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QUAND LA NUIT VAMPIRISE LE JOUR : RÉINVENTER LES CODES DE LA

« CLUB CULTURE »
© Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 26/01/2023 sur www.cairn.info par jrad yassine via FSHS Tunis - CNUDST (IP: 41.229.252.74)

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Entretien avec Cédric Dujardin, Propos recueillis par Vincent Guillon, Alice-Anne
Jeandel

Observatoire des politiques culturelles | « L'Observatoire »

2019/1 N° 53 | pages 52 à 54
ISSN 1165-2675
DOI 10.3917/lobs.053.0052
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2019-1-page-52.htm
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© Gaétan Clément

Le Sucre - Le Bonbon
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QUAND LA NUIT VAMPIRISE LE JOUR :
RÉINVENTER LES CODES DE LA « CLUB CULTURE »
Entretien avec Cédric Dujardin. Propos recueillis par Vincent Guillon et Alice-Anne Jeandel

Le Sucre est un lieu culturel créé à Lyon dans le sillage du festival de musiques électroniques
Nuits sonores. Il est géré par la société Culture Next, filiale de l’association Arty Farty. Il
cherche à revisiter les pratiques du « clubbing » et contribue, à travers sa programmation
transdisciplinaire et son dialogue avec les pouvoirs publics, à la reconnaissance d’une
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nouvelle génération d’établissements de nuit. Programmation diurne et nocturne, liberté
et sécurité, techno house et drag-queen sont au menu de la rencontre.

L’Observatoire – Les musiques électro- tendance à réinvestir le créneau de l’avant Quand on a ouvert Le Sucre, on a tout
niques peuvent-elles se passer de la nuit. On vit une vraie révolution à Lyon avec de suite été catalogué comme une boîte
nuit ? Le Sucre et Nuits sonores : la fin de journée, techno. Il a fallu qu’on démontre que
le début de soirée et même le dimanche c’était un lieu culturel qui programme
Cédric Dujardin – La musique électro- après-midi attirent plus de monde que la aussi bien de la techno que de la musique
nique est d’abord underground et cachée. nuit. On va même enfoncer le clou puisque, africaine et du roller-disco. C’est juste-
Dans les clubs et les discothèques de la pour les futures éditions, les étapes de jour ment là que se situe notre intention. On
fin des années 1980, on la mettait le plus du festival vont prendre davantage de place veut décloisonner, casser les codes de la
tard possible. Ce qui l’a vite cantonnée au que les étapes de nuit. On réinvente les « club culture » et affirmer que la nuit
créneau de la nuit. Pour autant, est-ce que codes de la « club culture ». Pour autant, peut appartenir à tout le monde. Et on
ça veut dire que les artistes de musique l’expérience que nous faisons vivre au public s’aperçoit qu’on arrive beaucoup mieux à
électronique ont besoin de la nuit pour n’en est pas moins forte. La nuit vampirise le faire en journée et à l’heure de l’apéro
exister ? Je ne pense pas. Ils travaillent le jour en quelque sorte. où la mixité des publics est plus forte. Il y a
leurs morceaux et préparent leur set en beaucoup plus d’éclectisme et de porosité.
journée. C’est d’ailleurs cette conviction qui L’Observatoire – Quels sont les profils On assiste donc à un renversement de
m’a poussé à défendre l’idée qu’un artiste des publics de Nuits sonores et du situation par rapport à ce qu’apportait
électro pouvait très bien jouer à l’apéro. Et, Sucre ? Circulent-ils facilement entre la nuit auparavant, ce moment où le fan
aujourd’hui, cette tendance est amenée à les différents imaginaires, esthétiques de hip-hop se retrouvait avec une drag-
se développer pour de multiples raisons. La et communautés présents dans vos queen. C’est moins vrai aujourd’hui.
première tient à la maturité des musiques programmations ?
électroniques. Une partie des fans incon- L’Observatoire – La nuit favorise l’expé-
ditionnels de cette musique a aujourd’hui C. D. – La nuit est devenue plus segmentée : rience des interdits et la transgression
entre 40 et 50 ans. Ils ont toujours envie il y a les clubs gays, hip-hop, techno, etc. des normes. En tant qu’exploitant vous
d’en écouter, de vivre l’expérience qu’elle Elle est devenue moins éclectique. Pour devez composer avec des obligations
offre mais sans attendre 3h du matin ! Le notre offre de nuit au Sucre, nous sommes en termes de sécurité, de prévention,
public vieillit, il a des attentes plutôt diurnes obligés d’éditorialiser davantage en propo- de santé, de gestion des foules, de
que nocturnes. Par ailleurs, la nuit apporte sant des thématiques : le club hip-hop, le tranquillité publique, etc. Comment
son lot de difficultés pour un exploitant. club « garçons sauvages », le club house gérer ce qui s’apparente à un paradoxe ?
Quand les gens arrivent dans un lieu à 1h musique… On éditorialise car on réussit C’est-à-dire laisser une part de liberté
du matin, ils ont déjà pris l’apéro et il est de moins en moins à faire coexister des ou d’excentricité et en même temps
plus difficile de maîtriser les débordements publics différents sur une même soirée. sécuriser ?
qui peuvent aller avec. Enfin, l’exploita- Le public intéressé par le hip-hop vient
tion commerciale d’un lieu est souvent plus passer la nuit au Sucre parce qu’il sait qu’une C. D. – Tout ce qui n’est pas interdit par
rentable de 18h30 à 1h du matin quand les communauté hip-hop sera présente. En la loi est autorisé au Sucre. Si des garçons
gens sont davantage enclins à consommer revanche, ça n’intéressera pas le public veulent se faire des bisous, si des gens
au bar. Pour toutes ces raisons, on a plutôt « garçons sauvages ». veulent se mettre torse nu pour danser,

l’Observatoire - No 53, hiver 2019 - dossier | page 53


qui dort. Je pense qu’on peut installer un
lieu de nuit festif n’importe où à Lyon si on
arrive à prouver aux pouvoirs publics qu’on
peut maîtriser les nuisances sonores. À
Lyon, la bienveillance des pouvoirs publics
est telle qu’ils ont été très favorables à ce
qu’un établissement comme Le Sucre ouvre
en centre-ville et non pas très loin dans la
campagne. Nous avons réalisé un énorme
investissement pour respecter les normes
acoustiques drastiques qui nous ont été
imposées. Nous avons quasiment créé une
boîte dans la boîte pour être en capacité
© Gaétan Clément

d’assurer cette insonorisation. Je sais que


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certains patrons de discothèques et d’éta-
Le Sucre
blissements pérennes mènent un combat
contre toutes les soirées organisées dans des
partir en transe… ils peuvent le faire à partir plus de fermeture administrative dues aux bars associatifs, des tiers-lieux ou des lieux
du moment où ils se respectent eux-mêmes comportements individuels de nos clients. éphémères qui ne respectent pas les règles
et où ils respectent les autres. En même C’est déjà une prise de conscience politique. imposées aux établissements de nuit. De
temps, je considère que les jeunes doivent À cet égard, la Charte de la Vie nocturne à notre côté, à Nuits sonores et au Sucre, on
pouvoir venir au Sucre sans mettre leur vie Lyon est un bel exemple de réussite et de défend plutôt un point de vue inverse en
en danger. Mais la nuit est très difficile à lien entre les pouvoirs publics et les patrons considérant que tout ce qui anime la ville
gérer. Il y a quelques années, quand on d’établissements de nuit. La réunion que n’est pas en concurrence avec nos établis-
était patron d’une discothèque, il fallait nous avons eu récemment à la mairie, avec sements pérennes mais que cela nourrit
qu’il n’y ait surtout pas de problèmes à les services des pompiers, les services de l’écosystème sur lequel nous reposons.
l’intérieur. Donc on les cachait, on les police et l’ensemble des acteurs de la nuit, Nous préférons soutenir ces petites struc-
balayait, on les mettait dehors pour ne pour présenter les nouvelles drogues est tures underground pour les aider à être dans
pas être « dans le collimateur des pouvoirs tout simplement incroyable ! L’adjoint à la les clous et ne pas mettre en danger la
publics ». Aujourd’hui, on travaille de plus sécurité de la ville, le préfet, des médecins vie d’autrui, à ouvrir des établissements
en plus avec les pouvoirs publics pour que et la police expliquaient aux patrons de en connaissant les normes. On essaye de
le comportement individuel des clients ne boite de nuit la situation liée aux drogues porter une fonction d’incubation et de
soit pas imputé au responsable d’un établis- de synthèse achetées sur Internet non pour soutien à la vie associative nocturne afin
sement. Il faut avoir conscience qu’on est faire fermer les établissements mais plutôt qu’elle soit riche et diverse, mais qu’elle
finalement la seule profession où l’on peut pour nous informer de ce qui est en train de soit aussi gérée le plus professionnellement
faire fermer un établissement, par exemple, se passer et dont nous serons forcément les possible. Aujourd’hui, les jeunes créateurs
pour un problème de drogue. Or, quand la victimes. Une telle réunion n’aurait jamais d’établissements sont des dirigeants de
police découvre un paquet de drogue dans été imaginable dans les années 90. start-ups, les start-ups de la nuit. Ce n’est
un avion, on ne ferme pas la compagnie plus la génération des anciens patrons de
aérienne ! Les villes voient bien l’impor- L’Observatoire – Arty Farty a contribué à discothèque qui avaient une hégémonie sur
tance de la nuit pour leur attractivité mais construire une nouvelle image de Lyon, la vie nocturne. C’est un véritable change-
on ne peut pas vouloir une ville dynamique plus dynamique, jeune et branchée. ment de paradigme pour la vie nocturne,
et, en même temps, sanctionner un patron Le rayonnement international de la et ce qui se passe à Lyon est très positif.
d’établissement chaque fois qu’il y a un ville passe aujourd’hui aussi par la
problème de stupéfiant. Il y a un réel intérêt nuit. Comment interprétez-vous cet Entretien avec Cédric Dujardin
Directeur du Sucre et de Culture Next, Lyon
à travailler en commun avec les pouvoirs attrait des pouvoirs publics pour la vie
publics. De mon côté, je m’assure que mes nocturne qui ne semble plus repoussée
barmans et mes agents de sécurité soient à l’extérieur du centre-ville comme ce Propos recueillis par Vincent Guillon
Directeur adjoint de l’Observatoire des politiques culturelles
bien sensibilisés aux problèmes que l’on fut le cas auparavant ? Chercheur associé à PACTE
peut rencontrer dans nos établissements. Le et
cas échéant, nous en informons la police et C. D. – La vie et les festivités nocturnes Alice-Anne Jeandel
Responsable des formations,
lui ouvrons nos portes pour qu’elle prenne sont des facteurs d’attractivité pour Observatoire des politiques culturelles
en charge ces problèmes. On est en train le tourisme. Une ville dynamique est
de travailler actuellement à ce qu’il n’y ait beaucoup plus intéressante qu’une ville

page 54 | l’Observatoire - No 53, hiver 2019 - dossier

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