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de la géographie
ANTOINE BAILLY
ROBERT FERRAS
AVEC LA COLLABORATION DE RENATO SCARIATI
Éléments
d’épistémologie
de la géographie
3e édition
Illustration de couverture : © jolly/Fotolia.com
Mise en pages : Belle Page
Un grand merci à Renato Scariati et Jean-Paul Volle qui ont pris le soin et
le temps de revoir la première version du manuscrit de cet ouvrage. Après
le décès de Robert Ferras, j’ai décidé de poursuivre la voie que nous nous
étions tracée, celle d’un mariage entre histoire de la géographie française,
domaine de compétence de Robert Ferras, et épistémologie générale des
sciences humaines, mon domaine. C’est ce qui confère à cet ouvrage son
originalité et sa longévité. Il fallait cependant l’actualiser, car l’évolution
de la géographie est rapide ; c’est ce que j’ai fait, à l’aide de Renato Scariati,
de l’Université de Genève. Il s’agit donc d’une 3e édition revue et corrigée.
Antoine Bailly
Introduction
Questions à la géographie
Antoine de Saint-Exupéry,
Le Petit Prince, 1943.
La géographie
contemporaine,
1950-2000
La géographie,
une science ?
SN
SH
La géographie, une science ? ! 17
L’interface géographie-société
Le problème le plus grave que rencontre la géographie dans cette quête
pour sa pertinence est donc celui de l’adéquation entre ce qu’elle peut offrir
et ce qui est demandé par les sociétés. Les sociétés et leurs gouvernants
souhaitent des réponses simples, rapides, avec des raisonnements fondés
sur des causalités directes, pour envisager des solutions, de préférence, à
court terme. Ainsi la géographie, lorsqu’elle traite de questions de localisa-
tions humaines, d’aménagement de voies de transport, est-elle pertinente,
en particulier quand existent des enjeux économiques ou stratégiques
dans ces domaines. Mais lorsqu’il s’agit de questions complexes comme
le chômage, l’équilibre de l’environnement, les conséquences spatiales du
libéralisme économique et du changement climatique, les réponses ne
sont plus aussi simples. La géographie n’offre plus « la solution », mais
20 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Espace géographique
La géographie change,
la géographie a bien changé
« Longtemps, un idéal d’objectivité, issu des sciences physiques, a dominé et
divisé les sciences humaines. Aujourd’hui, une nouvelle conception de l’objectivité
scientifique est en train de naître, qui met en lumière le caractère complémen-
taire et non contradictoire des sciences expérimentales, qui créent et manipulent
leurs objets, et des sciences narratives, qui ont pour problème les histoires qui se
construisent en créant leur propre sens. »
PRIGOGINE I. et STENGERS I., 1988,
Entre le temps et l’éternité, Paris, Fayard.
De nouvelles ambitions
Depuis les années 1970, le temps est venu d’un vaste effort de réflexion
qui précise ce que la géographie veut et peut rendre intelligible. Elle parle
de structures. Celles-ci reflètent dans l’espace les sociétés qui les créent.
Le géographe cherche à retrouver la société à travers son espace. « La
science de l’arrangement des lieux de la Terre, volet technique de la géo-
graphie, permettrait au volet critique de proposer des choix opérationnels
24 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Lectures conseillées
BAILLY A., 2014, Géographie du bien-être, Paris, Economica-Anthropos.
BALLY A., BÉGUIN H. et SCARIATI R., 2016, Introduction à la géographie humaine, Paris,
Armand Colin, 9e éd.
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd.
BERTHELOT J.-M. (dir.), 2012, Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF.
CLAVAL P., 1999, Histoire de la géographie française de 1970 à nos jours, Paris, Nathan
Université.
CLAVAL P., 2003, Causalité et géographie, Paris, L’Harmattan.
FEYERABEND P., 1980, De Vienne à Cambridge : l’héritage du positivisme logique de 1950
à nos jours, Paris, Gallimard.
GEORGE P. et VERGER F. (dir.), 2013, Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF.
GLEICK J., 1987, Chaos: Making a New Science, New York, Penguin.
ISNARD H., 1978, L’Espace géographique, Paris, PUF.
MARSH G., 1864, Man and Nature, New York, Charles Scribner.
MOSCOVICI S., 1987, Actes du IIe Colloque sur la didactique de l’histoire et de la géographie,
Paris, INRP.
PIAGET J. (dir.), 1967, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de La Pléiade ».
POPPER K., 1973, La logique de la découverte scientifique, Lausanne, Payot.
Chapitre 2
Chefs de file
Ce qui suit n’est ni une sorte de who’s who ni un palmarès. Simplement,
les noms proposés permettront aux lecteurs d’aller retrouver quelques-
uns des textes importants, croisés avec les conseils de lecture qui suivent
et les références bibliographiques.
Jusqu’aux années 1920, la géographie restait essentiellement l’affaire de
quelques personnalités liées à un monde universitaire peu « consomma-
teur » de cette discipline. L’ouverture des accès à l’université multipliera
la demande en enseignants-chercheurs, l’élargissement des positions
philosophiques des uns et des autres avec, à l’opposé, une géographie
« engagée » et une géographie « conservatrice ».
L’année 1950 marque la fin d’une génération de scientifiques, octogé-
naires pour une bonne part d’entre eux. En France, celui qui a dominé
la discipline après la disparition de Vidal est De Martonne (1873-1955),
puis, la même année, Baulig (1877-1962) et Sorre (1880-1962), peu après
Febvre, historien très proche des géographes (1876-1956). S’illustrent à cette
période et font partie de la même génération, en Italie Almagia (1884-1962),
en Norvège le climatologue Bjernknes (1862-1951), en Allemagne Penck
(1858-1945), aux États-Unis Park, connu par l’École de Chicago (1864-1944)
et Schaefer (1904-1963) qui a publié sur l’exceptionnalisme en géographie.
Clozier, soucieux de présenter dans son Histoire de la géographie ses
contemporains immédiats, reste très prudent, selon les traditions de
l’époque. Le chapitre VII (« La géographie moderne ») cite peu d’auteurs.
Deux noms seulement se détachent, Humboldt et Ritter (10 citations),
devant Vidal (3), les fondateurs allemands et De Martonne. Le chapitre VIII
(« La science géographique ») permet de recenser Vidal (18 citations),
Baulig (6), Davis et De Martonne (5), Penck et Gilbert (3). Cumulant
les noms évoqués dans ces deux derniers chapitres le classement donne
alors : Vidal (21), Ritter (11), Humboldt (10), Baulig et De Martonne (7).
L’École française de géographie est représentée par Demangeon, Cholley
et Blanchard (3), Sion (2), Sorre, Musset, Birot, Allix et Brunhes (une
mention). Plus qu’un simple comptage, pouvant sembler anecdotique, il
y a là mise en évidence du rôle intellectuel joué par un certain nombre de
pères fondateurs.
Coupures
La géographie n’échappe pas aux grands courants de pensée. Or, les
années 1950 marquent un certain nombre de coupures.
La première est due à un événement, la fin de la Seconde Guerre
mondiale et l’entrée dans un autre XXe siècle qui survient dans une France
encore bien rurale, empêtrée dans des structures d’un autre âge. Mieux
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 31
Mutations géographiques
« L’ampleur et l’accélération des transformations dans tous les pays sont telles
que le mot de mutation paraît le seul exact. Les progrès de la technique nous
font un monde nouveau.
Tous les compartiments de l’activité humaine sont touchés par des révolutions en
chaîne. Le géographe renoncera-t-il à comprendre ce monde dont la complexité
le déconcerte ? Ou bien va-t-il assouplir ses méthodes, à la mesure de cette
complexité ? La recherche géographique, comme toutes les autres branches de
la recherche, est baignée dans une atmosphère étrangère à nos aînés. Nous ne
savons pas très bien où va notre univers. Il est bien clair que nos moyens de
connaissance doivent s’élargir en même temps qu’il change. Cette adaptation
de l’intelligence à son objet ne signifie pas nécessairement rupture radicale avec
le passé. »
SORRE M., 1957, La géographie française, Paris, Baillière, p. 8.
3. Le domaine de la géographie
4. Combinaisons et milieux
5. Le point de vue planétaire
6. La conception géographique de l’homme
DEUXIÈME PARTIE. Les divisions de la géographie
I. La géographie régionale
1. Régions, domaines, milieux
2. Quelques remarques sur les domaines physiques
3. Les milieux biologiques
4. La notion de région naturelle
5. Les régions humaines
II. La géographie générale
III. L’unité de la géographie. La géographie est-elle une science ?
TROISIÈME PARTIE. La formation géographique
I. Propédeutique et licence. Initiation à la géographie
II. et III. Excursions, cartes, description géographique
IV. Le doctorat
V. L’agrégation
L’environnement scientifique
Outre ces ouvrages fondamentaux, les géographes publient pour rattraper
une sorte de retard, ne serait-ce qu’en reprenant des initiatives ébauchées
précédemment. Le CNRS crée sa section de géographie en 1944, ce qui repré-
sente un pas vers un poids scientifique croissant. « Un soutien officiel que
nos Maîtres n’ont malheureusement pas connu autrefois » (JOURNAUX A.,
1975, La recherche géographique en France). En 1946, le Centre de documen-
tation cartographique et géographique a été installé auprès de l’Institut de
géographie de Paris. Il publie une série de « Mémoires et Documents ». En
1954, 23 missions ont été financées en France et 18 à l’étranger.
Une autre nouveauté, un fait important s’est produit en France : « La
création de l’agrégation de géographie » (A. Cholley, op. cit.). Occasion
d’aborder la question de la leçon de géographie régionale qui semble repré-
senter avec le commentaire de carte (et sa coupe) une sorte d’aboutisse-
ment. « La leçon prend ainsi une allure inégale, comme celle d’une rivière
torrentielle dont les eaux se rassemblent, tournoient, s’enflent en certains
endroits du cours, tandis que dans l’intervalle elles glissent doucement
en une mince nappe liquide, sans bruit, sur un lit de cailloux » (p. 212).
Les grandes collections sont en place. P. George publie chez Armand
Colin, Les régions polaires (1950, 2e éd.), chez Médicis, la Géographie de
l’énergie (1950), aux Éditions sociales, Les démocraties populaires (1952).
Artaud lance la série sur les régions qui constitue de la bonne vulgari-
sation, avec, par exemple, le Quercy de Clozier (1953). Des thèses sont
publiées, comme Le Morvan et sa bordure de Jacqueline Beaujeu-Garnier
(PUF, 1950) ou celle de Taillefer sur le piémont des Pyrénées.
Les manuels utilisés à l’université commencent à se multiplier, pour
l’essentiel aux PUF (Presses universitaires de France) ou au CDU (Centre
de documentation universitaire). On notera, dans les deux cas, l’affirma-
tion du caractère universitaire. De Pierre George ont été publiés La ville
(1952) et La campagne (1956), deux livres longtemps à peu près seuls sur
deux grands thèmes de recherche du moment. Orbis entame la publica-
tion d’ouvrages régionaux sur l’Europe. Les cours de la Sorbonne pro-
posent sous forme de polycopiés, dans un premier temps, un cours de
morphologie par Cailleux et Tricart, Le relief glaciaire, Le modelé glaciaire
et nival (1953), Le modelé des chaînes plissées (1954)…
Les titres choisis sont larges, les auteurs encore peu nombreux. On notera
la fécondité de la décennie, nouvelles revues, ouvrages et articles importants
comme jalons épistémologiques (portés ici dans l’ordre chronologique) et
comme charnière vers ce qui sera identifié comme la « Nouvelle géogra-
phie ». On pourra choisir dans la liste quelques lectures, les articles offrant,
selon Cholley, « en quelque sorte la science géographique en marche ».
38 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
une certaine continuité. Cet état des lieux plus ou moins structuré scande
les congrès internationaux du Caire en 1924, puis Cambridge, Paris en
1931, Varsovie, Amsterdam, Lisbonne, Washington, Rio de Janeiro en
1956, ensuite Stockholm.
En 1920, pour 20 chaires dans l’enseignement supérieur, on compte
en géographie 5 postes à Paris, 2 à Bordeaux, Grenoble et Lyon. En 1939,
les universités comptaient 21 chaires, ce qui illustre une stabilité sinon
une stagnation. Par comparaison, en 1968, les enseignants comptent 106
professeurs et 230 assistants : on a changé d’échelle. Ce processus apparaît
dans la décennie 1950 ; en 1956, 15 enseignants à Paris, 5 à Bordeaux et
Lyon, 4 à Montpellier, Rennes et Strasbourg sur 41 professeurs et maîtres
de conférences.
Le régional et le général
Les nouvelles divisions et créations de la géographie sont l’occasion d’un
véritable déballage d’étiquettes, occasion aussi de se débarrasser de toutes
ces géographies héritées du temps où on ne lui laissait que la possibilité
d’être une façon de voir les choses. Les divisions se ramènent à deux
entrées essentielles, du domaine du général et du régional, même si on
peut compter dans le monde universitaire quelques géographies de plus.
Dans la catégorie géographie générale se trouvent les volets physique et
humain, ainsi que la morphologie et la climatologie. Dans la catégorie
géographie régionale est présentée d’abord la France, puis l’Afrique du
Nord et un pays tiré généralement chaque année du programme d’agré-
gation. De préférence sont choisis les États-Unis à l’Amérique du Nord, le
Brésil à l’Amérique du Sud, et volontiers les péninsules méditerranéennes
ou les pays scandinaves. La géographie des travaux pratiques dominicaux
regroupe le général et le régional dans les excursions universitaires où
trouvent place aussi géologie et botanique. Chaque institut de province, à
partir du schéma général, imprime sa propre marque, alpine à Grenoble,
pyrénéenne à Toulouse, dans la garrigue à Montpellier.
La géographie régionale est faite pour étudier, selon Cholley, « les
différents domaines, milieux ou régions que les combinaisons physiques,
biologiques et humaines ont fait apparaître à la surface de la planète ».
Sa définition semble simple : « Un territoire qui sert d’appui aux combi-
naisons choisies ou réalisées par l’homme. » Il passe en revue les milieux
biologiques, les régions naturelles, les régions humaines. C’est elle qui
explique toutes les « combinaisons » possibles mais « elle n’est pas une
application de la géographie générale et ne consiste pas davantage à
ramasser des matériaux pour la géographie générale » (1951, p. 53). Parmi
les bonnes études, il cite en premier les thèses de Sion en Normandie et de
Au milieu du XXe siècle, les années 1950 ! 41
Lectures conseillées
1957, La géographie française au milieu du xxe siècle, L’Information géographique, numéro
spécial.
BATAILLON C., 2009, Géographes, génération 1930, Rennes, Presses universitaires
de Rennes. À propos de R. Brunet, P. Claval, O. Dollfus, F. Durand-Dastès,
A. Frémont et F. Verger.
BAULIG H., 1948, « La géographie est-elle une science ? », Annales de Géographie,
no 305, p. 1-11.
GOULD P. et BAILLY A., 1995, Le pouvoir des cartes : Brian Harley et la cartographie,
Paris, Economica-Anthropos.
Chapitre 3
La Nouvelle géographie
Après 1950, que de changements dans la conception de la géographie !
Même si l’École française regarde avec frilosité la vague de la « Nouvelle
géographie » à l’étranger, celle-ci est bien présente depuis que Peter
Gould a lancé le terme « Nouvelle géographie », dans un article : “The
New Geography: Where the Movement Is?” Il fera vite le tour du monde.
En France, Paul Claval le reprendra en 1977 dans un « Que sais-je ? »,
intitulé La Nouvelle géographie, tandis qu’un groupe de jeunes géographes
francophones tient ses colloques Géopoint sur des thèmes de Nouvelle
géographie. Qu’appelle-t-on donc « Nouvelle géographie » ? En quoi
se distingue-t-elle de la géographie classique des années 1950 et anté-
rieures ?
C’est avec W. Bunge, en 1962, que s’ouvre la Nouvelle géographie,
vite suivie par les publications de P. Haggett, D. Harvey et P. Gould. La
volonté de modéliser, d’expliquer et d’élaborer des lois, venue du monde
anglophone (États-Unis, Grande-Bretagne, Suède, Canada), se substitue
aux descriptions régionales. Méthodes positivistes, puis critiques appa-
raissent dans les manuels anglo-américains, pendant que le monde fran-
cophone et latin suit encore la tradition régionale. La lecture des titres
des publications révèle le décalage dans les approches, entre ce qui est
appelé « Précis » ou « Cours » ou « Traité »… « de géographie humaine »
ou « de géographie physique » face à des titres du type Analyse des loca-
lisations en géographie, Géographie théorique, Explications en géographie.
Le changement en France apparaît avec L’Espace géographique
d’Olivier Dollfus et les Éléments de géographie humaine de Paul Claval qui
44 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Choix de titres
Des thèses très classiques voire à l’ancienne mode, dont les sujets évoluent
de la géographie régionale vers des thèmes plus ouverts :
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 47
DAUMAS M., 1976, La vie rurale dans le Haut Aragon oriental, Madrid, CSIC.
LAMORISSE R., 1975, L’évolution de la population de la Cévenne méridionale, Montpellier,
Le Paysan du Midi.
THOUVENOT C., 1977, Consommation et habitudes alimentaires dans la France du Nord-
Est, Lille, A.R.T.
TROIN M., 1974, Les souks du Nord marocain, étude géographique des marchés ruraux,
Aix, Edisud.
QUAINI M., 1975, La costruzione della geografia umana, Firenze, Nuova Italia.
HAGGETT P., 1972, Geography, A Modern Synthesis, New York, Harper & Row.
ISARD W., 1975, Introduction to Regional Science, Englewood Cliffs, Prentice-Hall.
la tâche d’un philosophe des sciences. Aussi bien, la géographie est-elle à peu
près rigoureusement absente de tous les travaux de philosophie des sciences,
tant des sciences humaines que des sciences naturelles. La rareté de nos
publications en ce domaine, la confusion de nos actions, une insuffisance du
travail en équipe, l’accumulation monographique y sont évidemment pour
beaucoup […] L’Espace géographique, comme les sommaires de la première année
le montrent, compte mettre un accent particulier sur les questions de technique,
de méthode, et même d’épistémologie, appuyées sur des études de cas. »
Espaces et Sociétés, « Revue critique internationale de l’aménagement, de
l’architecture et de l’urbanisation », 1970, n° 1. Article introductif dû à Lefebvre,
« Réflexions sur la politique de l’espace » : « Plus généralement, rappelons-nous,
dans cette dernière décennie, il était un peu partout entendu ou sous-entendu
que l’objet par excellence de la science était l’espace, non le temps. Espace du
savoir et savoir de l’espace, scientificité et spatialité allaient de pair, à la fois sur
le plan mental et sur le plan social, dans une structure générale… Un postulat
plus caché était le suivant : l’objectivité et la “pureté” de l’espace urbanistique,
objet de science, lui conférait un caractère neutre. L’espace passait pour
innocent, c’est-à-dire pour non politique. Ce contenant n’ayant d’existence que
par son contenu, ne valant que par ce contenu, relevait donc en tant qu’objectif
et neutre des mathématiques, de la technologie et sans doute d’une logique
de l’espace […] Dans ces perspectives, on ne niait pas exactement qu’il y eût
du politique mais on le concevait d’une manière particulière. Autrefois, un
autrefois pas tellement lointain, on percevait le politique comme un obstacle
à la rationalité, à la scientificité, comme introduisant une perturbation, une
espèce d’irrationalité […] Dans ces perspectives concernant le politique et
son intervention urbanistique on conservait le postulat de l’espace objectif et
neutre. Or maintenant il apparaît que l’espace est politique. L’espace n’est pas
un objet scientifique détourné par l’idéologie ou par le politique ; il a toujours
été politique et stratégique. »
Aix
Géomorphologie et milieux naturels méditerranéens
Facteurs et modalités de l’organisation de l’espace
Aménagement régional et urbain
50 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Amiens
Géographie physique et régionale
Besançon
Géographie générale humaine
Géomorphologie
Bordeaux
Analyse et aménagement de l’espace
Géographie et écologie tropicales
Brest
Géographie de la mer
Caen
Analyse et cartographie des formations superficielles :
applications en géomorphologie et en hydrologie
Études de la vie rurale et des sociétés régionales
Clermont-Ferrand
Géographie physique des montagnes cristallines et volcaniques (avec Lyon)
Aménagement du territoire
Dijon
Climatologie générale et régionale : phénomènes de l’atmosphère et milieux
naturels
Grenoble
Géographie des montagnes
Géographie physique : climatologie et hydrologie de surface
Lille (voir Amiens)
Limoges
Géographie : terres et hommes dans les pays du Centre-Ouest et de la Loire
moyenne (avec Poitiers)
Géographie des pays ibériques et maghrébins (avec Tours)
Lyon
Géographie appliquée à l’aménagement
Civilisation et développement du Tiers-Monde (ethnologie, géographie, civilisation)
Montpellier
Géographie urbaine, analyse, aménagement et cartographie régionale
Mise en valeur des littoraux et exploitation des mers
Espace rural
Les « Trente Glorieuses » : quelle géographie vers 1975 ? ! 51
Nancy
Géographie physique, eau et milieux naturels
Nantes
Géographie appliquée à l’aménagement du territoire,
géographie et organisation régionale (avec Rennes)
Nice
Cadre de vie, environnement et civilisation industrielle
Géographie dynamique des espaces, des hommes et des activités
autour de la Méditerranée
Orléans (avec Poitiers et Tours)
Paris I
Géographie physique (géomorphologie, climats, milieux fluviatiles
et océaniques), avec Paris IV
Analyse régionale et aménagement du territoire
Géographie humaine et organisation de l’espace
Paris IV
Géographie culturelle et régionale
Aménagement régional, planification et urbanisme (avec Paris X)
Études sur l’Asie méridionale moderne
Paris VII
Structures et dynamique des milieux naturels dans leurs relations
avec l’occupation humaine
Connaissance du Tiers-Monde
Géographie économique et sociale des pays développés
Paris VIII
Inégalités de la croissance et de l’aménagement régional
Urbanisme et dynamiques de l’espace
Paris X
Géographie de l’environnement et du développement
Poitiers (voir Limoges et Tours)
Reims
Géographie : analyse de l’espace
Rennes (voir Nantes)
Rouen
Géographie du développement dans les régions sèches
52 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Strasbourg
Organisation et aménagement de l’espace géographique
Toulouse
Urbanisme et aménagement
Études rurales intégrées
Tours (voir Limoges et Poitiers)
Lectures conseillées
ALLEMAND S., 2007, Les paradoxes du développement durable, Paris, Le Cavalier Bleu.
CLAVAL P., 1972, La pensée géographique. Introduction à son histoire, Paris, SEDES.
CLAVAL P., 2001, Épistémologie de la géographie, Paris, Nathan Université.
DERRUAU M., 2002, Géographie humaine, Paris, Armand Colin.
GOULD P. et BAILLY A., 2000, Mémoires de géographes, Paris, Economica. Plusieurs
grands auteurs ayant participé à la création de la Nouvelle géographie expliquent
leurs choix épistémologiques.
MANCEBO F., 2010, Le développement durable, Paris, Armand Colin.
PINCHEMEL Ph., ROBIC M.-C. et TISSIER J.-L, 1984, Deux siècles de géographie française,
choix de textes, Paris, CTHS. « Répertoire de textes expressifs de la pensée des
géographes qui ont laissé leur empreinte sur la longue route suivie depuis un peu
plus d’un siècle. » Ce livre se construit en trois grandes parties : Avant 1890, huit
repérages ; 1890-1926, à l’ombre de Vidal ; 1927-1960, une géographie établie.
Le commanditaire est le Comité des travaux historiques et scientifiques. Le
recueil a été établi par l’équipe « Épistémologie et Géographie » en une sorte de
galerie de témoins. Cela est dit dans la préface due à P. George : « La géographie
se veut tour à tour olympienne ou engagée, mais elle n’est jamais neutre, elle
n’est jamais indépendante du contexte politique, économique, social, culturel
[…] Chaque page, chaque œuvre doit être relue en considération du moment où
elle a été écrite et des événements qui ont entouré sa conception. »
REYNAUD A., 1971, Épistémologie de la géomorphologie, Paris, Masson. Relire la
préface due à Enjalbert. Elle se termine en affirmant que la démarche exposée
par A. Reynaud « guidera l’avancement de la géomorphologie, science à part
entière ».
VEYRET Y. et PECH P., 1997, L’homme et l’environnement, Paris, PUF.
Chapitre 4
Années 2000,
la géographie maintenant
Désormais, les outils conceptuels que les géographes utilisent sont plus
nombreux et mieux adaptés ; ce dont bénéficient aussi bien la recherche
que l’enseignement » (DAUDEL C., 1995, « Lire pour préparer l’épreuve
en géographie », numéro spécial « Capes » de la revue IREHG, mars,
Clermont-Ferrand – Institut de recherche sur l’enseignement de l’histoire
et géographie).
Et puis les publications évoluent rapidement. Même si ceci ne constitue
pas une bibliographie, les ouvrages nécessaires, environ une dizaine à
peine, sont à mentionner. La liste peut être complétée par chacun en
diverses langues. Il y a pour cela des instruments spécialisés. Restons
ici sur les écrits simples et accessibles, sur les principales étapes de la
réflexion épistémologique sous forme de manuels dotés eux-mêmes de
toutes les références bibliographiques. Ces ouvrages complètent et pro-
longent la liste des titres signalés ci-dessus pour les années antérieures.
On notera soigneusement l’intitulé du titre, révélateur d’un moment,
d’une synthèse, d’une direction. Espérons que les nouvelles générations
de géographes soient mieux préparées à la variété des problématiques et
des méthodes, grâce à ces nouveaux ouvrages. Sortir des visions classiques,
des nomenclatures pour comprendre le monde, de façon plus scienti-
fique, à l’image des autres sciences sociales, tel est le nouvel objectif de la
Nouvelle géographie.
Le début des années 2000 a connu un élargissement des thèmes, l’ouver-
ture de nouvelles voies et des interrogations sur la discipline, son histoire
et son épistémologie. Des auteurs nouveaux viennent enrichir la littéra-
ture géographique, tels que S. Allemand et C. Bataillon pour l’histoire des
géographes ; J.-F. Deneux et J.-M. Berthelot pour l’histoire et l’épistémo-
logie ; C. Grataloup, M. Lussault et Ph. Sierra pour la nouvelle géographie
humaine ; J. Lévy et M. Vanier pour le pouvoir spatial ; J.-P. Augustin,
L. Bourdeau-Lepage, J. Dumas et D. Giband pour une nouvelle géogra-
phie urbaine ; Y. Veyret et P. Pech pour la géographie physique ; J.-C. Gay
et A. Torre pour l’analyse des limites et des proximités ; B. Pecqueur et
M. Talandier pour les sciences régionales ; B. Grésillon et J.-F. Staszak
pour l’art en géographie. Dans ces mêmes années, les questions sociales
et environnementales ont pris une place nouvelle dans l’enseignement
comme celles de justice spatiale et d’inégalités entre les genres. Ces
nouveaux courants émergent dans le désordre de la géographie culturelle
et environnementale, ouvrant de nouvelles perspectives. En 2018, on se
pose encore la question de la diversité de la géographie. Mais derrière cela,
il y a des choix épistémologiques que chaque géographe doit faire, dans
le respect des autres choix, comme en témoigne la liste des publications
qui incorpore ouvrages classiques, de Nouvelle géographie, de géographie
critique et de géographie culturelle.
60 ! La géographie contemporaine, 1950-2000
Lectures conseillées
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd. Définition et explication des principaux concepts à travers une grande
diversité d’auteurs. Trois parties : Épistémologie et histoire ; Les grands thèmes ;
Techniques géographiques et applications.
BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), 1993 et 1995, Encyclopédie de géographie,
Paris, Economica. Trois entrées : La géographie dans le champ des sciences ; Les
concepts ; La géographie et le monde contemporain. Ce sont à la fois l’histoire
des idées, les thèmes d’étude, les contributions aux grands débats qui ont été
retenus : l’intelligibilité du monde à travers une discipline qui change vite. Une
cinquantaine de spécialistes francophones y présentent près de 50 chapitres
appuyés sur une bibliographie abondante. L’analyse privilégie les influences
exercées par le milieu intellectuel sur la pensée géographique.
BRUNET R., FERRAS R. et THÉRY H., 1992 et 1993, Les mots de la géographie, dictionnaire
critique, Montpellier/Paris, RECLUS/La Documentation française, 3e éd. Plus de
3 000 mots et un ouvrage de référence avec une grande liberté de ton, un très
grand nombre de citations. Il s’agit, au-delà du dictionnaire, d’illustrer les grands
débats intellectuels de la géographie dans le champ des sciences sociales.
DENEUX J.-F., 2006, Histoire de la pensée géographique, Paris, Belin. Une histoire
claire de l’évolution de la pensée géographique.
GEORGE P., 1989, Les hommes sur la Terre. La géographie en mouvement, Paris, Seghers.
Ce livre s’organise en six parties : Une population inégalement croissante ; Diversité
de la géographie physique et de l’héritage historique ; L’inégal développement ;
Les lieux et les mouvements ; Une géographie de l’environnement ; L’expression
géographique.
ISNARD H., RACINE J.-B. et REYMOND H., 1981, Problématique de la géographie, Paris, PUF.
Plus ancien mais toujours utile, cet ouvrage part de l’empirie, sans concession
sous la plume d’Isnard : « Dans le chœur des sciences humaines, la géographie
ne parvient pas à faire entendre sa voix. Elle est absente sinon exclue […] repliée
dans un dernier refuge, au sein de l’université dont son discours scolastique ne
franchit pas les murailles. Pragmatique, le monde moderne exige des sciences
qu’elles soient opérationnelles ; la géographie ne l’est pas […] cantonnée dans
“la description de la Terre” comme l’y engageait son étymologie. » J.-B. Racine
passe en revue les théories de la diffusion et de nombreuses autres directions de
recherche, réfléchissant sur un pluralisme nécessaire à la géographie moderne.
H. Reymond ajoute qu’une géographie expérimentale est possible lorsque sera
dépassé le stade de l’empirisme et de l’observation sans hypothèse.
LACOSTE Y., 2003, De la géopolitique aux paysages : dictionnaire de la géographie, Paris,
Armand Colin.
LÉVY J. et LUSSAULT M. (dir.), 2013, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
sociétés, Paris, Belin.
Années 2000, la géographie maintenant ! 61
BUTTIMER A., 1994, Geography and the Human Spirit, London, John Hopkins
University Press.
DOUGLAS J., HUGGETT R. et ROBINSON M. (dir.), 1996, Companion Encyclopedia of
Geography, The Environment and Human Land, London, Routledge.
GOULD P., 1993, The Slow Plague, a Geography of AIDS Pandemic, Oxford, Blackwell.
HAGGETT P., 2001, Geography: a Global Synthesis, London, Prentice Hall.
JOHNSTON P., 1990, Philosophy and Human Geography, an Introduction to Contemporary
Approches, London, Arnold.
JOHNSTON R., HAUER J. et HOEKVELD G. (dir.), 1990, Regional Geography: Current
Developments and Future Prospects, London, Routledge.
STASZAK J.-F. (dir.), 2001, Géographies anglo-saxonnes : tendances contemporaines,
Paris, Belin.
SCOTT A. et STORPER M. (dir.), 1986, Production, Work and Territory, The Geographical
Anatomy of Industrial Capitalism, Boston, Allen & Unwin.
UNWIN T., 1992, The Place of Geography, Harlow, Longman.
DEUXIÈME PARTIE
Épistémologie
et histoire
de la géographie
Histoire
d’une science ancienne
IXe siècle. Thucydide (c. 460-c. 400) précise : « Je n’ai rien décrit que je
n’aie vu moi même », avec un souci du concret, du « terrain ». Ératosthène
(c. 276-c. 194) fixe la circonférence de la Terre à 250 000 stades (700 stades
pour un degré) ; il en découle des hypothèses : le 36e degré regroupe le
monde habité sur 70 000 stades et si l’on parcourt autant vers l’ouest, on
atteint sa limite occidentale. Il y avait là une vision du monde qui permet-
tra, par le jeu des symétries, de supposer l’existence d’un continent austral.
Le monde grec est double, monde de la mesure avec Ératosthène et
Ptolémée, monde du récit avec Hérodote. L’exploration du passé de ces
mondes par les Grecs est aussi importante que la cartographie des conti-
nents, avec en plus le récit de l’histoire. C’est une enquête et le terme
historiê désigne le savoir par enquête. Cela va de pair avec la médecine
qui étudie le fonctionnement du corps selon l’environnement et le climat.
Dioscoride, médecin grec qui suivra les armées de Néron en Méditerranée,
publie De materia medica qui étudie la botanique sous son aspect pharma-
cologique. Ses successeurs essayeront de faire cadrer ce qu’il décrit avec
les plantes de leur pays ; ainsi s’établit un Répertoire de 600 plantes classées
selon leur usage, huile ou aromates, pour migraines ou autres. Mille ans de
copies éloigneront de plus en plus cette botanique de la réalité, des feuilles
imaginaires apparaissent pour la symétrie, des racines remplissent la page
pour la beauté de la composition. Le dessinateur prime sur l’observateur,
le poète sur le savant. Cela durera jusqu’au XVIe siècle.
La poésie, forme habituelle de transmission de connaissances, est aussi
utilisée dès l’Antiquité pour mémoriser les faits (aventures des héros),
traditions, règles grammaticales, morale (foi religieuse). Elle n’est pas que
l’art de la fiction littéraire, qui est son sens premier. Elle est création, ce
qui est la traduction de poiêzis. La poésie emmagasine, conserve, transmet.
Au VIe siècle av. J.-C., les Ioniens de l’âge d’or se mettent à écrire en prose,
d’où leur nom de logographes qui assurent la transition entre les poètes
épiques et les historiens critiques (un carré sans rien de poétique est un
logo, tout comme le modèle graphique peut être considéré comme « prose
de la poésie » en géographie). Ces proto-historiens libèrent l’histoire du
rythme, du vers, du chant, comme l’imprimerie libérera le copiste de sa
feuille. Au départ le rhapsode va de ville en ville, récitant des poèmes
épiques mêlés de notes de voyage. L’itinéraire-comptine, répétitif dans ses
énumérations, est la première arme de la géographie, celle que l’on trouve
chez Denys le Périégète ou chez Festus Avienus, qui égrènent les ports
de la Méditerranée. Au bout de ce type de démarche se profile… la liste
des départements de nos classes primaires, la poésie en moins, l’inventaire
en forme d’annuaire en plus.
La représentation du monde méditerranéen en appelle aux mathéma-
tiques. Déciarque prend comme axe central dans ses cartes le parallèle
Histoire d’une science ancienne ! 71
Rome
Rome hérite de la géographie de la Méditerranée et a des auteurs pouvant
être considérés comme des géographes quand ils écrivent une Chorographie
(Pomponius Mela, Ier siècle apr. J.-C.), une Histoire naturelle (livres III-VI)
comme Pline ou comme Festus Avienus (Ora maritima). Pomponius Mela
laisse la plus ancienne géographie en latin qui nous soit parvenue, faisant
de Ceylan le nord d’un continent méridional. L’Antarctique est inventé
par un besoin « logique » de symétrie, de contrepoids, d’équilibre parce
qu’il y a des terres au nord. Il fait de l’océan Indien un lac, ce qui contri-
buera à pousser Colomb vers l’ouest pour atteindre les Indes.
Pline l’Ancien (23-79 apr. J.-C.) écrit 36 livres d’Histoire naturelle (on
notera le titre) publiés par son neveu. Le premier reprend les écrivains plus
anciens. Les volumes 2 à 7 sont des traités de géographie, d’astronomie et
d’anthropologie. Puis de zoologie, de botanique, de médecine, de minéra-
logie, d’art. Cette encyclopédie se veut immense et variée comme la nature.
Histoire d’une science ancienne ! 73
Ovide (43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.) parle d’érosion, de systèmes en mouve-
ment (Métamorphoses, livre XV). On compile ce qui intrigue : sources
vauclusiennes, îles devenues presqu’îles, volcans et séismes, éléments qui
bougent sous nos yeux. Huit vers des Métamorphoses (262-269) ont laissé
une trace bien plus tard chez Gassendi, Buffon, Voltaire et… de Beaumont,
évoquant des coquilles loin dans les terres, des terres qui émergent et
peuvent être submergées, des eaux qui ravinent… Ovide prend en consi-
dération des dynamiques : « On trouve la mer là où était la terre ferme,
et là où se trouve maintenant la mer, il y aura de nouveau une terre. »
Des constantes venues des Grecs et d’Aristote : terre, feu, air, eau, sont
présentes à travers les observations et la transmission des connaissances de
l’Antiquité par copie des textes classiques : Théophile (Xe siècle), Schedula
diversarum artium (le livre des différents arts), Varron dont les « Satires »
sont un périple : Saturae Menippeae, encyclopédie latine en 150 livres dont
on possède 600 fragments environ (vers 116-27 av. J.-C.). De même, le
marin, navigant, « explorateur » de la Méditerranée et au-delà, connaît
les fonds et les courants. L’auteur du périple les transmet sous la forme
mythologique de Charybde et Scylla. Le savant essaye de les expliquer. Le
premier construit une histoire ; le second tente de construire une théorie.
La Chorographia, compilation sans expérience directe, souligne une
certaine ambition géographique, mais n’apporte aucun progrès. Elle
distingue, entre les terres de la Méditerranée, la jonction des trois conti-
nents, Afrique, Asie, Europe, et dans les terres extra-méditerranéennes,
Espagne, Gaule, Sarmatie, Scythie, îles. La Descriptio orbis terrarum est un
grand poème géographique, plus par le style que par la forme, car mis en
vers pour être mieux appris.
Le Moyen Âge
Il annonce la géographie des redécouvertes, des savoirs transmis et des
techniques nouvelles. Le monde médiéval est surtout arabe, très « pra-
tique » de conception avec l’appui technique de la boussole, l’outil de
référence qu’est le portulan, les compilations anciennes et les itinéraires
nouveaux, et quelques grands noms dont Edrisi et Ibn Battuta.
1975 ; Le milieu naturel, 1980 ; Les travaux et les jours, 1988. Deux extraits en
soulignent la richesse.
Dans l’« Avertissement » (t. 3, p. 11), A. Miquel écrit : « Mamlaka ou Islam, peu
importe. Et peu importe aussi qu’avec le même retard déjà signalé, ce concept
arrive à sa pleine clarté au moment même où l’édifice qui l’inspire se craquelle
avant de laisser place, l’an Mil et le Turc venus, à des pays musulmans, à des
espaces musulmans, à des mondes musulmans peut-être. L’essentiel, encore
une fois, est que notre corpus lui-même nous invite à la description d’un monde
saisi comme un ensemble, cohérent au-delà des vicissitudes politiques, des
aléas de la route caravanière ou de la mer, des fluctuations du rite, parfois du
dogme. »
Il ajoute dans « De la Bible à l’Islam » (t. 4, p. 19) : « De la création du monde
à la Révélation coranique, l’histoire relue ou retrouvée par les géographes
est essentiellement biblique, persane et arabique. Sans doute d’autres temps
émergent-ils de-ci de-là, incarnés dans quelques héros majeurs, tel Alexandre,
mais il reste que la carte du passé, presque exclusivement orientale, propose
un Croissant fertile biblique jouxté, vers le nord-est, par l’Iran, et au sud, par
l’Arabie d’avant l’Islam. »
Le monde chrétien, quant à lui, puise ses fondements dans les Évangiles.
À l’optique juive du passé, les chrétiens ajoutent leurs propres textes sacrés.
On ne se préoccupe ni d’enquête ni de reprise, on cherche à trouver des
documents pour vérifier la Foi, sans esprit critique. Crédulité ? Origène
(185-254) ira jusqu’à distinguer les grandes lignes du christianisme dans
les écrits des Grecs. Eusèbe de Césarée agencera la chronologie du passé
chaldéen, grec et romain au sein du cadre biblique. Il provincialise l’his-
toire du monde pour en faire une histoire du christianisme. La chré-
tienté dresse une barrière contre le progrès des connaissances, opposant à
l’héritage de Ptolémée une vision léchée et théologiquement conforme au
dogme de l’époque. Quatre disciplines comptent, et elles seules, relevant
des mathématiques : arithmétique, musique, géométrie, astronomie, plus
trois autres relevant de la linguistique : grammaire, dialectique, rhéto-
rique. Elles composent au total les sept arts libéraux.
Le monde est occulté dans sa représentation en caricatures pieuses, dans
une amnésie scientifique qui se poursuit entre 300 et 1300. La géographie
n’est qu’un ramassis de connaissances, dogmes, récits de voyages, mythes.
Les mappemondes du Moyen Âge sont toutes du type T dans l’O, l’Est
en haut. La carte, œcuménique, montre l’œkoumène, le monde habité de
façon dogmatique et non scientifique : Cosmas, appelé pour ses talents de
géographe « Indicopleuste » (navigateur dans l’Inde), se trouve vers 519
en Orient, est marchand à Alexandrie, devient moine et se convertit au
Histoire d’une science ancienne ! 75
Lectures conseillées
JACOB C., 1988, « Écriture, géométrie et dessin figuratif, essai de lecture d’une
carte grecque », Mappemonde, n° 1. La tradition antique y juxtapose des savoirs
d’origine géographique, cosmologique, eschatologique, d’où son déchiffrement
difficile. Voir les autres publications de ce même auteur.
GRATALOUP C., 2004. L’invention des continents, Paris, Larousse.
Chapitre 6
Géographie et Renaissance,
renaissance de la géographie
La mer développe alors la cartographie. On n’a pas besoin d’une représen-
tation cosmique (une géographie générale, comme ce fut le cas à travers
la cartographie « chrétienne »), mais on doit connaître les fonds et les
routes entre les îles (géographie régionale). En caricaturant, on peut dire
que l’on s’intéresse moins à l’Éden qu’à la réalité de la côte. Mais tout n’est
pas uniquement fonctionnel, même si le périple marin repose avant tout
sur l’utilisation d’un guide côtier qui implique stratégie et puissance. Au
XIVe siècle apparaît le portulan, guide des ports corrigeable. Guide au ras
du sol, contrairement aux spéculations chrétiennes qui, à l’intérieur des
terres, faisaient figurer soit du blanc, soit des lieux ou scènes mythiques.
« Aucune théologie au monde ne pouvait faire croire à un marin que les rochers heur-
tés par son navire étaient purement imaginaires. Les contours des terres explorées ne
pouvaient être modifiés ou occultés par les écrits d’un Isidore de Séville, voire d’un
saint Augustin. Plus l’homme s’éloignait sur la mer, moins il avait l’occasion ou la
tentation d’ajouter foi aux sources littéraires. Car la mer n’avait pas de mémoire. »
BOORSTIN D., 1988, Les découvreurs, Paris, Laffont, p. 131.
80 ! Épistémologie et histoire de la géographie
L’apport allemand
Humboldt et Ritter marquent l’importance des héritages de la Prusse des
XVIIIe et XIXe siècles. Le premier, savant de culture naturaliste, publie son
Cosmos. Ritter, géographe de culture historique, laisse une Géographie
tout aussi inachevée. Le premier est né en 1769, le second, dix années plus
tard, les deux disparaissent en 1859. Leur œuvre traverse l’histoire d’une
géographie moderne naissante.
Humboldt, qualifié de « savant et voyageur » dans les vieux dictionnaires,
naturaliste, géologue et botaniste est bien armé intellectuellement pour
découvrir la Terre. Frère d’un homme politique et lui-même conseiller du roi
de Prusse, membre de toutes les sociétés savantes, il est souvent à Paris où il
rencontre dès 1797 le naturaliste Bonpland (1773-1858) qui l’accompagnera
Histoire d’une science modernisée ! 83
Inventions géographiques
L’émergence du continent africain, la naissance de la montagne four-
nissent l’occasion de développements concrets sur l’histoire des inventions
géographiques. On retiendra l’exemple de l’Afrique, explorée, puis celui
de la montagne, inventée, en les replaçant dans l’évolution générale des
sciences au XVIIIe et au XIXe siècle en Europe. L’un et l’autre sont tout à
fait significatifs.
L’Afrique lointaine
Les exemples géographiques, textes ou cartes, récits ou relevés sur l’Afrique
sont riches de descriptions datées, illustrant les découvertes du temps. Les
textes, innombrables, gagnent à être mis en vis-à-vis. Mungo Park, réédité
en 1980 (chez Maspero), propose son Voyage dans l’intérieur de l’Afrique,
fait en 1795, 1796 et 1797, par M. Mungo Park, envoyé par la Société d’Afrique
établie à Londres. Citons les premières phrases de son récit :
84 ! Épistémologie et histoire de la géographie
« Je revins des Indes orientales en 1793. Peu de temps après mon retour j’appris
que la société qui s’était formée à Londres pour faire faire des découvertes dans
l’intérieur de l’Afrique désirait trouver quelqu’un qui voulût pénétrer dans ce
continent par la rivière de Gambie. Déjà connu du président de la Société royale,
je le priai de me recommander à celle des découvertes en Afrique. […] Je pensais
que si je réussissais à faire mieux connaître à mes compatriotes la géographie de
l’Afrique, et à ouvrir à leur ambition, à leur commerce, à leur industrie de nou-
velles sources de richesses, je pensai, dis-je, que ceux à qui j’avais affaire étaient
des hommes d’honneur. »
René Caillié, dont un extrait est cité, laisse un Journal d’un voyage à
Tombouctou et à Jenné, dans l’Afrique centrale, précédé d’observations
faites chez les Maures Braknas, les Nalous et d’autres peuples, pendant les
années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828 (réédité en 1979 par La Découverte).
On y ajouterait ultérieurement, mais un peu dans la même veine, Gide
pour le Congo et la Tunisie, Fromentin au Maghreb, Flaubert ou Maxime
du Camp en Égypte… Les recensements littéraires restent incomplets, à
peu près inépuisables.
à savanes (Soudan africain par exemple) sont plus accueillantes, tant par
leur climat rythmé en une saison sèche et une saison humide que par leurs
habitants, cultivateurs sédentaires. Les régions de climat tropical désertique
(Sahara, Arabie) sont de pénétration difficile ; leurs ressources naturelles, rares
et discontinues, entraînent le nomadisme. Ces nomades, pillards et guerriers,
doivent être disciplinés, principalement sur les confins steppiques du désert.
Il en va de même dans les régions de climat continental excessif qui se dégrade
vers le désert froid (Turkestan, Gobi, Tibet) de l’Asie intérieure, région des
nomades dont il a fallu vaincre l’hostilité. »
Extrait de l’ouvrage de CLOZIER R., 1942, Les étapes de la géographie, Paris, PUF.
La montagne
La « géographie des philosophes » et du temps des philosophes évolue en
Europe jusqu’à l’émergence de concepts nouveaux comme la montagne.
N. Broc, dans Les montagnes au siècle des Lumières (1991), précise que
c’est bien « au XVIIIe siècle que les montagnes ont été découvertes, sur le
plan littéraire comme sur le plan scientifique ». Cette révolution marque
le passage d’une répulsion réelle à un objet d’études nouveau, dans un
univers qui est pour les contemporains « aussi exotique que celui des
archipels polynésiens ».
À travers des écrivains comme De Haller, le « Pline de la Suisse », ou
Rousseau, même s’il n’a pas « senti » la haute montagne, des générations
d’âmes sensibles ont pu verser des « larmes géographiques ». H. Beraldi
considère à juste raison La Nouvelle Héloïse comme la « Déclaration des
droits de la Montagne ».
Les savants, botanistes, minéralogistes (comme l’abbé Palassou), natu-
ralistes, excursionnent. Premier géographe du roi, Buache construit un
système orographique cohérent qui met en relation chaînes de montagnes
et fleuves, débouchant sur la notion de bassins séparés par des lignes de
crête. D’où l’apparition possible de chaînes de montagnes fictives, parfois
pour les besoins de la cause, soulignant de façon exagérée les lignes de
partage des eaux. Il propose à l’Académie des Sciences (1744 et 1751) sa
fameuse Carte physique ou géographique naturelle de la France, divisée par
chaînes de montagnes et aussi par terreins [sic] de fleuves et rivières. Buffon
produit la première synthèse de géographie physique, sa Théorie de la
Terre, un travail de naturaliste s’élevant jusqu’à la géographie générale.
Giraud-Soulavie, dans son Histoire naturelle de la France méridionale,
produit en Vivarais la première coupe géologique (1781). Les militaires
répertorient cols et passages. Les ingénieurs géographes distinguent trois
catégories de chemins, ceux qui sont accessibles à l’artillerie, à la cavalerie,
Histoire d’une science modernisée ! 87
« Elle ne négligera rien pour tenir ses lecteurs au courant des recherches et des
découvertes qui ont pour résultat ou pour but d’étendre, dans tous les sens, le
domaine des connaissances géographiques. Elle n’entreprend pas seulement une
œuvre de science mais de vulgarisation. Son Bulletin racontera les efforts tentés
ainsi que les résultats obtenus dans cette campagne contre l’ignorance géogra-
phique, qu’elle poursuit sous toutes les formes et par les voies les plus diverses.
Nous ne voulons pas que nos voisins puissent plus longtemps nous appliquer la
définition injurieuse que l’on sait : “Un Français est un homme qui ne sait pas la
géographie”. »
L’école des monographies régionales qui naît est dite « École française
de géographie ». La région est construite dans un cadre, généralement de
géographie physique, qui part des conditions naturelles pour traiter des
activités des hommes, dans l’ordre l’agriculture, industries, commerce,
habitat, population, voies de communication. L’enseignement dispensé
suivra la même organisation. Un des credos est proposé par Vidal dans
« La conception actuelle de l’enseignement de la géographie » (Annales de
Géographie, n° 75, 1905, p. 193-207). Il insiste sur l’utilité de la connais-
sance des rapports entre milieux physiques et activités humaines. Ainsi
se trouvent posées les bases d’une géographie régionale qui va marquer
le XXe siècle.
L’essentiel est cadré : les rencontres internationales, les avancées tech-
niques essentielles, les bulletins scientifiques, les œuvres majeures et les
grands auteurs. L’école régionaliste et les historiens en retiennent, comme
Histoire d’une science modernisée ! 91
Lectures conseillées
On ne reprend pas les références, déjà signalées, à travers les publications de
G. Aujac, N. Broc, M.-C. Robic, Ph. Pinchemel, P. Claval, V. Berdoulay, C. Jacob,
F. Lestringant. Elles permettent d’aller plus loin dans le détail, après avoir utilisé
les trois bilans proposés en forme d’histoire de la géographie par Clozier (1942),
Meynier (1969), Claval (1995), les trois aux PUF. Plus spécialement :
ALLEMAND S., 2007, Comment je suis devenu géographe, Paris, Le Cavalier Bleu.
AUJAC G., 1975, La géographie dans le monde antique, Paris, PUF.
BATAILLON C., 2009, Géographes, génération 1930, Rennes, Presses universitaires de
Rennes.
BERDOULAY V., 1981, La formation de l’École française de géographie (1870-1914),
Paris, Bibliothèque nationale.
BROC N., 1980, La géographie de la Renaissance (1420-1620), Paris, Bibliothèque
nationale.
CLAVAL P., 1972, La pensée géographique. Introduction à son histoire, Paris, SEDES.
CLAVAL P., 1999, Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours, Paris, Nathan
Université.
LUSSAULT M., 2007, L’homme spatial. La construction sociale de l’espace humain, Paris,
Le Seuil.
Chapitre 7
Grandes collections
et revues
aux XIXe et XXe siècles,
des outils indispensables
La géographie académique
La géographie académique est à l’origine de la deuxième génération de
périodiques. Avec plus ou moins de rapidité, les géographes universi-
taires fondent leurs revues à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : le
Geographical Journal en 1843 à Londres, les Mitteilungen de Petermann
et Die Erde (1853) à Berlin, les Annales de Géographie en 1891 à Paris,
les Geographische Zeitschrift en 1895 à Leipzig, la Geographical Review
en 1916 à New York. « Il faut une discipline, une méthode, de la suite
dans les informations comme dans les études » est-il écrit dans la préface
des Annales de Géographie, pour indiquer la voie à suivre. La création
de la Revue de géographie alpine en 1913 résulte de ce même constat qui
aboutit à la naissance en vingt ans de la plupart des revues scientifiques
de géographie.
Leur succès résulte de la justesse de l’analyse des géographes de l’époque
qui pensent que « les descriptions impartiales des régions qui intéressent
le public seront utiles à tous ceux qui veulent comprendre les conditions
géographiques fondements de la politique et du commerce moderne »
(Préface à The Geographical Journal, 1843, vol. I).
SANTOS M., Pour une géographie nouvelle : de la critique de la géographie à une géographie
critique, Paris, Publisud, trad. du portugais.
JOHNSTON R. J., On Human Geography, London, Blackwell.
1986 : AURIAC F. et BRUNET R. (dir.), Espaces, jeux et enjeux, Paris, Fayard.
HARRIES K. D. et NORRIS R. E., Human Geography: Culture, Interaction, and Economy,
Columbus, Merrill Publ.
JOHNSTON R. J., GREGORY D. et SMITH D. M. (dir.), The Dictionary of Human Geography,
Oxford, Blackwell, 2e éd.
1988 : PINCHEMEL P. et PINCHEMEL G., La face de la Terre : éléments de géographie,
Paris, Armand Colin.
1989 : GEORGE P., Les hommes sur la Terre : la géographie en mouvement, Paris, Seghers.
1990 : BRUNET R. et DOLLFUS O., Mondes nouveaux (BRUNET R. (dir.) Géographie
universelle, vol. 1), Paris/Montpellier, Hachette puis Belin/RECLUS.
DI MÉO G., L’homme, la société, l’espace, Paris, Anthropos.
1992 : BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Paris,
Economica.
BRUNET R., FERRAS R. et THÉRY H., Les mots de la géographie : dictionnaire critique,
Montpellier/Paris, RECLUS/La Documentation française.
GEORGE P., La géographie à la poursuite de l’histoire, Paris, Armand Colin.
PECH P. et REGNAULD H., Géographie physique, Paris, PUF.
1993 : CLAVAL P., La géographie au temps de la chute des murs : essais et études, Paris,
L’Harmattan.
1994 : FERRAS R., 99 réponses sur la géographie, Montpellier, CRDP-CDDP
Languedoc-Roussillon.
GEORGE P., Chronique géographique du XXe siècle, Paris, Armand Colin.
SCHEIBLING J., Qu’est-ce que la géographie ? Paris, Hachette.
GREGORY D., MARTIN R. et SMITH G., Human Geography: Society, Space and Social
Science, New York, Macmillan.
1999 : CLAVAL P., Histoire de la géographie française de 1970 à nos jours, Paris, Nathan
Université.
2007 : ALLEMAND S., Comment je suis devenu géographe, Paris, Le Cavalier Bleu.
2009 : BATAILLON C., Géographes, génération 1930, Rennes, Presses universitaires
de Rennes.
2009 : PAULET J.-P., Manuel de géographie urbaine, Paris, Armand Colin.
2011 : GIBAND D., Les villes de la diversité, territoires du vivre ensemble, Paris,
Économica-Anthropos.
2012 : CLAVAL P., Géographie culturelle, Paris, Armand Colin.
2013 : GEORGE P. et VERGER F. (dir.), Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF.
102 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Lectures conseillées
Un grand choix dans les titres qui précèdent permettra d’établir sa propre liste
de références en matière d’épistémologie.
L’éditorial qui ouvre le premier numéro d’une revue est toujours intéressant,
bourré de déclarations d’intentions révélatrices des idéologies de l’époque.
Chapitre 8
Guerre en tirant son épée (le même pour lequel il ne manquait pas un
bouton de guêtre). » Ce tournant de 1872, cher à Meynier, marque bien
une nouvelle époque.
Conrad Malte-Brun
Danois, né dans le Jutland en 1775, Conrad Malte-Brun, destiné aux fonc-
tions de ministre du culte protestant, écrit des vers, verse dans la politique
et doit se réfugier en Suède avant de gagner sa vie comme précepteur à
Hambourg et de s’exiler en France. Il y devient un géographe à la plume
facile qui alimente plusieurs périodiques, écrit un Tableau de la Pologne,
produit un monument, son Précis de la Géographie universelle, premier
1. Sur les bilans successifs que proposent tous les demi-siècles les Géographies universelles,
voir : FERRAS R., 1989, Les géographies universelles et le monde de leur temps, Montpellier, RECLUS.
108 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Élisée Reclus
Reclus, 1830-1905, fils d’un pasteur du Sud-Ouest français formé dans
les universités d’Allemagne, proscrit et exilé à la suite du coup d’État du
2 décembre, communard et anarchiste, entreprend une œuvre encore plus
gigantesque. Avec lui se poursuit « la découverte et la confirmation d’une
discipline ayant acquis droit de cité bien au-delà de la seule cartographie ;
il produit, lui aussi, une information sur le monde, que facilitent sa for-
mation à l’étranger, son savoir encyclopédique et ses liens internationaux,
tout ce qui compense la position précaire d’un militant et d’un proscrit »
(R. Ferras, 1989, p. 53). L’inventaire est plus raisonné et ainsi se fonde peu
à peu une science des lieux qui nous reste en 19 volumes.
« Reclus, géographe libertaire et libertaire géographe, propose en accord
avec ses positions philosophiques son approche du monde, dans lequel
il recherche organisation, harmonie, explication. Son savoir sur l’espace
passe par des méthodes scientifiques, celles de la mise en avant d’hypo-
thèses de travail, d’observation et d’expérimentation. L’analyse sous toutes
ses formes prend dans l’histoire, la politique, la physique, l’économie, et
tout ce qui relève de l’humain et du social. Mais au-delà du savoir sur
l’espace, l’appuyant et s’en nourrissant, est toujours présent l’idéal d’orga-
nisation libertaire du monde. Sa curiosité, par définition, est mondialiste,
dans un complexe sans cesse en évolution, dont l’équilibre et les compo-
santes sont sans cesse revus » (R. Ferras, 1989, p. 79). Le premier volume
est publié en 1875, le dernier en 1894.
RECLUS
Ce GIP (Groupement d’intérêt public RECLUS), créé en 1984 par
R. Brunet, signifie « Réseau d’étude du changement dans les localisations
et les unités spatiales », tout en rendant hommage au grand géographe.
Les activités portent sur les structures, systèmes et modèles d’espaces,
la dynamique des lieux, les stratégies des acteurs. La totalité de l’espace
mondial sera analysée, sous différentes associations régionales, afin de
bien cerner les appartenances et identités territoriales. L’un des soucis
réside dans la recherche de permanences dans les localisations et de ten-
dances nouvelles dans la différenciation des lieux. Cette dernière formule
se distingue des trois précédentes.
Les géographies universelles ! 111
France, Europe du Sud (Ferras R., Pumain D., Saint-Julien T. dir.) ouvre
l’approche régionale. « Les images anciennes, les clichés sont mis en ques-
tion. À la traditionnelle présentation (cadre physique, population, acti-
vités) répond une approche nouvelle. Les pays sont d’abord placés dans
leur environnement mondial, à travers l’étude de leurs forces et de leurs
handicaps. Puis vient l’analyse des déséquilibres intérieurs, qui relèvent de
l’opposition entre régions ou des clivages économiques et sociaux. L’étude
de chaque région et de ses villes achève la présentation des pays, en souli-
gnant leurs atouts, exploités ou potentiels, et les défis qu’ils doivent relever
dans les années à venir. » Europe orientale, Russie, Asie centrale (Brunet R.,
Rey V. dir.), pour finir, est le volume qui a enregistré le plus de mutations
géographiques, en forme de coupures au jour le jour.
Dans cette dernière Géographie universelle, de nouvelles perspectives
émergent, qui auront des destins différents : aménagement de l’espace,
géographie appliquée ou en tout cas applicable, souci de quantification
avec appel à de nouvelles méthodes, intérêt porté à l’actualité dans ses
conflits et leurs interprétations géopolitiques, apparition de probléma-
tiques sociales et culturelles, accent mis sur « l’homme-habitant », prise
112 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Lectures conseillées
Les Géographies universelles de Malte-Brun, Reclus, Vidal-Gallois.
La Géographie universelle dirigée par R. Brunet, 10 volumes, Montpellier/Paris,
RECLUS/Belin, 1990-1996.
Chapitre 9
Démarches en géographie
Écoles
Le terme désigne simplement un groupe de personnes partageant des posi-
tions communes et qui s’efforcent de le faire savoir. Doctrinale, elle peut
devenir dogmatique, passant du « courant » de pensée à la « chapelle »,
terme qui relève de la polémique. Semblant surprenante en géographie,
l’école (par exemple vidalienne) est de rappel fréquent en histoire, ce qui
a marqué longtemps la réflexion de cette discipline. Les précautions prises
sont évidentes : « En principe, nous ne formulerons pas de jugement de
valeur. S’il nous arrive parfois de laisser sentir nos préférences dans tel
conflit de méthodes ou telle interprétation de résultats, on voudra bien
y voir un gage de sincérité, non un blâme quelconque contre les théo-
ries adverses » (MEYNIER A., 1969, Histoire de la pensée géographique en
France : 1872-1969, Paris, PUF).
Faisons un détour du côté de l’histoire. G. Bourdé et H. Martin ont
publié en 1983 Les écoles historiques (Seuil) qui fait le point sur les courants
de pensée et n’a pas son équivalent en géographie. On y trouve les diffé-
rentes approches et théories de la production historique. Défilent l’histoire
chrétienne, Froissart et les Chroniqueurs, les philosophies de l’histoire,
l’histoire érudite, Michelet, école méthodique et école des Annales… et
tous les héritages (« Ni Jésus, ni Mao, ni Toynbee ; un peu de Marx et le
plus possible de science »). Cela donne par ordre décroissant et comme
chefs d’école : Le Goff, Leroy Ladurie, Veyne, Braudel, De Certeau, Bloch,
114 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Exemples d’approches
pour une géographie du XXIe siècle
Les définitions doivent en être claires, qu’il s’agisse de concepts, de simples
notions, ou des simples termes utilisés. Il convient de savoir de façon très
précise ce qui se trouve derrière les mots. La présentation est destinée à
faciliter la lecture de ce qui semble essentiel dans l’optique retenue.
Conceptuelle
Le concept, représentation mentale, abstraite, est une reconstruction
analytique du monde qui prend son sens dans le cadre d’une probléma-
tique. La géographie, comme toutes les sciences, s’est dotée d’une série
de concepts qui l’aident à comprendre le monde et ses pratiques ; parmi
les plus importants, nous l’avons vu : milieu, paysage, espace, distance,
territoire, ville, échelle, système, modèle, réseau, diffusion… La liste est
soumise à révision, de nouveaux concepts sont proposés en permanence.
La géographie use donc depuis toujours de concepts, même si elle s’en
est longtemps défendue. Parlant du concept d’érosion, A. Reynaud écrivait
en 1971, dans son Épistémologie de la géomorphologie, sous le paragraphe
« Une notion préscientifique typique : l’érosion » :
Structuraliste
La structure est la manière dont les parties d’un tout sont arrangées entre
elles. On parle de la structure cristalline d’un massif rocheux, de la struc-
ture complexe d’une répartition de population, de la structure centralisée
d’une firme, de la structure d’une entreprise qui passe par les relations hié-
rarchiques entre les hommes qu’elle emploie et les postes qu’elle propose.
Cette définition suppose que les parties, le tout et l’arrangement soient
connus et définis, pour donner une certaine cohérence au monde que l’on
observe ; un arrangement indépendant du temps, car si la structure est
évolutive, l’arrangement de ses parties change. « Le tout » est un système,
et l’évolution fait l’objet d’un modèle.
Le structuralisme, venu de la linguistique (De Saussure) et de l’anthro-
pologie (Lévi-Strauss), a touché les sciences humaines et sociales dont
la géographie, de façon tardive mais féconde. Pour le structuralisme, une
catégorie de faits doit être étudiée selon un ensemble organisé, structuré.
La recherche des structures renvoie aux invariants, aux fondamentaux qui
ont une signification pour la connaissance des systèmes sociaux et spatiaux.
Un ensemble d’éléments est dit structuré lorsqu’on a clairement défini
leurs relations, ce qui permet d’en proposer une « théorie ». Les sociolo-
gues (Mauss) distinguent traditionnellement dans les sociétés des structures
immatérielles (comme une classe d’âge), des structures mixtes (comme un
clan dans une tribu) et des structures spatiales (comme les quartiers iden-
tifiables dans une ville), ce qui les rapproche de certains géographes. Le
sens actuel de structure, en géographie, s’emploie pour désigner un tout
formé de phénomènes solidaires, par opposition à une simple combinaison
d’éléments, de façon telle qu’ils dépendent les uns des autres.
Systémiste
Le système, mot à mot, signifie « tient ensemble » (systema). Un système
se décompose en sous-systèmes, si chacun de ses éléments est considéré
comme système dans un autre niveau d’analyse. C’est un ensemble d’élé-
ments interdépendants et traités comme un tout. Un système recouvre
les deux notions, d’ensemble organisé entre différents éléments, et d’in-
teractions entre ces éléments. C’est une construction intellectuelle car
le fait de considérer des objets comme interdépendants n’implique pas
qu’ils le soient vraiment. Par exemple, l’astronome traite du système
planétaire, l’astrologue d’un système comprenant à la fois le mouvement
des astres et le destin des individus. Prenons d’autres exemples : le sys-
tème du cours regroupe un enseignant et des étudiants ; les inputs et les
outputs d’une région font système. L’espace géographique est façonné,
Démarches en géographie ! 119
composé et recomposé par les systèmes spatiaux qui sont des systèmes
vivants, qui échangent avec leur environnement, pris au sens le plus
large.
Les géographes, depuis l’Antiquité grecque, ont employé le terme,
mais dans le sens différent de systématisation. Actuellement, on parle
plus de système d’érosion ou de système de failles, de système agraire
ou de culture, de système de transports, ou encore de systèmes urbains
ou de systèmes économiques. Braudel a parlé d’économies-mondes,
systèmes incomplets, laissant hors des échanges planétaires des terri-
toires entiers. Désormais, on considère que le monde fait système, le
« système-monde », la mondialisation, sont largement entrés dans les
publications.
Cette approche systémique garde un côté opératoire, avec le risque
parfois de rendre moins simples des choses qui le sont fondamentalement
comme le montrent certains tableaux se disant « systémistes » à partir
d’un entrecroisement de flux et de leurs flèches. Toutefois, cette pensée
a le mérite de proposer une vision d’ensemble, non figée qui s’oppose à
une démarche hiérarchisée, bref, « systématique » ou faite d’un « esprit
de système ».
L’approche systémiste
« L’intérêt de l’approche systémique passe par sa démystification. Car ce qui
est utile dans l’action quotidienne ne doit pas avoir pour règle d’être réservé à
quelques initiés. La hiérarchie des disciplines établie au XIXe siècle, des sciences
les plus “nobles” aux sciences les moins “nobles” (mathématiques et physique
au sommet ; sciences de l’homme ou de la société au bas de l’échelle), continue
à peser lourdement sur notre approche de la nature et sur notre vision du
monde. D’où, peut-être, ce scepticisme, voire cette méfiance envers l’approche
systémique, que l’on retrouve chez ceux – mathématiciens ou physiciens – qui
ont reçu la formation théorique la plus poussée.
Par contre, ceux que la nature de leur recherche a habitués à réfléchir en termes
de flux, de transfert, d’échange, d’irréversibilité – biologistes, économistes,
écologistes – assimilent plus naturellement les notions systémiques, et
communiquent plus facilement entre eux » (DE ROSNAY J., 1975, Le Macroscope,
vers une vision globale, Paris, Le Seuil).
« Une bonne illustration est offerte par la thèse de F. Auriac : Système
économique et espace, un exemple en Languedoc. Dans ce travail, la réalité « vignoble
languedocien » est considérée comme un produit, une sortie d’un système
économique et social » (DURAND-DASTÈS F., 1984, Systèmes et localisations,
Avignon, Géopoint 84).
120 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Modélisatrice
Modéliser, en géographie, c’est identifier les éléments essentiels d’un
espace géographique et les relations les plus fortes entre eux. C’est une
représentation symbolique d’un système dont les interdépendances sont
explicitées. Le modèle est jugé représentatif d’une série d’éléments de
même nature, région, montagne, ville, littoral… Cette abstraction donne
lieu à une représentation concrète à travers des symboles reconnus. Cette
image d’une réalité a des vertus explicatives et la géographie en use depuis
longtemps sans trop le dire. Les reliefs de faille des manuels de mor-
phologie sont des modèles, comme les terrasses fluviales ou les appareils
volcaniques. De même dans le langage, la Lorraine est restée longtemps,
comme la région des Grands lacs américains ou les Asturies, un modèle
de région industrielle. La Prairie canadienne, la Beauce ou l’Ukraine sont
des modèles de région céréalière. Le Languedoc, la Bulgarie, la Floride ou
la Polynésie offrent des modèles de tourisme littoral.
On ne confondra pas les deux grands types de modèles qu’emploie
la géographie : les modèles mathématiques, en forme d’équation, déjà
anciens comme les modèles de gravitation ou de diffusion et les modèles
graphiques qui utilisent les chorèmes en combinaison. Ces langages de
base se comptent en petit nombre, alors que le nombre de modèles est
infini. Les chorèmes sont un alphabet dont la combinaison (un modèle
graphique) est une écriture pour représenter et comprendre les organisa-
tions spatiales. Le modèle n’est ni un croquis, ni un schéma, ni le substitut
réducteur d’une mauvaise carte. La carte décrit, le modèle explique selon
une démarche hypothético-déductive.
Le modèle graphique propose une représentation (et pas la représen-
tation) d’une réalité géographique, en vue d’une démonstration par la
mise à plat et le décryptage de ses dynamiques spatiales. Sans confusion
aucune avec la cartographie qu’il contribue à éclairer par sa vision épurée
de systèmes spatiaux souvent complexes. En dehors de la géographie, il
entre – de fait – pour une grande part et sans que l’on en soit toujours
parfaitement conscient dans la caricature, la peinture, la littérature et
des disciplines aussi diverses que l’architecture ou les sciences (physique,
chimie), l’anthropologie ou les cartes mentales des héritiers de P. Gould
en géographie.
Index et mots-clés
Aucune conclusion quantifiée ne doit être retenue des dépouillements som-
maires qui suivent. Le simple comptage que nous proposons résulte de
l’étude des index élaborés par les auteurs de quelques ouvrages. Le relevé
des thèmes cités est de grand intérêt, même s’il est difficile de mener une
comparaison serrée entre plusieurs ouvrages. Certains livres n’ont pas été
retenus car chaque ouvrage possède ses critères propres d’indexation. Ainsi,
dans les Concepts dirigés par A. Bailly, les concepts sont décomposés en
sous-catégories, ce qui aurait nécessité des totaux partiels. Géographie est
mentionnée sous 43 formes différentes (coloniale, physique, etc.), espace
sous 20 formes (polarisé, rural, etc.). D’une autre manière, les Principes
de géographie humaine de Vidal (1921) possèdent un index, copieux mais
essentiellement fait de noms propres. On découvre toutefois au passage que
ville a deux lignes (comme villa), face aux quatre lignes consacrées à village.
On a finalement retenu neuf livres, largement accessibles, sur trois
quarts de siècle :
L’analyse spatiale
Sous le titre, L’analyse spatiale en géographie humaine, P. Haggett intro-
duit en 1973 une nouveauté dans la littérature géographique en tra-
duction française. La première édition, anglaise (Locational Analysis in
Human Geography) date de 1965. Ph. Pinchemel dans la préface écrit
que « la bibliographie du sujet s’est amplifiée dans des proportions stu-
péfiantes ». « À la géographie collectrice de faits, typologique, excep-
tionnaliste, empirique, inductive, les recherches dont P. Haggett fait état
substituent une géographie théorique, déductive, recherchant la logique,
les régularités, les principes de différenciation et d’organisation, identi-
fiant des structures spatiales, dégageant des modèles et des séquences
d’organisation territoriale. » La présentation renchérit : « Sous l’impulsion
de géographes et d’économistes, anglo-saxons et suédois notamment, les
méthodes d’analyse de l’espace se sont profondément modifiées depuis
une trentaine d’années. L’emploi de techniques mathématiques a fait
naître un courant de pensée et de recherche novateur. »
Le langage est différent, les mots-clés le montrent bien, qui placent
en tête ajustement de courbes, calculs de corrélation, densités, diffusion
(modèles), échantillonnage (méthodes), probabilistes (lois et modèles),
régression (méthode d’analyse). Ce vocabulaire propre s’accompagne de
citations venues d’auteurs nouveaux en France, très rarement traduits,
B. Berry, W. Bunge, R. Chorley, W. Christaller, W. Isard, W. Krumbein,
A. Lösch, W. Tobler.
Le tropique
Quels sont les caractères spécifiques des régions intertropicales ? Les
difficultés commencent avec leur examen dans leurs représentations
comme dans leur réalité : alizés, cyclones, rubéfaction, latérites, cui-
rasses, tout ce que l’on retrouve dans le texte et que montre la photo.
Un certain nombre d’images sont passées dans le domaine public, l’am-
plitude thermique annuelle faible : « il fait toujours chaud » ; la prédo-
minance de la géochimie sur les facteurs mécaniques dans l’évolution
pédologique : « les sols sont pauvres » ; une richesse biologique en
espèces supérieure à la zone tempérée ; une fertilité largement factice :
Démarches en géographie ! 125
La ville
Le thème a été retenu parce qu’il a donné lieu au cours des dernières décen-
nies à des directions de recherche multiples, allant d’une naïveté d’approche
jouant sur le site et la situation souvent définie comme « intéressante »
ou « favorable », au galimatias technocratique venu des « aménageurs »
qui ajoute, vers les années 1970, aux « trois vieilles » formules en sigles,
ZUP (zone à urbaniser en priorité), ZAC (zone d’aménagement concerté),
ZIF (zone d’intervention foncière) les « petites provisoires » que sont ZUS
(zones urbaines sensibles), ZRU (zones de redynamisation urbaine), ZFU
(zones franches urbaines). Dans le cadre de l’aménagement en général,
les ZAT (zones d’aménagement du territoire) se situent face aux ZRR
(zones de revitalisation rurale) et face aux TRDP (territoires ruraux de
Démarches en géographie ! 127
Lectures conseillées
AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., 2015, La ville kaléidoscopique : 50 ans de géographie urbaine,
Paris, Economica-Anthropos.
BAILLY A., BÉGUIN H. et SCARIATI R., 2016, Introduction à la géographie humaine, Paris,
Armand Colin, 9e éd.
GIBAND D., 2011, Les villes de la diversité, territoires du vivre ensemble, Paris,
Economica-Anthropos.
Pour la ville, voir dans l’ordre : CHABOT G., 1958, Les villes, aperçu de géographie
humaine, Paris, Armand Colin, 3e éd. ; CHABOT G. et BEAUJEU-GARNIER J., 1963,
Traité de géographie urbaine, Paris, Armand Colin.
Chapitre 10
Définitions et concepts
fondamentaux
en géographie
à la fin du XXe siècle
L’espace
Le dictionnaire Robert définit trois acceptions principales de l’espace :
« Lieu, plus ou moins bien délimité, où peut se situer quelque chose »
– « Milieu idéal, caractérisé par l’extériorité de ses parties, dans lequel
sont localisées nos perceptions, et qui contient par conséquent toutes les
étendues finies » – « Étendue de temps ». On ne relève pas, dans le Robert,
de référence spécifique à la géographie.
Définitions et concepts fondamentaux… ! 131
Espace et littérature
« L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la
page blanche. Décrire l’espace : le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de
portulans qui saturaient les côtes de noms de ports, de noms de caps, de noms
de criques, jusqu’à ce que la Terre finisse par ne plus être séparée de la mer que
par un ruban continu de texte » (PÉREC G., 1974, Espèces d’espaces, Paris, Denoël-
Gonthier, p. 19).
Dans le Dictionnaire de la géographie de P. George, on ne trouve pas d’entrée pour
le terme espace, mais à espace économique, il est dit que l’« espace géographique »
correspond à ce que l’économiste Perroux a appelé « espace banal », dans lequel
« les hommes et les groupes d’hommes, les choses et les groupes de choses
caractérisés économiquement par ailleurs trouvent leur place ». Cet espace,
contrairement à l’espace économique de Perroux est concret et cartographiable.
La face de la Terre (1988) donne de la géographie six définitions selon six objets,
auxquelles correspondent six tendances grosso modo successives de la discipline.
Dans la définition la plus récente, la géographie est considérée comme « science
de l’espace terrestre et de son organisation » (p. 27). Ph. et G. Pinchemel
soulignent que, depuis les années 1960, « espace tend à remplacer géographie,
et spatial géographique » (p. 28). Plusieurs acceptions d’espace sont ensuite
envisagées comme : « support des répartitions » comme « espace vécu (qui est)
partiel, relatif, biaisé par la personnalité de chaque être, par des perceptions
qui déterminent ses pratiques, ses attitudes, ses comportements »… comme
« espace social, un espace créé par les sociétés, qui reflète l’organisation sociale »
avec « des centres, des voies, des unités de gestion, des frontières », et dont les
structures « n’ont rien à voir avec une quelconque relation naturelle : c’est à
travers des modèles spatiaux que les contingences naturelles se manifestent ».
Dans cette optique, « l’espace n’est plus un espace vague, un espace-support, il
est un concept fort, à la base de la géographie. Il n’est pas cependant toute la
géographie, il n’est qu’une des clefs de l’analyse géographique » (p. 28).
Pour R. Brunet (1990), « L’espace géographique est fait de l’ensemble des
populations, de leurs œuvres, de leurs relations localisées, c’est-à-dire considérées
dans leur étendue et dans leurs lieux. Il ne saurait être réduit au visible : il contient
l’ensemble des relations localisées et localisables, à la fois les rapports des lieux
entre eux, et les rapports aux lieux qu’entretiennent les individus et les groupes.
[…] Produit et dimension des sociétés humaines, l’espace géographique est tout
ensemble approprié, exploité, parcouru, habité et géré. Chacun de ces actes
est, à sa manière, producteur d’espace, impose à l’espace des formes propres,
et tire parti des formes de l’espace, en les remodelant. La géographie étudie ces
processus et ces formes. » L’on pourra donc en déduire cette définition minimale
de l’espace géographique : un tissu caractéristique de relations que les hommes
établissent entre les lieux dans l’étendue terrestre.
132 ! Épistémologie et histoire de la géographie
L’environnement et le milieu
Le concept prolifère aux marges de la géographie, un peu comme
l’héritier d’écosystème revu et corrigé, comme celui de développement
durable (« sustainable ») (MANCEBO F., Le développement durable, Paris,
Armand Colin, 2010).
L’environnement
En 1917, l’environnement, c’est pour une plante « the resultant of all the
external factors acting upon it ». En 1944, pour un organisme « the sum
total effective factors to which an organism responds ». En 1964, Harant et
Jarry proposent « L’ensemble des facteurs biotiques (vivants) ou abiotiques
(physico-chimique) de l’habitat ». En 1971, selon Ternisien : « Ensemble, à
un moment donné, des agents physiques, chimiques et biologiques et des
facteurs sociaux susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat
ou à terme, sur les êtres vivants et les activités humaines. » Et voilà le mot
à la mode, en proie à l’inflation journalistique : la montagne assure, plus
que le cadre, l’environnement de la ville de Grenoble. Le Pacifique est l’en-
vironnement de la ville de Sydney, opéra sur fond de vagues et de voiles.
La garrigue est l’environnement « naturel » de la ville de Montpellier en
un sens passif. Jurançon est aux environs de Pau, Versailles aux environs
de Paris selon une distance approximative. L’architecture s’intègre dans
l’environnement ou est en rupture, et c’est déjà un jugement de valeur.
Les années qui suivent les décennies 1960-1970, porteuses d’écologisme,
parlent de destruction de l’environnement. Apparaissent les prises de
position écologistes, le catastrophisme, les visions apocalyptiques dont
le dernier exemple (et pas le seul) est Tchernobyl, illustré par le fameux
Fire in the Rain de P. Gould (1993).
Dans La face de la Terre, après avoir montré qu’environnement
« est revenu de l’anglais avec le sens écologique de cadre de vie »,
G. et Ph. Pinchemel posent qu’« il y a pratiquement identité entre milieu
et environnement » (p. 221). Identité qui néanmoins a des limites ; car
si le livre lui-même emploie fréquemment l’expression « environnement
naturel » et envisage à cet égard le thème de l’humanisation, il ne parle
pas d’« environnement géographique ». C’est en effet le terme de milieu
qu’il utilise au stade décisif, celui de l’intégration de la « double logique »
(milieu naturel/espace humain) qui produit cette synthèse que sont les
« milieux géographiques ».
Il apparaît pour A. Berque (Encyclopédie de géographie) que, si le
terme d’environnement est aujourd’hui d’usage courant dans la géogra-
phie d’expression française et qu’il ne semble pas poser de problème de
Définitions et concepts fondamentaux… ! 133
Le milieu
C’est ce qui entoure, ce dans quoi une chose ou un être se trouve. La
nature qui nous entoure, les rapports que les hommes entretiennent entre
eux, l’univers technologique, le tout en interrelations. À partir du moment
où l’homme en prend conscience ainsi que de la fragilité des équilibres
engagés, il formule des jugements sur ce milieu de vie, sur lequel il agit et
dont les contraintes retentissent sur le comportement et l’état du groupe.
voisine, car la « mosaïque des milieux » (p. 314), autrement dit « les distri-
butions qui résultent du jeu des forces de la nature, (et qui sont) dotées de
leur propre échelle de temps », sont considérées comme « un élément des
contraintes et des héritages inscrits dans l’espace » (p. 349).
La notion de milieu apparaît pour A. Berque (Encyclopédie de géogra-
phie) plus problématique que celle d’espace, du moins si on ne la restreint
pas au domaine dit physique ou naturel (à propos duquel les définitions
concordent). Cela justement dans la mesure où parler de « milieu géogra-
phique » implique d’intégrer le physique au social, le naturel au culturel
(VEYRET Y. et PECH P., L’homme et l’environnement, Paris, PUF, 1997).
Le paysage
Longtemps, milieu et paysage ont été associés, le paysage étant, à un
moment donné, le produit visible du milieu aménagé par l’homme. Ainsi
a-t-on évoqué dans la tradition de la géographie rurale le paysage d’open-
field ou de bocage. En géographie urbaine, et en particulier avec Lavedan,
le paysage prend une connotation fonctionnaliste et esthétique. La ville,
suivant les époques, est constituée de pleins et de vides, le bâti et les espaces
non construits, en fonction des exigences de la vie urbaine, les aires non
bâties servant à l’agriculture, à la circulation, aux loisirs… De ce rapport
naît un paysage urbain qui permet de différencier la Babylone ancienne
de la ville médiévale et moderne.
Avec la psychologie cognitive les géographes découvrent le caractère
subjectif de l’approche du paysage. La description, même la plus rigou-
reuse, d’un paysage régional, dépend du sujet qui perçoit, de ses interpré-
tations, de ses idéologies et de ses objectifs.
Mondes nouveaux (1990) définit le paysage comme « la forme du pays.
[…] Il a valeur de distinction globale. Il décrit une contrée, pour mieux
la distinguer de sa voisine. […] Le paysage est ce que l’on voit. Un peu
plus, pourtant : au-delà de l’apparence, il est signe et sème. Il a la dualité
du signifiant et du signifié. Il vaut pour lui-même, comme “vue”. Il vaut
pour ce qu’il exprime ou ce qu’on lui fait exprimer ; mais c’est aussi bien
le signifié que l’état d’âme du récepteur. […] Le paysage est aussi ce que
l’on imagine » (p. 24). Le traité prend ensuite position contre la réduction
du paysage au « sens naturaliste d’environnement », car « il n’y a pas de
paysage “naturel”, puisqu’il n’est de paysage que perçu » (p. 24).
En résultent valorisations ou dévalorisations, attachements ou rejets,
topophilie au topophobie (Yi Fu Tuan). La sémiologie paysagère a permis
de mieux connaître ces liens et de révéler les processus de valorisation et
de décodage d’un paysage. Il est vrai qu’à retrouver la Côte d’Azur sous la
Définitions et concepts fondamentaux… ! 135
La région
La région est également un des concepts de base de la géographie ; elle
appelle automatiquement régionalisation, régionalisme, aménagement
(régional), politique (régionale), école de géographie (régionale) et même
conseil (régional)… Ce concept, polysémique, peut s’éclairer par recours
à l’échelle : micro et macro-région, par des relations de solidarité, comme
cadre reconnu, y compris à l’échelle du temps. C’est un territoire repéré,
support de solidarités (physiques, culturelles ou économiques).
Qu’elle soit dite naturelle, physique, urbaine, polarisée, on n’en connaît
que rarement les limites, la taille, les contours exacts, elle devient pour
les besoins de la cause « euro-région » ou « petite région »… C’est un
niveau d’organisation de l’espace infra-national (ou supra-local), région
Europe, ou région Méditerranée ; la régionalisation est, en France, une
démarche, et le régionalisme relève souvent du militantisme. Aussi arti-
ficielle soit-elle, dans certains pays la région entre dans les mœurs des
populations et des géographes. Un des premiers exemples de production
« régionale » est fourni par la thèse de Demangeon sur la Picardie, en
1906. Le modèle dépend d’un cadre défini posant face-à-face l’homme
et le milieu qui guidera longtemps la production française. Le géographe
jouera pendant un bon demi-siècle le rôle du dernier des historiens
achevant un chef-d’œuvre. Mais on va découvrir que la région n’est pas
une donnée, qu’elle a des contenus très variables et quelques échelles
pour l’appréhender. La région méditerranéenne, comme aire de civilisa-
tion, bénéficie d’une individualité climatique plus ou moins réelle dans
ses bienfaits « touristiques », mais elle génère des courants estivaux
importants.
136 ! Épistémologie et histoire de la géographie
Le territoire
À la fois comme entité géographique et comme support d’identité, le
territoire du géographe c’est l’espace, conforté d’un impérialisme qu’on
lui prête volontiers ou qu’il revendique ; espace d’appartenance, reconnu,
délimité, investi, finalisé, institutionnalisé : tout ce qui le clôt. Le territoire
conférerait une identité à toute entité spatiale comme espace approprié
selon une vision éthologique, au sens de balisage, de privatisation, de
domination. Occasion de parler d’« identification spatialisée », comme le
souligne C. Raffestin [1982] en une belle formule, « l’espace est un enjeu
du pouvoir, tandis que le territoire est un produit du pouvoir ».
Le géographe s’alimente du côté de l’éthologie à partir d’une connais-
sance des sociétés animales (HALL E. T., 1971, La dimension cachée, Paris,
Le Seuil), de la proxémie et de l’usage que l’homme fait de son espace, de
la psychosociologie selon ces territoires concentriques et successifs que
A. Moles a définis comme « coquilles de l’homme » (Psychosociologie de
l’espace, 1978, Paris L’Harmattan), ou du côté des sciences politiques pour
parler avec P. Alliès d’« une invention que nous avons fini par prendre pour
notre environnement naturel et spontané ». Le géographe, autrefois dispen-
sateur d’identité à travers ses interminables nomenclatures, n’utilise pas le
terme mais il use – et commence à abuser du territoire – après l’espace. Car
le territoire renvoie à une aire d’extension spatiale, un pouvoir, une centra-
tion matérialisée sur un support spatial en mailles, nœuds et réseaux. En
l’absence de conceptualisation, les préoccupations se sont d’abord portées
sur l’aménagement, leitmotiv de ces dernières décennies, avant de s’inter-
roger sur le territoire lui-même.
Les exemples ne sont qu’indicatifs, ils peuvent être choisis au niveau local
la première année, en relation avec des milieux différents la deuxième année
(milieux rural, urbain défavorisé, lointain).
BAILLY A., 1991, « La géographie dans les écoles internationales », in CHAM’S,
Enseigner la géographie en Europe, Paris/Montpellier, Anthropos/RECLUS, p. 177.
Lectures conseillées
Actes des Géopoint publiés par le Groupe Dupont depuis 1976. En 1978,
par exemple, Concepts et construits dans la géographie contemporaine, Avignon.
BAILLY A. (dir.), 2004, Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin,
5e éd.
BERTHELOT J.-M. (dir.), 2012, Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF.
TROISIÈME PARTIE
Variations
géographiques
La géographie
dans le champ des sciences
« Il est grave en effet qu’une science, quelle qu’elle soit, ait besoin d’être stimulée
artificiellement par les autres sciences et de vivre d’emprunts… La géographie
scientifique doit donc s’intéresser : d’abord aux proportions arithmétiques des
espaces…, ensuite à leurs proportions géométriques… Cependant, elle s’intéres-
sera au contenu des espaces non pas du point de vue de la structure, de la forme
et des forces inhérentes au matériau en soi ou sous l’angle des lois naturelles
auxquelles elle obéit ; ce sont les différentes branches des sciences naturelles, la
physique et la chimie qui s’y emploient. »
RITTER K., 1974, p. 134-135,
tiré de Du facteur historique dans la géographie en tant que science
Communication à l’Académie royale des Sciences de Berlin du 10 janvier 1833.
L’anthropologie et l’ethnologie
La discipline, de longue date proche de la géographie, est bien l’anthro-
pologie, puisque cette science travaille sur les sociétés et leurs relations
sociales. Du fait de la parenté entre sociétés et territoires, les approches
des deux disciplines peuvent s’associer autour de concepts tels ceux de
parenté, alliance et localité. Les ethnologues donnent sens au patrimoine
et aux traditions populaires, ils fournissent des conseils aux administra-
tions et aux gouvernements, en particulier à l’époque coloniale, ils ap-
portent des connaissances sur le fonctionnement des sociétés, pendant
que les géographes approfondissent l’objet régional. Il n’est pas surprenant
de constater que dès 1799-1803 les travaux de la Société des observateurs
de l’homme, qui traitent de l’« apprentissage de la langue des naturels
et (de) l’observation participante », influencent les géographes. L’abbé
Grégoire (1750-1831) rédige une série de Questions relatives aux patois
et aux mœurs des gens de campagne dès août 1790. En 1846, Thoms crée
« folklore » et au début du XIXe siècle apparaît en Allemagne la science
du peuple, « Volkskunde ».
148 ! Variations géographiques
La sociologie
La sociologie, par contre, n’influence guère les géographes, même si elle
étudie les groupements humains, leurs organisations, leurs formes de
sociabilité et d’identité. Les géographes du début du XXe siècle se voulaient
naturalistes avant tout et les sociologues de l’école de Durkheim avaient
beau jeu de leur reprocher de faire une part trop belle à l’environnement et
aux fondements naturels des pratiques sociales. La querelle entre durkhei-
miens et vidaliens marquera pendant près d’un demi-siècle les rapports
entre les deux disciplines.
L’histoire
Le cas de l’histoire est particulier, car si dans la tradition française existe un
lien étroit entre histoire et géographie, la géographie étant un peu le « reje-
ton » de l’histoire, tel n’est pas le cas dans d’autres pays où la géographie est
intégrée aux facultés de sciences naturelles, et même d’économie. Voyons
donc ce cas français. La géographie au péril de l’histoire ? On laissera de
côté tout long développement, sans perdre de vue que le XIXe siècle est
d’abord le siècle de l’histoire et des historiens. Et cela n’est pas nouveau.
Rappelons la publication en 1817 de La géographie dans ses rapports avec la
nature et l’histoire de l’homme par Ritter. Or l’influence de l’Allemagne est
prépondérante, elle constitue un modèle pour les géographes.
Pour cette histoire, la géographie reste décor et support, un lieu
pour camper le récit dans lequel les acteurs jouent la pièce. En d’autres
termes, un complément. D’autant que l’historien affirme volontiers que
150 ! Variations géographiques
Lectures conseillées
BAILLY A., FERRAS R. et PUMAIN D. (dir.), 1995, Encyclopédie de géographie, Paris,
Economica. Chapitre 7 : « La géographie et les sciences de la nature », par C. et
G. BERTRAND ; chapitre 11 : « Géographie et anthropologie », par G. SAUTTER ;
chapitre 16 : « Les modèles en géographie », par F. DURAND-DASTÈS. Et l’essentiel
des chapitres de la première partie de cette encyclopédie.
LÉVY J., 1994, L’espace légitime, Paris, Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques.
ROUGERIE G., 2000, L’homme et son milieu, Paris, Nathan.
VEYRET Y. et CIATTONI A., 2011, Géo-environnement, Paris, Armand Colin.
VEYRET Y. et PECH P., 1993, L’homme et l’environnement, Paris, PUF.
Chapitre 12
Géométries et symboles,
signes d’une permanence
Le musée imaginaire
André Malraux – habile décodeur de mythes et symboles – a introduit
la notion de « musée imaginaire », ensemble des images que la mémoire
rappelle et reconstitue aussitôt que mention est faite d’un lieu, d’un monu-
ment, d’un paysage… Le musée imaginaire se constitue par observation
directe – le « vécu » – ou indirectement, par information orale ou visuelle.
154 ! Variations géographiques
Par exemple, on peut posséder une image mentale d’un lieu, uniquement
sur la base d’un souvenir ou d’une interprétation. Le « musée imaginaire
collectif » est le répertoire des images connues ; et dans le fichier de ce
« musée imaginaire » figurent en premier lieu les cartes, créées et élabo-
rées au cours de l’histoire, les informations livrées par les Géographies
universelles et les manuels de base.
Au IIIe siècle av. J.-C., le monde d’Ératosthène, cartographié par
Ptolémée, livre un premier message universel. La Terre est plate, entou-
rée d’eau, centrée sur le monde méditérranéen, des colonnes d’Hercule à
l’Indus, soit la trace des expéditions d’Alexandre. On imagine un conti-
nent au-delà de l’océan Indien ; le reste n’est pas représenté, ni imaginé.
Peu de changement à la période romaine ; le monde s’organise en
auréoles successives déformées en ellipse qui se calquent sur les contours
de la Méditerranée. La colonne milliaire, point de départ des grands axes
à partir de Rome, en est le centre. Rome et l’ordre romain qui en découle
est « une île », centre du monde dit « civilisé ». Puis vient le domaine où
s’exerce la loi romaine jusqu’au limes. Ces cartes s’apparentent au modèle
de l’Urbs, avec son umbilicus ou centre sacré, entouré d’édifices publics
et religieux, du forum et de son axe sacré inclus dans l’enceinte du pomœ-
rium. Les deux cas mettent bien en évidence la domination spatiale des
Romains.
Si le modèle romain, fonctionnaliste, voué au contrôle des itinéraires
militaires et commerciaux, souligne bien le souci de la route, de l’étape
et de la distance, le monde clos du Moyen Âge s’articule de façon reli-
gieuse sur le modèle dit « T dans l’O », autour du T qui est la croix, et
du O du monde connu. L’« Orbis terrarum » est tripartite, accolant l’Asie
de Sem, l’Europe de Japhet, l’Afrique de Cham, fils de Noé (A. Ferras,
1993). Mythes religieux et représentations spatiales s’articulent dans un
écheveau complexe ; pas de quête de « scientificité » au sens moderne du
terme, science et religion sont imbriquées dans des représentations qui
juxtaposent réel connu et sacré.
Avec les grandes découvertes, les représentations de la cosmographie
chrétienne de l’Occident font place à la recherche de repères pour faci-
liter la navigation. L’Europe se frange de côtes dessinées avec précision,
l’Afrique s’ourle de caps et de ports, le monde entier apparaît en forme de
tracés de plus en plus nets, même si l’orientation des cartes peut encore
varier. Il faudra cependant attendre le XIXe siècle pour que des règles
strictes soient apportées par les cartographes, et qu’ainsi les représen-
tations deviennent de plus en plus codées, de plus en plus scientifiques,
même si ce codage n’est pas dépourvu d’idéologies [GOULD et BAILLY,
1995].
Géométries et symboles, signes d’une permanence ! 155
Mythologies, géométries,
cosmogonies dans la cartographie
Les idéologies se révèlent dans le choix des géométries et des cosmogonies.
Qui oublie le sens profond de la ligne droite ou du cercle aura donc du mal
à saisir comment les représentations cartographiques à travers l’histoire
utilisent à la fois des données primitives et des principes éternels ; ainsi la
droite, symbole de l’ordre, s’oppose au désordre naturel. Le jeu de toutes
les sociétés a consisté à poser des jalons dans l’espace, pierres tombales,
bornes kilométriques… montrant que la distance n’est jamais un objet
autonome, mais partie intégrante des représentations spatiales. Le cercle,
symbole du retour, du cycle des saisons, est aussi un signifié, celui de
l’astre solaire et de la lune qui rythme la vie terrestre. Du jeu permanent
du cercle, du carré, dérivent ainsi nos représentations cartographiques.
La conjonction cercle-carré relie l’humanité à la divinité, tout comme le
cube et la coupole matérialisent la Terre et le ciel.
Le cercle, sans début ni fin, constitue une limite magique, l’enclos,
l’enceinte, la protection autour du temple. Le centre, lieu de concen-
tration du pouvoir, organise comme un point fort le départ de cercles
concentriques de moins en moins connus illustrant des phénomènes dont
l’intensité décroît avec l’éloignement.
Le carré, ancré sur quatre côtés, exprime la solidité du camp militaire, de
la place publique qui en dérive dans la ville romaine et assure la synthèse de
quatre éléments : Aphrodite, l’eau, Hestia, le feu, Demeter, la terre, Hera,
l’air ; ajoutons à la liste les quatre évangiles, les quatre fleuves du Paradis.
Au centre du carré, la croix est base de tous les symboles d’orientation.
Le carrefour est la croisée des chemins, le lieu de prise de décision, une
sorte de centre du monde. Lieu des épiphanies et des mauvais génies que
l’on doit dompter par la croix, l’autel, la pierre dressée, lieu d’offrandes et
de recueillement dans les campagnes. Œdipe y croise son père qu’il tue,
après être parti pour fuir son destin. S’ajoutant à ces géométries de base, le
triangle symbolise l’harmonie, les proportions ; il permet le découpage de
nombreuses figures. Pointe en haut désigne le feu, pointe en bas l’eau ; le
« delta lumineux » de la symbolique maçonnique, par allusion à la forme
de la majuscule grecque, distingue entre la base qui est la durée et les deux
côtés, des ténèbres et de la lumière.
Chaque carte découle ainsi de la superposition de codes complexes dont
il faut démêler la nature. Quelle que soit sa complexité, elle se ramène à
des modèles simples, illustrant ce qui est jugé important, à une époque
donnée. C’est ainsi, en révélant toute la richesse de la cartographie, que
la géographie trouve son sens et son intérêt que prolonge actuellement
l’utilisation des cartes mentales.
156 ! Variations géographiques
Le déplacement imaginaire
Parmi les quatre éléments fondamentaux, la Terre, considérée comme
la mère de l’homme et sa demeure de la naissance à la tombe, a toujours
intéressé l’homme. Il faut la franchir pour vivre, le mouvement sur Terre
a progressivement signifié vie. Ce n’est qu’au décès, moment de retourner
à la terre, que le mouvement cessera. De là à assimiler terre et mouve-
ment à l’évolution du vivant, il n’y avait qu’un pas, franchi depuis la plus
haute Antiquité. L’analyse du mouvement ne peut être réduite à la relation
géométrique entre deux ensembles de points : espace, durée, pratiques
spatiales se combinent dans l’expérience humaine pour transformer le
support terrestre en lieux, la distance en voyage. Si la représentation du
trajet correspond à l’organisation d’une série de repères qui correspondent
bien aux concepts topologiques de séparation-association, d’ordre-posi-
tion et de connexité, plus encore est-elle symbolique. Le trajet devient
porteur de significations personnelles qui trouvent leur origine dans les
valeurs culturelles, n’oublions pas que la culture est une façon collective
de mettre de l’ordre dans les sentiments humains, perspective collective
reprise à son compte par chacun.
L’homme puise dans l’imaginaire les moyens de transcender le dépla-
cement… jusqu’à pouvoir refaire en sens inverse la route de la vie. En se
considérant comme le centre de l’univers, le point de départ au milieu du
cercle, il matérialise ses rêves. Mais pour accéder à ce monde imaginé, il
lui faudra faire un long voyage, de la périphérie où il est ostracisé, vers la
croix au centre du cercle, où s’unifient les contraires, où se résoudront
les tensions. Idées de voyages, de déplacements vers des lieux meilleurs,
se retrouvent dans la littérature (de l’Odyssée, à l’Énéide… et de nos jours
dans les œuvres de science-fiction, par exemple Tolkien : The Lord of the
Rings [Le Seigneur des anneaux]) et jusque dans nos pratiques de vacances,
de retraite et même dans les cercles concentriques du plan de nos villes,
schématisés par les écologistes urbains de l’École de Chicago.
La symbolique du mouvement permet de le supporter, car pour entre-
prendre tout déplacement, c’est-à-dire franchir les barrières physiques
et sociales, l’homme doit prouver qu’il est capable de maîtriser les lieux.
Dans l’Antiquité, les gardiens des passages-clés refoulaient ceux qui
restaient profanes. De nos jours encore, le décryptage des codes sociaux
et de leurs propriétés symboliques (panneaux routiers par exemple) est
indispensable à notre mobilité. À travers ses cartes mentales, l’homme
imagine son trajet, d’où tout le mythe de l’ascension, à la fois sociale et
spatiale, avant d’atteindre le lieu meilleur à l’issue du voyage, la Terre
promise. Celle-ci peut être le quartier dont on a rêvé, le lieu de retraite
ou de vacances.
Géométries et symboles, signes d’une permanence ! 159
– les voies, limites, points de repère, nœuds et régions – sont les cubes d’un jeu
de construction servant à fabriquer à l’échelle de la ville des structures fermes
et différenciées » (p. 111).
Lectures conseillées
On peut consulter également :
ANDRÉ Y. et al., 1989, Représenter l’espace, l’imaginaire spatial à l’école, Paris,
Economica-Anthropos.
BAILLY A., 2014, Géographie du bien-être, Paris, Economica-Anthropos.
BAILLY A. et SCARIATI R. (dir.), 1990, L’humanisme en géographie, Paris, Economica-
Anthropos.
GAY J.-C., 2016, L’homme et ses limites, Paris, Economica-Anthropos.
GOULD P. et BAILLY A. (dir.), 1995, Le pouvoir des cartes, Brian Harley et la cartographie,
Paris, Economica-Anthropos.
GRATALOUP C., 2009, L’invention des continents, Paris, Larousse.
Chapitre 13
Le discours géographique
Le discours ancien
L’origine du discours ancien est dans le périple qui le fonde (« naviguer
autour » en militaire ou en commerçant). À travers lui, découvreurs
et militaires font le point des connaissances géographiques qui s’élar-
gissent jusqu’à quitter les rives de la Méditerranée quand le pharaon
Nechao, au VIIe siècle, envoie des marins phéniciens dans la mer Rouge
pour contourner l’Afrique et franchir, la troisième année, les colonnes
d’Hercule. Le Carthaginois Hannon dépasse les côtes marocaines, longe
le golfe de Guinée. Himilcon, à la recherche de l’étain, dépasse la Bretagne
et va peut-être jusqu’en Cornouaille. Pythéas en fait de même au IVe siècle
et navigue presque une année sur l’Atlantique. Alexandre dépasse l’Indus
et fait dresser un tableau de l’empire par ses topographes. La documenta-
tion est rassemblée à Alexandrie où Ératosthène l’exploitera.
Essentiellement descriptif, ce discours offre une vue de la Terre pour
bâtir de nouveaux empires et délimiter de nouveaux territoires. Dans ses
bonnes intentions, il a failli tuer la géographie en la banalisant, en la
Le discours géographique ! 163
Le discours actuel
Il parle d’espace, de territoire, de réseau, de maille, de trame et de tissu
(urbain). Être géographe maintenant, c’est raisonner en termes d’espace
mais en empruntant concepts, démarches, méthodes aux disciplines
proches pour les utiliser sans perdre son identité et gagner en efficacité
explicative.
La question où ?
C’est une question fondamentale pour une discipline dont l’un des pre-
miers rôles a été de situer et de localiser. Longtemps, son outil de base a
été la carte, relayée maintenant par les SIG. Tout un pan de la géographie
repose, à un moment ou à un autre, sur des données spatialisées. Après
la question « où ? », on peut retenir une dizaine d’autres questions qui
permettent, à travers leurs réponses et les concepts auxquels elles se ré-
fèrent, de mieux cerner la démarche géographique.
Jeu de questions-réponses. Les colonnes qui suivent sont un peu
formelles, dans la mesure où tout ce qui est relevé est en interaction, en
fonction de la problématique retenue, des hypothèses mises.
Jusqu’où ?
– c’est là, il y en a tant et jusque-là… (distance)
– outil : carte et statistique pour délimiter une diffusion
À qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à… (territoire)
– outil : modèle pour attribuer un recensement
Encore à qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là, ça appartient à et aussi à… (flux)
– outil : carte, statistique et modèle pour échanger, un maillage
Pour qui ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à et au bénéfice
de… (acteurs)
– outil : démarche systémique ou dialectique, pour confronter des stra-
tégies
Comment ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, et je le vois ainsi… (représentations)
– outil : carte mentale, statistique, enquêtes, pour révéler les images
Pourquoi ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi… (évaluation)
– outil : cartes mentales, pour expliquer, compréhension
Pour quoi ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi… (environnement)
– outil : tous ceux qui ont été recensés, scénario prévisionnel
Quand ?
– c’est là, il y en a tant, jusque-là et ça appartient à, aussi à, au bénéfice
de, je le vois ainsi et parce que c’est ainsi et entre ces dates (temps)
– outil : tous, chronologie.
Les médias
Pourtant la géographie apporte pas mal aux autres disciplines, l’exemple
d’une journée ordinaire est commode, dans son déroulement et sa bana-
lité. La trame est la suivante :
Informations du matin dans le journal quotidien : il n’y a pas d’anecdote,
il y a un système-monde que le discours géographique prend désormais en
compte en le reconnaissant et en s’en servant. Le discours géographisant
est à la fois le plus pernicieux et le plus éclairant. Prendre la partie pour
le tout, c’est dire Angleterre alors que l’on parle des îles Britanniques. Le
tournoi des Cinq nations est là pour nous rappeler que dire Angleterre
pour parler du Royaume-Uni c’est oublier Galles, Écosse, et Irlande, qui
sont deux, Irlande du Nord et Irlande du Sud, Ulster et Eire, qui est une
république.
Nouvelles : rappelons quelques extraits du langage courant, « le Kremlin
dit que », « Washington décide que », « Bruxelles intervient », « Paris
pense que ». Dans le cas des points cardinaux, l’usage est encore plus
habituel. Le Sud dont on ne sait plus rien sinon qu’il est face au Nord. L’est
de même, face à l’Ouest. Dans le premier cas figure la majuscule, dans le
second cas la minuscule. La Catalogne est le sud de l’Europe mais le nord
de l’Espagne, ce qui ne dit pas tout à fait la même chose. Perpignan est au
sud des zones de consommation européenne de primeurs mais au nord
des mêmes zones du Sureste espagnol, ce qui relativise le discours. On ne
sait plus dénommer les parcelles de l’ancienne URSS devenue Russie, ce
qui permet de redécouvrir des pays baltes, la puissance de l’Ukraine, les
Ouzbeks et les Tchétchènes… L’Europe de l’Est laisse place, mais à quoi :
une Europe du centre, médiane, du milieu ? On voit combien le discours
géographique est chargé de connotations idéologiques.
Actualités du soir : au quotidien le journal parle de météorologie, d’une
façon ou d’une autre, mais toujours avec ses vues par satellite où défilent
les dépressions. Le fin fond des campagnes n’ignore plus rien de l’anticy-
clone des Açores devenu bien public. Et chacun de comparer les compo-
santes de la carte de France, où le moindre nuage couvre la distance entre
Bordeaux et Toulouse.
La rubrique discours géographique et médias est inépuisable, parado-
xalement porteuse d’une géographie passionnante liée à l’explication de
l’actualité, mais aussi dispensatrice de la pire des géographies, celle des
inventaires hérités d’une époque où chacun se devait de connaître « ses »
départements. Parmi les retombées de ces discours persiste la croyance
que faire de la géographie c’est savoir où sont les lieux, jusqu’à l’infini du
répertoire, en oubliant que la géographie s’est renouvelée dans ses objets,
dans sa pertinence et dans ses méthodes.
170 ! Variations géographiques
Le delta tonkinois
« Une mare aux eaux lourdes se couvre en partie d’herbes aquatiques d’un vert
éclatant et velouté : les jeux de lumière que varient les bambous jaillissants,
impénétrables, et pourtant légers, naissent et s’éteignent sur les eaux libres ;
un homme fait ses ablutions à la pointe d’une planche jetée sur la mare, et
apporte à l’ensemble l’éclat plus vif de son corps luisant sous l’eau qui l’arrose.
Un monument au toit cornu, les banians aux troncs multiples qui l’ombragent,
leurs reflets dans une mare arrondie constituent souvent une harmonie délicate
et paisible, que rend plus pénétrante l’atmosphère opaque, encore alourdie par
les innombrables fumées du village. »
« Il faut aussi goûter la grandeur des paysages fluviaux : d’immenses nappes
d’eau, plates et comme huileuses, s’écoulent lentement vers l’horizon, se parant
selon les heures d’ocre rouge, de rose tendre ou de gris bleuté ; une touffe de
bambou, l’herbe d’une digue, la robe jaune d’un bœuf donnent au rouge du
Fleuve toute sa valeur ; parfois des rapports d’une extrême subtilité s’établissent
entre les roses des eaux et les chaumes gris des vieux toits d’un village riverain.
Paysages où la couleur domine la forme, où le jeu des nuances l’emporte sur la
ligne : paysages impressionnistes en somme. »
GOUROU P., 1936, Les paysans du delta tonkinois. Étude de géographie humaine, Paris,
Éditions d’art et d’histoire.
Structures et dialectique
« Les passages de l’œuvre de C. Lévi-Strauss ménageant un rapprochement
de l’analyse structurale et de la méthode dialectique ne manquent pas. Dans
Anthropologie structurale (1958), il rappelle à plusieurs reprises l’existence
de rapports (dialectiques selon notre définition) entre l’infrastructure et la
superstructure de la topique sociale des groupes primitifs. Il se livre même,
dans cet ouvrage, à une critique implicite de la géographie (voire des sciences
humaines en général) lorsqu’il affirme : “Personne n’a sérieusement cherché
quelles corrélations peuvent exister entre la configuration spatiale des groupes
et les propriétés formelles qui relèvent des autres aspects de leur vie sociale”. »
DI MÉO G., 1991, L’homme, la société, l’espace, Paris, Economica-Anthropos, p. 81.
Lectures conseillées
KAYSER B. (dir.), 1978, Espaces périphériques, Paris, CNRS.
COLLECTIF, 1984, Sens et non-sens de l’espace, Paris, Collectif français de géographie
urbaine et sociale.
DI MÉO G., 1991, L’homme, la société, l’espace, Paris, Anthropos.
LÉVY J., 1999, Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin.
Chapitre 14
La grande famille ?
La géographie-mode
Chargée de mots à la mode au gré du temps, elle reprend l’essence même
de la géographie : la cartographie, l’image, la géographie-reportage, les
récupère et les commercialise, véhiculant une image « marketing » de la
discipline. Inflation, vulgarisation et banalisation vont de pair, donnant
une simplification du discours et procurant des discours renouvelés.
Vocation, originalité, unité (qui n’exclut pas la diversité) peuvent être
utilisées à tout propos hors de propos et ne manquent pas de l’être. Des
mots de la géographie se banalisent : synergie, dès que deux communes
voisines mettent en commun un projet de collecte d’ordures ménagères,
environnement, repeint en vert ou pas, versant volontiers dans le discours
apocalyptique : l’espace est fini, mortel comme les civilisations, parce que
rare, cher, pollué, défiguré, massacré.
La vulgarisation-mystification passe par le discours publicitaire, le logo,
le slogan ; le petit détail ouvre de grands horizons. Il consiste à remplacer
les deux « I » de Fiji par deux cocotiers, les deux « A » de « Japan » par une
silhouette de toit de pagode pour « évoquer », le « A » de Paris remplacé
par une tour Eiffel, les trois « O » de Hollywood par des bobines de films.
On voit très bien comment peut se représenter le Mexique, un chapeau
de mariachi, un cactus anthropomorphe qui a ses bras, une pyramide dite
aztèque dans le lointain. La collection de Tintin est assez révélatrice d’un
art habile à suggérer un long discours en quelques coups de crayon : mais
elle attire suffisamment l’attention pour mériter études et livres scienti-
fiques. Tintin au Tibet a remporté le prix Ptolémée en 1995 au Festival
international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, pour ses qualités
de vulgarisation géographique.
La géographie-marketing
La promotion immobilière, les tour-operators, les utilisateurs d’espaces de
vacances puisent largement dans l’illustration géographique. Cela donne
de belles compositions en forme de plages et de cocotiers (sans rapport
avec le PIB ou autres indicateurs du pays montré). On pourrait parler de
« géographie-marchandise », terme péjoratif sauf au XIXe siècle quand
chambres de commerce et sociétés savantes liées faisaient aussi de la pro-
motion géographique.
Les publicités commerciales vantent tel pays ou tel autre, ou le
dénigrent : paradis tropical pour attirer ou enfer tropical pour préser-
ver ses ressources, le tout en forme de discours antinomique prononcé
sur les mêmes lieux. Les géographes savent décrypter les représentations
collectives et la manière dont l’espace est jugé et donc valorisé. C’est un
progrès car sous le climat méditerranéen, sur les pentes des Alpes, le Soleil
La grande famille ? ! 181
et la neige ne sont pas les mêmes pour tout le monde. De simples lieux
deviennent hauts-lieux en raison de la qualité sociale des personnes qui
y résident, et en retour le lustre conféré au lieu se retrouve dans celui
conféré aux habitants. Les agences de voyages en savent quelque chose.
Nous sommes ici en pleine géographie des représentations qui élargissent
la discipline en intégrant les cartes mentales des individus et des socié-
tés. La prise en compte du discours sur les lieux et les valeurs qu’on leur
attribue avec un échange constant entre la réalité, ses représentations,
le discours et les comportements face à la réalité, bouclent la boucle.
Le discours embrasse la publicité touristique, la littérature de voyages,
le cinéma, la peinture, la presse, le discours officiel (surtout en période
électorale). Les méthodes d’exploitation passent par les analyses lexi-
cales, sémantiques, révélant tout le poids des enjeux sociaux sur l’espace.
La thèse d’H. Gumuchian, La neige dans les Alpes françaises (Grenoble,
Éd. Cahiers de l’Alpe, 1983), dans laquelle est utilisé un corpus de dictons
météorologiques, en est un exemple.
Ce type de problématique, très vite récupéré, accompagne les cam-
pagnes de marketing régional ou départemental, propose des choix de
localisations. Le discours est bien au cœur des enjeux du développement
économique et touristique. C’est bien un discours géographique qui nous
conduit à la ville archétypale à travers les revues. À Pau, « la matière grise
pousse au milieu du vert ». Ajaccio offre « tout, à moins de deux heures
de la plupart des grandes villes européennes ». Monaco est « à moins
de deux heures d’avion des capitales européennes ». La distance-temps
donne Saint-Denis à « quinze minutes du centre de Paris et à dix minutes
de l’aéroport de Roissy ». Saint-Denis « Si loin du bruit, si près de Paris. »
« Plus près c’est Paris, plus loin c’est la campagne. »
Barthes, dans ses Mythologies, avait déjà développé le thème dans les
années 1950, par exemple à travers le Tour de France cycliste :
La géographie populaire
Le bon public, qui s’est parfois un peu frotté à de la géographie scolaire,
ne sait plus très bien ce qu’elle est. Le contenu en reste vague et encombré
d’une série de noms propres, fleuves et montagnes, villes et pays, et de
noms communs, de définitions d’un vocabulaire peu attractif. Face à ce
volet-ennui, un autre volet, coloré, est celui des cartes et de ce qui com-
pose la carte, l’exploration : Spitzberg, Kalahari, Amazonie, Mongolie se
suffisent presque à eux-mêmes. D’un côté la peine, de l’autre le rêve et
entre les deux, la connaissance géographique.
L’écrit joue son rôle. Petite Planète est ancienne (Paris, Le Seuil, 1954),
suivie par les Éditions Rencontre de Lausanne en 1962 (Atlas des voyages).
Il vaudrait la peine de cartographier les pays traités, pour voir les manques,
les angles morts du monde de l’aventure touristique. Aujourd’hui c’est
Autrement (depuis 1975) qui attire avec le Guide du Routard, le Guide
des chemins de la Découverte, à portée de toutes les bourses. M. Chevalier
compare, pour les années 1950 la Suède de Petite Planète et celle de Chabot
dans la collection Orbis : cette dernière « vue de Sirius ». « Les deux
ouvrages appartiennent-ils à des disciplines différentes ? Peut-on rêver
d’une synthèse qui les unirait ? »
Une géographie du jeu est également présente dans le « Monopoly » et
autres jeux de société avec leurs stratégies, souvent spatialo-financières :
Business games, puzzles de cartes, « Trivial Pursuit » en forme de jeu de
questions/réponses. Tous ces jeux nécessitent l’apprentissage des altitudes
des montagnes et des longueurs des fleuves. Arriver le premier, en savoir
le plus, procède, en jouant, d’une certaine géographie.
« Géographie et paragéographies »
Les guillemets de ce titre sont dus à son emprunt à un article de
M. Chevalier sous la rubrique Parallèles géographiques : voyages et paysages
La grande famille ? ! 183
Images touristiques
« Le Guide Bleu ne connaît guère le paysage que sous la forme du pittoresque. Est
pittoresque tout ce qui est accidenté. On retrouve ici cette promotion bourgeoise
de la montagne, ce vieux mythe alpestre (il date du XIXe siècle) que Gide associait
justement à la morale helvético-protestante… On trouve rarement la plaine
(sauvée seulement lorsque l’on peut dire qu’elle est fertile), jamais le plateau.
Seuls la montagne, la gorge, le défilé et le torrent peuvent accéder au panthéon
du voyage, dans la mesure sans doute où ils semblent soutenir une morale de
l’effort et de la solitude… À la limite, le Guide pourra écrire froidement : “La
route devient très pittoresque (tunnels)” : peu importe qu’on ne voie plus rien,
puisque le tunnel est devenu ici le signe suffisant de la montagne ; c’est une
valeur fiduciaire assez forte pour que l’on ne se soucie plus de son encaisse. »
« Un film, Continent perdu, éclaire bien le mythe actuel de l’exotisme. C’est un
grand documentaire sur “l’Orient”, dont le prétexte est quelque vague expédition
ethnographique, d’ailleurs visiblement fausse, menée dans l’Insulinde par trois
ou quatre Italiens barbus. Le film est euphorique, tout y est facile, innocent.
Nos explorateurs sont de braves gens… »
BARTHES R., Mythologies, Paris, Le Seuil. Ces deux textes datent de 1957 !
Lectures conseillées
The National Geographic Magazine.
Geography for Life: National Geography Standards. Depuis 1994, rééditions annuelles,
Washington, National Geographic Research and Exploration, American
Geographical Society.
PHLIPONNEAU M., 1999, La géographie appliquée, Paris, Armand Colin.
Chapitre 15
Où en est la géographie ?
Domaines de la géographie,
territoires du géographe
La géographie est partout, quelle que soit sa forme adoptée, forme recon-
nue ou forme parallèle, parfois à peine soupçonnée ou même insoupçon-
nable. Prétendre qu’elle est partout et que chacun en fait sans le savoir,
pose la question de son domaine, de ses domaines. Chacun ignore « sa »
géographie mais en fait tout le temps, que ce soit à Beyrouth, Sarajevo ou
Kigali, en Tchétchénie, au Burundi ou en Syrie et au Kurdistan. Les der-
nières années sont fertiles en termes de nouveautés géographiques et de
réflexion épistémologique. Certaines petites choses commencent à passer
dans le grand public. Profusion comme signe de crise ?
Faire de la géographie
Faire de la géographie, cela renvoie à espace, territoire, échelle, région,
pays, paysage, liste non close, et à l’idéologie qui tranche sur tout ce qui
est ou n’est pas (selon quel jugement ?) géographique, ce qui s’en recom-
mande ou s’en démarque, s’y attache ou s’en éloigne. La corporation des
géographes possède ses moyens d’expression, ses bilans périodiques, ses
savoirs, universitaire, professionnel ou scolaire, ses équipes qui définissent
les pratiques géographiques. On distinguera ici quatre pratiques princi-
pales :
– D’abord le recensement de données spatialisées, avec de plus en plus
de traitement statistique, d’informatique, et faisant appel aux modèles et
aux SIG (systèmes d’information géographique).
– La glose est la plus ancienne pratique, appuyée sur l’exégèse de textes
et documents variés. Elle se définit comme analyse de contenu sans
toujours en connaître les lois.
188 ! Variations géographiques
n’est pas là, ce qui est grave, c’est d’en avoir fait le modèle de la géographie
pour l’école et d’avoir oublié l’essentiel : l’explication du monde passe par
d’autres canaux.
Tout cela existe à travers ces documents géographiques que sont l’émis-
sion télévisée, la vitrine de l’agence, le dépliant touristique. C’est bien
cette demande anodine pour le « spatial » qui renforce une « géographie »
quotidienne : la publicité sur les murs ou reçue massivement sous forme
imprimée, publicité des spots télévisés, œuvre écrite, filmée ou autre, qui
ont leur support géographique. La popularité de ces catalogues provient
de leur potentiel à faire rêver, le voyage exotique, la gastronomie puisant
dans le terroir et les produits de pays, les migrations de travail vers les
pays riches… L’espace n’est pas abordé en termes objectifs mais selon des
échelles de valeurs.
Débats et permanences
Où est la géographie et où en est la géographie ? Double question qui
implique maintenant un parcours épistémologique approfondi. Une
science se positionne à travers une place, sa place, dans l’histoire des
sciences. Elle se codifie et s’assied peu à peu, participant des progrès de la
connaissance et contribuant à ses avancées. Mais, en plus, la géographie
offre le paradoxe intéressant d’être à la fois la matière la plus ancienne
et la science la plus récente tout en conservant, sous des formes certes
très diverses, une immense actualité, car toute actualité est géographique.
La géographie a beaucoup changé, d’aucuns disent évolué ces dernières
années, mais pour qui et pour quoi « faire » ? D’abord, elle n’a pas évolué
de façon uniforme ; certaines survivances dans la démarche géographique
montrent des bastions soigneusement à l’écart d’idées novatrices. Ensuite
elle ne s’est pas transformée partout de la même façon, mais selon des
rythmes successifs entre des poussées qualifiées parfois de « crise de la
géographie ». Question de vocabulaire, on peut penser que crise et progrès
vont de pair, depuis plus de 50 ans.
Ce sont aussi les géographes qui ont changé, s’efforçant de plus en
plus de rendre compte de « l’état du monde », veillant à l’émergence
de nouveaux concepts, prenant en compte les idéologies, soucieux de
médiatisation.
« L’air du temps » n’est plus le même, comme les mots-clés qui per-
mettent de le cibler, un parcours rapide des manuels nous le montre. Il
y était question de région, paysage, ville, aménagement… on y trouve
désormais territoire, acteurs, enjeux, stratégies, système, etc. L’outillage
est devenu très performant quand – à partir d’un gros maniement
Où en est la géographie ? ! 191
L’anthropomorphisation
L’anthropomorphisation est insidieuse en géographie, car de formulation
commode. La « personnalité géographique » d’un pays n’a pas grande si-
gnification, la « vocation » d’une région encore moins, et pourquoi pas
les « mentalités » pour les habitants, certains ayant « bonne » mentalité,
192 ! Variations géographiques
physique-humain centre-périphérie
général-régional passé-actuel
déductif-inductif scientifique-didactique
citadins-ruraux local-mondial
villes-campagnes réductionnisme-complexité
fondamental-appliqué causalisme-probabilisme
homogène-polarisé méthodes-contenus
subjectif-objectif nomothétique-idiographique
connu proche-inconnu lointain quantitatif-qualitatif
visible-invisible potentialités-incapacité
immédiat-long terme « bon »-« mauvais » pays
campe un pied sur terre, “cette bonne forte base” selon l’expression de Michelet ;
le contact du sol, ou mieux, d’une région bien déterminée oblige l’esprit à rester
face à la réalité, à éviter les fumées de la spéculation ; c’est un des bienfaits les
plus certains de la géographie. »
CLOZIER R., 1967, Histoire de la géographie, Paris, PUF.
La démarche déductive-inductive
L’induction n’a aucune problématique explicite, si mince soit-elle. À partir
de faits elle prétend remonter vers des propositions plus générales. La
déduction découle d’une idée, d’hypothèses de travail, d’une théorie et de
concepts. L’avancée scientifique passe par l’objet d’investigation choisi, la
question que l’on se pose, la trame d’analyse que l’on se donne. Induction
et déduction sont en rapport dialectique.
« Les méthodes et démarches du type déductif s’appuient sur des modèles théo-
riques et sont utilisées plus volontiers par les géographes de la “Nouvelle géogra-
phie”. Elles sont dites déductives parce que le modèle théorique – économique,
social, culturel, politique – fournit des clefs pour décrypter les phénomènes
élémentaires et leur organisation spatiale. Ils fournissent a priori des concepts/
notions nécessaires à l’analyse des principes d’organisation et d’explication des
mécanismes de fonctionnement. Ces méthodes hypothético-déductives se déve-
loppent sur le schéma suivant : 1. formulation d’une hypothèse et recherche d’un
modèle théorique ; 2. analyse du modèle descriptif et interprétatif ; 3. mise en
œuvre de procédures de validation : confrontation du modèle théorique et des
réalités étudiées ; 4. reconnaissance des conformités et anomalies, et recherche
d’un schéma explicatif spécifique à l’espace étudié. »
LE ROUX A., 1995, Enseigner la géographie au collège, Paris, PUF, p. 73.
196 ! Variations géographiques
Mondialisme et localisme
Le choix est double : étudier la planète ou le local, le « système-monde »
ou le désir de « vivre au pays ». « La curiosité à l’égard des perceptions
endogènes est récente, qu’on appelle ethnoscience ou anthropologie éco-
logique. À côté de l’analyse scientifique, on mesure l’intérêt de la connais-
sance indigène des milieux » (PINCHEMEL Ph. et G., 1988, La face de la
Terre, Paris, Armand Colin, p. 307). Cette perception endogène implique
un enracinement, pouvant s’appuyer sur un héritage de pratiques se recon-
naissant dans une démarche empirique qui renvoie à un contexte social.
« La construction de l’Europe, la décentralisation des pouvoirs, la
“mondialisation” des stratégies d’entreprise et des informations quoti-
diennes, et, à l’inverse, la recherche d’identité et la montée d’un certain
“tribalisme” ont porté l’attention sur les territoires et sur les réseaux de
lieux. Outre l’administration d’État, les collectivités locales et les firmes
expriment à ce sujet leurs curiosités » (BRUNET R., 1995, « Une géogra-
phie à vivre », Dialogues, revue de l’enseignement français à l’étranger, n° 44,
p. 11-12).
Une deuxième citation, de même origine mais sous la plume de
J.-P. Lauby, va dans le même sens. « Les finalités assignées à la décou-
verte du territoire national ont une nouvelle dimension à l’heure du village
planétaire, avec le développement des échanges et la construction d’enti-
tés supranationales. La quête de l’identité trouve alors sa raison d’être
dans des échelles qui vont du quartier aux horizons lointains, tandis que
la citoyenneté s’élabore avec la prise de responsabilité à de multiples
niveaux et dans des cadres divers (entreprises, associations, vie politique,
etc.) » (LAUBY J.-P., 1995, « Géographie de la France », Dialogues, revue
de l’enseignement français à l’étranger, n° 44, p. 31-32).
Le choix entre le local et l’universel apparaît en deux colonnes :
Le singularisant L’universalisant
Le « régional » Le « général »
La chorographie La géographie
Le sélectif L’exhaustif
Un ordre dans le monde Une description de la Terre
Les divisions, les parties La totalité de la Terre
La différenciation régionale L’analyse spatiale large
Concret-abstrait
Les deux approches, qui n’ont rien de spécifique à la géographie, sont
ici en opposition totale. Le concret parfois dit « terrain », l’observation
que l’on dit sans a priori ou pire, « objective » (!) donne au mieux une
Où en est la géographie ? ! 197
Des nouveautés
Si la géographie est en crise pour certains, elle n’a jamais été de fait aussi
riche pour d’autres, et ses différents courants en font la richesse. Des
dénominations, des attributions, des étiquettes constatent volontiers
que telle école ou tel courant sont présents là ou là. Quand on a – entre
autres centres et entre autres options à la fin du XXe siècle, il ne faut
pas l’oublier – de la géographie sociale à Caen, des modèles et chorèmes
à Montpellier, de la cartographie à Strasbourg, de la géographie appli-
quée à Rennes, un penchant pour les représentations à Grenoble, Genève
ou Lausanne, pour la géographie théorique à Québec. Et que recenser à
Montréal, Louvain, Paris… ? Encore d’autres spécialisations. Il est diffi-
cile d’entrer dans le moindre classement tant la variété est grande et tant
il existe de nouveautés qui dépassent la conception que Clozier se faisait
de la géographie dans les années 1940 :
« La géographie s’ouvre sur une double perspective : elle est au carrefour des sciences
de la nature et de l’humanité, sorte de “pont” jeté entre ces deux branches du savoir
humain, position-charnière entre diverses disciplines qu’elle coordonne à la manière
d’une philosophie de l’espace ; elle fournit à ces sciences connexes une contribution
très personnelle : l’esprit de synthèse, le sens des réalités complexes, la compréhen-
sion des ensembles localisés et interdépendants ; elle retient ce qui, dans l’activité
des groupes humains, est propre à l’ensemble de l’humanité et permet l’élaboration
198 ! Variations géographiques
d’une synthèse, et ce qui est le fait d’une collectivité déterminée, c’est-à-dire le cas
particulier apportant aux généralisations abusives le correctif de l’exception, de la
variante locale ou régionale. Cette confrontation permanente avec le réel, cette
aptitude à faire varier la recherche du phénomène mondial au fait local confèrent
à la géographie toute sa signification, toute sa valeur. »
CLOZIER R., 1942, Les étapes de la géographie, Paris, PUF,
p. 127, dernier paragraphe de l’ouvrage.
à référentiel implicite 1
non quantitative
à référentiel implicite 2
géographie
à référentiel implicite 3
quantitative
à référentiel implicite 4
Lectures conseillées
ALLEMAND S., 2007, Comment je suis devenu géographe, Paris, Le Cavalier Bleu.
L’Espace géographique, 1996, n° 1. Débat entre géographes français ayant des
conceptions différentes.
Progress in Human Geography. Cette revue dresse régulièrement un panorama des
grands courants de la géographie essentiellement de langue anglaise et de leur
évolution.
REYNAUD A., 1974, « La géographie, entre le mythe et la science, essai
d’épistémologie », Travaux de l’Institut de Géographie de Reims, n° 18-19.
Conclusion
H K
Haeckel, 133 Kampen G., 143
Haggett P., 43, 44, 123 Kant E., 8, 17, 82, 195
206 ! Éléments d’épistémologie de la géographie
O Prigogine I., 21
Origène, 74 Proust M., 182
Orose, 75 Ptolémée, 66, 68, 69, 70, 74, 75, 77,
Ortelius A., 77 79, 154, 180
Ovide, 73 Pumain D., 45, 56, 58, 111, 188
Pythéas, 162
P
Palassou P.-B., 86 R
Pardé M., 32 Racine J.-B., 8, 9, 45, 165
Park M., 30, 83 Raffestin C., 137
Paulet J.-P., 127 Raison J.-P., 125, 126
Pech P., 59, 134 Ratzel F., 31
Pecqueur B., 59 Reclus E., 31, 66, 82, 83, 89, 91, 103,
Peet R., 55 107, 109, 163, 183
Pegolotti B., 76 Renard J., 46
Péguy C., 106 Reymond H., 9, 24, 45
Penck A., 30 Reynaud A., 49, 116, 117, 201
Périclès, 71 Ritter K., 27, 30, 31, 82, 83, 88, 144,
Perrin M., 41 149
Perroux F., 44, 131 Robert J., 130
Pestalozzi J., 82 Robert le Moine, 75
Petermann T., 94 Robic M.-C., 91, 103
Philippe II, 77 Romulus, 138
Piaget J., 8, 22, 24, 52 Rosnay J. de, 119
Piccolomini E.-S., 77 Rostaing C., 33
Pie II, 77 Rougerie G., 146
Pigafetta A., 80 Rousseau J.-J., 82, 86
Pinchemel G., 130, 131, 132, 196 Rubrouck G. de, 75
Pinchemel P., 91, 103, 123, 130, 131, Ruiz C., 117
132, 196 Rustichello de Pise, 75
Pitte J.-R., 57
Piveteau J.-L., 139 S
Plantin C., 77 Saint-Exupéry A. de, 7, 161
Platon, 68, 72 Saint-Julien T., 111
Pline l’Ancien, 72 Saint-Martin V. de, 88
Pline le Jeune, 72 Sanders L., 58
Plutarque, 71 Sand G., 87, 148
Polo M., 66, 75 Sauer C., 29
Polybe, 71 Saussure F. de, 87, 118
Pomponius Mela, 72 Sautter G., 49
Ponsard C., 44 Sauvy A., 33
Popper K., 15 Say J.-B., 88
Porte G., 136 Scariati R., 5, 114
Pouquet J., 33 Schaefer F., 30, 44
Prévert J., 143 Schrader F., 192
Prévôt V., 188, 194 Scott A., 55
208 ! Éléments d’épistémologie de la géographie
déterminisme, 10, 29, 39, 103, 125, érosion, 35, 68, 72, 73, 81, 116, 117,
126, 170, 171, 177, 191, 198 119, 143, 144, 192
développement durable, 57, 117, 132 espace, 10, 16, 17, 18, 19, 20, 23, 38,
dialectique (voir marxisme), 167, 172, 44, 45, 48, 49, 50, 51, 56, 57, 65,
195 69, 76, 82, 95, 104, 109, 111, 115,
diffusion, 29, 44, 45, 48, 55, 57, 114, 116, 117, 121, 122, 123, 125, 126,
116, 120, 122, 123, 145, 167, 179 127, 129, 130, 131, 132, 133, 134,
discours géographique, 9, 143, 161, 135, 136, 137, 138, 139, 144, 149,
162, 165, 166, 168, 169, 170, 176, 150, 151, 155, 156, 157, 158, 159,
181 161, 164, 165, 180, 187, 190, 191,
distance, 116, 117, 122, 132, 139, 193, 194, 195, 197, 198
151, 154, 155, 158, 167, 169, 181, espace géographique, 9, 18, 19, 20,
198 45, 52, 118, 120, 122, 131, 133,
191
E espace vécu, 46, 57, 117, 131, 137
échelle, 31, 40, 114, 115, 116, 117, État, 58, 122, 123, 124, 138, 140,
119, 134, 135, 137, 138, 160, 187 146, 163, 196
École allemande, 29 ethnologie, 50, 52, 53, 111, 114, 122,
École américaine, 29 147
École de Chicago, 29, 30, 149, 158 expérimentation, 87, 109, 185
École française, 18, 27, 29, 30, 43, 90,
104, 105, 109 F
écoles, 8, 9, 18, 27, 28, 29, 31, 39, 45, fonctionnalisme, 171
104, 114, 116, 140, 153 formalisation, 24
écologie, 10, 29, 44, 50, 122, 123, frontière, 71, 122, 140, 156
144, 146, 149
économie, 9, 23, 44, 53, 104, 109, G
111, 114, 143, 144, 149, 150, 172, genre de vie, 28, 85, 104, 123, 124,
175 149, 171, 174
écosystème, 19, 117, 122, 132 géographie active (voir géographie
empathie, 20, 21 appliquée)
empirisme, 168, 191, 198 géographie appliquée, 41, 111, 135,
encyclopédie, 69, 72, 73, 75, 76, 111 178, 191, 194, 197
enseignement (voir géographie scolaire, géographie critique (voir géographie
géographie universitaire), 11, 28, 34, radicale), 45, 55, 59, 107
36, 40, 46, 49, 52, 57, 58, 90, 114, géographie culturelle, 18, 44, 46, 55,
117, 139, 146, 175, 176, 178, 179, 57, 59, 61, 95, 114, 157
183, 188, 193, 201 géographie des genres, 56, 61
environnementalisme, environnement, géographie des représentations, 46, 55,
10, 11, 16, 19, 22, 37, 51, 57, 66, 181
70, 117, 119, 122, 130, 132, 134, géographie générale, 11, 34, 36, 40,
135, 137, 146, 148, 156, 157, 159, 41, 79, 83, 86, 88, 98, 176, 193
167, 170, 180, 194 géographie humaine, 32, 43, 98, 124,
épistémologie, 5, 7, 8, 10, 15, 18, 22, 130, 133, 193, 194
24, 27, 48, 49, 52, 58, 63, 93, 102, géographie humaniste (voir
105, 107, 174, 175, 194, 201 représentation), 55, 135
Index thématique ! 211
morphologie, 35, 37, 40, 120, 194 possibilisme, 125, 171, 179, 191
mouvement, 47, 58, 73, 95, 118, 158 pouvoir, 9, 29, 56, 95, 122, 137, 139,
mythologie, 53, 69, 71 149, 155, 158, 166
préceptes, 114, 115
N principes, 23, 83, 114, 115, 116, 123,
nation, 104, 117, 140, 163 125, 151, 155, 165, 186, 195
naturalisme, 138, 170 probabilisme, 115, 171, 193
nature, naturalisme, 10, 22, 24, 29, probabilité, 171
72, 82, 87, 110, 119, 122, 124, 126, problématique, 7, 16, 23, 35, 114,
133, 134, 139, 144, 145, 146, 155, 116, 130, 134, 166, 168, 181, 195,
170, 171, 183, 193, 194, 198 197
nomenclature, 65, 87, 168, 174, 179
nomothétique, 139, 183, 192, 193 Q
Nouvelle géographie, 9, 18, 37, 43, 44, quantitatif, 151, 193, 199
45, 55, 56, 59, 61, 95, 150, 151,
179, 195, 197 R
recensement, 87, 167, 187
O
région, 17, 31, 36, 39, 76, 89, 90, 95,
objet, 9, 10, 17, 19, 20, 21, 23, 24, 104, 111, 117, 118, 120, 124, 130,
31, 48, 86, 110, 115, 136, 147, 148, 135, 136, 140, 163, 165, 177, 187,
151, 155, 194, 195
190, 191, 193
observation, 20, 23, 88, 109, 114, 147,
renaissance, 45, 79, 199
153, 168, 176, 178, 191, 196
représentation, 23, 70, 74, 79, 114,
organisation, 7, 16, 27, 44, 49, 51, 58,
115, 116, 120, 122, 130, 156, 157,
90, 97, 109, 111, 115, 123, 127,
158, 183
129, 130, 131, 135, 136, 151, 156,
réseau, 81, 116, 117, 122, 123, 140,
158, 162, 195
164, 178, 192
P révolution quantitative, 44, 57
paradigme, 8, 146, 167, 191 revues, 11, 32, 37, 38, 45, 46, 47, 57,
patrie, 76, 165, 177 90, 93, 94, 95, 104, 106, 114, 157,
pays, 50, 51, 52, 57, 63, 67, 71, 74, 162, 173, 179, 181, 183
95, 104, 111, 125, 134, 135, 136, risque, 122, 143
137, 138, 139, 144, 146, 149, 156,
S
163, 165, 175, 177, 182, 183, 184,
187, 190, 191, 192, 193, 194, 196 savoir, 9, 10, 17, 20, 48, 56, 65, 70,
paysage, 104, 116, 117, 122, 123, 124, 108, 109, 117, 144, 159, 162, 173,
130, 133, 134, 135, 136, 146, 150, 177, 197
153, 157, 185, 187, 188, 190, 193, science, 7, 9, 15, 17, 20, 22, 24, 36,
194 37, 39, 44, 47, 48, 52, 58, 65, 66,
pédagogie, 188 68, 75, 76, 77, 79, 94, 104, 109,
perception (voir représentation), 46, 111, 113, 114, 115, 129, 130, 131,
126, 157, 196 144, 145, 147, 148, 154, 161, 162,
périodiques, 44, 93, 94, 95, 96, 107, 164, 171, 183, 190, 191, 194, 198,
162, 183 201
positivisme, 103, 171, 183 sciences de la société, 144, 146, 147
Index thématique ! 213
sciences naturelles, 48, 144, 145, 146, 157, 158, 162, 163, 176, 177, 194,
149, 151, 168 196
ségrégation, 122 territoire, 10, 29, 34, 35, 40, 46, 50,
SIG (systèmes d’information
58, 116, 117, 122, 129, 130, 135,
géographique), 151, 166, 187, 188,
191 136, 137, 138, 139, 146, 156, 162,
site, 122, 126, 150, 171 163, 164, 165, 167, 171, 187, 190,
situation, 17, 52, 117, 122, 126, 149, 196
171 territorialité, 46, 122, 165
Société de géographie, 38, 88, 96, 105, théorie, 7, 10, 22, 23, 44, 45, 56, 58,
108, 110
73, 77, 79, 107, 118, 170, 191, 195
sociologie, 47, 53, 111, 114, 124, 139,
144, 147, 148, 149 théorie des lieux centraux, 44, 45, 122
sous-développement, 125 thèse, 116, 135, 168, 183
statistique, 23, 76, 114, 143, 144, 151, topophilie, 45, 134
166, 167, 185, 187, 191, 198 topophobie, 45, 134
structuration, 56, 156, 159
tourisme, 48, 105, 120, 123, 173, 183,
structure, 35, 41, 56, 117, 118, 122,
144, 156 184, 185
subjectivité, 16, 17, 24, 114, 115, 135 triangle, 155
symbole, symbolique, 53, 67, 87, 120, tropique, tropicalisme, 124, 125
138, 153, 155, 157, 158, 159 typologie, 136, 157, 168
système, 19, 23, 35, 38, 41, 57, 68, 69,
73, 81, 86, 87, 116, 117, 118, 119, V
120, 122, 130, 144, 169, 190, 191,
valeur, 20, 22, 122, 125, 126, 132,
193, 196
134, 146, 150, 157, 163, 171, 185,
T 198
temps, 28, 32, 48, 49, 65, 71, 72, 81, ville, 48, 70, 89, 104, 116, 118, 120,
83, 86, 118, 122, 130, 134, 135, 121, 122, 123, 124, 126, 127, 134,
138, 140, 145, 149, 150, 159, 167, 135, 138, 140, 149, 155, 157, 159,
181, 190, 193, 198, 199
160, 163, 171, 175, 178, 181, 182,
Terre, 9, 10, 23, 38, 41, 44, 65, 66, 67,
68, 69, 70, 71, 72, 73, 75, 76, 77, 183, 184, 190
80, 82, 85, 86, 106, 108, 110, 129, voyage, 11, 66, 70, 75, 81, 85, 107,
131, 133, 136, 143, 152, 154, 155, 158, 159, 175, 183, 185, 190
Table des matières
Remerciements 5
Introduction
Questions à la géographie 7
Qu’est-ce que l’épistémologie ? 7
Pour une épistémologie de la géographie 8
La géographie dans le contexte scientifique
de son époque 10
PREMIÈRE PARTIE
LA GÉOGRAPHIE CONTEMPORAINE,
1950-2000
DEUXIÈME PARTIE
ÉPISTÉMOLOGIE ET HISTOIRE DE LA GÉOGRAPHIE
Le paysage 134
La région 135
Le territoire 137
TROISIÈME PARTIE
VARIATIONS GÉOGRAPHIQUES
Conclusion 201
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