il est très rare qu’un océan se vide de son eau.
Nous écrivons des choses éternelles. »

Antoine de Saint-Exupéry,
Le Petit Prince, 1943.

HEUREUSEMENT, à l’inverse de ce que dit le Petit Prince, les géogra-


phies sont démodées aussitôt que publiées. Il est vrai qu’elles ne parlent
plus uniquement de montagnes et d’océans immuables et indémodables,
celles-ci ne changeant pas souvent de place, ceux-là ne se vidant que très
rarement de leur eau !

Qu’est-ce que l’épistémologie ?


L’épistémologie s’aborde en son sens étymologique, comme théorie de la
science, comme dynamique d’une pensée et d’un discours scientifiques.
L’épistémologie vise ainsi trois objectifs :
– un objectif de connaissance de la pensée dominante, c’est-à-dire
la recherche de la problématique ou des problématiques majeures ;
– un objectif méthodologique pour faire saisir les modalités d’acquisi-
tion et d’organisation des connaissances qui seront utilisées ;
– un objectif de mise en lumière des démarches privilégiées pour l’orga-
nisation de la pensée scientifique, allant de la collecte des données aux
procédures de contrôle des résultats.
L’épistémologie a acquis son statut scientifique dans la lignée de la
philosophie des sciences, le Discours de la méthode de Descartes (1637)
constituant l’une des étapes de base avec l’Essai sur la philosophie des
8 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

sciences d’Ampère (1860), ces deux auteurs s’étant proposés d’étudier


la scientificité des disciplines. Mais rares sont les traités d’épistémologie
systématiques. L’« Organum » de l’Encyclopaedia universalis constitue une
exception, à travers cinq auteurs illustres, Leibniz, Locke, Kant, Hegel et
Singer, tout comme la Logique et connaissance scientifique de Piaget (1969),
notre maître à penser en sciences sociales.
L’évolution la plus contemporaine est apportée par T. Kuhn lorsqu’il
introduit, dans sa Structure des révolutions scientifiques (1962), le concept
de paradigme scientifique pour rendre intelligible la diversité des écoles.
C’est, selon lui, « l’ensemble des croyances, des valeurs communes et des
techniques propres à un groupe donné (caractéristique sociologique) qui
permettent d’apporter des solutions à des problèmes scientifiques restés
en suspens (caractéristique philosophique) ». Ainsi l’épistémologie peut-
elle reconnaître écoles, théories, méthodes, montrer à quelles sciences
une école emprunte, à qui elle prête, et quelles sciences elle enrichit.

Pour une épistémologie de la géographie


La géographie donne encore rarement l’occasion de longs développements
en matière d’épistémologie. Dans le pire des cas, certains considèrent
que « c’est de la philosophie » (serait-ce alors un handicap ?) et d’autres
que « ça n’est pas de la géographie » (mais sans dire ce qu’elle est). Cette
dernière affirmation, largement répandue à la fin du siècle dernier, n’est
plus que le fait d’une infime minorité d’usagers. Il y aurait là facilement
matière à polémique, certains s’y essaient périodiquement, dépassant le
simple débat d’idées.
Avant les années 1980, le thème avait été abordé en langue française ou
l’avait été sous un autre titre et sous d’autres formes, articles, communica-
tions à des colloques ; à l’exception de quelques ouvrages dont Les concepts
de la géographie humaine (A. Bailly, 1984), réédité cinq fois, auquel répond
Les composantes et concepts de la géographie physique (M. Derruau, 1996)
chez le même éditeur. Sous un titre mi-sérieux mi-badin, A. Bailly et
J.-B. Racine posaient le problème dans deux articles de L’Espace géogra-
phique : « Les géographes ont-ils jamais trouvé le Nord ? Questions à la
géographie » (1978, n° 1, p. 5-14) et « La géographie et l’espace géogra-
phique : à la recherche d’une épistémologie de la géographie » (1979,
n° 4, p. 283-291). La fin des années 1970 marque donc une étape dans la
réflexion épistémologique francophone, nous le verrons à travers l’évolu-
tion de la géographie actuelle et l’analyse du premier éditorial de L’Espace
géographique (1972), qui dénonçait les carences dans le questionnement
épistémologique en géographie.
Questions à la géographie ! 9

Depuis, la nécessaire réflexion épistémologique a trouvé sa place,


analysant le discours (logos) sur la science (épistémè) et la production
du savoir géographique. L’ouvrage d’Isnard, J.-B. Racine, H. Reymond
(1981) sur Les problématiques de la géographie permet d’aborder les
rapports entre l’Homme et la Terre, les moyens et les méthodes de
la connaissance géographique, les nouveaux aspects de la discipline.
Le débat, ouvert par cet ouvrage et une série de rencontres régulières
organisées par les géographes du « Groupe Dupont », s’est poursuivi
jusqu’aux années 2000.
La première rédaction de ces Éléments d’épistémologie de la géogra-
phie coïncide avec le vingt-cinquième anniversaire de la revue L’Espace
géographique (1996, n° 1), dont l’éditorial affirme être « attentif
à la nouveauté des approches et des méthodes, à la réflexion théorique,
à la confrontation des idées et des résultats ». Le dossier introductif
s’intitule : « Débat : les approches de la géographie ? » L’article de tête
est dû à H. Reymond qui, dans « Défense et illustration d’une géogra-
phie universitaire » (sous-titré « À propos du livre de J. Scheibling :
Qu’est-ce que la géographie ? », qu’il critique pour son classicisme), sou-
ligne l’utilité des nouvelles démarches, de la géographie quantitative
à la simulation informatique, en opposition à la présentation faite par
J. Scheibling. Le deuxième article, « Les sentiers de la géographie : un
peu d’air au coin du bois », est signé R. Brunet. Il traite de connaissances
géographiques, de chorématique, d’espace géographique, en clarifiant un
certain nombre de points. « Nous avons là un bouquet de débats grands
ouverts. Souhaitons qu’ils se développent et se ramifient » est-il écrit.
Bouquets de roses, certainement, pour la beauté, et épines des discus-
sions qui rythment la vie de la Nouvelle géographie.
Ce livre en sera le témoignage. Coïncidence heureuse, peut-être, mais
il y a eu et il y aura encore d’autres débats, surtout avec l’éclatement des
thèmes de géographie depuis 2000 et la mise en question des domina-
tions idéologiques. Débats à évoquer au passage lorsqu’ils en valent la
peine, révélateurs d’une géographie qui n’a jamais été aussi vivante. Cela
sans pouvoir faire l’économie, parmi d’autres, de thèmes aussi impor-
tants que : l’objet de la géographie comme corps de savoir spécifique
dans le monde scientifique, la définition de la géographie, l’examen
des concepts les plus opératoires, le domaine de la géographie avec ses
marges et ses limites, les emprunts et les échanges avec les disciplines
voisines, le discours géographique revu à travers les textes fondateurs
– souvent cités, rarement relus –, l’histoire de la géographie en grandes
étapes, les changements de paradigmes, les écoles, les courants et les
tendances.
10 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

La géographie dans le contexte scientifique


de son époque
Cette mise en ordre en forme de manuel s’appuie sur une série de textes
considérés comme importants et rappelle, si cela était encore nécessaire,
qu’une bibliographie – large mais éparse – existe en ce domaine. À condi-
tion de replacer les textes cités dans le contexte scientifique de leur temps
pour leur rendre ainsi leur rôle de repère épistémologique, tout en mettant
l’accent sur la nécessité de se familiariser avec la littérature géographique,
ses démarches et son domaine.
L’épistémologie implique quelque recul par rapport à la vieille ques-
tion des rapports entre l’Homme et la Terre, ce que certains auteurs
dénomment interface nature-culture que l’on a pu pousser parfois dans
la géographie classique jusqu’au domaine « politico-géologique » en
montrant que l’on ne vote pas de la même façon sur le granite et sur le
calcaire ! La géographie passe peu à peu d’une tradition classique faisant de
la Terre la demeure de l’homme, à une optique transformatrice : la Terre
est le territoire de l’homme « maître de la nature ». D’où l’apparition de
notions récentes en géographie, celles de solidarité, d’interaction spatiale,
d’environnement dégradable et durable, de limites de la croissance.
Mais le déterminisme s’est maintenu, dans la tradition hippocratique en
premier lieu avec les déterminations des activités humaines par l’habitat,
ou encore à travers la « théorie climatique » de Montesquieu, enfin en
débouchant sur l’environnementalisme ou l’écologie. Les positions irra-
tionnelles arrivent en bout de course, même si le président américain,
Donald Trump, reste dans cette ligne à propos du changement climatique,
quand l’essentiel de la géographie ne passe plus par des conceptions déter-
ministes de l’homme et de la nature, mais par les stratégies des sociétés
humaines sur l’espace.
Dans la géographie contemporaine les dates essentielles se regroupent
en quatre périodes, autour de 1800, entre les deux guerres franco-alle-
mandes, après la Seconde Guerre mondiale, et dans le dernier quart
du XXe siècle si fertile en avancées. Les débats, parfois redondants, se
ramènent à un petit nombre, un peu toujours semblables même s’ils
sont abordés sous des formes diverses. Certains d’entre eux sont aussi
vieux que la géographie elle-même, comme les liens entre géographie
physique et humaine, le choix des démarches et des méthodes, l’objet
de la géographie.
Les définitions sont extrêmement importantes, et savoir de quoi l’on
parle facilite la compréhension. Comment peut-on trouver autant de
jeunes collègues ou de candidats à des concours ou examens désarçonnés
devant une « simple » définition de la géographie ?
Questions à la géographie ! 11

Il y a des géographies et des géographes qui diffusent des images variées


de la géographie. Parfois à l’usage des sociétés locales à travers les revues
régionales, parfois pour les universitaires et chercheurs grâce aux revues
nationales, parfois pour les enseignants des lycées et collèges par le biais
de bulletins professionnels du type Historiens et Géographes, parfois pour
le grand public comme en témoignent les numéros spéciaux de Sciences
humaines, de Dialogues, revue de l’enseignement français à l’étranger ou du
National Geographic.
On voit entrer dans ces publications les débats sur la formation du
citoyen, le développement de l’esprit géographique. On y aborde le
rôle des programmes scolaires, l’absence d’enseignement systématique
de la géographie dans les high schools américaines, ou, à l’inverse, son
caractère obligatoire en France. Que d’évolutions ou de redondances
tout au long du siècle ne révèlent-ils pas ! En France on part en 1902
du programme bien connu : sixième, géographie générale, Amérique,
Australie ; cinquième, Asie, Insulinde, Afrique ; quatrième, l’Europe
moins la France ; troisième, la France et ses colonies ; seconde, géogra-
phie générale ; première, la France ; terminale, les grandes puissances.
Ce schéma se maintiendra peu ou prou au gré des changements de
programme, soumis à des équilibres subtils plus qu’à des remaniements
drastiques. Mais la mise en question du baccalauréat traditionnel, en
2018, pour un copié du A level à l’anglaise, remet en cause la place de la
géographie. Ce qu’avait anticipé le Baccalauréat international, donnant
une place précise à la géographie, matière à option majeure, indépen-
dante de l’histoire.

Quatre directions pour la géographie


« En dehors de la transmission de connaissances géographiques destinées à
mieux faire comprendre le monde où nous vivons et l’application d’un savoir-
faire qui trouve à s’employer dans l’aménagement du territoire, la géographie
peut-elle répondre à des besoins plus généraux à l’instar de l’histoire qui
semble satisfaire, dans le grand public, un profond besoin d’identité ? C’est
a priori possible, au moins dans quatre directions : l’invitation au voyage ; la
lutte des sociétés humaines pour dominer les milieux inhospitaliers : régions
polaires, régions désertiques, montagnes ; le souci de l’environnement, au sens
large ; l’appel à la naissance de nouvelles régions et de nouvelles nations et la
délimitation de leurs territoires. »
DRAIN M., 1984, « Les géographes en France », in La recherche géographique française, Paris,
Comité national de géographie.
12 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Ce sont ces directions, nouvelles et anciennes, qui sont présentées,


à travers celles des « pères fondateurs », puis les géographies des
années 1950, 1975, 2000 et 2018, avant d’aborder idéologies, démarches
et objectifs de la discipline dans son contexte historique.
PREMIÈRE PARTIE

La géographie
contemporaine,
1950-2000

« En somme la géographie française est en train de


sortir de sa période d’organisation…
On aurait tort de penser que la géographie est
fixée une fois pour toute dans sa structure et ses
tendances ; elle n’a que cinquante ans d’existence. »

André Cholley, 1957,


La géographie française au milieu du XXe siècle,
Paris, Baillière, p. 25.
Chapitre 1

La géographie,
une science ?

« ÉPISTÉMOLOGIE » ne signifie pas histoire, pas seulement histoire. En


revanche, il n’y a pas d’épistémologie sans histoire. Telle est la précaution
initiale à prendre, pour saisir les pensées dominantes et les démarches
scientifiques.

Vers une cohérence doctrinale


La géographie est-elle une science ? Question ancienne puisque dans la
première Géographie universelle (1810), Malte-Brun posait les bases du
rapport de la géographie avec les autres sciences, en particulier l’histoire :
« si l’une règne sur tous les siècles, l’autre n’embrassera-t-elle pas tous
les lieux ? » Ce à quoi Roger Brunet (1990) ajoute dans Mondes nouveaux,
volume introductif à la dernière Géographie universelle : « La géographie
comme science change autant que la géographie comme état du monde. »
Reste que pendant ces deux siècles, à l’image des sciences sociales, la
géographie a fait progresser ses méthodes et ses techniques avant d’avoir
prouvé sa plausibilité scientifique et ses bases épistémologiques. Elle s’est
voulue longtemps empiriste, s’attachant aux phénomènes concrets (qualifiés
d’objets), sans hypothèse explicite, sans aborder les problèmes de validité
de ses démarches et de ses modèles, en ne reconnaissant comme seule règle
que l’expérience. Réfléchir à ces problèmes revient à délimiter notre objec-
tivité et notre champ de compétences, « notre cohérence doctrinale », et à
éviter l’un des risques tautologiques majeurs des sciences sociales, c’est-à-
dire produire des interprétations qui « ont dans le dos leur point d’arrivée ».
Nous construisons sur des connaissances du monde, et la question fonda-
mentale qui se pose à la géographie est celle des limites de sa vérité, limites
qui se vérifient selon Karl Popper [1973] en une série d’étapes :
16 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

– présentation de la problématique et des hypothèses ;


– choix des concepts destinés à rendre intelligible le phénomène étudié ;
– confrontation de ces concepts avec d’autres concepts pour expliquer
la cohérence de la démarche ;
– élaboration de modèles et de théories géographiques ;
– test de ces modèles et théories pour construire un champ explicatif.
À travers le respect de ces étapes, la géographie devient non seulement
description de l’espace, mais – plus encore – « science de l’organisation
de l’espace et des pratiques spatiales humaines ». Cette géographie ana-
lyse à la fois les discours, les représentations et les pratiques spatiales
pour en dégager, selon des démarches rigoureuses, cohérences et répé-
titions, exceptions et particularités. Mais pour ce faire elle doit dépasser
ses contradictions internes.

Perspectives rationalistes ou idéalistes


en géographie ?
Au milieu du XIXe siècle, Marsh [1864] se posait la question de la place de
l’homme dans l’environnement : en fait-il partie, ou lui est-il supérieur ?
Cette interrogation l’amène à aborder celle de l’objectivité de la connais-
sance puisque suivant sa position dans l’environnement, l’homme pourra
l’analyser de façon objective ou non. Deux types de réponses seront pro-
posés par les scientifiques à la fin du XIXe siècle.
Le point de vue rationaliste considère le monde comme formé de deux
systèmes, naturels (SN) et humains (SH), en symbiose partielle :
SH/SN
L’étude du monde naturel et humain peut, selon ce point de vue, être
dissociée, et de ce fait le regard sur le SN peut être objectif ; l’homme
rationnel peut construire théories et modèles pour expliquer le monde
selon les règles de la logique positiviste.
Par opposition à cette vision, la perspective idéaliste est centrée sur
l’homme, partie intégrante du monde dont il ne peut se détacher. Cette
conceptualisation holistique débouche sur la prise de conscience de la
subjectivité de nos représentations et de nos analyses, puisque nous
travaillons en fonction de nos représentations et de nos valeurs, et que
nous faisons partie des SN :

SN
SH
La géographie, une science ? ! 17

La géographie n’échappe pas à cette réflexion sur sa position face aux


SN/SH, même si elle privilégie souvent la perspective rationaliste. En
développant des descriptions régionales, en utilisant l’analyse systé-
mique pour évaluer les potentiels de flux de déplacements par exemple,
elle cherche à objectiver l’action humaine (SH). L’espace est conçu
comme un objet susceptible de manipulations rationnelles grâce aux
méthodes scientifiques. On peut ainsi envisager une situation équili-
brée et enrichissante pour chacune des deux parties, ce que traduit la
formule :
SN SH
À l’inverse, on pourrait déplorer le cas extrême de deux points de vue
s’ignorant totalement :
SN // SH
Mais peu de géographes se posent la question des fondements idéo-
logiques de ces méthodes et de leurs résultats, comme si la science et
la technologie ne véhiculaient pas de valeurs. Le choix de la méthode
ne révèle-t-il pas des réalités géographiques différentes ? La géographie
n’est-elle pas simplement une construction intellectuelle reflétant nos
idéologies et notre intégration à une société en évolution ?

La convergence des savoirs


« L’après-Bachelard que vit la fin de notre XXe siècle dessine donc un savoir global
[…] que l’on peut sans abus appeler de nouveau “gnose”, c’est-à-dire savoir
intégral, intégrant sur un plan d’égalité heuristique le “savoir rationnel” et le
“savoir imaginaire”. […] Nos ordinateurs rationalisent à leur façon l’imaginaire,
notre imaginaire dynamise et poétise l’audace de la raison. […] C’est dans
cette “nouvelle alliance” que réside la compréhension active de ce “grand
changement” où s’engage nettement la réflexion du IIIe millénaire. »
DURAND G., 1988, « Le grand changement ou l’après-Bachelard », Cahiers de l’imaginaire,
n° 1, p. 5, 14.

C’est ainsi que Gilbert Durand conçoit la fin de la séparation radicale


entre savoir rationnel et savoir imaginaire ; ces deux modalités du savoir,
sans toutefois se confondre, permettent de comprendre la subjectivité
thématique des hypothèses scientifiques, le rôle de l’imagination créatrice
dans le cheminement scientifique et la constitution de deux séries de
processus de savoir complémentaires aboutissant à l’innovation.
Depuis longtemps, Kant a montré que les sciences sociales n’accédaient
pas aux objets qu’elles souhaitaient étudier, mais aux représentations de
ces objets. On n’accède donc pas à la région, mais à certaines de ses quali-
tés qui sont évaluées ou mesurées. Ce que nous étudions, ce sont des
18 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

modèles du monde et non la réalité. Ils correspondent à des choix subjec-


tifs qui évoluent ou non selon les sociétés.
Serge Moscovici [1987] explique que, pour comprendre le monde des
sciences humaines, il faut « comprendre comment l’esprit façonne les
rapports et les institutions, puisque chaque rapport ou institution véhi-
cule des images et des notions qui non seulement les expriment, mais
jouent le rôle de contraintes sociales servant à ordonner les gens et à
trier les choses ». Dans cette logique, la géographie est une connaissance
construite par un groupe de chercheurs développant ses propres règles
sociales et scientifiques, ce qui explique l’apparition d’écoles de pensée.
Mais, à l’École française du début du XXe siècle, a succédé la Nouvelle
géographie américaine, et une géographie culturelle et sociale au début
du IIIe millénaire.

À la recherche d’une épistémologie


de la géographie
Parmi les ouvrages français qui ont fait évoluer la discipline de ses pers-
pectives rationalistes et empiristes aux perspectives idéalistes et scienti-
fiques, celui de Hildebert Isnard [1978], bien oublié, constitue une étape
fondamentale. Il donne pour titre à son introduction, celui que nous avons
repris pour ce paragraphe : « À la recherche d’une épistémologie de la
géographie ».
Dans ce chapitre, Isnard ne cache pas ses inquiétudes quant à l’état et à
l’évolution de sa discipline. Les responsabilités lui semblent partagées, les
« modernes » ne l’ayant pas convaincu de leur potentiel à sortir la géogra-
phie des ornières épistémologiques dans lesquelles les « anciens » l’ont
laissée traîner. Il va donc essayer de repenser le projet disciplinaire, renou-
velant profondément les perspectives géographiques, en cherchant une
double pertinence, scientifique et sociale – sociale dans l’acception la plus
élevée du terme puisqu’il s’agit de la survie de l’espèce à travers l’aménage-
ment de son espace. Le primat donné à l’aménagement de l’espace et à la
vie humaine l’oblige à définir d’entrée de jeu l’espace géographique comme
produit social, non pas dans les termes d’un Lefebvre, mais plus simple-
ment à partir du postulat qu’à l’instar des autres créatures vivantes, mais
avec plus d’efficacité, l’humanité a entrepris de se libérer des contraintes
du milieu naturel pour organiser l’espace où se déroule son histoire, pour
se créer le milieu où son histoire puisse s’épanouir.
L’espace terrestre recouvre en effet deux faciès. Tout d’abord un
espace écologique qui résulte d’une longue évolution de la vie (tant
animale que végétale) intégrée au milieu physique. Cet espace serait
La géographie, une science ? ! 19

« une totalité à laquelle un ensemble de relations d’interdépendance


entre ses composants physiques et vivants confère une auto-organisa-
tion maintenue stable par des rétroactions régulatrices. C’est la vie qui
permet d’atteindre cet objectif grâce à sa capacité spécifique de répondre
aux excitations émanant du milieu ». Cet espace est un « écosystème ».
L’espace possède ensuite un deuxième faciès qui, lui, mérite le nom
d’espace géographique, que « l’action humaine a libéré de l’évolution
pour l’intégrer dans l’histoire ». C’est cet espace, conçu et construit
de toutes pièces par l’homme, qui est l’espace « géographique » et qui
constitue l’objet de nos recherches.
C’est grâce à la prise en compte de ce double faciès que le géographe
découvre les caractéristiques différentielles des sociétés créatrices, la
« société étant tout entière dans l’œuvre de mise en forme de l’espace,
conformément à la finalité qu’elle se propose ». Conception très proba-
biliste puisque la société emploie tous les moyens d’action que son état
de civilisation met à sa disposition : la force de travail de ses hommes,
l’ingéniosité de ses inventions, le soutien de ses croyances, de ses espoirs,
de ses ambitions. Ainsi conçu, l’espace géographique est, au plein sens du
terme, un produit social.
De là découle le projet géographique : « étudier comment l’action
projective de la société transforme un milieu en un espace géographique
avec lequel elle s’identifie. » La tâche active du géographe n’est-elle pas
alors de concevoir un espace géographique correspondant vraiment à
la société, définie par son système de valeurs, par son idéologie et plus
particulièrement par une politique d’aménagement ? Les géographes du
XXIe siècle devraient relire ces textes fondateurs et totalement actuels.

L’interface géographie-société
Le problème le plus grave que rencontre la géographie dans cette quête
pour sa pertinence est donc celui de l’adéquation entre ce qu’elle peut offrir
et ce qui est demandé par les sociétés. Les sociétés et leurs gouvernants
souhaitent des réponses simples, rapides, avec des raisonnements fondés
sur des causalités directes, pour envisager des solutions, de préférence, à
court terme. Ainsi la géographie, lorsqu’elle traite de questions de localisa-
tions humaines, d’aménagement de voies de transport, est-elle pertinente,
en particulier quand existent des enjeux économiques ou stratégiques
dans ces domaines. Mais lorsqu’il s’agit de questions complexes comme
le chômage, l’équilibre de l’environnement, les conséquences spatiales du
libéralisme économique et du changement climatique, les réponses ne
sont plus aussi simples. La géographie n’offre plus « la solution », mais
20 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

des visions de la question… ce que n’apprécient pas les politiques vivant


sur le court terme !
L’acceptation du principe d’incertitude apporte un élément de réponse,
face à cette complexité et à la relativité de notre connaissance. Mais ce
faisant, la géographie s’éloigne de la demande sociale et le fossé se creuse
entre la discipline et la société. Faut-il s’en inquiéter et infléchir nos
projets vers une science appliquée, ce qui a été qualifié de géographie
« appliquée », ou avec une nuance de géographie « active » ? Ou penser
que notre idéologie scientifique permettra d’apporter – un jour – des
réponses à de nouveaux problèmes de société, et de ce fait poursuivre
la voie engagée ? La réponse n’est pas aisée tant les voies scientifiques et
professionnelles sont multiples.
Il peut y avoir opposition et malentendu entre ces visions. D’un côté
l’affirmation du fait que, si l’on veut que notre recherche ait un sens, il
faut établir, préalablement, l’existence réelle d’un objet géographique
pertinent. Mais pouvons-nous accepter, d’un autre côté, que ce soit la
seule voie ? Une telle conception est contestable et contestée par les
tenants d’une géographie fondamentale. Pour ces derniers, la méthode
empirique du savoir géographique ne constitue qu’un élément, à condi-
tion de ne pas croire que tout le savoir est réductible à l’observation.
Il n’est donc pas inutile de mettre en garde les géographes contre les
abus auxquels a pu conduire un seul type d’analyse. C’est en utilisant de
façon critique et comparative les diverses approches que les géographes
y trouveront une valeur ; mettre en question la connaissance du point
de vue de son insertion dans le social, autrement dit, en explicitant les
choix qu’elle sous-tend, pour en percevoir les enjeux et en discuter les
options alternatives, voilà qui conduit à la mise en évidence des finalités
des individus et des groupes.
L’espace géographique est issu des rapports qui se nouent et se dénouent
entre différentes conceptions du monde ; processus conflictuel, il ne peut
être réduit à une vision, mais doit être appréhendé dans un contexte proba-
biliste ; il en est la boîte noire et lui pose question. L’ignorer c’est privi-
légier une conception faussement déterministe et unitaire de la science.
Comprendre la relation des géographes à leur objet de recherche revient
donc à aborder le procès de connaissance qui ne se résume pas en une simple
relation descriptive. Un diagramme triangulaire « de la connaissance »,
avec à sa pointe l’espace géographique, objet de nos recherches, illustre
le caractère complexe de la connaissance. L’idéal d’objectivité pousserait
à organiser la relation selon des méthodes scientifiques à la manière des
sciences expérimentales, mais nos croyances, nos vécus, médiatisent cette
connaissance. La liaison entre « connaissance » et empathie se fera grâce
La géographie, une science ? ! 21

aux idéologies qui guident notre conception du monde ; c’est à ce niveau


qu’apparaît la complémentarité des démarches entre les deux approches.
On entend par empathie une relation affective aux lieux [BAILLY, 2014]
et à l’objet de recherche, relation mise en évidence par les philosophes
grecs. Ainsi le diagramme peut-il se lire de façon différente selon les
époques ; comprendre lors de l’Antiquité grecque, croire au Moyen Âge,
expérimenter à l’époque des Lumières, expliquer dans le cadre de la
géographie actuelle. À chacune de ces étapes, le choix idéologique est
fondamental, comme le montre le diagramme de la connaissance.

Espace géographique

COMPRENDRE Croyances Méthodes EXPLIQUER


Représentations expérimentales

Sciences narratives Idéologie Sciences expérimentales

La géographie change,
la géographie a bien changé
« Longtemps, un idéal d’objectivité, issu des sciences physiques, a dominé et
divisé les sciences humaines. Aujourd’hui, une nouvelle conception de l’objectivité
scientifique est en train de naître, qui met en lumière le caractère complémen-
taire et non contradictoire des sciences expérimentales, qui créent et manipulent
leurs objets, et des sciences narratives, qui ont pour problème les histoires qui se
construisent en créant leur propre sens. »
PRIGOGINE I. et STENGERS I., 1988,
Entre le temps et l’éternité, Paris, Fayard.

Parmi ces sciences narratives, qui se construisent en créant leur propre


sens, la géographie.

Une géographie empiriste


Malgré la permanence de ces questions fondamentales, nous avons lu dans
l’éditorial du premier numéro de L’Espace géographique (1972) : « La géo-
graphie française n’a jamais beaucoup goûté les interrogations épistémo-
logiques. » Tel n’est plus le cas, cette question a acquis droit de cité dans
22 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

les débats des géographes, en particulier depuis la préparation du Géopoint


1976, quand des géographes, dont le Groupe Dupont, essayèrent d’obte-
nir le concours du père de l’épistémologie génétique. S’ils se réunirent à
Genève dans l’auditoire qui porte son nom, ils ne purent l’entendre.
Pour Piaget, en effet, la géographie, discipline carrefour, n’avait pas
d’épistémologie et ne pouvait en avoir. Son refus ne devait rien à l’humeur
mais davantage à un manque d’information sur l’évolution récente de la
discipline et son image à mi-chemin entre les sciences de la nature et celles
de l’homme. Pour Piaget, les géographes se devaient de faire un choix
entre ces deux types de sciences. Bien des départements liant géographie
et sciences de l’environnement ont oublié ce questionnement. Et pour-
tant, il reste valable. La recherche de la mode n’oblitére pas les questions
épistémologiques.
La géographie ancienne s’était voulue radicalement empiriste. Si théo-
rie il y avait, elle n’était que l’émanation des phénomènes observés. Les
géographes avaient pris l’habitude de travailler sans hypothèse, à l’aide de
méthodes analytiques, produisant leurs théories non pas en les déduisant
simplement d’une réfutation de suppositions contraires, mais en les déri-
vant d’expériences. C’est la façon la plus élémentaire et la plus optimiste
de concevoir la démarche scientifique : la théorie est contenue dans les
phénomènes, d’où il suffit de l’extraire. Or on sait depuis longtemps que
cet effort pour inférer une théorie à partir de l’empirie (les faits obser-
vables) ne nous conduit à aucune certitude. La géographie avait ainsi pris
l’habitude « d’atteindre » les problèmes au bout de son analyse, plutôt
que de se les poser comme point de départ, ce qui reste le cas dans de
nombreuses recherches appliquées, sources de financement de bien des
départements !

Vers une science géographique


Et pourtant, nombreux sont les géographes qui optent maintenant pour
une démarche diamétralement opposée. L’essence de l’activité géogra-
phique consiste à poser des hypothèses, à formuler des théories et à
tester des prédictions qui en découlent par confrontation à l’informa-
tion. La réflexion épistémologique, dans ces conditions, est pour notre
discipline non seulement légitime mais encore nécessaire, ayant à déter-
miner, de façon critique, son origine logique, sa valeur, sa portée.
Par quoi pourrait se définir la science géographique ? Par des théories,
un langage, des axiomes ? Axiomatiser une discipline revient d’abord à
prouver ou à montrer qu’elle est une forme de connaissance du monde
théoriquement fondée. Les premières tentatives d’axiomatisation
sont dues à des chercheurs isolés : von Thünen (1826), Weber (1909),
La géographie, une science ? ! 23

Christaller (1933). Nous disposons ainsi en géographie de « constructions


intellectuelles méthodiques et organisées » capables de rendre compte
d’un ensemble de faits observés et d’en prévoir d’autres, méritant ainsi
aux yeux des épistémologues, le nom de théorie.

Théorie, axiome, concept, construit


Théorie : système explicatif d’un ensemble de phénomènes que l’on propose,
avant de le soumettre à un contrôle expérimental. Ce système réfère à un
ensemble de lois reliées logiquement par des principes internes. Tandis que
l’observation n’offre qu’un compte rendu de faits (la collection de « timbres-
poste » chers à la géographie traditionnelle) la théorie rend compte de ces
mêmes faits (O’NEILL W., 1972, Faits et théories, Paris, Armand Colin, p. 9-10).
Une théorie suppose des axiomes de départ.
Axiome : proposition (indémontrable) placée en tête d’une théorie non
déductive. L’axiome chorologique, d’après G. Nicolas-Obadia, énonce qu’« est
géographique tout objet, au sens statistique du terme (observable et mesurable),
qui différencie la surface terrestre ».
Concept : représentation mentale abstraite. Le concept constitue une définition
opératoire d’origine théorique, qui prend son sens dans le cadre d’une
problématique. Il est toujours une reconstitution analytique du monde.
Construit : à la différence du concept, le construit garde un contenu empirique.
Même si la géographie pratique plus les construits que les concepts, force est de
constater qu’il n’existe pas de construit sans concept.

Le géographe dispose d’un certain nombre de concepts et de construits


capables de l’aider à trouver un ordre géographique. Il emploie aussi
les concepts de l’économie spatiale (portée des biens et des services),
de la psychologie (rationalité limitée), de la physique (entropie), de la
systémique (système-monde), pour ne citer que quelques exemples. Mais
ceux-ci s’organisent de façon originale dans la perspective spatiale que
leur confère le point de vue géographique.

De nouvelles ambitions
Depuis les années 1970, le temps est venu d’un vaste effort de réflexion
qui précise ce que la géographie veut et peut rendre intelligible. Elle parle
de structures. Celles-ci reflètent dans l’espace les sociétés qui les créent.
Le géographe cherche à retrouver la société à travers son espace. « La
science de l’arrangement des lieux de la Terre, volet technique de la géo-
graphie, permettrait au volet critique de proposer des choix opérationnels
24 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

susceptibles non seulement d’expliquer mais aussi de transformer la rela-


tion de la société à l’espace » (H. Reymond, 1977).
Les ambitions méthodologiques de la géographie ont aussi leurs
exigences. Dans le cas du choix de la démarche dite déductive, passer
des axiomes aux théories suppose des démonstrations faites selon les
règles d’inférence, connues et valables, reposant sur des lois logiques
et connues. L’effort de rigueur ne s’arrête pas là, à cet instant où le
géographe se retourne sur l’épistémologie de sa discipline, il ne doit
pas perdre de vue qu’il est homme subjectif. Si « le postulat d’objecti-
vité est consubstantiel à la science… la même objectivité nous oblige à
reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que
dans leurs structures et performances ils réalisent et poursuivent des
projets » (T. Monod, 1970). On se trouve à l’intérieur d’un cercle qui
exprime le fait que le chercheur fait lui-même partie de la société qu’il
se propose d’étudier.
« Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique » écri-
vait Dilthey (1833-1911) pour dissocier le concept d’explication de celui de
compréhension. Pour lui l’explication est ainsi un mode de connaissance
fondé sur l’analyse des causes des phénomènes, alors que la compréhension
s’attache à l’intention des acteurs. C’est sur la base de cette dissociation
que Dilthey fondait la rupture entre les sciences expérimentales et celles
de l’esprit (narratives) puisqu’à chacune d’elles correspondait un mode de
connaissance spécifique fondé sur la nature même de l’objet scientifique.
L’Introduction à l’étude des sciences humaines date de 1883. Cette rupture
est nuancée par Piaget qui distingue deux aspects de la connaissance « irré-
ductibles mais indissociables ». Il nous rappelle que les raisonnements
sont gérés par la zone dite « intentionnelle » de l’âme (croyances, désirs,
motivations, « vécus »), et que la cognition mobilise des capacités pour
les rationaliser a posteriori… Il s’agit d’une rationalisation des proces-
sus subconscients pour aboutir à des résultats scientifiques par divers
langages comme les mathématiques (H. Béguin, 1979), ou l’expression
verbo-conceptuelle. Du point de vue épistémique, cette vérité « psycholo-
gique », rationalisée a posteriori (Ein Gefühl fur Wahrheit), ne constitue
qu’une croyance, malgré son utilité pratique.
La géographie se trouve dans la situation décrite par Piaget. En effet,
la formalisation permet d’organiser un monde perçu et ressenti. Elle
aborde donc la compréhension des phénomènes et non leur explication
au sens épistémologique. La question de l’objectivité-subjectivité est
donc liée à celle de la construction de nos raisonnements et des proces-
sus cognitifs.
Par suite de la diversité des représentations, si la réalité matérielle
est une, ses connaissances sont multiples et rien n’assure a priori leur
La géographie, une science ? ! 25

intercohésion. Toute étude de géographie, en organisant la connaissance


par valorisation de certains points de vue et de certaines logiques, est
donc éminemment subjective. Même si chaque chercheur peut défendre
la logique de son modèle, il ne faut pas oublier la diversité des visions du
monde, donc de ses modèles potentiels… et réduire la géographie à une
idéologie disciplinaire dominante. Et ne pas oublier de relire les anciens !

Lectures conseillées
BAILLY A., 2014, Géographie du bien-être, Paris, Economica-Anthropos.
BALLY A., BÉGUIN H. et SCARIATI R., 2016, Introduction à la géographie humaine, Paris,
Armand Colin, 9e éd.
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd.
BERTHELOT J.-M. (dir.), 2012, Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF.
CLAVAL P., 1999, Histoire de la géographie française de 1970 à nos jours, Paris, Nathan
Université.
CLAVAL P., 2003, Causalité et géographie, Paris, L’Harmattan.
FEYERABEND P., 1980, De Vienne à Cambridge : l’héritage du positivisme logique de 1950
à nos jours, Paris, Gallimard.
GEORGE P. et VERGER F. (dir.), 2013, Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF.
GLEICK J., 1987, Chaos: Making a New Science, New York, Penguin.
ISNARD H., 1978, L’Espace géographique, Paris, PUF.
MARSH G., 1864, Man and Nature, New York, Charles Scribner.
MOSCOVICI S., 1987, Actes du IIe Colloque sur la didactique de l’histoire et de la géographie,
Paris, INRP.
PIAGET J. (dir.), 1967, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de La Pléiade ».
POPPER K., 1973, La logique de la découverte scientifique, Lausanne, Payot.
Chapitre 2

Au milieu du XXe siècle,


les années 1950

AFIN DE SUIVRE les chemins qui mènent à la géographie contemporaine


ce livre ne s’ouvre pas sur une présentation historique remontant aux
origines de la discipline. Il est préférable d’expliciter la voie vers la cohé-
rence doctrinale par la mise en évidence de coupures chronologiques.
Parmi les plus marquantes dans l’épistémologie récente de la géographie,
celles de 1950 et 1975 sont essentielles. Sans préjuger d’autres coupures
dans lesquelles la géographie est en passe d’entrer, on considère que les
années 1950 constituent bien une étape dans l’histoire de la géographie.
Tous ceux qui en ont retracé les grandes phases la soulignent, tout comme
ils prennent volontiers en compte des dates clés comme l’introduction
à l’Histoire de France de Lavisse écrite par Vidal de la Blache en forme
de « Tableau géographique » au tout début du siècle (1903). D’autres
choisissent, en outre, la Première Guerre mondiale, ou la grande crise
mondiale de 1929.
En France, une longue filiation, séculaire, se termine vers 1950. La
descendance de Vidal – formé lui-même chez Humboldt et Ritter – dispa-
raît avec De Martonne qui marque la fin d’une génération, celle de l’École
française stricto sensu, essentiellement de géographie régionale. « Cette
“montée” de la géographie française était le résultat normal d’une période
d’organisation qui avait débuté avec Vidal vers la fin du XIXe siècle et qui
s’est prolongée pendant les vingt-cinq années suivantes grâce à l’action
de ses élèves directs parmi lesquels le nom de De Martonne doit être mis
en relief » (CHOLLEY A., 1957, « Tendances et organisation de la géogra-
phie en France », La géographie française au milieu du XXe siècle, Paris,
Baillière, p. 13).
Dans les années 1950, la situation change, écoles naissantes, emprunts
qui se confirment, courants qui se concrétisent marquent les vingt-cinq
années suivantes. On les discerne à travers les publications du temps.
28 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Cette situation sera interprétée de façon antinomique : pour les optimistes


la géographie entre dans une ère de progrès. Pour les pessimistes, elle ne
peut qu’être en crise ; le terme de crise, trop « moderne » pour l’époque,
étant emprunté au vocabulaire actuel.

État des lieux dans les années 1950


Discipline descriptive, attachée à l’analyse de l’influence du milieu
physique sur la répartition des hommes, la géographie fait, avant les
années 1950, la part belle aux sociétés traditionnelles. Elle s’inscrit
dans la réflexion trinitaire du temps, « situer, décrire, expliquer », et
l’applique à la connaissance du monde qui émerge à peine de la Seconde
Guerre mondiale.
La géographie, dans la tradition du siècle précédent, apporte toujours
des connaissances sur les régions convoitées par les États, les firmes et
les chambres de commerce dans les empires coloniaux ou ailleurs. Elle
valorise encore les identités nationales et régionales et contribue à la
formation des citoyens. Ce rôle social et politique est présent dans les
écrits majeurs de l’époque, quelles que soient les écoles nationales.

Écoles française, allemande, américaine


Elles ne sont pas les seules, elles sont les plus importantes. En France,
depuis Vidal (1845-1918) s’est constituée une école brillante autour de ses
anciens élèves de l’École normale. Cette géographie, qui se veut avant tout
régionale, explique la répartition des hommes par une prise en compte des
éléments physiques, détaille les organisations sociales en longues descrip-
tions largement littéraires, puis aborde la vie de relation des populations
dans ces milieux homogènes. Sont ainsi traités finement les rapports entre
le relief, le climat, le sol et l’agriculture…, successivement ressources natu-
relles et vie économique. Le concept de genre de vie, bien adapté à une
idéologie à la fois environnementaliste et possibiliste, est partout présent
dans la revue-phare de cette école, les Annales de Géographie, publiée
chez Armand Colin depuis 1892, et dans des écrits de référence toujours
utilisés en 1950 dont le Tableau de la géographie de la France (Vidal, 1903).
Dans sa Géographie humaine (1909), Jean Brunhes développera cette
vision du rôle des milieux naturels sur les paysages et l’utilisation des sols.
Quant au monde dans son ensemble, il est traité selon la même démarche
à travers les volumes de la Géographie universelle, lancée par Vidal et
poursuivie par Gallois.
Face à cette école dominante aux nombreuses ramifications à tous
les niveaux de l’enseignement et de la recherche mais non exclusive,
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 29

Blanchard, parfois présenté familièrement comme « l’antipape de


Grenoble », accorde une place bien plus importante aux phénomènes
urbains, tout comme Lavedan qui rédige en 1936 la première « géogra-
phie urbaine », œuvre déjà engagée dans une vision moderne de la
géographie.
Pour l’École allemande, rivale de cette École française, la géographie
joue également un rôle civique majeur, proposant une approche des iden-
tités à travers les analyses de paysages. On parle du Landschaft, d’unités
culturelles et paysagères et du rôle des traditions rurales. Le géographe
doit être « homme de terrain » pour être à même de comprendre l’enra-
cinement des populations dans leur milieu de vie. Ou les dérives nationa-
listes de cette géographie portée à s’interroger sur les territoires nationaux
pour les remettre en cause et proposer de nouvelles frontières au peuple
allemand. Cette géopolitique culturelle jouera un rôle jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale.
Mais la défaite de l’Allemagne, de façon indirecte, permet de découvrir,
hors du territoire européen, l’existence d’une École américaine, dite « du
Midwest » et illustrée par Hartshorne (1899-1992) et Sauer (1890-1975).
Ces géographes, soucieux de la collecte de l’information et des outils
d’analyse, s’appuient sur les travaux des naturalistes et sociologues dont
ceux de la fameuse École de Chicago qui fonde l’écologie urbaine dans
les années 1920. Ils découvrent, au-delà de la description des paysages, le
rôle de l’anthropologie culturelle, l’essentiel étant de saisir comment les
groupes utilisent le milieu pour produire, construire et circuler. Aucun
déterminisme dans cette analyse proche de celles de Sorre et de Gourou,
mais plus de rigueur dans l’évaluation des rapports homme-milieu.
G. White, par ses travaux sur les risques naturels liés à la surexploitation
humaine (inondations, déboisements), traduit l’aboutissement de cette
géographie, encore peu lue en Europe.
Ces conceptions de la géographie se diffusent dans le monde,
d’Allemagne vers l’Europe centrale et de l’Est, de France vers le monde
méditerranéen, Portugal, Espagne, Italie, l’Amérique latine, la Roumanie,
la Pologne et des États-Unis vers le monde anglophone, l’Europe du Nord.
Cette diffusion est illustrée par Cholley qui publie un article dont le titre
et le lieu d’édition sont tout à fait caractéristiques de l’esprit du temps :
« Les tendances nouvelles de la géographie en France », dans la Revue de
géographie de Zagreb (1949), qui porte la marque du pouvoir de l’École
française.
À ces écoles, on pourrait en ajouter d’autres : italienne plus soucieuse
des voyages, et soviétique marquée longtemps par le pouvoir stalinien.
Mais toutes véhiculent le souci du lien homme-nature, sans récuser un
héritage nationaliste et parfois colonial.
30 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Chefs de file
Ce qui suit n’est ni une sorte de who’s who ni un palmarès. Simplement,
les noms proposés permettront aux lecteurs d’aller retrouver quelques-
uns des textes importants, croisés avec les conseils de lecture qui suivent
et les références bibliographiques.
Jusqu’aux années 1920, la géographie restait essentiellement l’affaire de
quelques personnalités liées à un monde universitaire peu « consomma-
teur » de cette discipline. L’ouverture des accès à l’université multipliera
la demande en enseignants-chercheurs, l’élargissement des positions
philosophiques des uns et des autres avec, à l’opposé, une géographie
« engagée » et une géographie « conservatrice ».
L’année 1950 marque la fin d’une génération de scientifiques, octogé-
naires pour une bonne part d’entre eux. En France, celui qui a dominé
la discipline après la disparition de Vidal est De Martonne (1873-1955),
puis, la même année, Baulig (1877-1962) et Sorre (1880-1962), peu après
Febvre, historien très proche des géographes (1876-1956). S’illustrent à cette
période et font partie de la même génération, en Italie Almagia (1884-1962),
en Norvège le climatologue Bjernknes (1862-1951), en Allemagne Penck
(1858-1945), aux États-Unis Park, connu par l’École de Chicago (1864-1944)
et Schaefer (1904-1963) qui a publié sur l’exceptionnalisme en géographie.
Clozier, soucieux de présenter dans son Histoire de la géographie ses
contemporains immédiats, reste très prudent, selon les traditions de
l’époque. Le chapitre VII (« La géographie moderne ») cite peu d’auteurs.
Deux noms seulement se détachent, Humboldt et Ritter (10 citations),
devant Vidal (3), les fondateurs allemands et De Martonne. Le chapitre VIII
(« La science géographique ») permet de recenser Vidal (18 citations),
Baulig (6), Davis et De Martonne (5), Penck et Gilbert (3). Cumulant
les noms évoqués dans ces deux derniers chapitres le classement donne
alors : Vidal (21), Ritter (11), Humboldt (10), Baulig et De Martonne (7).
L’École française de géographie est représentée par Demangeon, Cholley
et Blanchard (3), Sion (2), Sorre, Musset, Birot, Allix et Brunhes (une
mention). Plus qu’un simple comptage, pouvant sembler anecdotique, il
y a là mise en évidence du rôle intellectuel joué par un certain nombre de
pères fondateurs.

Coupures
La géographie n’échappe pas aux grands courants de pensée. Or, les
années 1950 marquent un certain nombre de coupures.
La première est due à un événement, la fin de la Seconde Guerre
mondiale et l’entrée dans un autre XXe siècle qui survient dans une France
encore bien rurale, empêtrée dans des structures d’un autre âge. Mieux
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 31

qu’à l’issue du premier conflit mondial, on saisit les interdépendances


qui se sont révélées à l’échelle mondiale à travers les différents théâtres
d’opérations.
La deuxième coupure marque la fin des géographies dans leurs écoles
nationales, principalement en Allemagne et en France, et l’ouverture sur
d’autres écoles. Elles viennent pour l’essentiel de la langue anglaise. Une
page se tourne ainsi, celle des héritages germaniques et francophones.
La troisième coupure est liée à la prise de conscience de la course vers
la modernité qui relève d’une géographie urbaine, industrialisée, polarisée,
émergeant de publications s’ouvrant à la quantification.
La quatrième traduit l’arrivée d’idées nouvelles, au sens le plus large,
directions de recherche, nouveaux outils, méthodes différentes. Elles vont
permettre de dépasser les duplications à l’ancienne, chacun sur « sa »
région, et de s’ouvrir à de nouvelles méthodes.

Mutations géographiques
« L’ampleur et l’accélération des transformations dans tous les pays sont telles
que le mot de mutation paraît le seul exact. Les progrès de la technique nous
font un monde nouveau.
Tous les compartiments de l’activité humaine sont touchés par des révolutions en
chaîne. Le géographe renoncera-t-il à comprendre ce monde dont la complexité
le déconcerte ? Ou bien va-t-il assouplir ses méthodes, à la mesure de cette
complexité ? La recherche géographique, comme toutes les autres branches de
la recherche, est baignée dans une atmosphère étrangère à nos aînés. Nous ne
savons pas très bien où va notre univers. Il est bien clair que nos moyens de
connaissance doivent s’élargir en même temps qu’il change. Cette adaptation
de l’intelligence à son objet ne signifie pas nécessairement rupture radicale avec
le passé. »
SORRE M., 1957, La géographie française, Paris, Baillière, p. 8.

Sorre met ainsi l’accent sur la coupure du moment, avec quelques


nuances.
Face à ces coupures apparaissent des continuités, perpétuées par les
descendants intellectuels de Vidal. Vidal reconnaissait volontiers tout ce
qui lui venait d’outre-Rhin à travers les travaux de Humboldt qui l’a initié
et de Ritter qui l’a converti en faisant de cet historien un géographe. Sans
oublier Ratzel. Quant à Reclus, on sait qu’il a été formé en Allemagne
et a bénéficié des leçons de Ritter. Géographies différentes… formation
commune pour les deux grands noms de la géographie universitaire et de
la géographie libertaire du XIXe siècle.
32 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Que pouvait-on lire en 1950 ?


La période, bien ciblée, bénéficie d’une reprise éditoriale qui succède aux
restrictions de la guerre. Sont créées ou confortées des collections pro-
mises à un grand avenir comme les « Que sais-je ? » d’Angoulvent aux PUF
(1941), équivalent par la forme du « Livre de Poche » qui voit le jour dans
les années 1950. Une publication de qualité, l’Atlas des formes du relief,
fait connaître des instruments cartographiques et photographiques bien
choisis. La bible des géographes du temps est enfin le Guide proposé par
Cholley qui dirige l’Institut de géographie de la Sorbonne.
Le « maître » propose à ses étudiants un programme de lectures qui
n’est pas sans intérêt comme le montre la première édition. Les titres
recensés donnent bien le ton de l’époque.

Les bases du temps


Sont signalés « des ouvrages de consultation courante, classiques en quelque
sorte, où l’élève est assuré de trouver l’esprit de la méthode géographique ».
En premier lieu les atlas : Atlas « général » de Vidal (1933, Armand Colin),
atlas de climatologie, de géographie économique, Atlas des colonies fran-
çaises, Atlas de France (entamé la même année par le Comité national de
géographie). Les revues sont trois à Paris, Annales de Géographie, Bulletin de
l’Association de géographes français, Revue générale des sciences pures et appli-
quées et cinq en province : Grenoble, Lyon, Montpellier, Lille et Toulouse.
La géographie physique générale voit le Traité de De Martonne se parta-
ger avec des auteurs britanniques et allemands, Machatschek (Das Relief
der Erde, Berlin, 1938) et Köppen, (Handbuch der Klimatologie, Berlin,
1930-1938), ou français, Vallaux pour les mers (Alcan), Pardé pour ses
Fleuves et rivières et Gaussen pour la Géographie des plantes (les deux chez
Armand Colin). En géologie, on cite Bertrand et Gignoux.
La géographie humaine et économique renvoie à deux ouvrages : les
Principes de géographie humaine de Vidal et la Géographie humaine de Brunhes.
Mais c’est la géographie « régionale » dans la lignée du Tableau de
Vidal qui multiplie les références à travers les thèses, une dizaine sur les
Alpes et autant sur le Massif central, selon un double choix portant sur
le monde rural d’altitude.

« Que sais-je ? » : les enseignements


d’une collection pour le grand public
Destinée aux étudiants par la façon commode dont elle aborde de
grandes questions, la collection « Que sais-je ? » entame une longue série
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 33

encyclopédique et accueille les premiers travaux de géographie dont les


titres ne seront finalement jamais très nombreux par rapport à d’autres
disciplines.
L’examen des cent premiers numéros donne le ton, avec une vingtaine
d’entre eux consacrés à l’histoire, dont une quinzaine sous la mention
« histoire de… ». Un seul s’inscrit clairement en géographie, même si des
titres sur les ports maritimes ou d’autres thèmes restent proches de la
spécialité ; c’est le numéro 65 (première édition en 1942) dû à Clozier : Les
étapes de la géographie, intitulé à la troisième édition (1960) : Histoire de la
géographie, qui sera renouvelé – plus d’un demi-siècle plus tard – sous le
même numéro et le même titre par Paul Claval (1995). Clozier, Inspecteur
général de l’Éducation nationale, auteur de thèses sur La gare du Nord et
Les Causses du Quercy (publiées toutes deux chez Baillière en 1940) colla-
bore au manuel pour les classes de Première, La France de Cholley, chez
le même éditeur en 1936. Il se place dans l’orientation historique de la
collection, appliquée pour la première fois à la discipline-sœur. Le livre
est sans bibliographie.
La centaine d’ouvrages, qui suit dans la collection, confirme la publica-
tion de travaux pouvant servir – et servant – aux géographes mais iden-
tifiés sous d’autres rubriques, comme café ou charbon pour les grands
produits, la Population due à Sauvy, les Pêches maritimes de Dardel, les
Noms de lieux de Rostaing. Le troisième géographe, publié après Clozier et
Dardel et pour une longue série, sera Pierre George qui propose l’Économie
de l’URSS (n° 179, 1945) et, sous un titre enfin classé dans la spécialité, la
Géographie sociale du monde (n° 197, 1945). Suivent dans le même style
et du même auteur une Géographie agricole du monde (n° 212, 1945), une
Géographie industrielle du monde (n° 246, 1946) précédant un retour à la
géographie des États (Les États-Unis, n° 223, 1946). La liste des auteurs ne
s’élargit guère. À Clozier, avec l’Économie de l’Europe centrale germanique,
répond une Europe centrale et danubienne de P. George. Apparaissent
l’Économie de l’Amérique latine de Beaujeu-Garnier, la Géographie bota-
nique de Carles, et la Tunisie de Klein, premier titre « régional ».
La tendance se confirme autour des numéros 400 avec l’Économie du
Commonwealth d’un autre inspecteur général, Crouzet, une Géographie
agricole de la France de Sourdillat, et le Maroc de J.-L. Miège. La
Géologie de la France de Goguel marque en 1950 le cinq centième titre
publié. Façon d’apprécier le domaine géographique désormais couvert,
dans la décennie 1950 on traite déjà des Antilles (J. Pouquet, 1952),
du Brésil (P. Monbeig, 1954) et de l’Océanie (A. Huetz de Lemps, la
même année).
34 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

L’outillage iconographique nécessaire


à la géomorphologie
La publication du remarquable Atlas des formes du relief, par l’Institut
géographique national (IGN) en 1956, révèle bien lui aussi les orienta-
tions de l’immédiat après-guerre en France. Un premier choix se dégage
de la composition du Conseil scientifique. Il comprend deux professeurs
de géographie de la Sorbonne, Cholley, comme président, et Birot ainsi
que Chardonnet, qui enseigne à l’université de Dijon et à l’École natio-
nale des sciences géographiques. Le choix de trois membres du corps
d’inspection souligne les équilibres respectés entre le second et le pre-
mier degré et l’enseignement technique. Clozier représente le directeur
de la DGES (Direction générale de l’enseignement secondaire). Suivent
trois ingénieurs, un du génie rural et deux géographes (l’un d’entre
eux secrétaire du groupe), et un colonel de la section géographique de
l’Armée (l’IGN est dirigé alors par le général Hurault). La décision de
publication est prise par un inspecteur général des Ponts et Chaussées
sur proposition de Cholley en janvier 1953. Le Journal officiel de février
1954 entérine l’accord signé entre le ministère des Travaux publics et
de l’Éducation nationale.
L’objectif est de proposer aux professeurs et aux élèves un outil, en
mettant à leur disposition des documents sur des « formes typiques du
relief » de la France et de ses territoires extérieurs. Défilent alors les cartes
d’exercice. Cône de déjection du Riou Bourdoux en Ubaye, capture du
Val de l’Asne, méandre recoupé de Dun-sur-Meuse, relief appalachien de
Lavelanet, fossé tectonique de Quinson ou gradins de la Côte-d’Or, coulée
basaltique des Coirons, antécédence du Fier au sud de Seyssel, poljé de
Cuges ou lido d’Agde. Douze chapitres traduisent les étapes de l’ensei-
gnement proposé en géographie générale physique, vallée, cuesta, pli,
faille, volcanisme, etc. Chaque ancien étudiant en géographie de l’époque
retrouvera obligatoirement des exemples connus, gravés et reproduits à
satiété à l’occasion de travaux pratiques. Cette diversité, servie par des
conditions d’impression remarquables allant jusqu’à des vues « en relief »,
se complète de commentaires et souvent d’une coupe géologique.
Enfin, la préface, sous la plume de Cholley, part de la carte et de ses
compléments, insiste sur le concret, les bases nécessaires, l’importance
des travaux pratiques. L’emploi conjugué de la carte et de la photogra-
phie verticale ou plus rarement oblique ne dispense pas « de recourir à
l’étude sur le terrain ». Courbes au 1/50 000 et hachures au 1/80 000 sont
les plus usitées car la moitié du territoire national métropolitain est levé
au 1/20 000 et 1/50 000 en couleurs, alors que la couverture photogra-
phique, intégrale, est renouvelée périodiquement. Le texte reste plat, sans
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 35

problématique ni intentions précises, sinon l’accent doublement mis sur


le concret et l’outil. Le répertoire est certes très utile, mais il ne dépasse
pas le simple inventaire des formes de relief considérées comme typiques :
sans cela pas de géographie.

La « Bible » en forme de guide


Cholley propose en 1942 (PUF) son Guide de l’étudiant en géographie qui
devient en 1951 : Géographie, guide de l’étudiant (deuxième édition), un
ouvrage qui a joué un grand rôle de référence dans la formation des géo-
graphes de son temps. Il y a là plus que le changement d’un titre dont
on a renversé les composantes. C’est certainement le « moment venu
de préciser les tendances qui agitent à l’heure actuelle la géographie en
France » dit l’auteur dans la préface de la deuxième édition, dénominateur
commun des années 1950. Le « guide », bréviaire à l’usage des étudiants
et de tous ceux qui touchent à la géographie, est conçu comme un bilan
sur la géographie française au milieu du siècle. Peu de choses ont en appa-
rence changé entre les deux éditions, mais ce qui a bougé est instructif
en matière de réflexion sur la géographie. La modernité de la démarche
permet de constater que l’emploi de « territoire » est plus ancien qu’on
pourrait le croire. De même, les concepts de combinaison et de système
sont largement mis en avant : « toute morphologie résulte bien de l’action
de systèmes d’érosion qui dépendent directement du climat » (1951, p. 40)
et apparaissent « les systèmes idéologiques, dont nous n’avons certes pas
encore mesuré toute la puissance » (p. 48).
L’introduction, dans les deux éditions, met l’accent sur « les difficultés
de la géographie », quadruples : un abus de verbalisme qui assimile struc-
ture et relief, synclinal et val, faille et escarpement de faille, l’ignorance
« du but même et de la méthode de la géographie », le faible usage de la
carte et du croquis. Enfin, par dessus tout, apparaît la nécessité de prendre
garde aux « notions disparates et qui relèvent plus d’une curiosité ency-
clopédique que d’une connaissance ordonnée ». Cholley demande avant
tout « des bases solides » et rappelle ainsi la formule de Michelet : « cette
bonne et forte base. »

Le plan du Guide d’André Cholley, éditions de 1951 et 1942


On comparera les deux conceptions, à une décennie de distance.
Plan de la deuxième édition (1951)
PREMIÈRE PARTIE. Qu’est-ce que la géographie ?
1. Définition
2. Le fait géographique
36 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

3. Le domaine de la géographie
4. Combinaisons et milieux
5. Le point de vue planétaire
6. La conception géographique de l’homme
DEUXIÈME PARTIE. Les divisions de la géographie
I. La géographie régionale
1. Régions, domaines, milieux
2. Quelques remarques sur les domaines physiques
3. Les milieux biologiques
4. La notion de région naturelle
5. Les régions humaines
II. La géographie générale
III. L’unité de la géographie. La géographie est-elle une science ?
TROISIÈME PARTIE. La formation géographique
I. Propédeutique et licence. Initiation à la géographie
II. et III. Excursions, cartes, description géographique
IV. Le doctorat
V. L’agrégation

Plan de la première édition (1942)


PREMIÈRE PARTIE. Qu’est-ce que la géographie ?
I. But et méthode
II. La géographie régionale
III. La géographie générale
IV. Les cartes et la géographie
V. Géographie et histoire. Unité de la géographie
DEUXIÈME PARTIE. La géographie dans l’enseignement supérieur
I. Le certificat de géographie
II. Excursions et travaux pratiques
III. La description géographique
IV. Le DES
V. L’agrégation
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 37

L’environnement scientifique
Outre ces ouvrages fondamentaux, les géographes publient pour rattraper
une sorte de retard, ne serait-ce qu’en reprenant des initiatives ébauchées
précédemment. Le CNRS crée sa section de géographie en 1944, ce qui repré-
sente un pas vers un poids scientifique croissant. « Un soutien officiel que
nos Maîtres n’ont malheureusement pas connu autrefois » (JOURNAUX A.,
1975, La recherche géographique en France). En 1946, le Centre de documen-
tation cartographique et géographique a été installé auprès de l’Institut de
géographie de Paris. Il publie une série de « Mémoires et Documents ». En
1954, 23 missions ont été financées en France et 18 à l’étranger.
Une autre nouveauté, un fait important s’est produit en France : « La
création de l’agrégation de géographie » (A. Cholley, op. cit.). Occasion
d’aborder la question de la leçon de géographie régionale qui semble repré-
senter avec le commentaire de carte (et sa coupe) une sorte d’aboutisse-
ment. « La leçon prend ainsi une allure inégale, comme celle d’une rivière
torrentielle dont les eaux se rassemblent, tournoient, s’enflent en certains
endroits du cours, tandis que dans l’intervalle elles glissent doucement
en une mince nappe liquide, sans bruit, sur un lit de cailloux » (p. 212).
Les grandes collections sont en place. P. George publie chez Armand
Colin, Les régions polaires (1950, 2e éd.), chez Médicis, la Géographie de
l’énergie (1950), aux Éditions sociales, Les démocraties populaires (1952).
Artaud lance la série sur les régions qui constitue de la bonne vulgari-
sation, avec, par exemple, le Quercy de Clozier (1953). Des thèses sont
publiées, comme Le Morvan et sa bordure de Jacqueline Beaujeu-Garnier
(PUF, 1950) ou celle de Taillefer sur le piémont des Pyrénées.
Les manuels utilisés à l’université commencent à se multiplier, pour
l’essentiel aux PUF (Presses universitaires de France) ou au CDU (Centre
de documentation universitaire). On notera, dans les deux cas, l’affirma-
tion du caractère universitaire. De Pierre George ont été publiés La ville
(1952) et La campagne (1956), deux livres longtemps à peu près seuls sur
deux grands thèmes de recherche du moment. Orbis entame la publica-
tion d’ouvrages régionaux sur l’Europe. Les cours de la Sorbonne pro-
posent sous forme de polycopiés, dans un premier temps, un cours de
morphologie par Cailleux et Tricart, Le relief glaciaire, Le modelé glaciaire
et nival (1953), Le modelé des chaînes plissées (1954)…
Les titres choisis sont larges, les auteurs encore peu nombreux. On notera
la fécondité de la décennie, nouvelles revues, ouvrages et articles importants
comme jalons épistémologiques (portés ici dans l’ordre chronologique) et
comme charnière vers ce qui sera identifié comme la « Nouvelle géogra-
phie ». On pourra choisir dans la liste quelques lectures, les articles offrant,
selon Cholley, « en quelque sorte la science géographique en marche ».
38 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Des titres pour les années 1950, ouvrages et revues


1947 : Acta geographica, émanation de la Société de Géographie de Paris.
1948 : Cahiers d’Outre-Mer, Bordeaux, sous l’action conjuguée de l’Institut de
géographie et de la Société de géographie commerciale, dans la tradition du
siècle précédent.
BAULIG H., « La géographie est-elle une science ? », Annales de Géographie.
La Revue de géographie humaine et d’ethnologie, publiée à l’initiative de Deffontaines
et Brunhes-Delamarre, disparaîtra après quelques numéros.
1950 : Revue de géomorphologie dynamique, CAILLEUX A. (dir.) et TRICART J. (dir.).
GOTTMANN J., « De l’organisation de l’espace », qui sera repris en 1966
dans Essais sur l’aménagement de l’espace habité, Paris, Mouton.
BAULIG H., « Les concepts fondamentaux de la géomorphologie », Essais de
géomorphologie, Paris, Les Belles Lettres.
1952 : DARDEL E., L’homme et la Terre, Paris, PUF.
1953 : Norois, revue de la France de l’Ouest.
ODUM E., Fundamentals of Ecology, Philadelphia, Saunders.
1957 : « La géographie française au milieu du XXe siècle », L’Information géo-
graphique, Paris, Baillière.
1959 : Méditerranée, revue commune aux Instituts de géographie du monde
méditerranéen puis établie à Aix.

La géographie à la recherche de son statut


Une géographie mal reconnue
Cette floraison de revues et d’ouvrages reste encore réduite et rien ne change
dans la manière dont les sciences considèrent la discipline. L’histoire géné-
rale des sciences dirigée par Taton aux PUF (1955) parle bien de géographie
dans le volume sur l’époque contemporaine, mais il s’agit du XIXe siècle, et
dans les sciences de la Terre et de la vie. Les volumes successifs voient la
part de la géographie se réduire de l’Antiquité à l’époque moderne, jusqu’à
disparaître en totalité au XXe siècle. « La Découverte », dans une édition
destinée au grand public sur l’État des sciences et des techniques (Fondation
pour le progrès de l’Homme, direction N. Witkowski pour la géographie),
parle des « images de la Terre » et du climat mais toujours dans les sciences
de la Terre. Le chapitre intitulé « Espace » traite de l’univers et du système
solaire. Dans l’index passent géo/désie/logie/métrie/physique/poïèse/stasie/
thermie, soit sept termes au total, dont on mesure toute l’importance, mais
sans rien sur la géographie en un demi-millier de pages.
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 39

Cholley (deuxième édition, 1951) distingue trois géographies succes-


sives. La première, linéaire, est celle des côtes, des fleuves et des reliefs, la
deuxième littéraire en forme de narration, et la troisième, avec Vidal, se
hausse « jusqu’au niveau de la science ». Avec une certaine dose d’opti-
misme qui affirme : « Et le jour n’est sans doute pas éloigné où l’on admet-
tra qu’elle peut prendre rang dans l’ensemble des sciences ; une science
jeune sans doute, en voie de développement, une science de l’avenir. »
Les choses ont bougé, car l’édition de 1942 (p. 57) affirmait quant à elle :
« La géographie n’est donc pas une vraie science, comme les sciences phy-
siques ou naturelles. » Cholley manie un certain nombre de notions, et
tout d’abord le concept de combinaison car le fait géographique « exprime
toujours une combinaison… pas de faits simples, mais des convergences,
des combinaisons d’éléments divers ». Le domaine du fait géographique,
c’est « la surface même du globe terrestre […] pour éliminer l’accidentel,
le fortuit, l’exceptionnel », et quant à l’homme, il est d’abord « un être
essentiellement social ».
Cependant, les critiques abondent, si les successeurs de Vidal ont bien
travaillé, « on ne peut cependant pas dire que cette abondante littérature
ait beaucoup contribué à préciser le sens du terme de région » (A. Cholley,
1951, p. 30). Chez Sorre ensuite (1957, p. 10) : « À la différence d’écoles
voisines, elle n’a jamais montré un goût particulièrement vif pour les
controverses épistémologiques. L’exercice scolaire auquel chaque débu-
tant croit devoir se livrer pour exorciser le déterminisme n’a pas grande
portée. Il est de style, mais il suffit en général à nos besoins assez réduits de
critique méthodologique… Qu’il devienne plus difficile que par le passé de
concilier les exigences de la synthèse régionale avec la rigueur de l’analyse
scientifique c’est chose sûre. »
Autant de « petites phrases », parmi d’autres, qui pourraient donner
lieu à de grands développements et sur lesquelles on peut méditer.

Le renforcement de la géographie universitaire


Son poids s’évalue à travers les rapports produits périodiquement par
l’establishment. L’année 1956 voit la parution chez Baillière d’un ouvrage-
bilan faisant le point sur une géographie qui s’affirme : La géographie
française au milieu du XXe siècle. L’ouvrage, chaque chapitre étant assuré
par un spécialiste, propose 120 pages de géographie générale physique
contre 60 de géographie générale humaine, 100 pages sur les régions et
une cinquantaine sur diverses rubriques.
Sorre présente « La géographie française » au congrès de San Francisco
de 1915. De Martonne avait présenté également un rapport sur la géogra-
phie en France. Les géographes français assurent donc depuis cette date
40 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

une certaine continuité. Cet état des lieux plus ou moins structuré scande
les congrès internationaux du Caire en 1924, puis Cambridge, Paris en
1931, Varsovie, Amsterdam, Lisbonne, Washington, Rio de Janeiro en
1956, ensuite Stockholm.
En 1920, pour 20 chaires dans l’enseignement supérieur, on compte
en géographie 5 postes à Paris, 2 à Bordeaux, Grenoble et Lyon. En 1939,
les universités comptaient 21 chaires, ce qui illustre une stabilité sinon
une stagnation. Par comparaison, en 1968, les enseignants comptent 106
professeurs et 230 assistants : on a changé d’échelle. Ce processus apparaît
dans la décennie 1950 ; en 1956, 15 enseignants à Paris, 5 à Bordeaux et
Lyon, 4 à Montpellier, Rennes et Strasbourg sur 41 professeurs et maîtres
de conférences.

Le régional et le général
Les nouvelles divisions et créations de la géographie sont l’occasion d’un
véritable déballage d’étiquettes, occasion aussi de se débarrasser de toutes
ces géographies héritées du temps où on ne lui laissait que la possibilité
d’être une façon de voir les choses. Les divisions se ramènent à deux
entrées essentielles, du domaine du général et du régional, même si on
peut compter dans le monde universitaire quelques géographies de plus.
Dans la catégorie géographie générale se trouvent les volets physique et
humain, ainsi que la morphologie et la climatologie. Dans la catégorie
géographie régionale est présentée d’abord la France, puis l’Afrique du
Nord et un pays tiré généralement chaque année du programme d’agré-
gation. De préférence sont choisis les États-Unis à l’Amérique du Nord, le
Brésil à l’Amérique du Sud, et volontiers les péninsules méditerranéennes
ou les pays scandinaves. La géographie des travaux pratiques dominicaux
regroupe le général et le régional dans les excursions universitaires où
trouvent place aussi géologie et botanique. Chaque institut de province, à
partir du schéma général, imprime sa propre marque, alpine à Grenoble,
pyrénéenne à Toulouse, dans la garrigue à Montpellier.
La géographie régionale est faite pour étudier, selon Cholley, « les
différents domaines, milieux ou régions que les combinaisons physiques,
biologiques et humaines ont fait apparaître à la surface de la planète ».
Sa définition semble simple : « Un territoire qui sert d’appui aux combi-
naisons choisies ou réalisées par l’homme. » Il passe en revue les milieux
biologiques, les régions naturelles, les régions humaines. C’est elle qui
explique toutes les « combinaisons » possibles mais « elle n’est pas une
application de la géographie générale et ne consiste pas davantage à
ramasser des matériaux pour la géographie générale » (1951, p. 53). Parmi
les bonnes études, il cite en premier les thèses de Sion en Normandie et de
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 41

Le Lannou en Sardaigne, celles de Marres et Meynier sur le Massif central,


de Gachon dans les Alpes et de Perrin à Saint-Étienne.
Clozier a comme tout un chacun, sa propre définition (Histoire de la
géographie, Paris, PUF, 1967, p. 95). « La géographie régionale est donc
un préservatif contre l’esprit de système de la géographie générale ; les
généralisations vagues et prétentieuses cessent pour celui qui toujours
campe un pied sur Terre. »
Mais de nouvelles perspectives émergent, qui auront des destins
différents : aménagement de l’espace, géographie appliquée ou en tout
cas applicable, souci de quantification avec appel à d’autres méthodes,
intérêt porté à l’actualité dans ses conflits, avec interprétations géopoli-
tiques, apparition de problématiques à l’encontre du plan à tiroir jusque-
là considéré un peu vite comme inévitable ou presque, accent mis sur
« l’homme-habitant » à la suite de Le Lannou (Géographie humaine, Paris,
Flammarion, 1949), prise en compte des forces productives et des moyens
de production. Le concept d’espace, chez Dardel (1952) et Gottmann
(1950), apparaît déjà dans plusieurs manuels.
« La géographie régionale n’est correctement pratiquée que si ses conclu-
sions peuvent s’intégrer dans la géographie générale ; et celle-ci ne consti-
tuera une synthèse valable qu’en s’appuyant sur une solide analyse des faits
régionaux. Combien de fois n’a-t-on pas vu d’audacieuses constructions
démolies par l’étude correctement conduite de quelques exemples locaux.
C’est donc bien en s’appuyant parallèlement sur l’enquête régionale et sur
la synthèse systématique que l’enquête géographique doit progresser. Et
c’est ainsi que s’affirme l’unité de la méthode de la géographie moderne »
(A. Cholley, 1957, p. 16).
« La géographie générale s’élève au-dessus des cas régionaux pour
considérer la structure et le jeu des facteurs qui, à la surface de la planète,
entrent en combinaison. Elle s’attache à la connaissance des facteurs qui
sont à l’origine de ces combinaisons (régionales). »

Lectures conseillées
1957, La géographie française au milieu du xxe siècle, L’Information géographique, numéro
spécial.
BATAILLON C., 2009, Géographes, génération 1930, Rennes, Presses universitaires
de Rennes. À propos de R. Brunet, P. Claval, O. Dollfus, F. Durand-Dastès,
A. Frémont et F. Verger.
BAULIG H., 1948, « La géographie est-elle une science ? », Annales de Géographie,
no 305, p. 1-11.
GOULD P. et BAILLY A., 1995, Le pouvoir des cartes : Brian Harley et la cartographie,
Paris, Economica-Anthropos.
Chapitre 3

Les « Trente Glorieuses » :


quelle géographie
vers 1975 ?

La Nouvelle géographie
Après 1950, que de changements dans la conception de la géographie !
Même si l’École française regarde avec frilosité la vague de la « Nouvelle
géographie » à l’étranger, celle-ci est bien présente depuis que Peter
Gould a lancé le terme « Nouvelle géographie », dans un article : “The
New Geography: Where the Movement Is?” Il fera vite le tour du monde.
En France, Paul Claval le reprendra en 1977 dans un « Que sais-je ? »,
intitulé La Nouvelle géographie, tandis qu’un groupe de jeunes géographes
francophones tient ses colloques Géopoint sur des thèmes de Nouvelle
géographie. Qu’appelle-t-on donc « Nouvelle géographie » ? En quoi
se distingue-t-elle de la géographie classique des années 1950 et anté-
rieures ?
C’est avec W. Bunge, en 1962, que s’ouvre la Nouvelle géographie,
vite suivie par les publications de P. Haggett, D. Harvey et P. Gould. La
volonté de modéliser, d’expliquer et d’élaborer des lois, venue du monde
anglophone (États-Unis, Grande-Bretagne, Suède, Canada), se substitue
aux descriptions régionales. Méthodes positivistes, puis critiques appa-
raissent dans les manuels anglo-américains, pendant que le monde fran-
cophone et latin suit encore la tradition régionale. La lecture des titres
des publications révèle le décalage dans les approches, entre ce qui est
appelé « Précis » ou « Cours » ou « Traité »… « de géographie humaine »
ou « de géographie physique » face à des titres du type Analyse des loca-
lisations en géographie, Géographie théorique, Explications en géographie.
Le changement en France apparaît avec L’Espace géographique
d’Olivier Dollfus et les Éléments de géographie humaine de Paul Claval qui
44 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

développent les thèmes présentés dans les nouveaux périodiques, avant


que ne se multiplient les ouvrages de géopolitique, de géographie cultu-
relle et humaniste. La liste en est longue. Il suffit de suivre, pas à pas, les
titres pour voir l’ampleur du changement.
À l’image de l’ensemble des sciences sociales, en évolution rapide depuis
les années 1950, la géographie vit, se renouvelle en fonction des idéolo-
gies scientifiques du moment. Nombre de géographes n’acceptent plus
de privilégier le caractère descriptif et encyclopédique de leur discipline.
D’une définition de la géographie comme « description de la surface de la
Terre et de ses habitants », elle devient « science des interactions spatiales
reposant sur l’usage des échelles, des réseaux, des modèles, des straté-
gies », véritable « étude des rapports entre une société et les espaces qu’elle
produit » (R. Ferras, 1994).
Ce débat scientifique trouve son origine dans l’article de Schaefer sur
« L’exceptionalisme en géographie » (Annals of the Association of American
Geographers, vol. 43, 1953), opposant deux visions, celle de l’« unique »
et du « général » ; soit la géographie se consacre à la spécificité de chaque
lieu, soit elle évolue pour devenir générale et s’attacher aux processus et
modèles spatiaux.
Le concept d’espace devient plus central dans le débat sur la géographie
en tant que véritable science, idée prônée par W. Bunge dans Theoretical
Geography (1962) où il évoque le jour où la géographie ne sera plus divi-
sée en géographie physique et humaine, mais en géographie des points,
des lignes, des surfaces, une conception reprise par P. Haggett dans son
manuel de base Locational Analysis in Geography (1965), traduit en 1973
en français, et par R. Abler, J. Adams et P. Gould (1971) dans Spatial
Organization: the Geographer’s View of the World.
La Nouvelle géographie fait son entrée dans le monde francophone,
d’abord grâce à la science régionale, discipline héritée de l’économie
spatiale, animée par Perroux et Ponsard, qui redécouvrent les modèles
classiques de localisation : agricoles, en cercles concentriques, de
von Thünen ; industriels, en triangles, de Weber ; sur les services, en
hexagones, de Christaller. Ces auteurs parlent de modèles et de théo-
ries : théorie de la rente, théorie des lieux centraux, modèles de l’écologie
urbaine, loi rang-taille. Ils offrent à la géographie d’autres méthodes pour
analyser la diffusion spatiale, pour comprendre les différenciations entre
systèmes géographiques… La liste pourrait être longue tant le renouveau
est riche. D’aucuns parlent d’ailleurs de « révolution quantitative ».
Que cherchent donc à analyser ces géographes ? À l’évidence, non pas
les rapports aux milieux physiques – distribution des hommes en fonc-
tion de contraintes climatiques, du relief, de la géologie, qui ont fondé
la spécificité de la géographie régionale –, mais l’organisation spatiale
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 45

des collectivités humaines, en traitant l’espace géographique comme le


résultat de pratiques que l’on peut modéliser. Ils cherchent, dans cette
organisation, des similarités, des règles, voire des lois. L’exemple le plus
classique est celui de la théorie des lieux centraux de Christaller.
Comme l’indique Denise Pumain (1993), « si l’on imagine une plaine
homogène sur laquelle une population est uniformément répartie, avec
partout les mêmes revenus et niveaux de consommation, l’application des
éléments théoriques […] permet d’obtenir des modèles spatiaux d’une
simplicité géométrique ». Les villes s’ordonnent ainsi dans des réseaux
hiérarchisés, qui se distribuent selon des maillages triangulaires ou hexa-
gonaux, selon un principe de liaison majeur, qui peut être le lieu des
marchés et points de vente, ou bien de l’encadrement administratif…

La Nouvelle géographie francophone


Cette Nouvelle géographie propose des explications générales sur les
processus et les mécanismes spatiaux. Mais c’est avec retard, du fait
du poids de la géographie régionale en France, qu’elle pénètre l’espace
francophone ; d’abord auprès des écoles canadienne, belge et suisse.
Elle connaîtra une lente diffusion surtout grâce au lancement, en 1972,
d’une nouvelle revue, L’Espace géographique, dans laquelle s’exprime-
ront R. Brunet, P. Claval, O. Dollfus, F. Durand-Dastès et de nom-
breux géographes ayant emprunté la voie théorique et/ou quantitative
(J.-B. Racine, H. Reymond, B. Marchand, A. Bailly… pour ne citer que
quelques auteurs).
Pendant ce temps, la Nouvelle géographie se diversifie ; à la volonté de
modélisation s’ajoute rapidement l’idéologie critique, fondée sur l’analyse
marxiste et sur l’étude des enjeux sociaux et des pouvoirs dans l’espace.
Les géographes emboîtent ainsi le pas aux sociologues. Ils suivent la voie
tracée par D. Harvey en 1973, dans un ouvrage fondamental sur La justice
sociale et la ville, où sont présentées à la fois les méthodes positivistes
et critiques en géographie urbaine. Les revues Espace et Sociétés (1970),
puis Hérodote (1976), donnent le ton à ce courant de pensée, pendant
d’Antipode, revue de géographie radicale américaine. De même, Espaces,
Populations, Sociétés, fondée en 1983, et Espace-Temps, développeront les
aspects sociaux et démographiques des pratiques humaines.
Parallèlement à la naissance de la géographie critique on assiste, dans les
années 1970, à la renaissance d’une Nouvelle géographie sociale et culturelle,
à l’image de ce que Yi Fu Tuan présente aux États-Unis, dans ses ouvrages
sur la topophilie (amour des lieux) et la topophobie (haine des lieux).
A. Frémont, avec La région, espace vécu (1976), donnera son originalité à cette
46 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

géographie culturelle et humaniste en France. En parlant de régions enraci-


nées, où les habitants vivent dans l’historicité des lieux, de régions fluides des
sociétés modernes, où les hommes ne s’attachent plus à leur espace de vie, il
pose les grands problèmes contemporains de déracinement, de migrations,
d’attachement au territoire… Le manuel signé par J. Chevalier, A. Frémont,
R. Hérin et J. Renard (Géographie sociale, 1984) donne une mise au point
et sera suivi d’autres publications autour du groupe de Caen. À peu près
à la même période, seront utilisées les méthodes des représentations pour
étudier la territorialité urbaine et évaluer comment les images mentales des
villes et leurs déformations guident nos pratiques urbaines (BAILLY A., 1977,
La perception de l’espace urbain, Paris, CRU). On parlera de géographie de la
perception puis de géographie des représentations.

Pédagogie de la géographie et espace vécu


« Les représentations, l’espace vécu, la géographie de la perception constituent,
je l’espère, un bel apport de la recherche contemporaine, pour l’enseignement
de notre discipline particulièrement. Le recentrage sur le sujet et sur l’élève
doit permettre notamment une meilleure sensibilisation, des apprentissages
nouveaux assumés, et aussi plus d’objectivité dans les démarches en considérant
que tout espace se construit et s’interprète. Encore faut-il ne pas oublier que
l’ultime découverte est bien celle de l’espace des autres, de tous les autres.
Ainsi deviennent objectives des représentations croisées et cumulées. Cela doit
s’appeler la géographie. »
FRÉMONT A., conclusions de l’ouvrage Représenter l’espace, l’imaginaire spatial à
l’école, ANDRÉ Y. et al., 1989, Paris, Economica-Anthropos, p. 213.

Quelles productions, quelles formations


Que publiait-on dans les années 1970 en France ?
On peut s’intéresser au simple relevé systématique des publications en
une liste ouverte, déjà significative par les orientations qu’elle souligne.
Où en est-on en 1975, année choisie parce qu’elle ouvre le dernier quart de
siècle. Que voit-on à la vitrine du libraire ? Une production qui se ventile
en quatre grandes rubriques, thèses, ouvrages, traductions, revues, sans
aucun souci d’exhaustivité ni de représentativité systématique.

Choix de titres
Des thèses très classiques voire à l’ancienne mode, dont les sujets évoluent
de la géographie régionale vers des thèmes plus ouverts :
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 47

DAUMAS M., 1976, La vie rurale dans le Haut Aragon oriental, Madrid, CSIC.
LAMORISSE R., 1975, L’évolution de la population de la Cévenne méridionale, Montpellier,
Le Paysan du Midi.
THOUVENOT C., 1977, Consommation et habitudes alimentaires dans la France du Nord-
Est, Lille, A.R.T.
TROIN M., 1974, Les souks du Nord marocain, étude géographique des marchés ruraux,
Aix, Edisud.

Des ouvrages qui poussent la géographie française vers des analyses


de géographie urbaine, historique et ethnologique comme :

BAILLY A., 1975, L’organisation urbaine : théories et modèles, Paris, CRU.


BERTRAND C. et G., 1975, « Pour une histoire écologique de la France rurale », in
DUBY G. (dir.), Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, vol. 1, p. 35-116.
BROC N., 1975, La géographie des philosophes, géographes et voyageurs français au
XVIIIe siècle, Paris, Ophrys.

ENJALBERT H., 1975, Histoire de la vigne et du vin, Paris, Bordas.


GALLAIS J., 1975, Pasteurs et paysans du Gouma, la condition sahélienne, Paris, CNRS.

De nouveaux travaux étrangers arrivent en France où ils sont de plus


en plus mentionnés et discutés :

QUAINI M., 1975, La costruzione della geografia umana, Firenze, Nuova Italia.
HAGGETT P., 1972, Geography, A Modern Synthesis, New York, Harper & Row.
ISARD W., 1975, Introduction to Regional Science, Englewood Cliffs, Prentice-Hall.

La sociologie urbaine propose ses publications à la suite de M. Castells,


La question urbaine (1972), Monopolville (1974).

Deux introductions, deux programmes,


des déclarations d’intentions
On a retenu les textes introductifs du premier numéro de deux revues, dans
deux registres totalement différents pour bien mettre l’accent sur les choix
épistémologiques, les concepts utilisés et les idées directrices. Les deux continuant
à paraître, il serait aussi intéressant de se référer aux derniers numéros pour les
revoir face aux intentions annoncées au moment de la création.
Premier numéro de L’Espace géographique, éditorial de R. Brunet (1972) :
« La géographie française n’a jamais goûté les interrogations épistémologiques.
Elle avance, selon l’idée que le mouvement se fait en marchant, et qu’une science
se définit par sa pratique, ce qui, dans notre cas, compliquerait singulièrement
48 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

la tâche d’un philosophe des sciences. Aussi bien, la géographie est-elle à peu
près rigoureusement absente de tous les travaux de philosophie des sciences,
tant des sciences humaines que des sciences naturelles. La rareté de nos
publications en ce domaine, la confusion de nos actions, une insuffisance du
travail en équipe, l’accumulation monographique y sont évidemment pour
beaucoup […] L’Espace géographique, comme les sommaires de la première année
le montrent, compte mettre un accent particulier sur les questions de technique,
de méthode, et même d’épistémologie, appuyées sur des études de cas. »
Espaces et Sociétés, « Revue critique internationale de l’aménagement, de
l’architecture et de l’urbanisation », 1970, n° 1. Article introductif dû à Lefebvre,
« Réflexions sur la politique de l’espace » : « Plus généralement, rappelons-nous,
dans cette dernière décennie, il était un peu partout entendu ou sous-entendu
que l’objet par excellence de la science était l’espace, non le temps. Espace du
savoir et savoir de l’espace, scientificité et spatialité allaient de pair, à la fois sur
le plan mental et sur le plan social, dans une structure générale… Un postulat
plus caché était le suivant : l’objectivité et la “pureté” de l’espace urbanistique,
objet de science, lui conférait un caractère neutre. L’espace passait pour
innocent, c’est-à-dire pour non politique. Ce contenant n’ayant d’existence que
par son contenu, ne valant que par ce contenu, relevait donc en tant qu’objectif
et neutre des mathématiques, de la technologie et sans doute d’une logique
de l’espace […] Dans ces perspectives, on ne niait pas exactement qu’il y eût
du politique mais on le concevait d’une manière particulière. Autrefois, un
autrefois pas tellement lointain, on percevait le politique comme un obstacle
à la rationalité, à la scientificité, comme introduisant une perturbation, une
espèce d’irrationalité […] Dans ces perspectives concernant le politique et
son intervention urbanistique on conservait le postulat de l’espace objectif et
neutre. Or maintenant il apparaît que l’espace est politique. L’espace n’est pas
un objet scientifique détourné par l’idéologie ou par le politique ; il a toujours
été politique et stratégique. »

Mener une réflexion en 1975 : les bases bibliographiques


Restent cependant les traces d’un passé qui se rénove. Un exemple est fourni
par un manuel largement utilisé par les étudiants et sans cesse remis à
jour depuis 1961, celui de M. Derruau, sous le titre de Précis de géographie
humaine, devenu en 1969 Nouveau précis de géographie humaine, et réé-
dité depuis 1976 sous le titre de Géographie humaine. Son plan est en six
parties : La tradition et les approches nouvelles ; Géographie de la popu-
lation ; Géographie agraire ; Les activités non agricoles : pêche, industrie,
commerce, tourisme ; Les activités non agricoles : la circulation ; La ville.
Il est contemporain d’un autre manuel, de diffusion moins large,
celui de Sorre, L’homme sur la Terre (1964). Le plan est en sept parties :
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 49

Consistance de l’œkoumène ; L’intelligence à la conquête du monde


vivant ; L’intelligence créatrice de techniques, l’industrie ; La conquête de
l’espace ; La sociabilité et le milieu géographique ; Les paysages humains ;
Paysages humains et régions humaines.
En contrepoint, un troisième manuel, véritable essai d’épistémolo-
gie en géographie physique, s’affirme par sa grande nouveauté, celui
d’A. Reynaud, Épistémologie de la géomorphologie [1971]. Les géographes
soucieux de réflexion sur leur discipline apprécieront l’orientation
nouvelle. D’autres seront surpris mais intéressés par l’approche novatrice.
Le plan est en cinq parties : Les caractères de la géomorphologie ; Les
types de raisonnement en géomorphologie ; Les conceptions du temps en
géomorphologie ; Les méthodes ; Situation de la géomorphologie.
Moins connue, cette mise en rapport de la géomorphologie et de la
pensée scientifique constitue un travail pionnier. Cet ouvrage d’une
grande nouveauté a bénéficié – en sus de ses qualités propres – d’une
diatribe révélatrice de l’état d’une partie de la géographie française à cette
date (publiée en forme de compte rendu d’ouvrage dans les Annales de
Géographie au moment de sa parution).
On lit des ouvrages qui se situent entre le manuel et le compte rendu
de recherches. Ils sont très nombreux, apparaissent différents comme
L’aménagement de l’espace de J. Labasse paru en 1966. À Toulouse,
autour de B. Kayser paraissent Espaces périphériques (1978), Les petites
villes (J.-P. Laborie, 1979), des travaux dans le domaine de la géographie
rurale. À Paris, J. Beaujeu-Garnier publie La géographie, méthodes et pers-
pectives (1971), G. Burgel lance la revue Villes en parallèle (numéro en
1978), G. Sautter publie dans la Revue internationale des sciences sociales.

Quel enseignement dispensait-on dans les années 1970 en France ?


Les différents domaines hexagonaux sont bien délimités à travers un
document historique qui offre quelque recul, publié par A. Journaux
en 1975 (op. cit.). Il est d’autant plus daté qu’il est en révision vingt ans
plus tard. Chaque institut de géographie affiche pour la première fois sa
« carte de visite », le ministère met en place les DEA (diplôme d’études
approfondies) qui constituent la première année de troisième cycle. C’est
le seul document officiel qui permette d’apprécier les spécialités réelles
de chaque institut.

Aix
Géomorphologie et milieux naturels méditerranéens
Facteurs et modalités de l’organisation de l’espace
Aménagement régional et urbain
50 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Amiens
Géographie physique et régionale
Besançon
Géographie générale humaine
Géomorphologie
Bordeaux
Analyse et aménagement de l’espace
Géographie et écologie tropicales
Brest
Géographie de la mer
Caen
Analyse et cartographie des formations superficielles :
applications en géomorphologie et en hydrologie
Études de la vie rurale et des sociétés régionales
Clermont-Ferrand
Géographie physique des montagnes cristallines et volcaniques (avec Lyon)
Aménagement du territoire
Dijon
Climatologie générale et régionale : phénomènes de l’atmosphère et milieux
naturels
Grenoble
Géographie des montagnes
Géographie physique : climatologie et hydrologie de surface
Lille (voir Amiens)
Limoges
Géographie : terres et hommes dans les pays du Centre-Ouest et de la Loire
moyenne (avec Poitiers)
Géographie des pays ibériques et maghrébins (avec Tours)
Lyon
Géographie appliquée à l’aménagement
Civilisation et développement du Tiers-Monde (ethnologie, géographie, civilisation)
Montpellier
Géographie urbaine, analyse, aménagement et cartographie régionale
Mise en valeur des littoraux et exploitation des mers
Espace rural
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 51

Nancy
Géographie physique, eau et milieux naturels
Nantes
Géographie appliquée à l’aménagement du territoire,
géographie et organisation régionale (avec Rennes)
Nice
Cadre de vie, environnement et civilisation industrielle
Géographie dynamique des espaces, des hommes et des activités
autour de la Méditerranée
Orléans (avec Poitiers et Tours)
Paris I
Géographie physique (géomorphologie, climats, milieux fluviatiles
et océaniques), avec Paris IV
Analyse régionale et aménagement du territoire
Géographie humaine et organisation de l’espace
Paris IV
Géographie culturelle et régionale
Aménagement régional, planification et urbanisme (avec Paris X)
Études sur l’Asie méridionale moderne
Paris VII
Structures et dynamique des milieux naturels dans leurs relations
avec l’occupation humaine
Connaissance du Tiers-Monde
Géographie économique et sociale des pays développés
Paris VIII
Inégalités de la croissance et de l’aménagement régional
Urbanisme et dynamiques de l’espace
Paris X
Géographie de l’environnement et du développement
Poitiers (voir Limoges et Tours)
Reims
Géographie : analyse de l’espace
Rennes (voir Nantes)
Rouen
Géographie du développement dans les régions sèches
52 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Strasbourg
Organisation et aménagement de l’espace géographique
Toulouse
Urbanisme et aménagement
Études rurales intégrées
Tours (voir Limoges et Poitiers)

Dans une perspective épistémologique, on relève un certain nombre


de choix, avec deux à trois options par université, semblant renvoyer
à d’anciennes chaires ou à des choix fédérateurs pour des équipes de
recherche. L’essentiel de la principale coupure est travesti, « le physique »
et « l’humain », alors qu’en forme de troisième larron la modernité se joue
sur le thème de l’aménagement. La transdisciplinarité apparaît rarement,
sauf à Lyon, qui offre à côté de la géographie une place à l’ethnologie et à
la « civilisation » dans le Tiers-Monde. Paris regroupe de gros ensembles
sur le triplet physique-humain-aménagement qui a l’avantage de voir
large, sans intégrer quelques blocs erratiques du type : l’Asie méridionale
« moderne ». Des doublets apparaissent : le Centre-Ouest de la France
traite des pays méditerranéens à Limoges, à la fois ibériques et maghré-
bins. Tours et Poitiers interviennent en voisins dans l’un ou l’autre choix.
À Montpellier voisinent géographie urbaine, géographie maritime et
géographie rurale. Parmi les spécialités moins hardies, plus « normales »
par leur situation, on note la mer à Brest, la Méditerranée à Aix et à
Nice, les tropiques à Bordeaux, la montagne (cristalline et volcanique) à
Clermont-Ferrand et Grenoble. Ces choix sont complétés par un ensei-
gnement de l’aménagement ou autres spécialités. Notons de l’hydrologie
à Caen, de l’hydrologie et de la climatologie à Grenoble, ce que Nancy
appelle milieux « naturels » plus l’eau.

Une géographie qui se fonde comme science


À partir des années 1970, la géographie se fonde donc peu à peu comme
science. Les années 1950 à 1970 sont gage de mutations, d’enrichissement,
de changements et de diversité.
Pourtant, que disent les spécialistes de l’épistémologie des sciences ?
Piaget écrit en 1976 (Logique et connaissance scientifique) qu’il n’y
a d’épistémologie que dans certaines des sciences mobilisées par la
connaissance géographique. Belle occasion de relativiser des spéciali-
tés que certains présentent alors comme annexes ou « connexes » à la
géographie. Le sommaire de l’ouvrage présente dans l’ordre, sous le titre
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 53

répétitif d’« Épistémologie »… mathématique, physique, biologie, sciences


humaines. Celles-ci se décomposent en « épistémologie de… » psycho-
logie, sociologie, économie, linguistique, sciences sociales, sciences de
l’homme. Piaget ne cite le terme de « géographie » qu’à la page 1161 et
sans aucun souci d’actualité, à propos de la classification des sciences
proposées par Cournot. Dans une table à double entrée, il croise la série
des cinq sciences de Comte : mathématiques, physiques, biologiques,
noologiques et politiques avec trois catégories « correspondant aux trois
points de vue auxquels peuvent se placer ces cinq sciences fondamentales
et qui les diversifient alors en branches particulières ».
La catégorie historique comporte, en dehors des mathématiques consi-
dérées comme hors du temps, « pour les sciences physiques : l’astronomie,
la physique du globe, la géologie, la géographie physique et la minéralo-
gie. Pour les sciences biologiques : la botanique, la zoologie, la paléon-
tologie, l’anthropologie, l’ethnologie et la linguistique. Pour les sciences
noologiques et symboliques : la philologie, la mythologie, la symbolique
religieuse, la théologie dogmatique et l’ethnographie. Pour les sciences
politiques : l’archéologie, la chronologie, la géographie politique, l’histoire,
la biographie et la bibliographie ». Piaget n’intègre pas la géographie, ce
que ne manquent pas de faire remarquer tous ceux qui s’interrogent en
la matière.

Lectures conseillées
ALLEMAND S., 2007, Les paradoxes du développement durable, Paris, Le Cavalier Bleu.
CLAVAL P., 1972, La pensée géographique. Introduction à son histoire, Paris, SEDES.
CLAVAL P., 2001, Épistémologie de la géographie, Paris, Nathan Université.
DERRUAU M., 2002, Géographie humaine, Paris, Armand Colin.
GOULD P. et BAILLY A., 2000, Mémoires de géographes, Paris, Economica. Plusieurs
grands auteurs ayant participé à la création de la Nouvelle géographie expliquent
leurs choix épistémologiques.
MANCEBO F., 2010, Le développement durable, Paris, Armand Colin.
PINCHEMEL Ph., ROBIC M.-C. et TISSIER J.-L, 1984, Deux siècles de géographie française,
choix de textes, Paris, CTHS. « Répertoire de textes expressifs de la pensée des
géographes qui ont laissé leur empreinte sur la longue route suivie depuis un peu
plus d’un siècle. » Ce livre se construit en trois grandes parties : Avant 1890, huit
repérages ; 1890-1926, à l’ombre de Vidal ; 1927-1960, une géographie établie.
Le commanditaire est le Comité des travaux historiques et scientifiques. Le
recueil a été établi par l’équipe « Épistémologie et Géographie » en une sorte de
galerie de témoins. Cela est dit dans la préface due à P. George : « La géographie
se veut tour à tour olympienne ou engagée, mais elle n’est jamais neutre, elle
n’est jamais indépendante du contexte politique, économique, social, culturel
[…] Chaque page, chaque œuvre doit être relue en considération du moment où
elle a été écrite et des événements qui ont entouré sa conception. »
REYNAUD A., 1971, Épistémologie de la géomorphologie, Paris, Masson. Relire la
préface due à Enjalbert. Elle se termine en affirmant que la démarche exposée
par A. Reynaud « guidera l’avancement de la géomorphologie, science à part
entière ».
VEYRET Y. et PECH P., 1997, L’homme et l’environnement, Paris, PUF.
Chapitre 4

Années 2000,
la géographie maintenant

DEPUIS 1975, la Nouvelle géographie s’approfondit en de multiples cou-


rants qui se renforcent : géographie critique, géographie des représenta-
tions, géographie politique, géographie théorique, géographie culturelle,
géographie humaniste. Ainsi apparaît ce qui est parfois qualifié de géo-
graphie post-moderne… La géographie va-t-elle éclater ? Non, car tous
ces champs sont issus du même besoin, celui de conférer une pertinence
renouvelée à la discipline, soit – sur le plan théorique – approfondir
ses bases conceptuelles et méthodologiques, soit – sur le plan social –
répondre aux questions contemporaines par des approches originales.

Le rôle moteur de la géographie


anglo-américaine
Une série d’ouvrages fondamentaux vont illustrer cette évolution, difficile
à suivre pour ceux qui ne participent pas à ces recherches conceptuelles
et méthodologiques. Parmi ceux-ci, de nombreux manuels américains
comme New Models in Geography de R. Peet et N. Thrift en 1990, qui s’ins-
pire de la vision critique du développement des sociétés et qui nous ouvre
aux analyses de classe, de sexe, de culture, de langage. A. Giddens, en
1984, dans The Constitution of Society: Outline of the Theory of Structuration,
engage la géographie dans une réflexion post-moderniste (encadré, p. 56),
tout comme D. Harvey en 1989 dans The Condition of Postmodernity.
Pendant ce temps, A. Scott développe ses réflexions sur l’analyse critique
des systèmes socio-économiques ; tel est le cas dans son livre, daté de
1988 : Metropolis: from the Division of Labor to Urban Form. P. Gould, enfin,
dans la voie théorique et quantitative, nous invite à suivre des phéno-
mènes contemporains suite à la catastrophe de Tchernobyl et à la diffusion
spatiale du SIDA, des thèmes bien actuels.
56 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

La théorie de la structuration selon A. Giddens


Cette théorie fondée sur l’« Ontology of Potentials » conçoit la structure, non
comme une simple contrainte, mais comme participante à l’action. Les
individus peuvent ainsi infléchir les milieux sociaux de façon intentionnelle
selon des modèles rationnels ou inconscients, en cherchant à créer de nouvelles
règles. Dans cette interaction sociale sont utilisés à la fois des systèmes de
communication et de pouvoir que les géographes doivent approfondir.
Les agents peuvent innover, faire des erreurs et l’évolution n’est pas une simple
réplique du passé, mais le signe de changements profonds. L’interaction se fait
en fonction de relations de pouvoir. Il faut donc analyser ces pouvoirs pour
suivre la structuration des espaces urbains, culturels, économiques… en étudiant
le rôle de groupes comme les politiciens, les bureaucrates, les responsables
économiques et… les citoyens ordinaires.
La théorie de la structuration permet ainsi de comprendre les pratiques sociales
et spatiales et l’évolution des pouvoirs.

Ces approches, variées sur le plan idéologique, révèlent les pouvoirs


économiques, politiques et sociaux qui façonnent nos sociétés, et per-
mettent d’élargir les approches géographiques. Les intitulés évoluent,
le style aussi. Par exemple, la géographie des multinationales supplante
l’analyse des localisations, en même temps qu’une géographie des genres
aborde les pratiques spatiales différenciées selon les sexes. La marginalité,
l’exclusion et leurs opposés, la concentration, la domination deviennent
des concepts fondamentaux d’une réflexion géographique de plus en plus
engagée et militante.
Légitimer la pratique géographique revient à admettre qu’à côté d’un
savoir sur les espaces et d’un savoir penser l’espace, on puisse se prévaloir
d’une connaissance scientifique claire « de » et « des » espaces.

La Nouvelle géographie en France


Trente ans après sa naissance, cette Nouvelle géographie a acquis droit
de cité dans la plupart des universités de France ; la méthode scientifique,
tout comme l’analyse critique, sont maintenant enseignées. Ce faisant,
la géographie s’est diversifiée dans ses thèmes et dans ses méthodes. En
étudiant le vécu social, les enjeux de pouvoir, les pratiques économiques,
écologiques et culturelles, elle ouvre de nouveaux champs de recherche.
L’Encyclopédie de géographie [BAILLY, FERRAS, PUMAIN, 1995] dresse un
panorama des courants de recherche contemporains en géographie sans
renier pour autant une définition des concepts centraux de la Nouvelle
Années 2000, la géographie maintenant ! 57

géographie : la définition désormais complexe de l’espace et des territoires


intégrant les modélisations, les valeurs et les représentations des hommes à
leur sujet. Les activités humaines sont examinées dans un cadre systémique,
utilisant entre autres les notions de réseaux, d’interaction, de processus de
diffusion. Modélisante et conceptualisante, cette géographie ne décrit plus
systématiquement les régions et pays du monde, mais se dote de problé-
matiques capables de traiter de questions essentielles pour l’ensemble de
nos sociétés.
La fondation de la Maison de la géographie à Montpellier, au milieu
des années 1980, a permis de diffuser les résultats et les méthodes de la
géographie, en créant un nouveau pôle géographique moderne sous le
nom de RECLUS et sous forme d’un GIP (Groupement d’intérêt public
dans lequel entrent les principaux ministères et les grands organismes de
recherche). Jusqu’à cette époque très récente, la géographie n’avait guère
suscité de grand débat théorique comme en connaissent périodiquement
les sciences humaines. La Géographie universelle, dirigée par R. Brunet,
donne une nouvelle pertinence à une géographie régionale actualisée,
articulée autour des concepts de flux, de champs, de pôles, de systèmes,
puisant dans les approches sociales, culturelles, critiques pour valoriser
son message auprès d’un public élargi.
Les manuels de l’enseignement secondaire, dans des collections dirigées
par R. Knafou, Y. Lacoste, J.-R. Pitte, incorporent les nouvelles directions
de recherche qui peuvent se résumer en trois tendances : liées à l’analyse
du système-monde et des réorganisations territoriales, à la géopolitique,
enfin celles qui résultent de la prise en compte des représentations, des
cultures et de l’espace vécu. Les apports de la révolution quantitative
sont intégrés et permettent de mieux maîtriser la cartographie et tous
les systèmes d’information géographique, comme l’illustrent des revues
comme Mappemonde. Mais c’est aussi l’époque de regards sur la géogra-
phie culturelle, avec la revue Espaces et Cultures fondée en 1994, ouvrant
de nouvelles visions de l’environnement social et culturel et du dévelop-
pement durable.
Ce foisonnement se retrouve dans les grandes maisons d’édition,
Masson, Armand Colin, les PUF, Anthropos, Magnard, Belin, Economica,
Bréal, La Découverte, Hachette, La Documentation française, Nathan,
Sirey… développent des collections « géographiques ». Les revues grand
public comme Sciences humaines, Science et Vie s’ouvrent à la géographie
grâce à un événement médiatique majeur, le Festival international de
géographie, fondé à Saint-Dié-des-Vosges en 1990. La géographie nouvelle
fait à nouveau partie des sciences reconnues !
58 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Les Affiches de la géographie


Ce recueil issu du Colloque de prospective « La géographie, situer, évaluer,
modéliser » (Paris, 12-13 décembre 1990), fait le point sur la discipline et
propose une mine de textes exploitables. De courts extraits suivent.
« La géographie actuelle peut se caractériser à la fois par l’élargissement
considérable de ses moyens et procédures d’instrumentation de l’information
territoriale et par ses recherches épistémologiques qui éclairent et renouvellent
son univers théorique et sa co-filiation avec la philosophie » (J.-P. Ferrier, p. 8).
« La géographie régionale a pour ambition de reconnaître les structures et les
dynamiques des territoires, d’être une forme de généralisation scientifique qui
n’a plus de liens avec les anciennes démarches visant à mettre en relief l’unicité,
la spécificité d’un territoire » (A. Dauphiné et al., p. 25).
« On peut attendre un enrichissement épistémologique important du fait
de l’introduction récente d’une perspective dynamique dans la théorie
géographique. La géographie participe ainsi au mouvement des sciences qui
assimilent les concepts du changement issus de la théorie de l’auto-organisation
ou de la synergétique » (D. Pumain et L. Sanders, p. 34).
« La géopolitique, ça existe. Ça existe depuis que les États ont réussi à bloquer
à leur profit le processus de regroupement des hommes dans des sociétés de
plus en plus vastes. La logique de l’État a imposé un niveau supérieur longtemps
infranchissable et a produit une partition du monde. Ce puzzle ne cesse d’être fait et
défait ; certaines pièces se cassent, d’autres sont ajustées en force » (J. Lévy, p. 41).

Un autre domaine bouge, celui de l’enseignement secondaire, même


si les concours (CAPES, agrégation), une spécificité française, poussent
à une inertie dans les programmes. Rappelons que dans la plupart des
pays, il n’y a pas ce type de concours et que les sélections se font plutôt
sur dossier. Rappelons aussi que le mariage histoire-géographie est très
français. Ailleurs, en général, la géographie est soit autonome, soit liée à
l’aménagement du territoire et à la durabilité ou aux sciences humaines.
En 1992, le programme du nouveau CAPES d’histoire-géographie s’aug-
mente d’une épreuve d’abord dite « professionnelle » et ensuite « sur
dossier » qui pousse pour la première fois les futurs enseignants à s’inter-
roger sur le contenu de leur discipline. Ils se voient proposer des extraits
d’ouvrages de base, des textes ayant marqué l’avancée de la discipline, des
sommaires de manuels scolaires.
Nous quittons là le domaine de la recherche pour celui de l’enseigne-
ment, mais les deux convergent. « La maîtrise de la méthodologie et de
l’épistémologie de la science géographique conditionne la maîtrise de
son enseignement. La carence épistémologique de la géographie que l’on
dénonçait depuis une vingtaine d’années s’est estompée.
Années 2000, la géographie maintenant ! 59

Désormais, les outils conceptuels que les géographes utilisent sont plus
nombreux et mieux adaptés ; ce dont bénéficient aussi bien la recherche
que l’enseignement » (DAUDEL C., 1995, « Lire pour préparer l’épreuve
en géographie », numéro spécial « Capes » de la revue IREHG, mars,
Clermont-Ferrand – Institut de recherche sur l’enseignement de l’histoire
et géographie).
Et puis les publications évoluent rapidement. Même si ceci ne constitue
pas une bibliographie, les ouvrages nécessaires, environ une dizaine à
peine, sont à mentionner. La liste peut être complétée par chacun en
diverses langues. Il y a pour cela des instruments spécialisés. Restons
ici sur les écrits simples et accessibles, sur les principales étapes de la
réflexion épistémologique sous forme de manuels dotés eux-mêmes de
toutes les références bibliographiques. Ces ouvrages complètent et pro-
longent la liste des titres signalés ci-dessus pour les années antérieures.
On notera soigneusement l’intitulé du titre, révélateur d’un moment,
d’une synthèse, d’une direction. Espérons que les nouvelles générations
de géographes soient mieux préparées à la variété des problématiques et
des méthodes, grâce à ces nouveaux ouvrages. Sortir des visions classiques,
des nomenclatures pour comprendre le monde, de façon plus scienti-
fique, à l’image des autres sciences sociales, tel est le nouvel objectif de la
Nouvelle géographie.
Le début des années 2000 a connu un élargissement des thèmes, l’ouver-
ture de nouvelles voies et des interrogations sur la discipline, son histoire
et son épistémologie. Des auteurs nouveaux viennent enrichir la littéra-
ture géographique, tels que S. Allemand et C. Bataillon pour l’histoire des
géographes ; J.-F. Deneux et J.-M. Berthelot pour l’histoire et l’épistémo-
logie ; C. Grataloup, M. Lussault et Ph. Sierra pour la nouvelle géographie
humaine ; J. Lévy et M. Vanier pour le pouvoir spatial ; J.-P. Augustin,
L. Bourdeau-Lepage, J. Dumas et D. Giband pour une nouvelle géogra-
phie urbaine ; Y. Veyret et P. Pech pour la géographie physique ; J.-C. Gay
et A. Torre pour l’analyse des limites et des proximités ; B. Pecqueur et
M. Talandier pour les sciences régionales ; B. Grésillon et J.-F. Staszak
pour l’art en géographie. Dans ces mêmes années, les questions sociales
et environnementales ont pris une place nouvelle dans l’enseignement
comme celles de justice spatiale et d’inégalités entre les genres. Ces
nouveaux courants émergent dans le désordre de la géographie culturelle
et environnementale, ouvrant de nouvelles perspectives. En 2018, on se
pose encore la question de la diversité de la géographie. Mais derrière cela,
il y a des choix épistémologiques que chaque géographe doit faire, dans
le respect des autres choix, comme en témoigne la liste des publications
qui incorpore ouvrages classiques, de Nouvelle géographie, de géographie
critique et de géographie culturelle.
60 ! La géographie contemporaine, 1950-2000

Lectures conseillées
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd. Définition et explication des principaux concepts à travers une grande
diversité d’auteurs. Trois parties : Épistémologie et histoire ; Les grands thèmes ;
Techniques géographiques et applications.
BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), 1993 et 1995, Encyclopédie de géographie,
Paris, Economica. Trois entrées : La géographie dans le champ des sciences ; Les
concepts ; La géographie et le monde contemporain. Ce sont à la fois l’histoire
des idées, les thèmes d’étude, les contributions aux grands débats qui ont été
retenus : l’intelligibilité du monde à travers une discipline qui change vite. Une
cinquantaine de spécialistes francophones y présentent près de 50 chapitres
appuyés sur une bibliographie abondante. L’analyse privilégie les influences
exercées par le milieu intellectuel sur la pensée géographique.
BRUNET R., FERRAS R. et THÉRY H., 1992 et 1993, Les mots de la géographie, dictionnaire
critique, Montpellier/Paris, RECLUS/La Documentation française, 3e éd. Plus de
3 000 mots et un ouvrage de référence avec une grande liberté de ton, un très
grand nombre de citations. Il s’agit, au-delà du dictionnaire, d’illustrer les grands
débats intellectuels de la géographie dans le champ des sciences sociales.
DENEUX J.-F., 2006, Histoire de la pensée géographique, Paris, Belin. Une histoire
claire de l’évolution de la pensée géographique.
GEORGE P., 1989, Les hommes sur la Terre. La géographie en mouvement, Paris, Seghers.
Ce livre s’organise en six parties : Une population inégalement croissante ; Diversité
de la géographie physique et de l’héritage historique ; L’inégal développement ;
Les lieux et les mouvements ; Une géographie de l’environnement ; L’expression
géographique.
ISNARD H., RACINE J.-B. et REYMOND H., 1981, Problématique de la géographie, Paris, PUF.
Plus ancien mais toujours utile, cet ouvrage part de l’empirie, sans concession
sous la plume d’Isnard : « Dans le chœur des sciences humaines, la géographie
ne parvient pas à faire entendre sa voix. Elle est absente sinon exclue […] repliée
dans un dernier refuge, au sein de l’université dont son discours scolastique ne
franchit pas les murailles. Pragmatique, le monde moderne exige des sciences
qu’elles soient opérationnelles ; la géographie ne l’est pas […] cantonnée dans
“la description de la Terre” comme l’y engageait son étymologie. » J.-B. Racine
passe en revue les théories de la diffusion et de nombreuses autres directions de
recherche, réfléchissant sur un pluralisme nécessaire à la géographie moderne.
H. Reymond ajoute qu’une géographie expérimentale est possible lorsque sera
dépassé le stade de l’empirisme et de l’observation sans hypothèse.
LACOSTE Y., 2003, De la géopolitique aux paysages : dictionnaire de la géographie, Paris,
Armand Colin.
LÉVY J. et LUSSAULT M. (dir.), 2013, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
sociétés, Paris, Belin.
Années 2000, la géographie maintenant ! 61

Le début des années 2000 voit fleurir de nombreux nouveaux dictionnaires


commentés. Nous en citons deux, reflets de la richesse de l’évolution de la
pensée géographique francophone.
LUSSAULT M., 2007, L’homme spatial. La construction sociale de l’espace humain, Paris,
Le Seuil. État de la géographie sociale au début du IIIe millénaire.
SIERRA P. et al., 2017, La géographie : concepts, savoirs et enseignements, Paris, Armand
Colin, 2e éd.

Il ne s’agit pas d’un échantillonnage de livres mais d’un choix d’ou-


vrages réédités, ce qui prouve qu’ils répondent à l’attente des utilisateurs.
La liste s’inspire largement des ouvrages utilisés au CAPES pour l’oral dit
« épreuve professionnelle ». Ce choix raisonné reste personnel. On pour-
rait, sortant des publications récentes, déboucher sur un matériau énorme,
varié, illustration de la richesse de la pensée géographique contemporaine.
Et ailleurs ? Que publie-t-on en anglais et pour l’essentiel dans les pays
anglo-saxons à la fin du XXe siècle ? Ces ouvrages proposent des pistes à
partir des méthodes de la Nouvelle géographie, d’autres s’attachent à l’art
du géographe et à la pertinence de la discipline. La liste donne des indica-
tions à approfondir par l’usage des bibliographies informatisées anglaises
et américaines. Elles offrent des indications tant en géographie sociale
qu’en géographie culturelle ou en géographie des genres, pour ne citer
que quelques pistes nouvelles.

BUTTIMER A., 1994, Geography and the Human Spirit, London, John Hopkins
University Press.
DOUGLAS J., HUGGETT R. et ROBINSON M. (dir.), 1996, Companion Encyclopedia of
Geography, The Environment and Human Land, London, Routledge.
GOULD P., 1993, The Slow Plague, a Geography of AIDS Pandemic, Oxford, Blackwell.
HAGGETT P., 2001, Geography: a Global Synthesis, London, Prentice Hall.
JOHNSTON P., 1990, Philosophy and Human Geography, an Introduction to Contemporary
Approches, London, Arnold.
JOHNSTON R., HAUER J. et HOEKVELD G. (dir.), 1990, Regional Geography: Current
Developments and Future Prospects, London, Routledge.
STASZAK J.-F. (dir.), 2001, Géographies anglo-saxonnes : tendances contemporaines,
Paris, Belin.
SCOTT A. et STORPER M. (dir.), 1986, Production, Work and Territory, The Geographical
Anatomy of Industrial Capitalism, Boston, Allen & Unwin.
UNWIN T., 1992, The Place of Geography, Harlow, Longman.
DEUXIÈME PARTIE

Épistémologie
et histoire
de la géographie

« J’avais toujours soupçonné les géographes de ne


savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils placent le champ de
bataille de Munda dans le pays des Bastuli-Poeni…
Me trouvant en Andalousie… je fis une assez longue
excursion pour éclaircir les doutes qui me restaient
encore […] [sur] le problème géographique qui tient
toute l’Europe savante en suspens. »

Prosper Mérimée, Carmen, 1847.

LE TITRE, DOUBLE, de cette partie souligne l’assimilation abusive qui


s’exerce entre les deux termes. Qui traite d’épistémologie ne peut se
réduire à l’histoire de la discipline, qui parle seulement d’histoire ne peut
prétendre faire de l’épistémologie. D’où la nécessité d’un tableau chro-
nologique soulignant les étapes essentielles de l’histoire de la géographie,
au-delà des critères de classification habituels : Antiquité, Moyen Âge,
Époque moderne, Époque contemporaine.
Chapitre 5

Histoire
d’une science ancienne

DEPUIS L’ANTIQUITÉ, la géographie participe du savoir des hommes par


de simples réponses à la question où ?… suis-je, … vais-je, … trouve-t-on ?
Se repérer, se déplacer introduisent à la géographie. Son histoire s’écrit
comme un roman. Est-ce si choquant ? Non, à condition, justement, de
ne pas romancer mais de revenir aux textes de base autant de fois qu’il
le faudra.

Des jalons dans une matière qui émerge


Il n’y a pas de blocs de pensée, hermétiques. On enregistre simple-
ment des disparités entre époques, à travers les jalons d’une matière qui
émerge. De l’Antiquité au XIXe siècle, on informe d’abord le voyageur
sur sa route : arrêts, accueil, ressources, le navigateur sur les mouil-
lages, le militaire sur ses itinéraires. La nomenclature, noms locaux
ou imposés par le conquérant, charpentent l’itinéraire, soutiennent la
découverte, couvrent la planète montrée par le portulan et la carte,
jusqu’à l’inconnu.
Deux hypothèses sont facteurs de progrès : l’hypothèse géocentrique
montre le cosmos comme un univers sphérique bien organisé ; l’hypothèse
antipodique réfléchit en termes de symétries entre les parties du monde
que poètes et philosophes habilleront de mythes. D’où la nécessité de
rappeler le poids de quelques outils et moyens de transport, la navigation
pour découvrir, le tour du monde comme rite initiatique, le classement
pour comprendre ce qui s’organise en espèces, la fabrication d’instru-
ments comme la boussole et l’horloge, pour naviguer dans l’espace et
dans le temps. Apparaissent vite des évidences : la Terre tourne autour du
Soleil ; la Terre tourne sur elle-même, la Terre est ronde… La découverte
66 ! Épistémologie et histoire de la géographie

de la boussole est à l’espace ce que l’horloge est au temps, la première


situe, la seconde compte. Ces deux découvertes fondamentales très diffé-
rentes et en gros de la même époque en Europe sont indissociables : on
ne peut savoir où l’on est si l’on ne sait pas l’heure. La démarche géogra-
phique connaît une accélération prodigieuse, millénaire d’abord, à une
époque où la science se confond avec la religion, puis séculaire à l’époque
contemporaine, décennale à la fin du XXe siècle.

Depuis les origines,


une géographie du voyage
Pour le voyage, on songe aux plus grands, en oubliant parfois des noms
moins prestigieux, tenté de se raccrocher à quelques-uns – toujours les
mêmes – partant d’Hérodote, passant par Ptolémée, jusqu’à Strabon,
Marco Polo, Henri le Navigateur, Humboldt, Reclus et leurs épigones.
La transcription du voyage est triple, mathématique à travers les calages
des coordonnées, cartographique par les premières figurations et écrite
par les récits.

Une permanence, les interrogations,


de l’Antiquité au 4 juin 1783
À quand remontent les origines de la géographie, l’emploi du terme,
le contenu de la discipline, avant que n’apparaisse le temps des noms
composés, géopolitique après géomorphologie, géomancie, géostratégie,
géohistoire, géopoétique ? On peut raccorder la question à la découverte,
la conquête et la maîtrise par l’homme de son environnement. Dans le
bon ordre : découverte, conquête, maîtrise, comme si la géographie com-
mençait à la porte de la maison de l’homme, « homme » et « géographie »
étant inséparables, de façon consciente ou non.
La géographie, comme état du monde, ne peut être abordée qu’à travers
ses découvertes et sa propre découverte. Les dates les plus banales peuvent
constituer des étapes importantes, ainsi le 4 juin 1783. Ce jour-là, les frères
Montgolfier, depuis leur « montgolfière » découvrent la première vue
aérienne verticale de la Terre. Jusque-là tout a été reconstitué, au mieux
depuis une hauteur, une colline ou un monument, en vision oblique.
Daunou écrit à la charnière des XVIIIe-XIXe siècles : « C’est par la géogra-
phie que le genre humain est parvenu à prendre possession du globe »
(Cours d’études historiques). En écho, Gusdorf affirme (De l’histoire des
sciences à l’histoire de la planète, 1966) : « La géographie est l’entrée en
possession de la planète Terre. »
Histoire d’une science ancienne ! 67

Sur les découvertes


Les découvertes sont de plusieurs types. Découverte physique d’abord,
celle de l’explorateur, de la mer, de la faune, des sociétés humaines.
Découverte intellectuelle ensuite, quand chacun à son gré et à sa guise
tente d’en parler ensuite, plus ou moins bien, faisant que la Terre devient
cognita, grâce à des grands noms comme Humboldt, Buffon ou Linné, face
à ceux qui ne s’intéressent qu’à des savoirs compartimentés.
Le ciel relève d’une partition mythologique que montrent les figures
fantastiques du zodiaque, la vie qu’on leur prête et leurs positions. Si ces
événements cosmiques retentissent sur la vie des hommes, on cherchera
des concordances avec l’astrologie, qui gouverne le quotidien. On passera
ensuite aux prévisions, savoir si l’on est né « sous une bonne étoile »,
l’horoscope renvoyant à la position des astres lors de la naissance. Des
prophéties « géographiques » concernent la prévision du temps ou la
lutte contre la sécheresse en pays méditerranéen, le « merveilleux géogra-
phique » rappelle les plaies de l’Égypte, les pluies de sang, la mer qui se
retire… Dans la symbolique chrétienne l’étoile désigne Bethléem, la Voie
lactée est dite « Chemin de Saint-Jacques de Compostelle », « El Camino
de Santiago » vers Saint-Jacques de Galice.
En mer, l’astronomie reste l’auxiliaire du marin, sans repère terrestre
pour se situer et qui cherche sa route dans les constellations, prenant les
repères célestes faute d’en avoir d’autres. Le marin est un praticien du
déplacement, parlant plus volontiers de la mer que du ciel. Alors que la
carte permet la découverte du petit monde, la navigation offre le monde
grandeur nature, les océans plutôt que les continents. Le méditerra-
néocentrisme est évident, il y a la Méditerranée et il y a le reste en une
progression simple : la Méditerranée au centre, ses bordures construites
grâce aux sauts de puce des caboteurs, ses pays délimités à partir de leurs
contours marins, jusqu’à repousser les franges de l’œkoumène.
La connaissance de la Terre est abordée, dans une perspective épis-
témologique, à travers l’idéologie des diverses époques. Elles ont leurs
structures, leurs pouvoirs et leurs dogmes. On n’a conservé aucune carte
grecque. Homère voyait un disque et, autour, le fleuve océan, Hérodote
la même disposition mais avec un désert en périphérie. À l’équateur qui
propose deux parties égales répondent, symétriques, les deux grands
fleuves, le Nil et le Danube, à l’origine d’une autre partition.
Dire que la Terre tourne (« Et pourtant elle tourne »), c’est se placer
contre tous les « faits » admis. Savoir qu’elle est ronde c’est aussi, un
jour, partir vers les Indes par l’ouest. D’où toute une galerie de portraits
en rupture, tous les inconnus et ceux qui émergent, Balboa ou Lapérouse
sur mer, Stanley et Brazza sur Terre, Képler et Newton sur les systèmes
68 ! Épistémologie et histoire de la géographie

planétaires. Face à la postérité, Copernic reste le plus connu (De revolu-


tionibus, 1543) plus que Tycho Brahé, l’astronome danois qui rédige le
premier catalogue d’étoiles et observe Mars.
La forme intervient, la plus simple que l’on prête à la Terre par goût de la
symétrie, elliptique plus que circulaire, elle est un œuf dont la Terre est le
jaune. La sphère semble apparaître pour la première fois dans le Phédon de
Platon, avec ses divisions en bandes que sont les climats. Ptolémée en fera
un système, par la division en climats et par la recherche d’une symétrie.

Sur géographie ancienne


et ancienne géographie
Quel est le texte fondateur de la « science » géographique ? Dans la Bible
figure une « explication du monde » relevant certes à la fois de la cosmo-
gonie, de la cosmographie, de la géomancie, mais aussi de localisations
tout à fait repérables. Elle a donné lieu à cartographie des textes bibliques
et les exemples d’une approche géographique de – et dans – la Bible sont
nombreux.

Genèse et fondements cosmiques : la Bible


Job et autres références, le vocabulaire géographique
dans le Livre
Job peut-il être considéré comme le « père fondateur » d’une réflexion sur
l’érosion ? Une prise de conscience intéressante du phénomène apparaît :
Job 14, 18-19 : « La montagne s’écroule et périt, le rocher disparaît de sa place,
la pierre est broyée par les eaux, et la terre emportée par leur courant. »
Job 38, 4-5 : « L’Éternel : Où étais-tu quand je fondais la Terre ?… Qui en a fixé
les dimensions, le sais-tu ? Ou qui a étendu sur elle le cordeau ? »
Job 38, 1-38 : les termes employés sont tous ceux qui peuvent caractériser un
milieu physique : terre, mer, eaux, pierre ; des conditions météorologiques :
tempête, nuée, amas de neige, dépôts de grêle, vent d’Orient, pluie, éclair,
tonnerre ; l’immensité : étoiles, abîme, car la géographie est d’abord une
cosmogonie ; les contrastes : herbe, désert, aride.
Proverbes, 8, 29 : « Lorsqu’il donna une limite à la mer, pour que les eaux n’en
franchissent pas les bords. »
Genèse, 49, 26 : « Jusqu’à la cime des collines éternelles. »
Deutéronome, 33, 15 : les « antiques montagnes » et les « collines éternelles ».
Ezéchiel, 5, 5 : « Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : c’est là cette Jérusalem que
j’avais placée au milieu des nations et des pays alentours. »
Histoire d’une science ancienne ! 69

Au centre des représentations, Jérusalem confirme un nombrilisme,


une « omphalogéographie » permanente qui persiste même quand les
connaissances de la carte progressent. Parmi les lieux, d’abord le Paradis :
à l’Est. Gog, au pays de Magog qui est le Nord. Le royaume du prêtre Jean
suscite de nombreuses expéditions, vers l’Inde ou l’Abyssinie. Jérusalem
est un haut lieu, à l’image des Hindous qui ont leur mont Mérou. Babylone,
Bab-ilani, est la porte des dieux, là où ils sont descendus sur la Terre.
La Mecque joue son rôle pour les musulmans. La Chine se dit Empire
du Milieu. Chacun se croit le centre du Monde, d’un monde, et les cartes
ne sont finalement que guides de la Foi.
Les montagnes sacrées sont connues. L’Himalaya (le Mérou est carré à
la base, rond au sommet) est, par sa seule masse, le sommet des sommets à
qui l’on prêtera jusqu’à 135 000 km d’altitude ! Il est la demeure des dieux
hindous, avec sept cercles de montagne en périphérie. Le Fuji-Yama est
représenté par Hokusaï sous tous ses angles. L’Olympe, à 3 000 mètres sur
la mer Égée, abrite les dieux de la mythologie grecque. Le Sinaï où Moïse
reçoit les Tables de la Loi traverse l’histoire. La silhouette du Canigou
en balcon sur la Méditerranée en fait la montagne sacrée des Catalans.
Sans montagne l’homme en édifie, les ziggourats de Mésopotamie en
témoignent. Celle de Babylone, 90 mètres au carré à la base et d’une
hauteur égale deviendra tour de Babel, espérant monter jusqu’au ciel pour
empiéter sur le domaine des dieux. De même pour les autres pyramides,
d’Égypte, du Mexique, toltèques de Téotihuacàn et mayas de Chichén-
Itzà.
À l’inverse, la géographie des profondeurs renvoie à l’Enfer, séjour des
morts. La connaissance de l’au-delà prétendra longtemps être supérieure
à la connaissance lointaine. On connaît la carte et les données du royaume
gouverné par Pluton entre Styx et Achéron, sans autre pont que la barque
de Charon. Virgile montrera Énée y descendant, et Dante (1265-1321)
aussi, en 14 000 vers.

Origines, 250 av. J.-C.-200 apr. J.-C.,


un demi-millénaire méditerranéocentré
Les progrès de la connaissance de l’espace établissent puis enrichissent la
géographie. Les genres pratiqués sont trois. D’abord, fondation et fonde-
ments, puis cartographie des périples, enfin compilation. Le plus célèbre
des périples devient odyssée, l’Odyssée. Ptolémée (c. 90-c. 168), érige en sys-
tème ce qui n’était jusque-là que visions de l’univers et théorise grâce à la
méthode expérimentale. Il propose une Trigonométrie (table), l’Almageste
(grande encyclopédie d’astronomie), une Géographie, répertoire de tout
l’univers connu selon des coordonnées, qui sera traduite en arabe au
70 ! Épistémologie et histoire de la géographie

IXe siècle. Thucydide (c. 460-c. 400) précise : « Je n’ai rien décrit que je
n’aie vu moi même », avec un souci du concret, du « terrain ». Ératosthène
(c. 276-c. 194) fixe la circonférence de la Terre à 250 000 stades (700 stades
pour un degré) ; il en découle des hypothèses : le 36e degré regroupe le
monde habité sur 70 000 stades et si l’on parcourt autant vers l’ouest, on
atteint sa limite occidentale. Il y avait là une vision du monde qui permet-
tra, par le jeu des symétries, de supposer l’existence d’un continent austral.
Le monde grec est double, monde de la mesure avec Ératosthène et
Ptolémée, monde du récit avec Hérodote. L’exploration du passé de ces
mondes par les Grecs est aussi importante que la cartographie des conti-
nents, avec en plus le récit de l’histoire. C’est une enquête et le terme
historiê désigne le savoir par enquête. Cela va de pair avec la médecine
qui étudie le fonctionnement du corps selon l’environnement et le climat.
Dioscoride, médecin grec qui suivra les armées de Néron en Méditerranée,
publie De materia medica qui étudie la botanique sous son aspect pharma-
cologique. Ses successeurs essayeront de faire cadrer ce qu’il décrit avec
les plantes de leur pays ; ainsi s’établit un Répertoire de 600 plantes classées
selon leur usage, huile ou aromates, pour migraines ou autres. Mille ans de
copies éloigneront de plus en plus cette botanique de la réalité, des feuilles
imaginaires apparaissent pour la symétrie, des racines remplissent la page
pour la beauté de la composition. Le dessinateur prime sur l’observateur,
le poète sur le savant. Cela durera jusqu’au XVIe siècle.
La poésie, forme habituelle de transmission de connaissances, est aussi
utilisée dès l’Antiquité pour mémoriser les faits (aventures des héros),
traditions, règles grammaticales, morale (foi religieuse). Elle n’est pas que
l’art de la fiction littéraire, qui est son sens premier. Elle est création, ce
qui est la traduction de poiêzis. La poésie emmagasine, conserve, transmet.
Au VIe siècle av. J.-C., les Ioniens de l’âge d’or se mettent à écrire en prose,
d’où leur nom de logographes qui assurent la transition entre les poètes
épiques et les historiens critiques (un carré sans rien de poétique est un
logo, tout comme le modèle graphique peut être considéré comme « prose
de la poésie » en géographie). Ces proto-historiens libèrent l’histoire du
rythme, du vers, du chant, comme l’imprimerie libérera le copiste de sa
feuille. Au départ le rhapsode va de ville en ville, récitant des poèmes
épiques mêlés de notes de voyage. L’itinéraire-comptine, répétitif dans ses
énumérations, est la première arme de la géographie, celle que l’on trouve
chez Denys le Périégète ou chez Festus Avienus, qui égrènent les ports
de la Méditerranée. Au bout de ce type de démarche se profile… la liste
des départements de nos classes primaires, la poésie en moins, l’inventaire
en forme d’annuaire en plus.
La représentation du monde méditerranéen en appelle aux mathéma-
tiques. Déciarque prend comme axe central dans ses cartes le parallèle
Histoire d’une science ancienne ! 71

qui va des colonnes d’Hercule à Rhodes, en gros le 36e degré. Ératosthène


élève une perpendiculaire par le méridien de Rhodes ; elle passe par le Nil
et Byzance (on peut y voir, en grossissant beaucoup le trait, une « anti-
cipation » d’un « méridien-origine », méridien de Paris ou méridien de
Greenwich). La grille des méridiens et parallèles se met peu à peu en
place. Entre 12 et 26 degrés de longitude (en gros Cadix et l’Inde), on
dessine la carte du monde (méditerranéen) avec ses rivages, ses accidents
notables élevés au rang de repères, ses fleuves : le physique, le concret vont
de pair. Ce qui facilite la circulation est l’itinéraire, et ce qui la contrarie,
la frontière des États.

Hérodote (c. 480-c. 425)


Son œuvre s’appelle l’Enquête, mais il est dit « père de l’histoire ». Ses Histoires
se divisent en neuf livres comme les neuf muses et avec leur nom. Le sujet en est
les guerres entre Grecs et Barbares précédées d’une dissertation sur la différence
entre peuples d’Asie et d’Europe en remontant jusqu’à la mythologie. Son intérêt
reste grand pour le merveilleux et il recueille les curiosités sur les peuples et les
lieux : livre II : l’Égypte ; livre III : les coutumes des Scythes. Les Grecs ont des
mythes fondateurs, Lydiens et Perses n’en auraient pas et Hérodote va les étudier.
Cet Ionien d’Halicarnasse (sud-ouest de l’Asie mineure), en périphérie de la
culture grecque et donc chez les « Barbares », les étrangers, s’intéresse aux
villes, aux sites de batailles. Il proposera en 445 (date importante, il est ami de
Sophocle et Périclès) une refonte de ses enquêtes ethnographiques en Histoire
des guerres médiques. Suite à une absence de dogme concernant la création,
il peut remonter indéfiniment le temps, d’où son sens critique car avant lui
les logographes se contentaient de transcrire les grands mythes des origines
dans les généalogies et les chroniques. Le premier, il passe des spéculations
irrationnelles et de la curiosité des érudits aux connaissances géographiques et
ethnographiques. « Histoire » signifie recherche, vérification des sources.

Des géographes anciens


La filiation est connue avec Aristote et le Lycée d’Athènes, 384-322 (voir
Les Météorologiques), Théophraste le continuateur, 371-288, Straton de
Lampsaque, élève de Théophraste, 335-269, qui « dispensa Dieu de son
œuvre » selon Cicéron.
Ajoutons Polybe qui a résumé Strabon (210-125). Ces auteurs méritent
relecture de leurs tableaux géographiques ; ainsi du Nil, vu par Hérodote :
« des fleuves qui ont formé des pays par des atterrissements, aucun ne
mérite par son importance d’être comparé à une seule bouche du Nil, qui en
a cinq » ; vu par Plutarque : « le fleuve déverse du limon nouveau et ajoute de
la terre nouvelle à l’ancienne » ; vu par Sénèque : « le Nil coule bourbeux […]
72 ! Épistémologie et histoire de la géographie

il a porté toujours plus loin l’Égypte. » Alluvionnement, érosion, frappent


très tôt les esprits dans le monde méditerranéen. À propos de l’érosion,
Platon (Critias, III a-b) parle du déboisement de l’Attique et met l’accent
sur une des plaies du monde méditerranéen. Le volcanisme, toujours spec-
taculaire, est souvent décrit : en 79 apr. J.-C., le Vésuve l’est par un témoin,
Pline le Jeune, qui comptera, parmi les victimes, son oncle Pline l’Ancien.
Diodore de Sicile et Strabon décrivent l’Etna. D’autres encore parlent de
tremblements de terre, d’îles sous-marines qui surgissent.
Dans l’ensemble, la géographie antique s’oriente vers les voyages,
récits, cartes, mesures, découvertes, l’essentiel de ce qui permet de mieux
connaître l’espace privilégié du bassin méditerranéen. Ajoutons la prise
en compte du temps sous forme de cycles, diurne, saisonnier, permettant
de rappeler le caractère continu de la vie, le renouveau des savoirs et
des civilisations. Le cadran solaire donne l’heure, ante et post méridien,
découpant le temps, en mesurant les ombres. Un instrument prime, le
Soleil, remplacé ensuite par l’usage de l’eau, du sable, de la chandelle, du
gnomon, de la clepsydre, puis de l’horloge mécanique. On trouvera ensuite
les ensembles de plusieurs jours et le chiffre magique de la semaine : « En
6 jours l’Éternel a fait les cieux, la Terre et la mer, et tout ce qui y est
contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni
le jour du repos et l’a sanctifié » (Exode, 20,8). Le calendrier le plus ancien,
égyptien, deviendra le calendrier julien. La Lune gère les récoltes, inquiète
ou rassure, le Soleil assure le retour des saisons, la marée la navigation.
Le Nil a sa crue annuelle (juin-octobre : limon, octobre-février : culture)
qui rythme la vie agricole.

Rome
Rome hérite de la géographie de la Méditerranée et a des auteurs pouvant
être considérés comme des géographes quand ils écrivent une Chorographie
(Pomponius Mela, Ier siècle apr. J.-C.), une Histoire naturelle (livres III-VI)
comme Pline ou comme Festus Avienus (Ora maritima). Pomponius Mela
laisse la plus ancienne géographie en latin qui nous soit parvenue, faisant
de Ceylan le nord d’un continent méridional. L’Antarctique est inventé
par un besoin « logique » de symétrie, de contrepoids, d’équilibre parce
qu’il y a des terres au nord. Il fait de l’océan Indien un lac, ce qui contri-
buera à pousser Colomb vers l’ouest pour atteindre les Indes.
Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.) écrit 36 livres d’Histoire naturelle (on
notera le titre) publiés par son neveu. Le premier reprend les écrivains plus
anciens. Les volumes 2 à 7 sont des traités de géographie, d’astronomie et
d’anthropologie. Puis de zoologie, de botanique, de médecine, de minéra-
logie, d’art. Cette encyclopédie se veut immense et variée comme la nature.
Histoire d’une science ancienne ! 73

Ovide (43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.) parle d’érosion, de systèmes en mouve-
ment (Métamorphoses, livre XV). On compile ce qui intrigue : sources
vauclusiennes, îles devenues presqu’îles, volcans et séismes, éléments qui
bougent sous nos yeux. Huit vers des Métamorphoses (262-269) ont laissé
une trace bien plus tard chez Gassendi, Buffon, Voltaire et… de Beaumont,
évoquant des coquilles loin dans les terres, des terres qui émergent et
peuvent être submergées, des eaux qui ravinent… Ovide prend en consi-
dération des dynamiques : « On trouve la mer là où était la terre ferme,
et là où se trouve maintenant la mer, il y aura de nouveau une terre. »
Des constantes venues des Grecs et d’Aristote : terre, feu, air, eau, sont
présentes à travers les observations et la transmission des connaissances de
l’Antiquité par copie des textes classiques : Théophile (Xe siècle), Schedula
diversarum artium (le livre des différents arts), Varron dont les « Satires »
sont un périple : Saturae Menippeae, encyclopédie latine en 150 livres dont
on possède 600 fragments environ (vers 116-27 av. J.-C.). De même, le
marin, navigant, « explorateur » de la Méditerranée et au-delà, connaît
les fonds et les courants. L’auteur du périple les transmet sous la forme
mythologique de Charybde et Scylla. Le savant essaye de les expliquer. Le
premier construit une histoire ; le second tente de construire une théorie.
La Chorographia, compilation sans expérience directe, souligne une
certaine ambition géographique, mais n’apporte aucun progrès. Elle
distingue, entre les terres de la Méditerranée, la jonction des trois conti-
nents, Afrique, Asie, Europe, et dans les terres extra-méditerranéennes,
Espagne, Gaule, Sarmatie, Scythie, îles. La Descriptio orbis terrarum est un
grand poème géographique, plus par le style que par la forme, car mis en
vers pour être mieux appris.

Le Moyen Âge
Il annonce la géographie des redécouvertes, des savoirs transmis et des
techniques nouvelles. Le monde médiéval est surtout arabe, très « pra-
tique » de conception avec l’appui technique de la boussole, l’outil de
référence qu’est le portulan, les compilations anciennes et les itinéraires
nouveaux, et quelques grands noms dont Edrisi et Ibn Battuta.

Alain Miquel (1973-1988), La géographie humaine du monde


musulman, jusqu’au milieu du xie siècle (Mouton),
travail fondamental
L’ouvrage s’articule en quatre volumes qui ont pour titre : Géographie et géographie
humaine dans la littérature arabe, 1973 ; La représentation de la Terre et de l’étranger,
74 ! Épistémologie et histoire de la géographie

1975 ; Le milieu naturel, 1980 ; Les travaux et les jours, 1988. Deux extraits en
soulignent la richesse.
Dans l’« Avertissement » (t. 3, p. 11), A. Miquel écrit : « Mamlaka ou Islam, peu
importe. Et peu importe aussi qu’avec le même retard déjà signalé, ce concept
arrive à sa pleine clarté au moment même où l’édifice qui l’inspire se craquelle
avant de laisser place, l’an Mil et le Turc venus, à des pays musulmans, à des
espaces musulmans, à des mondes musulmans peut-être. L’essentiel, encore
une fois, est que notre corpus lui-même nous invite à la description d’un monde
saisi comme un ensemble, cohérent au-delà des vicissitudes politiques, des
aléas de la route caravanière ou de la mer, des fluctuations du rite, parfois du
dogme. »
Il ajoute dans « De la Bible à l’Islam » (t. 4, p. 19) : « De la création du monde
à la Révélation coranique, l’histoire relue ou retrouvée par les géographes
est essentiellement biblique, persane et arabique. Sans doute d’autres temps
émergent-ils de-ci de-là, incarnés dans quelques héros majeurs, tel Alexandre,
mais il reste que la carte du passé, presque exclusivement orientale, propose
un Croissant fertile biblique jouxté, vers le nord-est, par l’Iran, et au sud, par
l’Arabie d’avant l’Islam. »

Le monde chrétien, quant à lui, puise ses fondements dans les Évangiles.
À l’optique juive du passé, les chrétiens ajoutent leurs propres textes sacrés.
On ne se préoccupe ni d’enquête ni de reprise, on cherche à trouver des
documents pour vérifier la Foi, sans esprit critique. Crédulité ? Origène
(185-254) ira jusqu’à distinguer les grandes lignes du christianisme dans
les écrits des Grecs. Eusèbe de Césarée agencera la chronologie du passé
chaldéen, grec et romain au sein du cadre biblique. Il provincialise l’his-
toire du monde pour en faire une histoire du christianisme. La chré-
tienté dresse une barrière contre le progrès des connaissances, opposant à
l’héritage de Ptolémée une vision léchée et théologiquement conforme au
dogme de l’époque. Quatre disciplines comptent, et elles seules, relevant
des mathématiques : arithmétique, musique, géométrie, astronomie, plus
trois autres relevant de la linguistique : grammaire, dialectique, rhéto-
rique. Elles composent au total les sept arts libéraux.
Le monde est occulté dans sa représentation en caricatures pieuses, dans
une amnésie scientifique qui se poursuit entre 300 et 1300. La géographie
n’est qu’un ramassis de connaissances, dogmes, récits de voyages, mythes.
Les mappemondes du Moyen Âge sont toutes du type T dans l’O, l’Est
en haut. La carte, œcuménique, montre l’œkoumène, le monde habité de
façon dogmatique et non scientifique : Cosmas, appelé pour ses talents de
géographe « Indicopleuste » (navigateur dans l’Inde), se trouve vers 519
en Orient, est marchand à Alexandrie, devient moine et se convertit au
Histoire d’une science ancienne ! 75

christianisme en 548 dans le mont Sinaï. Il laisse dans ses « Mémoires »


une apologie classique de la vision chrétienne de la Terre en 12 volumes,
et les plus anciennes cartes chrétiennes connues. La Terre n’est pas
sphérique, selon l’exégèse de l’Écriture et des pères de l’Église, elle est
plate et divisée selon les points cardinaux : à l’Est les Indiens, au Sud les
Éthiopiens, à l’Ouest les Celtes, au Nord les Scythes. Les quatre grands
fleuves sortent du Paradis : l’Indus, le Nil, le Tigre et l’Euphrate.
Suivent les géographes chrétiens qui offrent leur variante du schéma
initial : Orose, prêtre espagnol (Ve siècle), Isidore de Séville (VIIe) méprisent
la science des Anciens et le calcul mais intègrent tous les mythes de
l’imaginaire païen. En régressant, on passe de la grille rationnelle de
Ptolémée à un fatras d’images et de merveilles. À travers les croisades
(Concile de Clermont, 1095), on note que, selon la chronique de Robert le
Moine, « Jérusalem est le nombril du monde… royale cité, sise au milieu
du monde »… On va la délivrer.

Les terres nouvelles sont à l’Est


L’explorateur terrestre va vers l’Est, au XIIIe siècle et bien avant, et n’a besoin
que de peu de choses pour lancer son expédition. Le navigateur va vers
l’Ouest. Entre ces deux extrêmes se trouve une géographie dogmatique d’un
Orient chargé de légendes, d’une route du Cathay mystérieuse. Sous un désir
de luxe et de richesse autant que d’une quête d’un nouveau monde, ont été
repérées les échelles du Levant, la route de la Soie par la Chine, Samarcande,
Bagdad, la mer de Chine, l’océan Indien. Mais au-delà d’Alep, d’Alexandrie,
de Damas, le Franc et l’Italien sont interdits. Les « Merveilles », les « Livres
des Merveilles », font suite aux périples et aux compilations.
Ramón Llull, savant catalan (1235-1315), produit Les maravelles del
mon, encyclopédie en forme de roman fantastique avec appel aux disci-
plines voisines : météorologie, géologie, en un grand effort de vulgarisa-
tion. Le livre compte dix parties dont les Cieux, les Plantes… à partir de
l’histoire simple d’un vieillard qui envoie son fils Félix à travers le monde
pour en découvrir les merveilles.
Marco Polo effectue un voyage de vingt-quatre ans. Son livre parle
d’abord des voyages de ses oncles. En 1271, il part avec eux vers Bagdad,
Ormuz, le Pamir, le Cachemire et Gobi. En 1295, il rentre, et plus tartare
que vénitien, dicte la description ou Devisement du Monde en prison,
à Gênes. Rustichello la rédigera en français.
En 1251, le franciscain Guillaume de Rubrouck arrive à Karakorum
à la cour de Mangu Khan. C’est un pionnier de la géographie, avec
Barthélemy de Crémone et avant les jésuites ! En 1268, l’Opus Magis de
Bacon (1220-1292) étudie l’itinéraire de Rubrouck et l’utilise dans son
76 ! Épistémologie et histoire de la géographie

encyclopédie. En 1245, un compagnon de François d’Assise est envoyé


par le pape sur les steppes, l’Altaï et le désert de Gobi, à Kiev, sur la Volga,
au Karakorum chez Guyuk Khan. Parmi les autres récits de franciscains :
Jean de Montecorvino est à Pékin (Cambaluc) en 1295, Pegolotti établit
en 1340 un guide pour les banquiers florentins. L’écroulement de l’Empire
mongol, la fermeture de la Chine remettront tout cela en question.

Nouveaux mondes, nouveaux produits :


la fin du Moyen Âge
Avec la Renaissance on passera, lors de la découverte des nouveaux
mondes, du découvreur qui crée l’information à l’usager qui l’utilise. Le
Prince doit être informé et la gestion de l’espace vient tout naturellement
après son repérage. Son bornage produit une « région » dont les pre-
mières formes sont des limites qui marquent le patrimoine, la patrie, la
conscience nationale, les pouvoirs définis, les États administrés. La géo-
graphie prend en compte tout ce qui maille l’espace, les réseaux, les pleins
et les creux, les frontières et leurs ruptures, nœuds, flux, routes et lignes
de force. Mis en forme, cela s’appelle « statistique ».
Chaque continent est intégré au fur et à mesure des découvertes,
nouveaux produits comme en Asie puis, comme en Europe, nouveaux
concepts comme la montagne ; nouveaux profits lors de l’exploration de
l’Afrique. C’est le monde moderne de la navigation, de l’expédition et de
l’inventaire, termes préférables à celui de « Grandes découvertes » par
trop limitatif. C’est la naissance de la science moderne avec un savant
jamais très éloigné du corps expéditionnaire et du commis voyageur.
Nouveaux mondes ? Nouveaux produits ? Les découvreurs sont aussi
des botanistes et, à Cuba, Colomb s’évertuera à trouver des plantes d’Asie.
Cook invente Botany bay, montrant ainsi une certaine vision du monde.
Nouveaux concepts ? Nouveaux profits ? La science moderne débutera
avec la réfutation de ce dogme : la Terre est immobile, plantée au centre
de l’univers en un modèle commode et qui fonctionne, géocentrique et
ptoléméen. Galilée (1564-1642) publie son Dialogo sopra i due massimi
sistemi del mondo en 1632 à Florence. Mathématicien, physicien, astro-
nome, il sera condamné par l’Inquisition pour ses idées coperniciennes :
« Eppur si muove », et pourtant, elle tourne. Milton rencontre Galilée
près de Florence et écrit vingt ans plus tard Le paradis perdu, mais il
ne s’écarte toujours pas de la cosmographie ptoléméo-chrétienne. Son
poème, qui se situe dans un cosmos biblique, n’intègre pas – un siècle
après – le De revolutionibus de Copernic, la nouvelle conception de l’uni-
vers. Le Bovier de Fontenelle (1657-1757) : Entretiens sur la pluralité des
Histoire d’une science ancienne ! 77

mondes (1686), philosophe et poète, tente par la vulgarisation scientifique


une synthèse entre Copernic, astronome, et Descartes.
Les « Mappes du Monde » : cartes et atlas appuient cette science
nouvelle. On a de Colomb des livres avec apostilles, la Géographie univer-
selle de Pierre d’Ailly vers 1410, de Piccolomini (le pape Pie II) en 1477.
En 1502, paraît le Mundus Novus de Vespucci. Waldseemüller, chanoine
à Saint-Dié, a comme ambition de publier une nouvelle édition de la
Géographie universelle de Ptolémée puis propose une Cosmographiae intro-
ductio qui comprend une description de la quatrième partie du globe,
la terre d’Amerigo (en 1507). En 1538, Mercator (1512-1594) publie sa
grande carte du monde avec Americae pars septentrionalis et Americae pars
meridionalis, encore ptolémaïque. En 1569 et avec sa projection, Ortelius
(1527-1598) réunit dans le premier atlas moderne des cartes, avant de
devenir géographe de Philippe II. En 1570, Plantin produit son Theatrum
orbis terrarum, 53 cartes avec un texte. En 1598 (à la mort d’Ortelius), on
en est à 28 éditions, et en 1612 à 41.
Désormais, l’atlas est ouvert, mis à jour ; avec l’imprimerie la carte a
quitté les murs du palais et la carte marine les coffres des pilotes. Mercator,
le premier (en 1594) emploie le mot « Atlas ou méditations cosmogra-
phiques »… La carte est devenue portative, comme l’horloge. On va
pouvoir tout voir, n’importe où. Mercator sort un Atlas minor et Ortelius
un Epitomes en format réduit. Enfin, l’Atlas de poche à l’usage des voyageurs et
des officiers, réalisé plus tard sous le règne de Louis XV, sorti de la décoration
pour fortunés, devient peu coûteux. Il constitue l’aboutissement d’un genre
nouveau venu de l’Antiquité grecque et revu au Moyen Âge.
Quant aux systèmes célestes et terrestres, ils sont rendus caducs par
Copernic. Astronome amateur, cet esprit universel est un homme de la
Renaissance qui élabore sa théorie héliocentrique à ses moments perdus :
la Terre, aussi, tourne, et elle tourne autour du Soleil. Luther dira de lui
en 1539 :

« Ce sot voudrait mettre dessus dessous toute la science astronomique ; mais


l’Écriture nous enseigne que c’est au Soleil que Josué ordonne l’immobilité et
non à la Terre. »

Lectures conseillées
JACOB C., 1988, « Écriture, géométrie et dessin figuratif, essai de lecture d’une
carte grecque », Mappemonde, n° 1. La tradition antique y juxtapose des savoirs
d’origine géographique, cosmologique, eschatologique, d’où son déchiffrement
difficile. Voir les autres publications de ce même auteur.
GRATALOUP C., 2004. L’invention des continents, Paris, Larousse.
Chapitre 6

Histoire d’une science


modernisée

LA RENAISSANCE propose une autre géographie, mais une de ses « révo-


lutions » est le retour à Ptolémée : « La géographie est une représentation
en image de l’ensemble du monde connu, ainsi que des phénomènes
qui s’y déroulent. » Le manuscrit grec apparaît comme un chef-d’œuvre
retrouvé ; mais si la théorie est inattaquable, les cartes sont plus qu’ap-
proximatives.

Géographie et Renaissance,
renaissance de la géographie
La mer développe alors la cartographie. On n’a pas besoin d’une représen-
tation cosmique (une géographie générale, comme ce fut le cas à travers
la cartographie « chrétienne »), mais on doit connaître les fonds et les
routes entre les îles (géographie régionale). En caricaturant, on peut dire
que l’on s’intéresse moins à l’Éden qu’à la réalité de la côte. Mais tout n’est
pas uniquement fonctionnel, même si le périple marin repose avant tout
sur l’utilisation d’un guide côtier qui implique stratégie et puissance. Au
XIVe siècle apparaît le portulan, guide des ports corrigeable. Guide au ras
du sol, contrairement aux spéculations chrétiennes qui, à l’intérieur des
terres, faisaient figurer soit du blanc, soit des lieux ou scènes mythiques.

« Aucune théologie au monde ne pouvait faire croire à un marin que les rochers heur-
tés par son navire étaient purement imaginaires. Les contours des terres explorées ne
pouvaient être modifiés ou occultés par les écrits d’un Isidore de Séville, voire d’un
saint Augustin. Plus l’homme s’éloignait sur la mer, moins il avait l’occasion ou la
tentation d’ajouter foi aux sources littéraires. Car la mer n’avait pas de mémoire. »
BOORSTIN D., 1988, Les découvreurs, Paris, Laffont, p. 131.
80 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Un lieu : Sagres, et un souverain, Henri le Navigateur, marquent leur


époque, sans oublier l’héritage juif, majorquin ou pisan. À la limite
extrême des terres et dès l’Antiquité, ce promontoire sacré recueille
les documents. Chacun apporte son fragment de journal de bord, retour
de Calicut, de Goa ou d’Afrique dont on dénomme les côtes ; leur nom
est significatif, de la graine (le poivre de Guinée est la graine de paradis),
de l’or, de l’ivoire, des esclaves. Bel inventaire et éventaire de produits
d’outre-mer, les ultramarinos.
Un axe du monde bascule, la géographie dépasse la Méditerranée.
Les grands navigateurs sont Diaz (1488) et Gama (1497). Albuquerque
prend Malacca en 1511. Colomb, droit vers l’ouest, couvre 4 000 km entre
Gomera et les Bahamas en 36 jours. On sait désormais que l’océan, qui
entoure le disque de la Terre que l’on croyait sans bornes et ne condui-
sant nulle part, mène partout. La route des Indes va s’ouvrir dans les
esprits contre les croyances et sur les cartes. L’Amérique « inventée »
par la découverte de sa terre, la géométrie des latitudes et des longitudes
retrouvées, reléguera le jardin d’Éden et la centralité de Jérusalem hors
des cartes de géographie.

Antonio Pigafetta, embarqué en 1519 avec Magellan,


la géographie du périple marin
Il alimente une proto-géographie à travers un outil, la carte, et un constat, le
périple écrit qui répond à l’itinéraire, dessiné. Du premier « Phénicien » inconnu
à l’une des premières grandes œuvres « marines » dues à ce témoin, il serait bon
de recenser les textes qui, peu à peu, racontent le monde, toujours plus loin de
la Méditerranée.
« Lundi, jour de Saint-Laurent, dix août de l’an 1519, l’armée approvisionnée
de ce qui lui était nécessaire, ayant un équipage composé d’hommes de diverses
nations – deux cent trente-sept hommes pour les cinq navires – fut prête à partir
du môle de Séville ; et tirant de toute notre artillerie, nous fîmes voile du trinquet
seulement jusqu’à l’embouchure d’une rivière nommée Bétis, que l’on appelle
aujourd’hui Guadalquivir. »
« Mercredi vingt-huitième novembre mil cinq cent vingt, nous jaillîmes hors
dudit détroit et nous entrâmes en la mer Pacifique où nous demeurâmes trois
mois et vingt jours sans prendre vivres ni autres rafraîchissements et nous ne
mangions que du vieux biscuit tourné en poudre. »
« Samedi, seizième de mars mil cinq cent vingt et un nous arrivâmes au point du
jour à une île éloignée de trois cents lieues de l’île des Larrons ; cette île s’appelle
Zamal » (Samar, Philippines).
« Lundi huitième de septembre (1522), nous boutâmes l’ancre près le môle
de Séville et nous déchargeâmes toute l’artillerie… Moi parti de Séville, allai à
Histoire d’une science modernisée ! 81

Valladolid où je présentai à la majesté sacrée de Monseigneur Charles, non or


ni argent, mais chose pour être prisée d’un tel seigneur. Et entre les autres lui
donnai un livre écrit de ma main traitant de toutes les choses passées de jour en
jour en notre voyage. »
Extrait de « Navigation et descouvrement de la Indie supérieure faicte par moy
Anthoyne Pigaphete Vincentin Chevalier de Rhodes », Premier voyage autour du
monde par Magellan, Paris, 10/18, 1964.

La géographie et les Lumières,


la géographie des Lumières
Les progrès réalisés découlent d’une série de convergences. À partir du
XVIIe siècle l’administration joue son rôle, à l’image des intendants comme
Lamoignon de Basville ou Ballainvilliers en Languedoc. La valeur de leurs
rapports assure le passage entre le récit de voyage compilé et la précision
chiffrée d’enquêtes de première main. Les grands commis, en Angleterre,
en Prusse, en Pologne, en Espagne, s’appuient sur les données statistiques
et leurs interprétations cartographiques. Au dénombrement devenu cré-
dible répond une cartographie moderne. L’état-major aura bientôt ses
cartes, le développement du réseau routier l’exige aussi. La dynastie
des quatre Cassini couvre deux siècles de réalisations, le premier, Jean-
Dominique né en Sardaigne dans le premier tiers du XVIIe siècle (1625),
le dernier, Dominique, mort au milieu du XIXe (1845). La première carte
topographique détaillée et non dépourvue d’esthétique couvre régulière-
ment la France au 1/86 400.

Les systématisations et les filiations


Identification des animaux, classification des plantes, relevés géologiques
et cartographiques vont de pair. Linné (mort à Uppsala en 1778, où il en-
seignait) est connu par ses classifications botaniques. Les jugements sur
ce savant s’éclairent à travers ses récits de voyage en Laponie ou grâce à
un essai au titre révélateur : De l’émerveillement devant la nature (1762).
Buffon entame la publication de son Histoire naturelle à partir de 1744,
englobant le monde minéral et animal. Les Époques de la nature établissent
son système de géologie. Hutton, leur contemporain, savant d’Édimbourg,
chimiste de formation, introduit la notion de temps géologique, travaille
sur l’orogénie et l’érosion, se penche sur la stratigraphie et la composition
des roches.
82 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Les uns et les autres, fortement teintés de naturalisme, publient des


dizaines de volumes, certains inachevés, sur ce qui deviendra les « sciences
de la Terre et de la vie ». On mesure les progrès accomplis entre la data-
tion (tout à fait inattendue dans sa précision !) de la création du monde
en 4004 avant notre ère, par le primat d’Irlande qui exploite le récit de la
Genèse, et les conclusions de l’abbé Giraud-Soulavie qui étudie les affleu-
rements géologiques en relation avec les altitudes et les aptitudes des
terroirs dans les montagnes de l’Ardèche.
Les navigateurs, hollandais, britanniques et français, Tasman,
Bougainville, Lapérouse, Cook, alimentent une géographie exotique. Les
écrivains genevois comme Rousseau arpentent la montagne, visitent,
herborisent, collectent, notent tout et se soucient du rendu pédagogique
de leurs observations. Turgot, soucieux de plans économiques, met en
présence géographie et politique. Le marin, l’écrivain, le ministre, par
des voies différentes, se rejoignent dans une géographie qui devient peu
à peu explicative, au sens large, entre XVIIe et XIXe siècle, l’époque des
Cassini.
Les filiations sont intéressantes à suivre dans le domaine des héritages
géographiques, en ligne directe sur près de deux siècles. Rousseau (1712-
1778) marque la fin du temps des géographes de cabinet et est à l’origine
d’une géographie moderne, celle de Pestalozzi (1746-1827), son disciple
suisse, promoteur d’une éducation populaire. Ritter (1779-1859), formé
à l’école pestalozzienne, aura lui-même comme élève Reclus (1830-1905).
La lumière vient encore des universités de l’Europe du Nord, cette fois
de Koenigsberg avec Kant (1724-1804). Il alterne les cours de géographie
et de philosophie, soucieux d’espace et de temps et dépassant la pure
description. Et un Danois, Malte-Brun, publiera en France la première
Géographie universelle.

L’apport allemand
Humboldt et Ritter marquent l’importance des héritages de la Prusse des
XVIIIe et XIXe siècles. Le premier, savant de culture naturaliste, publie son
Cosmos. Ritter, géographe de culture historique, laisse une Géographie
tout aussi inachevée. Le premier est né en 1769, le second, dix années plus
tard, les deux disparaissent en 1859. Leur œuvre traverse l’histoire d’une
géographie moderne naissante.
Humboldt, qualifié de « savant et voyageur » dans les vieux dictionnaires,
naturaliste, géologue et botaniste est bien armé intellectuellement pour
découvrir la Terre. Frère d’un homme politique et lui-même conseiller du roi
de Prusse, membre de toutes les sociétés savantes, il est souvent à Paris où il
rencontre dès 1797 le naturaliste Bonpland (1773-1858) qui l’accompagnera
Histoire d’une science modernisée ! 83

dans son séjour en Amérique du Sud, des rives de l’Orénoque au sommet


des Andes, des Antilles à l’Amérique du centre et du Nord. Il entame la
rédaction de son Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent. Il
explore ensuite la Russie et l’Asie centrale et entreprend à Berlin à partir
de 1847 (à l’âge de 78 ans) son Cosmos ou Description physique du monde
publié entre 1847 et 1851. Il est alors titulaire de la chaire de géographie à
l’université de Berlin. Il énonce les deux premiers principes fondateurs de
la géographie du temps : tout phénomène s’étudie dans ses rapports avec
les autres phénomènes physiques ou humains ; tout phénomène doit être
comparé aux phénomènes analogues des autres régions. Ce voyageur qui
observe tout, climat et végétation, ce bel esprit restera longtemps un natu-
raliste, revendiqué bien plus tard comme géographe.
Ritter, naturaliste, pédagogue, géographe prussien, traverse l’Europe
comme précepteur d’une grande famille, découvrant la Méditerranée,
produisant une Géographie de l’Europe. Il est nommé professeur d’his-
toire au collège de Francfort, puis professeur de géographie à l’université
de Berlin. Il crée la géographie scientifique dans sa Géographie générale
dans son rapport avec la nature et l’histoire de l’homme (1817), une ana-
lyse « cosmique » du globe sous toutes ses faces, refondue en 1822 en
18 volumes. Ce pédagogue comprend, lui aussi, que tout phénomène doit
être étudié à la lumière de phénomènes analogues observés dans d’autres
régions, ce qu’exprime le titre de son œuvre de « géographie générale » et
« comparée » à la fois. Il exercera une très grande influence au XIXe siècle,
notamment sur Reclus.

Inventions géographiques
L’émergence du continent africain, la naissance de la montagne four-
nissent l’occasion de développements concrets sur l’histoire des inventions
géographiques. On retiendra l’exemple de l’Afrique, explorée, puis celui
de la montagne, inventée, en les replaçant dans l’évolution générale des
sciences au XVIIIe et au XIXe siècle en Europe. L’un et l’autre sont tout à
fait significatifs.

L’Afrique lointaine
Les exemples géographiques, textes ou cartes, récits ou relevés sur l’Afrique
sont riches de descriptions datées, illustrant les découvertes du temps. Les
textes, innombrables, gagnent à être mis en vis-à-vis. Mungo Park, réédité
en 1980 (chez Maspero), propose son Voyage dans l’intérieur de l’Afrique,
fait en 1795, 1796 et 1797, par M. Mungo Park, envoyé par la Société d’Afrique
établie à Londres. Citons les premières phrases de son récit :
84 ! Épistémologie et histoire de la géographie

« Je revins des Indes orientales en 1793. Peu de temps après mon retour j’appris
que la société qui s’était formée à Londres pour faire faire des découvertes dans
l’intérieur de l’Afrique désirait trouver quelqu’un qui voulût pénétrer dans ce
continent par la rivière de Gambie. Déjà connu du président de la Société royale,
je le priai de me recommander à celle des découvertes en Afrique. […] Je pensais
que si je réussissais à faire mieux connaître à mes compatriotes la géographie de
l’Afrique, et à ouvrir à leur ambition, à leur commerce, à leur industrie de nou-
velles sources de richesses, je pensai, dis-je, que ceux à qui j’avais affaire étaient
des hommes d’honneur. »

René Caillié, dont un extrait est cité, laisse un Journal d’un voyage à
Tombouctou et à Jenné, dans l’Afrique centrale, précédé d’observations
faites chez les Maures Braknas, les Nalous et d’autres peuples, pendant les
années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828 (réédité en 1979 par La Découverte).
On y ajouterait ultérieurement, mais un peu dans la même veine, Gide
pour le Congo et la Tunisie, Fromentin au Maghreb, Flaubert ou Maxime
du Camp en Égypte… Les recensements littéraires restent incomplets, à
peu près inépuisables.

René Caillié (1799-1838), Voyage à Tombouctou


AVANT-PROPOS : « Mon but principal était de recueillir avec soin, avec exactitude,
tous les faits qui tomberaient sous mes yeux, de quelque nature qu’ils fussent,
et de me livrer spécialement à tout ce qui me paraissait intéresser les progrès de
la géographie et de notre commerce en Afrique » (p. 38).
INTRODUCTION : « L’histoire de Robinson surtout enflammait ma jeune tête ; je
brûlais d’avoir comme lui des aventures ; déjà même je sentais naître dans mon
cœur l’ambition de me signaler par quelque découverte importante.
On me prêta des livres de géographie et des cartes : celle de l’Afrique, où je ne
voyais que des pays déserts ou marqués inconnus, excita plus que tout autre
mon attention. Enfin ce goût devint une passion » (p. 42).
CHAPITRE I : « Le mardi 3 août 1824, à quatre heures du soir, je partis de Saint-
Louis, accompagné de deux hommes et d’une femme, tous trois habitants de
N’pâl ; ils devaient me servir de guide jusqu’à ce village. À sept heures nous
arrivâmes à Leybar, village situé à deux lieues au sud-est-quart-est de Saint-
Louis » (p. 61).

L’imagerie d’Épinal réunira Caillié, Brazza, le père de Foucauld,


Marchand dans les gravures qui fondent les livres de classe. L’essentiel pour
l’Afrique semble se situer entre 1815 et 1914, deux dates « européennes »,
reprises sous le discours et la légende des « bâtisseurs d’empire ». Grâce
Histoire d’une science modernisée ! 85

à ces voyageurs, des géographes comme Antillon peuvent proposer des


partitions. Cornevin rappelle l’usage de la comptine :

« L’Afrique a douze parts. Le Caire, Alexandrie,


et Damiette et Suez en Égypte ; Barca,
Tripoli près Tunis, Alger et puis Ceuta,
Fez, Maroc sous l’Atlas sont de la Barbarie ;
Le Biledugebrid, le désert ou Zara,
Nigritie et Guinée, Cafres, Éthiopie.
On trouve à l’Orient le Monomotapa,
le Zanguebar, l’Ajiam, enfin l’Abyssinie. »

On connaît les préoccupations économiques du XIXe siècle, celle des


sociétés commerciales, la recherche de produits exotiques qui deviennent
de consommation courante, café, sucre, épices, thé, cacao, tabac… tout
ce qu’alignent les pots décorés à « épices ». On oublie l’héritage des
Encyclopédistes, Société des Amis des Noirs en France, Humanitarians
en Grande-Bretagne (1780)… et le souci de s’instruire à travers la bota-
nique tropicale ou les récits de voyage (Collection of Travels). Connaître
le monde, c’est alors pénétrer à l’intérieur des continents. On passe d’une
géographie des explorateurs à une géographie coloniale (BROC N., 1988,
Dictionnaire illustré des explorateurs et des grands voyageurs français du
XIXe siècle, tome 1, L’Afrique, Paris, CTHS).

« Les nouveaux champs d’action »


« La pénétration à l’intérieur des continents est l’œuvre essentielle du XIXe siècle.
Vers 1800, l’Afrique, si on excepte l’Égypte (expédition de Bonaparte), la
région du Cap (colonisation hollandaise) et la zone riveraine du Sénégal, est
encore le continent mystérieux ; l’Australie est totalement inconnue ; l’Asie
centrale et l’intérieur du continent américain sont à peine entamés. Quant
aux régions polaires, personne n’a encore forcé leur armure de glace. Ainsi
l’étape maritime de la découverte de la terre a précédé de quatre siècles l’étape
continentale.
Cette avance à l’intérieur des terres, l’occupation coloniale qui en est résulté,
vont mettre les Européens en présence de nouveaux climats, de nouveaux
paysages végétaux ou morphologiques, de genres de vie indigènes inféodés à
d’autres habitudes sociales. Telles sont les régions de climat équatorial avec leurs
forêts denses, où ont été refoulées les populations primitives ; ces peuplades
observent à l’égard des Blancs une attitude méfiante, à la fois hostile et craintive
(Amazonie, cuvette congolaise, îles de la Sonde). Les régions de climat tropical
86 ! Épistémologie et histoire de la géographie

à savanes (Soudan africain par exemple) sont plus accueillantes, tant par
leur climat rythmé en une saison sèche et une saison humide que par leurs
habitants, cultivateurs sédentaires. Les régions de climat tropical désertique
(Sahara, Arabie) sont de pénétration difficile ; leurs ressources naturelles, rares
et discontinues, entraînent le nomadisme. Ces nomades, pillards et guerriers,
doivent être disciplinés, principalement sur les confins steppiques du désert.
Il en va de même dans les régions de climat continental excessif qui se dégrade
vers le désert froid (Turkestan, Gobi, Tibet) de l’Asie intérieure, région des
nomades dont il a fallu vaincre l’hostilité. »
Extrait de l’ouvrage de CLOZIER R., 1942, Les étapes de la géographie, Paris, PUF.

La montagne
La « géographie des philosophes » et du temps des philosophes évolue en
Europe jusqu’à l’émergence de concepts nouveaux comme la montagne.
N. Broc, dans Les montagnes au siècle des Lumières (1991), précise que
c’est bien « au XVIIIe siècle que les montagnes ont été découvertes, sur le
plan littéraire comme sur le plan scientifique ». Cette révolution marque
le passage d’une répulsion réelle à un objet d’études nouveau, dans un
univers qui est pour les contemporains « aussi exotique que celui des
archipels polynésiens ».
À travers des écrivains comme De Haller, le « Pline de la Suisse », ou
Rousseau, même s’il n’a pas « senti » la haute montagne, des générations
d’âmes sensibles ont pu verser des « larmes géographiques ». H. Beraldi
considère à juste raison La Nouvelle Héloïse comme la « Déclaration des
droits de la Montagne ».
Les savants, botanistes, minéralogistes (comme l’abbé Palassou), natu-
ralistes, excursionnent. Premier géographe du roi, Buache construit un
système orographique cohérent qui met en relation chaînes de montagnes
et fleuves, débouchant sur la notion de bassins séparés par des lignes de
crête. D’où l’apparition possible de chaînes de montagnes fictives, parfois
pour les besoins de la cause, soulignant de façon exagérée les lignes de
partage des eaux. Il propose à l’Académie des Sciences (1744 et 1751) sa
fameuse Carte physique ou géographique naturelle de la France, divisée par
chaînes de montagnes et aussi par terreins [sic] de fleuves et rivières. Buffon
produit la première synthèse de géographie physique, sa Théorie de la
Terre, un travail de naturaliste s’élevant jusqu’à la géographie générale.
Giraud-Soulavie, dans son Histoire naturelle de la France méridionale,
produit en Vivarais la première coupe géologique (1781). Les militaires
répertorient cols et passages. Les ingénieurs géographes distinguent trois
catégories de chemins, ceux qui sont accessibles à l’artillerie, à la cavalerie,
Histoire d’une science modernisée ! 87

à la piétaille. La séparation entre ces ingénieurs, véritables cartographes,


et les géographes, commence à poindre.
Certes, la montagne figurait déjà en toile de fond de tableaux tels que
La Pêche miraculeuse de Conrad Witz (1444), mais on n’en sait guère
plus sur le Mont Blanc. Il est découvert (à portée de main) par une sorte
d’effet de retour des grandes expéditions vers l’Orient et le Pacifique. « Les
étrangers – Britanniques et Genevois – qui, au XVIIIe siècle, font entrer
Chamonix et la haute montagne dans la culture et la sensibilité euro-
péennes, décrivent, avec émotion et enthousiasme, leur “découverte” d’un
monde habité, jusque-là inconnu. » Plus tard, « On répudie les terreurs
nées des Alpes médiévales, pour contempler, avec émerveillement, les
formes du relief montagnard, les roches et les cristaux, la flore et la faune »
(GUICHONNET P., 1986, Découverte et sentiment de la montagne, Payot,
exposition d’Annecy).
Dans les récits du temps (notamment BOURRIT M.-T., 1773, Description
des glacières, glaciers et amas de glace du Duché de Savoye, Genève, Bonnant)
apparaissent les voyageurs et savants comme Sand (1837), Lettres d’un
voyageur, Paris, ou De Saussure (1787), Journal d’un voyage à Chamouni
et à la cime du Mont Blanc, Lyon.
Recensements et richesses du monde physique sont décrits soigneu-
sement. Au XVIIIe siècle, la nature est le concept qui prime. L’approche
naturaliste est première, au sens le plus large, à travers le recensement
des plantes, le mode de vie des animaux, les mécanismes planétaires, les
« merveilles » de la nature. Ces catalogues, parfois raisonnés, sont le lot
de cette « première » géographie, un peu minorée parce que non cartogra-
phiée (non cartographiable ?). Recenser, c’est d’abord regarder la nature
et cela donne l’herbier ou un bestiaire, ce qui n’est guère nouveau, mais
en tout cas bien renouvelé.
Le problème reste celui de la nomenclature et du classement. Comme
il n’y a pas de système cohérent, on classe les items dans l’ordre alphabé-
tique et selon l’usage qu’en fait l’homme. C’est là le problème de la décou-
verte, quand l’imaginaire se mêle au réel. La calligraphie des lettres et des
chiffres illustre l’importance accordée à ces classements, qui reflètent un
ordre symbolique.
Les connaissances progressent, mais, tout aussi ambiguës, elles portent
sur une expérience appuyée sur le terrain, base de toute découverte, et
sur le catalogue, l’accident de la découverte fortuite, l’amélioration de
la technique par l’instrument. L’expérimentation va enrichir peu à peu
la connaissance par le passage de l’expérience à l’expérimentation qui
nécessite deux choses : le latin pour parler et les mathématiques pour
compter. Il reste à normaliser un certain nombre de nomenclatures restées
jusque-là très diverses.
88 ! Épistémologie et histoire de la géographie

La fonction de la discipline (1810-1914)


Le temps des savants, les débuts du XIXe siècle
Le géographe Volney (Voyage en Égypte et en Syrie, 1787) appartient au
groupe de savants dits des « Idéologues » qui jouent un rôle intellectuel
et politique important entre 1789 et 1830 avec Constant, le philosophe
Destut de Tracy, Cabanis le médecin, Daunou l’archiviste. Les dates
révèlent une grande activité scientifique entre deux « phares » de l’his-
toire de la géographie, l’œuvre de Malte-Brun, et des productions variées
et nombreuses avant le premier conflit franco-allemand.
Nous dressons ici une liste indicative pour illustrer cette évolution.

1810 : Géographie universelle de Malte-Brun.


1815 : Say, travaux d’économie politique, dont le Catéchisme d’économie politique,
suivi d’un Cours complet d’économie politique pratique en 1820.
1821 : Fondation de la Société de Géographie de Paris.
1855 : Le Play, Les ouvriers européens. Études sur les travaux, la vie domestique
et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précédées d’un
exposé de la méthode d’observation. Ce livre constitue une exception dans une
production essentiellement ruralisante.
1859 : Darwin, De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. Livre
fondamental qui explique la variété des espèces par l’influence du milieu. Mort
de Humboldt, auteur de Kosmos ou description physique du monde et de Ritter,
auteur de Die Erdkunde… en 19 volumes.
1863-1875 : Publication de l’Année géographique par Vivien de Saint-Martin,
ancêtre de la Bibliographie géographique internationale. Le même auteur écrit
en 1866 sur les livres en usage : « Ce sont d’interminables nomenclatures,
d’arides et rebutants exercices de mémoire, rien qui parle à l’esprit et sollicite
l’intelligence. »
1868 : Lavallée, Géographie illustrée de la France et de ses colonies, précédée d’une
étude sur la géographie générale de la France par Théophile Lavallée.

La fondation de la géographie contemporaine :


1870-1914, le temps des géographes
Les auteurs, les dates et les œuvres mettent en évidence cette époque
de grande production géographique, temps symboliquement borné
par deux guerres avec l’Allemagne, et jalonné, à travers le prétexte
de l’Alsace-Lorraine, de productions patriotiques dans lesquelles la
géographie occupe une grande place.
Histoire d’une science modernisée ! 89

Une chronologie serrée


Meynier, pour la période 1872-1905, parle « d’éclosion ». Choisir l’entre-
deux-guerres franco-allemande met l’accent sur les aspects nationalistes
de la géographie du moment. Il s’agit bien d’une éclosion, en particulier
dans la décennie 1870-1880 qui concentre un grand nombre d’événements
cités par ordre chronologique. La chronologie qui suit est à croiser avec
quelques dates signalées, sans contradictions ni redondances.

1871 : Premier congrès international de géographie à Anvers. Thèse de Vidal sur


Hérode Atticus.
1872 : Campagne océanographique du Challenger.
1874-1877 : Stanley raccorde le Tanganyika à l’Atlantique.
1875 : Vidal est nommé maître de conférences à l’École normale.
1876 : Reclus publie sa Nouvelle géographie universelle (1876-1894). Deuxième
congrès international de géographie à Paris. Association internationale africaine,
à l’issue de la conférence de Bruxelles.
1888 : De Margerie, De La Noë, Les Formes de terrain.
1890 : Vidal, Marco Polo, son temps et ses voyages.
1893 : Ardouin-Dumazet, début du Voyage en France.
1894 : Vidal, Atlas historique et géographique.
1898 : De Lapparent, Leçons de géographie physique.
1899 : De Martonne nommé à la faculté des sciences de Rennes pour enseigner
la géographie.
1903 : Reclus, premier volume (sur six) de L’homme sur la Terre. Vidal, Tableau de
la géographie de la France.
1905 : Vidal, « La conception actuelle de l’enseignement de la géographie »,
Annales de Géographie. Demangeon, thèse sur La Picardie et les régions voisines,
Artois, Cambrésis, Beauvaisis.
1907 : Demangeon publie dans les Annales de Géographie « Les recherches
géographiques dans les archives ». Sa thèse complémentaire portait sur Les
sources de la géographie de la France aux Archives nationales. De Martonne, Les Alpes
de Transylvanie, thèse.
1908 : Gallois, Régions naturelles et noms de pays.
1909 : De Martonne, première édition du Traité de géographie physique. Selon
Meynier, « base de toute culture géographique de 1909 à 1955 environ ».
1910 : Brunhes, Géographie humaine.
Vidal propose une division de la France en 17 régions organisées autour d’une
ville importante.
90 ! Épistémologie et histoire de la géographie

1911 : Vallaux, Le sol et l’État.


1912 : Chaire de géographie au Collège de France pour Brunhes. Grenoble par
Blanchard.
1913 : Blanchard fonde le Recueil des travaux de l’Institut de géographie alpine (Revue
de géographie alpine, en 1920). Siegfried, Tableau politique de la France de l’Ouest.

Grande est la richesse, mais pour le grand public la géographie émerge


encore mal entre l’histoire et la cartographie et le Dictionnaire de la péda-
gogie de Buisson affirme « savoir la géographie, c’est savoir la carte et non le
livre ». Les spécialités émergent en forme de géographie régionale (Gallois),
« tropicale » (Dubois), encyclopédique (Ardouin), générale (Garnier), phy-
sique (De Margerie, De La Noë, De Lapparent, De Martonne), urbaine
(Vacher), politique (Siegfried). Les grandes tendances de la géographie
du XXe siècle sont déjà engagées, les revues appuient ces courants comme
en témoigne l’introduction au premier numéro du Bulletin de la Société
languedocienne de géographie qui entame sa parution en 1878 :

« Elle ne négligera rien pour tenir ses lecteurs au courant des recherches et des
découvertes qui ont pour résultat ou pour but d’étendre, dans tous les sens, le
domaine des connaissances géographiques. Elle n’entreprend pas seulement une
œuvre de science mais de vulgarisation. Son Bulletin racontera les efforts tentés
ainsi que les résultats obtenus dans cette campagne contre l’ignorance géogra-
phique, qu’elle poursuit sous toutes les formes et par les voies les plus diverses.
Nous ne voulons pas que nos voisins puissent plus longtemps nous appliquer la
définition injurieuse que l’on sait : “Un Français est un homme qui ne sait pas la
géographie”. »

L’école des monographies régionales qui naît est dite « École française
de géographie ». La région est construite dans un cadre, généralement de
géographie physique, qui part des conditions naturelles pour traiter des
activités des hommes, dans l’ordre l’agriculture, industries, commerce,
habitat, population, voies de communication. L’enseignement dispensé
suivra la même organisation. Un des credos est proposé par Vidal dans
« La conception actuelle de l’enseignement de la géographie » (Annales de
Géographie, n° 75, 1905, p. 193-207). Il insiste sur l’utilité de la connais-
sance des rapports entre milieux physiques et activités humaines. Ainsi
se trouvent posées les bases d’une géographie régionale qui va marquer
le XXe siècle.
L’essentiel est cadré : les rencontres internationales, les avancées tech-
niques essentielles, les bulletins scientifiques, les œuvres majeures et les
grands auteurs. L’école régionaliste et les historiens en retiennent, comme
Histoire d’une science modernisée ! 91

date jugée essentielle, le Tableau de Vidal, publié en 1903, la même année


que L’homme sur la Terre de Reclus.

Lectures conseillées
On ne reprend pas les références, déjà signalées, à travers les publications de
G. Aujac, N. Broc, M.-C. Robic, Ph. Pinchemel, P. Claval, V. Berdoulay, C. Jacob,
F. Lestringant. Elles permettent d’aller plus loin dans le détail, après avoir utilisé
les trois bilans proposés en forme d’histoire de la géographie par Clozier (1942),
Meynier (1969), Claval (1995), les trois aux PUF. Plus spécialement :
ALLEMAND S., 2007, Comment je suis devenu géographe, Paris, Le Cavalier Bleu.
AUJAC G., 1975, La géographie dans le monde antique, Paris, PUF.
BATAILLON C., 2009, Géographes, génération 1930, Rennes, Presses universitaires de
Rennes.
BERDOULAY V., 1981, La formation de l’École française de géographie (1870-1914),
Paris, Bibliothèque nationale.
BROC N., 1980, La géographie de la Renaissance (1420-1620), Paris, Bibliothèque
nationale.
CLAVAL P., 1972, La pensée géographique. Introduction à son histoire, Paris, SEDES.
CLAVAL P., 1999, Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours, Paris, Nathan
Université.
LUSSAULT M., 2007, L’homme spatial. La construction sociale de l’espace humain, Paris,
Le Seuil.
Chapitre 7

Grandes collections
et revues
aux XIXe et XXe siècles,
des outils indispensables

L’ÉPOQUE DES GRANDES COLLECTIONS et des grandes revues géogra-


phiques s’ouvre au début du XIXe siècle avec la Géographie universelle
de Malte-Brun et les Bulletins des sociétés de géographie. Un regard
sur l’évolution des périodiques en géographie constitue une bonne
introduction à l’histoire et l’épistémologie de la discipline. Certains ont
disparu, d’autres survivent sous perfusion, d’autres encore évoluent entre
chroniques locales et articles plus généraux.
En dehors des productions nationales, des revues régulières se perpé-
tuent à travers les publications des instituts de province (on a conservé
l’intitulé actuel en cas de changement dans les titres). La liste qui suit,
forcément incomplète, alimente la recherche des étapes en matière
d’épistémologie de la géographie en France. Le Bulletin de la Société de
géographie de Marseille est publié depuis 1877.

Quatre générations de périodiques


Les sociétés de géographie
Dans tous les pays européens coloniaux, c’est vers les années 1830-1870
qu’apparaissent bulletins et journaux issus des nouvelles sociétés géogra-
phiques. L’objectif est clair : narrer pour les membres les voyages et les
études sur les pays découverts.
Elles publient, dès 1830, The Journal of the Royal Geographic Society en
Grande-Bretagne, suivi en 1855 par les Proceedings et The Geographical
94 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Magazine. En Italie, c’est le Bollettino de la Società geografica italiana


en 1868, en Belgique la Revue belge de géographie en 1876. En France, le
mouvement prodigieux des sociétés de géographie aboutit également à
« la multiplication outrée de périodiques visant à servir les mêmes inté-
rêts » (Préface des Annales de Géographie, 1891). La même préface ajoute :
« À côté de quelques bonnes revues, de quelques journaux utiles, il en est
beaucoup qui ne vivent que de subventions, ou qui doivent se résigner,
pour ne pas disparaître, à donner aux lecteurs, sous couleur de géographie,
toute autre chose que de la science. »
La tradition s’est-elle parfois maintenue ? Les sommaires, toujours
riches d’enseignements, devraient permettre d’en juger.

La géographie académique
La géographie académique est à l’origine de la deuxième génération de
périodiques. Avec plus ou moins de rapidité, les géographes universi-
taires fondent leurs revues à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : le
Geographical Journal en 1843 à Londres, les Mitteilungen de Petermann
et Die Erde (1853) à Berlin, les Annales de Géographie en 1891 à Paris,
les Geographische Zeitschrift en 1895 à Leipzig, la Geographical Review
en 1916 à New York. « Il faut une discipline, une méthode, de la suite
dans les informations comme dans les études » est-il écrit dans la préface
des Annales de Géographie, pour indiquer la voie à suivre. La création
de la Revue de géographie alpine en 1913 résulte de ce même constat qui
aboutit à la naissance en vingt ans de la plupart des revues scientifiques
de géographie.
Leur succès résulte de la justesse de l’analyse des géographes de l’époque
qui pensent que « les descriptions impartiales des régions qui intéressent
le public seront utiles à tous ceux qui veulent comprendre les conditions
géographiques fondements de la politique et du commerce moderne »
(Préface à The Geographical Journal, 1843, vol. I).

Les publications d’instituts


Il faudra attendre les années 1950 et 1960 pour qu’une troisième géné-
ration de revues surgisse : celle des publications d’instituts et de dépar-
tements, faisant parfois suite aux bulletins de sociétés qui s’essoufflent.
Ainsi naissent les Cahiers de géographie du Québec, qui prolongent le
Bulletin de la Société de géographie de Québec, en 1956. Le Géographe cana-
dien est créé dès 1951, tout comme Geographica Helvetica dès 1946 à la
suite de Der Schweizer Geographer et des Mitteillungen der Geographisch-
Ethnographischen Gesellschaft de Zurich. Finisterra en 1966 et les Estudos
Grandes collections et revues aux XIXe et XXe siècles ! 95

de geografia humana e regional en 1973 à Lisbonne, Estudios geograficos à


Madrid, Geoscope en 1970 à Ottawa, la Revista de Geografia de Barcelone
en 1967 constituent d’autres exemples de l’ampleur du mouvement régio-
nal. Les pays nordiques, l’URSS, la Pologne, les pays d’Europe centrale
ont leurs revues, moins utilisées dans le monde francophone pour des
questions de langue.
Chaque équipe se dote d’une revue pour publier ses recherches. En
résulte une multitude de publications, plus ou moins spécialisées et de
qualité très inégale. Certaines cherchent à se spécialiser dans la géogra-
phie d’une région, d’un continent, d’autres optent pour être le reflet des
recherches locales. Les progrès réalisés en matière de PAO (publication
assistée par ordinateur), faciliteront la multiplication des publications.

Les revues spécialisées


L’émergence de nouveaux courants scientifiques, mal représentés dans
les revues de la deuxième et troisième génération, pousse à la naissance
rapide de revues spécialisées dans les années 1970. Avec la Nouvelle
géographie, apparaissent de nouvelles revues spécialisées dans un champ
thématique ou scientifique. Ainsi naît Antipode : « a radical journal of
geography » aux États-Unis en 1969, qui sera suivi d’Hérodote : « revue
de géographie et de géopolitique » en 1976. L’éditorial d’Hérodote
« Attention : géographie ! » rappelle que la géographie renseigne les
états-majors, qu’elle mystifie, qu’il faut savoir penser l’espace pour savoir
penser le pouvoir. Avec Environment and Planning A en 1969, Area en
1969 à Londres et L’Espace géographique en 1972, c’est une géographie
méthodologique et épistémologique, appuyée sur des études de cas qui
voit le jour. Les tenants de cette géographie scientifique, consciente de
son pouvoir critique, lanceront de plus une série de revues quantita-
tives (Theoretical Geography), portant sur l’aménagement (Professional
Geographer), se voulant professionnelles ou spécialisées dans la carto-
graphie (Mappemonde), de géographie politique (Espaces-Temps), plus
récemment de géographie culturelle (Cultures et Sociétés, Society and
Space).
L’évolution des périodiques constitue, on le constate, le reflet du
progrès de la discipline et de la demande sociale. Lorsque de nouvelles
revues grand public, du type Géo, prolongent ce courant dans des direc-
tions que n’imaginait pas la géographie universitaire, on s’aperçoit de
la popularité de ces « géographies parallèles » qui suivent en ce sens le
National Geographic, la plus diffusée des revues de géographie avec près
de 10 millions de lecteurs ! Une liste chronologique des périodiques en
géographie complète cette analyse.
96 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Sélection de périodiques (1821-1986)


Acta geographica. 1821. Société de Géographie, Paris.
Die Erde : Zeitschrift der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, 1853.
Petermanns Geographische Mitteilungen. 1855. Justus Perthes Verlag, Gotha,
Allemagne.
Società geografica italiana. Bollettino. 1868. Società geografica italiana, Roma.
Revue belge de géographie. 1876. Société royale belge de géographie, Bruxelles.
Geografisk tidsskrift. 1877. Kongelige Danske Geografiske Selskab, Copenhague.
Scottish Geographical Magazine. 1885. Royal Scottish Geographical Society, Edinburgh.
Annales de Géographie. 1891. Société de Géographie, Paris.
Geographical Journal. 1893. Royal Geographical Society, London.
Rivista geografica italiana. 1893. Società di studi geografici di Firenze.
Geographische Zeitschrift. 1895. Leipzig.
Tijdschrift voor economische en sociale geografie/Netherlands journal of economic and social
geography. 1910. Koninklijk Nederlands Aardrijkskundig Genootschap/Royal
Dutch Geographical Society, Utrecht, Pays-Bas.
Association of American Geographers, Annals. 1911. B. Blackwell, Cambridge MA.
Revue de géographie alpine. 1913. Association Revue de géographie alpine, Grenoble.
Geographical Review. 1916. American Geographical Society, New York.
Bulletin de l’Association des géographes français. 1925. Association des géographes
français, Paris.
Bulletin de la Société belge d’études géographiques. 1931. H. Van der Haegen, Heverlee,
Belgique.
L’Information géographique. 1936. Armand Colin, Paris.
Geographica helvetica. 1946. Geographisch-Ethnographische Gesellschaft Zurich.
Geography Research Papers. University of Chicago. 1948. University of Chicago Press.
Professional Geographer. 1949. Association of American Geographers, Cambridge
MA.
Lund Studies in Geography. Series A: Physical Geography. 1950. Lunds Universitet,
Department of geography, Malmö, Suède.
Canadian Geographer/Géographe canadien. 1951. Canadian Association of
Geographers, McGill University, Montreal Landscape.
Cahiers de géographie du Québec. 1956. Presses de l’université Laval, Canada.
Revue roumaine de géographie. 1957. Academia Romana, Bucarest.
Lund Studies in Geography Series B: Human Geography. 1962. Lunds universitet,
Department of geography, Malmö, Suède.
Grandes collections et revues aux XIXe et XXe siècles ! 97

Geographia Polonica. 1964. Polish Academy of Sciences, Institute of Geography,


Varsovie.
Finisterra : revista portuguesa de geografia. 1966. Universidade de Lisboa, Centro de
estudos geograficos.
Revista de geografia. 1967. Universidad de Barcelona, Departamento de Geografia.
Antipode: A Radical Journal of Geography. 1969. Blackwell, Cambridge MA.
Area. 1969. Institute of British Geographers, London.
Environment and Planning A. 1969. Pion, London.
Geographical Analysis: An International Journal of Theoretical Geography. 1969. Ohio
State University Press.
Geoscope. 1970. Department of Geography, Ottawa.
L’Espace géographique. 1972. Doin, Paris.
Estudos de geografia humana e regional. 1973. Universidade de Lisboa, Centro de
estudos geograficos.
Progress in Human Geography: An International Review of Geographical Work in the Social
Sciences and Humanities. 1976. E. Arnold, Royaume-Uni.
Progress in Physical Geography: An International Review of Geographical Work in the
Natural and Environmental Sciences. 1976. E. Arnold, Royaume-Uni.
Geojournal: International Journal of Physical, Biological, Social and Economic Geography
and Applications in Environmental Planning and Ecology. 1977. Kluwer Academic
Publ., Dordrecht, Pays-Bas.
Hérodote : revue de géographie et de géopolitique. 1979. La Découverte, Paris.
Applied Geography and Development. 1980. Institute for scientific co-operation with
developing countries, Tübingen, Allemagne.
Applied Geography. 1981. Butterworth, UK Oxford.
Environment and Planning D: Society and Space. 1983. Pion, London.
Espaces, Populations, Sociétés. 1983. Université des sciences de Lille, UFR de
géographie.
Mappemonde. 1986. Maison de la géographie, Montpellier.

Liste sélective d’ouvrages généraux


en géographie au cours du XXe siècle
Cette liste, indicative, d’auteurs et de titres, ne prétend pas à l’exhaustivité,
elle est utile pour retrouver trace des étapes de la pensée géographique.
Elle complète les titres déjà signalés. Son organisation en quatre parties
correspond à quatre courants majeurs, la géographie physique dominante,
98 ! Épistémologie et histoire de la géographie

la géographie générale, la géographie scientifique et appliquée, et les voies


nouvelles.

La géographie physique dominante


et l’émergence de la géographie humaine (1920-1940)
1921 : BRUNHES J. et VALLAUX C., La géographie de l’histoire : géographie de la paix et de
la guerre sur terre et sur mer, Paris, Alcan.
1922 : DE MARTONNE E., Abrégé de géographie physique, Paris, Armand Colin.
FEBVRE L., La Terre et l’évolution humaine : introduction géographique à l’histoire, Paris,
Albin Michel.
GRANGER E., Nouvelle géographie universelle, Paris, Hachette.
VIDAL DE LA BLACHE P., Principes de géographie humaine, Paris, Armand Colin.
1925 : VALLAUX C., Les sciences géographiques, Paris, Alcan.
1927 : VIDAL DE LA BLACHE P. et GALLOIS L. (dir.), Géographie universelle, Paris,
Armand Colin.
1934 : FALLEX M., GILBERT A. et TURLOT G., L’évolution de la Terre et de l’homme, Paris,
Delagrave.

Les fondements de la géographie générale (1942-1964)


1942 : CHOLLEY A., Guide de l’étudiant en géographie, Paris, PUF.
CLOZIER R., Les étapes de la géographie, Paris, PUF.
DEMANGEON A., Problèmes de géographie humaine, Paris, Armand Colin.
BRUNHES J., La géographie humaine, Paris, PUF.
1943 : SORRE M., Les fondements biologiques de la géographie humaine, Paris, Armand
Colin.
1944 : CRANE A. O. (dir.), The New Geography, London, Todd Publ.
DAVIS D. H., The Earth and Man. A Human Geography, New York, Macmillan.
1946 : BLANCHARD R. et FAUCHER D., Géographie, Paris, Gedalge.
1948 : SORRE M., Les fondements de la géographie humaine, t. II : Les fondements
techniques, Paris, Armand Colin.
1949 : LE LANNOU M., La géographie humaine, Paris, Flammarion.
TULIPPE O., Initiation à la géographie humaine, Liège, Sciences et lettres.
1952 : DARDEL É., L’homme et la Terre : nature de la réalité géographique, Paris, PUF.
CHOLLEY A. et CLOZIER R., Géographie physique et géographie humaine, Paris, Baillère.
TRICART J., Cours de géographie humaine, Paris, Tournier et Constans.
1953 : BACHELIER A., Géographie générale, Paris, De Gigord.
Grandes collections et revues aux XIXe et XXe siècles ! 99

1954 : DEBESSE M.-L. et SCALABRINO M., Géographie humaine et économique, Paris,


Baillière.
1956 : THOMAS W. L. (dir.), Man’s Role in Changing the Face of the Earth, Chicago,
Chicago University Press.
1959 : BIROT P., Précis de géographie physique générale, Paris, Armand Colin.
DEFFONTAINES P., BRUNHES J. et DELAMARRE M. (dir.), Géographie universelle Larousse,
Paris, Larousse.
1961 : DERRUAU M., Précis de géographie humaine, Paris, Armand Colin.
SORRE M., L’homme sur la Terre : traité de géographie humaine, Paris, Hachette.
1962 : TRICART J. et CAILLEUX A., Traité de géomorphologie, Paris, Société d’édition
d’enseignement supérieur.
BUNGE W., Theoretical Geography, Lund, Gleerup.
1963 : DICKEN S. N. et PITTS F. R., Introduction to Human Geography, New York,
Blackwell.
1964 : CLAVAL P., Essai sur l’évolution de la géographie humaine, Paris, Les Belles Lettres.
GEORGE P. et al., La géographie active, Paris, PUF.

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100 ! Épistémologie et histoire de la géographie

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Des voies nouvelles pour la géographie,


un élargissement des thèmes,
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102 ! Épistémologie et histoire de la géographie

2013 : LÉVY J. et LUSSAULT M. (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des


sociétés, Paris, Belin.
2015 : AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., La ville kaléidoscopique : 50 ans de géographie urbaine
francophone, Paris, Economica-Anthropos.
2016 : GAY J.-C., L’homme et ses limites, Paris, Economica-Anthropos.
2018 : BAILLY A. et SCARIATI R., Voyage en Nouvelle géographie, Paris, Economica-
Anthropos.

Lectures conseillées
Un grand choix dans les titres qui précèdent permettra d’établir sa propre liste
de références en matière d’épistémologie.
L’éditorial qui ouvre le premier numéro d’une revue est toujours intéressant,
bourré de déclarations d’intentions révélatrices des idéologies de l’époque.
Chapitre 8

Les géographies universelles

Un accord sur les dates, en toile de fond


Entre le Premier Empire et la Seconde Guerre mondiale se succèdent
de grandes avancées en géographie inspirées par les cadres de pensée
de l’époque : éclectisme du début du XIXe siècle, déterminisme, positi-
visme. Se succèdent également trois Géographies universelles et leurs sous-
produits, rééditions, manuels scolaires, atlas et cartes murales, jusqu’à
atteindre le niveau de l’événement éditorial.
La mise en parallèle des grandes coupures dans l’histoire de la pensée
géographique et de la production d’un état périodique du monde est éclai-
rante. Les césures dans l’avancée de la géographie se situent autour des
années 1870, 1920, 1950. Les dates de publication du premier volume
des trois premières Géographies universelles sont : 1810, 1876, 1927. Si on
laisse de côté le précurseur qu’est Malte-Brun sous le Premier Empire, on
retrouve bien les mêmes dates, Reclus sur le « tournant » de la première
guerre franco-prussienne, Vidal et ses élèves entre les années 1920 et les
années 1950, la Géographie universelle s’achevant en 1948.
On doit à Ph. Pinchemel un choix important de textes sur les deux
siècles les plus importants de l’évolution de la géographie (PINCHEMEL
Ph., ROBIC M.-C. et TISSIER J.-L., 1984, Deux siècles de géographie fran-
çaise, choix de textes, Paris, CTHS, ministère de l’Éducation nationale).
L’ouvrage, qui ne concerne que les XIXe et XXe siècles, propose comme
coupures chronologiques : avant 1890, 1890-1926, 1927-1960, 1960-
1983.
Meynier, quant à lui (Histoire de la pensée géographique en France),
parle du « tournant de 1872 » : « Le programme de licence, pendant le
Second Empire, s’appesantissait lourdement sur les satrapies de l’Empire
perse et les provinces de Dioclétien… L’on sait quel mépris affichaient
pour la carte les officiers de l’armée de l’empereur. » Plus loin : « J’ai sur
moi la meilleure des cartes, proclamait, à la Chambre, le ministre de la
104 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Guerre en tirant son épée (le même pour lequel il ne manquait pas un
bouton de guêtre). » Ce tournant de 1872, cher à Meynier, marque bien
une nouvelle époque.

« Plusieurs ministres, pour compenser les effets moraux de Francfort, et pour


trouver des marchés aux produits français, se lancent dans une politique colo-
niale. Les enfants de France vont de plus en plus se familiariser avec le Niger, le
Congo ou Madagascar. Le tirailleur, avec sa “petite Tonkinoise”, apprend “la
géographie de la Chine et de la Mandchourie”. Dans tous les foyers, on suit les
lointains déplacements du fils militaire. Le sens de l’espace est considérablement
vivifié dans toute la nation, persuadée que le pays doit apporter la civilisation à de
malheureuses populations arriérées, et qui ne comprend pas encore les dessous
profonds de cette pénétration. »
MEYNIER A., 1969, Histoire de la pensée géographique en France, Paris, PUF, p. 11.

La décennie 1870 et au-delà


Des démarches propres à l’École française émerge le concept de genre de
vie, ensemble des formes matérielles d’existence qui unissent une commu-
nauté à un milieu, par exemple pâturage et vie pastorale, culture itinérante
sur brûlis ; un concept valable pour des groupes humains en économie fer-
mée… et encore. Émerge aussi la région, que l’on veut exhaustive comme
« aire d’extension d’un paysage », avec sa « personnalité », sa singularité,
comme si la géographie était la science de la différence.
Dans les écoles en France une époque fondamentale se déroule à partir de
1870, forte de nouveautés dès l’école primaire avec les rééditions successives
du Tour de France par deux enfants. Les manuels pour une école républi-
caine, qui s’installe, sont mis à la norme. La publication de cartes, d’atlas,
de revues, la création des premières chaires dans les universités datent de la
même époque. « Par un épais brouillard du mois de septembre deux enfants,
deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient
de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle Porte de France. » Ce
départ d’André et Julien, les deux enfants, s’accompagne d’une première
vignette très « Viollet-le-Duc » d’allure, intitulée « Porte fortifiée » avec
pont-levis et fossés faisant que « Nul ennemi ne peut entrer dans la ville ».
Au commentaire général succède un aspect régional : « Phalsbourg a été
fortifiée par Vauban et démantelée par les Allemands. Traversée par la route
de Paris à Strasbourg, elle n’a que deux portes, la Porte de France à l’ouest
et la Porte d’Allemagne au sud-est, qui sont des modèles d’architecture
militaire. » Dès la première page le ton est donné.
Les géographies universelles ! 105

De même, s’engage un autre « tour de France », celui des thèses qui


fondent la géographie universitaire vidalienne. Soucieuse de codification,
de cadrage, elle devient « l’École française de géographie », essentielle-
ment régionale et soumise au poids de la « géographie physique », en fait
la géomorphologie.

Une géographie institutionnalisée, les années 1920


Les liens internationaux, créés vers la fin du XIXe siècle, se resserrent.
En 1918, les Alliés, à travers leurs Académies des Sciences respectives,
décident de la mise en place d’un comité international destiné à coif-
fer la recherche scientifique en géographie. Deux ans plus tard est fondé
en France le Comité national de géographie ; De Martonne en sera le
secrétaire général dès sa fondation, sous les auspices de l’Académie des
Sciences, du Service géographique de l’Armée, de l’université, de la Société
de géographie. En 1922, le Comité se rattache à l’Union géographique
internationale (UGI) à Bruxelles. De nombreux pays adhèrent à cette
union qui comptera rapidement plus de 30 membres. Cinq commissions
sont créées, en géographie physique, humaine, historique, biologique (bio-
géographie) et en topographie-cartographie. Le Comité national français
patronne la Bibliographie géographique internationale (BGI), assure la
publication d’un Atlas de France et prépare le congrès international de
Paris en 1931 (après 1875 et 1889).
Les cinq commissions se démultiplieront peu à peu en : Épistémologie et
histoire de la géographie, Documentation et terminologie, Enseignement
et géographie, Méthodes quantitatives, Cartographie et photo-analyse
géomorphologique, Haute montagne et relief glaciaire, Zones arides,
Analyse régionale, Sous-développement et pays sous-développés, Régions
tropicales, Étude des formations superficielles et des versants, des phéno-
mènes karstiques, périglaciaires, volcaniques, Commerce, Biogéographie,
Climatologie, Hydrologie, Océanographie, Population, Tourisme,
Transports, Géographie historique, Appliquée, Des ensembles cristallins,
Industrielle, Rurale, Urbaine, Polaire.
Le sommaire des congrès permet de jauger une partie de la production
géographique française à travers les plaquettes éditées et les bilans des
spécialistes. On consultera avec intérêt les comptes rendus des rencontres
successives qui vont de Paris à Beijing : 1875 et 1889, Paris ; 1925, Le Caire ;
1928, Cambridge ; 1931, Paris ; 1934, Varsovie ; 1938, Amsterdam ; 1956,
Rio ; 1960, Stockholm ; 1964, Londres ; 1968, New Delhi ; 1972, Montréal ;
1976, Moscou ; 1984, Paris ; 1996, La Haye ; 2000, Séoul ; 2004, Glasgow ;
2008, Turin ; 2012, Cologne ; 2016, Beijing ; 2020, Istanbul…
106 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Une géographie généralisée


Par opposition à la géographie des années 1920, où les manuels sont peu
nombreux (Brunhes, De Martonne), reflétant l’influence d’un petit nombre
de géographes, la période qui suit 1950 est caractérisée par la multiplication
des manuels et des auteurs. Parmi les ouvrages de référence publiés, beau-
coup portent dans leur titre « précis » ou « traité ». Ne figurent pas dans
la liste ceux qui paraissent sous un autre intitulé : Principes et méthodes de
la géomorphologie de J. Tricart (1965), La ville de P. George et Les villes de
Chabot, plusieurs ouvrages de Birot (Les régions naturelles du globe, véritable
traité de géographie physique régionale, Les formations végétales du globe),
les Fondements de la géographie humaine de Sorre.
Le manuel réussi, en forme de précis ou de traité, l’est avec la perte de la
majuscule qui en fait un nom commun. Le « Derruau » en est le plus bel
exemple : Précis de géomorphologie, première édition en 1956 (avec depuis,
remaniements, réécritures, adjonctions). La lecture des avertissements
successifs, révélatrice de positions épistémologiques différentes propose
un jeu de qualité quand on les met en regard.
Dans l’ordre alphabétique avec l’indication de l’année de première paru-
tion (suivie de nombreuses rééditions), on notera : J. Beaujeu-Garnier
et G. Chabot, Traité de géographie urbaine (1967) ; P. Birot 1959, Précis
de géographie physique générale (1959) ; M. Derruau, Précis de géographie
humaine (1961) ; P. Duchaufour, Précis de pédologie (1960) ; J. Goguel,
Traité de tectonique (1952) ; A. Guilcher, Précis d’hydrologie marine et conti-
nentale (1965) ; G. Lemée, Précis de biogéographie (1967) ; L. Lliboutry,
Traité de glaciologie (1964) ; L. Moret, Précis de géologie (1958) ; Ch. Péguy,
Précis de climatologie (1961) ; J. Tricart et A. Cailleux, Traité de géomor-
phologie, et du premier, Précis de géomorphologie.
Cela fait au total autant de géographes et de géographies, mot à mot
ceux qui écrivent sur la Terre pour un défrichement (et déchiffrement)
du monde.
La géographie existe bien, avec un corpus de concepts, une progression de la
connaissance, des novations, un corps qui se recommande d’elle et revendique
la qualité de géographe, une prise de conscience de certains phénomènes. Il
faut en retrouver les étapes et surtout les ruptures, carrefours, bifurcations,
les concepts s’éclairant quand ils sont replacés dans leur temps.

En contrepoint, l’exemple de l’Espagne et de l’Italie


Garcia Ramon M. D. et al. ont publié une Pratique de la géographie en Espagne
(Barcelone, Oikos-Tau, 1992) d’où est extrait le résumé qui suit.
Le demi-siècle 1940-1990 représente une avancée spectaculaire en géographie,
affirmation appuyée sur une étude bibliométrique d’une trentaine de revues
Les géographies universelles ! 107

(la première, Estudios geograficos, en 1940 à Madrid) et d’une douzaine d’entrevues.


Auparavant, le XIXe siècle est marqué par l’aventure colonialiste qui soutient
l’avancée de la géographie et la Seconde République (1932) par les mouvements
de rénovation pédagogique qui diffusent Reclus ou bénéficient de la formation
en France de Pau Vila. La vitalité des excursionnistes en Catalogne, le succès de
la Geografia de Catalunya dirigée par Solé i Sabaris (1953), l’afflux d’étudiants,
la floraison de revues, un premier congrès national (Oviedo, 1975), le poids
des géographes de profession, contrastent avec l’absence de reconnaissance
universitaire. Le régime franquiste voit dans la géographie uniquement descriptive
– qu’il appuie – une application de l’idéologie nationaliste et une exaltation des
valeurs patriotiques. Du monde anglo-saxon arrivent la géographie quantitative
et théorique puis radicale en forme de lutte politique. Reconnaissance enfin, la
première promotion de licenciés en géographie est formée à Barcelone en 1972
sous l’impulsion de J. Vila Valenti.
Les contacts avec l’étranger gomment peu à peu l’école nationale, les ouvertures
introduisent la théorie, les méthodes. Ce que montrent les travaux d’H. Capel
(revue Geo-critica) et d’E. Lluch (sur les divisions territoriales de la Catalogne),
toujours dans le contexte socio-économique et politique de l’Espagne. Geo-critica
prend une importance majeure sous l’impulstion d’H. Capel, en histoire et
épistémologie de la géographie critique.

Quatre géographies universelles


ou l’entrée dans le monde fini
Une fois le monde fini, la géographie commence-t-elle ? On entend par
« monde fini » la disparition des taches blanches et des chimères sur
les terres inconnues et la publication d’états du monde1. Aux dates de
publication, 1810-1829, 1876-1894, 1927-1948 et 1990-1996, répondent
l’évocation du contexte socioculturel, la mise en regard de récits de voyage
et de publications littéraires et scientifiques.

Conrad Malte-Brun
Danois, né dans le Jutland en 1775, Conrad Malte-Brun, destiné aux fonc-
tions de ministre du culte protestant, écrit des vers, verse dans la politique
et doit se réfugier en Suède avant de gagner sa vie comme précepteur à
Hambourg et de s’exiler en France. Il y devient un géographe à la plume
facile qui alimente plusieurs périodiques, écrit un Tableau de la Pologne,
produit un monument, son Précis de la Géographie universelle, premier

1. Sur les bilans successifs que proposent tous les demi-siècles les Géographies universelles,
voir : FERRAS R., 1989, Les géographies universelles et le monde de leur temps, Montpellier, RECLUS.
108 ! Épistémologie et histoire de la géographie

volume en 1810, dernier en 1826, date de sa mort, l’œuvre restant inache-


vée. Bory de Saint-Vincent, son premier biographe, dit de lui « il a voulu
se charger seul du poids de l’univers, sous lequel l’Antiquité nous apprend
que pliait le puissant Atlas ». Huot achèvera son œuvre.
Son projet s’exprime dans la première phrase du tome premier de la
Géographie universelle. « Nous nous proposons de renfermer dans une suite
de discours historiques l’ensemble de la géographie ancienne et moderne,
de manière à laisser dans l’esprit d’un lecteur attentif l’image de la Terre
entière, avec toutes ses contrées diverses et avec les lieux mémorables
qu’elles renferment et les peuples qui les ont habitées ou qui les habitent
encore. Cette tâche paraît immense… » Elle l’était. Sa Géographie, novatrice
comme premier état du monde, destinée à être pillée et rééditée, bénéficie
de sa connaissance des langues et de ce qu’il puise dans les journaux. Son
nom reste indissociable de la « Société de géographie » dont il est l’un des
fondateurs et l’animateur. Ses positions face à la géographie sont claires : les
classes dirigeantes la dédaignent, l’assimilant à un appendice de l’histoire.
Les chambres de commerce et les états-majors la cultivent. Les pédago-
gues la réduisent à de tristes nomenclatures à mémoriser. Ne dit-on pas
que « la jeunesse la redoute, les savants la négligent, les gens du monde la
dédaignent » ? Malte-Brun sera le catalyseur de tout ce qui est en germe
sous le récit ethnographique, par ses propres choix, qui en font le divulga-
teur de Humboldt, le promoteur des Annales des voyages qui auront pas mal
de descendance. Le titre de son livre est déjà tout un programme : Précis
de la géographie universelle ou description de toutes les parties du monde sur
un plan nouveau, d’après les grandes divisions naturelles du globe, précédé de
l’histoire de la géographie chez les peuples anciens et modernes, et d’une théorie
générale de la géographie mathématique, physique et politique, et accompagné
de cartes, de tableaux analytiques, symboliques et élémentaires, et d’une table
alphabétique des noms de lieux, à Paris, chez F. Buisson. Cette mise en scène
du monde se veut nouvelle pour une discipline lente à pénétrer dans l’ère
de la modernité. Malte-Brun propose une géographie et la met en place :
cartographie, information, savoir encyclopédique, ressources commerciales.

Huot, continuateur de Malte-Brun


« C’était la première fois que l’on réunissait dans un traité de ce genre la force de
l’expression, l’élégance du style, la variété des expressions et la multiplicité des
connaissances. Jusque-là les traités de géographie en langue française étaient
des compilations sans critique et sans goût, des narrations arides, hérissées de
détails rebutants. »
Notice sur Malte-Brun, en introduction à la 5e éd. du tome premier, Paris,
Furne, 1841.
Les géographies universelles ! 109

Élisée Reclus
Reclus, 1830-1905, fils d’un pasteur du Sud-Ouest français formé dans
les universités d’Allemagne, proscrit et exilé à la suite du coup d’État du
2 décembre, communard et anarchiste, entreprend une œuvre encore plus
gigantesque. Avec lui se poursuit « la découverte et la confirmation d’une
discipline ayant acquis droit de cité bien au-delà de la seule cartographie ;
il produit, lui aussi, une information sur le monde, que facilitent sa for-
mation à l’étranger, son savoir encyclopédique et ses liens internationaux,
tout ce qui compense la position précaire d’un militant et d’un proscrit »
(R. Ferras, 1989, p. 53). L’inventaire est plus raisonné et ainsi se fonde peu
à peu une science des lieux qui nous reste en 19 volumes.
« Reclus, géographe libertaire et libertaire géographe, propose en accord
avec ses positions philosophiques son approche du monde, dans lequel
il recherche organisation, harmonie, explication. Son savoir sur l’espace
passe par des méthodes scientifiques, celles de la mise en avant d’hypo-
thèses de travail, d’observation et d’expérimentation. L’analyse sous toutes
ses formes prend dans l’histoire, la politique, la physique, l’économie, et
tout ce qui relève de l’humain et du social. Mais au-delà du savoir sur
l’espace, l’appuyant et s’en nourrissant, est toujours présent l’idéal d’orga-
nisation libertaire du monde. Sa curiosité, par définition, est mondialiste,
dans un complexe sans cesse en évolution, dont l’équilibre et les compo-
santes sont sans cesse revus » (R. Ferras, 1989, p. 79). Le premier volume
est publié en 1875, le dernier en 1894.

Hérodote a consacré son numéro 22 de 1981 à Élisée Reclus,


« un géographe libertaire »
« Reclus, en publiant sa Nouvelle géographie universelle, arrive à point nommé :
à phénomènes nouveaux, livres nouveaux, comme il le dit d’ailleurs dans sa
préface. Reclus répond d’autant mieux à l’attente du public qu’il a parcouru
lui-même bon nombre des contrées qu’il décrit, il a séjourné aux États-Unis et
en Amérique latine, il connaît le Maghreb, et plus particulièrement l’Algérie, la
Turquie, etc. Il a donc souvent à sa disposition une information de première
main, sinon il utilise les dernières publications françaises ou étrangères. »
Extrait de GIBLIN B., 2005, « Élisée Reclus et les colonisations », Hédorote, n° 2,
p. 135-152.

Paul Vidal de la Blache


De Pézenas à Tamaris (1845-1918), la carrière de Vidal passe par l’École
française d’Athènes et les universités françaises. Présent dans tous les
domaines par une géographie adaptée à tous niveaux et tous publics,
110 ! Épistémologie et histoire de la géographie

il donne son Tableau de la France au début du siècle et prend la direction


de la troisième Géographie universelle, que Gallois mènera à son terme
(1927-1948). Autour de lui sont groupés les tenants de la géographie régio-
nale, Blanchard, Demangeon, De Martonne…, qui essaimeront dans les
différentes chaires peu à peu créées.
D. Lejeune a montré comment, dans les sociétés de géographie, les
officiers, diplomates, notables, fonctionnaires, membres des professions
libérales, magistrats, financiers, commerçants, laissent une place aux
universitaires. La Société de géographie de Paris acquiert une triple assise,
universitaire, institutionnelle et sociale. Voilà les partenaires en place, les
sociétaires « grand public » à côté des universitaires chercheurs et ensei-
gnants, face aux éditeurs. Vidal, en liaison étroite avec Armand Colin, lui
propose en 1891 les Annales de Géographie, un Atlas général d’histoire et
géographie, une bibliographie annuelle, des traités, du matériel pédago-
gique, cartes murales et manuels scolaires.

Avant-propos de la Géographie universelle par Lucien Gallois


Il cible bien les intentions : « La géographie a largement bénéficié depuis un siècle,
depuis un demi-siècle surtout, du progrès général des connaissances humaines.
Et tout d’abord s’est achevée, par la conquête des pôles, la découverte du globe.
Comme conséquence, les sciences de la nature ont pris toute leur ampleur :
météorologie, océanographie, géologie, botanique, zoologie. Les résultats de
toutes leurs observations sont venus s’inscrire sur des cartes de plus en plus
exactes. Ainsi est apparue avec évidence l’action réciproque des phénomènes les
uns sur les autres. Toutes ces analyses ont abouti à des synthèses, à la grande
synthèse qu’est la nature prise dans son ensemble. […] Si la géographie se
préoccupe aujourd’hui de plus en plus de la recherche des causes, elle n’en
reste pas moins fidèle à sa vieille définition et à son objet qui est, avant tout, la
description de la Terre. »

RECLUS
Ce GIP (Groupement d’intérêt public RECLUS), créé en 1984 par
R. Brunet, signifie « Réseau d’étude du changement dans les localisations
et les unités spatiales », tout en rendant hommage au grand géographe.
Les activités portent sur les structures, systèmes et modèles d’espaces,
la dynamique des lieux, les stratégies des acteurs. La totalité de l’espace
mondial sera analysée, sous différentes associations régionales, afin de
bien cerner les appartenances et identités territoriales. L’un des soucis
réside dans la recherche de permanences dans les localisations et de ten-
dances nouvelles dans la différenciation des lieux. Cette dernière formule
se distingue des trois précédentes.
Les géographies universelles ! 111

La Géographie universelle RECLUS n’est pas une encyclopédie car le


monde est pour une grande part connu, ni un travail d’auteur car désor-
mais un seul ne saurait y suffire, elle est « une série d’interprétations
souvent nouvelles et toujours raisonnées de l’espace selon une conver-
gence d’idées mais sans démarche exclusive » (p. 105 de la Charte de
la rédaction, 1985, RECLUS). « Il faut des repères dans un monde en
changement, jour après jour, l’information met en valeur les lieux les plus
lointains, et nous interroge à son propos. La dimension des problèmes est
devenue mondiale. Ce qui se passe ici ou là relève de systèmes complexes
et généralement étendus. » La publication successive des dix volumes
marque la décennie 1990.

« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde a changé, tout comme la


géographie. Le premier volume aborde à la fois la présentation de ce que la géogra-
phie apporte à la connaissance du monde et dessine le portrait du monde. On a
beaucoup dit que la géographie, pour avoir trop emprunté aux sciences humaines,
n’avait plus de réalité, qu’elle était détrônée par l’économie, la sociologie ou
l’ethnologie. Or, pour réinterpréter le monde, pour en comprendre l’organisation,
les différences et les tensions, des géographes construisent une science en concor-
dance. Les auteurs en disent les approches, les hypothèses et les méthodes, à la
rencontre de plusieurs chemins. Il en ressort une mise en ordre inédite des grands
champs, des réseaux, des acteurs, des puissances, des succès et des drames qui
font le monde contemporain. »

France, Europe du Sud (Ferras R., Pumain D., Saint-Julien T. dir.) ouvre
l’approche régionale. « Les images anciennes, les clichés sont mis en ques-
tion. À la traditionnelle présentation (cadre physique, population, acti-
vités) répond une approche nouvelle. Les pays sont d’abord placés dans
leur environnement mondial, à travers l’étude de leurs forces et de leurs
handicaps. Puis vient l’analyse des déséquilibres intérieurs, qui relèvent de
l’opposition entre régions ou des clivages économiques et sociaux. L’étude
de chaque région et de ses villes achève la présentation des pays, en souli-
gnant leurs atouts, exploités ou potentiels, et les défis qu’ils doivent relever
dans les années à venir. » Europe orientale, Russie, Asie centrale (Brunet R.,
Rey V. dir.), pour finir, est le volume qui a enregistré le plus de mutations
géographiques, en forme de coupures au jour le jour.
Dans cette dernière Géographie universelle, de nouvelles perspectives
émergent, qui auront des destins différents : aménagement de l’espace,
géographie appliquée ou en tout cas applicable, souci de quantification
avec appel à de nouvelles méthodes, intérêt porté à l’actualité dans ses
conflits et leurs interprétations géopolitiques, apparition de probléma-
tiques sociales et culturelles, accent mis sur « l’homme-habitant », prise
112 ! Épistémologie et histoire de la géographie

en compte des forces productives et des moyens de production. On notera


la fécondité de la production et les richesses des Géographies universelles
comme jalons épistémologiques.

Lectures conseillées
Les Géographies universelles de Malte-Brun, Reclus, Vidal-Gallois.
La Géographie universelle dirigée par R. Brunet, 10 volumes, Montpellier/Paris,
RECLUS/Belin, 1990-1996.
Chapitre 9

Démarches en géographie

COMPRENDRE L’ÉVOLUTION de la discipline, de ses démarches et de ses


concepts, constitue une étape fondamentale dans l’analyse de la perti-
nence de la géographie. La connaissance en géographie est le reflet de l’état
de la société à une période de son histoire. Ses idées se codifient grâce à
des concepts qui traduisent et médiatisent les axes majeurs de la pensée.

Écoles
Le terme désigne simplement un groupe de personnes partageant des posi-
tions communes et qui s’efforcent de le faire savoir. Doctrinale, elle peut
devenir dogmatique, passant du « courant » de pensée à la « chapelle »,
terme qui relève de la polémique. Semblant surprenante en géographie,
l’école (par exemple vidalienne) est de rappel fréquent en histoire, ce qui
a marqué longtemps la réflexion de cette discipline. Les précautions prises
sont évidentes : « En principe, nous ne formulerons pas de jugement de
valeur. S’il nous arrive parfois de laisser sentir nos préférences dans tel
conflit de méthodes ou telle interprétation de résultats, on voudra bien
y voir un gage de sincérité, non un blâme quelconque contre les théo-
ries adverses » (MEYNIER A., 1969, Histoire de la pensée géographique en
France : 1872-1969, Paris, PUF).
Faisons un détour du côté de l’histoire. G. Bourdé et H. Martin ont
publié en 1983 Les écoles historiques (Seuil) qui fait le point sur les courants
de pensée et n’a pas son équivalent en géographie. On y trouve les diffé-
rentes approches et théories de la production historique. Défilent l’histoire
chrétienne, Froissart et les Chroniqueurs, les philosophies de l’histoire,
l’histoire érudite, Michelet, école méthodique et école des Annales… et
tous les héritages (« Ni Jésus, ni Mao, ni Toynbee ; un peu de Marx et le
plus possible de science »). Cela donne par ordre décroissant et comme
chefs d’école : Le Goff, Leroy Ladurie, Veyne, Braudel, De Certeau, Bloch,
114 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Seignobos… Ne tirons pas de cette énumération plus que ce qu’elle peut


donner, notons toutefois qu’elle représente en gros le degré de connais-
sance des candidats au CAPES en matière d’historiens, à quelques nuances
et à deux ou trois noms près.
La problématique, exposée dès l’avant-propos, est claire :

« On peut préférer une démarche vraiment épistémologique en examinant les rela-


tions entre l’histoire et les sciences voisines : la géographie, la démographie, l’éco-
nomie, la sociologie, l’ethnologie, la linguistique, la psychanalyse, etc. On peut
se borner à améliorer «l’outil de travail» en inventoriant les techniques auxiliaires
de l’histoire telles l’archéologie, l’épigraphie, la paléographie, la cartographie, la
statistique, et, aujourd’hui, l’informatique. On peut considérer le rôle social de
l’histoire en appréciant l’enseignement de la discipline à l’université, au lycée, à
l’école ; en évaluant sa diffusion par les livres et les revues, par le cinéma, la radio
ou la télévision. Tous ces modes d’observation sont légitimes et méritent qu’on
leur consacre des analyses approfondies. »
BOURDÉ G. et MARTIN H., 1983, Les écoles historiques, Paris, Le Seuil.

À quelques mots près, en remplaçant « histoire » par géographie, on


pourrait conserver ce texte. Simplement ce « petit livre commode »
n’existe pas, le matériau se répartissant entre divers auteurs. Il faut donc
aller le chercher dans plusieurs ouvrages. Procéder à une simple lecture de
l’index met l’accent sur les tenants des différentes écoles, moyen sommaire
de poser des jalons.

Préceptes et principes en géographie


Chaque école se rattache à une conception de la science. Prenons comme
exemple l’élargissement des principes de base de la géographie par le
concept de représentation qui fonde la géographie culturelle [BAILLY,
BÉGUIN, SCARIATI, 2016]. Après avoir longtemps cru qu’il pouvait décrire
de façon exhaustive régions et itinéraires et qu’il pouvait tout expliquer
par des mesures simples, le géographe se rend compte de l’illusion « objec-
tiviste ». Il lui faut remettre en cause sa conception même de la démarche
scientifique, héritée de la problématique cartésienne et néo-positiviste.
À l’idéal causaliste, qui prévoit que tout est mesurable et prévisible,
s’oppose celui qui accepte la subjectivité de la connaissance et le rôle du
hasard dans les processus spatiaux. La première conception a l’avantage
de permettre l’utilisation des préceptes cartésiens d’évidence – certitude
indépendante du descripteur –, de réductionnisme – découpage de la
petite échelle et du complexe en grande échelle et en éléments simples –,
Démarches en géographie ! 115

de causalisme – existence d’un ordre logique –, et d’exhaustivité – certi-


tude de ne rien omettre.
La deuxième met en cause cette vision de la science :
– au précepte d’évidence, il faut opposer celui de subjectivité des repré-
sentations ;
– au précepte de réductionnisme, il faut substituer celui de complexité :
plus l’échelle étudiée est fine, plus l’espace sera complexe à analyser ;
– au causalisme, il faut opposer le probabilisme, c’est-à-dire l’impossi-
bilité de tout prévoir, sinon en termes probables ;
– à l’exhaustivité, il faut substituer le pluralisme idéologique des
approches, donc l’acceptation des valorisations culturelles et sociales.
À partir de ces quatre préceptes, il est possible d’aborder une géographie
qui accepte d’intégrer les mécanismes de la connaissance humaine et la
subjectivité des pratiques spatiales. Heisenberg nous rappelait bien, avec
son principe d’incertitude, qu’on ne pouvait parler de lois géographiques
car le hasard est un élément fondamental dans nos actions.
Nous sommes restés trop longtemps éloignés de notre but princi-
pal : expliquer et prédire les pratiques spatiales, sans réduire la réalité
aux seules macrostructures. Certes, celles-ci existent, mais il nous faut
aussi comprendre comment se construisent les territoires régionaux et
s’imbriquent les signifiés spatiaux et les signifiants culturels. C’est surtout
en ne négligeant pas le sens des lieux que nous pourrons comprendre nos
territoires de vie et expliquer leurs aptitudes au développement.
Cette ouverture épistémologique pousse à élargir les principes de base
qui guident nos recherches car l’histoire de la géographie avance, nous
l’avons vu, de façon rapide. Tant et si bien qu’il est devenu indispensable
de poser cinq principes épistémologiques.
– Le principe sociétal : les géographes s’intéressent aux hommes en
société, mais font aussi partie de sociétés dont ils reflètent les idéologies.
D’où la nécessité de prendre en compte l’idéologie et les concepts avec
lesquels ils explorent l’organisation de l’espace et les décisions spatiales.
– Le principe de représentation : l’espace n’est pas l’objet d’étude, puisque
le réel objectif n’existe pas en dehors de nos construits. La connaissance
repose sur la représentation de phénomènes à partir de concepts ; la
géographie n’est donc pas la science de l’espace, mais plutôt celle des
représentations de l’espace et des pratiques qui en résultent.
– Le principe imaginaire : toute modélisation est une image, c’est-à-dire
une image simplifiée du monde ou d’une portion du monde sous un angle
(régional ou thématique), d’où la nécessité d’expliciter la constitution de
cet imaginaire.
– Le principe de création : la représentation constitue une création
d’un schéma pertinent, mais partiel, du monde, qui nous renvoie à nos
116 ! Épistémologie et histoire de la géographie

idéologies et à la manière de les structurer à une époque donnée et dans


un contexte spatial donné.
– Le principe de rétroaction : les représentations se nourrissent des
pratiques et inversement ; ainsi, une société qui crée son milieu de vie ne
le fait pas seulement à travers ses rapports de production, mais grâce aux
représentations (idéologies, valeurs) propres à cette société.
La géographie est donc fondée sur des représentations au sens de « créa-
tion sociale ou individuelle d’un schéma pertinent du réel » [GUÉRIN,
1989 ; BAILLY, 2014] qui permet d’aborder non pas l’espace en soi mais
le sens des pratiques dans l’espace et de leurs conséquences. Ainsi peut-
elle être à la fois déductive pour étudier stocks, flux, macrostructures,
et inductive pour aborder la substance des relations humaines à partir
d’une lecture intériorisée des vécus spatiaux. D’autres écoles ajouteraient
d’autres principes ou mettraient d’autres démarches en lumière. Nous
présentons donc au paragraphe suivant des exemples d’approches concep-
tuelles, structuralistes, systémistes et modélisatrices.

Exemples d’approches
pour une géographie du XXIe siècle
Les définitions doivent en être claires, qu’il s’agisse de concepts, de simples
notions, ou des simples termes utilisés. Il convient de savoir de façon très
précise ce qui se trouve derrière les mots. La présentation est destinée à
faciliter la lecture de ce qui semble essentiel dans l’optique retenue.

Conceptuelle
Le concept, représentation mentale, abstraite, est une reconstruction
analytique du monde qui prend son sens dans le cadre d’une probléma-
tique. La géographie, comme toutes les sciences, s’est dotée d’une série
de concepts qui l’aident à comprendre le monde et ses pratiques ; parmi
les plus importants, nous l’avons vu : milieu, paysage, espace, distance,
territoire, ville, échelle, système, modèle, réseau, diffusion… La liste est
soumise à révision, de nouveaux concepts sont proposés en permanence.
La géographie use donc depuis toujours de concepts, même si elle s’en
est longtemps défendue. Parlant du concept d’érosion, A. Reynaud écrivait
en 1971, dans son Épistémologie de la géomorphologie, sous le paragraphe
« Une notion préscientifique typique : l’érosion » :

« Il est un mot du vocabulaire géomorphologique, fréquent dans tout article, dans


tout manuel, dans toute thèse, compris de tout le monde, utilisé à tout propos
Démarches en géographie ! 117

et même hors de propos : l’érosion. Cette notion si évidente, si simple, si banale,


est en réalité la preuve d’une mentalité préscientifique, fortement ancrée dans les
esprits, y compris ceux des géomorphologues. Le mot prend un sens géologique
à partir du XVIIIe siècle et désigne alors une action d’usure »
REYNAUD A., 1971, op. cit., Paris, Masson, p. 29.

D’où vient la méfiance dans la pratique pour les réflexions concep-


tuelles ? Peut-être du mauvais usage de la chose lorsque l’on se rend
compte après des décennies d’utilisation qu’il n’est pas si simple de parler
de pays sous-développé (ou en voie de développement, ou même PVD)
ou de société post-industrielle. Le terme concept révulsait et l’on ne sait
pourquoi, l’argument avancé contre ce type de réflexion laissant croire
que parler de concept c’était « faire de la philosophie ».
Le seul examen du sommaire du volume dit « général » de la Géographie
universelle RECLUS donne largement une idée des orientations actuelles
de la géographie. La géographie, science sociale, fait appel à un certain
nombre de notions et de concepts. Les concepts ne se présentent jamais
isolés mais toujours en interaction, prenant leur sens au sein d’un réseau
conceptuel dont la hiérarchie change avec la situation, l’éclairage que
l’on veut donner, le problème que l’on pose, les hypothèses que l’on émet
en un kaléidoscope recréé à chaque situation analysée. On ressent toute
l’importance de la liaison avec l’enseignement, pour l’usage des concepts
de base. Ce sont les mêmes notions et concepts qui sont appréhendés tout
au long d’un cursus qui va « de la maternelle à l’université ». D’un niveau
à l’autre, la structure du savoir est identique, mais ce qu’il faut détermi-
ner à partir de cette matrice, ce sont les objectifs notionnels à atteindre
à chaque « niveau » de la scolarité à travers un vocabulaire approprié.

« De nouveaux concepts sont désormais privilégiés. La liste en est longue. Dans


le passé, la géographie s’était structurée autour d’un petit nombre de concepts
tels que localisations, distributions spatiales, paysages, milieu géographique,
région, peuplement, contraintes. Ceux-ci sont encore importants et opératoires.
Mais l’étude de l’espace social nécessite de nos jours de nouveaux outils concep-
tuels… Le plus important est de définir quelques concepts fondamentaux liés soit
à l’environnement (écosystème, paysage, milieu naturel, équilibre, développement
durable), soit à la position géographique (distance, polarisation, espace local,
région, nation, échelle, territoire, espace social, système), soit au développement
(ressources, urbanisation, inégalité spatiale) et ceux qui dépendent des représen-
tations spatiales (espace vécu). »
RUIZ C., 1995, « La géographie à l’écoute du monde »,
Dialogues, revue de l’enseignement français à l’étranger, n° 44, p. 25-26.
118 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Structuraliste
La structure est la manière dont les parties d’un tout sont arrangées entre
elles. On parle de la structure cristalline d’un massif rocheux, de la struc-
ture complexe d’une répartition de population, de la structure centralisée
d’une firme, de la structure d’une entreprise qui passe par les relations hié-
rarchiques entre les hommes qu’elle emploie et les postes qu’elle propose.
Cette définition suppose que les parties, le tout et l’arrangement soient
connus et définis, pour donner une certaine cohérence au monde que l’on
observe ; un arrangement indépendant du temps, car si la structure est
évolutive, l’arrangement de ses parties change. « Le tout » est un système,
et l’évolution fait l’objet d’un modèle.
Le structuralisme, venu de la linguistique (De Saussure) et de l’anthro-
pologie (Lévi-Strauss), a touché les sciences humaines et sociales dont
la géographie, de façon tardive mais féconde. Pour le structuralisme, une
catégorie de faits doit être étudiée selon un ensemble organisé, structuré.
La recherche des structures renvoie aux invariants, aux fondamentaux qui
ont une signification pour la connaissance des systèmes sociaux et spatiaux.
Un ensemble d’éléments est dit structuré lorsqu’on a clairement défini
leurs relations, ce qui permet d’en proposer une « théorie ». Les sociolo-
gues (Mauss) distinguent traditionnellement dans les sociétés des structures
immatérielles (comme une classe d’âge), des structures mixtes (comme un
clan dans une tribu) et des structures spatiales (comme les quartiers iden-
tifiables dans une ville), ce qui les rapproche de certains géographes. Le
sens actuel de structure, en géographie, s’emploie pour désigner un tout
formé de phénomènes solidaires, par opposition à une simple combinaison
d’éléments, de façon telle qu’ils dépendent les uns des autres.

Systémiste
Le système, mot à mot, signifie « tient ensemble » (systema). Un système
se décompose en sous-systèmes, si chacun de ses éléments est considéré
comme système dans un autre niveau d’analyse. C’est un ensemble d’élé-
ments interdépendants et traités comme un tout. Un système recouvre
les deux notions, d’ensemble organisé entre différents éléments, et d’in-
teractions entre ces éléments. C’est une construction intellectuelle car
le fait de considérer des objets comme interdépendants n’implique pas
qu’ils le soient vraiment. Par exemple, l’astronome traite du système
planétaire, l’astrologue d’un système comprenant à la fois le mouvement
des astres et le destin des individus. Prenons d’autres exemples : le sys-
tème du cours regroupe un enseignant et des étudiants ; les inputs et les
outputs d’une région font système. L’espace géographique est façonné,
Démarches en géographie ! 119

composé et recomposé par les systèmes spatiaux qui sont des systèmes
vivants, qui échangent avec leur environnement, pris au sens le plus
large.
Les géographes, depuis l’Antiquité grecque, ont employé le terme,
mais dans le sens différent de systématisation. Actuellement, on parle
plus de système d’érosion ou de système de failles, de système agraire
ou de culture, de système de transports, ou encore de systèmes urbains
ou de systèmes économiques. Braudel a parlé d’économies-mondes,
systèmes incomplets, laissant hors des échanges planétaires des terri-
toires entiers. Désormais, on considère que le monde fait système, le
« système-monde », la mondialisation, sont largement entrés dans les
publications.
Cette approche systémique garde un côté opératoire, avec le risque
parfois de rendre moins simples des choses qui le sont fondamentalement
comme le montrent certains tableaux se disant « systémistes » à partir
d’un entrecroisement de flux et de leurs flèches. Toutefois, cette pensée
a le mérite de proposer une vision d’ensemble, non figée qui s’oppose à
une démarche hiérarchisée, bref, « systématique » ou faite d’un « esprit
de système ».

L’approche systémiste
« L’intérêt de l’approche systémique passe par sa démystification. Car ce qui
est utile dans l’action quotidienne ne doit pas avoir pour règle d’être réservé à
quelques initiés. La hiérarchie des disciplines établie au XIXe siècle, des sciences
les plus “nobles” aux sciences les moins “nobles” (mathématiques et physique
au sommet ; sciences de l’homme ou de la société au bas de l’échelle), continue
à peser lourdement sur notre approche de la nature et sur notre vision du
monde. D’où, peut-être, ce scepticisme, voire cette méfiance envers l’approche
systémique, que l’on retrouve chez ceux – mathématiciens ou physiciens – qui
ont reçu la formation théorique la plus poussée.
Par contre, ceux que la nature de leur recherche a habitués à réfléchir en termes
de flux, de transfert, d’échange, d’irréversibilité – biologistes, économistes,
écologistes – assimilent plus naturellement les notions systémiques, et
communiquent plus facilement entre eux » (DE ROSNAY J., 1975, Le Macroscope,
vers une vision globale, Paris, Le Seuil).
« Une bonne illustration est offerte par la thèse de F. Auriac : Système
économique et espace, un exemple en Languedoc. Dans ce travail, la réalité « vignoble
languedocien » est considérée comme un produit, une sortie d’un système
économique et social » (DURAND-DASTÈS F., 1984, Systèmes et localisations,
Avignon, Géopoint 84).
120 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Modélisatrice
Modéliser, en géographie, c’est identifier les éléments essentiels d’un
espace géographique et les relations les plus fortes entre eux. C’est une
représentation symbolique d’un système dont les interdépendances sont
explicitées. Le modèle est jugé représentatif d’une série d’éléments de
même nature, région, montagne, ville, littoral… Cette abstraction donne
lieu à une représentation concrète à travers des symboles reconnus. Cette
image d’une réalité a des vertus explicatives et la géographie en use depuis
longtemps sans trop le dire. Les reliefs de faille des manuels de mor-
phologie sont des modèles, comme les terrasses fluviales ou les appareils
volcaniques. De même dans le langage, la Lorraine est restée longtemps,
comme la région des Grands lacs américains ou les Asturies, un modèle
de région industrielle. La Prairie canadienne, la Beauce ou l’Ukraine sont
des modèles de région céréalière. Le Languedoc, la Bulgarie, la Floride ou
la Polynésie offrent des modèles de tourisme littoral.
On ne confondra pas les deux grands types de modèles qu’emploie
la géographie : les modèles mathématiques, en forme d’équation, déjà
anciens comme les modèles de gravitation ou de diffusion et les modèles
graphiques qui utilisent les chorèmes en combinaison. Ces langages de
base se comptent en petit nombre, alors que le nombre de modèles est
infini. Les chorèmes sont un alphabet dont la combinaison (un modèle
graphique) est une écriture pour représenter et comprendre les organisa-
tions spatiales. Le modèle n’est ni un croquis, ni un schéma, ni le substitut
réducteur d’une mauvaise carte. La carte décrit, le modèle explique selon
une démarche hypothético-déductive.
Le modèle graphique propose une représentation (et pas la représen-
tation) d’une réalité géographique, en vue d’une démonstration par la
mise à plat et le décryptage de ses dynamiques spatiales. Sans confusion
aucune avec la cartographie qu’il contribue à éclairer par sa vision épurée
de systèmes spatiaux souvent complexes. En dehors de la géographie, il
entre – de fait – pour une grande part et sans que l’on en soit toujours
parfaitement conscient dans la caricature, la peinture, la littérature et
des disciplines aussi diverses que l’architecture ou les sciences (physique,
chimie), l’anthropologie ou les cartes mentales des héritiers de P. Gould
en géographie.

Les formes d’un nouveau vocabulaire


Du refus de toute conceptualisation à la multiplication de concepts, il n’y
avait qu’un pas à franchir en géographie. Il a été progressivement franchi.
Au moment de sa « naissance » dans la deuxième moitié du XIXe siècle,
Démarches en géographie ! 121

la géographie n’avait aucune réflexion conceptuelle explicite, on se


contentait pour l’essentiel de dresser des nomenclatures interminables,
des croquis à dessiner « de tête », des cartes muettes à rhabiller, sans
hypothèse de travail, si mince soit-elle.
Les ouvrages scientifiques, dont une des particularités est de posséder
un index (ce qui est malheureusement rare en France mais courant dans
les publications anglo-saxonnes), constituent à l’inverse, maintenant, une
mine précieuse pour découvrir les concepts utilisés.

Index et mots-clés
Aucune conclusion quantifiée ne doit être retenue des dépouillements som-
maires qui suivent. Le simple comptage que nous proposons résulte de
l’étude des index élaborés par les auteurs de quelques ouvrages. Le relevé
des thèmes cités est de grand intérêt, même s’il est difficile de mener une
comparaison serrée entre plusieurs ouvrages. Certains livres n’ont pas été
retenus car chaque ouvrage possède ses critères propres d’indexation. Ainsi,
dans les Concepts dirigés par A. Bailly, les concepts sont décomposés en
sous-catégories, ce qui aurait nécessité des totaux partiels. Géographie est
mentionnée sous 43 formes différentes (coloniale, physique, etc.), espace
sous 20 formes (polarisé, rural, etc.). D’une autre manière, les Principes
de géographie humaine de Vidal (1921) possèdent un index, copieux mais
essentiellement fait de noms propres. On découvre toutefois au passage que
ville a deux lignes (comme villa), face aux quatre lignes consacrées à village.
On a finalement retenu neuf livres, largement accessibles, sur trois
quarts de siècle :

1922 : FEBVRE L., La Terre et l’évolution humaine, introduction géographique à l’histoire,


Pais, La Renaissance du Livre.
1947 : BRUNHES J., La géographie humaine, Paris, PUF (édition abrégée).
1961 : SORRE M., Traité de géographie humaine, Paris, Hachette.
1973 : HAGGETT P., L’analyse spatiale en géographie humaine, Paris, Armand Colin.
1984 : BAILLY A. (dir.), Les concepts de la géographie humaine, Paris, Masson.
1990 : BRUNET R. et DOLLFUS O., Mondes nouveaux, Géographie universelle,
Montpellier, RECLUS.
1995 : BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Paris,
Economica.
2013 : GEORGE P. et VERGER F. (dir.), Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF.
2013 : LÉVY J. et LUSSAULT M. (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace
des sociétés, Paris, Belin.
122 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Les formules actuelles


L’ouvrage qui soit le plus largement détaillé, l’Encyclopédie de géographie
(1 167 pages) donne en tête territoire (9 mentions), paysage, représenta-
tions, espace (7), diffusion (5). Figurent ensuite à plus de trois mentions
référencées, aménagement du territoire, analyse spatiale, anthropologie,
centre, distance, écogéographie, écologie, écologie urbaine, écosystème,
entropie, environnement, espace géographique, ethnie, ethnologie, frac-
tales, géographie historique, géographie politique, gradients, hiérarchie,
identité, image, imaginaire, imagination, infrastructures, innovation,
interface, lieu, littérature, mégalopole, métropole régionale, mode de
transport, modèle gravitaire, modèle de localisation, périphérie, pouvoir,
réseau, réseau de villes, ressources en eau, risque, sémio-linguistique, site,
temps réel, territorialité, théorie des lieux centraux, valeur.
Dans le volume général de la Géographie universelle RECLUS, 14 mots-
clés l’emportent largement sur les autres. En tête, le modèle et le système,
deux méthodes d’approche de la géographie actuelle qui alternent avec
les bons vieux termes de ville, montagne, population.

La dernière Géographie universelle


Le détail du relevé donne, par ordre décroissant des mentions, dans l’index :
modèle (30), ville (23), système (17), montagne (15), population (14), espace
géographique (13) puis État, information, milieu, port, nature, paysage,
maillage, mémoire.
De 7 à 9 mentions : capital, centre-périphérie, environnement, frontière, lieu,
niveau, réseau, ressource, ségrégation, chorème, dissymétrie, firmes transnationa-
les, ordre, religion, stratégie spatiale, antimonde, atmosphère, communication,
différence, distance, distribution spatiale, forêt, géon, gravitation, histoire, locali-
sation, place, production de l’espace, situation géographique, structure, territoire.
À 5, 6 mentions, le dernier niveau retenu va d’agriculture à zone bioclimatique.
Sont présents, comme on pouvait s’y attendre, l’espace, le milieu, le paysage.
À la plus vieille « nature » répond le plus neuf « maillage ». À partir de là
alternent des termes très anciens : frontière, forêt, désert, des termes à la mode :
environnement, centre-périphérie, structure, des termes nouveaux fondés ou
repris pour les besoins de la cause : géon, chorème, synapse, gradient, des
termes toujours présents : relief, terrain, Tiers-Monde.
À ce jeu si simple apparaissent deux mots-clés largement valorisés, paysage et
espace géographique. Sans qu’il y ait de grandes contradictions entre les deux
index, là aussi alternent des concepts anciens et des nouveautés, sans aucun
jugement de valeur, les premiers relevant de la géographie, les autres plus
tournés vers l’analyse spatiale.
Démarches en géographie ! 123

L’analyse spatiale
Sous le titre, L’analyse spatiale en géographie humaine, P. Haggett intro-
duit en 1973 une nouveauté dans la littérature géographique en tra-
duction française. La première édition, anglaise (Locational Analysis in
Human Geography) date de 1965. Ph. Pinchemel dans la préface écrit
que « la bibliographie du sujet s’est amplifiée dans des proportions stu-
péfiantes ». « À la géographie collectrice de faits, typologique, excep-
tionnaliste, empirique, inductive, les recherches dont P. Haggett fait état
substituent une géographie théorique, déductive, recherchant la logique,
les régularités, les principes de différenciation et d’organisation, identi-
fiant des structures spatiales, dégageant des modèles et des séquences
d’organisation territoriale. » La présentation renchérit : « Sous l’impulsion
de géographes et d’économistes, anglo-saxons et suédois notamment, les
méthodes d’analyse de l’espace se sont profondément modifiées depuis
une trentaine d’années. L’emploi de techniques mathématiques a fait
naître un courant de pensée et de recherche novateur. »
Le langage est différent, les mots-clés le montrent bien, qui placent
en tête ajustement de courbes, calculs de corrélation, densités, diffusion
(modèles), échantillonnage (méthodes), probabilistes (lois et modèles),
régression (méthode d’analyse). Ce vocabulaire propre s’accompagne de
citations venues d’auteurs nouveaux en France, très rarement traduits,
B. Berry, W. Bunge, R. Chorley, W. Christaller, W. Isard, W. Krumbein,
A. Lösch, W. Tobler.

Deux traités en transition


Sorre, dans son traité, représente une transition entre la « première géo-
graphie » venue de Vidal et de ses héritiers et la période contemporaine.
Brunhes reflète dans le sien la période antérieure.
Les termes les plus cités chez le premier sont d’un grand éclectisme.
Jugeons-en. Anophèles, automatisation, automobile, blé, capitales, char-
bons, climats, complexes industriels, constantes biologiques, cosmo-
politisme, culture itinérante, démocraties populaires, écologie, énergie,
espace, État, genre de vie, habitat rural, habitat industriel, homo sapiens,
industries, intelligence créatrice, irrigation, maïs, matières de base, métal-
lurgie, métissage, métropoles, millets, natalité, nomadisme, œkoumène,
paysage, régime alimentaire, religion, réseau, riz, sous-produits de syn-
thèse, tourisme, urbanisation, villes. Trente années avant les publications
des années 1990, on ne trouve que trois concepts généraux communs,
l’espace, le paysage, la ville.
124 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Brunhes place en tête villes, peuplement (29 mentions), maison (27),


genres de vie (21). Avec plus de 10 mentions, chemins, chemin de fer,
circulation, cultures, eau, élevage, forêts, géographie humaine, histoire,
irrigation, nomadisme, transport, travail. Les thèmes toujours présents
sont ceux de la ville, face aux techniques d’élevage et d’irrigation, reflétant
une géographie axée sur l’habitat et les genres de vie.

Introduction géographique à l’histoire


Le sous-titre du livre de Febvre, La Terre et l’évolution humaine, est bien
une Introduction géographique à l’histoire. Les termes les plus cités sont
tout à fait significatifs de ce que l’on attend de la géographie au lendemain
de la Première Guerre mondiale. Anthropogéographie, chasse, chemins de
fer, climats, commerce, État, forêts, géographie humaine, genres de vie,
homme, lacs, milieu, montagnes, nature, navigation, nomadisme, popu-
lation, régions, sociétés, sociologie, sol, terre, tribu.
Ni paysage, ni ville, la liste est intéressante à mettre en regard avec
celles qui précèdent pour noter la permanence de la forêt ou de l’État,
la présence de « région », le doublet sociétés et sociologie, une anthro-
pogéographie dont on ne parle plus.
Ainsi s’écrit à petites touches l’histoire de la géographie.

Deux exemples, le vocabulaire « tropicalisant »


et le vocabulaire « urbain »
Quoi de plus simple en géographie que ces deux termes, la ville et le tro-
pique, qui appartiennent aussi au vocabulaire du quotidien. Et pourtant…

Le tropique
Quels sont les caractères spécifiques des régions intertropicales ? Les
difficultés commencent avec leur examen dans leurs représentations
comme dans leur réalité : alizés, cyclones, rubéfaction, latérites, cui-
rasses, tout ce que l’on retrouve dans le texte et que montre la photo.
Un certain nombre d’images sont passées dans le domaine public, l’am-
plitude thermique annuelle faible : « il fait toujours chaud » ; la prédo-
minance de la géochimie sur les facteurs mécaniques dans l’évolution
pédologique : « les sols sont pauvres » ; une richesse biologique en
espèces supérieure à la zone tempérée ; une fertilité largement factice :
Démarches en géographie ! 125

« les fleurs poussent même sur les poteaux téléphoniques » ; le dan-


ger permanent que révèle un milieu mis en valeur par des explorateurs
casqués…
Tout cela composerait une tropicalité « aimable », mais sous le « tropi-
cal » pointe autre chose, qui pose le problème du déterminisme en géogra-
phie et du concept de sous-développement. Ces basses latitudes ont été
à peu près toutes colonisées et la géographie tropicale a succédé à la
géographie coloniale. Puis l’on parle de sous-développement qui devient
en 1971 « inégal développement ». Apparaît dans ces analyses le refus de
prendre en compte les spécificités locales pour transférer des principes
venus d’Europe.
Dans son « Avertissement critique et autocritique » à la troisième
édition de sa Géographie du sous-développement (1976), Y. Lacoste s’inter-
roge en ces termes : « Que peut être une géographie du sous-développe-
ment ? disait P. George, en première ligne de son introduction de 1965 : il
s’en faut de beaucoup que la réponse que je donnais alors à cette question
ait été claire et satisfaisante. Aujourd’hui le texte de la première édition
me paraît refléter une absence de réflexion (longtemps classique chez les
géographes) quant à la raison d’être de la géographie, quant à son statut
épistémologique pourrait-on dire » (p. 10).
Le terme « tropique » ne peut être pris dans son sens astronomique
réel de 23° 27’ de latitude de part et d’autre de l’équateur. Il n’y a aucune
« fatalité » tropicale et il serait regrettable de laisser croire qu’il y a une
géographie tropicale parce que certains sont dits tropicalistes.
J.-P. Raison, spécialiste de l’Afrique et du monde rural des pays tropi-
caux, évoque dans la postface du livre Les enjeux de la tropicalité de
M. Bruneau et D. Dory, le problème du déterminisme, plus spécialement
en Afrique, rappelant – après P. Gourou – que la mise en valeur de l’es-
pace résulte aussi du prisme déformant de sa propre civilisation.

« Tropicalisme », déterminisme, possibilisme…


« Faut-il s’étendre longuement sur les risques de déterminisme ? Ce débat a
longuement préoccupé les spécialistes du monde tropical ; j’avoue qu’il me
semble daté, fort marqué par des querelles de la fin du XIXe siècle, et je pense
qu’aujourd’hui encore il nous fait perdre trop de temps et d’énergie. Sur ce
point, il me semble que P. Gourou, à force de vouloir se démarquer, a quelque
peu minimisé à l’inverse le poids de certaines données physiques à un certain
niveau d’évolution des techniques. Faut-il par exemple attribuer, pour l’essentiel,
le sous-peuplement des savanes “guinéennes” d’Afrique occidentale aux effets
de la traite, ou ne faut-il pas davantage insister sur l’extrême difficulté de mise
en culture de ces savanes, en raison de la densité de la végétation herbacée,
et particulièrement de ses éléments souterrains, et de la grande virulence des
126 ! Épistémologie et histoire de la géographie

feux (la prairie américaine a présenté un obstacle comparable) ? Ne faut-il


pas également prendre en compte une particulière insalubrité de ce milieu ?
Je suis encore moins convaincu par la liaison faite entre les fortes densités du
Rwanda et du Burundi, la présence des bovins, l’ubuhake et l’encadrement
politique de la population ; je crois au contraire que, à ce stade donné
de la situation technique et sanitaire de l’Afrique de l’Est, dans un contexte
d’insécurité climatique et politique, les Hautes terres offraient aux populations
rurales des conditions écologiques particulièrement favorables. Mais ce ne sont
pas des déterminations seulement, dans un cas, des obstacles que certaines
populations, dotées d’un bagage technique adéquat, ont pu, tels les Baoulé,
surmonter, dans l’autre des avantages que certains ont exploités, d’autres non.
Je suis en ce domaine convaincu que la géographie, appuyée d’un côté par
l’histoire, de l’autre par les sciences de la nature, sera de mieux en mieux armée
pour raisonner scientifiquement sur les rapports de l’homme et du milieu.
Oui mais… jusqu’à quel point ?… Réglons vite le cas de ce qui me paraît
être une objection assez insignifiante, celle qui porte sur le déterminisme par
les civilisations. […] Si P. Gourou a dit fort justement que la mise en valeur
de l’espace résultait d’une perception de la nature à travers le prisme des
civilisations, il n’a jamais dit que la civilisation déterminait les formes de mise en
valeur, mais seulement que la nature et la qualité des techniques d’encadrement
contribuaient à préciser, disons à limiter mais aussi à affiner, voire à rendre
simplement possible, une certaine gamme de choix. »
RAISON J.-P., 1989, « Postface », in BRUNEAU M. et DORY D. (dir.), Les enjeux de la
tropicalité, Paris, Masson.

Voilà une façon de « revisiter » le terme tropical, à partir d’extraits de


textes qui en précisent le sens, tout au long du siècle. D’autres termes s’y
prêtent aussi comme le plus « usé » d’entre eux, celui de ville.

La ville
Le thème a été retenu parce qu’il a donné lieu au cours des dernières décen-
nies à des directions de recherche multiples, allant d’une naïveté d’approche
jouant sur le site et la situation souvent définie comme « intéressante »
ou « favorable », au galimatias technocratique venu des « aménageurs »
qui ajoute, vers les années 1970, aux « trois vieilles » formules en sigles,
ZUP (zone à urbaniser en priorité), ZAC (zone d’aménagement concerté),
ZIF (zone d’intervention foncière) les « petites provisoires » que sont ZUS
(zones urbaines sensibles), ZRU (zones de redynamisation urbaine), ZFU
(zones franches urbaines). Dans le cadre de l’aménagement en général,
les ZAT (zones d’aménagement du territoire) se situent face aux ZRR
(zones de revitalisation rurale) et face aux TRDP (territoires ruraux de
Démarches en géographie ! 127

développement prioritaire). Sous ces sigles et bien d’autres, on propose


un espace urbain réaménagé (Paulet J.-P., Manuel de géographie urbaine,
Paris, Armand Colin, 2009).
On pense savoir ce qu’est la ville, si simple : une concentration de popu-
lation dont l’essentiel des activités se situe hors du secteur primaire et
un milieu géographique et social formé par une réunion considérable
de constructions, qui remplit des fonctions importantes pour la société
tout entière et procure à ses habitants une vie particulière. Ou bien, un
groupement de population agglomérée défini par un effectif de population
et par une forme d’organisation économique et sociale. Ou encore, une
agglomération où la majorité des habitants est occupée par le commerce,
l’industrie ou l’administration.
On le voit, la géographie n’a pas toujours une vision clairement défi-
nie des concepts qu’elle manie, et cette vision évolue au cours des âges.
Dans le domaine de l’urbain, anciennement le centre, le faubourg ou les
quartiers, et actuellement centre-périphérie, urbain, suburbain, rurbain,
sont d’un usage courant. J.-P. Augustin et J. Dumas font un panorama
passionnant de l’évolution des problématiques urbaines en 2015 dans
La ville kaléidoscopique (Paris, Economica-Anthropos).

Lectures conseillées
AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., 2015, La ville kaléidoscopique : 50 ans de géographie urbaine,
Paris, Economica-Anthropos.
BAILLY A., BÉGUIN H. et SCARIATI R., 2016, Introduction à la géographie humaine, Paris,
Armand Colin, 9e éd.
GIBAND D., 2011, Les villes de la diversité, territoires du vivre ensemble, Paris,
Economica-Anthropos.
Pour la ville, voir dans l’ordre : CHABOT G., 1958, Les villes, aperçu de géographie
humaine, Paris, Armand Colin, 3e éd. ; CHABOT G. et BEAUJEU-GARNIER J., 1963,
Traité de géographie urbaine, Paris, Armand Colin.
Chapitre 10

Définitions et concepts
fondamentaux
en géographie
à la fin du XXe siècle

Les définitions de la géographie,


du vide à l’abondance
Les concepts et les définitions de la géographie se multiplient, mettant
l’accent sur le passage du vide à l’abondance. Chaque étape a laissé ses
traces, jamais complètement gommées, de l’enquête des découvreurs à
la science naturelle, la science humaine, la science sociale, la science de
l’aménagement. Entrer en géographie implique d’être d’abord au clair sur
ce que recouvre ce « simple » terme.
On peut se mettre d’accord sur une définition largement admise de la
géographie, comme étude de l’organisation et de la production de l’espace
par les sociétés humaines, ou comme connaissance de l’espace et de son
organisation, le territoire. N’étant plus simple description (graphie) de
la Terre (geo) comme le laisse penser son étymologie, elle est l’étude des
rapports entre une société et ses espaces, sous des définitions très diverses
mais logiquement redondantes.
Au début du siècle, Demangeon – dans son Dictionnaire (1907) – écrit
« La géographie est donc l’explication et la description de la physionomie
actuelle de la Terre » ; et suivent les différentes géographies et leurs quali-
ficatifs. Vers 1930, le Petit Larousse propose : « Description de la Terre
sous le rapport de »… suivent : climat, sols, productions, races, langues,
limites, peuples, institutions, histoire… regroupés sous une demi-douzaine
de « géographie du…, des…, ou de… ».
130 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Il y a dans chacune de ces définitions une part de vérité. Chacun a la


sienne ou presque. Proposons quelques exemples :
Pour A. Bailly, dans Les concepts de la géographie humaine [2004], chaque
étude géographique est une représentation du monde et des pratiques
humaines, qui prend son sens dans le cadre d’une idéologie et d’une
problématique. De ce fait, à la définition de la géographie « science de l’es-
pace », est préférée « étude de l’organisation de l’espace et des pratiques
spatiales qui en résultent ». Cette géographie analyse à la fois les discours
et les pratiques spatiales pour dégager cohérences et répétitions ; non
seulement celles des hommes qui raisonnent, mais aussi celles de ceux
attachés à leurs lieux de vie.
Pour Ph. et G. Pinchemel, dans La face de la Terre (1988), l’analyse
géographique amène à « s’interroger sur la capacité des hommes à agir et
à penser en relation avec la face de la Terre, c’est-à-dire avec un système
complexe intégrant des natures de phénomènes, des catégories d’agents,
des familles de processus, des intensités d’évolutions, des poids différents
d’historicité ». Une définition illustre les curiosités géographiques dans la
ligne des écrits de Sorre dans L’homme sur la Terre (1961) : « Le problème
premier de la géographie humaine est l’éclaircissement des rapports de
l’homme et du milieu […] Nous dirons encore que la géographie humaine
est une description scientifique des paysages humains et de leur réparti-
tion sur le globe. » Nous pourrions multiplier les citations de définitions.
On retiendra le terme « espace » (spatial) qui est maintenant le plus
usité dans les définitions de la géographie, celui de paysage presque aussi
banalisé, celui de milieu qui a laissé en partie place à environnement, enfin
celui de région qui s’insère volontiers dans les réflexions sur le territoire.
La géographie se regroupe autour d’une poignée de concepts que nous
allons expliciter. Choix et ordre retenus ne sont pas liés au hasard, ils
correspondent à une évolution des préoccupations géographiques de la
mesure de l’espace, en passant par la prise en compte de l’environne-
ment et du milieu, par la sensibilité au paysage, l’identification à la région,
jusqu’à la revendication territoriale, comme en Catalogne ou en Corse.

L’espace
Le dictionnaire Robert définit trois acceptions principales de l’espace :
« Lieu, plus ou moins bien délimité, où peut se situer quelque chose »
– « Milieu idéal, caractérisé par l’extériorité de ses parties, dans lequel
sont localisées nos perceptions, et qui contient par conséquent toutes les
étendues finies » – « Étendue de temps ». On ne relève pas, dans le Robert,
de référence spécifique à la géographie.
Définitions et concepts fondamentaux… ! 131

Espace et littérature
« L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la
page blanche. Décrire l’espace : le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de
portulans qui saturaient les côtes de noms de ports, de noms de caps, de noms
de criques, jusqu’à ce que la Terre finisse par ne plus être séparée de la mer que
par un ruban continu de texte » (PÉREC G., 1974, Espèces d’espaces, Paris, Denoël-
Gonthier, p. 19).
Dans le Dictionnaire de la géographie de P. George, on ne trouve pas d’entrée pour
le terme espace, mais à espace économique, il est dit que l’« espace géographique »
correspond à ce que l’économiste Perroux a appelé « espace banal », dans lequel
« les hommes et les groupes d’hommes, les choses et les groupes de choses
caractérisés économiquement par ailleurs trouvent leur place ». Cet espace,
contrairement à l’espace économique de Perroux est concret et cartographiable.
La face de la Terre (1988) donne de la géographie six définitions selon six objets,
auxquelles correspondent six tendances grosso modo successives de la discipline.
Dans la définition la plus récente, la géographie est considérée comme « science
de l’espace terrestre et de son organisation » (p. 27). Ph. et G. Pinchemel
soulignent que, depuis les années 1960, « espace tend à remplacer géographie,
et spatial géographique » (p. 28). Plusieurs acceptions d’espace sont ensuite
envisagées comme : « support des répartitions » comme « espace vécu (qui est)
partiel, relatif, biaisé par la personnalité de chaque être, par des perceptions
qui déterminent ses pratiques, ses attitudes, ses comportements »… comme
« espace social, un espace créé par les sociétés, qui reflète l’organisation sociale »
avec « des centres, des voies, des unités de gestion, des frontières », et dont les
structures « n’ont rien à voir avec une quelconque relation naturelle : c’est à
travers des modèles spatiaux que les contingences naturelles se manifestent ».
Dans cette optique, « l’espace n’est plus un espace vague, un espace-support, il
est un concept fort, à la base de la géographie. Il n’est pas cependant toute la
géographie, il n’est qu’une des clefs de l’analyse géographique » (p. 28).
Pour R. Brunet (1990), « L’espace géographique est fait de l’ensemble des
populations, de leurs œuvres, de leurs relations localisées, c’est-à-dire considérées
dans leur étendue et dans leurs lieux. Il ne saurait être réduit au visible : il contient
l’ensemble des relations localisées et localisables, à la fois les rapports des lieux
entre eux, et les rapports aux lieux qu’entretiennent les individus et les groupes.
[…] Produit et dimension des sociétés humaines, l’espace géographique est tout
ensemble approprié, exploité, parcouru, habité et géré. Chacun de ces actes
est, à sa manière, producteur d’espace, impose à l’espace des formes propres,
et tire parti des formes de l’espace, en les remodelant. La géographie étudie ces
processus et ces formes. » L’on pourra donc en déduire cette définition minimale
de l’espace géographique : un tissu caractéristique de relations que les hommes
établissent entre les lieux dans l’étendue terrestre.
132 ! Épistémologie et histoire de la géographie

L’environnement et le milieu
Le concept prolifère aux marges de la géographie, un peu comme
l’héritier d’écosystème revu et corrigé, comme celui de développement
durable (« sustainable ») (MANCEBO F., Le développement durable, Paris,
Armand Colin, 2010).

L’environnement
En 1917, l’environnement, c’est pour une plante « the resultant of all the
external factors acting upon it ». En 1944, pour un organisme « the sum
total effective factors to which an organism responds ». En 1964, Harant et
Jarry proposent « L’ensemble des facteurs biotiques (vivants) ou abiotiques
(physico-chimique) de l’habitat ». En 1971, selon Ternisien : « Ensemble, à
un moment donné, des agents physiques, chimiques et biologiques et des
facteurs sociaux susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat
ou à terme, sur les êtres vivants et les activités humaines. » Et voilà le mot
à la mode, en proie à l’inflation journalistique : la montagne assure, plus
que le cadre, l’environnement de la ville de Grenoble. Le Pacifique est l’en-
vironnement de la ville de Sydney, opéra sur fond de vagues et de voiles.
La garrigue est l’environnement « naturel » de la ville de Montpellier en
un sens passif. Jurançon est aux environs de Pau, Versailles aux environs
de Paris selon une distance approximative. L’architecture s’intègre dans
l’environnement ou est en rupture, et c’est déjà un jugement de valeur.
Les années qui suivent les décennies 1960-1970, porteuses d’écologisme,
parlent de destruction de l’environnement. Apparaissent les prises de
position écologistes, le catastrophisme, les visions apocalyptiques dont
le dernier exemple (et pas le seul) est Tchernobyl, illustré par le fameux
Fire in the Rain de P. Gould (1993).
Dans La face de la Terre, après avoir montré qu’environnement
« est revenu de l’anglais avec le sens écologique de cadre de vie »,
G. et Ph. Pinchemel posent qu’« il y a pratiquement identité entre milieu
et environnement » (p. 221). Identité qui néanmoins a des limites ; car
si le livre lui-même emploie fréquemment l’expression « environnement
naturel » et envisage à cet égard le thème de l’humanisation, il ne parle
pas d’« environnement géographique ». C’est en effet le terme de milieu
qu’il utilise au stade décisif, celui de l’intégration de la « double logique »
(milieu naturel/espace humain) qui produit cette synthèse que sont les
« milieux géographiques ».
Il apparaît pour A. Berque (Encyclopédie de géographie) que, si le
terme d’environnement est aujourd’hui d’usage courant dans la géogra-
phie d’expression française et qu’il ne semble pas poser de problème de
Définitions et concepts fondamentaux… ! 133

définition particulier, son importance conceptuelle est moindre que celle


d’espace, de milieu et de paysage qui focalisent les problématiques de la
géographie française.

Le milieu
C’est ce qui entoure, ce dans quoi une chose ou un être se trouve. La
nature qui nous entoure, les rapports que les hommes entretiennent entre
eux, l’univers technologique, le tout en interrelations. À partir du moment
où l’homme en prend conscience ainsi que de la fragilité des équilibres
engagés, il formule des jugements sur ce milieu de vie, sur lequel il agit et
dont les contraintes retentissent sur le comportement et l’état du groupe.

La notion de milieu chez Vidal


« Sous ce nom de milieu, cher à l’école de Taine, sous celui d’environnement,
d’emploi fréquent en Angleterre, ou même sous celui d’œcologie, que Haeckel
a introduit dans la langue des naturalistes – termes qui au fond reviennent à
la même idée –, c’est toujours la même préoccupation qui s’impose à l’esprit,
à mesure que se découvre davantage l’intime solidarité qui unit les choses et
les êtres. L’homme fait partie de cette chaîne ; et dans ses relations avec ce qui
l’environne, il est à la fois actif et passif, sans qu’il soit facile de déterminer en
la plupart des cas jusqu’à quel point il est, soit l’un, soit l’autre » (VIDAL DE LA
BLACHE P., Principes de géographie humaine, publiés par De Martonne d’après ses
manuscrits en 1921, chez Armand Colin).
Vidal part du principe que les faits de géographie humaine « sont en rapport avec
le milieu que crée, dans chaque partie de la Terre, la combinaison des conditions
physiques. Ce que met en lumière la géographie botanique et que décrit l’œcologie
qui étudie les mutuelles relations de tous les organismes vivant dans un seul et
même lieu, leur adaptation au milieu qui les environne » (HAECKEL E., 1868, Histoire
de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles, Paris, Reinwald). Un chapitre
du livre est consacré aux rapports entre « Les groupements et le milieu » qui insiste
sur « La force du milieu » : « Les habitants ont dû se mettre en complète harmonie
avec l’entourage et s’imprégner du milieu. »

Dans Mondes nouveaux (1990), pour R. Brunet, « l’espace géographique


contient […] le milieu, alors que la réciproque n’est pas vraie » (p. 37).
Marquée « d’extériorité, de passivité, de naturalité et d’unicité » (p. 36),
la notion de milieu est ainsi largement subsumée sous celle d’espace, l’es-
pace pouvant lui-même être milieu en tant qu’il est produit. Dans la seconde
partie de l’ouvrage, O. Dollfus parle des milieux physiques (ou naturels)
en tant qu’ils sont des « entités distinctes » (p. 311), avec les modelés, les
climats, les sols qui leur sont propres ; la perspective est néanmoins fort
134 ! Épistémologie et histoire de la géographie

voisine, car la « mosaïque des milieux » (p. 314), autrement dit « les distri-
butions qui résultent du jeu des forces de la nature, (et qui sont) dotées de
leur propre échelle de temps », sont considérées comme « un élément des
contraintes et des héritages inscrits dans l’espace » (p. 349).
La notion de milieu apparaît pour A. Berque (Encyclopédie de géogra-
phie) plus problématique que celle d’espace, du moins si on ne la restreint
pas au domaine dit physique ou naturel (à propos duquel les définitions
concordent). Cela justement dans la mesure où parler de « milieu géogra-
phique » implique d’intégrer le physique au social, le naturel au culturel
(VEYRET Y. et PECH P., L’homme et l’environnement, Paris, PUF, 1997).

Le paysage
Longtemps, milieu et paysage ont été associés, le paysage étant, à un
moment donné, le produit visible du milieu aménagé par l’homme. Ainsi
a-t-on évoqué dans la tradition de la géographie rurale le paysage d’open-
field ou de bocage. En géographie urbaine, et en particulier avec Lavedan,
le paysage prend une connotation fonctionnaliste et esthétique. La ville,
suivant les époques, est constituée de pleins et de vides, le bâti et les espaces
non construits, en fonction des exigences de la vie urbaine, les aires non
bâties servant à l’agriculture, à la circulation, aux loisirs… De ce rapport
naît un paysage urbain qui permet de différencier la Babylone ancienne
de la ville médiévale et moderne.
Avec la psychologie cognitive les géographes découvrent le caractère
subjectif de l’approche du paysage. La description, même la plus rigou-
reuse, d’un paysage régional, dépend du sujet qui perçoit, de ses interpré-
tations, de ses idéologies et de ses objectifs.
Mondes nouveaux (1990) définit le paysage comme « la forme du pays.
[…] Il a valeur de distinction globale. Il décrit une contrée, pour mieux
la distinguer de sa voisine. […] Le paysage est ce que l’on voit. Un peu
plus, pourtant : au-delà de l’apparence, il est signe et sème. Il a la dualité
du signifiant et du signifié. Il vaut pour lui-même, comme “vue”. Il vaut
pour ce qu’il exprime ou ce qu’on lui fait exprimer ; mais c’est aussi bien
le signifié que l’état d’âme du récepteur. […] Le paysage est aussi ce que
l’on imagine » (p. 24). Le traité prend ensuite position contre la réduction
du paysage au « sens naturaliste d’environnement », car « il n’y a pas de
paysage “naturel”, puisqu’il n’est de paysage que perçu » (p. 24).
En résultent valorisations ou dévalorisations, attachements ou rejets,
topophilie au topophobie (Yi Fu Tuan). La sémiologie paysagère a permis
de mieux connaître ces liens et de révéler les processus de valorisation et
de décodage d’un paysage. Il est vrai qu’à retrouver la Côte d’Azur sous la
Définitions et concepts fondamentaux… ! 135

palette de Cézanne, Bonnard ou Dufy, le géographe ne peut que s’interroger


sur l’apport qu’amènent la peinture, et tous les arts, en matière de paysage.
Telle est l’une des voies de recherche en matière de géographie humaniste.
Les travaux pionniers de Lynch sur la ville ont été les catalyseurs d’un
courant de pensée s’attachant à l’expérience paysagère pour mieux aména-
ger l’espace urbain. Le paysage produit par les sociétés, peut être pensé et
créé à travers des grilles de lecture, de façon volontariste. Ainsi passe-t-on
de la notion de paysage vécu à celle de paysage aménagé et aménageable de
la géographie active. Mais les choix ne sont pas aisés entre protection du
patrimoine et de l’environnement, souhaits de développement et évolution
des valeurs paysagères. Le paysage, concept géographique délicat à cerner
dans sa subjectivité, mais réalité visible, est source d’enjeux majeurs dans
nos sociétés.

La région
La région est également un des concepts de base de la géographie ; elle
appelle automatiquement régionalisation, régionalisme, aménagement
(régional), politique (régionale), école de géographie (régionale) et même
conseil (régional)… Ce concept, polysémique, peut s’éclairer par recours
à l’échelle : micro et macro-région, par des relations de solidarité, comme
cadre reconnu, y compris à l’échelle du temps. C’est un territoire repéré,
support de solidarités (physiques, culturelles ou économiques).
Qu’elle soit dite naturelle, physique, urbaine, polarisée, on n’en connaît
que rarement les limites, la taille, les contours exacts, elle devient pour
les besoins de la cause « euro-région » ou « petite région »… C’est un
niveau d’organisation de l’espace infra-national (ou supra-local), région
Europe, ou région Méditerranée ; la régionalisation est, en France, une
démarche, et le régionalisme relève souvent du militantisme. Aussi arti-
ficielle soit-elle, dans certains pays la région entre dans les mœurs des
populations et des géographes. Un des premiers exemples de production
« régionale » est fourni par la thèse de Demangeon sur la Picardie, en
1906. Le modèle dépend d’un cadre défini posant face-à-face l’homme
et le milieu qui guidera longtemps la production française. Le géographe
jouera pendant un bon demi-siècle le rôle du dernier des historiens
achevant un chef-d’œuvre. Mais on va découvrir que la région n’est pas
une donnée, qu’elle a des contenus très variables et quelques échelles
pour l’appréhender. La région méditerranéenne, comme aire de civilisa-
tion, bénéficie d’une individualité climatique plus ou moins réelle dans
ses bienfaits « touristiques », mais elle génère des courants estivaux
importants.
136 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Une typologie renouvelée éclaire le concept de région. La région vécue


renvoie au territoire de l’éthologue et au comportement animal par
rapport aux autres, à l’espace « vital », qui influence les comportements
face à la région-objet politique, terrain opérationnel pour techniciens et
lieu de revendication. La région enracinée propose un certain type de
rapports entre hommes et lieux dans les grandes civilisations paysannes
attachées à la terre, s’émiettant souvent en particularismes de « pays »,
parfois très petits. La région fluide, sans enracinement paysan, carac-
térise la plus grande partie du Tiers-Monde. Dans le delta intérieur du
Niger étudié par J. Gallais, le paysage géographique « objectif » impose
son unité, mais des hommes le vivent à leur manière, en l’assimilant à
leur propre organisation. La région fonctionnelle épouse le dogme de la
croissance de la production économique. Nous sommes devant un espace
plus qu’une région, espace des dirigeants au niveau supérieur des relations
internationales, des combinaisons financières et industrielles organisées
en nébuleuses denses autour des axes, des pôles et des mégalopoles.

Provence, Alpes, Côte d’Azur (PACA)


« Le nom de la région est si long et si hétéroclite qu’on le remplace, le plus
souvent, par le sigle PACA. Selon le Trésor du Félibrige de Mistral, “pacan”, en
provençal, signifie “vilain, manant, rustre, roturier”, ou, pour résumer, “personne
de basse extraction”. À en croire, pourtant, une récente enquête de l’Observatoire
interrégional du politique (OIP), la mémorisation de ce nom à rallonge ne cesse
de s’améliorer parmi les habitants… Ce problème de sémantique n’est pas sans
signification géopolitique. La région, en effet, souffre d’un manque d’unité
flagrant. Du littoral méditerranéen aux cimes alpines, culminant à plus de
4 000 mètres, elle est probablement la région française qui présente les reliefs les
plus divers et la plus grande variété de paysage. Avec une épine dorsale, la vallée
de la Durance, un axe méridien, le Rhône, et un trait d’union, la Méditerranée.
[…] Historiquement, elle ne peut se confondre avec l’ancienne Provence, plus
limitée, et dont les frontières ont d’ailleurs beaucoup varié dans le passé. »
PORTE G., « Un tour de France des régions. Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le Sud
extrême », Le Monde, 24 février 1992.

L’émergence de nouvelles régions continentales (région Europe,


région Amérique ou Asie, au sens des Nations unies) rendrait-elle la
géographie caduque, comme le prétend R. O’Brien dans son ouvrage
sur la fin de la géographie ? Ou, à l’inverse, l’essoufflement des États-
nations va-t-il rendre la géographie régionale plus pertinente, grâce à
la redécouverte des petites unités spatiales, par opposition aux vastes
régions continentales ? Aux nationalismes se substitue un renouveau
Définitions et concepts fondamentaux… ! 137

des régionalismes et de l’attachement territorial au pays. Les géographes


retrouvent ainsi une échelle d’analyse quelque peu délaissée par l’étude
des macro-espaces, et peuvent valoriser les concepts d’espace vécu et
d’attachement territorial.

Le territoire
À la fois comme entité géographique et comme support d’identité, le
territoire du géographe c’est l’espace, conforté d’un impérialisme qu’on
lui prête volontiers ou qu’il revendique ; espace d’appartenance, reconnu,
délimité, investi, finalisé, institutionnalisé : tout ce qui le clôt. Le territoire
conférerait une identité à toute entité spatiale comme espace approprié
selon une vision éthologique, au sens de balisage, de privatisation, de
domination. Occasion de parler d’« identification spatialisée », comme le
souligne C. Raffestin [1982] en une belle formule, « l’espace est un enjeu
du pouvoir, tandis que le territoire est un produit du pouvoir ».
Le géographe s’alimente du côté de l’éthologie à partir d’une connais-
sance des sociétés animales (HALL E. T., 1971, La dimension cachée, Paris,
Le Seuil), de la proxémie et de l’usage que l’homme fait de son espace, de
la psychosociologie selon ces territoires concentriques et successifs que
A. Moles a définis comme « coquilles de l’homme » (Psychosociologie de
l’espace, 1978, Paris L’Harmattan), ou du côté des sciences politiques pour
parler avec P. Alliès d’« une invention que nous avons fini par prendre pour
notre environnement naturel et spontané ». Le géographe, autrefois dispen-
sateur d’identité à travers ses interminables nomenclatures, n’utilise pas le
terme mais il use – et commence à abuser du territoire – après l’espace. Car
le territoire renvoie à une aire d’extension spatiale, un pouvoir, une centra-
tion matérialisée sur un support spatial en mailles, nœuds et réseaux. En
l’absence de conceptualisation, les préoccupations se sont d’abord portées
sur l’aménagement, leitmotiv de ces dernières décennies, avant de s’inter-
roger sur le territoire lui-même.

Le territoire, espace approprié


« Le territoire est une œuvre humaine. Il est un espace approprié. Approprié
se lit dans les deux sens : propre à soi et propre à quelque chose. Il est la base
géographique de l’existence sociale. Toute société a du territoire, produit du
territoire. En fait, elle a en géneral plusieurs territoires, voire une multitude :
pour habiter, pour travailler, pour se recréer et même pour rêver ; des espaces
vécus et des espaces subis ; des cellules locales et des réseaux ramifiés. »
BRUNET R., 1990, Le territoire dans les turbulences, Montpellier, RECLUS, coll.
« Géographiques ».
138 ! Épistémologie et histoire de la géographie

L’action essentielle de l’homme a pour effet immédiat et premier de


se graver sur l’espace et donc de produire du territoire à travers une
impression, des signes, des traces. L’interrogation centrale, en géogra-
phie, passe par l’articulation sociétés humaines/territoire (le « social »
et le « spatial »). L’outil opératoire en est l’échelle qui joue sur tous les
niveaux, du quartier au pays, du district à l’État.
L’étymologie nous aide à partir de territorium, territoire et terroir.
Le pomœrium délimite la première enceinte de Rome selon le vieux rite
italique, et Rémus mourra de ne pas avoir respecté le sillon qui le borne.
Le geste de Romulus condense toute la symbolique du territoire urbain :
le sillon devient rempart et décide de l’intra et de l’extra muros, du citoyen
et du « métèque » (sans droit de cité), du centre et de ses périphéries,
faubourg (foris burgus, en dehors du bourg) puis banlieue (territoire siège
de la juridiction du ban).
L’époque contemporaine est prodigue d’un vocabulaire stratégico-
militaire et ethno-culturel : le Territoire de Belfort est « la circonscrip-
tion administrative de l’est de la France correspondant à la partie du
Haut-Rhin restée française après 1871 ». Thiers est proclamé en 1873
« libérateur du territoire ». Les sédentaires vieillissants, chargés de la
défense du sol français, deviennent en 1872 nos « braves territoriaux ».
Le vieil arsenal colonial parle de territoire sous tutelle, sous mandat,
puis « dépendants », la périphrase remplace « colonie » avant les DOM
(Départements) et les TOM (Territoires d’outre-mer). Au Pakistan, les
« nouveaux territoires » sont des miettes d’empires. Des timbres per-
pétuent au travers du « territoire de l’Inini » une parcelle de métropole
en Guyane.
Le XXe siècle finissant parle d’aménagement du territoire, politique qui
redistribue les activités selon une planification régionale pour compenser
la rupture d’équilibres anciens dans les rapports ville-campagne et les
rapports sociaux. L’inflation récente de « territoire » se marque d’un quali-
ficatif : « des autres… sans lieu… sans nom… de la vie quotidienne… de
l’hiver… » selon les auteurs. Les leçons du territoire (1983) de J.-P. Ferrier
affirment que « La géographie, ça sert d’abord à parler du territoire ». Il
y a là matière nouvelle à condition de se dégager du vieux naturalisme
qui calque ses territoires sur les espaces « naturels » dans une harmonie
rassurante. « Le territoire, c’est quelque chose comme du temps cristal-
lisé » nous dit M. Marié.
Le passage de l’espace-enjeu au produit-territoire implique une reva-
lorisation de l’espace. Alors que l’espace est donné, on se reconnaît dans
le territoire que l’on a constitué. Mais le simple fait de vivre sur un même
territoire suffit-il à engendrer quelque solidarité ? On le laisse croire.
Définitions et concepts fondamentaux… ! 139

Les géographes se réfèrent volontiers à des structures sociales globali-


santes qu’ils croient déterminées par le territoire. Parmi elles, « les pays
industriels », « le Tiers-Monde », « l’Europe libérale », « les (anciennes)
démocraties populaires »…
Mais il est aussi des territoires sans limite, faits du quadrillage des
réseaux de la communication car l’ensemble des relations produisent
aussi du territoire. Enfin, au-delà de la distance euclidienne, se manifeste
la distance affective, qui en rajoute encore sur tout ce qui est considéré
comme approprié. Car le territoire s’appréhende aussi par les liaisons,
connexions, décisions qui dépassent la seule pratique du « concret ».
J.-L. Piveteau pose bien le problème lorsqu’il souligne que le terri-
toire relève à la fois d’une approche nomothétique et idiographique ; la
première, descendante car soucieuse de lois et régularités, donc valable
pour un ensemble, la deuxième, remontante car appuyée sur des singulari-
tés propres et reconnues. Le territoire, c’est aussi quand les convergences
l’emportent sur les divergences dans le même système social.
L’identité est le territoire plus autre chose, quand le désir de lieu
se manifeste chez l’homme frustré par la déterritorialisation. Ce désir
est un enracinement, par des liens étroits avec la nature, le terroir, le
groupe, le local, tout l’espace dans lequel il se meut. Un parcours, réel
ou imaginaire, de l’espace régional ou local, est parcours émotionnel.
L’espace est mémoire dans la mesure où les événements dont il a été la
scène font sens pour ceux qui l’habitent.
En psycho-sociologie, l’identité est reconnaissance sociale, en géogra-
phie, espace d’appartenance dans la définition : « caractère de ce qui est
identique » que soulignent les dictionnaires. Le besoin d’identité découle
de la complexification croissante de la société, de sa globalisation, à la
fois cause et conséquence d’une délocalisation de la décision, du pouvoir.
D’où la nécessité d’identité par rapport à un support d’identification, le
territoire, pour compenser l’affaiblissement dû à l’urbanisation et aux
migrations.

Pour finir avec les listes de concepts


Au-delà des concepts développés, ne perdons pas de vue le fait que la liste
des concepts présentés pourrait être très longue. Certains programmes
d’enseignement n’hésitent pas à traiter largement de concepts comme le montre
l’exemple qui suit.
140 ! Épistémologie et histoire de la géographie

Programme de géographie de l’Association des écoles internationales. Exemples d’objectifs et


d’application de l’étude de concepts : orientation et position géographique aux niveaux 1 et
2 (11 à 13 ans).
Concepts principaux Objectifs Exemples
Distance Évaluer les distances Distance de la maison
locales à l’école
Orientation Savoir se situer Déplacement en fonction
dans le milieu local du Soleil, des étoiles,
et d’autres espaces avec boussole
Utilisation de grilles
de latitude, longitude
Accessibilité Savoir évaluer le temps Évaluer les distances-temps
de déplacement sur des sujets précis
Étendue, surface Savoir mesurer Mesurer la surface
une étendue, surface de l’école, de la ville
avec des cartes
Localisation Localiser sa maison, Exercices sur des cartes
sa ville, sa région locales, régionales,
nationales
Échelle Comparer des documents Exercices sur cartes
photos à échelles et photos aériennes
différentes
État, nation, région Comparer Analyse de la relativité
des cartes politiques des unités locales
et administratives et régionales
Limite Comparer des cartes Analyser l’impact
d’une frontière proche
Territoire, lieu Étudier les toponymies Étudier les rapports
locales et leur sens toponymie-milieu
naturel-histoire
Réseau, ponts, Étudier les cartes routières Montrer un schéma
nœuds, flux et les schématiser du réseau routier

Les exemples ne sont qu’indicatifs, ils peuvent être choisis au niveau local
la première année, en relation avec des milieux différents la deuxième année
(milieux rural, urbain défavorisé, lointain).
BAILLY A., 1991, « La géographie dans les écoles internationales », in CHAM’S,
Enseigner la géographie en Europe, Paris/Montpellier, Anthropos/RECLUS, p. 177.

Lectures conseillées
Actes des Géopoint publiés par le Groupe Dupont depuis 1976. En 1978,
par exemple, Concepts et construits dans la géographie contemporaine, Avignon.
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd.
BERTHELOT J.-M. (dir.), 2012, Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF.
TROISIÈME PARTIE

Variations
géographiques

« – Quoi ! Quand je dis : “Nicole, apportez-moi


mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit”,
c’est de la prose ?
– Oui, Monsieur.
– Par ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je dis
de la prose sans que j’en susse rien ; et je vous suis
le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. »

Molière, Le Bourgeois gentilhomme,


1670, acte II, scène 4.

(Faire de la géographie comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c’est


emprunter tous ses chemins.)
Chapitre 11

La géographie
dans le champ des sciences

La géographie face aux autres sciences :


complémentarité et compétition
Le géographe (1668-1669), titre d’un tableau célèbre de Vermeer, repré-
sente tout aussi bien un astronome qu’un cartographe, comme le montre
G. Kampen dans « Vermeer, de Delft, cartographe » (Mappemonde, 1986,
n° 3, p. 9-12). Le tiers du tableau est constitué d’une mappemonde qui
s’ouvre sur l’univers grâce à la fenêtre qui l’éclaire, dans un jeu d’échelles
géographiques, de la pièce fermée vers le vaste monde. Image d’une géo-
graphie à la fois ouverte sur les autres sciences et fermée en enveloppes
successives, ce tableau révèle l’ambiguïté du discours géographique face
aux autres sciences : complémentarité et compétition…
L’idée du risque d’invasion de la géographie par les autres sciences a
prévalu dans l’approche des géographes du XIXe siècle et du début du
XXe siècle qui tentent de se constituer en discipline officielle, comme en
témoigne cette allocution de Lavisse (1885) à ses étudiants en Sorbonne :
« Monsieur le Doyen Himly dirigera cette année comme l’année dernière,
des exercices de leçons pédagogiques. Il vous apprendra, surtout par
l’application, les règles de la méthode d’exposition. Je sais… qu’il vous
prémunira contre l’invasion de la poésie, de la philosophie, de la statistique
et de l’économie politique, et qu’il vous empêchera de perdre de vue que la
géographie est la description de la Terre. » Cette vision a dominé pendant
des décennies, et c’est seulement maintenant que l’on peut citer dans des
ouvrages de géographie Éluard ou Prévert, rejetés à la fois par ceux qui
pensent que la surface d’érosion ou le dépôt corrélatif sont l’essentiel, et
par ceux pour qui, à l’inverse, la géographie est magazine pour aérogare
ou jeu télévisé. Heureusement, la géographie est sortie de ce ghetto.
144 ! Variations géographiques

L’Encyclopédie de géographie (1992) s’ouvre par un volume, « La géogra-


phie dans le champ des sciences », l’écologie, la sociologie, l’histoire,
les sciences de la nature, l’économie, la psychologie, l’anthropologie,
l’archéologie, la littérature, la linguistique et la statistique. Certes, nous
ne traiterons pas ici de toutes ces disciplines, mais nous les regrouperons
en sciences naturelles et sciences de la société dans l’esprit de la commu-
nication de Karl Ritter (1833) à l’Académie royale des sciences :

« Il est grave en effet qu’une science, quelle qu’elle soit, ait besoin d’être stimulée
artificiellement par les autres sciences et de vivre d’emprunts… La géographie
scientifique doit donc s’intéresser : d’abord aux proportions arithmétiques des
espaces…, ensuite à leurs proportions géométriques… Cependant, elle s’intéres-
sera au contenu des espaces non pas du point de vue de la structure, de la forme
et des forces inhérentes au matériau en soi ou sous l’angle des lois naturelles
auxquelles elle obéit ; ce sont les différentes branches des sciences naturelles, la
physique et la chimie qui s’y emploient. »
RITTER K., 1974, p. 134-135,
tiré de Du facteur historique dans la géographie en tant que science
Communication à l’Académie royale des Sciences de Berlin du 10 janvier 1833.

Les rapports sont souvent à sens unique, dissymétriques, car on prête


plus qu’on n’avoue emprunter, et il en résulte parfois une perte d’identité.
Ainsi, dans les établissements scolaires en France, histoire et géographie,
« hist. » et « géo » sont-ils dispensés par le même enseignant. Maîtresse
et servante ne font cependant pas le même usage, la seconde, chargée
surtout de composer des « tableaux », si possible physiques, à l’usage de
la première, en tout cas pour les historiens à l’ancienne mode.

Les ponts avec le savoir


Quoi de commun à la géographie et aux autres sciences ? Une naissance
« forcément » méditerranéenne, nous l’avons vu, puisqu’elles sont issues
des Grecs et des Romains. D’où une géographie bien particulière, anté-
rieure à ce que l’on considérera plus tard comme relevant d’un système
d’érosion « normale », c’est-à-dire propre aux pays tempérés. La base
est constituée d’une mer fermée, encombrée de deltas car non vidangée
par les marées, souvent enchâssée dans un bâti calcaire, de mise en place
récente et donc soumise à des soubresauts que signalent les nombreux
appareils volcaniques.
Cette limitation dans l’espace est très réductrice, puisque l’on ne connaît
rien ou presque des autres foyers culturels, dont on saura plus tard qu’ils
La géographie dans le champ des sciences ! 145

ont existé, en Chine, en Amérique ou en Inde. Sans perdre de vue que


l’absence de procédés de reproduction, de multiplication graphique autre
que la copie et plus tard la gravure, ne facilite pas la diffusion de connais-
sances parfois jalousement gardées. On progressera plus tard en compa-
rant, en cartographiant et en utilisant des textes fondamentaux.
Ainsi, l’Histoire naturelle de Pline aura cours jusqu’au XVIIIe siècle.
D’où la nécessité, autant que possible, de recourir aux textes originaux,
de les « caler » dans leur temps, de les situer dans une chronologie,
de démonter la logique des différentes théories. Sans délaisser, bien au
contraire, tout le récit qui relève des représentations, et en tout premier
lieu de la Bible. La Création, le Déluge, sont les fondements de la géolo-
gie, et le récit biblique se prolonge d’une façon ou d’une autre chez les
auteurs postérieurs.

Le vieux problème des sciences naturelles


Deux simples colonnes permettent de poser un certain nombre de ques-
tions nées de rapports entre :

SCIENCES DE LA NATURE GÉOGRAPHIE


Les catalogues de spécialités se recoupent souvent.
Physique du globe Morphologie
Physique de l’atmosphère géophysique
Météorologie Climat
Chimie
Minéralogie Sous-sol
Géologie
Pédologie Sol
Botanique Végétation
Biologie végétale
Biologie animale Faune
Hydrologie Mer, lac, fleuve
Les objets concernés passent facilement d’une discipline à l’autre.
Écosystème Terrain
Environnement Paysage
La marge est très mince entre les méthodes de l’une et de l’autre.
Observer Décrire un terrain
Classer Localiser
Hiérarchiser Faire des typologies

La lecture des deux colonnes pose le problème des spécificités et des


liens entre géologie, géomorphologie et géographie, en fait des rapports
science de la nature-géographie ; la géographie physique étant souvent
146 ! Variations géographiques

définie comme la branche « naturaliste » de la discipline. C. et G. Bertrand


[1995] résument clairement le postulat fondateur de la géographie : « Pas
de géographie sans nature, pas de nature sans géographie. » Cette part
du naturel, surestimée à l’époque environnementaliste, a donné lieu à de
multiples débats sur l’analogie, le réductionnisme, et les rapports socié-
tés-milieux de vie.
Avec le Traité de géographie physique (1910) de De Martonne, la géogra-
phie physique s’installe à l’image des sciences naturelles : données géolo-
giques, climatiques, botaniques, pédologiques, sont injectées dans le
discours du géographe. D’où une juxtaposition de chapitres selon le plan
à tiroir si caractéristique des thèses de géographie régionale, et l’expansion
de la géomorphologie en tant que base de toute géographie. L’analyse du
relief et de ses modèles, en général grâce à la carte, devient centrale à la
géographie. Dans l’enseignement, cela se traduit par ce que G. Bertrand
appelle « le syndrome de la cuesta », qui se marque par la place fonda-
mentale prise par le commentaire de carte.
Face à ce puissant courant géomorphologique, les tentatives d’une
biogéographie et d’une géographie physique globale proches de l’écolo-
gie et des sciences botaniques, resteront longtemps marginales jusqu’à
l’époque où l’écologie moderne devient à la mode. L’écologie scientifique
qui se développe dès les années 1950 dans les pays anglo-saxons, marque
alors la pensée géographique replaçant le « naturel » au cœur du débat
social. Construire un paradigme d’interface entre la société et la nature,
tel est le projet de géographes comme G. Bertrand et G. Rougerie qui
fondent leur analyse sur trois concepts, géosystème, territoire et paysage.
On le constate, les problèmes liés à l’environnement ouvrent la géographie
physique aux sciences de la société, à une vision géographique globale qui
l’éloigne de la géomorphologie.

Deux textes sur le monde méditerranéen


« La mise en valeur forestière de la garrigue est une question bien connue depuis
l’œuvre de Ch. Flahault. Ses données en sont complexes. Sur le plan administratif
les pouvoirs compétents n’ont pas cru devoir accorder aux garrigues le régime de
mise en valeur par l’État qui a donné de si bons résultats dans les Landes et les
Alpes… Légitimer cette prise de position nouvelle ne peut malheureusement pas
se faire d’un strict point de vue économique » (DUGRAND R., 1964, La Garrigue
montpelliéraine, essai d’explication d’un paysage, Paris, PUF, p. 254).
« Le pourtour méditerranéen se trouve être, pour les chercheurs des sciences
sociales comme d’ailleurs des sciences naturelles, un espace privilégié de
couples contradictoires. Dès qu’un phénomène, une constante, une tendance
sont identifiés, surgissent à leurs côtés leurs parfaits contraires. L’interprétation
La géographie dans le champ des sciences ! 147

se trouve ainsi ballottée entre deux pôles et le chercheur contraint à produire


une analyse balancée, ponctuée de “oui, mais…” En veut-on les plus évidents
et banals des exemples ? S’agissant de climat, douceur et violence s’imposent
sur un même plan ; s’agissant de géographie, diversité et unité ; s’agissant
de valeurs, honneur et crime ; s’agissant d’histoire, continuité et ruptures »
(KAYSER B. (dir.), 1986, Les sociétés rurales de la Méditerranée, recueil de textes anglo-
américains, Paris, Édisud, p. 17).

Géographie et sciences de la société


Parmi les sciences qui ont profondément marqué la géographie, celles
touchant à la société occupent également une place majeure : « En tout
temps, la géographie est une science politique dans la mesure où elle
fournit les informations sur lesquelles se construit l’action ; c’est aussi
une science morale parce qu’elle donne les orientations du comportement
quotidien. Mais être une science politique n’est pas être une politique, être
une science morale n’est pas être une morale : c’est beaucoup plus une
philosophie de l’existence dans ses contingences spatiales » (GEORGE P.,
1990, « Finalité de la géographie », Encyclopædia universalis, Symposium,
p. 1016-1023).
Nous aborderons, à titre d’exemple, trois de ces sciences sociales, l’an-
thropologie, la sociologie et l’histoire.

L’anthropologie et l’ethnologie
La discipline, de longue date proche de la géographie, est bien l’anthro-
pologie, puisque cette science travaille sur les sociétés et leurs relations
sociales. Du fait de la parenté entre sociétés et territoires, les approches
des deux disciplines peuvent s’associer autour de concepts tels ceux de
parenté, alliance et localité. Les ethnologues donnent sens au patrimoine
et aux traditions populaires, ils fournissent des conseils aux administra-
tions et aux gouvernements, en particulier à l’époque coloniale, ils ap-
portent des connaissances sur le fonctionnement des sociétés, pendant
que les géographes approfondissent l’objet régional. Il n’est pas surprenant
de constater que dès 1799-1803 les travaux de la Société des observateurs
de l’homme, qui traitent de l’« apprentissage de la langue des naturels
et (de) l’observation participante », influencent les géographes. L’abbé
Grégoire (1750-1831) rédige une série de Questions relatives aux patois
et aux mœurs des gens de campagne dès août 1790. En 1846, Thoms crée
« folklore » et au début du XIXe siècle apparaît en Allemagne la science
du peuple, « Volkskunde ».
148 ! Variations géographiques

Nature et Loi apparaissent alors comme des termes opposés, deux


à deux.
Nature Loi
Sensibilité territoriale Administration centralisée
Ruralité Règlements juridiques
Mœurs traditionnelles Codes de société

Éternel paysan ! Le fonds culturel et la sagesse caractérisent un paysan


sorti du monde animal. Balzac et Sand le fondent en tant qu’objet spéci-
fique, comme être merveilleux et comme être de société. L’intérêt est
longtemps pour les paysans ; c’est de lui qu’il s’agit lorsque l’on parle de
coutumes du peuple, du local, du traditionnel, de l’archaïque, tout ce qui
va bien à une certaine géographie. Les sociétés se multiplient : Société
ethnologique de Paris en 1839, École anthropologique de Paris, 1859,
Ethnological Society of London, 1843, Zeitschrift für Völkerpsychologie,
1859. Les sociétés européennes se consacrent désormais à la description
de mœurs, de coutumes, que l’on compare et classifie.
Le XIXe siècle est ainsi riche en ouvrages sur le thème. En 1826, A. Balbi
publie l’Atlas ethnographique du globe (Paris, Rey et Gravier), en 1855,
F. Le Play, Les ouvriers européens. Études sur les travaux, la vie domestique
et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précédées
d’un exposé de la méthode d’observation (Paris, Imprimerie impériale), en
1856, L. De Chesnel un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et
traditions populaires (Paris, J.-P. Migne) où sont exposées les croyances
superstitieuses répandues surtout dans les populations agricoles et mari-
times.

La sociologie
La sociologie, par contre, n’influence guère les géographes, même si elle
étudie les groupements humains, leurs organisations, leurs formes de
sociabilité et d’identité. Les géographes du début du XXe siècle se voulaient
naturalistes avant tout et les sociologues de l’école de Durkheim avaient
beau jeu de leur reprocher de faire une part trop belle à l’environnement et
aux fondements naturels des pratiques sociales. La querelle entre durkhei-
miens et vidaliens marquera pendant près d’un demi-siècle les rapports
entre les deux disciplines.

Pierre George, Sociologie et géographie, Paris, PUF, 1966


« La géographie, définie comme “science humaine”, a pour objet l’étude globale
et différentielle de tout ce qui conditionne et de tout ce qui intéresse la vie des
diverses collectivités humaines constituant la masse du globe. Elle déborde la
La géographie dans le champ des sciences ! 149

compétence des autres sciences humaines, y compris la sociologie en se définissant


comme recherche de toutes les corrélations et de toutes les causalités concernant
la situation actuelle et les virtualités de ces collectivités » (p. 4).

Et pourtant aux États-Unis, l’École de Chicago, par ses modèles d’écolo-


gie urbaine, commence à influencer les géographes anglo-saxons. Burgess
évoque les processus d’invasion, de succession et de compétition entre les
groupes sociaux urbains. M. Sorre s’en souviendra pour écrire, en 1957,
Les rencontres de la géographie et de la sociologie (Paris, Rivière).
Il faut mettre en confrontation cette sociologie très empirique qui parle
de pouvoir, de revenus, de capital, et l’autre monde, celui des pays moins
avancés où l’on raisonne en termes de genre de vie, en laissant de côté les
réflexions sur les relations à la ville. Cela dans la ligne de Vidal qui, dans
les Principes de géographie humaine (1922), insiste sur les genres de vie
parce qu’ils proposent une étude comparée des groupes et des milieux ;
une géographie binaire si commode en son temps.
Dans les années 1950, les travaux de Chombart de Lauwe, souvent cités,
illustrent bien une approche à la fois géographique et sociologique, celle
des ségrégations dans l’espace : l’ouvrier et la bourgeoise du XVIe siècle
dont les aires de déplacement ont peu de chances de se recouper. La
géographie se fera la caisse de résonance de ces travaux qui commencent
à s’apparenter à ceux de D. Harvey (1972) et de l’approche radicale aux
États-Unis. Les sociologues se consacrent alors plus à l’espace et les
géographes aux phénomènes sociaux à travers la recherche de toutes
les interrelations possibles. Le marxisme inspire des sociologues comme
Lefebvre, Castells, les économistes et les géographes, surtout urbains.

L’histoire
Le cas de l’histoire est particulier, car si dans la tradition française existe un
lien étroit entre histoire et géographie, la géographie étant un peu le « reje-
ton » de l’histoire, tel n’est pas le cas dans d’autres pays où la géographie est
intégrée aux facultés de sciences naturelles, et même d’économie. Voyons
donc ce cas français. La géographie au péril de l’histoire ? On laissera de
côté tout long développement, sans perdre de vue que le XIXe siècle est
d’abord le siècle de l’histoire et des historiens. Et cela n’est pas nouveau.
Rappelons la publication en 1817 de La géographie dans ses rapports avec la
nature et l’histoire de l’homme par Ritter. Or l’influence de l’Allemagne est
prépondérante, elle constitue un modèle pour les géographes.
Pour cette histoire, la géographie reste décor et support, un lieu
pour camper le récit dans lequel les acteurs jouent la pièce. En d’autres
termes, un complément. D’autant que l’historien affirme volontiers que
150 ! Variations géographiques

la géographie n’est que l’histoire actuelle et que le géographe remonte


volontiers le passé pensant qu’il peut à travers lui expliquer le présent.
« La géographie m’a toujours tenté. L’histoire ne peut s’en passer. Je
voudrais faire une géographie à la fois physique et politique… On y ferait
le matérialisme de l’histoire… On insisterait sur les circonstances phy-
siologiques, physiques, botaniques, zoologiques, minéralogiques, qui
peuvent expliquer l’histoire. » Ce texte de Michelet illustre bien le rôle
des géographes : introduire les collections historiques, ce qui est le cas
pour celle de Michelet (1833) comme pour celle de Lavisse qui débute par
le Tableau de la géographie de la France de Vidal. Cette géographie sert à
présenter la formation territoriale des États, l’habitat et le peuplement.
Une place privilégiée est donnée au paysage rural ; le livre de Bloch sur
l’histoire rurale française (1931) montre l’importance de ce lien qui met en
valeur la France comme « être géographique ». Avec l’introduction de la
« géohistoire » et du temps long de Braudel, ces rapports se renforceront,
le milieu étant considéré comme l’un des éléments constitutifs des socié-
tés. Même si la Nouvelle géographie modélisatrice et quantitative s’éloigne
de cette histoire, la proximité subsiste grâce à la géographie politique qui
considère les frontières comme du « temps inscrit dans l’espace » et à
la « Time Geography » qui parle de l’histoire comme une succession de
géographies. Le dialogue se poursuit donc, toujours aussi délicat, mais
tenace, ce qui illustre les intérêts réciproques des deux disciplines.

Économie, mathématiques et géographie


Ces disciplines constituent un cas à part vu leur faible interaction avec
la géographie au XIXe et au début du XXe siècle et leur vive influence
actuelle. Jusqu’en 1950, les économistes ne manifestent aucun intérêt
pour une discipline qui se consacre à des inventaires régionaux ou natio-
naux, alors que leur objectif est la construction de théories et de lois.
L’économie explique la façon dont les hommes produisent, échangent,
distribuent, en employant ressources naturelles, humaines, techniques et
financières. Pourtant, à regarder l’évolution de l’économie, on constate des
liens potentiels, mais inexploités. Smith travaille déjà sur des questions de
localisations et d’avantages comparatifs, sans mentionner les Weber, les
Lösch qui modélisaient la minimisation des coûts dans le choix d’un site.
C’est par l’Allemagne et les États-Unis que leurs travaux seront connus des
géographes. Quelques-uns parmi eux, Hoover et Christaller, se lanceront
dès les années 1930 dans des recherches parallèles sur les localisations
industrielles et urbaines. Mais leur influence, sur le plan de la démarche
scientifique, des méthodes et du type d’analyse, ne pénétrera la géographie
La géographie dans le champ des sciences ! 151

qu’à partir des années 1950. La convergence se manifeste avec la Nouvelle


géographie et la science régionale qui souhaitent expliquer et modéliser
le développement économique régional pour réduire les disparités. Ce
courant donnera naissance à de nombreux travaux sur l’organisation éco-
nomique dans l’espace et l’évaluation des interactions spatiales.
C’est ce qu’a fait Waldo Tobler depuis sa présentation, en 1969, à
l’Union géographique internationale, de la première loi de la géographie :
« Everything is related to everything else, but near things are more related than
distant things. » Derrière cet intitulé simple en apparence, Tobler pouvait
analyser les éléments de dépendance spatiale et d’autocorrélation spatiale.
Sans friction de la distance tout serait chaos disait-il… On connaît moins sa
deuxième loi : « The phenomenon external to an area of interest affects what
goes on inside », qui pourtant est aussi fondamentale pour la cartographie.
Cette convergence n’aurait pu émerger sans un accord sur l’utilisation
de la démarche déductive, de la modélisation formelle, de la statistique et
des mathématiques. Rappelons simplement les différentes mesures, de la
statistique aux ordres de grandeur. Les constructions graphiques : courbes,
graphiques, diagrammes, sont en partie les mêmes. Ajoutons les coor-
données d’un point, les proportionnalités, les taux, les échelles. Densités,
amplitudes, distances, surfaces et volumes en font également partie. On a
longtemps confondu statistique et mathématiques mais « bien plus simple-
ment, la statistique est un ensemble de principes et de techniques mathéma-
tiques, reliés à certaines théories probabilistes. Les principes de la statistique
peuvent fournir un cadre logique pour le raisonnement – on dit encore
un modèle –, c’est-à-dire une manière particulière de concevoir certaines
relations et de les formuler » (EHRLICH S. et FLAMENT C., 1970, Précis de
statistique, Paris, PUF). L’ouvrage s’ouvre ainsi : « La statistique reste pour
bien de nos contemporains un objet de foi. Comme pour l’astrologie, on y
croit ou on n’y croit pas. Les optimistes y trouvent des moyens magiques. »
Même si les réticences restent nombreuses face à ce courant quanti-
tatif, en particulier dans les pays où la géographie vit dans la mouvance
de disciplines littéraires, la statistique est devenue l’un des outils de base
de la géographie qui peut ainsi dénombrer, classer, interpréter, calcu-
ler. L’analyse des distributions dans l’espace, en termes de dispersion
ou de concentration, permet d’élaborer des matrices d’information
géographique. De là aux systèmes d’information géographique (SIG),
aux systèmes de gestion de bases de données, à la cartographie assistée
par ordinateur, il n’y avait qu’un pas à franchir. Rendre les observations
géographiques susceptibles du même type d’analyses objectives que celles
effectuées sur des données temporelles, comme en sciences naturelles,
est l’un des objectifs de cette interdisciplinarité. Une grande part de la
chimie moderne requiert également de l’analyse spatiale, ainsi il y a un
152 ! Variations géographiques

sens à utiliser des méthodes, sinon identiques, du moins semblables à


celles utilisées dans les sciences physiques, spécialement la géophysique,
mais appliquées à des sujets qui intéressent les géographes humains. La
définition de la géographie, selon W. Tobler, est « l’étude des processus
qui affectent l’arrangement des gens à la surface de la Terre ». Ceci est
son guide pour les thèmes à étudier, assez voisin du dicton « l’étude la
plus juste de l’humanité est celle consacrée à l’homme ». De nombreux
départements de géographie, d’abord dans les pays nordiques et anglo-
saxons l’ont fait, prouvant que l’interdisciplinarité a un rôle fondamental
à jouer dans l’évolution de la géographie.

Lectures conseillées
BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), 1995, Encyclopédie de géographie, Paris,
Economica. Chapitre 7 : « La géographie et les sciences de la nature », par C. et
G. BERTRAND ; chapitre 11 : « Géographie et anthropologie », par G. SAUTTER ;
chapitre 16 : « Les modèles en géographie », par F. DURAND-DASTÈS. Et l’essentiel
des chapitres de la première partie de cette encyclopédie.
LÉVY J., 1994, L’espace légitime, Paris, Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques.
ROUGERIE G., 2000, L’homme et son milieu, Paris, Nathan.
VEYRET Y. et CIATTONI A., 2011, Géo-environnement, Paris, Armand Colin.
VEYRET Y. et PECH P., 1993, L’homme et l’environnement, Paris, PUF.
Chapitre 12

Géométries et symboles,
signes d’une permanence

LE GÉOGRAPHE, comme tout chercheur en sciences humaines, se trouve


confronté à un monde complexe, véritable chaos de pratiques spatiales ;
s’il veut en comprendre la création, l’évolution, s’il veut chercher de l’ordre
dans ce chaos, il doit s’intéresser non seulement aux processus visibles
mais aussi à la symbolique des lieux, leurs aspects mythiques, leurs conno-
tations subjectives.
La géographie puise sa richesse dans l’analyse d’un mélange perma-
nent de réel et d’imaginaire. Il serait erroné de croire que, dans la société
contemporaine, l’homme devenu mobile perd ses racines en vivant dans
des environnements de plus en plus homogènes. Nombre d’écoles de
géographie ont travaillé sur la symbolique des lieux de nos vies contempo-
raines et leur épaisseur poétique. Un des maux fondamentaux qui a long-
temps touché la géographie, c’est d’avoir minimisé le rôle des images et
des mythes au profit de visions descriptives ou fonctionnalistes aseptisées.
En intégrant le signifié spatial et sa symbolique, les lieux, même les plus
modernes, se révèlent dans toute leur richesse à ceux qui les étudient. Non
seulement sont découvertes les relations sujet-société-lieux, mais aussi
les valorisations sociales collectives et les mythes spatiaux qui traversent
la géographie de l’époque des fondateurs grecs à nos jours.

Le musée imaginaire
André Malraux – habile décodeur de mythes et symboles – a introduit
la notion de « musée imaginaire », ensemble des images que la mémoire
rappelle et reconstitue aussitôt que mention est faite d’un lieu, d’un monu-
ment, d’un paysage… Le musée imaginaire se constitue par observation
directe – le « vécu » – ou indirectement, par information orale ou visuelle.
154 ! Variations géographiques

Par exemple, on peut posséder une image mentale d’un lieu, uniquement
sur la base d’un souvenir ou d’une interprétation. Le « musée imaginaire
collectif » est le répertoire des images connues ; et dans le fichier de ce
« musée imaginaire » figurent en premier lieu les cartes, créées et élabo-
rées au cours de l’histoire, les informations livrées par les Géographies
universelles et les manuels de base.
Au IIIe siècle av. J.-C., le monde d’Ératosthène, cartographié par
Ptolémée, livre un premier message universel. La Terre est plate, entou-
rée d’eau, centrée sur le monde méditérranéen, des colonnes d’Hercule à
l’Indus, soit la trace des expéditions d’Alexandre. On imagine un conti-
nent au-delà de l’océan Indien ; le reste n’est pas représenté, ni imaginé.
Peu de changement à la période romaine ; le monde s’organise en
auréoles successives déformées en ellipse qui se calquent sur les contours
de la Méditerranée. La colonne milliaire, point de départ des grands axes
à partir de Rome, en est le centre. Rome et l’ordre romain qui en découle
est « une île », centre du monde dit « civilisé ». Puis vient le domaine où
s’exerce la loi romaine jusqu’au limes. Ces cartes s’apparentent au modèle
de l’Urbs, avec son umbilicus ou centre sacré, entouré d’édifices publics
et religieux, du forum et de son axe sacré inclus dans l’enceinte du pomœ-
rium. Les deux cas mettent bien en évidence la domination spatiale des
Romains.
Si le modèle romain, fonctionnaliste, voué au contrôle des itinéraires
militaires et commerciaux, souligne bien le souci de la route, de l’étape
et de la distance, le monde clos du Moyen Âge s’articule de façon reli-
gieuse sur le modèle dit « T dans l’O », autour du T qui est la croix, et
du O du monde connu. L’« Orbis terrarum » est tripartite, accolant l’Asie
de Sem, l’Europe de Japhet, l’Afrique de Cham, fils de Noé (A. Ferras,
1993). Mythes religieux et représentations spatiales s’articulent dans un
écheveau complexe ; pas de quête de « scientificité » au sens moderne du
terme, science et religion sont imbriquées dans des représentations qui
juxtaposent réel connu et sacré.
Avec les grandes découvertes, les représentations de la cosmographie
chrétienne de l’Occident font place à la recherche de repères pour faci-
liter la navigation. L’Europe se frange de côtes dessinées avec précision,
l’Afrique s’ourle de caps et de ports, le monde entier apparaît en forme de
tracés de plus en plus nets, même si l’orientation des cartes peut encore
varier. Il faudra cependant attendre le XIXe siècle pour que des règles
strictes soient apportées par les cartographes, et qu’ainsi les représen-
tations deviennent de plus en plus codées, de plus en plus scientifiques,
même si ce codage n’est pas dépourvu d’idéologies [GOULD et BAILLY,
1995].
Géométries et symboles, signes d’une permanence ! 155

Mythologies, géométries,
cosmogonies dans la cartographie
Les idéologies se révèlent dans le choix des géométries et des cosmogonies.
Qui oublie le sens profond de la ligne droite ou du cercle aura donc du mal
à saisir comment les représentations cartographiques à travers l’histoire
utilisent à la fois des données primitives et des principes éternels ; ainsi la
droite, symbole de l’ordre, s’oppose au désordre naturel. Le jeu de toutes
les sociétés a consisté à poser des jalons dans l’espace, pierres tombales,
bornes kilométriques… montrant que la distance n’est jamais un objet
autonome, mais partie intégrante des représentations spatiales. Le cercle,
symbole du retour, du cycle des saisons, est aussi un signifié, celui de
l’astre solaire et de la lune qui rythme la vie terrestre. Du jeu permanent
du cercle, du carré, dérivent ainsi nos représentations cartographiques.
La conjonction cercle-carré relie l’humanité à la divinité, tout comme le
cube et la coupole matérialisent la Terre et le ciel.
Le cercle, sans début ni fin, constitue une limite magique, l’enclos,
l’enceinte, la protection autour du temple. Le centre, lieu de concen-
tration du pouvoir, organise comme un point fort le départ de cercles
concentriques de moins en moins connus illustrant des phénomènes dont
l’intensité décroît avec l’éloignement.
Le carré, ancré sur quatre côtés, exprime la solidité du camp militaire, de
la place publique qui en dérive dans la ville romaine et assure la synthèse de
quatre éléments : Aphrodite, l’eau, Hestia, le feu, Demeter, la terre, Hera,
l’air ; ajoutons à la liste les quatre évangiles, les quatre fleuves du Paradis.
Au centre du carré, la croix est base de tous les symboles d’orientation.
Le carrefour est la croisée des chemins, le lieu de prise de décision, une
sorte de centre du monde. Lieu des épiphanies et des mauvais génies que
l’on doit dompter par la croix, l’autel, la pierre dressée, lieu d’offrandes et
de recueillement dans les campagnes. Œdipe y croise son père qu’il tue,
après être parti pour fuir son destin. S’ajoutant à ces géométries de base, le
triangle symbolise l’harmonie, les proportions ; il permet le découpage de
nombreuses figures. Pointe en haut désigne le feu, pointe en bas l’eau ; le
« delta lumineux » de la symbolique maçonnique, par allusion à la forme
de la majuscule grecque, distingue entre la base qui est la durée et les deux
côtés, des ténèbres et de la lumière.
Chaque carte découle ainsi de la superposition de codes complexes dont
il faut démêler la nature. Quelle que soit sa complexité, elle se ramène à
des modèles simples, illustrant ce qui est jugé important, à une époque
donnée. C’est ainsi, en révélant toute la richesse de la cartographie, que
la géographie trouve son sens et son intérêt que prolonge actuellement
l’utilisation des cartes mentales.
156 ! Variations géographiques

Images mentales et cartes mentales


Une carte mentale est la représentation qu’une personne donne de son
environnement spatial ; elle permet de fixer les images d’une aire don-
née et de comprendre la connaissance de l’espace. L’idée, introduite par
les psychologues, a été développée par des géographes, en particulier
P. Gould (1966). Loin d’être seulement une curiosité géographique, ces
cartes nous éclairent sur l’imaginaire individuel et collectif et la concep-
tion que nous avons du monde, conception qui sert de base à beaucoup
de nos comportements, tant au niveau de nos choix d’itinéraires qu’au
niveau de nos préférences spatiales.
Chaque individu établit dans son espace de vie des relations de nature
topographique, sentimentale et affective ; il élabore dans sa tête une
« carte » des lieux, du domaine quotidien parcouru chaque jour aux
espaces de plus en plus lointains puis inconnus. Riche ou sommaire, senti-
mentale ou traumatisante, cette carte n’a souvent rien à voir avec une carte
topographique ou un plan géométrique, mais elle s’en apparente par ses
fonctions. La carte mentale est ainsi un produit complexe que l’individu
n’explicite pas car il n’éprouve pas le besoin de décrire son propre fonc-
tionnement spatial. Un tel effort de réflexion sur l’espace familier resterait
en outre partiel, car nombre d’éléments qui lui paraissent « naturels »
sont en fait culturels.
Le dépouillement des cartes mentales réalisées commence souvent par
l’étude des principales orientations et des axes structurants. Les limites du
territoire, représentant un deuxième élément d’information, peuvent être
précises, appuyées sur un élément naturel fort (relief, fleuve, ou autre) ou
un élément bâti, ou une borne frontière non dite. Elles peuvent aussi être
floues ou absentes. Ce modèle est à rapprocher de la structure générale de
la carte conçue soit de façon circulaire, autour d’un point, soit de manière
linéaire, soit bien encadrée, comme les murs d’une maison.
Les repères représentent les éléments fondamentaux de l’organisa-
tion de la carte. Interviennent ici les éléments naturels. Rentrent dans
cette catégorie les noms de villes, de rues, de pays, toute la toponymie,
si riche de sens, les allusions aux sentiments (« ma » maison, « mon »
quartier, « mon » école), à la fois éléments de repérage et lieux chargés
d’affectivité.
Un autre élément d’information à prendre en compte est constitué par
les éléments d’organisation et de structuration de l’espace. Rues, routes,
chemins, trajets s’organisent selon des axes valorisant ou déformant
l’espace « objectif ». Les points d’intersection représentent des nœuds,
éléments majeurs d’une structuration de l’espace dont le rôle dans
l’élaboration de modèles est essentiel.
Géométries et symboles, signes d’une permanence ! 157

Le sujet et son milieu de vie


La géographie n’a donc jamais su se satisfaire de la contemplation des
seules réalités visibles. Le paysage, par exemple et entre autres, matéria-
lise la relation établie entre un sujet vivant en société et un certain milieu
de vie. Or, cette relation varie avec le sujet, car la perception est victime
d’a priori culturels. La vision de l’architecte, celle de l’ingénieur, celle du
peintre, celle du gestionnaire, celle du géographe sont différentes de celle
des usagers de la ville. Ainsi, le paysage ne peut-il être qualifié et classé
dans une typologie géographique qu’en considération de tous les éléments
invisibles qui lui donnent un sens.
Chaque paysage, devenant substance sociale, se charge d’affectivité,
une dimension trop souvent occultée. Il est alors triple, à la fois maté-
riel, marchandise économique et symbole, d’où sa valeur mentale. De
ces aspects naissent les conflits pour son utilisation entre acteurs ayant
des valorisations différentes, conflits étudiés par les géographes critiques.
Comment ne pas comprendre l’opposition entre l’ingénieur pour qui
l’espace urbain est un cadre fonctionnel à améliorer grâce à des réno-
vations et la personne âgée, attachée à son logement vieillot dans lequel
elle a longtemps vécu et où elle peut revivre son passé ?
Il ne peut exister une seule vision d’un paysage, beauté et laideur nous
renvoient à l’homme, et le bâtiment le plus délabré deviendra superbe
selon les cas, riche, doté d’une « âme ». Il suffit d’une émotion, d’un
souvenir, parfois d’un petit rien, pour que le paysage se mette à vivre.
Ainsi, la ville prend-elle vie au-delà de son seul plan, de ses structures,
de ses repères physiques et de ses fonctions. Par suite de l’isomorphisme
entre les différentes facettes des lieux, entre l’habitat, les rituels sociaux, la
culture, le géographe développant les facettes culturelles et humanistes de
la discipline peut dégager le rôle majeur des structures symboliques. Passé,
présent et futur de l’homme s’y empoignent pour créer une ambiance
que seule une analyse intériorisée permet de comprendre dans sa subtile
richesse.
La représentation géographique est déjà une façon d’être, une manière
de parler de la Terre, « théâtre de l’aventure humaine », dirait J.-P. Ferrier.
C’est également le médiateur de l’expérience spatiale d’un point de vue
existentiel : la découverte des interactions homme-environnement, du
rôle des lieux dans la réalisation des dynamiques humaines. L’exemple
de la représentation des déplacements, des voyages, quelque peu négligée
par les géographes au profit de perspectives plus volontiers sédentaires,
illustre les potentialités de cette géographie aux racines anciennes et au
développement explicite récent, comme en témoignent les nouvelles
revues consacrées à la géographie culturelle.
158 ! Variations géographiques

Le déplacement imaginaire
Parmi les quatre éléments fondamentaux, la Terre, considérée comme
la mère de l’homme et sa demeure de la naissance à la tombe, a toujours
intéressé l’homme. Il faut la franchir pour vivre, le mouvement sur Terre
a progressivement signifié vie. Ce n’est qu’au décès, moment de retourner
à la terre, que le mouvement cessera. De là à assimiler terre et mouve-
ment à l’évolution du vivant, il n’y avait qu’un pas, franchi depuis la plus
haute Antiquité. L’analyse du mouvement ne peut être réduite à la relation
géométrique entre deux ensembles de points : espace, durée, pratiques
spatiales se combinent dans l’expérience humaine pour transformer le
support terrestre en lieux, la distance en voyage. Si la représentation du
trajet correspond à l’organisation d’une série de repères qui correspondent
bien aux concepts topologiques de séparation-association, d’ordre-posi-
tion et de connexité, plus encore est-elle symbolique. Le trajet devient
porteur de significations personnelles qui trouvent leur origine dans les
valeurs culturelles, n’oublions pas que la culture est une façon collective
de mettre de l’ordre dans les sentiments humains, perspective collective
reprise à son compte par chacun.
L’homme puise dans l’imaginaire les moyens de transcender le dépla-
cement… jusqu’à pouvoir refaire en sens inverse la route de la vie. En se
considérant comme le centre de l’univers, le point de départ au milieu du
cercle, il matérialise ses rêves. Mais pour accéder à ce monde imaginé, il
lui faudra faire un long voyage, de la périphérie où il est ostracisé, vers la
croix au centre du cercle, où s’unifient les contraires, où se résoudront
les tensions. Idées de voyages, de déplacements vers des lieux meilleurs,
se retrouvent dans la littérature (de l’Odyssée, à l’Énéide… et de nos jours
dans les œuvres de science-fiction, par exemple Tolkien : The Lord of the
Rings [Le Seigneur des anneaux]) et jusque dans nos pratiques de vacances,
de retraite et même dans les cercles concentriques du plan de nos villes,
schématisés par les écologistes urbains de l’École de Chicago.
La symbolique du mouvement permet de le supporter, car pour entre-
prendre tout déplacement, c’est-à-dire franchir les barrières physiques
et sociales, l’homme doit prouver qu’il est capable de maîtriser les lieux.
Dans l’Antiquité, les gardiens des passages-clés refoulaient ceux qui
restaient profanes. De nos jours encore, le décryptage des codes sociaux
et de leurs propriétés symboliques (panneaux routiers par exemple) est
indispensable à notre mobilité. À travers ses cartes mentales, l’homme
imagine son trajet, d’où tout le mythe de l’ascension, à la fois sociale et
spatiale, avant d’atteindre le lieu meilleur à l’issue du voyage, la Terre
promise. Celle-ci peut être le quartier dont on a rêvé, le lieu de retraite
ou de vacances.
Géométries et symboles, signes d’une permanence ! 159

Derrière ce désir viscéral du déplacement initiatique, sont imaginées


maintes contrées merveilleuses… Et l’on peut comprendre ainsi le voyage
autour du monde du bourgeois lassé de son existence, le périple aventu-
reux des grandes découvertes ou la fugue de l’adolescent. Habiter, c’est
au contraire prendre des racines, apprivoiser un lieu ; mais pour devenir
adulte il faut savoir quitter le milieu de son enfance et ses règles. C’est par
un départ social et spatial que l’on brise ses chaînes, que l’on va au-delà
du miroir. Ces rêves d’Inde, comme ceux jadis de la Terre sainte, évasions
du corps et de l’esprit, catalysent l’expérience spirituelle vers de nouvelles
initiations et de nouveaux fils conducteurs de l’existence, que peut révéler
la géographie à toutes les étapes de son évolution.

Un mélange de réel et d’imaginaire


en géographie
Les symboles ne sont pas uniquement ceux du voyageur, mais aussi ceux
que chacun d’entre nous laisse sur son chemin. Nous nous nourrissons
tous de notre temps et nos récits, nos écrits parlent pour nous-mêmes.
Pourquoi nous étonner alors du mélange de réel et d’imaginaire dans
les représentations des voyageurs, des géographes et des cartographes ?
L’imbrication du temps et de l’espace obéit à cette logique du réel et de
l’imaginaire. Les anciens plaçaient au couchant le temps des vies écoulées,
de la mort ; le levant étant, au contraire, la source de la vie qui se déplace
comme le Soleil. Et au-delà, aux antipodes, sont imaginés les mondes my-
thiques englobant les traces des civilisations passées, mondes engloutis
ou nouvelles Amériques… Rêves de voyages fabuleux.
La polysémie des espaces vécus, la superposition de représentations,
rendent nécessaire cette approche. Au géographe d’étudier de l’intérieur
ces lieux pour devenir un interlocuteur face aux technocrates de l’amé-
nagement comme aux théoriciens du développement. À ne pas savoir
intégrer la richesse des rapports intériorité humaine/symbolique des lieux,
la géographie perdrait un « savoir géographier » qu’elle a acquis au cours
des siècles, et qui lui donne son sens profond.

Kevin Lynch, L’Image de la cité, Paris, Dunod, 1976


« Le Dôme de Florence est un excellent exemple de point de repère lointain :
visible de près et de loin, de jour et de nuit, on ne peut pas le manquer, il domine
par sa taille et sa silhouette ; en relations étroites avec les traditions de la ville, il
coïncide avec le centre religieux et géographique » (p. 96).
« Renforcer l’imagibilité de l’environnement urbain consiste à faciliter son
identification et sa structuration visuelles. Les éléments dégagés ci-dessus
160 ! Variations géographiques

– les voies, limites, points de repère, nœuds et régions – sont les cubes d’un jeu
de construction servant à fabriquer à l’échelle de la ville des structures fermes
et différenciées » (p. 111).

Lectures conseillées
On peut consulter également :
ANDRÉ Y. et al., 1989, Représenter l’espace, l’imaginaire spatial à l’école, Paris,
Economica-Anthropos.
BAILLY A., 2014, Géographie du bien-être, Paris, Economica-Anthropos.
BAILLY A. et SCARIATI R. (dir.), 1990, L’humanisme en géographie, Paris, Economica-
Anthropos.
GAY J.-C., 2016, L’homme et ses limites, Paris, Economica-Anthropos.
GOULD P. et BAILLY A. (dir.), 1995, Le pouvoir des cartes, Brian Harley et la cartographie,
Paris, Economica-Anthropos.
GRATALOUP C., 2009, L’invention des continents, Paris, Larousse.
Chapitre 13

Le discours géographique

LA GÉOGRAPHIE S’APPUIE sur un discours qui se veut universel et donne


sens au monde. Trois hypothèses permettent d’en traiter : le discours
géographique n’est pas seulement scientifique, le discours géographique a
rarement été analysé dans la géographie française sous forme d’approche
épistémologique (comparons avec l’histoire pour mesurer quelques écarts
entre les deux disciplines), le discours géographique est multiple, parais-
sant plus savant ou plus trivial selon que l’on aborde telle ou telle branche
de la discipline. Savant, il semble l’être dans l’ésotérisme d’un vocabulaire
parfois très spécialisé. Trivial, il l’est le plus souvent, lorsqu’il s’attache
à « l’originalité » de telle ou telle portion d’espace. « Originalité » par
rapport à une description forcément classificatoire, portée à souligner la
différence et à mettre l’accent sur l’exceptionnel.
N’étant pas seulement scientifique, le discours géographique n’est donc
pas nécessairement normé ni fondé comme tel, car une science repose sur
une série d’axiomes, sur un corpus fondateur qui manque à la géographie,
malgré quelques tentatives.

Entrer dans le discours


Il faut pour cela franchir un seuil encombré de « géographies » en forme
de recettes, réminiscences ou exercices de style, dans le but de retrouver
l’essentiel. C’est, au quotidien, passer au tamis de la géographie l’informa-
tion télévisée et la lecture de la presse, consulter de multiples ouvrages et
relire de grands auteurs. On peut appeler à cet effet Talleyrand, Napoléon,
Churchill, Saint-Exupéry pour son géographe omniprésent faute d’être
omniscient, de Gaulle (« c’est la géographie qui commande »), Mitterrand
(« la géographie, ma plus chère et ma plus vieille amie », Ma part de vérité,
Paris, Fayard, 1969) ou Bismarck (« la géographie est la seule composante
invariable de l’histoire »).
162 ! Variations géographiques

La prolifération des discours se regroupe


par grandes époques
La géographie a d’abord été inventaire et description du monde en termes
de curiosa. C’est aussi le discours des découvreurs avec, sous-jacente au
discours, une place prépondérante réservée à l’inventaire, au catalogue, à
la mise en ordre d’un savoir politique, administratif, financier et militaire
sur l’organisation des territoires et des frontières : un discours de stra-
tège qui vise à protéger le territoire. Le géographe n’est longtemps qu’un
agent de renseignements collectant l’information, la cartographiant pour
l’autorité.
Des bilans périodiques offrent ensuite des synthèses qui ont le mérite de
pouvoir être revues sans que cela soit fondé en science. C’est le discours
des savants qui caractérise le XIXe siècle. Enfin, une géographie prenant en
compte la réflexion conceptuelle sur le discours géographique sous-tend
le discours de scientifiques qui veulent expliquer les régularités spatiales
dans le monde.
Ces quatre discours recoupent une chronologie qu’il faudrait affiner car
ils se chevauchent parfois. L’ancien discours des découvreurs et des stra-
tèges va des origines antiques au Premier Empire. Le discours moderne
des savants de toute origine se place dans la période allant, dans la chro-
nologie française, d’un Napoléon à l’autre. Le discours contemporain,
devenu plus scientifique, est le fait du XXe siècle, avec un renforcement
depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le discours ancien
L’origine du discours ancien est dans le périple qui le fonde (« naviguer
autour » en militaire ou en commerçant). À travers lui, découvreurs
et militaires font le point des connaissances géographiques qui s’élar-
gissent jusqu’à quitter les rives de la Méditerranée quand le pharaon
Nechao, au VIIe siècle, envoie des marins phéniciens dans la mer Rouge
pour contourner l’Afrique et franchir, la troisième année, les colonnes
d’Hercule. Le Carthaginois Hannon dépasse les côtes marocaines, longe
le golfe de Guinée. Himilcon, à la recherche de l’étain, dépasse la Bretagne
et va peut-être jusqu’en Cornouaille. Pythéas en fait de même au IVe siècle
et navigue presque une année sur l’Atlantique. Alexandre dépasse l’Indus
et fait dresser un tableau de l’empire par ses topographes. La documenta-
tion est rassemblée à Alexandrie où Ératosthène l’exploitera.
Essentiellement descriptif, ce discours offre une vue de la Terre pour
bâtir de nouveaux empires et délimiter de nouveaux territoires. Dans ses
bonnes intentions, il a failli tuer la géographie en la banalisant, en la
Le discours géographique ! 163

confinant dans des énumérations et des analyses analogiques. Ainsi, dans


la géographie française est-il à l’origine de thèmes comme celui de « l’har-
monie », qui regroupe tous les poncifs sur le génie français (en forme
de pentagone, puis d’heptagone et enfin d’hexagone dans ses frontières
« naturelles »). La forme du pays le met en valeur et révèle l’originalité
d’une entité promue en identité (voir le dernier ouvrage, inachevé, de
Braudel sur la France). La géométrisation aide à structurer la présentation
du territoire, et apparaissent des lignes, des arcs, des diagonales, des pôles
attractifs ou répulsifs.
Reclus (Géographie universelle, p. 11) écrit : « Toute la protubérance de
ces roches primitives (les massifs anciens) est le squelette autour duquel
les terrains plus récents se sont formés, comme des tissus autour d’un os
dans un corps d’animal ; c’est le centre résistant de l’organisme. » Plus
récemment, M. Foucher écrit : « La France est une icône que l’on révère
pieusement » (Fronts et frontières, Paris, Fayard, 1988).
Ce discours a donné une série de termes considérés comme simples
parce que passés dans le domaine public comme « climat » ou « acropole »,
terme proposé à toute ville ayant une colline marquée ou un rebord de
plateau, propres à l’installation d’un habitat. Bien d’autres termes actuels
ne sont que les héritiers de ce discours ancien, comme « mégalopole »,
après les travaux de Gottmann sur la Mégalopolis américaine, suivie de
« technopole » et de ses succédanés. « Capitale » souligne une des mala-
dies infantiles de la géographie : quelle est la capitale de la Côte d’Ivoire ?
Yamoussoukro. Du Nigeria ? Pas Lagos. De la Turquie ? Pas Istanbul.
De l’Australie ? Pas Sydney. Du Brésil ? Pas Rio. Des États-Unis ? Pas
New York. Cette énumération nous rappelle un discours « grand public »
qui fait largement appel à cette géographie : après les capitales, le plus
haut sommet d’Afrique, le pont d’Asie le plus long, les réserves minières
d’Europe les plus importantes… Ce discours en forme d’escalades est repris
allègrement par les villes et les collectivités locales dans leur publicité.

Le discours savant du XIXe siècle


Il porte sur milieu naturel et milieu de vie, puis pays, État-nation, et enfin,
région-régionalisme-régionalisation pour être utile aux États naissants et
à leurs colonies. Valoriser les identités territoriales, révéler les richesses
de la Terre, expliquer comment les exploiter, telle était la mission de cette
géographie au service des chambres de commerce et des États.
Un exemple peut être extrait du Dictionnaire universel des géogra-
phies physique, commerciale, historique et politique, du monde ancien, du
Moyen Âge, et des temps modernes, comparées, indispensable aux admi-
nistrateurs, négociants, voyageurs, étrangers, etc., et nécessaire pour
164 ! Variations géographiques

l’intelligence de l’histoire et des auteurs anciens ; contenant la descrip-


tion ou l’indication des régions… suivent un grand nombre de précisions
en 33 lignes à caractères serrés. L’auteur est Masselin et l’ouvrage paraît
en deux volumes chez Auguste Delalain (Paris, 1830). Les dictionnaires
de la même époque sont nombreux. L’un d’entre eux, parlant de Masselin,
écrit, avec quelque réalisme : « Il y a près de vingt-cinq ans que ce livre a
paru pour la première fois. Dans ce quart de siècle, la face du monde a été
pour ainsi dire renouvelée. Des parties du globe qui avaient été regardées
jusque-là comme inaccessibles ont été abordées et explorées ; des contrées
désertes ont été tout à coup, grâce à la découverte des métaux précieux,
envahies par des flots de population, et ont vu s’élever comme par enchan-
tement des villes florissantes » (BOUILLET M.-N., 1864, Dictionnaire
universel d’histoire et géographie, Paris, Hachette. Avertissement de l’auteur
sur la vingtième édition).

Le discours actuel
Il parle d’espace, de territoire, de réseau, de maille, de trame et de tissu
(urbain). Être géographe maintenant, c’est raisonner en termes d’espace
mais en empruntant concepts, démarches, méthodes aux disciplines
proches pour les utiliser sans perdre son identité et gagner en efficacité
explicative.

Les mots de la géographie


« La géographie a ses mots propres et ceux des autres. Les autres emploient
des mots de la géographie, mais dans d’autres sens. Quand s’affirme une
science, quand s’étend un champ de la connaissance, il faut que s’explicite et
s’évalue leur vocabulaire… D’un autre côté, le langage courant, la littérature,
les autres sciences emploient plus ou moins volontiers des images, des
analogies, des métaphores qui relèvent du champ de la géographie. Parfois
elles leur affectent alors un autre sens, créant un décalage : que ne dit-on ici et
là des carrefours, des bocages, des talwegs, des régions, des métropoles, des
« délocalisations », des fleuves, des frontières, des territoires, des faubourgs
et des vallées… Derrière les mots sont les concepts, les idées, les sentiments,
les allusions, tout ce qui donne du sens en incorporant les apprentissages et
la culture. Des mots comme attractivité ou même carrefour relèvent tantôt
du concept et de la mesure, tantôt de l’idée, parfois du sentiment, et ils
comportent leur part d’allusion. Les concepts sont forts, nets, opératoires et
peu nombreux. »
BRUNET R., FERRAS R. et THÉRY H., 1993, Les mots de la géographie, Montpellier/Paris,
RECLUS/La Documentation française.
Le discours géographique ! 165

La géographie est une de ces sciences à facettes multiples, d’où un


discours multiple. On en distinguera presque une dizaine, faciles à iden-
tifier, divers, foisonnants, multiples et changeants, comme ces géographies
qui se côtoient parfois comme des parallèles, c’est-à-dire sans jamais se
rejoindre.

Les métaphores et leurs connotations


« À l’heure où le discours des non-géographes sur le développement est truffé
de métaphores spatiales à connotations géographiques (“pays… centre…
périphérie… région… rapports Nord-Sud… zone d’influence… territorialité”, etc.),
comment évaluer la contribution des géographes à l’évolution des idées ? Elle
est manifestement mal connue des autres chercheurs et du public, peut-être à
cause de l’image d’une géographie véhiculée par les “professeurs” du secondaire,
et dont le discours imprègne les esprits, même après en avoir oublié les tenants
et les aboutissants, même si les connaissances acquises ont été rangées depuis
longtemps au magasin des accessoires encyclopédiques inutiles. Il reste que le
discours des géographes est farci, depuis bientôt un siècle, de “concepts”, peut-
être de “principes”, en tout cas d’“idées” (telle celle de “genre de vie” que l’on
doit à Vidal de la Blache), que l’on croit opportun de redécouvrir aujourd’hui en
oubliant qu’ils furent monnaie courante il y a déjà fort longtemps. »
CUNHA A., GREER-WOOTTEN B. et RACINE J.-B., 1982, Terrains vagues et terres promises,
Paris, PUF, et Genève, Cahiers de l’IUED, p. 23.

Le rôle des idéologies


Quoi de commun sous cette diversité, quels sont les éléments minimum
d’un discours géographique au sens étroit ? Des comptages simples per-
mettent d’apprécier quand « l’espace » l’emporte sur « le territoire »,
quand « les flux » rejoignent « l’aménagement régional ». Ainsi, par
exemple, le terme idéologique de « Patrie » qui s’emploie beaucoup pour
l’est de la France à la fin du siècle dernier. « La connaissance de la patrie
est le fondement de toute véritable instruction civique. On se plaint conti-
nuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur pays : s’ils le
connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l’aimeraient encore davantage
et pourraient encore mieux le servir… En […] racontant le voyage coura-
geux de deux jeunes Lorrains à travers la France entière, nous avons voulu
la leur faire pour ainsi dire voir et toucher. » On a reconnu la préface du
fameux discours sur la France, Le tour de la France par deux enfants, dont
le sous-titre est « Devoir et Patrie », par G. Bruno, tiré à plusieurs millions
d’exemplaires chez Belin (1re éd. 1877).
Autre exemple, dans un autre ordre d’idée et plus récent, la formule
« laboratoire d’aménagement régional » s’emploie pour typer en termes
166 ! Variations géographiques

géographiques le Languedoc-Roussillon des années 1960 quand se des-


sinent un canal d’irrigation, des stations nouvelles sur le littoral, des parcs,
national ou régional, des autoroutes, tout ce qui marque la sortie de la
période de reconstruction de l’après-guerre. Là encore le discours géogra-
phique sort d’une certaine neutralité, se démarquant du discours politique
ou le confortant, fort de l’idéologie aménagiste qu’il véhicule.
Ces exemples illustrent les difficultés qu’éprouve le géographe qui veut
réfléchir sur son propre discours, discours indissociable d’une idéologie
sous-jacente parce que rarement explicitée. Il renvoie à des stratégies de
pouvoir, un terme qui apparaît dans le sous-titre d’Hérodote, revue en
rupture dans l’atonie du discours des années 1970. L’éditorial du premier
numéro parle même de « guérilla épistémologique », deux mots accolés
pour la première fois.

Sous le discours la démarche


Pour faire de la géographie, on peut privilégier plusieurs types de
démarches, faire appel à d’autres disciplines éclairantes comme facteur
d’explication telle l’histoire, être clair sur les concepts utilisés.

La question où ?
C’est une question fondamentale pour une discipline dont l’un des pre-
miers rôles a été de situer et de localiser. Longtemps, son outil de base a
été la carte, relayée maintenant par les SIG. Tout un pan de la géographie
repose, à un moment ou à un autre, sur des données spatialisées. Après
la question « où ? », on peut retenir une dizaine d’autres questions qui
permettent, à travers leurs réponses et les concepts auxquels elles se ré-
fèrent, de mieux cerner la démarche géographique.
Jeu de questions-réponses. Les colonnes qui suivent sont un peu
formelles, dans la mesure où tout ce qui est relevé est en interaction, en
fonction de la problématique retenue, des hypothèses mises.

Les autres questions, en chaîne


Où ?
– c’est là… (lieu)
– outil : la carte, les SIG, pour localiser, avec des coordonnées
Combien ?
– c’est là et il y en a tel nombre… (quantité)
– outil : la statistique, pour mesurer, un poids, une taille
Le discours géographique ! 167

Jusqu’où ?
– c’est là, il y en a tant et jusque-là… (distance)
– outil : carte et statistique pour délimiter une diffusion
À qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à… (territoire)
– outil : modèle pour attribuer un recensement
Encore à qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là, ça appartient à et aussi à… (flux)
– outil : carte, statistique et modèle pour échanger, un maillage
Pour qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à et au bénéfice
de… (acteurs)
– outil : démarche systémique ou dialectique, pour confronter des stra-
tégies
Comment ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, et je le vois ainsi… (représentations)
– outil : carte mentale, statistique, enquêtes, pour révéler les images
Pourquoi ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi… (évaluation)
– outil : cartes mentales, pour expliquer, compréhension
Pour quoi ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi… (environnement)
– outil : tous ceux qui ont été recensés, scénario prévisionnel
Quand ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi et entre ces dates (temps)
– outil : tous, chronologie.

Se poser la question « que cherche-t-on ? »


et avec quoi y répondre
La géographie connaît périodiquement un changement de paradigme qui
entraîne un changement de questions auxquelles elle peut répondre grâce
à un outillage de plus en plus sophistiqué. Sur le plan scientifique, l’étude
de la géographie régionale classique s’est vue supplantée par l’analyse
spatiale, les approches systémique et dialectique ont recruté de plus en
plus d’adeptes, l’interdisciplinarité a gagné du terrain à travers la réflexion
tirée de lectures croisées. Le choix apparaît de plus en plus drastique
entre démarche idiographique (qui produit descriptions et explications de
168 ! Variations géographiques

phénomènes uniques, exceptionnels, non répétitifs et non transposables)


et démarche nomothétique (qui produit des procédures de généralisation
conceptuelle sinon des lois scientifiques). Ou bien encore entre l’empi-
risme de la démarche inductive qui, partant de l’expérience et de l’obser-
vation, généralise, et la démarche hypothético-déductive qui procède à
partir d’hypothèses, de leur vérification, de l’écart entre le modèle proposé
et les résultats enregistrés.
Le résultat est l’apparition d’un discours renouvelé mis en lumière par
I. Lefort dans la conclusion de sa thèse. La géographie passe ainsi de
l’encyclopédisme à la culture, du politique au scientifique, de la nomen-
clature à la typologie, du littéraire à l’iconographie. Il faut ajouter : de la
monographie à la problématique, du plan systématiquement à tiroir à
un véritable plan régional, de l’objectif à l’idéologique, de l’iconographie
aux technologies nouvelles. C’est dire la grande richesse du discours qui
scande ces mutations.

Une géographie au quotidien


On commencera par dire que c’est un discours géographique qui va être
tenu. Avec ses limites. Avec ses nouveautés. Cela aurait été impossible
quelques années auparavant, alors que l’on parlait volontiers du discours
historique ou historiographique, que l’on produisait énormément sur le
discours littéraire, que le discours politique fonctionnait au quotidien,
etc.
Cependant, accepter d’intervenir sur le thème renvoie à deux difficultés :
tout d’abord, aucun ouvrage n’aborde le sujet en tant que tel (V. Berdoulay,
en partie). Ensuite, chaque géographie a son propre discours, pas toujours
facile à décrypter.

L’inattendu, une géographie de l’événement


C’est le fait géographique du jour, qui nécessite une présentation perma-
nente au gré des dates : un exploit sportif ici ou là, un Festival internatio-
nal de géographie à Saint-Dié, un voyage officiel en Chine ou ailleurs…
La liste est inépuisable, son seul dénominateur commun étant que cela
renvoie à de la géographie. Voyons un peu ce qui relève de la spécificité
géographique et d’analyses venues d’ailleurs.
I. Lefort, dans sa thèse, cite Dubois, qui dit des géographes : « Ce sont
de curieuses gens, mêlées aux travaux d’une multitude de chercheurs, un
peu nomades, aux confins de l’histoire et des sciences naturelles, fureteurs
impitoyables et un peu pillards, comme tous les nomades. »
Le discours géographique ! 169

Les médias
Pourtant la géographie apporte pas mal aux autres disciplines, l’exemple
d’une journée ordinaire est commode, dans son déroulement et sa bana-
lité. La trame est la suivante :
Informations du matin dans le journal quotidien : il n’y a pas d’anecdote,
il y a un système-monde que le discours géographique prend désormais en
compte en le reconnaissant et en s’en servant. Le discours géographisant
est à la fois le plus pernicieux et le plus éclairant. Prendre la partie pour
le tout, c’est dire Angleterre alors que l’on parle des îles Britanniques. Le
tournoi des Cinq nations est là pour nous rappeler que dire Angleterre
pour parler du Royaume-Uni c’est oublier Galles, Écosse, et Irlande, qui
sont deux, Irlande du Nord et Irlande du Sud, Ulster et Eire, qui est une
république.
Nouvelles : rappelons quelques extraits du langage courant, « le Kremlin
dit que », « Washington décide que », « Bruxelles intervient », « Paris
pense que ». Dans le cas des points cardinaux, l’usage est encore plus
habituel. Le Sud dont on ne sait plus rien sinon qu’il est face au Nord. L’est
de même, face à l’Ouest. Dans le premier cas figure la majuscule, dans le
second cas la minuscule. La Catalogne est le sud de l’Europe mais le nord
de l’Espagne, ce qui ne dit pas tout à fait la même chose. Perpignan est au
sud des zones de consommation européenne de primeurs mais au nord
des mêmes zones du Sureste espagnol, ce qui relativise le discours. On ne
sait plus dénommer les parcelles de l’ancienne URSS devenue Russie, ce
qui permet de redécouvrir des pays baltes, la puissance de l’Ukraine, les
Ouzbeks et les Tchétchènes… L’Europe de l’Est laisse place, mais à quoi :
une Europe du centre, médiane, du milieu ? On voit combien le discours
géographique est chargé de connotations idéologiques.
Actualités du soir : au quotidien le journal parle de météorologie, d’une
façon ou d’une autre, mais toujours avec ses vues par satellite où défilent
les dépressions. Le fin fond des campagnes n’ignore plus rien de l’anticy-
clone des Açores devenu bien public. Et chacun de comparer les compo-
santes de la carte de France, où le moindre nuage couvre la distance entre
Bordeaux et Toulouse.
La rubrique discours géographique et médias est inépuisable, parado-
xalement porteuse d’une géographie passionnante liée à l’explication de
l’actualité, mais aussi dispensatrice de la pire des géographies, celle des
inventaires hérités d’une époque où chacun se devait de connaître « ses »
départements. Parmi les retombées de ces discours persiste la croyance
que faire de la géographie c’est savoir où sont les lieux, jusqu’à l’infini du
répertoire, en oubliant que la géographie s’est renouvelée dans ses objets,
dans sa pertinence et dans ses méthodes.
170 ! Variations géographiques

Les fondements du discours


Derrière le discours géographique se cachent des références et des héri-
tages. Parmi eux le naturalisme, porteur à la fois de références écologiques
à un « paradis perdu » et de découvertes de l’environnement.

Le delta tonkinois
« Une mare aux eaux lourdes se couvre en partie d’herbes aquatiques d’un vert
éclatant et velouté : les jeux de lumière que varient les bambous jaillissants,
impénétrables, et pourtant légers, naissent et s’éteignent sur les eaux libres ;
un homme fait ses ablutions à la pointe d’une planche jetée sur la mare, et
apporte à l’ensemble l’éclat plus vif de son corps luisant sous l’eau qui l’arrose.
Un monument au toit cornu, les banians aux troncs multiples qui l’ombragent,
leurs reflets dans une mare arrondie constituent souvent une harmonie délicate
et paisible, que rend plus pénétrante l’atmosphère opaque, encore alourdie par
les innombrables fumées du village. »
« Il faut aussi goûter la grandeur des paysages fluviaux : d’immenses nappes
d’eau, plates et comme huileuses, s’écoulent lentement vers l’horizon, se parant
selon les heures d’ocre rouge, de rose tendre ou de gris bleuté ; une touffe de
bambou, l’herbe d’une digue, la robe jaune d’un bœuf donnent au rouge du
Fleuve toute sa valeur ; parfois des rapports d’une extrême subtilité s’établissent
entre les roses des eaux et les chaumes gris des vieux toits d’un village riverain.
Paysages où la couleur domine la forme, où le jeu des nuances l’emporte sur la
ligne : paysages impressionnistes en somme. »
GOUROU P., 1936, Les paysans du delta tonkinois. Étude de géographie humaine, Paris,
Éditions d’art et d’histoire.

Le déterminisme emboîte le pas au naturalisme. À partir de là, un


phénomène géographique ne peut pas ne pas se produire tel qu’on l’attend,
dérivant rapidement sur une sorte de fatalisme, celui du « milieu », de ses
« contraintes », de ses « potentialités ». De la même façon, le darwinisme
est la théorie selon laquelle la transformation des espèces est due essen-
tiellement à la sélection naturelle. Chez les géographes, des affirmations
de ce type sont fréquemment utilisées pour expliquer les rapports entre les
paysans, leur récolte, et leur terroir. Plus grave est le déterminisme a poste-
riori. Prenons en exemple une affirmation parfaitement exacte : Agde est
la seule fondation grecque sur le littoral languedocien, entre Provence et
Catalogne, sur un pointement volcanique entre deux petits golfes. D’où
une première affirmation : Agde devient une sorte de relais obligatoire
à mi-chemin de Massalia et Ampurias dans « la logique » du cabotage
grec, scandé par des escales régulières autour de la Méditerranée. Entre
Marseille et Ampurias, il fallait donc un port : Agde, escale, appui idéal
Le discours géographique ! 171

déterminé par la nature. Deuxième affirmation, Agde, par le débouché du


fleuve Hérault est le point de pénétration privilégié vers l’intérieur : on a le
site et la situation rêvés, des rochers et un grau-embouchure pour l’abri,
la voie terrestre et fluviale pour le carrefour.
L’un des biais introduits par le déterminisme repose sur le fait qu’il
semble conduire vers un seul choix possible et obligatoire, alors que des
conditions identiques peuvent se retrouver au pied de la montagne de
Sète dont le rôle portuaire ne sera défini que deux millénaires plus tard,
au moins. On peut renverser les rôles, et dans ce cas la même démarche
déterministe aurait démontré, de façon identique, toute la valeur du site
et de la situation de Sète.
Le possibilisme, apparu plus tard, constitue un autre héritage. Pour ce
courant de pensée la nature propose et l’homme dispose. Pour Febvre,
Vidal et leurs héritiers scientifiques, la géographie révèle les potentialités
humaines dans la gestion du territoire. L’homme irrigue les déserts, les
aménage dans des civilisations au genre de vie moderne. Les autres, par
contre, en sont incapables… ce qui amène à des jugements positifs ou
négatifs sur les sociétés, dont la portée idéologique peut être caricaturée…
ce qui est souvent le cas.
Le positivisme, autre héritage, renvoie à l’ensemble des doctrines de
Comte (Cours de philosophie positive, à partir de 1830) et par extension,
aux doctrines qui s’y rattachent, affirmant que seule la connaissance des
faits est féconde et que seules les sciences expérimentales fournissent la
certitude. Cette tendance à s’en tenir aux faits sans jamais les dépasser,
se trouvait déjà chez Condorcet et dans l’école saint-simonienne : « Cette
méthode est la vraie méthode scientifique ; c’est par son emploi… qu’une
science prend les caractères d’exactitude et de positivisme qu’on paraît
aujourd’hui attribuer exclusivement à l’emploi des balances ou des tables
de logarithmes. »
Le probabilisme constitue une autre base de réflexion de la géographie,
définie par une probabilité associée à un type de comportement. Ainsi,
par exemple, à propos des lieux centraux, fait-on intervenir l’attracti-
vité probable des villes pour rendre compte de l’étendue de leur aire de
marché. Le raisonnement se fonde sur la probabilité d’apparition d’un
phénomène, à condition de croire en une certaine rationalité du compor-
tement humain.
Pour le fonctionnalisme, autre héritage, l’explication relève des
contraintes du fonctionnement, et un peu trop d’elles seules. La tendance
à en jouer en géographie urbaine est évidente : une ville est un pôle
d’activités qui repose sur des fonctions économiques. Cette fonction est
privilégiée par rapport à toute autre variable dans l’explication de son
développement.
172 ! Variations géographiques

Dans la lignée marxiste, la géographie étudie les formes spatiales spéci-


fiées par les modes de production dans leur évolution et par les rapports
sociaux. D’où la possibilité de s’articuler facilement sur l’économie poli-
tique, sur l’histoire, mais avec le danger d’une réduction aux concepts
économiques.

Structures et dialectique
« Les passages de l’œuvre de C. Lévi-Strauss ménageant un rapprochement
de l’analyse structurale et de la méthode dialectique ne manquent pas. Dans
Anthropologie structurale (1958), il rappelle à plusieurs reprises l’existence
de rapports (dialectiques selon notre définition) entre l’infrastructure et la
superstructure de la topique sociale des groupes primitifs. Il se livre même,
dans cet ouvrage, à une critique implicite de la géographie (voire des sciences
humaines en général) lorsqu’il affirme : “Personne n’a sérieusement cherché
quelles corrélations peuvent exister entre la configuration spatiale des groupes
et les propriétés formelles qui relèvent des autres aspects de leur vie sociale”. »
DI MÉO G., 1991, L’homme, la société, l’espace, Paris, Economica-Anthropos, p. 81.

Lectures conseillées
KAYSER B. (dir.), 1978, Espaces périphériques, Paris, CNRS.
COLLECTIF, 1984, Sens et non-sens de l’espace, Paris, Collectif français de géographie
urbaine et sociale.
DI MÉO G., 1991, L’homme, la société, l’espace, Paris, Anthropos.
LÉVY J., 1999, Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin.
Chapitre 14

La grande famille ?

LES GÉOGRAPHIES REGROUPÉES par grand public se ramènent à quatre


familles qui empiètent parfois les unes sur les autres. D’abord une géo-
graphie enseignée, universitaire et scolaire. Puis celle qui en découle pour
« grand public » qu’on ne définit jamais. Ensuite, la géographie vecteur de
culture, sous des formes bien diverses, de la culture générale à la connais-
sance des lieux. Enfin, une géographie de cabinet, appliquée, qui s’est
perpétuée dans les bureaux d’études professionnels.

La géographie universitaire et scolaire


Géographie d’aventure ou de la nostalgie ? Braudel avoue que « la géo-
graphie française qui a été éblouissante cesse d’être cette opération
majeure dont nous avons besoin ». Mais d’un autre côté, la géographie
« aventure », ou « découverte », ou « explication » attire les étudiants et
un nouveau public universitaire (formation permanente, aménagistes…).
Pour répondre à cette contradiction, il faut savoir comment est diffusée
la géographie, par la télévision et les médias qui attirent un vaste public.
L’enseignant, dans son discours, ne peut plus rivaliser avec les médias
qui ont d’autres moyens d’expression. Comme on disait autrefois aux
pédagogues débutants « pas de leçon de choses sans chose » ou « pas
d’histoire sans document », on peut dire de la même façon pas de géo-
graphie sans carte ou sans image. Or l’enseignant n’a plus la maîtrise du
document, il y a peu de revues ou de livres de géographie à gros tirage,
sauf le National Geographic et Géo, face à l’inflation de titres en forme
d’Histoire, Historia, L’Histoire, etc. Les revues ne s’adressent plus qu’à
des spécialistes universitaires ou à des enseignants. Il n’y a plus d’hon-
nête homme éclairé pour se pencher sur la géographie et plus d’intérêt
régional pour une revue de géographie régionale, mais des tirages de
guides et cartes rappelant l’attrait médiatisé par le tourisme, les voyages
et l’aventure.
174 ! Variations géographiques

La géographie scolaire des manuels est bien attrayante, colorée, avec


encore un peu de texte mais de plus en plus d’images et de photogra-
phies. La discipline s’y retrouve parfois dans un multilivre portant en
sous-titre « histoire, géographie, sciences » (coll. « Cycle des approfondis-
sements », Vanves, Istra, 1994). L’intérêt du manuel actuel, c’est de jouer
sur l’illustration, forme renouvelée et plaisante de l’ancienne géographie
descriptive.

Tout part de l’école ou presque


Dans le manuel, mine à peine exploitée en matière d’épistémologie, le
discours a l’avantage d’être circonscrit à quelques thèmes que l’on voit
bouger d’un corps de doctrine à un autre. Il se charge de reproduire ce
que proposent les programmes officiels et dévoile dans les introductions
et glossaires l’ordre de présentation des régions et les avant-propos. Des
traitements informatisés simples permettent d’aborder des corpus jusque-
là peu utilisés, têtes de chapitres, résumés, légendes des photographies,
titres des cartes. Discours répétitif et limité : les manuels y sombrent
parfois dans leur schéma discursif à la fois très simple et répétitif jusqu’à
une époque très récente. La nomenclature se répartit en cinq rubriques :
géographie physique, économique, historico-politico-administrative,
population, grandes régions. Sous ces premières branches maîtresses
de l’arbre se subdivisent des sous-parties. Pour la partie physique, relief,
côtes, hydrographie, climat. Dans l’activité économique, les trois secteurs
des activités agricole, manufacturière et de service.
Le discours est pré-formaté, calibré minutieusement quand se suc-
cèdent pour les industries extractives les granites, schistes, marbres,
jusqu’aux eaux thermales. On finit par les possessions coloniales à travers
un discours fondé sur le schéma civilisé-sauvage. Un exemple dans le
style « genres de vie » est emprunté à un manuel ancien de Meynier.
Sous le titre Type africain noir, un Soudanais : « Il ne faut pas croire que
tous les Nègres se ressemblent ; il y a autant de différences entre eux
qu’entre les différents peuples blancs. Le type représenté ici est un des
types supérieurs, le Soudanais : face peu prognathe, crâne assez déve-
loppé, haute stature, poitrine large et membres solides. Le Soudanais est
capable de comprendre et d’appliquer les bonnes méthodes agricoles. Au
contraire, d’autres Nègres, comme les Négrilles de l’Afrique équatoriale,
les Bushmen et les Hottentots de l’Afrique du Sud, représentent des races
inférieures. Certains vivent de chasse et ignorent presque complètement
la culture. » Le module de discours utilisé ne varie pas avec relief, cours
d’eau, production ; peu de variantes sauf les départements pour l’Algérie,
les comptoirs du Sénégal, le pénitencier de Nouvelle-Calédonie, la pêche
La grande famille ? ! 175

à la morue à Saint-Pierre et Miquelon. On part d’un « résumé rapide de


la géographie physique », pour suivre par la formation territoriale (super-
ficie, configuration, limites puis provinces ou cantons, villes principales).
Suivent les trois secteurs de l’économie, l’administration et la population.
La géographie universitaire précède par ses recherches la précédente.
C’est à l’université qu’elle est affaire de spécialistes, appuyée sur des collec-
tions de livres ; à chaque grande maison d’édition la sienne. La géogra-
phie, dans le moule des programmes de concours de recrutement pour
l’enseignement, s’appuie sur les grandes collections dont les titres sont
des plus évocateurs : U Géographie, Orbis, Magellan, Géographie universelle
(les « GU »), Le Géographe. Mettre en regard manuels scolaires, publica-
tions universitaires, collections d’accès facile et guides spécialisés à propos
d’un pays est un exercice qui a souvent été mené. Le systématiser sur un
exemple précis, c’est entrer dans le domaine de l’épistémologie.

L’enseignement, dans ses grandes lignes


L’itinéraire de l’université à l’école ne peut ignorer le matraquage publici-
taire des murs de la ville et l’apologie de la connaissance-record, tamisée
par quelque Quid ou Guinness. Le message véhiculé par le manuel dans
sa pseudo-insignifiance, le chromo populaire qui donne lieu à collection,
le tableau des musées, l’almanach des postes ou telle rétrospective presti-
gieuse prend sa part d’un enseignement qui n’est pas uniquement scolaire.
Il faudrait démonter le jeu de ces vecteurs qui ont chacun leur géographie.
Certaines parties du monde ne sont pas étudiées ou très peu ; en Afrique,
plus le Maghreb que l’Afrique noire, et en Afrique noire, la Côte d’Ivoire
plus que tout autre État du golfe de Guinée ; en Amérique plus le Brésil
que l’Argentine ; en Asie plus le Japon que la Chine ; en France moins les
Pyrénées que les Alpes.
Un voyage à travers un siècle de manuels voit apparaître et disparaître
des pays comme l’Afrique du Sud ou l’Australie qui participaient autrefois
des grandes puissances au programme des classes terminales. Elles n’ont
plus conservé peu à peu que les États-Unis, le Japon et la Russie, fournis-
seurs de sujets d’examen et donc mieux traités.

La réflexion dans le domaine scolaire


I. Lefort dans La lettre et l’esprit, géographie scolaire et géographie savante
en France (Paris, CNRS, Mémoires et documents de géographie, 1992)
aborde le thème des transcriptions des idéologies de la géographie dans
l’enseignement, entre 1870, où une défaite nationale amorce un discours
patriotique, et 1970, qui marque un redémarrage de la discipline.
176 ! Variations géographiques

Se posent les questions, la géographie depuis quand, comment, avec


quoi, selon quel discours, pour qui ? Les réformes se suivent, évoquées
en quelques belles pages, et l’on sort des voyages lointains pour servir
l’argumentation politique. 1852, année de la restauration de l’Empire,
voit pour la première fois un enseignement de géographie inscrit dans les
programmes et « applicable de la huitième à la rhétorique ». Le début des
années 1870 marque la réforme qui l’assoit définitivement, car en temps
de guerre s’avèrent nécessaires « la connaissance du terrain et celle des
langues étrangères ». Voilà donc le terrain qui pointe, qui offre le palliatif
d’une concrétude à une absence de réflexion théorique. Les officiers alle-
mands sont « tous munis d’excellentes cartes, un grand nombre parlant
français ». Les instructions officielles confirment ce rôle de la géographie
puisqu’on lit dans une circulaire officielle « la géographie c’est de l’histoire
développée en surface », une opinion qui encombrera bien des esprits.
Les tableaux d’I. Lefort soulignent la distribution par année de l’étude
des continents, de la géographie générale, de la France, et tous les chemi-
nements pédagogiques dont il reste toujours quelque chose sur plusieurs
décennies. Apparaissent successivement des mesures qui fondent l’identité
de la discipline et le discours qui la porte. La « chaire » (1818), première
démarcation encore timide de l’histoire, le « labo » pour que le professeur
ne soit pas un nomade dans son lycée (1872) et qu’il puisse y jouer un peu
les scientifiques à blouse blanche, le « prof d’hist. et géo » en 1885, l’agré-
gation en 1941 seulement, le CAPES en 1950. Suivent sans date d’appa-
rition précise et un peu en vrac, la carte « à main levée », l’excursion, le
croquis (au tableau noir), le local (si concret). Ces mesures génèrent une
partie du discours géographique.

Programmes et instructions officielles (IO)


On proposera quelques repères sur les origines de la géographie scolaire
en abordant la question des instructions et programmes officiels (IO)
autant de jalons pour une réflexion épistémologique. Longtemps, le but
de l’enseignement de la géographie à l’école a été la connaissance, « la
description et si possible l’explication de la face de la Terre » avec des
leçons qui partent de l’observation de la réalité observée. La géographie
universitaire et la géographie scolaire sont alors homothétiques, les leçons
se donnent dans la cour de l’école ou en promenade, la carte et le croquis
sont un moyen d’expression. Une dizaine de textes étalés sur un siècle
depuis 1887, résument l’essentiel.
En 1887, les IO prévoient de la géographie à tous les niveaux. En
section enfantine, des « causeries familières et petits exercices prépara-
toires, servant surtout à provoquer l’esprit d’observation chez les enfants
La grande famille ? ! 177

en leur faisant simplement remarquer les phénomènes les plus ordi-


naires, les principaux accidents du sol ». Au cours élémentaire, « Les
points cardinaux sont appris par cœur mais trouvés sur le terrain dans
la cour, dans les promenades, d’après la position du Soleil. Exercices
d’observation proposés : les saisons, les phénomènes atmosphériques,
l’horizon, les accidents du sol. L’explication des termes géographiques
(montagnes, fleuves, mers, golfes, isthmes, détroits) part toujours d’ob-
jets vus par l’élève et procède par analogie, par la méthode intuitive et
descriptive ». Au cours moyen on étudie la « Géographie de la France
et de ses colonies : géographie physique, géographie politique avec étude
plus approfondie du canton, du département, de la région » et « exercice
de cartographie au tableau noir et sur cahier, sans calque ». Au cours
supérieur, c’est la « Révision et développement de la géographie de la
France. Géographie physique et politique de l’Europe. Géographie plus
sommaire des autres parties du monde. Exercices cartographiques de
mémoire ».
En 1923 : « Les leçons de géographie seront d’abord des leçons de
choses. Elles se donneront de préférence dans la cour de l’école, ou mieux
en promenade. » Au cours élémentaire, on étudie la Terre entière en
faisant connaître villes, montagnes, fleuves, mais il serait abusif de faire
retenir « plus d’une cinquantaine de noms propres de cette nature ». Le
cours moyen est consacré à la France : « Donnons-leur de leur pays, de la
mère patrie et de ses filles lointaines, une image aussi riche que possible. »
Au cours supérieur, l’élève étudie l’Europe et les grands pays du monde,
mais « inutile de charger sa mémoire de noms qu’il oubliera fatalement,
que nous oublions tous, que nous avons raison d’oublier, qu’il suffit de
savoir retrouver à l’occasion grâce aux livres et aux atlas. Et de même,
l’enfant de l’école élémentaire n’a pas besoin de connaître les théories
géographiques, ni les termes, empruntés aux autres sciences, dont se sert
le géographe moderne ». À l’appui vient le croquis, réclamé au certificat
d’études, plus rarement la carte détaillée, car « ces exercices, outre qu’ils
prennent un temps excessif, ont l’inconvénient de retenir l’attention sur
le travail matériel de dessin plus que sur la signification géographique
du pays dessiné ». Le fait de lier l’histoire et la géographie n’est pas de
nature à compliquer la tâche des maîtres. Le point de vue scientifique et
le point de vue « civique » paraissent difficiles à concilier, mais « l’accord
magnifique de la Terre et de tout ce qui germe et se développe à la surface,
l’harmonieux déterminisme de la vie naturelle, donnent à la géographie
toute sa beauté et fixent son idéal ».
1938 marque une rupture de taille. Au cours supérieur, on doit
« rechercher dans la description d’une grande région du globe le ou
les traits caractéristiques fondamentaux, les définir sans les isoler de
178 ! Variations géographiques

leur cortège de conséquences et sans jamais cesser de s’appuyer sur des


images sensibles ». On s’aide de cartes, de photographies, de statistiques
de population et de productions : une originalité. Questions posées :
« Quel secours la géographie apporte-t-elle à la connaissance du monde
moderne ? Quelles réponses apporte-t-elle aux questions que pose la vie
de chaque jour ? Comment contribue-t-elle à former l’esprit de l’ado-
lescent ? » Le dépoussiérage est incontestable même si une force d’iner-
tie sépare la publication de la mise en application. L’esprit d’observation
n’est pas mort : « Même les horizons les plus austères et les plus nus ont
leur séduction pour qui les contemple avec une âme docile à la leçon
de choses. » Résultat : une géographie intuitive fondée sur le bon sens
naturel et l’évidence, une géographie inductive partant de faits sensibles
pour aller aux idées, une géographie active car les enfants recherchent
matériaux et documents.
En 1945, revoilà les îles, lacs et caps, sortis du dictionnaire pour être
réalisés en sable humide et pâte à modeler. On observe, on note le temps
quotidien. Au cours moyen apparaît le milieu local et l’observation à
laquelle on a « systématiquement recours ». Au croquis s’ajoute le résumé.
« Ainsi conçu, l’enseignement de la géographie à l’école primaire rejoint
donc celui des leçons de choses. »
1968-1980, la géographie est, avec l’histoire et « les sciences », consi-
dérée comme discipline d’éveil. Un constat : à partir de 1969 les activités
à dominante géographique se sont raréfiées. La démarche s’appuie sur
des sujets d’étude permettant d’établir des comparaisons. Peuvent fournir
des sujets d’étude les unités de production (atelier, usine), de distribu-
tion (épicerie, station service), de service (école, mairie), de vie sociale
(rue, ville). La géographie s’insère dans les sciences sociales. Ses objectifs
(1976) : « Reconnaître (observation directe ou examen de documents et
apport des médias), nommer (utilisation courante et concrète de termes
du vocabulaire géographique usuel) et examiner dans une optique de
relations dynamiques des réalités visibles correspondant à des concepts
relatifs : aux types de paysages aménagés… aux éléments naturels… aux
activité humaines. »
En 1980, on attend de la géographie un exercice destiné « à recon-
naître, décrire, nommer et expliquer des types divers de paysages, en y
distinguant les éléments naturels et les marques de l’activité humaine, à
localiser sur des plans, cartes, atlas, globe terrestre, photos aériennes, des
exemples caractéristiques des réalités ainsi étudiées. » Pour la France, on
abordera « les grands traits du relief, du climat, des eaux, de la végétation.
La répartition de la population. L’armature urbaine et les grandes régions.
Les principales zones agricoles et industrielles. Le réseau de communica-
tion et d’échanges ».
La grande famille ? ! 179

En 1984, partagés entre les sollicitations du milieu proche et l’écho


des tumultes de l’actualité, les programmes considèrent que l’enfant a
besoin de repères. C’est l’histoire et la géographie qui les fourniront en
le conduisant, par transitions mesurées, à une compréhension organisée
du monde et de la société. Pour cela, cet enseignement donne, en petit
nombre, des connaissances claires et précises sur l’histoire et la géogra-
phie de la France, située dans l’Europe et dans l’ensemble des nations. On
reconnaît que les instructions précédentes, en distinguant entre disci-
plines fondamentales et activités d’éveil, ont eu « des effets fâcheux » ;
la géographie était accessoire dès lors qu’elle n’était plus fondamentale,
et certains maîtres avaient tout bonnement supprimé son enseignement.
On voit ressurgir en 1985 la nomenclature physique, la répartition des
océans, continents et zones climatiques, la diversité des milieux, la vieille
géographie (milieu naturel, activités humaines, composantes économiques
et sociales), la géographie zonale des cadres de vie « choisis dans chacune
des zones polaire, intertropicale et tempérée ». Il est bien précisé que le
maître aide l’enfant à percevoir les relations de l’homme et de son milieu.
Retour aux temps du possibilisme ? Une géographie étriquée confine les
enfants à l’hexagone, alors que tous les jours ils sont confrontés à travers
les médias aux grands problèmes mondiaux.
C’est la maîtrise des concepts gui donnera aux maîtres la possibilité
de mettre en œuvre une géographie rénovée. Évolution sans révolution,
la géographie scolaire n’est jamais pionnière, elle suit des réformes dans
l’air du temps. Il en va de même aux États-Unis où, après une période
« non géographique », la discipline est réintroduite dans l’enseignement
secondaire. Du fait d’un constat de méconnaissance de la géographie, une
semaine officielle est décrétée en 1993, « semaine de prise de conscience
de l’utilité de la géographie ». Un ouvrage de base publié par l’Association
des géographes américains (National Geography Standards) contribue à la
diffusion de la discipline. Avec des hauts et des bas, la géographie poursuit
sa tâche éducative ; avec les apports de la Nouvelle géographie, elle se
redonne une crédibilité, perdue dans les années 1950.

La géographie dite pour le « grand public »


Celle des parcours aériens et halls de gare est portée par des revues
luxueuses pleines de photographies exotiques prises à Nassau comme
à Salers, aux Bahamas comme dans le Lubéron. Elle perpétue la vieille
géographie naturaliste, si commode aux yeux des lecteurs extérieurs, qui
continuent à réclamer leur dose de pics, de caps et de péninsules, et on a
décidé une fois pour toutes qu’elle intéressait le grand public.
180 ! Variations géographiques

La géographie-mode
Chargée de mots à la mode au gré du temps, elle reprend l’essence même
de la géographie : la cartographie, l’image, la géographie-reportage, les
récupère et les commercialise, véhiculant une image « marketing » de la
discipline. Inflation, vulgarisation et banalisation vont de pair, donnant
une simplification du discours et procurant des discours renouvelés.
Vocation, originalité, unité (qui n’exclut pas la diversité) peuvent être
utilisées à tout propos hors de propos et ne manquent pas de l’être. Des
mots de la géographie se banalisent : synergie, dès que deux communes
voisines mettent en commun un projet de collecte d’ordures ménagères,
environnement, repeint en vert ou pas, versant volontiers dans le discours
apocalyptique : l’espace est fini, mortel comme les civilisations, parce que
rare, cher, pollué, défiguré, massacré.
La vulgarisation-mystification passe par le discours publicitaire, le logo,
le slogan ; le petit détail ouvre de grands horizons. Il consiste à remplacer
les deux « I » de Fiji par deux cocotiers, les deux « A » de « Japan » par une
silhouette de toit de pagode pour « évoquer », le « A » de Paris remplacé
par une tour Eiffel, les trois « O » de Hollywood par des bobines de films.
On voit très bien comment peut se représenter le Mexique, un chapeau
de mariachi, un cactus anthropomorphe qui a ses bras, une pyramide dite
aztèque dans le lointain. La collection de Tintin est assez révélatrice d’un
art habile à suggérer un long discours en quelques coups de crayon : mais
elle attire suffisamment l’attention pour mériter études et livres scienti-
fiques. Tintin au Tibet a remporté le prix Ptolémée en 1995 au Festival
international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, pour ses qualités
de vulgarisation géographique.

La géographie-marketing
La promotion immobilière, les tour-operators, les utilisateurs d’espaces de
vacances puisent largement dans l’illustration géographique. Cela donne
de belles compositions en forme de plages et de cocotiers (sans rapport
avec le PIB ou autres indicateurs du pays montré). On pourrait parler de
« géographie-marchandise », terme péjoratif sauf au XIXe siècle quand
chambres de commerce et sociétés savantes liées faisaient aussi de la pro-
motion géographique.
Les publicités commerciales vantent tel pays ou tel autre, ou le
dénigrent : paradis tropical pour attirer ou enfer tropical pour préser-
ver ses ressources, le tout en forme de discours antinomique prononcé
sur les mêmes lieux. Les géographes savent décrypter les représentations
collectives et la manière dont l’espace est jugé et donc valorisé. C’est un
progrès car sous le climat méditerranéen, sur les pentes des Alpes, le Soleil
La grande famille ? ! 181

et la neige ne sont pas les mêmes pour tout le monde. De simples lieux
deviennent hauts-lieux en raison de la qualité sociale des personnes qui
y résident, et en retour le lustre conféré au lieu se retrouve dans celui
conféré aux habitants. Les agences de voyages en savent quelque chose.
Nous sommes ici en pleine géographie des représentations qui élargissent
la discipline en intégrant les cartes mentales des individus et des socié-
tés. La prise en compte du discours sur les lieux et les valeurs qu’on leur
attribue avec un échange constant entre la réalité, ses représentations,
le discours et les comportements face à la réalité, bouclent la boucle.
Le discours embrasse la publicité touristique, la littérature de voyages,
le cinéma, la peinture, la presse, le discours officiel (surtout en période
électorale). Les méthodes d’exploitation passent par les analyses lexi-
cales, sémantiques, révélant tout le poids des enjeux sociaux sur l’espace.
La thèse d’H. Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises (Grenoble,
Éd. Cahiers de l’Alpe, 1983), dans laquelle est utilisé un corpus de dictons
météorologiques, en est un exemple.
Ce type de problématique, très vite récupéré, accompagne les cam-
pagnes de marketing régional ou départemental, propose des choix de
localisations. Le discours est bien au cœur des enjeux du développement
économique et touristique. C’est bien un discours géographique qui nous
conduit à la ville archétypale à travers les revues. À Pau, « la matière grise
pousse au milieu du vert ». Ajaccio offre « tout, à moins de deux heures
de la plupart des grandes villes européennes ». Monaco est « à moins
de deux heures d’avion des capitales européennes ». La distance-temps
donne Saint-Denis à « quinze minutes du centre de Paris et à dix minutes
de l’aéroport de Roissy ». Saint-Denis « Si loin du bruit, si près de Paris. »
« Plus près c’est Paris, plus loin c’est la campagne. »
Barthes, dans ses Mythologies, avait déjà développé le thème dans les
années 1950, par exemple à travers le Tour de France cycliste :

« Il y a une onomastique du Tour de France… Les noms des coureurs semblent


pour la plupart venir d’un âge ethnique très ancien, d’un temps où la race sonnait
à travers un petit nombre de phonèmes exemplaires (Brankart le Franc, Bobet le
Francien, Robic le Celte, Ruiz l’Ibère, Darrigade le Gascon)… C’est dans la mesure
où le Nom du coureur est à la fois nourriture et ellipse qu’il forme la figure princi-
pale d’un véritable langage poétique, donnant à lire un monde où la description
est enfin inutile. »
BARTHES R., 1957, Mythologies, Paris, Le Seuil.

Le discours géographique n’est pas neutre. Il est même tout le contraire.


182 ! Variations géographiques

La géographie populaire
Le bon public, qui s’est parfois un peu frotté à de la géographie scolaire,
ne sait plus très bien ce qu’elle est. Le contenu en reste vague et encombré
d’une série de noms propres, fleuves et montagnes, villes et pays, et de
noms communs, de définitions d’un vocabulaire peu attractif. Face à ce
volet-ennui, un autre volet, coloré, est celui des cartes et de ce qui com-
pose la carte, l’exploration : Spitzberg, Kalahari, Amazonie, Mongolie se
suffisent presque à eux-mêmes. D’un côté la peine, de l’autre le rêve et
entre les deux, la connaissance géographique.
L’écrit joue son rôle. Petite Planète est ancienne (Paris, Le Seuil, 1954),
suivie par les Éditions Rencontre de Lausanne en 1962 (Atlas des voyages).
Il vaudrait la peine de cartographier les pays traités, pour voir les manques,
les angles morts du monde de l’aventure touristique. Aujourd’hui c’est
Autrement (depuis 1975) qui attire avec le Guide du Routard, le Guide
des chemins de la Découverte, à portée de toutes les bourses. M. Chevalier
compare, pour les années 1950 la Suède de Petite Planète et celle de Chabot
dans la collection Orbis : cette dernière « vue de Sirius ». « Les deux
ouvrages appartiennent-ils à des disciplines différentes ? Peut-on rêver
d’une synthèse qui les unirait ? »
Une géographie du jeu est également présente dans le « Monopoly » et
autres jeux de société avec leurs stratégies, souvent spatialo-financières :
Business games, puzzles de cartes, « Trivial Pursuit » en forme de jeu de
questions/réponses. Tous ces jeux nécessitent l’apprentissage des altitudes
des montagnes et des longueurs des fleuves. Arriver le premier, en savoir
le plus, procède, en jouant, d’une certaine géographie.

La géographie, vecteur d’écrits


Se donnant droit de cité, elle est passée par Hérodote et Humboldt, ou
Gracq, Flaubert, Balzac, Zola, Proust pour se cantonner à la France et
à une seule époque. Elle est difficile à déceler, se trouvant parfois où
on ne l’attend pas : songeons à tous ceux qui ne figurent pas dans cette
brève énumération et qui sont à la fois grands voyageurs et écrivains
comme Cendrars, Dumas, Jules Verne… Elle garde aussi ses racines dans
les romans provinciaux, en Berry ou en Auvergne, dans la Provence de
quelques-uns ou la Sologne de Genevoix.

« Géographie et paragéographies »
Les guillemets de ce titre sont dus à son emprunt à un article de
M. Chevalier sous la rubrique Parallèles géographiques : voyages et paysages
La grande famille ? ! 183

(« Géographie et paragéographies », L’Espace géographique, 1989, n° 1,


p. 5-17). On en connaît les composantes, livres de voyage, production
touristique, périodiques thématiques. Parmi les pionniers, A. Ferré sou-
tient une thèse sur la Géographie de Proust en 1939 et publie en 1946 une
Géographie littéraire. A. Bailly, en 1977, étudie la représentation de la ville
à travers le roman, la poésie, le roman policier (La perception de l’espace
urbain, Paris, CRU). Devenue d’usage courant, cette approche est utilisée
dans les manuels scolaires, les livres de lecture par mise en concordance
d’un texte et de son illustration (soit simple « carte postale » soit toile de
maître). Les échanges sont constants, entre le texte (géographique ou pas)
et l’image (géographique ou pas).
Cela amènerait à une réflexion triple sur géographie, grand public et
demande sociale. Le champ est immense, autour de la géographie, dans
lequel se croisent les ouvrages qui parlent d’un coin du monde à tel ou
tel moment : Berlin ou Le Cap, Burundi ou Tchétchénie, COMECON
ou ALENA. Le géographe d’origine l’occupe rarement. M. Chevalier
constate : « Les Français ont, en ce qui les concerne, conservé le souvenir
de la victoire des vidaliens, ces universitaires de stricte obédience, sur
l’homme public ou, pour mieux dire, le militant qu’était Élisée Reclus. »
De même pour les revues : « La plupart ont disparu ou végètent ; d’autres
ont été colonisées par les universitaires, qui n’ont su en faire que de
modestes annexes de l’enseignement supérieur. »
« Enfin, après 1965, l’essor d’un certain néo-positivisme n’a pu que
renforcer les tendances à l’abstraction, l’évolution de la géographie vers
une science nomothétique visant à mettre en évidence des régularités ou
à élaborer des systèmes. »

La géographie pittoresque, le voyage exotique


Le titre est volontairement « rétro » pour une géographie dont le rôle
est de s’adresser au grand public ; mais elle est aussi un dépassement
du commentaire « calé » sur la tradition géographique universitaire. La
publication au début des années 1970 de la série « Découvrir la France »
sous la direction de R. Brunet, a connu un grand succès de librairie… sans
lendemain. Il est vrai que l’ensemble se recommandait de « géographie »
et de « tourisme » à la fois. Le tourisme, a priori « porteur » d’une géo-
graphie, avait là un champ de médiatisation. « La France » de Larousse
est l’exemple d’une excellente vulgarisation, souvent bien écrite, toujours
très bien illustrée.
« La priorité est donnée aux grands spectacles de la nature, aux civilisa-
tions extra-occidentales, aux aspects insolites des pays neufs, parfois aussi
à des sujets techniques (ou culturels). L’histoire n’apparaît guère, non
184 ! Variations géographiques

plus que les problèmes économiques et sociaux. En gros, le point de vue


est plutôt celui du touriste sportif ou du grand reporter » (M. Chevalier,
1989). Les marcheurs vivent de leurs périples lorsqu’ils se nomment
Young dans la France de l’Ancien Régime finissant, Stevenson dans les
Cévennes, ou encore J. Lanzmann (Fou de la marche, Laffont, 1985),
J. Lacarrière (Chemin faisant, mille kilomètres à travers la France, Fayard,
1974). Équivalent de l’histoire-spectacle vendue en kiosque, la géographie-
spectacle semble compenser tout ce qui manque à la publication universi-
taire. Une expérience a été menée avec Geographia dans les années 1950.
Géo lancée en 1979 s’organise en fonction de la photographie, tout comme
l’atlas classique s’organise en fonction de la carte. Dans les deux cas le
texte n’est qu’au second plan.
Méditerranée, depuis 1994, apporte un exemple ; tout comme avec The
National Geographic Magazine fondé en 1886 et tirant à la dizaine de
millions d’exemplaires, qui a été étudié par Béatrice Giblin (Hérodote,
1977, n° 7). Dans les deux cas la photographie règne, ce qui n’est pas
un inconvénient sauf lorsque la primauté s’exerce aux dépens d’un texte
indigent et rarement rédigé par des géographes de formation.

Le tourisme, une géographie commercialisée


L’homme de lettres l’emporte généralement. Il a préfacé jusqu’à très
récemment les Guides bleus Hachette. Les « Visages de… » telle ou telle
province, dans la série « Horizons de France », répondent aux « Beaux
Pays » d’Arthaud. Ils datent, l’héliochromie a bien jauni mais les textes
conservent tout leur intérêt documentaire.
Baedeker, Joanne ont lancé des formules dont les splendides volumes
proposés par Gallimard sont l’aboutissement. Le Guide bleu (suite du
Joanne en 1916) et le Guide vert (Michelin, 1925) ont donné lieu à une
étude (LERIVREY B., 1974, Guides bleus, guides verts et lunettes roses, Paris,
Cerf), vingt ans après le fameux article de Barthes dans Mythologies sur le
Guide bleu d’Espagne. On en connaît les ingrédients, « bonnes adresses »,
vieux monuments, catalogue de hauts lieux étiquetés, et l’éventail, du
bourgeois qui « fait » tel pays ou telle ville au routard à petit budget.
On en retiendra le style empesé qui vient enfin de changer, et le petit
détail architectural qu’il faut absolument avoir vu en traversant une
« Espagne du Siècle d’Or » ou presque. Ni réalités quotidiennes, ni vie
sociale, à l’image de cette Barcelone divisée en deux par les Ramblas et
que l’on visite d’une rive, le Barrio Gotico, et pas de l’autre, le Barrio Chino.
À côté de ces lourdeurs, des ratés dont ces guides régionaux sans lende-
main inaugurés avec l’Auvergne, la lourdeur archéologique ayant laissé
place à la lourdeur géomorphologique. Ajoutons-y les vulgarisations de
La grande famille ? ! 185

voyagistes à usage de congressistes : « Je recours, en me référant à la trop


célèbre “littérature pharmaceutique”, à cette expression un peu péjorative
pour désigner un vaste ensemble de niveau intellectuel généralement plus
que médiocre qui comprend aussi bien les catalogues des entreprises de
voyage (textes publicitaires par définition) que les brochures, dépliants,
etc., des offices de tourisme et syndicats d’initiatives. » Et plus loin : « La
rédaction de ces documents semble fréquemment confiée à des érudits
locaux, à des retraités de l’enseignement, etc., qui répètent de génération
en génération les mêmes sornettes » (M. Chevalier, 1989).

Images touristiques
« Le Guide Bleu ne connaît guère le paysage que sous la forme du pittoresque. Est
pittoresque tout ce qui est accidenté. On retrouve ici cette promotion bourgeoise
de la montagne, ce vieux mythe alpestre (il date du XIXe siècle) que Gide associait
justement à la morale helvético-protestante… On trouve rarement la plaine
(sauvée seulement lorsque l’on peut dire qu’elle est fertile), jamais le plateau.
Seuls la montagne, la gorge, le défilé et le torrent peuvent accéder au panthéon
du voyage, dans la mesure sans doute où ils semblent soutenir une morale de
l’effort et de la solitude… À la limite, le Guide pourra écrire froidement : “La
route devient très pittoresque (tunnels)” : peu importe qu’on ne voie plus rien,
puisque le tunnel est devenu ici le signe suffisant de la montagne ; c’est une
valeur fiduciaire assez forte pour que l’on ne se soucie plus de son encaisse. »
« Un film, Continent perdu, éclaire bien le mythe actuel de l’exotisme. C’est un
grand documentaire sur “l’Orient”, dont le prétexte est quelque vague expédition
ethnographique, d’ailleurs visiblement fausse, menée dans l’Insulinde par trois
ou quatre Italiens barbus. Le film est euphorique, tout y est facile, innocent.
Nos explorateurs sont de braves gens… »
BARTHES R., Mythologies, Paris, Le Seuil. Ces deux textes datent de 1957 !

La géographie des professionnels


Elle manie une recherche et une cartographie de haut niveau alimentée par
des banques de données bien loin de la vulgarisation. Le discours est réduit
en dehors de la production attendue par le mandant, une production
souvent graphique ou statistique. « Le Languedoc-Roussillon est actuel-
lement, en France, la terre d’expérimentation de l’aménagement régional.
Sur ses confins orientaux la Compagnie nationale du Rhône, progressi-
vement, lui ouvre les portes de l’Europe du Nord tandis que les darses
prodigieuses du port de Fos, en s’enfonçant dans la Crau, confirment sa
vocation méditerranéenne et africaine » (R. Dugrand, directeur de l’Atlas
régional du Languedoc-Roussillon, Berger-Levrault, 1969, préface).
186 ! Variations géographiques

Cette géographie professionnelle se trouve dans les ateliers de produc-


tion cartographique, bureaux d’étude, entreprises d’aménagement. Elle
agrémente ses diverses productions de graphes, diagrammes, schémas,
modèles, perpétue un langage plus qu’elle ne favorise la réflexion théo-
rique, s’alimentant volontiers aux productions universitaires reprises
sous d’autres couleurs. Elle ouvre débouchés et salaires aux géographes
comme l’illustrent le Professionnal Geographer ou Applied Geography dans
un monde où la recherche appliquée constitue de plus en plus le moyen
de vie (de survie ?) de nombreuses institutions. Cette géographie devient
la justification de l’existence même de la géographie dans de nombreux
départements, avec plus de contrats, plus de financements et plus d’assis-
tants de recherche… mais quel type de recherche ? En général sur le local,
sans références génériques aux grands principes de la géographie.

Lectures conseillées
The National Geographic Magazine.
Geography for Life: National Geography Standards. Depuis 1994, rééditions annuelles,
Washington, National Geographic Research and Exploration, American
Geographical Society.
PHLIPONNEAU M., 1999, La géographie appliquée, Paris, Armand Colin.
Chapitre 15

Où en est la géographie ?

Domaines de la géographie,
territoires du géographe
La géographie est partout, quelle que soit sa forme adoptée, forme recon-
nue ou forme parallèle, parfois à peine soupçonnée ou même insoupçon-
nable. Prétendre qu’elle est partout et que chacun en fait sans le savoir,
pose la question de son domaine, de ses domaines. Chacun ignore « sa »
géographie mais en fait tout le temps, que ce soit à Beyrouth, Sarajevo ou
Kigali, en Tchétchénie, au Burundi ou en Syrie et au Kurdistan. Les der-
nières années sont fertiles en termes de nouveautés géographiques et de
réflexion épistémologique. Certaines petites choses commencent à passer
dans le grand public. Profusion comme signe de crise ?

Faire de la géographie
Faire de la géographie, cela renvoie à espace, territoire, échelle, région,
pays, paysage, liste non close, et à l’idéologie qui tranche sur tout ce qui
est ou n’est pas (selon quel jugement ?) géographique, ce qui s’en recom-
mande ou s’en démarque, s’y attache ou s’en éloigne. La corporation des
géographes possède ses moyens d’expression, ses bilans périodiques, ses
savoirs, universitaire, professionnel ou scolaire, ses équipes qui définissent
les pratiques géographiques. On distinguera ici quatre pratiques princi-
pales :
– D’abord le recensement de données spatialisées, avec de plus en plus
de traitement statistique, d’informatique, et faisant appel aux modèles et
aux SIG (systèmes d’information géographique).
– La glose est la plus ancienne pratique, appuyée sur l’exégèse de textes
et documents variés. Elle se définit comme analyse de contenu sans
toujours en connaître les lois.
188 ! Variations géographiques

– La carte reste un instrument favori, surtout via les SIG, certains


n’hésitant pas à affirmer qu’est géographique tout ce qui est cartogra-
phiable. De façon plus plaisante, « les étudiants géographes débutants
se transmettent volontiers ce théorème de potache qu’ils déduisent du
comportement de leurs aînés sur le terrain : tout géographe plongé dans
un paysage subit une poussée verticale de bas en haut qui l’amène inévita-
blement au point le plus élevé de ce paysage, d’où il puisse le contempler
comme sur une carte » (PUMAIN D., 1989, « Nouvelles du ciel », L’Espace
géographique, n° 1, p. 17).
– La pédagogie constitue une autre pratique. On l’assimile souvent à la
didactique fondée sur un vocabulaire spécifique. Transmettant les bases
de la discipline, avec toutes les certitudes du dogme, elle n’a pas toujours
sa place « officielle » malgré l’importance de l’enseignement de la géogra-
phie aux divers niveaux scolaires.
Selon une production géographique récente, la matière entre dans
l’ère de titres longs venus du langage parlé : V. Prévôt : À quoi sert la
géographie ? Y. Lacoste : La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre ;
J.-P. Ferrier : La géographie, ça sert d’abord à parler du territoire. Le premier
se veut « défense et illustration » de la discipline, par un auteur directeur
pendant vingt ans de la collection des manuels du secondaire chez Belin,
gravitant ainsi autour de tout ce qui touche au moule de l’enseignement
de la géographie. Le second est l’expression du militantisme d’un univer-
sitaire auteur d’un ouvrage ayant marqué les orientations de la géographie
et responsable de la revue Hérodote. Le troisième, également universitaire,
reprend le titre du second pour en renverser la proposition et montrer le
poids du territoire dans les pratiques humaines.

Cinq géographies possibles


La géographie peut prendre des significations très variables : géographie
reconnue, révélée, soupçonnée, pressentie, affirmée…
La géographie « reconnue » historiquement est malheureusement la
géographie des faits spatiaux, dès lors qu’on est soumis à l’interrogation
sur le débit d’un fleuve, l’altitude d’un pic, la population d’une capitale,
ou que l’on se trouve face à une liste-catalogue d’énumération de lieux ;
tout comme on serait obligatoirement devant « de l’histoire » dès qu’il y
a énumération de dates.
Appel est fait à la géographie « révélée » devant la bizarrerie, l’inat-
tendu, l’exceptionnel, l’insolite d’un paysage à propos duquel on deman-
dera au géographe de s’exprimer. On en connaît des exemples, le grand
canyon pour le western, la grande forêt souvent « amazonienne », la
grande dune lieu des aventures de l’officier méhariste, la haute montagne
Où en est la géographie ? ! 189

alpine ou andine, la mer et ses fonds pour les exploits en plongée.


La géographie révèle les origines du monde et son exploitation par
l’homme, tout comme elle explique pourquoi l’on trouve des cerises
à Noël (lorsque l’on s’interroge sur leur prix et ensuite sur leur prove-
nance). Elle amène alors à réfléchir sur une notion aussi simple que celle
de l’existence de marchés délocalisés, étendus à la planète, ou celle de
l’existence d’aires climatiques et de saisons différentes… et bien sûr à
l’opposé des « circuits courts ».
La géographie est « soupçonnée » lorsqu’elle apporte la solution à
une question sur un lieu, quand le Congo devient Zaïre ou la Rhodésie
Zimbabwé. Elle est aussi soupçonnée lorsqu’elle évoque une trame invi-
sible, par exemple celle des échanges internationaux par le canal des
multinationales et des stratégies du capital : matière première récoltée
dans l’hémisphère sud, apprêt à Hong Kong ou en Corée, montage ailleurs,
et surtout griffe à Paris, New York, ou Londres.
La géographie « pressentie » apparaît sous d’autres formes lorsqu’elle
confirme une intuition, par exemple à travers le terme de banlieue au
sens élargi : banlieue laitière de Paris dans les Alpes, banlieue maraîchère
de la France en Afrique du Nord, banlieue de loisirs à Miami pour le
New-Yorkais ; les processus spatiaux se mondialisent et la géographie
apporte son éclairage. On peut prendre comme exemple la complexité
des mouvements migratoires : migrations locales (on dirait pendu-
laires) de travail, régionales de loisirs, internationales de retraites et de
la misère !
La géographie « affirmée » apparaît surtout à travers la lecture d’un
quotidien : il suffit de prendre le numéro du jour et de noter simplement
les termes qui relèvent de la géographie : La Montagne, Le Sud-Ouest,
Le Midi (Libre), L’Est (Républicain), (La Voix) du Nord, (Les Dernières
nouvelles) d’Alsace, et couronnant le tout : Le Monde, Die Welt, El Pais.
C’est géographique, est-ce de la géographie ? De même dans le journal
télévisé ce qui relève de l’information transite – obligatoirement – par
la référence (sinon le lieu) géographique, souvent de façon parfaitement
inconsciente.

Le paradoxe : géographie partout, géographie nulle part


Parce qu’elle est partout, la géographie se fond dans le « nulle part ». On
imagine que la géographie n’est plus simplement énumérative ou sèche-
ment descriptive alors qu’elle ne l’a jamais autant été. Aller quelque part,
se déplacer, emprunter un itinéraire, c’est à la fois le replacer dans un
milieu géographique et le matérialiser par des repères. La géographie énu-
mérative de la vie de chaque jour est certainement inévitable. La question
190 ! Variations géographiques

n’est pas là, ce qui est grave, c’est d’en avoir fait le modèle de la géographie
pour l’école et d’avoir oublié l’essentiel : l’explication du monde passe par
d’autres canaux.
Tout cela existe à travers ces documents géographiques que sont l’émis-
sion télévisée, la vitrine de l’agence, le dépliant touristique. C’est bien
cette demande anodine pour le « spatial » qui renforce une « géographie »
quotidienne : la publicité sur les murs ou reçue massivement sous forme
imprimée, publicité des spots télévisés, œuvre écrite, filmée ou autre, qui
ont leur support géographique. La popularité de ces catalogues provient
de leur potentiel à faire rêver, le voyage exotique, la gastronomie puisant
dans le terroir et les produits de pays, les migrations de travail vers les
pays riches… L’espace n’est pas abordé en termes objectifs mais selon des
échelles de valeurs.

Débats et permanences
Où est la géographie et où en est la géographie ? Double question qui
implique maintenant un parcours épistémologique approfondi. Une
science se positionne à travers une place, sa place, dans l’histoire des
sciences. Elle se codifie et s’assied peu à peu, participant des progrès de la
connaissance et contribuant à ses avancées. Mais, en plus, la géographie
offre le paradoxe intéressant d’être à la fois la matière la plus ancienne
et la science la plus récente tout en conservant, sous des formes certes
très diverses, une immense actualité, car toute actualité est géographique.
La géographie a beaucoup changé, d’aucuns disent évolué ces dernières
années, mais pour qui et pour quoi « faire » ? D’abord, elle n’a pas évolué
de façon uniforme ; certaines survivances dans la démarche géographique
montrent des bastions soigneusement à l’écart d’idées novatrices. Ensuite
elle ne s’est pas transformée partout de la même façon, mais selon des
rythmes successifs entre des poussées qualifiées parfois de « crise de la
géographie ». Question de vocabulaire, on peut penser que crise et progrès
vont de pair, depuis plus de 50 ans.
Ce sont aussi les géographes qui ont changé, s’efforçant de plus en
plus de rendre compte de « l’état du monde », veillant à l’émergence
de nouveaux concepts, prenant en compte les idéologies, soucieux de
médiatisation.
« L’air du temps » n’est plus le même, comme les mots-clés qui per-
mettent de le cibler, un parcours rapide des manuels nous le montre. Il
y était question de région, paysage, ville, aménagement… on y trouve
désormais territoire, acteurs, enjeux, stratégies, système, etc. L’outillage
est devenu très performant quand – à partir d’un gros maniement
Où en est la géographie ? ! 191

statistique –, à la cartographie a succédé la cartomatique et les SIG.


À partir d’une réflexion sur les structures spatiales, la chorématique a
trouvé sa place jusque dans lesdits manuels.
Des débats traversent la géographie, traduisant un changement de
paradigme, parmi eux la sacro-sainte unité, la géographie appliquée,
applicable ou active, les outils nouveaux, l’approche systémique, critique
ou humaniste.

Expliciter ses bases théoriques


« Ce qui a toujours manqué aux géographes, c’est ce qu’on pourrait appeler,
prétentieusement peut-être, un paradigme, et plus simplement un axiome,
une hypothèse de travail susceptible de réaliser un large consensus entre
eux. Ou, plutôt, ils en ont envisagé successivement plusieurs sans s’atta-
cher longtemps à aucun : déterminisme, possibilisme » (ISNARD H., 1978,
L’espace géographique, Paris, PUF, p. 9). Le même auteur cite T. Kuhn :

« En l’absence d’un paradigme ou d’une théorie prétendant à ce titre, tous les


faits qui pourraient jouer un rôle dans le développement d’une science donnée
risquent de sembler également importants… on hésite à qualifier de scientifique
cette littérature. »

KUHN T., 1962, La structure des révolutions scientifiques,


Paris, Flammarion.

Sortir de la description implique la nécessité d’expliciter ses bases


théoriques, au-delà du seul empirisme et de la simple observation des
faits. C’est sortir aussi de l’espace écologique (ou « espace naturel » ou
« espace physique ») pour s’identifier à la société, de façon interdépen-
dante. Comme le dit Isnard, « il reste qu’une société ne peut pas plus se
concevoir sans son espace, qu’un espace sans sa société ». Car l’espace
est un produit social. Les faits spatiaux ne s’appréhendent que dans leur
interdépendance, et l’espace géographique constitue un système avec ses
organisations, ses composantes, ses cohérences, ses entrées et ses sorties,
son fonctionnement et ses règles.

L’anthropomorphisation
L’anthropomorphisation est insidieuse en géographie, car de formulation
commode. La « personnalité géographique » d’un pays n’a pas grande si-
gnification, la « vocation » d’une région encore moins, et pourquoi pas
les « mentalités » pour les habitants, certains ayant « bonne » mentalité,
192 ! Variations géographiques

d’autres « mauvaise ». On baigne là en pleine idéologie. De la même façon,


une croissance urbaine n’est jamais « anarchique », elle répond simplement
parfois à des logiques qui ne sont pas évidentes au premier coup d’œil et
font croire au désordre. Meynier (1969) écrit à ce propos : « Preuve, certes,
de la vitalité de la région, elle peut naître, grandir, vieillir, disparaître. »
On réalise assez vite que la « vocation » (d’ailleurs variable au gré
du temps), tout comme la « diversité » (que n’exclut pas l’unité) ou
« l’originalité » (à tout propos) d’un pays sont des termes passe-partout.
Ils débouchent vite sur une inflation verbale.
En géomorphologie également, les concepts utilisés révèlent bien la même
anthropomorphisation quand on parle d’altération, d’usure, de vieillesse,
de résistance à l’érosion. Un beau texte de Malte-Brun (1835, Configuration
extérieure des montagnes, vallées, plaines et côtes, in Géographie universelle)
est intarissable sur les montagnes. « L’imagination frappée désigne ces
aspects sous les noms d’aiguilles, de pics, de dents, de cornes, de dômes, de
puys, de ballons, et de brèches… on en voit, auprès d’Envionne [sic], dans
le Valais, qui rappellent l’image des anciennes perruques moutonnées… »

Les veines de la géographie


Dans les vieilles descriptions le vocabulaire souligne une sorte de transfert
médical : « Les eaux, d’abord disséminées en un réseau veineux très compliqué,
se rassemblent en quelques artères principales » (Schrader, Gallouédec). Le
Massif central « dispense le sang à tous les organes ». Le Bassin parisien est fait
de « terres perméables et poreuses qui boivent l’eau du siècle ». Les Vosges :
« À travers les entrailles de la montagne, tout rappelle un passé cruel. » Chez
Foncin : « Les lignes fluviales ou ferrées… sont comme les artères et les veines
ramifiées en une foule innombrable de petits vaisseaux. » De même, Michelet,
dans son Tableau de la France, écrit « L’Angleterre est un Empire, l’Allemagne un
pays…, la France est une personne. »

Couples réducteurs en géographie


Le vieux débat idiographie-nomothétie sous-tend encore des visions
opposées de la discipline. L’idiographique produit des descriptions et
explications de phénomènes uniques, ni susceptibles d’être répétés ni
généralisables. Au contraire, le nomothétique produit des procédures de
généralisation conceptuelle s’efforçant d’aller vers des lois scientifiques.
En fait, le thème de ce débat est sous-jacent à l’ensemble de la démarche
en géographie. La liste des « couples » faisant débat est longue, à titre
d’exemple on a retenu ce qui suit :
Où en est la géographie ? ! 193

physique-humain centre-périphérie
général-régional passé-actuel
déductif-inductif scientifique-didactique
citadins-ruraux local-mondial
villes-campagnes réductionnisme-complexité
fondamental-appliqué causalisme-probabilisme
homogène-polarisé méthodes-contenus
subjectif-objectif nomothétique-idiographique
connu proche-inconnu lointain quantitatif-qualitatif
visible-invisible potentialités-incapacité
immédiat-long terme « bon »-« mauvais » pays

Termes et concepts en opposition font et feront encore l’objet d’âpres


discussions.

Géographie générale et géographie régionale


On reconnaît là les deux volets de tout enseignement traditionnel, répon-
dant à la tétralogie des périodes qui découpent les programmes d’histoire,
ancienne, médiévale, moderne, contemporaine. En fait, ce couple traduit
un débat plus large entre particulier et général, devenu régional-général.
Les rapports ont changé, c’est l’Inspection générale qui le précise :

« La géographie générale qui se déclinait par stratification des connaissances


présentées en deux temps distincts, géographie physique et géographie humaine,
s’appuie désormais sur l’étude de deux grands thèmes, les hommes et leur répar-
tition, les sociétés face aux contraintes des différents milieux aménageant leur
espace pour utiliser les ressources. »

Quant à la géographie régionale, chargée d’alimenter par ses monogra-


phies la démarche générale, elle est prédéterminée dans des limites venues
soit de la nature, soit de l’histoire, soit des deux :

« La géographie générale s’efforce de saisir ce qu’il y a de permanent, de régulier


dans les faits terrestres, de rapprocher ces faits, de les éclairer les uns par les autres
de manière à en expliquer les conditions. Les combinaisons locales des faits étudiés
par la géographie générale relèvent de la géographie régionale. Chaque région a
son signalement propre ; le paysage actuel ne dépend pas seulement du relief ; il
provient aussi de la végétation dont les formes et l’aménagement traduisent les
influences climatiques et humaines, et de toutes les empreintes de l’homme, au
cours de ses essais pour aménager sa vie et organiser son activité. La géographie
régionale est donc un préservatif contre l’esprit de système de la géographie géné-
rale : les généralisations vagues et prétentieuses cessent pour celui qui toujours
194 ! Variations géographiques

campe un pied sur terre, “cette bonne forte base” selon l’expression de Michelet ;
le contact du sol, ou mieux, d’une région bien déterminée oblige l’esprit à rester
face à la réalité, à éviter les fumées de la spéculation ; c’est un des bienfaits les
plus certains de la géographie. »
CLOZIER R., 1967, Histoire de la géographie, Paris, PUF.

De la coupure à la liaison entre géographie physique


et géographie humaine
Elle est, dans l’héritage du vieux naturalisme, souci pour le géographe
de rester proche des sciences de la nature, géologie, biologie, physique,
chimie, et des sciences expérimentales. Beaucoup de définitions vont dans
ce sens, ainsi Prévôt en 1981 parle pour la géographie de l’« étude de l’inte-
raction entre les phénomènes naturels et les faits humains, des liaisons
entre la nature et la civilisation ou la culture ». Il y manque la société. Mais
comment peut-on maintenir dans le même attelage cette opposition au
nom de la sacro-sainte unité de la géographie ?
La géographie physique est souvent assimilée à la morphologie ; à
l’école primaire on compte les montagnes, on ne se rend pas compte que
fleuves, climats, paysages entrent dans la même catégorie ; au lycée, c’est
le saupoudrage « physique » introductif à l’étude de chaque pays – quel
qu’il soit – pour donner des distances, des altitudes ; à l’exception de la
classe de seconde où la géographie physique s’étale parfois sur une large
partie de l’année. À l’université, l’entraînement au commentaire de carte
procède de la même démarche binaire. Cessera-t-on de dire que pour
comprendre un paysage il faut se référer obligatoirement à la circulation
atmosphérique, aux héritages du périglaciaire, aux écosystèmes, etc, mais
que cela ne suffit pas ?
La géographie aborde donc maintenant les questions d’environnement,
de changement climatique global dans un contexte humain, à travers
une analyse claire des grands concepts qui lient approches humaines et
physiques. Les représentations des risques, des conditions sociales, sont
mobilisées pour saisir les interactions et leurs conséquences sur l’homme.
Ces nouvelles conceptions favorisent une vision globale de la géographie,
mais aussi une nécessité de maîtriser les techniques d’aide à la décision
(en particulier multicritères). Ainsi va-t-on vers une géographie appliquée.

Vers une science géographique


Une science définit son objet, sa méthode, son champ d’étude. La géographie
l’a-t-elle jamais fait ? La réponse passe par le recours aux définitions, étapes,
buts, selon une démarche relevant de l’épistémologie : décrire l’espace terrestre,
Où en est la géographie ? ! 195

certes, mais sans le code scientifique indispensable. De Martonne ne craint pas


d’affirmer dans sa Géographie physique (1910, t. 1, p. 24) : « Elle a un caractère
essentiellement scientifique et philosophique, mais aussi un caractère descriptif
et réaliste. »
Chacun des termes employés mérite qu’on s’y arrête :
– scientifique : non, tant qu’il n’y aura pas de théorie géographique, et c’est bien
pour cela que – pour continuer d’exister – on se rabattra sur « l’art » ou sur
« l’esprit de finesse » ;
– philosophique : le terme est peu clair, mais en tout cas on peut supposer qu’il
ne s’agit pas du sens que l’on pourrait croire, celui du rattachement à une école
philosophique (s’agirait-il de Kant ?) ;
– descriptif : on s’y attendait ;
– réaliste : il s’agit bien évidemment d’un leurre, dans l’esprit du temps ; c’est là
que se rattachent le concret, le terrain, le sens du concret, la nécessité du terrain,
et tout ce que cela permet de gommer : stratégies, mécanismes, processus,
idéologie, forces en présence…

La démarche déductive-inductive
L’induction n’a aucune problématique explicite, si mince soit-elle. À partir
de faits elle prétend remonter vers des propositions plus générales. La
déduction découle d’une idée, d’hypothèses de travail, d’une théorie et de
concepts. L’avancée scientifique passe par l’objet d’investigation choisi, la
question que l’on se pose, la trame d’analyse que l’on se donne. Induction
et déduction sont en rapport dialectique.

« Les méthodes et démarches du type déductif s’appuient sur des modèles théo-
riques et sont utilisées plus volontiers par les géographes de la “Nouvelle géogra-
phie”. Elles sont dites déductives parce que le modèle théorique – économique,
social, culturel, politique – fournit des clefs pour décrypter les phénomènes
élémentaires et leur organisation spatiale. Ils fournissent a priori des concepts/
notions nécessaires à l’analyse des principes d’organisation et d’explication des
mécanismes de fonctionnement. Ces méthodes hypothético-déductives se déve-
loppent sur le schéma suivant : 1. formulation d’une hypothèse et recherche d’un
modèle théorique ; 2. analyse du modèle descriptif et interprétatif ; 3. mise en
œuvre de procédures de validation : confrontation du modèle théorique et des
réalités étudiées ; 4. reconnaissance des conformités et anomalies, et recherche
d’un schéma explicatif spécifique à l’espace étudié. »
LE ROUX A., 1995, Enseigner la géographie au collège, Paris, PUF, p. 73.
196 ! Variations géographiques

Mondialisme et localisme
Le choix est double : étudier la planète ou le local, le « système-monde »
ou le désir de « vivre au pays ». « La curiosité à l’égard des perceptions
endogènes est récente, qu’on appelle ethnoscience ou anthropologie éco-
logique. À côté de l’analyse scientifique, on mesure l’intérêt de la connais-
sance indigène des milieux » (PINCHEMEL Ph. et G., 1988, La face de la
Terre, Paris, Armand Colin, p. 307). Cette perception endogène implique
un enracinement, pouvant s’appuyer sur un héritage de pratiques se recon-
naissant dans une démarche empirique qui renvoie à un contexte social.
« La construction de l’Europe, la décentralisation des pouvoirs, la
“mondialisation” des stratégies d’entreprise et des informations quoti-
diennes, et, à l’inverse, la recherche d’identité et la montée d’un certain
“tribalisme” ont porté l’attention sur les territoires et sur les réseaux de
lieux. Outre l’administration d’État, les collectivités locales et les firmes
expriment à ce sujet leurs curiosités » (BRUNET R., 1995, « Une géogra-
phie à vivre », Dialogues, revue de l’enseignement français à l’étranger, n° 44,
p. 11-12).
Une deuxième citation, de même origine mais sous la plume de
J.-P. Lauby, va dans le même sens. « Les finalités assignées à la décou-
verte du territoire national ont une nouvelle dimension à l’heure du village
planétaire, avec le développement des échanges et la construction d’enti-
tés supranationales. La quête de l’identité trouve alors sa raison d’être
dans des échelles qui vont du quartier aux horizons lointains, tandis que
la citoyenneté s’élabore avec la prise de responsabilité à de multiples
niveaux et dans des cadres divers (entreprises, associations, vie politique,
etc.) » (LAUBY J.-P., 1995, « Géographie de la France », Dialogues, revue
de l’enseignement français à l’étranger, n° 44, p. 31-32).
Le choix entre le local et l’universel apparaît en deux colonnes :

Le singularisant L’universalisant
Le « régional » Le « général »
La chorographie La géographie
Le sélectif L’exhaustif
Un ordre dans le monde Une description de la Terre
Les divisions, les parties La totalité de la Terre
La différenciation régionale L’analyse spatiale large

Concret-abstrait
Les deux approches, qui n’ont rien de spécifique à la géographie, sont
ici en opposition totale. Le concret parfois dit « terrain », l’observation
que l’on dit sans a priori ou pire, « objective » (!) donne au mieux une
Où en est la géographie ? ! 197

géographie-commode, à tiroirs. Les limites de la démarche sont évidentes.


Souvenons-nous de l’affirmation de Comte qui garde ici toute sa valeur :
« L’imagination ne doit jouer qu’un rôle absolument subalterne, toujours
aux ordres de l’observation. »
Théoriser, au contraire, c’est déboucher sur une analyse cohérente des
problèmes posés à partir d’un corps d’hypothèses, et traiter des données à
partir de méthodes préalablement définies ; d’où une remise en question
de tout le savoir-faire acquis de façon empirique.
Théoriser c’est entrer en géographie de façon raisonnée, avec un certain
nombre d’interrogations : quelle définition ? Quel corpus scientifique ?
Quelles références scientifiques ? Quelles connexions ? Quelle utilité
sociale ? Quels outils ? Et enfin, quelle problématique ?
Le problème est double, maîtriser la nouveauté (pour une part tech-
nique) et répondre à des exigences devenant de plus en plus grandes sur
le plan intellectuel. Y voir clair consisterait peut-être à placer en deux
colonnes les limites de la géographie traditionnelle (le concret ?) face aux
propositions de la Nouvelle géographie (l’abstrait ?).

Des nouveautés
Si la géographie est en crise pour certains, elle n’a jamais été de fait aussi
riche pour d’autres, et ses différents courants en font la richesse. Des
dénominations, des attributions, des étiquettes constatent volontiers
que telle école ou tel courant sont présents là ou là. Quand on a – entre
autres centres et entre autres options à la fin du XXe siècle, il ne faut
pas l’oublier – de la géographie sociale à Caen, des modèles et chorèmes
à Montpellier, de la cartographie à Strasbourg, de la géographie appli-
quée à Rennes, un penchant pour les représentations à Grenoble, Genève
ou Lausanne, pour la géographie théorique à Québec. Et que recenser à
Montréal, Louvain, Paris… ? Encore d’autres spécialisations. Il est diffi-
cile d’entrer dans le moindre classement tant la variété est grande et tant
il existe de nouveautés qui dépassent la conception que Clozier se faisait
de la géographie dans les années 1940 :

« La géographie s’ouvre sur une double perspective : elle est au carrefour des sciences
de la nature et de l’humanité, sorte de “pont” jeté entre ces deux branches du savoir
humain, position-charnière entre diverses disciplines qu’elle coordonne à la manière
d’une philosophie de l’espace ; elle fournit à ces sciences connexes une contribution
très personnelle : l’esprit de synthèse, le sens des réalités complexes, la compréhen-
sion des ensembles localisés et interdépendants ; elle retient ce qui, dans l’activité
des groupes humains, est propre à l’ensemble de l’humanité et permet l’élaboration
198 ! Variations géographiques

d’une synthèse, et ce qui est le fait d’une collectivité déterminée, c’est-à-dire le cas
particulier apportant aux généralisations abusives le correctif de l’exception, de la
variante locale ou régionale. Cette confrontation permanente avec le réel, cette
aptitude à faire varier la recherche du phénomène mondial au fait local confèrent
à la géographie toute sa signification, toute sa valeur. »
CLOZIER R., 1942, Les étapes de la géographie, Paris, PUF,
p. 127, dernier paragraphe de l’ouvrage.

Le texte date des années 1940, on y trouve le carrefour, le pont et la


charnière, la coordination pour des sciences connexes, le fameux esprit
de synthèse : tous les ingrédients d’une géographie du temps ; on y décèle
particularisme et exceptionnalisme.
Dépasser les vieux fantômes c’est remettre en question des textes de ce
type, extraits d’ouvrages qui par ailleurs ne manquent pas d’intérêt. Il est
grave de penser encore que la géographie est une science carrefour, ou
pourquoi pas discipline de synthèse : le géographe apparaissant comme
le Deus ex machina qui réalise au nom de ses compétences, la synthèse
du sacro-saint milieu « naturel » grâce à quelque teinture de pédologie,
climatologie, palynologie, sédimentologie, géologie, etc., le tout accolé à
l’espace « polarisé » qui implique d’avoir assimilé les connaissances appor-
tées par les économistes. Quant au déterminisme mécaniste de la nature,
ou l’esprit de finesse de l’observateur, ils traduisent tous deux un manque
de concepts de base capables de fonder la géographie comme science. Une
impuissance donc, dans la compréhension de la dynamique du monde où
nous vivons, et un retrait derrière une attitude « neutre » prétendument
scientifique, dans un empirisme enfermé dans des présupposés idéalistes.

La géographie comme instrument de recherche


Appel est donc fait à de nouveaux thèmes d’intérêt dont les thèses et articles
publiés se font l’écho. Les exemples sont innombrables : une civilisation
urbanisante après l’ordre éternel des champs, d’où la suprématie de la géo-
graphie dite « urbaine », le Tiers-Monde et le développement, la prise en
compte de l’inégalité des revenus prenant la suite d’une géographie « tro-
picale », l’espace économique mondial et la stratégie des firmes multina-
tionales après les ressources naturelles. On ajoutera à ces nouveautés la
cartographie, revue et corrigée. Faire une carte devient un autre exercice
avec la prise en compte de la distance/espace : une réalité, et de la distance/
temps : une autre réalité comme l’accessibilité à partir de Paris en une heure
d’avion avec les horaires fournis par l’indicateur des compagnies aériennes ;
étudier ce qui est le moins accessible, la distance/coût. La vraie nouveauté
découle aussi de la statistique et du traitement des données par l’ordinateur.
Où en est la géographie ? ! 199

Les remises en question


Ces approches sont en réalité beaucoup moins éloignées qu’on ne pourrait
le croire, et les choix sont simples. Ce que montre le graphe : l’opposition
entre géographie à l’ancienne essentiellement descriptive et géographie
faisant appel aux techniques statistiques et cartographiques actuelles,
masque le vrai problème : la nécessité d’expliciter les démarches.

à référentiel implicite 1
non quantitative
à référentiel implicite 2

géographie
à référentiel implicite 3
quantitative
à référentiel implicite 4

Tout le débat tient en ces quatre lignes : 1 et 3 perdent leur temps et le


font perdre, 2 et 4 vont vers une démarche claire, critique. Le diagramme
pourrait se poursuivre, le 2 donnerait marxisme et structuralisme, le 4
donnerait systémisme et modélisation quantitative. D’où le problème, le
progrès passe par 2 et 4, non par la coupure quantitatif-non quantitatif.
L’establishment parle volontiers de crise puisque cette renaissance
semble se faire à son encontre par la remise en cause d’affirmations consi-
dérées jusqu’ici comme faisant l’unanimité et masquant, en fait, toutes les
carences épistémologiques de la discipline.
En fait se cache sous le terme de crise une renaissance illustrée par les
publications de géographes qui s’ouvrent sur de nombreux référentiels,
post-modernes, culturels et des thématiques élargies, de l’exclusion à la
durabilité.

Lectures conseillées
ALLEMAND S., 2007, Comment je suis devenu géographe, Paris, Le Cavalier Bleu.
L’Espace géographique, 1996, n° 1. Débat entre géographes français ayant des
conceptions différentes.
Progress in Human Geography. Cette revue dresse régulièrement un panorama des
grands courants de la géographie essentiellement de langue anglaise et de leur
évolution.
REYNAUD A., 1974, « La géographie, entre le mythe et la science, essai
d’épistémologie », Travaux de l’Institut de Géographie de Reims, n° 18-19.
Conclusion

LE DERNIER OUVRAGE signalé dans les lectures conseillées, pourtant


ancien, donne bien le ton à cette conclusion : « La géographie, entre le
mythe et la science… » Ce titre, choisi par A. Reynaud en 1974, a déjà plus
de quarante ans. Un grand chemin a été parcouru depuis.
On n’aura point perdu de vue que tout ce qui précède se range sous
la bannière d’éléments d’histoire et d’épistémologie. Le titre le précise
bien : éléments seulement, qui s’efforcent de rassembler d’une façon se
voulant commode des jalons dans la réflexion sans faire de la philosophie,
des étapes dans les publications sans faire uniquement de l’histoire, des
notions destinées d’abord aux étudiants et aux candidats aux concours de
recrutement pour l’enseignement afin de les éclairer sur les débats anciens
et nouveaux, les positions idéologiques, la permanence des héritages et
les ruptures, à travers le rassemblement de textes épars. Ils ne constituent
qu’un choix propre aux deux auteurs, la meilleure anthologie reste bien
celle que l’on fait pour soi et à son propre usage.
Il reste, à travers l’état actuel de la géographie, une nouveauté qui va se
confirmant : le besoin d’une réflexion sur la discipline, quels que soient
les niveaux d’enseignement ou de recherche pratiqués, en particulier vu
la diversité des nouveaux courants de la géographie sociale, culturelle
et environnementale. La géographie change, sans que les spectateurs le
sachent ; son image reste celle de la discipline des nomenclatures, alors
qu’elle s’est totalement renouvelée depuis cinquante ans. Il y a là un enjeu
de taille. Celui de mieux comprendre une géographie multiforme, à la fois
la plus ancienne et la plus jeune des sciences humaines.
Index des auteurs

A Berdoulay V., 91, 168


Abler R., 44 Berque A., 132, 134
Adams J., 44 Berry B., 123
Ailly P. d’, 77 Berthelot J.-M., 59
Albuquerque A., 80 Bertrand G., 32, 146
Allemand S., 59 Birot P., 30, 34, 106
Alliès P., 137 Bismarck O., 161
Allix A., 30 Blanchard R., 29, 30, 90, 110
Almagia R., 30 Bloch M., 113, 150
Ampère A.-M., 8 Bonnard P., 135
Bonpland A., 82
Angoulvent P., 32
Boorstin D., 79
Antillon I., 85
Bory de Saint-Vincent J.-B., 108
Ardouin-Dumazet V.-E., 89
Bougainville L., 82
Ardouin M.-H., 90
Bouillet M.-N., 164
Aristote, 71, 73
Bourdeau-Lepage L., 59
Augustin J.-P., 59, 127
Bourdé G., 113, 114
Aujac G., 91 Bourrit M.-T., 87
Auriac F., 119 Brahé T., 68
Braudel F., 113, 119, 150, 163, 173
B
Brazza S. de, 67, 84
Bachelard G., 17 Broc N., 85, 86, 91
Bacon R., 75 Bruneau M., 125, 126
Baedeker K., 184 Brunet R., 9, 15, 41, 45, 47, 57, 110,
Bailly A., 5, 8, 21, 45, 46, 56, 114, 131, 133, 137, 164, 183, 196
116, 121, 130, 140, 154, 183 Brunhes J., 28, 30, 32, 38, 89, 90, 106,
Balbi A., 148 123, 124
Balboa V., 67 Bruno G., 165
Ballainvilliers C.-B., 81 Buache P., 86
Balzac H. de, 148, 182 Buffon G.-L. de, 67, 73, 81, 86
Barthes R., 181, 184, 185 Buisson F., 90, 108
Basville L. de, 81 Bunge W., 43, 44, 123
Bataillon C., 59 Burgel G., 49
Baulig H., 30 Burgess E., 149
Beaujeu-Garnier J., 33, 37, 49, 106
Beaumont E. de, 73 C
Béguin H., 24, 114 Cailleux A., 37, 38, 106
Beraldi H., 86 Caillié R., 84
204 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Camp M. du, 84 Delalain A., 164


Capel H., 107 Delamarre M., 38
Carles A., 33 Demangeon A., 30, 89, 110, 129, 135
Cassini D., 81, 82 Deneux J.-F., 59
Cassini J.-D., 81, 82 Denys le Périégète, 70
Castells M., 47, 149 Derruau M., 8, 48, 106
Cendrars B., 182 Descartes R., 7, 77
Certeau M. de, 113 Destut de Tracy, 88
Cézanne P., 135 Diaz M., 80
Chabot G., 106, 182 Dilthey W., 24
Cham, 154 Dioclétien, 103
Chardonnet J., 34 Diodore de Sicile, 72
Chesnel L. de, 148 Dioscoride, 70
Chevalier J., 46 Dollfus O., 41, 43, 45, 133
Chevalier M., 182, 183, 184, 185
Dory D., 125, 126
Cholley A., 13, 27, 29, 30, 32, 33, 34,
Drain M., 11
35, 37, 39, 40, 41
Dubois M., 90, 168
Chombart de Lauwe P., 149
Duchaufour P., 106
Chorley R., 123
Christaller W., 23, 44, 45, 123, 150 Dufy R., 135
Churchill W., 161 Dugrand R., 146, 185
Cicéron, 71 Dumas A., 182
Claval P., 33, 41, 43, 45, 91 Dumas J., 59, 127
Clozier R., 30, 33, 34, 37, 41, 86, 91, Dupont (Groupe), 9, 22
194, 197, 198 Durand-Dastès F., 41, 45, 119
Colin A., 32, 110 Durand G., 17
Colomb C., 72, 76, 77, 80 Durkheim E., 148
Comte A., 53, 171, 197
Condorcet M.-J. de, 171 E
Constant B., 88 Edrisi, 73
Cook J., 76, 82 Ehrlich E., 151
Copernic N., 68, 76, 77 Éluard P., 143
Cornevin C., 85 Ératosthène, 70, 71, 154, 162
Cournot A., 53 Eusèbe de Césarée, 74
Crouzet F., 33 Ezéchiel, 68
Cunha A., 165
F
D Febvre L., 30, 124, 171
Dante, 69 Ferras R., 5, 44, 56, 109, 111, 154, 164
Dardel E., 33, 41 Ferré A., 183
Darwin C., 88 Ferrier J.-P., 58, 138, 157, 188
Daudel C., 59 Festus Avienus, 70, 72
Daunou P.-C., 66, 88 Flament C., 151
Dauphiné A., 58 Flaubert G., 84, 182
Davis W., 30 Foncin M., 192
Déciarque, 70 Fontenelle B., 76
Deffontaines P., 38 Foucauld C.-E., 84
Index des auteurs ! 205

Foucher M., 163 Haller De A., 86


François d’Assise, 76 Hall P., 137
Frémont A., 41, 45 Hannon, 162
Froissart J., 113 Harant H., 132
Fromentin E., 84 Hartshorne R., 29
Harvey D., 43, 45, 55, 149
G hasard (voir probabilité), 114, 115,
Gachon L., 41 130
Galilée G., 76 Hegel G., 8
Gallais J., 136 Heisenberg W., 115
Gallois L., 28, 89, 90, 110 Henri le Navigateur, 66, 80
Gallouédec, 192 Hérin R., 46
Garcia Ramon M.-D., 106 Hérodote, 45, 66, 67, 70, 71, 97, 182,
Garnier C., 90 184
Gassendi P., 73 Himilcon, 162
Gaulle C. de, 161 Himly A., 143
Gaussen H., 32 Hokusaï K., 69
Gay J.-C., 59 Homère, 67
Genevoix M., 182 Hoover E., 150
George P., 33, 37, 106, 125, 131, 147 Huetz de Lemps A., 33
Giband D., 59 Humboldt A. von, 27, 30, 31, 66, 67,
Giblin B., 109, 184 82, 88, 108, 182
Giddens A., 55, 56
Huot J.-J., 108
Gide A., 84, 185
Hurault Gal., 34
Gignoux M., 32
Hutton J., 81
Gilbert A., 30
Giraud-Soulavie J.-L., 82, 86 I
Goguel J., 33, 106
Gottmann J., 41, 163 Ibn Battuta, 73
Gould P., 43, 44, 55, 120, 132, 154, Isard W., 123
156 Isidore de Séville, 75, 79
Gourou P., 29, 125, 126, 170 Isnard H., 9, 18, 191
Gracq J., 182
Grataloup C., 59 J
Greer-Wootten B., 165 Jacob C., 91
Grégoire abbé, 147 Japhet, 154
Grésillon B., 59 Jarry D., 132
Guérin J.-P., 116 Jean prêtre, 69
Guichonnet P., 87 Jésus, 113
Guilcher A., 106 Joanne A., 184
Gumuchian H., 181 Job, 68
Gusdorf G., 66 Josué, 77
Guyuk Khan, 76 Journaux A., 37, 49

H K
Haeckel, 133 Kampen G., 143
Haggett P., 43, 44, 123 Kant E., 8, 17, 82, 195
206 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Kayser B., 49, 147 Malraux A., 153


Képler J., 67 Malte-Brun C., 15, 82, 88, 93, 103,
Klein J., 33 107, 108, 192
Knafou R., 57 Mancebo F., 132
Köppen W., 32 Mangu Khan, 75
Krumbein W., 123 Marchand B., 45
Kuhn T., 8, 191 Marchand J.-B., 84
Margerie E. de, 89, 90
L Marié M., 138
Labasse J., 49 Marres P., 41
Laborie J.-P., 49 Marsh G., 16
Lacarrière J., 184 Martin H., 113
Lacoste Y., 57, 125, 188 Martin R., 114
Lanzmann J., 184 Martonne E. de, 27, 30, 32, 39, 89, 90,
Lapérouse J.-F. de, 82 105, 106, 110, 133, 146, 195
Lapparent A. de., 89, 90 Marx K., 113
Lauby J.-P., 196 Masselin, 164
Lavallée T., 88 Mauss M., 118
Lavedan P., 29, 134 Mercator G., 77
Lavisse E., 27, 143, 150 Mérimée P., 63
Lefebvre H., 18, 48, 149 Meynier A., 41, 89, 91, 103, 104, 113,
Lefort I., 168, 175, 176 174, 192
Le Goff J., 113 Michelet J., 35, 113, 150, 192, 194
Lejeune D., 110 Miège J.-L., 33
Le Lannou M., 41 Milton J., 76
Lemée G., 106 Miquel A., 73, 74
Le Play F., 88, 148 Mitterrand F., 161
Lerivrey, 184 Moïse, 69
Le Roux A., 195 Moles A., 137
Lestringant F., 91 Molière, 141
Lévi-Strauss C., 118, 172 Monbeig P., 33
Lévy J., 58, 59 Monod T., 24
Linné C. von, 67, 81 Montecorvino J. de, 76
Lliboutry L., 106 Montesquieu C., 10
Lluch E., 107 Montgolfier frères, 66
Locke J., 8 Moret L., 106
Lösch A., 123, 150 Moscovici S., 18
Louis XV, 77 Moyen Âge, 21, 63, 73, 74, 76, 77, 154
Lull R., 75 Musset J., 30
Lussault M., 59
Luther M., 77 N
Lynch K., 135, 159 Nechao, 162
Néron, 70
M Newton I., 67
Machatschek F., 32 Nicolas-Obadia G., 23
Magellan F., 80 Noé, 154
Index des auteurs ! 207

O Prigogine I., 21
Origène, 74 Proust M., 182
Orose, 75 Ptolémée, 66, 68, 69, 70, 74, 75, 77,
Ortelius A., 77 79, 154, 180
Ovide, 73 Pumain D., 45, 56, 58, 111, 188
Pythéas, 162
P
Palassou P.-B., 86 R
Pardé M., 32 Racine J.-B., 8, 9, 45, 165
Park M., 30, 83 Raffestin C., 137
Paulet J.-P., 127 Raison J.-P., 125, 126
Pech P., 59, 134 Ratzel F., 31
Pecqueur B., 59 Reclus E., 31, 66, 82, 83, 89, 91, 103,
Peet R., 55 107, 109, 163, 183
Pegolotti B., 76 Renard J., 46
Péguy C., 106 Reymond H., 9, 24, 45
Penck A., 30 Reynaud A., 49, 116, 117, 201
Périclès, 71 Ritter K., 27, 30, 31, 82, 83, 88, 144,
Perrin M., 41 149
Perroux F., 44, 131 Robert J., 130
Pestalozzi J., 82 Robert le Moine, 75
Petermann T., 94 Robic M.-C., 91, 103
Philippe II, 77 Romulus, 138
Piaget J., 8, 22, 24, 52 Rosnay J. de, 119
Piccolomini E.-S., 77 Rostaing C., 33
Pie II, 77 Rougerie G., 146
Pigafetta A., 80 Rousseau J.-J., 82, 86
Pinchemel G., 130, 131, 132, 196 Rubrouck G. de, 75
Pinchemel P., 91, 103, 123, 130, 131, Ruiz C., 117
132, 196 Rustichello de Pise, 75
Pitte J.-R., 57
Piveteau J.-L., 139 S
Plantin C., 77 Saint-Exupéry A. de, 7, 161
Platon, 68, 72 Saint-Julien T., 111
Pline l’Ancien, 72 Saint-Martin V. de, 88
Pline le Jeune, 72 Sanders L., 58
Plutarque, 71 Sand G., 87, 148
Polo M., 66, 75 Sauer C., 29
Polybe, 71 Saussure F. de, 87, 118
Pomponius Mela, 72 Sautter G., 49
Ponsard C., 44 Sauvy A., 33
Popper K., 15 Say J.-B., 88
Porte G., 136 Scariati R., 5, 114
Pouquet J., 33 Schaefer F., 30, 44
Prévert J., 143 Schrader F., 192
Prévôt V., 188, 194 Scott A., 55
208 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Seignobos C., 114 Torre A., 59


Sem, 154 Toynbee A., 113
Sénèque, 71 Tricart J., 37, 38, 106
Siegfried A., 90 Turgot A.-R., 82
Sierra P., 59
Singer, 8 V
Sion J., 30, 40 Vacher A., 90
Smith D., 150 Vallaux C., 32, 90
Solé i Sabaris L., 107 Vanier M., 59
Sophocle, 71 Varron, 73
Sorre M., 29, 30, 31, 39, 48, 106, 123, Vauban S., 104
130, 149 Verger F., 41
Stanley J., 67, 89 Verne J., 182
Staszak J.-F., 59 Vespucci A., 77
Stengers I., 21 Veyne P., 113
Stevenson R. L., 184
Veyret Y., 59, 134
Strabon, 66, 71
Vidal de la Blache P., 27, 28, 30, 31,
Straton de Lampsaque, 71
32, 39, 89, 90, 91, 103, 109, 110,
T 121, 123, 133, 149, 150, 165, 171
Vila P., 107
Taillefer F., 37
Taine H., 133 Vila Valenti J., 107
Talandier M., 59 Viollet-le-Duc E., 104
Talleyrand C. M. de, 161 Virgile, 69
Tasman A., 82 Volney C., 88
Taton, 38 Voltaire F.-M., 73
Ternisien, 132
W
Théophile, 73
Théophraste, 71 Waldseemüller M., 77
Théry H., 164 Weber A., 22, 44, 150
Thiers A., 138 White G., 29
Thoms, 147 Witkowski N., 38
Thrift N., 55 Witz C., 87
Thucydide, 70
Thünen J. von, 22, 44 Y
Tintin, 180 Young A., 184
Tissier J.-L., 103
Tobler W., 123, 151, 152 Z
Tolkien J. R. R., 158 Zola E., 182
Index thématique

A cercle, 24, 155, 158


abstrait, 196, 197 chorématique (voir chorème)
agrégation, 36, 37, 40, 58, 176 chorème, 9, 122, 191
aménagement, 18, 19, 41, 50, 51, 52, classe, 55, 118
95, 111, 126, 129, 135, 137, 159, climatologie, 32, 40, 50, 52, 198
165, 185, 186, 190, 193 code, 195
aménagement du territoire, 11, 51, 58, concept, 8, 23, 24, 28, 41, 44, 74, 87,
122, 126, 138 104, 114, 116, 125, 131, 132, 135,
analyse spatiale, 122, 123, 151, 167, 136, 164
196 concret, 34, 70, 71, 139, 176, 195,
analyse systémique, 17 196, 197
anthropogéographie, 124 connaissance, 7, 8, 9, 16, 18, 20, 21,
anthropologie, 29, 53, 72, 118, 120, 22, 24, 25, 28, 31, 35, 41, 56, 67,
122, 144, 147, 196 69, 87, 90, 106, 108, 111, 113, 114,
anthropomorphisation, 191, 192 115, 118, 129, 137, 156, 164, 165,
astrologie, 67, 151 171, 173, 175, 176, 178, 182, 190,
atlas, 32, 77, 103, 104, 177, 178, 184 196
axiome, 23, 191 construit, 23
cosmographie, 68, 76, 154
B culture (voir géographie culturelle)
Bible, 35, 68, 74, 145
biogéographie, 105, 146 D
darwinisme, 170
C découverte, 46, 65, 66, 67, 76, 80, 85,
CAPES, 58, 61, 114, 176 87, 109, 110, 173, 196
carré, 70, 155 définition de la géographie, 9, 10, 44,
carte, 34, 35, 37, 65, 67, 69, 71, 74, 130, 152
77, 80, 81, 90, 103, 120, 146, 155, démarche, 16, 22, 28, 35, 66, 70, 111,
156, 166, 167, 169, 173, 176, 177, 114, 119, 120, 135, 150, 166, 167,
182, 184, 188, 194, 198 171, 178, 190, 192, 193, 194, 195,
carte mentale, 120, 155, 156, 158, 196, 197, 199
167, 181 démarche déductive, 24, 151, 195
cartographie, 50, 57, 68, 69, 70, 79, démarche idiographique, 167
81, 90, 95, 105, 108, 109, 114, 120, démarche inductive, 168
151, 155, 177, 180, 185, 191, 197, démarche nomothétique, 168
198 densité, 125
causalisme, 115, 193 déplacement, 67, 140, 149, 158, 159
210 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

déterminisme, 10, 29, 39, 103, 125, érosion, 35, 68, 72, 73, 81, 116, 117,
126, 170, 171, 177, 191, 198 119, 143, 144, 192
développement durable, 57, 117, 132 espace, 10, 16, 17, 18, 19, 20, 23, 38,
dialectique (voir marxisme), 167, 172, 44, 45, 48, 49, 50, 51, 56, 57, 65,
195 69, 76, 82, 95, 104, 109, 111, 115,
diffusion, 29, 44, 45, 48, 55, 57, 114, 116, 117, 121, 122, 123, 125, 126,
116, 120, 122, 123, 145, 167, 179 127, 129, 130, 131, 132, 133, 134,
discours géographique, 9, 143, 161, 135, 136, 137, 138, 139, 144, 149,
162, 165, 166, 168, 169, 170, 176, 150, 151, 155, 156, 157, 158, 159,
181 161, 164, 165, 180, 187, 190, 191,
distance, 116, 117, 122, 132, 139, 193, 194, 195, 197, 198
151, 154, 155, 158, 167, 169, 181, espace géographique, 9, 18, 19, 20,
198 45, 52, 118, 120, 122, 131, 133,
191
E espace vécu, 46, 57, 117, 131, 137
échelle, 31, 40, 114, 115, 116, 117, État, 58, 122, 123, 124, 138, 140,
119, 134, 135, 137, 138, 160, 187 146, 163, 196
École allemande, 29 ethnologie, 50, 52, 53, 111, 114, 122,
École américaine, 29 147
École de Chicago, 29, 30, 149, 158 expérimentation, 87, 109, 185
École française, 18, 27, 29, 30, 43, 90,
104, 105, 109 F
écoles, 8, 9, 18, 27, 28, 29, 31, 39, 45, fonctionnalisme, 171
104, 114, 116, 140, 153 formalisation, 24
écologie, 10, 29, 44, 50, 122, 123, frontière, 71, 122, 140, 156
144, 146, 149
économie, 9, 23, 44, 53, 104, 109, G
111, 114, 143, 144, 149, 150, 172, genre de vie, 28, 85, 104, 123, 124,
175 149, 171, 174
écosystème, 19, 117, 122, 132 géographie active (voir géographie
empathie, 20, 21 appliquée)
empirisme, 168, 191, 198 géographie appliquée, 41, 111, 135,
encyclopédie, 69, 72, 73, 75, 76, 111 178, 191, 194, 197
enseignement (voir géographie scolaire, géographie critique (voir géographie
géographie universitaire), 11, 28, 34, radicale), 45, 55, 59, 107
36, 40, 46, 49, 52, 57, 58, 90, 114, géographie culturelle, 18, 44, 46, 55,
117, 139, 146, 175, 176, 178, 179, 57, 59, 61, 95, 114, 157
183, 188, 193, 201 géographie des genres, 56, 61
environnementalisme, environnement, géographie des représentations, 46, 55,
10, 11, 16, 19, 22, 37, 51, 57, 66, 181
70, 117, 119, 122, 130, 132, 134, géographie générale, 11, 34, 36, 40,
135, 137, 146, 148, 156, 157, 159, 41, 79, 83, 86, 88, 98, 176, 193
167, 170, 180, 194 géographie humaine, 32, 43, 98, 124,
épistémologie, 5, 7, 8, 10, 15, 18, 22, 130, 133, 193, 194
24, 27, 48, 49, 52, 58, 63, 93, 102, géographie humaniste (voir
105, 107, 174, 175, 194, 201 représentation), 55, 135
Index thématique ! 211

géographie moderne, 30, 41, 82 Landschaft (voir paysage), 29


géographie physique, 10, 32, 43, 44, incertitude, 20, 115
49, 53, 86, 90, 97, 98, 105, 106, information, 22, 29, 57, 58, 76, 108,
145, 146, 174, 175, 177, 193, 194 109, 111, 122, 151, 153, 156, 161,
géographie quantitative, 9, 107 162, 187, 189
géographie radicale, 45 informatique, 9, 114, 187
géographie régionale, 27, 36, 37, 40, instructions officielles, 174, 176
41, 44, 45, 46, 57, 58, 79, 90, 110, interaction, 10, 56, 57, 117, 150, 166,
136, 146, 167, 173, 193 194
géographie rurale, 49, 52, 134 inventaire, 35, 70, 76, 80, 109, 162
géographie scolaire, 174, 176, 179,
182 L
géographie sociale, 61, 197, 201 localisation, 44, 122
géographie théorique, 55, 123, 197 local, localisme (voir territoire), 117,
géographie universitaire, 9, 31, 39, 95, 139, 140, 148, 176, 178, 186, 193,
105, 173, 175, 176 196, 198
géographie urbaine, 29, 31, 45, 47, 52, loi, 44, 151, 154
134, 171
géologie, 32, 40, 44, 53, 75, 81, 110, M
145, 194, 198 manuel (voir géographie scolaire), 33,
géométrie, 74, 80 44, 46, 48, 49, 106, 116, 174, 175
géomorphologie, 34, 49, 50, 51, 66, mappemonde, 143
105, 145, 146, 192 marginalité, 56
marxisme, 149, 199
H mathématiques, 24, 48, 53, 70, 74, 87,
hiérarchie, 117, 119, 122 119, 120, 123, 150, 151
histoire, 11, 15, 18, 19, 33, 36, 53, 58, médias, 169, 173, 178, 179
69, 70, 71, 73, 74, 83, 90, 103, 108, méthode, 17, 20, 32, 35, 36, 41, 48,
109, 113, 114, 122, 124, 126, 129, 56, 69, 88, 94, 123, 143, 171, 172,
140, 144, 147, 149, 150, 155, 161, 177, 194
164, 166, 168, 172, 173, 174, 176, milieu, 18, 19, 29, 49, 57, 88, 104,
177, 178, 179, 183, 188, 193, 201 116, 117, 122, 124, 125, 126, 127,
histoire de la géographie, 5, 9, 27, 63, 130, 132, 133, 134, 135, 140, 150,
88, 91, 93, 105, 107, 115, 124 157, 158, 159, 163, 170, 178, 179,
hypothèse, 15, 22, 65, 191, 195 189, 198
milieu de vie, 29, 116, 133, 146, 157,
I 163
identité, 11, 122, 132, 137, 139, 144, milieu physique, 18, 28, 44, 68, 90,
148, 163, 164, 176, 196 133
idéologie, 19, 20, 25, 28, 45, 48, 67, modèle, 25, 76, 116, 118, 120, 122,
107, 115, 130, 166, 187, 192, 195 135, 149, 151, 154, 156, 167, 168,
idiographique, 139, 192, 193 190, 195
image, 22, 79, 115, 120, 122, 146, modèle graphique, 70, 120
154, 173, 180, 183, 192 modélisation, 45, 115, 151, 199
imaginaire, 17, 75, 87, 115, 122, 139, mondial, mondialisation, 31, 110, 111,
153, 156, 158, 159 119, 193, 196, 198
212 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

morphologie, 35, 37, 40, 120, 194 possibilisme, 125, 171, 179, 191
mouvement, 47, 58, 73, 95, 118, 158 pouvoir, 9, 29, 56, 95, 122, 137, 139,
mythologie, 53, 69, 71 149, 155, 158, 166
préceptes, 114, 115
N principes, 23, 83, 114, 115, 116, 123,
nation, 104, 117, 140, 163 125, 151, 155, 165, 186, 195
naturalisme, 138, 170 probabilisme, 115, 171, 193
nature, naturalisme, 10, 22, 24, 29, probabilité, 171
72, 82, 87, 110, 119, 122, 124, 126, problématique, 7, 16, 23, 35, 114,
133, 134, 139, 144, 145, 146, 155, 116, 130, 134, 166, 168, 181, 195,
170, 171, 183, 193, 194, 198 197
nomenclature, 65, 87, 168, 174, 179
nomothétique, 139, 183, 192, 193 Q
Nouvelle géographie, 9, 18, 37, 43, 44, quantitatif, 151, 193, 199
45, 55, 56, 59, 61, 95, 150, 151,
179, 195, 197 R
recensement, 87, 167, 187
O
région, 17, 31, 36, 39, 76, 89, 90, 95,
objet, 9, 10, 17, 19, 20, 21, 23, 24, 104, 111, 117, 118, 120, 124, 130,
31, 48, 86, 110, 115, 136, 147, 148, 135, 136, 140, 163, 165, 177, 187,
151, 155, 194, 195
190, 191, 193
observation, 20, 23, 88, 109, 114, 147,
renaissance, 45, 79, 199
153, 168, 176, 178, 191, 196
représentation, 23, 70, 74, 79, 114,
organisation, 7, 16, 27, 44, 49, 51, 58,
115, 116, 120, 122, 130, 156, 157,
90, 97, 109, 111, 115, 123, 127,
158, 183
129, 130, 131, 135, 136, 151, 156,
réseau, 81, 116, 117, 122, 123, 140,
158, 162, 195
164, 178, 192
P révolution quantitative, 44, 57
paradigme, 8, 146, 167, 191 revues, 11, 32, 37, 38, 45, 46, 47, 57,
patrie, 76, 165, 177 90, 93, 94, 95, 104, 106, 114, 157,
pays, 50, 51, 52, 57, 63, 67, 71, 74, 162, 173, 179, 181, 183
95, 104, 111, 125, 134, 135, 136, risque, 122, 143
137, 138, 139, 144, 146, 149, 156,
S
163, 165, 175, 177, 182, 183, 184,
187, 190, 191, 192, 193, 194, 196 savoir, 9, 10, 17, 20, 48, 56, 65, 70,
paysage, 104, 116, 117, 122, 123, 124, 108, 109, 117, 144, 159, 162, 173,
130, 133, 134, 135, 136, 146, 150, 177, 197
153, 157, 185, 187, 188, 190, 193, science, 7, 9, 15, 17, 20, 22, 24, 36,
194 37, 39, 44, 47, 48, 52, 58, 65, 66,
pédagogie, 188 68, 75, 76, 77, 79, 94, 104, 109,
perception (voir représentation), 46, 111, 113, 114, 115, 129, 130, 131,
126, 157, 196 144, 145, 147, 148, 154, 161, 162,
périodiques, 44, 93, 94, 95, 96, 107, 164, 171, 183, 190, 191, 194, 198,
162, 183 201
positivisme, 103, 171, 183 sciences de la société, 144, 146, 147
Index thématique ! 213

sciences naturelles, 48, 144, 145, 146, 157, 158, 162, 163, 176, 177, 194,
149, 151, 168 196
ségrégation, 122 territoire, 10, 29, 34, 35, 40, 46, 50,
SIG (systèmes d’information
58, 116, 117, 122, 129, 130, 135,
géographique), 151, 166, 187, 188,
191 136, 137, 138, 139, 146, 156, 162,
site, 122, 126, 150, 171 163, 164, 165, 167, 171, 187, 190,
situation, 17, 52, 117, 122, 126, 149, 196
171 territorialité, 46, 122, 165
Société de géographie, 38, 88, 96, 105, théorie, 7, 10, 22, 23, 44, 45, 56, 58,
108, 110
73, 77, 79, 107, 118, 170, 191, 195
sociologie, 47, 53, 111, 114, 124, 139,
144, 147, 148, 149 théorie des lieux centraux, 44, 45, 122
sous-développement, 125 thèse, 116, 135, 168, 183
statistique, 23, 76, 114, 143, 144, 151, topophilie, 45, 134
166, 167, 185, 187, 191, 198 topophobie, 45, 134
structuration, 56, 156, 159
tourisme, 48, 105, 120, 123, 173, 183,
structure, 35, 41, 56, 117, 118, 122,
144, 156 184, 185
subjectivité, 16, 17, 24, 114, 115, 135 triangle, 155
symbole, symbolique, 53, 67, 87, 120, tropique, tropicalisme, 124, 125
138, 153, 155, 157, 158, 159 typologie, 136, 157, 168
système, 19, 23, 35, 38, 41, 57, 68, 69,
73, 81, 86, 87, 116, 117, 118, 119, V
120, 122, 130, 144, 169, 190, 191,
valeur, 20, 22, 122, 125, 126, 132,
193, 196
134, 146, 150, 157, 163, 171, 185,
T 198
temps, 28, 32, 48, 49, 65, 71, 72, 81, ville, 48, 70, 89, 104, 116, 118, 120,
83, 86, 118, 122, 130, 134, 135, 121, 122, 123, 124, 126, 127, 134,
138, 140, 145, 149, 150, 159, 167, 135, 138, 140, 149, 155, 157, 159,
181, 190, 193, 198, 199
160, 163, 171, 175, 178, 181, 182,
Terre, 9, 10, 23, 38, 41, 44, 65, 66, 67,
68, 69, 70, 71, 72, 73, 75, 76, 77, 183, 184, 190
80, 82, 85, 86, 106, 108, 110, 129, voyage, 11, 66, 70, 75, 81, 85, 107,
131, 133, 136, 143, 152, 154, 155, 158, 159, 175, 183, 185, 190
Table des matières

Remerciements 5

Introduction

Questions à la géographie 7
Qu’est-ce que l’épistémologie ? 7
Pour une épistémologie de la géographie 8
La géographie dans le contexte scientifique
de son époque 10

PREMIÈRE PARTIE
LA GÉOGRAPHIE CONTEMPORAINE,
1950-2000

Chapitre 1 La géographie, une science ? 15


Vers une cohérence doctrinale 15
Perspectives rationalistes ou idéalistes
en géographie ? 16
À la recherche d’une épistémologie
de la géographie 18
L’interface géographie-société 19
La géographie change, la géographie a bien changé 21
Une géographie empiriste 21
Vers une science géographique 22
De nouvelles ambitions 23

Chapitre 2 Au milieu du XXe siècle, les années 1950 27


État des lieux dans les années 1950 28
Écoles française, allemande, américaine 28
Chefs de file 30
Coupures 30
216 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Que pouvait-on lire en 1950 ? 32


Les bases du temps 32
« Que sais-je ? » : les enseignements
d’une collection pour le grand public 32
L’outillage iconographique nécessaire
à la géomorphologie 34
La « Bible » en forme de guide 35
L’environnement scientifique 37
La géographie à la recherche de son statut 38
Une géographie mal reconnue 38
Le renforcement de la géographie universitaire 39
Le régional et le général 40

Chapitre 3 Les « Trente Glorieuses » :


quelle géographie vers 1975 ? 43
La Nouvelle géographie 43
La Nouvelle géographie francophone 45
Quelles productions, quelles formations 46
Que publiait-on dans les années 1970 en France ? 46
Une géographie qui se fonde comme science 52

Chapitre 4 Années 2000, la géographie maintenant 55


Le rôle moteur de la géographie
anglo-américaine 55
La Nouvelle géographie en France 56

DEUXIÈME PARTIE
ÉPISTÉMOLOGIE ET HISTOIRE DE LA GÉOGRAPHIE

Chapitre 5 Histoire d’une science ancienne 65


Des jalons dans une matière qui émerge 65
Depuis les origines,
une géographie du voyage 66
Une permanence, les interrogations,
de l’Antiquité au 4 juin 1783 66
Sur les découvertes 67
Sur géographie ancienne et ancienne géographie 68
Genèse et fondements cosmiques : la Bible 68
Origines, 250 av. J.-C.-200 apr. J.-C.,
un demi-millénaire méditerranéocentré 69
Table des matières ! 217

Des géographes anciens 71


Rome 72
Le Moyen Âge 73
Les terres nouvelles sont à l’Est 75
Nouveaux mondes, nouveaux produits :
la fin du Moyen Âge 76

Chapitre 6 Histoire d’une science modernisée 79


Géographie et Renaissance,
renaissance de la géographie 79
La géographie et les Lumières,
la géographie des Lumières 81
Les systématisations et les filiations 81
L’apport allemand 82
Inventions géographiques 83
L’Afrique lointaine 83
La montagne 86
La fonction de la discipline (1810-1914) 88
Le temps des savants, les débuts du XIXe siècle 88
La fondation de la géographie contemporaine :
1870-1914, le temps des géographes 88
Une chronologie serrée 89

Chapitre 7 Grandes collections et revues


aux XIXe et XXe siècles, des outils indispensables 93
Quatre générations de périodiques 93
Les sociétés de géographie 93
La géographie académique 94
Les publications d’instituts 94
Les revues spécialisées 95
Liste sélective d’ouvrages généraux
en géographie au cours du XXe siècle 97
La géographie physique dominante
et l’émergence de la géographie humaine (1920-1940) 98
Les fondements de la géographie générale (1942-1964) 98
Une géographie scientifique et appliquée (1965-1975) 99
Des voies nouvelles pour la géographie,
un élargissement des thèmes,
des interrogations sur la discipline (1976-2018) 100
218 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Chapitre 8 Les géographies universelles 103


Un accord sur les dates, en toile de fond 103
La décennie 1870 et au-delà 104
Une géographie institutionnalisée, les années 1920 105
Une géographie généralisée 106
Quatre géographies universelles
ou l’entrée dans le monde fini 107
Conrad Malte-Brun 107
Élisée Reclus 109
Paul Vidal de la Blache 109
RECLUS 110

Chapitre 9 Démarches en géographie 113


Écoles 113
Préceptes et principes en géographie 114
Exemples d’approches
pour une géographie du XXIe siècle 116
Conceptuelle 116
Structuraliste 118
Systémiste 118
Modélisatrice 120
Les formes d’un nouveau vocabulaire 120
Index et mots-clés 121
Les formules actuelles 122
L’analyse spatiale 123
Deux traités en transition 123
Introduction géographique à l’histoire 124
Deux exemples, le vocabulaire « tropicalisant »
et le vocabulaire « urbain » 124
Le tropique 124
La ville 126

Chapitre 10 Définitions et concepts fondamentaux


en géographie à la fin du XXe siècle 129
Les définitions de la géographie,
du vide à l’abondance 129
L’espace 130
L’environnement et le milieu 132
L’environnement 132
Le milieu 133
Table des matières ! 219

Le paysage 134
La région 135
Le territoire 137

TROISIÈME PARTIE
VARIATIONS GÉOGRAPHIQUES

Chapitre 11 La géographie dans le champ des sciences 143


La géographie face aux autres sciences :
complémentarité et compétition 143
Les ponts avec le savoir 144
Le vieux problème des sciences naturelles 145
Géographie et sciences de la société 147
L’anthropologie et l’ethnologie 147
La sociologie 148
L’histoire 149
Économie, mathématiques et géographie 150

Chapitre 12 Géométries et symboles,


signes d’une permanence 153
Le musée imaginaire 153
Mythologies, géométries,
cosmogonies dans la cartographie 155
Images mentales et cartes mentales 156
Le sujet et son milieu de vie 157
Le déplacement imaginaire 158
Un mélange de réel et d’imaginaire
en géographie 159

Chapitre 13 Le discours géographique 161


Entrer dans le discours 161
La prolifération des discours se regroupe
par grandes époques 162
Le discours ancien 162
Le discours savant du XIXe siècle 163
Le discours actuel 164
Le rôle des idéologies 165
220 ! Éléments d’épistémologie de la géographie

Sous le discours la démarche 166


La question où ? 166
Les autres questions, en chaîne 166
Se poser la question « que cherche-t-on ? »
et avec quoi y répondre 167
Une géographie au quotidien 168
L’inattendu, une géographie de l’événement 168
Les médias 169
Les fondements du discours 170

Chapitre 14 La grande famille ? 173


La géographie universitaire et scolaire 173
Tout part de l’école ou presque 174
L’enseignement, dans ses grandes lignes 175
La réflexion dans le domaine scolaire 175
Programmes et instructions officielles (IO) 176
La géographie dite pour le « grand public » 179
La géographie-mode 180
La géographie-marketing 180
La géographie populaire 182
La géographie, vecteur d’écrits 182
« Géographie et paragéographies » 182
La géographie pittoresque, le voyage exotique 183
Le tourisme, une géographie commercialisée 184
La géographie des professionnels 185

Chapitre 15 Où en est la géographie ? 187


Domaines de la géographie,
territoires du géographe 187
Faire de la géographie 187
Cinq géographies possibles 188
Le paradoxe : géographie partout, géographie nulle part 189
Débats et permanences 190
Expliciter ses bases théoriques 191
L’anthropomorphisation 191
Couples réducteurs en géographie 192
Géographie générale et géographie régionale 193
De la coupure à la liaison entre géographie physique
et géographie humaine 194
La démarche déductive-inductive 195
Table des matières ! 221

Mondialisme et localisme 196


Concret-abstrait 196
Des nouveautés 197
La géographie comme instrument de recherche 198
Les remises en question 199

Conclusion 201

Index des auteurs 203

Index thématique 209


Collection U
Géographie

BAILLY Antoine (dir.), Les concepts de la géographie humaine, 5e éd. 2005.


BAILLY Antoine, BÉGUIN Hubert, SCARIATI Renato, Introduction à la géographie humaine,
9e éd. 2016.
BAVOUX Jean-Jacques, La géographie : objets, méthodes, débats, 3e éd. 2016.
CARROUÉ Laurent (dir.), La France des 13 régions, 2017.
CHALÉARD Jean-Louis, SANJUAN Thierry, Géographie du développement. Territoires et mon-
dialisation dans les Suds, 2017.
CHARVET Jean-Paul, SIVIGNON Michel (dir.), Géographie humaine. Questions et enjeux du
monde contemporain, 3e éd. 2016.
DEPRAZ Samuel, La France des marges. Géographie des espaces « autres », 2017.
DUHAMEL Philippe, Géographie du tourisme et des loisirs, 2018.
DUMONT Gérard-François, Géographie des populations. Concepts, dynamiques, prospectives,
2018.
DUMONT Gérard-François, Les territoires français : diagnostic et gouvernance, 2e éd. 2018.
GIBLIN Béatrice (dir.), Les conflits dans le monde. Approche géopolitique, 2e éd. 2016.
LASSERRE Frédéric, GONON Emmanuel, MOTTET Éric, Manuel de géopolitique. Enjeux de
pouvoir sur des territoires, 2e éd. 2016.
LERICHE Frédéric (dir.), Les États-Unis. Géographie d’une grande puissance, 2016.
SIERRA Philippe et alii, La géographie : concepts, savoirs et enseignements, 2e éd. 2017.
SUBRA Philippe, Géopolitique locale, 2016.
TÉTART Frank, La péninsule Arabique : cœur géopolitique du Moyen-Orient, 2017.
262350 - (I) - OSB 80° - BPE - BTT
Dépôt légal : septembre 2018
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