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Philippe Blanchet
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 19/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 86.246.96.196)
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Philippe Blanchet
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Université Rennes 2
philippe.blanchet@univ-rennes2.fr
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de jeunes de milieux dits populaires. Plus largement, cette élaboration
participe à l’analyse de la langue comme moyen et objet de pouvoir,
à l’analyse des rapports de pouvoir, des processus de colonisation, de
domination et d’hégémonie. Cette analyse a été initialement développée
en sociolinguistique autour de Jean-Baptiste Marcellesi, Robert Lafont
ou Louis-Jean Calvet (1974 [2001]), en sociologie autour de Pierre
Bourdieu dans son célèbre ouvrage Ce que parler veut dire (1982) réédité
en 2001 sous le titre explicite Langage et pouvoir symbolique, en sociolo-
gie de l’école autour de Bernard Lahire, par exemple. On en trouve des
synthèses éclairantes dans les ouvrages de Josiane Boutet (2010 [2016])
ou de Jean-Marie Klinkenberg (2001).
Au Brésil, Marcos Bagno a développé une analyse équivalente en
termes de préjugés linguistiques. Des travaux parallèles, au Québec, ont
proposé de nommer le même phénomène linguicisme (sur le modèle de
racisme), terme proposé en anglais dès les années 1980 par Tove Skuttnab
Kangas. La question y a également été abordée sur le plan de l’hygiène
verbale (Cameron).
L’établissement du caractère illégitime des disparités de traitement
à prétexte linguistique rejoint les perspectives d’analyse des langues et
variétés comme attributs catégoriels contribuant à l’identification indi-
viduelle ou collective. En ce sens, les discriminations glottophobes
croisent les discriminations au prétexte de l’origine réelle ou supposée,
de la situation économique, du genre, par exemple.
La confirmation du caractère illégal du traitement différencié à
prétexte linguistique a permis d’identifier l’existence de droits linguis-
tiques affirmés par la plupart des grands textes de protection des droits
GLOTTOPHOBIE / 157
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autres langues (d’abord celles dites « régionales » puis celles dites « immi-
grées ») depuis le xixe siècle, le rejet de toute variation locale ou sociale
ou individuelle du français, considérée comme fautive par rapport à une
norme survalorisée, tout cela a installé dans la société la représentation
d’une légitimité de cette domination. L’école a été et reste l’instance
glottopolitique principale par laquelle l’État, aux mains des groupes
dominants, a inculqué une idéologie linguistique qui a transformé leur
domination en hégémonie. L’école est en effet souvent le lieu principal
où est cultivée, inculquée, justifiée l’hégémonie d’une certaine langue
(rarement plusieurs) et d’une certaine norme (idem) de cette langue. On
peut, dès lors, considérer qu’il existe dans certaines sociétés une glotto-
phobie structurelle, institutionnalisée, corrélée à un rapport difficile au
plurilinguisme et à la pluralité linguistique en particulier, ainsi qu’à la
diversité sociale en général (Blanchet & Clerc Conan, 2018).
De ce point de vue, l’analyse sociolinguistique permet l’analyse de la
société à partir de sa facette linguistique, ce qui engage à des croisements
interdisciplinaires avec la sociologie, les sciences politiques, les sciences
juridiques, l’histoire...
Le concept de glottophobie a connu une forte diffusion, à la fois
scientifique et sociale, à partir de la publication en 2016 du livre de
Blanchet qui a connu un large écho médiatique en France et dans
d’autres pays francophones (Belgique, Canada). Il a favorisé une sorte de
prise de conscience, surtout en ce qui concerne les variations régionales
de la prononciation du français, au point que les médias français se sont
emparés de plusieurs « affaires de glottophobie » en 2018 et 2020 à pro-
pos de personnalités politiques. Fin 2016, le prétexte linguistique (sous
la forme « capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français »)
158 / PHILIPPE BLANCHET
a été ajouté dans le code pénal français comme constituant une dis-
crimination. Plusieurs projets de loi ont également tenté d’y ajouter
« l’accent » bien que l’on puisse considérer qu’il est déjà couvert par
l’interdiction des discriminations au motif de « l’origine ». Des ouvrages
grand public ont été publiés sur la glottophobie notamment au pré-
texte de « l’accent ». Le milieu des médias, mis en cause, a commencé à
modifier ses positions (J’ai un accent, et alors ?, publié en 2020 par deux
journalistes célèbres).
L’idée même de discrimination glottophobe a été remise en question,
de façon ponctuelle, par des linguistes qui considèrent que la langue est
un outil dont la personne peut librement changer ou, plus souvent, par
des personnes qui soutiennent un fonctionnement social pyramidal et
une hiérarchisation des langues.
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À l’inverse, ce concept a été bien accueilli dans les autres champs
d’études des discriminations et des inégalités, subaltern and postcolonial
studies, comme contribuant à la compréhension des cumuls de discri-
minations dits intersectionnels. La remise en question radicale de toute
hiérarchie établie entre langues ou entre variétés (y compris normative)
d’une même langue, posée comme idéologique et arbitraire, aux services
des groupes dominants, a fait l’objet de contestations politiques révéla-
trices des enjeux sociétaux profonds de la question.
Références bibliographiques
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