Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Michel PATY**
INTRODUCTION.
UN NOUVEL INTERET POUR D'ALEMBERT
* Une première rédaction de ce travail avait été préparée en 1993, pour le Congrès International
d’Histoire des Sciences de Saragosse (qui s'est tenu en août de cette année-là), où l'auteur n'avait pu
se rendre, mais où le texte fut distribué. Le texte présent a été considérablement remanié pour tenir
compte des nombreux travaux de recherche réalisés depuis lors. Nous ne pouvions cependant être
exhaustifs et rendre justice à tous. Nous avons surtout voulu rendre compte d'une dynamique et en
montrer l'intérêt.
** Equipe REHSEIS (UMR 7596), CNRS et Université Paris 7-Denis-Diderot.
3 En premier lieu, le CNRS. L'Académie des sciences considère, dans un vœu, le projet actuel
d'édition critique des Oeuvres complètes comme étant d'une importance prioritaire.
4 Je remercie, en particulier, pour leurs informations, pour leurs travaux, et pour de fructueuses
discussions, Umberto Bottazzini, Eric Brian, Michelle Chapront, Anne-Marie Chouillet, Alain
Coste, Pierre Crépel, François de Gandt, Gérard Grimberg, Christian Houzel, Alain Michel, Bruno
Morando (prématurément disparu), Irène Passeron, Jeanne Peiffer, Elisabeth Schwartz, Jean
Souchay, Jean-Luc Verley, Jérôme Viard, Christiane Vilain.
5 Par exemple, parmi les monographies dont j'ai connaissance, sans enquête exhaustive, depuis
une trentaine d'années : Maheu [1967], Hankins [1970], Paty [1977], Le Ru [1994], Paty [1998],
Grimberg [1998] ; et, pour les publications collectives, celles occasionnées par le bi-centenaire de
la mort de d'Alembert, commémoré en 1983 (cf. Paty [1984c]) : Auroux et Chouillet [1984],
Emery et Monzani [1989), auxquelles s'ajoutent le présent ouvrage et un numéro spécial de la
revue Corpus sous la responsabilité de Francine Markovits et Jean-Jacques Szczeciniarz, à paraître
en 2001. Signalons l'édition récente annotée, par Michel Malherbe, du Discours préliminaire de
l'Encyclopédie de d'Alembert (d'Alembert [1751]2000). Une bibliographie complète est ici hors de
question. D'autres travaux seront évoqués dans le cours de l'article, surtout les plus récents.
6 Voir notamment Merleau-Ponty [1983], Rashed [1988], Crépel et Gilain [1989], Galleto [1991],
Passeron [1994], Martin-Viot [1994].
7 Parmi les signes de changement en ce qui concerne l'enseignement en France, d'Alembert a été
«promu» en 1998 au nombre des auteurs au programme du concours d'agrégation en philosophie.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 3
ses Oeuvres complètes. Mais il faut tenir compte également d'une conjoncture plus
ample, où un intérêt croissant se marque pour la réflexion sur les sciences et pour
une compréhension exigeante de leurs origines ainsi que de celles du monde
moderne. Cet intérêt comprend la prise en compte d'un souci très marqué pour
l'exactitude historique et pour le rejet des reconstitutions simplificatrices effectuées
à partir de la science d'aujourd'hui et des configurations du monde actuel, ou
organisées autour de schémas chronologiques qui ne retiennent que quelques noms
de savants, devenus archétypiques ou paradigmatiques. La science et le monde
actuels ne préexistaient pas à l'époque considérée, et c'est au contraire de cette
dernière qu'ils sont originaires.
L'on oublie, ou l'on ignore, trop aisément que la physique et la
mécanique classique nous viennent en très grande partie des mathématiciens et
«géomètres» du XVIII è siècle, continuateurs de Newton, certes, mais ayant fait
fructifier le legs newtonien en le combinant à d'autres héritages, et en y ajoutant
beaucoup d'éléments qui leur sont dus en propre.
J'ajouterai qu'un nouvel intérêt pour la question de l'invention et de la
découverte scientifiques, qui se fait jour depuis quelque temps, incite à revenir à des
oeuvres qui avaient été, au moins en partie, négligées par les historiens des
sciences, à cause de leur difficulté de lecture dont la raison principale était pourtant,
précisément, qu'y surgissaient des idées neuves en recherche de leur expression.
Négligées ou sous-estimées en temps différé par les analystes, elles n'en avaient
pas moins eu une influence considérable et souvent immédiate, directement ou
indirectement (à travers leur reprise par d'autres), car telle est la vertu de ce qui est
nouveau et produit les élargissements de la connaissance.
Et, en vérité, non seulement les philosophes, mais bien souvent les
historiens des sciences eux-mêmes préféraient les avenues des nouveautés
aménagées de la science, désormais bien acquises et assimilées, aux sentiers
malaisés de sa création : si les premiers ont voulu l'affirmer expressément au cours
du siècle qui s'achève par un choix volontaire de méthode (un choix que l'on peut
estimer trop limitatif)8 , il est plus difficile de le concevoir pour ce qui est des
seconds : sans doute faut-il y voir l'indice d'un changement, d'un
approfondissement, dans la conception de l'historicité des sciences. A coup sûr,
d'Alembert fut la victime de l'illusion rétrospective, en raison d'une certaine
difficulté, voire parfois d'une obscurité, de ses textes, qui se rencontrent surtout
dans les traitements mathématiques. Cette sous-estimation prolongeait, dans un
certain nombre de cas, les difficultés qu'il rencontrait déjà à cet égard de son vivant
même, dans la concurrence qui l'opposait à ses pairs qui étaient souvent ses rivaux,
notamment Alexis Clairaut et Leonhard Euler.
L'originalité de l'œuvre de d'Alembert n'a donc pas toujours été
reconnue comme elle aurait dû l'être, parce que d'autres que lui ont su mieux mettre
en valeur et déployer des idées qu'il fut le premier à émettre, tant en mathématiques
qu'en physique, mais également en philosophie des sciences. Faute d'avoir été
suffisamment étudiés, nombre de ses textes scientifiques, souvent marqués par les
8 Selon une conception qui lie la rationalité à la justification et abandonne la découverte aux jeux
obscurs de la pensée : cette conception, affirmée clairement par la philosophie anglo-saxonne, avec
la distinction entre “contexte de découverte” et “contexte de justification”, était diffuse chez la
plupart des autres philosophes de la connaissance.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 4
L'ORGANISATION
DES OEUVRES COMPLETES
9 La bibliographie des écrits de d'Alembert la plus complète à ce jour est celle établie par Anne-
Marie Chouillet pour le présent volume (Chouillet [2001]).
10 Cf. Euler [1911-]. Entreprise depuis 1911, cette édition est cependant encore inachevée.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 5
par exemple, que ceux confiés aux neuf volumes des Opuscules mathématiques, qui
permettent un éclairage mutuel entre les premiers traités et les développements qui
leur ont fait suite.
D'autre part, l'apparat critique des premiers volumes (aussi bien
d'ailleurs que celui des autres travaux scientifiques postérieurs) demande, pour être
réellement éclairant, l'étude d'autres documents tels que la correspondance, pour
laquelle un travail de collection s'impose, ou, surtout à partir de 1751, l'étude des
articles de d'Alembert dans l'Encyclopédie et d'autres publications comme le
Journal des Savants ou le Mercure de France, qui souvent accompagnent ses
élaborations scientifiques, contribuent à en rendre explicites certains aspects,
notamment conceptuels, et permettent de les resituer par rapport aux débats et aux
polémiques de l'époque.
C'est ainsi que l'ordre de parution des volumes de la première série
diffèrera de celui de la numérotation des volumes, et que certains tomes des séries
ultérieures paraîtront avant que ceux de la première série ne soient terminés. Cette
entorse à l'organisation chronologique-thématique n'en est pas vraiment une,
puisque cette dernière sera respectée par l'ordre de numérotation des volumes ; elle
est, en fait, conforme à la réalité d'une telle recherche, qui est faite d'imbrications et
dont le parcours ne peut suivre un schéma rectiligne.
Ces aspects du travail collectif des chercheurs sont discutés et
coordonnés au cours de rencontres de travail régulières, ainsi que de séminaires et
de journées sur des sujets particuliers, organisés sous l'égide du “Comité pour
l’édition des Œuvres complètes…”. Une semaine de travail réunit notamment
chaque année, depuis 1997, au Centre International de Recherches Mathématiques
de Luminy (en Provence), les chercheurs du groupe d'édition des Oeuvres de
d’Alembert13 , où sont présentés et discutés les choix éditoriaux sur les volumes en
cours. Des éléments d'analyse y sont soumis à l'appréciation collective, pour
préparer les annotations éditoriales qui requièrent souvent des éclairages
transversaux par des rapprochements avec d'autres parties de l'œuvre. Par
exemple, la reformulation ou l’utilisation du principe de dynamique dans le
traitement de tel problème d’astronomie, ou la présence, dans des travaux
d'astronomie ou d'hydrodynamique, d’une méthode particulière de résolution
d’équation différentielle, rencontrée par ailleurs, précédemment ou en même temps,
dans les mémoires de mathématiques pures.
Au plan de la documentation, les chercheurs ont recueilli des
informations et des matériaux auprès des fonds d’archives en France et à l’étranger,
et une petite équipe a eu à cœur de préparer des intruments de travail pour
l'entreprise dans son ensemble, tels que les inventaires de manuscrits et
d’imprimés, les chronologies, les bibliographies, et les index 14 Un inventaire des
œuvres de d’Alembert (y compris une base de données pour la correspondance) a
été effectué15 .
Le travail de collaboration a permis de définir un apparat critique
commun, et adapté à divers publics (chercheurs et étudiants, scientifiques,
13 Ces semaines sont organisées par Irène Passeron avec le soutien du CNRS.
14 Cette petite équipe inclut Anne-Marie Chouillet, Pierre Crépel et Irène Passeron. Voir Crepel
[1996c, d].
15 Voir la contribution d'Anne-Marie Chouillet dans le présent ouvrage.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 7
16 A la liste prévue, il faudra, sans doute, ajouter un ou deux volumes de textes dispersés et
d’index général, chronologies, etc.
17 On a mis en italiques les titres qui correspondent à des traités publiés en volumes par
d'Alembert, mais ils pourront aussi inclure des mémoires, ou d'autres documents.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 8
LA FORMATION ET L 'HERITAGE
18 Le contenu des Mélanges a été repris dans les éditions des Œuvres (non-scientifiques) de 1805 et
de 1821 (d'Alembert [1805, 1821]).
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 9
française - en gros des années 1730-1740 à 1830 -, après une période plus obscure
qui la séparait d'un XVII è siècle dont il est inutile de redire toute la richesse19 .
Les premiers textes publiés et les manuscrits des premières années de la
vie scientifique de d'Alembert témoignent de ses lectures, tant des manuels
(Guisnée, Reyneau, de Gua, qu'il commente et dont il relève des erreurs) que des
grands traités et des grands auteurs (outre Descartes et Fermat, il a lu les Principia
de Newton dans la récente édition de Le Seur et Jacquier, le Traité des fluxions de
MacLaurin ; il saisit toute l'importance de l'oeuvre de Jean Bernoulli sur le calcul
différentiel leibnizien), sans omettre les travaux importants de ses prédécesseurs
français immédiats comme Maupertuis, Clairaut ou Fontaine.
Sa formation a contribué à déterminer ses centres d'intérêt en
mathématiques et dans les «sciences physico-mathématiques», et à façonner son
“style” en ce qui concerne son approche des problèmes scientifiques et son travail
de recherche. Pour les sciences physico-mathématiques, c'est-à-dire la physique, au
sens d'aujourd'hui, mais limitée alors aux domaines susceptibles de traitement
mathématique, ce style se caractérise par une attention aux principes et à la mise en
œuvre, légitimée par le choix critique de ces derniers, de la nouvelle analyse, celle
du calcul différentiel et intégral.
La constitution de sa pensée mathématique et physique et son
soubassement philosophique pose la question de l'héritage intellectuel de
d'Alembert, de sa fliation ou de ses ruptures par rapport aux grandes directions de
pensée qui avaient marqué l'espace intellectuel dans lequel il se trouvait. Cette
question est, en particulier, celle de la manière suivant laquelle d'Alembert, dont la
formation initiale fut en bonne part cartésienne, reçut et développa la science
newtonienne20 .
S'il garda de sa formation une conception très cartésienne de
l'intelligibilité et de la rationalité des principes de la connaissance, sa découverte de
la science newtonienne détermina la direction de son travail dans les voies
désormais ouvertes pour la physique, avec les lois de la dynamique et de l'attraction
gravitationnelle et le traitement physico-mathématique des problèmes de la
mécanique. L'œuvre de d'Alembert n'est pas un simple développement de la
physique newtonienne, mais constitue une véritable réorganisation conceptuelle de
cette dernière, permise par la mise en œuvre systématique du calcul différentiel et
intégral, dans la formulation donnée par Leibniz. Aux deux influences mentionnées,
on peut donc aussi ajouter la tradition leibnizienne, représentée notamment par Jean
19 Sur ces circonstances, on consultera avec intérêt l'étude de John Greenberg [1986], qui insiste
sur les circonstances politiques ayant favorisé tantôt l'isolement et tantôt l'échange dans les
relations scientifiques au niveau européen. Indiquons la parution récente de l’édition critique, par
feu Pierre Costabel et Jeanne Peiffer, de la correspondance de Jean Bernoulli qui éclaire les
circonstances de l'adoption par les mathématiciens français des conceptions de Newton et de Leibniz
en analyse (Bernoulli [1988-1991], ainsi que l'étude de Michel Blay sur l’oeuvre de Pierre Varignon
concernant l’analyse et la mécanique (Blay [1992]]. En particulier, Varignon introduit les notations
dx ddx
différentielles de la vitesse et de l’accélération : v = et y = 2 . Voir également l’édition,
dt dt
traduite en français et commentée par Marc Parmentier, des articles (écrits en latin) de Leibniz sur
le calcul différentiel et ses applications à des problèmes de géométrie et de mécanique parus dans les
Acta Eruditorum, de 1682 à 1713 : Leibniz [1989].
20 Cette analyse est développée dans Paty [à paraître, a].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 10
Bernoulli (autre inspirateur reconnu par d'Alembert21 ), qui établit l'analyse comme
outil de pensée théorique.
D'Alembert fit ainsi fructifier cet héritage diversifié en développant son
style propre dont une première illlustration est la formulation originale qu'il donna
des propositions fondamentales de la dynamique en termes des seules variables
caractéristiques du mouvement, en réinterprétant une partie des énoncés
newtoniens, grâce à la conceptualisation des variables du mouvement comme des
grandeurs différentielles. C'est ainsi qu'il transcrivit les trois lois de Newton en
trois principes du mouvement, et put dès lors rattacher la mécanique tout entière,
avec la dynamique (science des modifications du mouvement) à une intelligibilité de
type cartésien. Le double, et même triple, héritage intellectuel de ce pionnier de la
physique mathématique que fut d'Alembert, marqua et son «style scientifique» (lui
faisant mathématiser la dynamique par l'analyse différentielle sous le signe de ses
principes), et son épistémologie, avec sa réflexion sur la nature des principes, sa
pensée de la mathématisation des grandeurs corrélative d'une critique conceptuelle
et d'une perspective féconde sur les “sciences physico-mathématiques”, et sa
conception de l'intelligibilité rationnelle22 .
LE STYLE DE L 'ANALYSE
ET LES PREMIERS TRAVAUX MATHEMATIQUES
21 D'Alembert [1748].
22 Paty [à paraître, a].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 11
23 Houzel [1989].
24 Demidov [1982, 1989], Grimberg [1998].
25 Verley [1989]. Voir, pour une mise en perspective historique des nombres complexes, cf.
Flament [1996].
26 Gilain [1997, 2001]. Voir aussi Tournès [1997].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 12
forme de la Terre32 ), est révélatrice, pour John Greenberg qui l'analyse ainsi que
les travaux qui l'ont préparé depuis Newton, dans son livre qui fait autorité, Le
problème de la Terre, de Newton à Clairaut33 , comme pour Irène Passeron qui
l'examine dans sa thèse, Clairaut et la figure de la Terre au dix-huitième siècle34 , de
la “cristallisation d’un nouveau style autour d’une pratique physico-
mathématique”35 , celle de l'analyse, qui marque la période.
L'analyse et ses développements constituent aussi bien la marque des
travaux d'autres “géomètres” comme Bouguer et Maupertuis en Astronomie et en
Mécanique, objets également d'études historiques36 , et de ceux d'un mathématicien
pur comme Alexis Fontaine, dont les apports à l'analyse différentielle et intégrale
ont été étudiés de manière détaillée par John Greenberg, qui en a montré toute
l'importance, et a récemment éclairé leur influence décisive sur Clairaut37 . Gérard
Grimberg a établi combien les recherches de d'Alembert sur l'analyse, où la notion
de fonction joue un rôle important, ont également été préparées en partie par les
travaux de Fontaine38 .
Le style de d'Alembert s'est constitué et affirmé tout au long de la
première période de sa carrière - en gros, le premier tiers -, qui va de 1741 à 1756,
de ses premières recherches sur le calcul intégral au dernier volume des Recherches
sur quelques points du système du monde (ouvrages qui correspondent à la
première série de volumes prévue des Oeuvres complètes). Cette première période
de sa vie scientifique fut exceptionnellement riche et novatrice. L'originalité de ses
contributions scientifiques est indéniable, tant en mathématiques qu'en physique et
en astronomie, bien qu'elle ait été quelque peu occultée par les développements
rapides et les remises en forme plus élégantes qui ont suivi, parfois presque
immédiatement, et qui nous sont désormais familières, faites par ses
contemporains, concurrents ou disciples immédiats (Euler, Lagrange, Laplace).
C'est toute la difficulté de la tâche des historiens des sciences de la mettre
pleinement en évidence en s'abstrayant des sédiments postérieurs qui l'ont souvent
estompée.
32 Clairaut [1743].
33 Greenberg [1995].
34 Greenberg [1995].
35 Passeron [1994]
36 Passeron [1999, 2000 a et b].
37 Greenberg [1981, 1982, 1995].
38 Grimberg [1998].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 14
39 Cette question fait l'objet de l'étude suivante : Paty [à paraître, b]. Le Groupe d'Alembert
annonce la tenue d'un Colloque en 2001 sur le principes de d'Alembert et les principes de la
dynamique, préparé, à partir de la rentrée 2000, par un séminaire. Voir, pour d'autres recherches sur
des principes, Comte [1998], mettant en perspective les travaux de d’Alembert et de Foncenex
(1761) et la relativité du mouvement, Le Ru [1996], sur le principe de simplicité et le mécanisme,
ainsi que Paty [1996], Vilain [1996]) .
40 L'analyse historique et épistémologique qui a conduit à ce résultat est en cours de publication :
Grimberg et Paty [à paraître]. Elle a fait, en attendant, l'objet d'exposés ou de résumés : Michel
Paty, “Le principe du Traité de dynamique et les premiers travaux d'hydrodynamique de
d'Alembert", Exposé au Groupe de travail D'Alembert, Centre International de Rencontres
Mathématiques, Université de Marseille-Luminy, 23-27 février 1998 ; "L'origine hydrodynamique
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 15
inédite.
Bien qu'il ait été loué pour son intérêt mathématique, cet ouvrage a été
critiqué en ce qui concerne sa pertinence du point de vue physique, les vents ayant
une autre origine que l'attraction du Soleil et de la Lune. Toutefois ces critiques ont
généralement sous-estimé plusieurs aspects totalement novateurs du travail de
d'Alembert, comme son calcul de l'effet de la rotation de la Terre - plus tard
dénommé force de Coriolis -, sur les mouvements des fluides à la surface terrestre,
et dont Laplace reprendra les équations après lui dans sa propre théorie des marées,
se rendant d'ailleurs compte qu'il s'agit là de la cause véritable des vents alizés (ce
que d'Alembert avait méconnu, tout en préparant l'outil théorique)45 .
Le calcul aux dérivées partielles est très vite utilisé en «hydrostatique et
en hydraulique», c'est-à-dire en mécanique des fluides. L'Essai d'une nouvelle
théorie de la résistance des fluides de d'Alembert, paru en 175246 , et les mémoires
d'Euler sur le même sujet qui le suivent, aboutissent à la mise en forme analytique
de tous les problèmes de l'hydrostatique et de l'hydrodynamique, désormais
réunies et devenues ni plus ni moins que l'un des domaines d'une mécanique
élargie.
Le volume (I,8) sur l'Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des
fluides) comprendra le traité en latin de 1749, dont le manuscrit a pu être trouvé à
l'Académie de Berlin, d'Alembert l'y ayant envoyé pour le concours, et le texte
français de l'Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides publié en
1752, au contenu très sensiblement identique. L'Essai d'une nouvelle théorie de la
résistance des fluides suit donc, en fait, de plus près qu'il n'y paraît aux dates de
publication, l'ouvrage sur les vents de 1747 : d'Alembert en rédigea la première
version en latin dès 1749, Theoria resistenciae quam patitur corpus in fluido
motum47 , et l'adressa à l'Académie de Berlin, avant de le mettre en français et de le
publier lui-même en 1752, sans avoir reçu le prix - qui ne fut pas attribué48 . Ce
travail constitue, quant aux problèmes abordés, une suite du Traité sur les fluides de
1744, avec des modifications importantes du traitement théorique (abandon
d'hypothèses particulières, utilisation du calcul aux dérivées partielles), qui le
rattachent, au point de vue de la méthode, aux Réflexions sur les vents de 1747.
L'ensemble de ces textes sur la mécanique des solides et des fluides présente donc
une unité thématique, dans une suite chronologique directe, de sorte que les quatre
volumes 2, 3, 5 et 8 des Oeuvres, tels qu'ils sont prévus, sont en continuité directe,
et ne sont séparés que par la chronologie des travaux avec lesquels ils s'alternent,
de mathématiques (vol. 4) et d'astronomie (vol. 6, 7, 9 et 10).
45 Laplace [1799-1825].
46 D'Alembert [1752]. Cet ouvrage est la transcription en français d'un travail rédigé en latin et
soumis en décembre 1749 à l'Académie de Berlin pour le prix proposé sur la résistance des fluides.
47 Le titre complet est : Theoria resistenciae quam patitur corpus in fluido motum, ex principiis
omnino novis et simplissimis deducta, habitâ ratione tum velocitatis, figurae et massae corporis
moti, tum densitate et compressionis partium fluidi. Le manuscrit, qui comporte 136 p. et 2
planches de 37 figures, daté du 25 novembre 1949, fut enregistré par l'Académie le 11 décembre
suivant. Il se trouve à l'Académie de Berlin (Zentral Archiv der Akademie der Wissenschaft der
DDR, Preisschiften zur Preissaufgabe "Theorie des Widerstandes, den feste Körper beim Durchgang
durch Flüssigkaiten erfahrenn", K 8, n° 4, selon les indications des éditeurs de la correspondance
d'Euler, R. Taton et A. Youskevitch). Voir Euler, L, Opera omnia, serie 4 A, Correspondance,
Briefwechsel, vol. 5; cf. en part. p. 312 et suiv.
48 Ce qui engendra une polémique de d'Alembert contre Euler. Cf. Taton [1984], p. 61.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 17
On voit, tant par les premiers travaux originaux que par les
développements qui les suivent, en clarifient la formulation et en systématisent les
résultats, combien l'extension du calcul différentiel aux équations aux dérivées
partielles, qui s'accompagne d'un élargissement de la mécanique des points
matériels et des corps solides aux milieux continus et aux corps déformables,
élastiques ou fluides, est appelée par la problématisation physique. Celle-ci est elle-
même pensée en fonction de cet outil mathématique créé, pour ainsi dire, à son
usage. L'invention mathématique est ici directement issue de la considération des
phénomènes physiques ; elle nourrit en retour le traitement théorique de ces
derniers qui s'établit sur cette base comme science. On peut bien parler à cet égard
d'une double et réciproque constitution, de l'analyse aux différences partielles et de
la théorie de l'hydrodynamique, et les recherches créatrices de d'Alembert le font
magnifiquement voir49 .
Etudiant l'introduction par d'Alembert des concepts du calcul
différentiel partiel dans la mécanique, Gérard Grimberg a examiné les deux
ouvrages sur la résistance des fluides, le manuscrit rédigé en latin de 1749 et
l'ouvrage publié en français en 1752. Tous les aspects novateurs de l’Essai
concernant l’hydrodynamique figurent déjà dans le manuscrit de 1749, ce qui met
en évidence l’originalité du travail physico-mathématique de d’Alembert, qui a posé
les bases d’une théorie analytique des fluides tout en développant une théorie
mathématique des équations aux dérivées partielles. En particulier, d'Alembert eut
l'idée de considérer, dans l'écoulement permanent d'un fluide à la rencontre d'un
solide de révolution immobile, les composantes de la vitesse du fluide comme des
fonctions des variables d'espace, et la différentielle de la vitesse comme un système
de formes différentielles 50 .
49 Paty [1994].
50 Grimberg [1998])
51 Les premières études en vue de l'édition des Oeuvres Complètes de d'Alembert, dues à Michelle
Chapront, François Mignard et Bruno Morando, ont été exposées à la Journée d'Alembert, réalisée
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 18
On sait que c'est à d'Alembert, Euler et Clairaut que l'on doit les
premières approches précises du problème des trois corps par des méthodes
perturbatives. La voie propre de d'Alembert dans cette direction comporte de
nombreuses innovations d'une grande originalité, tant en mathématiques qu'en
physique mathématique, qui seront plus tard reprises ou retrouvées par d'autres
(notamment Laplace et Fourier), selon des méthodes différentes52 . Par exemple,
ayant établi l'équation différentielle de la trajectoire d'un mobile - en coordonnées
polaires - d'Alembert l'étudie en décomposant la force en série. Utilisant les
nombres complexes, il la réduit à une équation différentielle linéaire du deuxième
ordre à coefficients constants et faisant intervenir une série trigonométrique donnée ;
il obtient la solution de l'équation de plusieurs manières, dont l'une correspond à
une relation de récurrence entre les coefficients de la série trigonnométrique, et une
autre fait intervenir des intégrales elliptiques. C'est à lui que l'on doit, semble-t-il,
la première élimination des “arcs de cercle” ou “termes séculaires”, attribuée
ultérieurement à Lindstedt53 .
D'Alembert a appliqué ses méthodes en particulier à la précession des
équinoxes et au mouvement de la Lune. Ses résultats sur la précession des
équinoxes sont en grande partie demeurés valides, le principe de ses calculs restant
exact aujourd'hui encore. Reprenant le problème tel que Newton l'avait posé, il
montra les faiblesses de la solution de ce dernier, qui bénéficiait de compensations
d'erreurs, et reposait sur un modèle peu rigoureux du renflement de la Terre à
l'équateur (en termes d'un anneau de petites lunes), d'ailleurs tributaire d'une
valeur inexacte de ce renflement, dont les expéditions géodésiques en Laponie et au
Pérou avaient fourni depuis une mesure plus juste. La théorie de Newton reposait
aussi sur une estimation du rapport de l'action de la Lune à celle du Soleil basée sur
des observations de marées, trop aléatoires. D'Alembert aborda le problème de
manière analytique, calculant le moment des forces exercées par le Soleil et par la
Lune sur la Terre, et utilisant les résultats du Traité de dynamique. Il réussit à
exprimer ainsi les termes principaux du mouvement de l'axe de rotation de la Terre,
qui sont la précession régulière, connue depuis Hipparque, et la nutation observée
par Bradley, et en déduisit plusieurs propriétés de la Lune (sa masse, 1/80 è de celle
de la Terre) et de la Terre (sur la distribution de sa matière).54
Quant au mouvement de la Lune, d'Alembert en a donné la première
théorie complète dans le premier volume, de 1754, de ses Recherches sur différents
points importants du système du monde55 . Une étape importante y est l'élimination
des arcs de cercle (termes croissant avec le temps, provenant du développement en
série du cosinus d'un angle proportionnel à la longitude de la Lune) : sans cette
au Bureau des Longitudes, à Paris, le 26 mars 1992. Bruno Morando nous a quités peu après, sans
laisser de texte rédigé. Ces études ont largement progressé depuis lors, grâce notamment à Michèle
Chapront, François Mignard, Irène Passeron et Jean Souchay.
52 Et les apports de d'Alembert seront en général oubliés.
53 Voir l'étude de Bruno Morando : cette mention est faite d'après mes propres notes (M.P.) prises
lors de son exposé à l'une des premières journées de travail du groupe d'Alembert. Ces termes
séculaires, bien connus en astronomie, croissant indéfiniment en fonction du temps, conduisaient à
des quantités infinies dans les calculs. Leur élimination peut être vue comme une sorte d'ancêtre des
procédures de renormalisation en théorie des perturbations appliquée aux champs.
54 Voir Souchay [2000].
55 D'Alembert [1754-1756], vol. 1.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 19
56 Propriété dénommée "de d'Alembert", par Brown à la fin du 19 è siècle (cf. l'exposé de M.
Chaperon).
57 Voir Chapront [2000].
58 Voir d'Alembert [1885].
59 La détermination exacte de ce mouvement était importante pour l'établissement de tables de la
Lune, et la détermination de la longitude en mer. Cf. Paty [1977] chap. 5, p. 280-293 ; Passeron
[2000a].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 20
neuvième volume, resté inédit, se trouve à l'Académie des sciences de Paris sous
forme manuscrite, préparée pour la publication par d'Alembert lui-même avant sa
mort. Ces travaux complètent et prolongent les oeuvres précédentes, voire abordent
des problèmes ou des champs nouveaux.
D'Alembert y traite de nombreuses questions de mécanique,
d'hydrodynamique, d'astronomie, d'optique, utilisant toutes les ressources de
l'analyse, continuant de paver la voie de la mathématisation de la physique. Il y
formule et démontre de nombreux résultats de mathématiques: des théorèmes sur les
séries, ou de l'introduction des fonctions arbitraires dans la résolution des équations
différentielles qui fit faire de grands progrès à la théorie des fonctions, à son
approche particulière de la notion de limite qui aida à clarifier les fondements de
l'analyse.
Ceci sans oublier ses considérations critiques sur la théorie
mathématique des probabilités et ses applications~: l'ensemble des textes de
d'Alembert sur ce dernier thème suffirait à remplir un volume entier des Oeuvres.
L'examen de ces contributions révèle d'ailleurs que la position de d'Alembert sur ce
sujet est beaucoup plus complexe, et en définitive importante, que les interprétations
hâtives d'adeptes d'une conception achevée et triomphante de la science ne l'ont
pendant longtemps considéré. C'est qu'il s'agissait d'un domaine encore très neuf,
aux principes incertains, et aux applications souvent problématiques. Il est en tout
cas significatif que ce soient justement deux disciples de d'Alembert, Laplace et
Condorcet, qui aient fait connaître aux probabilités des avancées considérables,
dans le champ mathématique pour le premier, dans celui des applications aux
phénomènes de société pour le second60 .
Du point de vue éditorial, on peut se demander si l'on doit publier ces
contributions, réparties en articles eux-mêmes divisés en sections et sous-sections,
dans l'ordre que d'Alembert leur a donnés en les rassemblant de manière assez
disparate et hétérogène, mêlant dans un même article des questions totalement
différentes, ou s'il ne vaudrait pas mieux donner à leur arrangement une meilleure
cohérence, quitte, bien entendu, à mentionner dans l'appareil critique leur place
dans les livres originaux. En effet, l'ordre que leur a donnés d'Alembert ne fut
souvent que le résultat de sa hâte à publier ces contributions. Suivre ces dernièree
dans des séquences plus homogènes en faciliterait la saisie d'ensemble. Les
probabilités, en particulier, suggèreraient que l'on en fasse ainsi, et qu'on leur
consacre un volume (qui appartiendrait, comme on s'en convaincrait aisément à le
consulter ainsi, à l'histoire de cette science d'une manière qui ne serait aucunement
marginale, sinon tout juste un peu hérétique…).
Les travaux de d'Alembert en mathématiques peuvent être resitués dans
leur contexte grâce à l'étude des travaux d'autres auteurs contemporains de
d'Alembert comme Clairaut et Fontaine, déjà mentionnés, mais aussi, pour la
période ultérieure, parmi d'autres, Joseph Louis Lagrange, Jean-Henri Lambert ou
Nicolas Caritat de Condorcet…61 .
60 Sur d'Alembert et les probabilités, voir les études suivantes : Daston [19??], Bru [1989], Paty
[1987, 1988].
61 Voir, sur le premier, Gallotti [1991], et sur les deux derniers (Gilain [à paraître, a et b]).
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 21
Les années qui ont suivi cette «période d'or» ont vu l'élargissement des
horizons intellectuels de d'Alembert, et son engagement philosophique. L'intérêt et
la portée de ses contributions littéraires et surtout philosophiques, menées en
parallèle à son travail scientifique ultérieur, n'est pas moins considérable à de
nombreux égards.
L'implication de d'Alembert dans le projet de l'Encyclopédie marque
indéniablement un tournant dans sa carrière et dans son œuvre, ouvrant plus
largement son champ d'activité et disséminant sa production dans des domaines qui
débordent très largement les sciences pures. Le Discours préliminaire de
l'Encyclopédie, paru en 1751 avec le premier volume de l'ouvrage collectif,
constitue sa première grande œuvre philosophique, et inaugure aussi son
engagement public dans une entreprise qui allait bien au-delà de l'activité éditoriale,
et se proposait comme un véritable mouvement d'idées. D'Alembert devait s'y
trouver entraîné - et Voltaire le sacrer “chef du parti philosophique” -, et son
Discours préliminaire fut considéré comme le “Manifeste de la philosophie des
Lumières”62 . Il est intéressant, à cet égard, de remarquer la grande parenté qui lie, à
quarante deux ans de distance, le Discours préliminaire de l'Encyclopédie de
d'Alembert et l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain de
Condorcet, qui fut son disciple préféré (et exécuteur testamentaire)63 . Le propos de
fond est assez identique, et les différences, notables notamment quant à la
conception de l'histoire, sont caractéristiques des changements survenus dans les
idées et dans la société au cours de la seconde moitié du XVIII è siècle.
Les contributions de d'Alembert à l'Encyclopédie constituent à elles
seules une série de volumes prévus des Oeuvres. Ces nombreux articles (plus de
500, souvent d'une bonne longueur) publiés dans l'Encyclopédie, concernent
surtout les sciences exactes, des éléments de présentation historique de ces sciences
et de critique (épistémologique avant la lettre) de leurs concepts ; mais certains
d'entre eux, et non les moins importants, portent également sur des sujets plus
généraux de philosophie, d'éducation, de société, qui sont d'importance historique
par rapport aux débats de l'époque : tels les articles “Eléments des sciences”,
“Collège”, ou “Genève”, pour ne citer que ceux-là. Ces articles sont pour la
pluparttdes essais d'explication, pour un public large mais cultivé, des
connaissances en mathématiques, en physique et en astronomie, et des principaux
résultats théoriques aussi bien qu'expérimentaux et observationnels, en même
temps qu'une présentation et discussion critique des concepts et des théories
scientifiques, incluant une part d'exposé historique. La «vulgarisation» s'y fait
«épistémologique» avec pour propos explicite de “donner à comprendre”, de rendre
intelligibles les connaissances décrites. Les articles sur l'attraction, l'application de
l'algèbre à la géométrie, l'arithmétique universelle, le cas irréductible, la cause, le
calcul différentiel, la dynamique, l'expérimental, la Figure de la Terre, la force, la
64 D'Alembert [1751].
65 L'Encyclopédie rayonna surtout en Europe, mais elle fut influente également aux Amériques, du
Nord et du Sud, et parvint jusqu'en Inde.
66 Il est vrai que l'on entrerait ainsi dans des complications, puisque des parties de certains de ces
articles ont été reprises dans les Eléments de phillosophie. A tout le moins l'appareil critique
demandera une mise en rapport des textes philosophiques et de ces articles. Il serait en tout cas
dommage que les plus substantiels de ces derniers dussent être cantonnés à une édition électronique.
67 Cassirer [1932].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 23
68 Gusdorf [1971].
69 Paty [1984a, 1987a, 1998a et b].
70 Paty [1977, 1984a et b, 1994, 1998a et b].
71 Paty [1981].
72 Paty 1997].
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 24
des intérêts de l’étude des correspondances est de fournir un outil historique très
utile pour connaître les «réseaux» de relations qui animent les différents milieux
d'une époque donnée, et déterminés par des affinités intellectuelles et des positions
sociales81 .
D'une manière générale, la reconstitution du travail de d'Alembert dans
son contexte, et de ses circonstances, permet en même temps d'éclairer le mode de
fonctionnement de l'Académie Royale des Sciences, où le petit groupe des
«géomètres» et celui des «astronomes» (suivant les répartitions en vigueur à
l'Académie, qui compte aussi la classe des «mécaniciens»)82 orientent une partie
des discussions de l'époque relatives à la «philosophie naturelle». La question du
statut des mathématiques au siècle des Lumières, et du travail en mathématiques
pures, vers lequel des recherches théoriques s'orientent dès cette époque, mais
aussi des rapports entre mathématiques et physique, des mathématiques «mixtes»
qui se transforment alors en “sciences physico-mathématiques” sous le signe de
l'analyse (voir, par exemple, l'article “Mathématiques” de d'Alembert dans
l’Encyclopédie), qui renvoient aux études évoquées précédemment, n'est pas
restreinte à la sphère de la pensée mais renvoie à des aspects institutionnels en
rapport avec l’organisation de l’Académie Royale des sciences de Paris. Ces
approches multiples contribuent à enrichir notablement notre connaissance de
l’histoire des mathématiques au XVIII è siècle et devrait permettre d'en mieux saisir
les particularités et, partant, d'éclairer d'un nouveau jour la nature exacte des
changements qui se produisent dans ce domaine au début du XIX è siècle.
La question de l'invention technique est également liée à ces débats, et
si d'Alembert n'y a été intéressé que de loin (notamment par l'étude publiée avec
Bossut et Condorcet sur des expériences de résistance des fluides83 ), il reste que
les “experts” qui en jugeaient à l'Académie, c'est-à-dire les commissaires,
considéraient les mathématiques (la science des “Géomètres”), comme la science
fondamentale de référence.
Mentionnons encore d'autres interrogations sur les sciences au siècle
des Lumières, par rapport auxquelles la pensée de d'Alembert fournit des
indications privilégiées, mais qui, se rapportant à l'époque dans son ensemble,
permettent de situer les sciences dont il s'occupa par rapport aux autres. La question
des “débats sur la hiérarchie des sciences et leur enjeu dans la pensée et l’action des
Lumières” a été l'objet de contributions au X è Congrès international des Lumières
81 Mentionnons ici les recherches de Jeanne Peiffer sur le statut des échanges épistolaires et de son
évolution de la fin du 17e siècle au 18e siècle, celles d'Yves Gingras sur le “réseau cartésien”, les
études de Christian Gilain sur la correspondance entre Condorcet et Euler dans les années 1775-76
et sur le groupe de savants entourant Euler à Saint-Petersbourg (Gilain [1996, à paraître, a]), et
celles, actuellement en cours, d'Irène Passeron sur l’évaluation des tables de la Lune en confrontant
les cercles respectifs de d’Alembert, Clairaut et Euler (Passeron [1999, 2000a et b]).
82 Voir, en part., Gilain [à paraître, c]. Voir aussi les recherches d'Olivier Courcelle et Irène
Passeron sur la “Société des Arts” (à laquelle appartint Clairaut), concurrente de l’Académie des
Sciences dans les années 1730, prônant l’application des sciences théoriques aux “arts” (de la
fabrication d’instruments de mathématiques à la céramique en passant par le pilotage et la peinture),
et leur enrichissement réciproque, facilité par la réunion de ces compétences dans un même lieu
(Passeron [1994], Courcelle et Passeron [2000]). Sur les recherches historiques aux archives de
l'Académie des sciences, voir, en part., Crépel [1996b, c, d].
83 D'Alembert, Bossut et Condorcet [1777]. Voir aussi, dans le présent volume, l'étude de Jean-
Pierre Séris (Séris [2001]).
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 26
(Dublin, juillet 1999)84 , portant sur les sciences mathématiques, les sciences de la
nature et les sciences sociales. Les hiérarchies en question se manifestent de
diverses façons, lorsqu'une science tient un rôle de référence quant à ses méthodes,
sa forme, ses concepts, son langage, son type de rigueur, ses pratiques, ses
résultats, suscitant transferts et utilisations de certains de ces éléments vers une
autre discipline. Ces hiérarchies peuvent être éventuellement accompagnées ou
suscitées par les institutions, considérant, par exemple, la place des différentes
sciences dans la vie des académies ou dans l’enseignement.
Les recherches sur les milieux scientifiques au XVIII è siècle ont permis
de faire revivre plusieurs personnages, hommes (et femmes, mais il est vrai qu'elles
sont alors l'exception) de science, souvent académiciens, moins connus que les
premiers, mais qui ont contribué à constituer le tissu scientifique de la société de
l'époque. Certains sont «intermédiaires» en quelque sorte entre les grands savants
comme Euler, Clairaut, d'Alembert ou Lagrange, et les milieux d'ingénieurs,
d'admistrateurs et de techniciens, tels Bossut, Borda, Rochon, Marguerie ou
Musschenbroek, dont des extraits d'écrits ont souvent été repris dans
l'Encyclopédie (notamment par d'Alembert lui-même). Leur rôle n'a pas seulement
consisté à appliquer les théories des premiers à des problèmes techniques, ou à en
rectifier des erreurs : on leur doit une véritable pensée expérimentale et technique,
mieux adaptée à des applications de connaissances théoriques et à la conception
d'expériences systématiques, quantitatives et précises. Tel le chevalier de Borda,
officier et savant85 . J'aimerais y ajouter les grands captaines comme Bougainville
ou La Pérouse, qui étaient aussi des savants, formés aux sciences exactes, à la
géométrie et à l'astronomie (et dans le cas de Bougainville, par d'Alembert lui-
même)86 . L'astronome Lalande est un autre cas, dont on sait toute l'importance
concernant les questions d'observation, en contrepoint des calculs théoriques d'un
Clairaut et d'un d'Alembert87 . Un autre encore, du point de vue direct de
l'historiographie, est Montucla, qui fut le premier à se proposer de faire une
Histoire des mathématiques conçue d'une manière systématique ; la première
édition en deux volumes est contemporaine de d'Alembert, puisqu'elle parut en
1758 ; ce dernier y est inclus dans la seconde édition, qui incorpore le XVIII è
siècle, et fut publiée pendant la Révolution, de 1799 à 1801, en 4 volumes88 .
84 Denis et Gilain [à paraître]. Sur cette période, je dois signaler les travaux réalisés au sein de
l'équipe Rehseis (CNRS et Université Paris 7-Denis Diderot), depuis sa création en 1983 par
Roshdi Rashed, Christian Houzel et moi-même, en particulier les recherches collectives sur Les
sciences à l'époque de la Révolution française (Rashed [1988]), sur Condorcet (Crépel et Gilain
[1989], Chouillet et Crépel [1996]), et plus récemment celles du groupe de travail “Sciences et
Lumières” de cette équipe, animé par Gilles Denis et Christian Gilain, qui ont organisé la table-
ronde de Dublin.
85 Crépel [1999].
86 Il existe, sur Bougainville, une biographie un peu romancée et plutôt désuète, qui décrit ses
actions au Québec avec Montcalm et son voyage autour du monde, mais ne dit pratiquement rien de
sa formation scientifique auprès de d'Alembert (Dorsenne [1930]).
87 Un Colloque “D'Alembert, Lalande et l'astronomie”, organisé par Pierre Crépel avec le CNRS
et l'Université de Lyon 1, s'est tenu à Bourg-en-Bresse les 22-23 septembre 2000.
88 Une journée a été consacrée en 1999 à Montucla pour le bi-centenaire de sa mort en 1799,
autour de la réalisation de son ouvrage historique.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 27
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Mathématiques, 1996.
LE RU, Véronique [1996c]. Lumière et modèles dans la Dioptrique de Descartes,
paru dans les Actes de la 6e Journée Descartes savant du 19 octobre 1996,
Association des Amis du Musée Descartes, 1996.
LE RU, Véronique [1997]. L’apport de Voltaire dans le débat entre cartésiens et
newtoniens sur le système du monde, Histoire des sciences et des techniques,
CRDP de Bretagne, 1997.
LE RU, Véronique [1999a]. L’aigle à deux têtes de l’Encyclopédie : accords et
divergences de Diderot et d’Alembert entre 1751 et 1759, in Recherches sur Diderot
et l’Encyclopédie, 26.
LE RU, Véronique [1999b]. Les Éléments de philosophie de d’Alembert in Dioti, 4,
Ellipses, CRDP Midi-Pyrénées, 1999.
LE RU, Véronique [2000]. La Lettre sur les aveugles et le bâton de la raison, in
Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 28.
LE RU, Véronique [2001]. Réflexions sur le calcul infinitésimal et l’émergence de la
notion de limite dans l’œuvre de d’Alembert, Contribution au présent ouvrage.
LE RU, Véronique [à paraître, a]. La définition newtonienne des qualités des corps
en général, in La réception de Newton en France, Voltaire Foundation, à paraître.
LE RU, Véronique [à paraître, c]. La société des gens de Lettres dans l’Essai sur la
société des Gens de Lettres et des Grands de d’Alembert, Kairos, à paraître.
MAHEU, Gilles [1967]. La vie et l'œuvre de d'Alembert, Thèse d'histoire des
sciences, EHESS, Paris, 1967, 3 vols., dactyl.
MARTIN-VIOT, Florence [1994]. L'élaboration des principes variationnels en
dynamique, de Lagrange à Hamilton et Jacobi (DEA, Paris 7, Thèse de doctorat en
épistémologie et hisstoire des sciences, Université Paris 7-Denis Diderot, soutenue
le 4.11.1994
MERLEAU-PONTY, Jacques [1983]. La science de l'Univers à l'âge du positivisme.
Etude sur les origines de la cosmologie contemporaine, Vrin, Paris, 1983.
MICHEL, Alain [2001]. Calcul et métaphysique du calcul : la question des principes
de l'analyse au XVIIIème siècle, Contribution au présent ouvrage.
MONTUCLA, Jean-Etienne [1758-1801]. Histoire des mathématiques, 1 ère éd.,
Paris, 1758, 2 vol. ; 2e éd. étendue Paris, 4 vols., an VII-an X (1799-1801)
NAKATA, Ryoichi [2000]. D'Alembert's second resolution in Recherches sur la
Précession des équinoxes : comparison with Euler, Historia Scientiarum, 10-1,
2000, 58-76.
PASSERON , Irène [1994]. Clairaut et la figure de la Terre au dix-huitième siècle.
Cristallisation d’un nouveau style autour d’une pratique physico-mathématique,
Thèse de doctorat en Epistémologie et Histoire des sciences, Université Paris 7-
Denis Diderot, 19.12.1994.
PASSERON , Irène [1999] Maupertuis, passeur d’intelligibilité. De la cycloïde à
l’ellipsoïde aplati en passant par le “newtonianisme” : années parisiennes, in Hecht,
Hartmut (éd.), Pierre Louis Moreau de Maupertuis, Eine Bilanz nach 300 Jahren,
Berlin Verlag, Berlin, 1999, p. 17-33.
PASSERON , Irène [2000a]. L’épreuve des erreurs : le calcul sur les observations
astronomiques lors du voyage au Pérou, in Jean Dhombres (éd.) Actes du colloque
Bouguer, Nantes, 2000.
PASSERON , Irène [2000b]. Une mathématicienne au XVIIIème siècle : muse ou
élève ? Sur les lettres de Clairaut à Madame du Châtelet, in François de Gandt (éd.),
Newton à Cirey, Voltaire Foundation, Oxford, 2000.
MICHEL P ATY LES RECHERCHES ACTUELLES SUR D'ALEMBERT 33
2122.
PATY, Michel [à paraître, a]. D'Alembert, la science newtonienne et l'héritage
cartésien, Corpus (Paris), à paraître.
PATY, Michel [à paraître, b]. Principes de la mécanique et analyse chez d’Alembert.
Le point de vue conceptuel, à paraître.
PATY, Michel [à paraître, c]. Préface, découverte et signification dans les Traités
scientifiques de d'Alembert, Résumé de l'exposé au Séminaire Préfacer la science,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 5 décembre 1996.
PATY, Michel [à paraître, d]. Des sciences physico-mathématiques à la physique
mathématique au XVIIIè siècle, à paraître.
RASHED, Roshdi (ed.) [1988]. Sciences à l'époque de la Révolution française.
Recherches historiques, Blanchard, Paris, 1988.
ROERO, Clara Silvia [2001]. Jacob Hermann, sa vie, ses travaux et ses méthodes
analytiques, Contribution au présent ouvrage.
SCHWAB, Richard N. [1963]. Introduction and notes, in d'Alembert, Jean,
Preliminary Discourse of the Encyclopedia, Bobbs-Merril, 1963.
SCHWARTZ, Elisabeth [2001]. Le modèle mathématique de l'analyse vu par les
philosophes, contribution au présent ouvrage.
SERIS, Jean-Pierre [2001]. Le problème de la manoeuvre des vaisseaux à l’époque
de d’Alembert, Contribution au présent ouvrage.
SOUCHAY, Jean [2000]. La précession des équinoxes chez d'Alembert et à son
époque, Communication au Colloque D'Alembert, Lalande et l'astronomie, Bourg-
en-Bresse, 22-23 septembre 2000.
TATON, René [1984). D'Alembert, Euler et l'Académie de Berlin, Dix-huitième
siècle, n° 16, 1984, 55-68.
TOURNES, Dominique [1997]. L’intégration approchée des équations différentielles
ordinaires (1671-1914), Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq,
1997.
VERLEY, Jean-Luc [1989). Le statut des nombres complexes chez d'Alembert, in
Emery, Monzani [1989), p. 279-292.
VIARD, Jérôme [à paraître]. Le principe de d'Alembert et la conservation du
«moment cinétique» d'un système de corps isolés dans le Traité de dynamique, à
paraître.
VIARD, Jérôme et YOUSSOUF , Ismael [1997]. Les relations entre élasticité et dureté
dans le Traité de dynamique et dans l'Encyclopédie sont-elles compatibles ?
Application à la «déduction» des lois du choc des corps élastiques de celle des corps
durs, Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, n°22, avril 1997, 123-145.
VILAIN, Christiane [à paraître, a]. La question du centre d'oscillation de 1660 à
1700, Physis, à paraître.
VILAIN, Christiane [à paraître, b]. La question du centre d'oscillation de 1703 à
1743, Physis, à paraître.