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Littérature du XIXème

En France, à la fin du XVIIIème, il y a pas moins de 28 millions d'habitants. Un homme sur 2 signe,
ainsi qu'une femme sur 4 : on est très loin de l'alphabétisme, le XVIIIème ne marque pas le début de
l'instruction.

Le XIXème siècle est un siècle de massification, la culture de masse apparaît progressivement.

La révolution industrielle et le capitalisme viennent d'Angleterre, le XVIIIème et le XIXème siècle


sont anglais, notamment grâce à l'influence des économistes et philosophes britanniques.
L'Angleterre s'impose partout, la langue anglaise se diffuse largement, notamment à cause de la
rafle des anglais dans de nombreuses colonies canadiennes, indiennes, …

En France, les ports connaissent une grande croissance, le pays se rattache à la Lorraine, à la Corse…
Mais, la révolution française n'amène pas la prospérité.
En France, c'est l'évolution urbaine, les idées révolutionnaires sont propagées par Napoléon, qui
prend le pouvoir en 1799.
Napoléon laisse des traces : droit au divorce (même si inégal pour la femme), création de la banque
de France, développement de l'armée (apparition de la chair à canon), laïcité, …
Une culture de gauche se propage au XIXème siècle.
Le XIXème siècle, c'est un essor technologique, le développement du capitalisme, le naturalisme, ...

Un mouvement littéraire est visible dans tous les arts. Un mouvement, c'est un rapport au monde,
une idéologie, qui épouse une esthétique et trouve des moyens d'expression différents selon les
arts.

I. Le romantisme
1. Triomphe de la virilité

Au XIXème siècle, c'est le triomphe de la virilité. Socialement, la femme n'a pas plus de chance que
lors des siècles précédents. Dans Histoire naturelle, Buffon explique que les femmes ont pour charge
d'apporter le bien-être dans le foyer.
"La femme est et l'homme devient" : le progrès vient de l'homme, il est soumis à un perpetuel
agrandissement de soi.
La virilité de l'homme lui permet d'occuper tous les espaces politiques, auxquels la femme n'a pas
accès.
Comment rendre compatible un foyer agréable et stable avec une intensité des sentiments ?
Comment combiner la stabilité du foyer avec l'énergie et la fougue sexuelle de l'homme ?
Avec le french system : les maisons closes. Elles sont le moyen de rendre compatible cette vision de
l'homme avec le développement du foyer stable (engagement, tendresse, développement du
sentiment).

Il fallait que l'homme contrôle sa force au sein du foyer, qu'il soit fertile. Les maisons closes étaient
le lieu de virilité sans atteinte à la vie domestique et à l'engagement marital.
C'était un besoin qui devait être réalisé pour maintenir l'ordre familial.

2. Le romantisme
Le XIXème siècle rime avec mélancolie, liberté, individualité, totalité et engagement.

Quelques auteurs romantiques français : George Sand, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alfred de
Musset, Châteaubriand, Lamartine…

Le romantisme est né en Allemagne au XVIIIème siècle. En France, ce mouvement littéraire sera un


succès entre 1810 et 1820.

Les romantiques étaient des êtres insatisfaits, déchirés, ambitieux, réformateurs, mélancoliques.
Le romantisme, c'est la capacité de sentir, de se souvenir, de souffrir, de toucher ce qu'il y a de plus
personnel dans chaque individu.

Chacun prétend pouvoir établir ses propres règles, se forger son propre style. Il y a une libération à
l'égard des règles. Il y a une passion pour la nature, un exotisme.

La tristesse romantique s'empare d'une partie du peuple (ceux qui ont accès à la culture, l'élite). Le
spleen était à la mode.

Les romantiques avaient envie de faire quelque chose de la vie, d'éprouver, de ressentir.

Les générations de romantiques ne sont pas que dans l'idéalisme sur le plan amoureux, mais aussi
dans le rapport au corps, le rapport charnel.

Le romantique aime la rêverie, la solitude, la souffrance, … Il est lié à un sentiment de supériorité. Il


prône une vie plus large que longue, agrandie par l'action.

Les romantiques, c'est la génération qui arrive après la révolution. Ils se sentent exilés.
Thèmes : prison, cachot (symboliques), ennui, désolation, mort.
Méditations, de Lamartine, 1820
Vers 1820, dans Méditations, Lamartine illustre cette découverte des profondeurs.

L'automne, de Alphonse de Lamartine

Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !


Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,


J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,


A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,


Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,


Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie


Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore


Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;


A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
On dirait une lettre de suicide, Lamartine semble osciller entre la mort et le regret de la beauté d'un
monde dont il n'a pas su assez profiter.
"Je" est au centre du texte, il prend le temps d'explorer.

Lamartine traite du rapport au monde. Le sujet se sent comme dévoré par le monde qui l'entoure,
ne fait qu'un avec le monde, avec l'univers. Le monde, la nature, est en lui. Il y a un sentiment de
communion total.
Lamartine considère l'univers comme un état intérieur de ses émotions.

Caractéristique du romantisme : le lyrisme.

Quelques tableaux romantiques :


- Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages de Caspar David Friedrich (1818)
Individualité, contemplation, infini, idée que quelque chose dépasse le corps
- La liberté guidant le peuple de Delacroix (1830)
Traits flous, seule importe l'explosion de couleurs, l'explosion de sentiments (romantique)
- Le radeau de La méduse de Théodore Géricault (1819)

Le firmament est plein de la vaste clarté, de Victor Hugo, 1856

Le firmament est plein de la vaste clarté ;


Tout est joie, innocence, espoir, bonheur, bonté.
Le beau lac brille au fond du vallon qui le mure ;
Le champ sera fécond, la vigne sera mûre ;
Tout regorge de sève et de vie et de bruit,
De rameaux verts, d'azur frissonnant, d'eau qui luit,
Et de petits oiseaux qui se cherchent querelle.
Qu'a donc le papillon ? qu'a donc la sauterelle ?
La sauterelle à l'herbe, et le papillon l'air;
Et tous deux ont avril, qui rit dans le ciel clair.
Un refrain joyeux sort de la nature entière;
Chanson qui doucement monte et devient prière.
Le poussin court, l'enfant joue et danse, l'agneau
Saute, et, laissant tomber goutte à goutte son eau,
Le vieux antre, attendri, pleure comme un visage ;
Le vent lit à quelqu'un d'invisible un passage
Du poëme inouï de la création ;
L'oiseau parle au parfum; la fleur parle au rayon ;
Les pins sur les étangs dressent leur verte ombelle ;
Les nids ont chaud ; l'azur trouve la terre belle,
Onde et sphère, à la fois tous les climats flottants ;
Ici l'automne, ici l'été ; là le printemps.
O coteaux ! ô sillons ! souffles, soupirs, haleines !
L'hosanna des forêts, des fleuves et des plaines,
S'élève gravement vers Dieu, père du jour;
Et toutes les blancheurs sont des strophes d'amour ;
Le cygne dit: Lumière! et le lys dit: Clémence
Le ciel s'ouvre à ce chant comme une oreille immense.
Le soir vient ; et le globe à son tour s'éblouit,
Devient un oeil énorme et regarde la nuit ;
Il savoure, éperdu, l'immensité sacrée,
La contemplation du splendide empyrée,
Les nuages de crêpe et d'argent, le zénith,
Qui, formidable, brille et flamboie et bénit,
Les constellations, ces hydres étoilées,
Les effluves du sombre et du profond, mêlées
A vos effusions, astres de diamant,
Et toute l'ombre avec tout le rayonnement !
L'infini tout entier d'extase se soulève.
Et, pendant ce temps-là, Satan, l'envieux, rêve.

C'est une œuvre poétique qui se divise en deux parties : autrefois et aujourd'hui.
Autrefois raconte ce qui est perdu. Quant à aujourd'hui, il raconte l'existence brisée et tous les
idéaux déçus (consacré à Léopoldine, sa fille décédée).
C'est un texte de synthèse sur 25 années de vie.

Victor Hugo est le fils d'un couple qui se déchire, il vit déménagement sur déménagement, c'est un
enfant du début du XIXème.

Victor Hugo devient le chef de file d'un groupe de romantiques (Musset, Dumas…) qui parlent de
leur individualité.

Victor Hugo est audacieux, provocateur, il défie la censure.


En 1941, il rejoint l'Académie française. En 1948, il est élu député. Se détournant de Bonaparte, il est
menacé d'arrestation. Hugo s'enfuit et se réfugie à Bruxelles.
Son exil participe à créer une véritable légende autour de Victor Hugo, qui devient un poète national.
En 1870, il est accueilli comme un prince à Paris. Quand il meurt en 1885, il a des funérailles
nationales et est inhumé au Panthéon.
Notre Dame de Paris, de Victor Hugo, 1831
Quasimodo est laid, mais il a une beauté intérieure et une bonté morale. Esméralda, elle, est une
tzigane, une danseuse, elle est dangereuse, considérée comme une sorcière coupable du désir
qu'elle suscite chez les hommes.

Amour courtois : don de soi, convoitise respectueuse. Le romantisme se détache des questions de
classes.

De l'amour, de Stendhal, 1822


Cristallisation de l'amour : la sublimation de l'être aimé.

Le rouge et le noir, de Stendhal, 1830


Coup de foudre, mais pas de reconnaissance de l'autre. Amour passion modulé par le social.
Avec son roman, Stendhal a une volonté réaliste.
La rencontre amoureuse n'est pas idéalisée, c'est la rencontre de deux milieux sociaux qui ont des à
priori.

Au XIXème siècle, c'est le naturalisme des représentations sociales.


Les inégalités hommes/femmes sont justifiées par la médecine et la théologie (cf. Buffon, Histoire
naturelle).
L'homme doit dominer, doit assumer une image dure, forte. Les maîtresses sont admises dans le
modèle du ménage à l'époque, l'homme étant un être rempli de fougue et de désir, il est naturel et
toléré de tromper sa femme.

La femme est censée ne pas avoir de désir, alors lorsqu'elle trompe l'homme, c'est par vice.

Le XIXème, c'est aussi des lieux d'entre soi : des cabarets, bars, le service militaire...
La "pédoplégie" règne : c'est l'apprentissage par les coups. La violence est inculquée dès le plus
jeune âge.

Le romantisme, ce n'est pas forcément parler de soi, mais parler du monde. La question sociale est
plus qu'importante.
Démesure, importance d'émouvoir, mélancolie, placer le moi au centre de l'intérêt, le romantisme
est aussi centré sur la psychologie (qui suis-je, qu'est-ce que le moi).

Le drame doit peindre totalement la réalité des choses, c’est un mélange de tons et de genres.
Ruy Blas est parfois très tragique, puis parfois très comique. On perd le cloisonnement des genres.
Le drame romantique ne se départit pas de l'alexandrin, ce qui n'est pas très vraisemblable et
réaliste.

Graziella, de Lamartine, 1852


L’héros se rend compte qu'il est amoureux d'elle alors qu'elle vient d'accepter un mariage et de fuir
dans un couvent.
L’amour est embelli par l'imagination. On dépasse le libertinage du XVIIIe et le plaisir de la chair. La
cristallisation laisse de la place à l'imaginaire.

"XVII
Aucun bruit ne sortait de la maison. Je collai mon oreille au seuil, je crus entendre le faible bruit d'une
respiration et comme des sanglots au fond de la seconde chambre. Je fis trembler légèrement la
porte comme si elle eût été seulement ébranlée sur ses gonds par le vent, afin d'appeler peu à peu
l'attention de Graziella et pour que le son soudain et inattendu d'une voix humaine ne la tuât pas en
l'appelant.
La respiration s'arrêta. J'appelai alors Graziella, à demi-voix et avec l'accent le plus calme et le plus
tendre que je pus trouver dans mon coeur. Un faible cri me répondit du fond de la maison. J'appelai
de nouveau en la conjurant d'ouvrir à son ami, à son frère qui venait seul, la nuit, à travers la
tempête et guidé par son bon ange, la chercher la découvrir, l'arracher à son désespoir lui apporter le
pardon de sa famille, le sien, et la ramener à son devoir à son bonheur à sa pauvre grand-mère, à ses
chers petits enfants !
"Dieu ! c'est lui ! c'est mon nom ! c'est sa voix !” s'écria-t-elle sourdement.
Je l'appelai plus tendrement Graziellina, de ce nom de caresse que je lui donnais quelquefois quand
nous badinions ensemble.
"Oh ! c'est bien lui, dit-elle. Je ne me trompe pas, mon Dieu ! c'est lui !” Je l'entendis se soulever sur
les feuilles sèches qui bruissaient à chacun de ses mouvements, faire un pas pour venir m'ouvrir puis
retomber de faiblesse ou d'émotion sans pouvoir aller plus avant.

XVIII
Je n'hésitai plus ; je donnai un coup d'épaule de toutes les forces de mon impatience et de mon
inquiétude à la vieille porte, la serrure céda et se détacha sous l'effort, et je me précipitai dans la
maison.
La petite lampe rallumée devant la Madone par Graziella l'éclairait d'une faible lueur. Je courus au
fond de la seconde chambre où j'avais entendu sa voix et sa chute, et où je la croyais évanouie. Elle
ne l'était pas. Seulement sa faiblesse avait trahi son effort; elle était retombée sur le tas de bruyère
sèche qui lui servait de lit, et joignait ses mains en me regardant. Ses yeux animés par la fièvre,
ouverts par l'étonnement et alanguis par l'amour brillaient fixes comme deux étoiles dont les lueurs
tombent du ciel, et qui semblent vous regarder. Sa tête, qu'elle cherchait à relever retombait de
faiblesse sur les feuilles, renversée en arrière et comme si le cou était brisé. Elle était pâle comme
l'agonie, excepté sur les pommettes des joues teintes de quelques vives roses. Sa belle peau était
marbrée de taches de larmes et de la poussière qui s'y était attachée. Son vêtement noir se
confondait avec la couleur brune des feuilles répandues à terre et sur lesquelles elle était couchée.
Ses pieds nus, blancs comme le marbre, dépassaient de toute leur longueur le tas de fougères et
reposaient sur la pierre. Des frissons couraient sur tous ses membres et faisaient claquer ses dents
comme des castagnettes dans une main d'enfant. Le mouchoir rouge qui enveloppait ordinairement
les longues tresses noires de ses beaux cheveux était détaché et étendu comme un demi-voile sur son
front jusqu'au bord de ses yeux. On voyait qu'elle s'en était servie pour ensevelir son visage et ses
larmes dans l'ombre comme dans l'immobilité anticipée d'un linceul, et qu'elle ne l'avait relevé qu'en
entendant ma voix et en se plaçant sur son séant pour venir m'ouvrir.

XIX
Je me jetai à genoux à côté de la bruyère ; je pris ses deux mains glacées dans les miennes ; je les
portai à mes lèvres pour les réchauffer sous mon haleine ; quelques larmes de mes yeux y tombèrent.
Je compris, au serrement convulsif de ses doigts, qu'elle avait senti cette pluie du coeur et qu'elle
m'en remerciait. J'ôtai ma capote de marin. Je la jetai sur ses pieds nus. Je les enveloppai dans les plis
de la laine.
Elle me laissait faire en me suivant seulement des yeux avec une expression d'heureux délire, mais
sans pouvoir encore s'aider elle-même d'aucun mouvement, comme un enfant qui se laisse
emmailloter et retourner dans son berceau. Je jetai ensuite deux ou trois fagots de bruyère dans le
foyer de la première chambre pour réchauffer un peu l'air. Je les allumai à la flamme de la lampe, et
je revins m'asseoir à terre à côté du lit de feuilles.
"Que je me sens bien !” me dit-elle en parlant tout bas, d'un ton doux, égal et monotone, comme si sa
poitrine eût perdu à la fois toute vibration et tout accent et n'eût plus conservé qu'une seule note
dans la voix.
"J'ai voulu en vain me le cacher à moi-même, j'ai voulu en vain te le cacher toujours, à toi. Je peux
mourir mais je ne peux pas aimer un autre que toi. Ils ont voulu me donner un fiancé, c'est toi qui es
le fiancé de mon âme ! Je ne me donnerai pas à un autre sur la terre, car je me suis donnée en secret
à toi ! Toi sur la terre, ou Dieu dans le ciel ! c'est le voeu que j'ai fait le premier jour où j'ai compris
que mon coeur était malade de toi. Je sais bien que je ne suis qu'une pauvre fille indigne de toucher
seulement tes
pieds par sa pensée. Aussi je ne t'ai jamais demandé de m'aimer. Je ne te demanderai jamais si tu
m'aimes. Mais moi, je t'aime, je t'aime, je t'aime !”
Et elle semblait concentrer toute son âme dans ces trois mots.
"Et maintenant, méprise-moi, raille-moi, foule-moi aux pieds ! Moque-toi de moi, si tu veux, comme
d'une folle qui rêve qu'elle est reine dans ses haillons. Livre-moi à la risée de tout le monde! Oui, je
leur dirai moi-même : "Oui, je l'aime ! et si vous aviez été à ma place, vous auriez fait comme moi,
vous seriez mortes ou vous l'auriez aimé !"”

XX
Je tenais les yeux baissés, n'osant les relever sur elle, de peur que mon regard ne lui en dît trop ou
trop peu pour tant de délire. Cependant je relevai, à ces mots, mon front collé sur ses mains, et je
balbutiai quelques paroles.
Elle me mit le doigt sur les lèvres.
" Laisse-moi tout dire : maintenant je suis contente ; je n'ai plus de doute, Dieu s'est expliqué. Écoute
: "Hier quand je me suis sauvée de la maison après avoir passé toute la nuit à combattre et à pleurer
à ta porte; quand je suis arrivée ici à travers la tempête, j'y suis venue croyant ne plus te revoir
jamais, et comme une morte qui marcherait d'elle-même à la tombe. Je devais me faire religieuse
demain, aussitôt le jour venu. Quand je suis arrivée la nuit à l'île et que je suis allée frapper au
monastère, il était trop tard, la porte était fermée. On a refusé de m'ouvrir. Je suis venue ici pour
passer la nuit et baiser les murs de la maison de mon père avant d'entrer dans la maison de Dieu et
dans le tombeau de mon coeur. J'ai écrit par un enfant à une amie de venir me chercher demain. J'ai
pris la clef. J'ai allumé la lampe devant la Madone. Je me suis mise à genoux et j'ai fait un voeu, un
dernier voeu, un voeu d'espérance jusque dans le désespoir. Car tu sauras, si jamais tu aimes, qu'il
reste toujours une dernière lueur de feu au fond de l'âme, même quand on croit que tout est éteint.
"Sainte protectrice, lui ai-je dit, envoyez-moi un signe de ma vocation pour m'assurer que l'amour ne
me trompe pas et que je donne véritablement à Dieu une vie qui ne doit appartenir qu'à lui seul !"
Voici ma dernière nuit commencée parmi les vivants. Nul ne sait où je la passe. Demain peut-être on
viendra me chercher ici quand je n'y serai déjà plus. Si c'est l'amie que j'ai envoyé avertir qui vient la
première, ce sera signe que je dois accomplir mon dessein, et je la suivrai pour jamais au monastère.
"Mais si c'était lui qui parût avant elle !... lui, qui vînt, guidé par mon ange, me découvrir et m'arrêter
au bord de mon autre vie !... Oh ! alors, ce sera signe que vous ne voulez pas de moi, et que je dois
retourner avec lui pour l'aimer le reste de mes jours !" Faites que ce soit lui ! ai-je ajouté. Faites ce
miracle de plus, si c'est votre dessein et celui de Dieu ! Pour l'obtenir je vous fais un don, le seul que je
puisse faire, moi qui n'ai rien. Voici mes cheveux, mes pauvres et longs cheveux qu'il aime et qu'il
dénoua si souvent en riant pour les voir flotter au vent sur mes épaules. Prenez-les, je vous les donne,
je vais les couper moimême pour vous prouver que je ne me réserve rien, et que ma tête subit
d'avance le ciseau qui les couperait demain en me séparant du monde."”
A ces mots, elle écarta, de la main gauche le mouchoir de soie qui lui couvrait la tête, et prenant de
l'autre le long écheveau de ses cheveux coupés et couchés à côté d'elle sur le lit de feuilles, elle me les
montra en les déroulant.
"La Madone a fait le miracle !” reprit-elle avec une voix plus forte et avec un accent intime de joie.
"Elle t'a envoyé ! J'irai où tu voudras. Mes cheveux sont à elle. Ma vie est à toi !”
Je me précipitai sur les tresses coupées de ses beaux cheveux noirs, qui me restèrent dans les mains
comme une branche morte détachée de l'arbre. Je les couvris de baisers muets, je les pressai contre
mon coeur, je les arrosai de larmes comme si c'eût été une partie d'elle-même que j'ensevelissais
morte dans la terre. Puis, reportant les yeux sur elle, je vis sa charmante tête qu'elle relevait toute
dépouillée, mais comme parée et embellie de son sacrifice, resplendir de joie et d'amour au milieu
des tronçons noirs et inégaux de ses cheveux déchirés plutôt que coupés par les ciseaux. Elle
m'apparut comme la statue mutilée de la Jeunesse dont les mutilations mêmes du temps relèvent la
grâce et la beauté en ajoutant l'attendrissement à l'admiration. Cette profanation d'elle-même, ce
suicide de sa beauté pour l'amour de moi, me portèrent au coeur un coup dont le retentissement
ébranla tout mon être et me précipita le front contre terre à ses pieds. Je pressentis ce que c'était
qu'aimer et je pris ce pressentiment pour de l'amour !”

Critique de Flaubert :
"Causons un peu de Graziella. C’est un ouvrage médiocre, quoique la meilleure chose que Lamartine
ait faite en prose. Il y a de jolis détails : le vieux pêcheur couché sur le dos avec les hirondelles qui
rasent ses tempes, Graziella attachant son amulette au lit, travaillant au corail, deux ou trois belles
comparaisons de la nature, telles qu’un éclair par intervalles qui ressemble à un clignement d’œil :
voilà à peu près tout. Et d’abord, pour parler clair, la baise-t-il ou ne la baise-t-il pas ? Ce ne sont pas
des êtres humains, mais des mannequins. Que c’est beau, ces histoires d’amour où la chose principale
est tellement entourée de mystère que l’on ne sait à quoi s’en tenir, l’union sexuelle étant reléguée
systématiquement dans l’ombre comme boire, manger, pisser, etc.! Le parti pris m’agace. Voilà un
gaillard qui vit continuellement avec une femme qui l’aime et qu’il aime, et jamais un désir ! Pas un
nuage impur ne vient obscurcir ce lac bleuâtre ! Ô hypocrite ! S’il avait raconté l’histoire vraie, que
c’eût été plus beau ! Mais la vérité demande des mâles plus velus que M. de Lamartine. Il est plus
facile en effet de dessiner un ange qu’une femme : les ailes cachent la bosse. Autre chose : c’est dans
un désespoir qu’il visite Pompéi, le Vésuve, etc., ce qui était une manière bien intelligente de
s’instruire, par parenthèse. Et là, pas un mot d’émotion, tandis que nous avons passé au
commencement par l’éloge de Saint-Pierre de Rome, œuvre glaciale et déclamatoire, mais qu’il faut
admirer. C’est dans l’ordre ; c’est une idée reçue. Rien dans ce livre ne vous prend aux entrailles. Il y
aurait eu moyen de faire pleurer avec Cecco, le cousin dédaigné. Mais non. Et à la fin aucun
arrachement ; par exemple, l’exaltation intentionnelle de la simplicité (des classes pauvres, etc.) au
détriment du brillant des classes aisées, l’ennui des grandes villes.
Mais c’est que Naples n’est pas ennuyeux du tout. Il y a de charmantes femelles, et pas cher. Le sieur
de Lamartine tout le premier en profitait, et celles-là sont aussi poétiques dans la rue de Tolède que
sur la Margellina. Mais non ; il faut faire du convenu, du faux. Il faut que les dames vous lisent. Ah
mensonge ! Mensonge ! Que tu es bête !
Il y aurait eu moyen de faire un beau livre avec cette histoire, en nous montrant ce qui s’est sans
doute passé : un jeune homme à Naples, par hasard, au milieu de ses autres distractions, couchant
avec la fille d’un pêcheur et l’envoyant promener ensuite, laquelle ne meurt pas, mais se console, ce
qui est plus ordinaire et plus amer. (La fin de Candide est ainsi pour moi la preuve criante d’un génie
de premier ordre. La griffe du lion est marquée dans cette conclusion tranquille, bête comme la vie.)
Cela eût exigé une indépendance de personnalité que Lamartine n’a pas, ce coup d’œil médical de la
vie, cette vue du Vrai, enfin, qui est le seul moyen d’arriver à de grands effets d’émotion. À propos
d’émotion, un dernier mot : avant la pièce de vers finale, il a eu soin de nous dire qu’il l’a écrite tout
d’une seule haleine et en pleurant. Quel joli procédé poétique ! Oui, je le répète, il y avait là de quoi
faire un beau livre, pourtant.
[…]
Je reviens à Graziella. Il y a un paragraphe d’une grande page tout en infinitifs : « se lever matin, etc.
» L’homme qui adopte de pareilles tournures à l'oreille fausse ; ce n’est pas un écrivain. Jamais de ces
vieilles phrases à muscles saillants, cambrés, et dont le talon sonne. J’en conçois pourtant un, moi, un
style : un style qui serait beau, que quelqu’un fera à quelque jour, dans dix ans ou dans dix siècles, et
qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des
ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu ; un style qui vous entrerait dans l’idée comme un
coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses, comme lorsqu’on file dans
un canot avec bon vent arrière. La prose est née d’hier ; voilà ce qu’il faut se dire. Le vers est la forme
par excellence des littératures anciennes. Toutes les combinaisons prosodiques ont été faites ; mais
celles de la prose, tant s’en faut. […]"

Flaubert présente le roman de Lamartine comme ne représentant pas le réel, ne s'adressant qu'aux
femmes qui veulent lire du sentiment. Flaubert estime que les femmes ne sont pas capables de
distinguer le sentiment de la sexualité. Elles sont trop sentimentales par culture, par éducation.
L'amour semble conçu par le féminin. La femme imagine, espère, l'amour est quelque chose dont on
se souvient, un fantasme, plus qu'on ne le vit.

George Sand
George Sand emprunte un nom masculin pour signer ses romans.
Élevée à la campagne dans une famille de qualité, elle est confiée à des religieuses dans un couvent.
George Sand est une auteur prolifique : elle est capable d'écrire 10 romans par an.
Cette femme mène une vie romantique : elle s'occupe comme une paysanne (cuisine, jardinage).

Lettre de George Sand à Alfred de Musset :


"Non, mon enfant chéri, ces trois lettres ne sont pas le dernier serrement de main de l’amante qui te
quitte, c’est l’embrassement du frère qui te reste. Ce sentiment-là est trop beau, trop pur et trop doux
pour que j’éprouve jamais le besoin d’en finir avec lui. (…) Que mon souvenir n’empoisonne aucune
des jouissances de ta vie, mais ne laisse pas ces jouissances détruire et mépriser mon souvenir. Sois
heureux, sois aimé. Comment ne le serais-tu pas ? Mais garde-moi dans un petit coin secret de ton
cœur et descends-y dans tes jours de tristesse pour y trouver une consolation ou un encouragement.
Tu ne parles pas de ta santé. Cependant tu me dis que l’air du printemps et l’odeur des lilas entre
dans ta chambre par bouffées et fait bondir ton cœur d’amour et de jeunesse. Cela est un signe de
santé et de force, le plus doux certainement que la nature nous a donné. Aime donc, mon Alfred,
aime pour tout de bon. Aime une femme jeune, belle et qui n’ait pas encore aimé, pas encore
souffert. Ménage-la, et ne la fais pas souffrir. Le cœur d’une femme est une chose si délicate quand
ce n’est pas un glaçon ou une pierre ! Je crois qu’il n’y a guère de milieu et il n’y en a pas non plus
dans ta manière d’aimer et d’estimer. C’est en vain que tu cherches à te retrancher derrière la
méfiance, ou que tu crois te mettre à l’abri par la légèreté de l’enfance. Ton âme est faite pour aimer
ardemment, ou pour se dessécher tout à fait. (…)

Adieu, mon joli petit ange, écris-moi, écris-moi toujours de ces bonnes lettres qui ferment toutes les
plaies que nous nous sommes faites et qui changent en joies présentes nos douleurs passées; Je
t’embrasse.

George Sand."

Préface de La mare au diable, de George Sand, 1852


"Quand j’ai commencé, par la Mare au Diable, une série de romans champêtres, que je me proposais
de réunir sous le titre de Veillées du Chanvreur, je n’ai eu aucun système, aucune prétention
révolutionnaire en littérature. Personne ne fait une révolution à soi tout seul, et il en est, surtout dans
les arts, que l’humanité accomplit sans trop savoir comment, parce que c’est tout le monde qui s’en
charge. Mais ceci n’est pas applicable au roman de mœurs rustiques : il a existé de tout temps et sous
toutes les formes, tantôt pompeuses, tantôt maniérées, tantôt naïves. Je l’ai dit, et dois le répéter ici,
le rêve de la vie champêtre a été de tout temps l’idéal des villes et même celui des cours. Je n’ai rien
fait de neuf en suivant la pente qui ramène l’homme civilisé aux charmes de la vie primitive. Je n’ai
voulu ni faire une nouvelle langue, ni me chercher une nouvelle manière. On me l’a cependant
affirmé dans bon nombre de feuilletons, mais je sais mieux que personne à quoi m’en tenir sur mes
propres desseins, et je m’étonne toujours que la critique en cherche si long, quand l’idée la plus
simple, la circonstance la plus vulgaire, sont les seules inspirations auxquelles les productions de l’art
doivent l’être. Pour la Mare au Diable en particulier, le fait que j’ai rapporté dans l’avant-propos, une
gravure d’Holbein, qui m’avait frappé, une scène réelle que j’eus sous les yeux dans le même
moment, au temps des semailles, voilà tout ce qui m’a poussé à écrire cette hisloire modeste, placée
au milieu des humbles paysages que je parcourais chaque jour. Si on me demande ce que j’ai voulu
faire, je répondrai que j’ai voulu faire une chose très-touchante et très-simple, et que je n’ai pas
réussi à mon gré. J’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux !
Tout ce que l’artiste peut espérer de mieux, c’est d’engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi.
Voyez donc la simplicité, vous autres, voyez le ciel et les champs, et les arbres, et les paysans surtout
dans ce qu’ils ont de bon et de vrai : vous les verrez un peu dans mon livre, vous les verrez beaucoup
mieux dans la nature."

Le romantisme souhaite allier à la fois réalisme et idéalisation.

"Et pourtant, la nature est éternellement jeune, belle et généreuse. Elle verse la poésie et la beauté à
tous les êtres, à toutes les plantes, qu’on laisse s’y développer à souhait. Elle possède le secret du
bonheur, et nul n’a su le lui ravir. Le plus heureux des hommes serait celui qui, possédant la science
de son labeur et travaillant de ses mains, puisant le bien-être et la liberté dans l’exercice de sa force
intelligente, aurait le temps de vivre par le cœur et par le cerveau, de comprendre son œuvre et
d’aimer celle de Dieu. L’artiste a des jouissances de ce genre, dans la contemplation et la
reproduction des beautés de la nature ; mais, en voyant la douleur des hommes qui peuplent ce
paradis de la terre, l’artiste au cœur droit et humain est troublé au milieu de sa jouissance. Le
bonheur serait là où l’esprit, le cœur et les bras, travaillant de concert sous l’œil de la Providence, une
sainte harmonie existerait entre la munificence de Dieu et les ravissements de l’âme humaine. C’est
alors qu’au lieu de la piteuse et affreuse Mort, marchant dans son sillon, le fouet à la main, le peintre
d’allégories pourrait placer à ses côtés un ange radieux, semant à pleines mains le blé béni sur le
sillon fumant.

Et le rêve d’une existence douce, libre, poétique, laborieuse et simple pour l’homme des champs,
n’est pas si difficile à concevoir qu’on doive le reléguer parmi les chimères. Le mot triste et doux de
Virgile : « Ô heureux l’homme des champs s’il connaissait son bonheur ! » est un regret ; mais,
comme tous les regrets, c’est aussi une prédiction. Un jour viendra où le laboureur pourra être aussi
un artiste, sinon pour exprimer (ce qui importera assez peu alors), du moins pour sentir le beau. Croit-
on que cette mystérieuse intuition de la poésie ne soit pas en lui déjà à l’état d’instinct et de vague
rêverie ? Chez ceux qu’un peu d’aisance protège dès aujourd’hui, et chez qui l’excès du malheur
n’étouffe pas tout développement moral et intellectuel, le bonheur pur, senti et apprécié est à l’état
élémentaire ; et, d’ailleurs, si du sein de la douleur et de la fatigue, des voix de poètes se sont déjà
élevées, pourquoi dirait-on que le travail des bras est exclusif des fonctions de l’âme ? Sans doute
cette exclusion est le résultat général d’un travail excessif et d’une misère profonde ; mais qu’on ne
dise pas que quand l’homme travaillera modérément et utilement, il n’y aura plus que de mauvais
ouvriers et de mauvais poètes. Celui qui puise de nobles jouissances dans le sentiment de la poésie
est un vrai poète, n’eût-il pas fait un vers dans toute sa vie."

La Comtesse de Ségur
La Comtesse de Ségur commence à écrire lorsqu'elle se libère de sa condition de mère, à 58 ans.

"Très cher enfant, tu es encore trop petit pour être le petit Jacques des Vacances, mais tu seras, j’en
suis sûre, aussi bon, aussi aimable, aussi généreux et aussi brave que lui. Plus tard, sois excellent
comme Paul, et plus tard encore, sois vaillant, dévoué, chrétien comme M. de Rosbourg. C’est le vœu
de ta grand-mère qui t’aime et qui te bénit."
- Les vacances, Les mémoires d'un âne, de la Comtesse de Ségur, 1860

La Comtesse de Ségur, moralisatrice, sert à éduquer, à transformer l'enfant sauvage en un enfant


civilisé.

Les voyages forment la jeunesse masculine en particulier.


C'est seulement quand les femmes commencent à s'émanciper qu'elles peuvent voyager. Jusque-là,
leur seul voyage était le voyage de noce, qui permettait à leur mari de leur faire découvrir leur
sexualité.
Jusqu'au XIXème, le voyage était définitoire de la masculinité.

Le tour de la France par deux enfants est présenté à l’école.

Aspect pédagogique, découverte des départements.


L'éducation masculine doit mettre en valeur les restes de la tradition chevalière.

Les femmes sont exclues du voyage, c’est même parfois la mort de la mère qui permet le voyage.

Le XIXème, c'est aussi le siècle de l'édition, notamment avec le début de la massification de la


culture.
Plusieurs éditeurs marquent le XIXème : Flammarion, Hachette, Ernest, Robert, Larousse…

Au XIXème siècle, la place de l'enfant change (notamment en 1881, avec la loi Jules Ferry qui rend
l'école obligatoire).
Chez Alphonse Daudet (1876), Jules Vales (1879), Jules Renard (1834), Victor Hugo, George Sand….

Sur le plan législatif, le rôle de l'enfant évolue. Alors que le droit de garde paternel primait (peu de
divorces), en 1896, les droits de la mère, même en cas de divorce, sont reconnus.
Les enfants abandonnés sont les "enfants de la patrie". Après 12 ans, ils peuvent être sollicités pour
le service de l'armée. En 1833, 131 000 enfants sont abandonnés. Le taux de mortalité avant l'âge
d'un an est de 660 pour 1 000 enfants.
Pour éviter les nombreux abandons, l'Etat verse des pensions pour les filles-mères.

C'est aussi l'apparition des nourrices (exemple des Misérables), des crèches (l'Etat s'implique pour
l'émancipation féminine)... La vaccination est obligatoire contre de nombreuses maladies, comme la
variole.

Les familles sont nombreuses, mais les filles posent problème.


"Je n'ai pas d'enfants, monsieur. Je n'ai que des filles", disaient les paysans.

Il y a un taux d'infanticide important, notamment à cause des avortements clandestins.

Le tour de la France par deux enfants, de G. Bruno, 1889


Les valeurs des enfants doivent être multiples : patrie, honneur, travail, respect religieux du devoir,
famille…
Les enfants garçons, tout comme les femmes, doivent soutenir l'équilibre familial.

Au XIXème, c'est le développement d'un sentiment patriotique.

"Par un épais, brouillard du mois de septembre deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de
Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France.
Chacun d’eux était chargé d’un petit paquet de voyageur, soigneusement attaché et retenu sur l’épaule
par un bâton. Tous les deux marchaient rapidement, sans bruit ; ils avaient l’air inquiet. Malgré l’obscurité
déjà grande, ils cherchèrent plus d’obscurité encore et s’en allèrent cheminant à l’écart le long des fossés.”

Les différentes épreuves que rencontrent ces enfants les font devenir homme.
Pour être un homme, il faut lutter, souffrir.
Il a fallu attendre la fin du XXème siècle pour comprendre que lorsqu’un bébé/enfant pleure, c’est parce
qu’il souffre.

"Père, répondit-il, j’élèverai Julien et je veillerai sur lui comme vous l’eussiez fait vous-même. Je lui
enseignerai, comme vous le faisiez, l’amour de Dieu et l’amour du devoir : tous les deux nous tâcherons de
devenir bons et vertueux.”
L'enfant, de Jules Vallès, 1889
"Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait ? Je n’en sais rien. Quel
que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit : je
n’ai pas été dorloté, tapoté, baisotté ; j’ai été beaucoup fouetté.
Ma mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins ; quand elle n’a pas
le temps le matin, c’est pour midi, rarement plus tard que quatre heures.
Mademoiselle Balandreau m’y met du suif.
C’est une bonne vieille fille de cinquante ans. Elle demeure au-dessous de nous. D’abord elle était
contente : comme elle n’a pas d’horloge, ça lui donnait l’heure. « Vlin ! Vlan ! zon ! zon ! – voilà le
petit Chose qu’on fouette ; il est temps de faire mon café au lait. »
Mais un jour que j’avais levé mon pan, parce que ça me cuisait trop, et que je prenais l’air entre
deux portes, elle m’a vu ; mon derrière lui a fait pitié.
Elle voulait d’abord le montrer à tout le monde, ameuter les voisins autour ; mais elle a pensé que
ce n’était pas le moyen de le sauver, et elle a inventé autre chose.
Lorsqu’elle entend ma mère me dire : « Jacques, je vais te fouetter !
– Madame Vingtras, ne vous donnez pas la peine, je vais faire ça pour vous.
– Oh ! chère demoiselle, vous êtes trop bonne ! »
Mademoiselle Balandreau m’emmène ; mais au lieu de me fouetter, elle frappe dans ses mains ;
moi, je crie. Ma mère remercie, le soir, sa remplaçante.
« À votre service » répond la brave fille, en me glissant un bonbon en cachette.
Mon premier souvenir date donc d’une fessée. Mon second est plein d’étonnement et de larmes.”

Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand, 1848


"Ma nourrice se trouva stérile ; une autre pauvre chrétienne me prit à son sein. Elle me voua à la
patronne du hameau, Notre-Dame de Nazareth, et lui promit que je porterais en son honneur le bleu
et le blanc jusqu’à l’âge de sept ans. Je n’avais vécu que quelques heures, et la pesanteur du temps
était déjà marquée sur mon front. Que ne me laissait-on mourir ? Il entrait dans les conseils de Dieu
d’accorder au vœu de l’obscurité et de l’innocence la conservation des jours qu’une vaine renommée
menaçait d’atteindre.
Ce vœu de la paysanne bretonne n’est plus de ce siècle : c’était toutefois une chose touchante que
l’intervention d’une Mère divine placée entre l’enfant et le ciel, et partageant les sollicitudes de la
mère terrestre.
Au bout de trois ans, on me ramena à Saint-Malo ; il y en avait déjà sept que mon père avait recouvré
la terre de Combourg. Il désirait rentrer dans les biens où ses ancêtres avaient passé ; ne pouvant
traiter ni pour la seigneurie de Beaufort, échue à la famille de Goyon, ni pour la baronnie de
Chateaubriand, tombée dans la maison de Condé, il tourna ses yeux sur Combourg que Froissart écrit
Combour : plusieurs branches de ma famille l’avaient possédé par des mariages avec les Coëtquen.”

"Toutes les affections de celle-ci s’étaient concentrées dans son fils aîné ; non qu’elle ne chérît ses
autres enfants, mais elle témoignait une préférence aveugle au jeune comte de Combourg. J’avais
bien, il est vrai, comme garçon, comme le dernier venu, comme le chevalier (ainsi m’appelait-on),
quelques privilèges sur mes sœurs ; mais, en définitive, j’étais abandonné aux mains des gens. Ma
mère d’ailleurs, pleine d’esprit et de vertu, était préoccupée par les soins de la société et les devoirs
de la religion. La comtesse de Plouër, ma marraine, était son intime amie ; elle voyait aussi les
parents de Maupertuis et de l’abbé Trublet. Elle aimait la politique, le bruit, le monde : car on faisait
de la politique à Saint-Malo, comme les moines de Saba dans le ravin du Cédron ; elle se jeta avec
ardeur dans l’affaire La Chalotais. Elle rapportait chez elle une humeur grondeuse, une imagination
distraite, un esprit de parcimonie, qui nous empêchèrent d’abord de reconnaître ses admirables
qualités. Avec de l’ordre, ses enfants étaient tenus sans ordre ; avec de la générosité, elle avait
l’apparence de l’avarice ; avec de la douceur d’âme, elle grondait toujours : mon père était la terreur
des domestiques, ma mère le fléau.”

II. Le réalisme
Progressivement, on quitte le romantisme et on entre dans un autre mouvement culturel : le
réalisme.
Le réalisme est confronté à un problème : qu’est-ce que le réel ?

Le réalisme s'érige contre des traditions, contre l’idéalisme. En art, des peintres comme Manet ou
Courbet s’opposent radicalement à la peinture traditionnelle.

Le roman réaliste veut dépeindre le fonctionnement de la société (réalités économiques). C’est un


roman documenté, il y a tout un travail d’ethnographie.
Le réalisme rejette les personnages romantiques, comme dans Madame de Bovary, de Flaubert.

Dans la préface de Pierre et Jean, Maupassant dit que le réalisme, c’est de "l’illusionnisme” : il ne
peint pas le réel, mais donne seulement l’effet.

Honoré de Balzac est considéré comme réaliste, mais certaines de ses œuvres semblent ne pas
correspondre à ce mouvement, comme La peau de chagrin (1831).

Honoré de Balzac est un homme viril, énergique (c'est comme ça que les statues le représentent).
Jeune, il rêve de célébrité et de richesse. Il se lance dans l'édition et plonge dans des dettes
interminables.
Il publie des romans dans l'ère du temps, en lien avec le goût de l'époque. A partir de 1830, il
commence à avoir du succès, mais meurt en 1850, à 51 ans.

Chez Balzac, ce sont des personnages monomaniaques, très stéréotypés, qui ont un caractère, une
passion, quelque chose qui les ravage et qui les porte à leur fin.
Le père Goriot, par exemple, est un père qui donne tout à ses deux filles, au point de se faire dévorer
par elles (mythe de la paternité). Le personnage féminin d'Eugénie Grandet, elle, décrète qu'elle
aime et sacrifie sa vie à ce sentiment.

Les personnages réalistes de Zola ou de Flaubert n'ont pas cette énergie-là, ils sont plus obscurs, plus
perdants.

La Comédie humaine, Honoré de Balzac, 1829-1850


Balzac se distingue des autres romanciers par l'invention de personnages récurrents, de faire revenir
ses personnages d'un roman à un autre (personnages récurrents)

Il crée La Comédie humaine, qui a pour objet d'expliquer et de décrire les différentes espèces
humaines.
Dans les années 1830, en pleine période de renouveau économique et d'émergence de nouvelles
catégories socio-professionnelles (banquiers, commerçants…), Balzac est désireux de s'enrichir : la
célébrité et la richesse sont un mot d'ordre du XIXème siècle. Il est fasciné par le pouvoir, par
l'argent, et choisit des personnages en quête de cela.
Balzac essaye de faire de ses romans une métaphore du monde dans lequel il vit (réalité sociale).
Plusieurs œuvres comme Illusions perdues, Eugénie Grandet (scènes de la vie de province), César
Birotteau (scènes de la vie parisienne), La peau de chagrin (études philosophiques)… forment La
Comédie humaine, un ensemble de plus de 90 ouvrages (romans, nouvelles, essais, contes), dont
l'écriture s'étend de 1829 à 1850.

Il y a une monomanie, une passion, qui dévore les personnages balzaciens.


Dimension métonymique des romans de Balzac : les personnages parlent de leur milieu, description
des manières d'être.

Balzac manifeste son mépris de la province, qu'il tient à distinguer de Paris.

La Femme de province, Honoré de Balzac, 1841


"En acceptant pour femmes celles-là seulement qui satisfont au programme arrêté dans la
Physiologie du mariage, programme admis par les esprits les plus judicieux de ce temps, il existe à
Paris plusieurs espèces de femmes, toutes dissemblables : il y a la duchesse et la femme du financier,
l’ambassadrice et la femme du consul, la femme du ministre qui est ministre et la femme de celui qui
ne l’est plus ; il y a la femme comme il faut de la rive droite et celle de la rive gauche de la Seine. (...)
Mais en province il n’y a qu’une femme, et cette pauvre femme est la femme de province ; je vous
le jure, il n’y en a pas deux. Cette observation indique une des grandes plaies de notre société
moderne."

"Sachons-le bien ! la France au dix-neuvième siècle est partagée en deux grandes zones : Paris et la
province : la province jalouse de Paris, Paris ne pensant à la province que pour lui demander de
l’argent. Autrefois Paris était la première ville de province, la Cour primait la Ville ; maintenant Paris
est toute la Cour, la Province est toute la Ville. La femme de province est donc dans un état constant
de flagrante infériorité. Aucune créature ne veut s’avouer un pareil fait, tout en en souffrant. Cette
pensée rongeuse opprime la femme de province. Il en est une autre plus corrosive encore : elle est
mariée à un homme excessivement ordinaire, vulgaire et commun. Les gens de talent, les artistes,
les hommes supérieurs, tout coq à plumes éclatantes s’envole à Paris. Inférieure comme femme, elle
est encore inférieure par son mari. Vivez donc heureuses avec ces deux pensées écrasantes ! Son mari
n’est pas seulement ordinaire, vulgaire et commun, il est ennuyeux, et vous devez connaître ce
fameux exploit signifié à je ne sais quel prince, requête de M. de Lauraguais, par lequel on lui faisait
commandement de ne plus revenir chez Sophie Arnoult, attendu qu’il l’ennuyait, et que les effets de
l’ennui, chez une femme, allaient jusqu’à lui changer le caractère, la figure, lui faire perdre sa beauté,
etc. A l’exploit était joint une consultation signée de plusieurs médecins célèbres qui justifiaient les
dires de la signification. La vie de province est l’ennui organisé, l’ennui déguisé sous mille formes ;
enfin l’ennui est le fond de la langue.
Que faire ? Ah ! l’on se jette avec désespoir dans les confitures et dans les lessives, dans l’économie
domestique, dans les plaisirs ruraux de la vendange, de la moisson, dans la conservation des fruits,
dans la broderie des fichus, dans les soins de la maternité, dans les intrigues de petite ville. Chaque
femme s’adonne à ce qui, selon son caractère, lui paraît un plaisir. On tracasse un piano inamovible
qui sonne comme un chaudron au bout de la septième année et qui finit ses jours, asthmatique, à la
campagne. On suit les offices, on est catholique en désespoir de cause, l’on s’entretient des différents
crûs de la parole de Dieu ; l’on compare l’abbé Guinaud à l’abbé Ratond, l’abbé Friand à l’abbé Duret.
On joue aux cartes le soir, après avoir dansé pendant douze années avec les mêmes personnes dans
les mêmes salons. Cette belle vie est entremêlée de promenades solennelles sur le mail, sur le pont,
sur le rempart, de visites d’étiquette entre voisins de campagne. La conversation est bornée au sud
de l’intelligence par les observations sur les intrigues cachées au fond de l’eau dormante de la vie de
province, au nord par les mariages sur le tapis, à l’ouest par les jalousies, à l’est par les petits mots
piquants.
Un profond désespoir ou une stupide résignation, ou l’un ou l’autre, il n’y a pas de choix, tel est le tuf
sur lequel repose cette vie féminine et où s’arrêtent mille pensées stagnantes qui, sans féconder le
terrain, y nourrissent les fleurs étiolées de ces âmes désertes. Ne croyez pas à l’insouciance !
L’insouciance tient au désespoir ou à la résignation.
Quelque grande, quelque belle, quelque forte que soit à son début une jeune fille, née dans un
département quelconque, elle devient bientôt femme de province. Malgré ses projets arrêtés, les
lieux communs, la médiocrité des idées, l’insouciance de la toilette, l’horticulture des vulgarités
l’envahissent nécessairement. L’être sublime et passionné que cache toute femme s’attriste, et tout
est dit, la belle plante dépérit. Dès leur bas âge, les jeunes filles de province ne voient que des gens de
province autour d’elles, elles n’inventent pas mieux, elles n’ont à choisir qu’entre des médiocrités, car
les pères de province marient leurs filles à des garçons de province, et l’esprit s’y abâtardit
nécessairement. Personne n’a l’idée de croiser les races. Aussi, dans beaucoup de villes de province,
l’intelligence y est-elle aussi rare que le sang y est laid. L’homme s’y rabougrit sous les deux espèces :
la sinistre idée de la convenance des fortunes y domine toutes les conventions matrimoniales. J’y ai
vu de belles jeunes filles, richement dotées, mariées par leur famille à quelque sot jeune homme du
voisinage, enlaidies, après trois ans de mariage, au point de n’être pas non point reconnaissables,
mais reconnues. Les hommes de génies éclos en province, les hommes supérieurs sont dus à des
hasards de l’amour. Quand la femme de province est devenue ce que vous la voyez, elle veut alors
justifier son état : elle attaque de ses dents acérées comme des dents de mulot, les nobles et terribles
passions parisiennes ; elle déchire les dentelles de la coquetterie, elle ronge les beautés célèbres, elle
entame le bonheur d’autrui, elle vante ses noix et son lard rances, elle exalte son trou de souris
économe, les couleurs grises de sa vie et ses parfums monastiques. Toute femme de province a la
fatuité de ses défauts. J’aime ce courage. Quand on a des vices, il faut avoir l’esprit d’en faire des
vertus.
L’infériorité conjugale et l’infériorité radicale de la femme de province sont aggravées d’une
troisième et terrible infériorité qui contribue à rendre cette figure sèche et sombre, à la rétrécir, à
l’amoindrir, à la grimer fatalement. Toute femme est plus ou moins portée à chercher des
compensations à ses mille douleurs légales dans mille félicités illégales. Ce livre d’or de l’amour est
fermé pour la femme de province, ou du moins elle le lit toute seule, elle vit dans une lanterne, elle
n’a point de secrets à elle, sa maison est ouverte et les murs sont de verre. Si, dans la province,
chacun connaît le dîner de son voisin, on sait encore mieux le menu de sa vie, et qui vient, et qui ne
vient pas, et qui passe sous les fenêtres, avant de passer par la fenêtre. La passion n’y connaît point
le mystère. L’un des plus agréables flatteries que les femmes s’adressent à elles-mêmes est la
certitude d’être pour quelque chose dans la vie d’un homme supérieur, choisi par elles en
connaissance de cause, comme pour prendre leur revanche du mariage où elles ont été peu
consultées. Mais, en province, s’il n’y a point de supériorité chez les maris, il en existe encore moins
chez les célibataires. Aussi, quand la femme de province commet sa petite faute, s’est-elle toujours
éprise d’un prétendu bel homme ou d’un dandy indigène, d’un garçon qui porte des gants, qui passe
pour monter à cheval ; mais, au fond de son coeur, elle sait que ses voeux poursuivent un lieu
commun plus ou moins bien vêtu.
Quand une femme de province conçoit une passion excentrique, quand elle a choisi quelque
supériorité qui passe, un homme égaré par hasard en province, elle en fait quelque chose de plus
qu’un sentiment, elle y trouve un travail, elle est occupée ! aussi étend-elle cette passion sur toute sa
vie. Il n’y a rien de plus dangereux que l’attachement d’une femme de province. Elle compare, elle
étudie, elle réfléchit, elle rêve, elle n’abandonne point son rêve, elle pense à celui qu’elle aime quand
celui qu’elle aime ne pense plus à elle. Vous avez passé quelques mois en province, vous avez dit par
désoeuvrement quelques mots d’amour à la femme la moins laide du département ; là, elle vous
paraissait jolie, et vous avez été vous-même. Cette plaisanterie est devenue sérieuse à votre insu.
Madame Coquelin, que vous avez nommée Amélie, votre Amélie vous arrive à six ans de date, veuve
et toute prête à faire votre bonheur, quand votre bonheur s’est beaucoup mieux arrangé. Ceci n’est
pas de l’innocence, mais de l’ignorance. Vous la dédaignez, elle vous aime ; vous arrivez à la
maltraiter, elle vous aime ; elle ne comprend rien à ce que l’on a si ingénieusement nommé le
français, l’art de faire comprendre ce qui ne doit pas se dire. On ne peut pas éclairer cette femme, il
faut l’aveugler."

Eugénie Grandet, Honoré de Balzac, 1833


Eugénie Grandet raconte l'histoire de la fille d'un homme de province, plus riche que son frère
parisien. Tous les notables connaissent sa richesse, mais le père Grandet la cache à sa fille, il vit dans
le dénuement le plus total. Lorsque sa fille, qui se croit pauvre, arrive à la majorité, elle fait l'objet de
nombreuses avances de notables. Le père Grandet s'amuse de voir les prétentions des gens de la
ville.
Lorsqu'elle tombe amoureuse d'un homme pauvre, elle est prête à tout sacrifier pour lui.

"Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle
que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou les ruines les plus tristes.
Peut-être y a-t-il à la fois dans ces maisons et le silence du cloître et l'aridité des landes et les
ossements des ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu'un étranger les croirait
inhabitées, s'il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid d'une personne immobile dont la
figure à demi monastique dépasse l'appui de la croisée, au bruit d'un pas inconnu. Ces principes de
mélancolie existent dans la physionomie d'un logis situé à Saumur, au bout de la rue montueuse qui
mène au château, par le haut de la ville. Cette rue, maintenant peu fréquentée, chaude en été, froide
en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux,
toujours propre et sec, par l'étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui
appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts. Des habitations trois fois séculaires y
sont encore solides quoique construites en bois, et leurs divers aspects contribuent à l'originalité qui
recommande cette partie de Saumur à l'attention des antiquaires et des artistes. Il est difficile de
passer devant ces maisons, sans admirer les énormes madriers dont les bouts sont taillés en figures
bizarres et qui couronnent d'un bas-relief noir le rez-de-chaussée de la plupart d'entre elles. Ici, des
pièces de bois transversales sont couvertes en ardoises et dessinent des lignes bleues sur les frêles
murailles d'un logis terminé par un toit en colombage que les ans ont fait plier, dont les bardeaux
pourris ont été tordus par l'action alternative de la pluie et du soleil. Là se présentent des appuis de
fenêtre usés, noircis, dont les délicates sculptures se voient à peine, et qui semblent trop légers pour
le pot d'argile brune d'où s'élancent les œillets ou les rosiers d'une pauvre ouvrière. Plus loin, c'est des
portes garnies de clous énormes où le génie de nos ancêtres a tracé des hiéroglyphes domestiques
dont le sens ne se retrouvera jamais. Tantôt un protestant y a signé sa foi, tantôt un ligueur y a
maudit Henri IV. Quelques bourgeois y a gravé les insignes de sa noblesse de cloches, la gloire de son
échevinage oublié. L'Histoire de France est là tout entière."

L'arrivée d'un inconnu est le seul événement de la vie d'Eugénie.

"Après avoir suivi les détours de ce chemin pittoresque dont les moindres accidents réveillent des
souvenirs et dont l'effet général tend à plonger dans une sorte de rêverie machinale, vous apercevez
un renfoncement assez sombre, au centre duquel est cachée la porte de la maison à monsieur
Grandet. Il est impossible de comprendre la valeur de cette expression provinciale sans donner la
biographie de monsieur Grandet."

Le projet balzacien était d'écrire 137 romans (dont 46 resteront à l'état de projet).

Extrait de la lettre de Honoré de Balzac à Eve Hanska, 26 octobre 1834 :


"Je crois qu'en 1838 les trois parties de cette œuvre gigantesque seront, sinon parachevées, du moins
superposées, et qu'on pourra juger de la masse.
Les Etudes de moeurs représenteront tous les effets sociaux sans que ni une situation de la vie, ni
une physionomie, ni un caractère d'homme ou de femme, ni une manière de vivre, ni une profession,
ni une zone sociale, ni un pays français, ni quoi que ce soit de l'enfance, de la vieillesse, de l'âge mûr,
de la politique, de la justice, de la guerre, ait été oublié.
Cela posé, l'histoire du cœur humain tracée fil à fil, l'histoire sociale faite dans toutes ses parties,
voilà la base. Ce ne seront pas des faits imaginaires : ce sera ce qui se passe partout.
Alors la seconde assise est les Etudes philosophiques, car après les effets viendront les causes. Je vous
aurai peint dans les Etudes de mœurs les sentiments et leur jeu, la vie et son allure. Dans les Etudes
philosophiques, je dirai pourquoi les sentiments, sur quoi la vie; quelle est la partie, quelles sont les
conditions au-delà desquelles ni la société, ni l'homme n'existent ; et, après l'avoir parcourue (la
société), pour la décrire, je la parcourrai pour la juger. Aussi dans les Etudes de mœurs sont les
individualités typisées, dans les Etudes philosophiques sont les types individualisés. Ainsi, partout,
j'aurai donné la vie : au type, en l'individualisant ; à l'individu, en le typisant. J'aurai donné de la
pensée au fragment ; j'aurai donné à la pensée la vie de l'individu.
Puis, après les effets et les causes, viendront les Etudes analytiques dont fait partie la Physiologie du
mariage, car après les effets et les causes doivent se rechercher les principes. Les mœurs sont le
spectacle, les causes sont les coulisses et les machines. Les principes, c'est l'auteur; mais, à mesure
que l'oeuvre gagne en spirale les hauteurs de la pensée, elle se resserre et se condense. S'il faut vingt-
quatre volumes pour les Etudes de mœurs, il n'en faudra que quinze pour les Etudes philosophiques ;
il n'en faut que neuf pour les Etudes analytiques. Ainsi, l'homme, la société, l'humanité seront
décrites, jugées, analysées sans répétitions, et dans une oeuvre qui sera comme les Mille et une nuits
de l'Occident."
Petites misères de la vie conjugale (études analytiques), Honoré de Balzac,
1855
"Ô vous qui vous écriez souvent : « ─ Je ne sais pas ce qu’a ma femme !… » vous baiserez cette page
de philosophie transcendante, car vous allez y trouver la clef du caractère de toutes les femmes !…
Mais les connaître aussi bien que je les connais, ce ne sera pas les connaître beaucoup : elles ne se
connaissent pas elles-mêmes ! Enfin, Dieu, vous le savez, s’est trompé sur le compte de la seule qu’il
ait eue à gouverner et qu’il avait pris le soin de faire.
Caroline veut bien piquer Adolphe à toute heure, mais cette faculté de lâcher de temps en temps une
guêpe au conjoint (terme judiciaire) est un droit exclusivement réservé à l’épouse. Adolphe devient
un monstre s’il détache sur sa femme une seule mouche. De Caroline, c’est de charmantes
plaisanteries, un badinage pour égayer la vie à deux, et dicté surtout par les intentions les plus pures
; tandis que, d’Adolphe, c’est une cruauté de Caraïbe, une méconnaissance du cœur de sa femme et
un plan arrêté de lui causer du chagrin. Ceci n’est rien.
— Vous aimez donc bien madame de Fischtaminel ? demande Caroline. Qu’a-t-elle donc dans l’esprit
ou dans les manières de si séduisant, cette araignée-là ?
— Mais, Caroline…
— Oh ! ne prenez pas la peine de nier ce goût bizarre, dit-elle en arrêtant une négation sur les lèvres
d’Adolphe, il y a longtemps que je m’aperçois que vous me préférez cet échalas (madame de
Fischtaminel est maigre). Eh ! bien, allez… vous aurez bientôt reconnu la différence.
Comprenez-vous ? Vous ne pouvez pas soupçonner Caroline d’avoir le moindre goût pour monsieur
Deschars (un gros homme commun, rougeaud, un ancien notaire), tandis que vous aimez madame de
Fischtaminel ! Et alors Caroline, cette Caroline dont l’innocence vous a tant fait souffrir, Caroline qui
s’est familiarisée avec le monde, Caroline devient spirituelle : vous avez deux Taons au lieu d’un.
Le lendemain elle vous demande, en prenant un petit air bon enfant : ─ Où en êtes-vous avec
madame de Fischtaminel ?…
Quand vous sortez, elle vous dit : ─ Va, mon ami, va prendre les eaux !
Car, dans leur colère contre une rivale, toutes les femmes, même les duchesses, emploient l’invective,
et s’avancent jusque dans les tropes de la Halle ; elles font alors arme de tout.
Vouloir convaincre Caroline d’erreur et lui prouver que madame de Fischtaminel vous est indifférente,
vous coûterait trop cher. C’est une sottise qu’un homme d’esprit ne commet pas dans son ménage : il
y perd son pouvoir et il s’y ébrèche.
Oh ! Adolphe, tu es arrivé malheureusement à cette saison si ingénieusement nommée l’été de la
Saint-Martin du mariage. Hélas ! il faut, chose délicieuse ! reconquérir ta femme, ta Caroline, la
reprendre par la taille, et devenir le meilleur des maris en tâchant de deviner ce qui lui plaît, afin de
faire à son plaisir au lieu de faire à ta volonté ! Toute la question est là désormais."

"La plupart des hommes ont toujours un peu de l’esprit qu’exige une situation difficile, quand ils n’ont
pas tout l’esprit de cette situation.
Quant aux maris qui sont au-dessous de leur position, il est impossible de s’en occuper : il n’y a pas de
lutte, ils entrent dans la classe nombreuse des Résignés.
Adolphe se dit donc : ─ Les femmes sont des enfants : présentez-leur un morceau de sucre, vous leur
faites danser très-bien toutes les contredanses que dansent les enfants gourmands ; mais il faut
toujours avoir une dragée, la leur tenir haut, et… que le goût des dragées ne leur passe point. Les
Parisiennes (Caroline est de Paris) sont excessivement vaines, elles sont gourmandes !… On ne
gouverne les hommes, on ne se fait des amis, qu’en les prenant tous par leurs vices, en flattant leurs
passions : ma femme est à moi !
Quelques jours après, pendant lesquels Adolphe a redoublé d’attentions pour sa femme, il lui tient ce
langage :
— Tiens, Caroline, amusons-nous ! il faut bien que tu mettes ta nouvelle robe (la pareille à celle de
madame Deschars), et… ma foi, nous irons voir quelque bêtise aux Variétés.
Ces sortes de propositions rendent toujours les femmes légitimes de la plus belle humeur. Et d’aller !
Adolphe a commandé pour deux, chez Borrel, au Rocher de Cancale, un joli petit dîner fin.
— Puisque nous allons aux Variétés, dînons au cabaret ! s’écrie Adolphe sur les Boulevards en ayant
l’air de se livrer à une improvisation généreuse.
Caroline, heureuse de cette apparence de bonne fortune, s’engage alors dans un petit salon où elle
trouve la nappe mise et le petit service coquet offert par Borrel aux gens assez riches pour payer le
local destiné aux grands de la terre qui se font petits pour un moment.
Les femmes, dans un dîner prié, mangent peu : leur secret harnais les gêne, elles ont le corset de
parade, elles sont en présence de femmes dont les yeux et la langue sont également redoutables.
Elles aiment, non pas la bonne, mais la jolie chère : sucer des écrevisses, gober des cailles au gratin,
tortiller l’aile d’un coq de bruyère, et commencer par un morceau de poisson bien frais, relevé par
une de ces sauces qui font la gloire de la cuisine française."

Les personnages romanesques de Balzac ne sont pas des personnes, ce sont des types
physiologiques, psychologiques et sociologiques : ils marquent leur milieu, ils ont un caractère
physique important et un trait de caractère singulier.
Dans les romans balzaciens, il y a toujours une association entre la temporalité historique sociale et
l'histoire du héros (lien de causalité entre la situation sociale, géographique et les évènements).
Le code réaliste est marqué par ces liens entre le temps, l'espace et le personnage.
Balzac veut donner les apparences du réel.

Ce roman réaliste du XIXème siècle, très codé, est devenu un roman classique (œuvre qui représente
à la perfection un genre).

Le féminisme au XIXème siècle


A partir de 1850, un mouvement féministe prend forme, avec des revendications fortes. Ce
mouvement est marqué par plusieurs figures féminines du XIXème siècle : Marceline Desbordes-
Valmore, Louis Colet, Germaine de Staël, Flora Tristan, Louise Michel…

La Comtesse de Ségur vient d'un milieu noble, elle n'est pas concernée par les injustices sociales.
Flora Tristan, elle, a mené une vie misérable : bâtarde, pas d'origine claire, mariée à un homme
mauvais, traquée par la police, exilée… Elle revendique de nombreuses choses : les conditions de
travail, le salaire, le nombre d'heures maximum, la reconnaissance de droits juridiques pour la
femme… Elle est l'auteure de nombreux ouvrages romantiques (idéal revendiqué, proche de la
nature, souhait d'un au-delà).
A partir des années 50, les femmes comprennent qu'il faut mener une lutte distincte de celles des
travailleurs. A ce moment-là, 33% de la population active est féminine (surtout dans l'industrie). Les
femmes sont en mauvais état de santé, il y a de grandes différences de salaires (gagne 2x moins)...

En 1850, la loi Falloux décrète l'obligation d'une école féminine dans toute commune de 800
habitants.
Grâce aux nombreux combats menés, le juridique progresse : interdiction des enfants dans les
manufactures, interdiction du travail des femmes sous terre, enseignement obligatoire pour les
enfants de 6 à 13 ans, loi sur le divorce en 1884…

La pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, P-J Proudhon, 1809
"Parallèle de l’homme et de la femme.
Il n’y a pas de puissance sans beauté, et, réciproquement, pas de beauté sans puissance, pas plus
qu’il n’existe de matière sans forme, ou de forme sans matière ; c’est pour cela qu’on dit une beauté
mâle et une femme forte; c’est pourquoi la femme a sa part dans la production domestique, de
même que l’homme a la sienne dans l’art de bien vivre, qui n’est autre que le ménage même.
Mais la puissance et la beauté, bien qu’aussi intimement unies par la matière et la forme, ne sont
point une seule et même chose ; leur nature n’est point identique, leur action encore moins. Aucun
effort de la pensée ne saurait les réduire à une commune expression. C’est ce qui fait qu’en dehors de
la sexualité organique, il existe une différence que tout le monde sent et que la raison proclame
irréductible entre l’homme et la femme. Mais cette différence ne serait-elle point illusoire ? Faut-il n’y
voir, comme vous le prétendez, mesdames, qu’un effet de l’éducation et de l’habitude, à tel point
qu’on puisse espérer, par un changement de régime, de la faire disparaître et de ne laisser subsister
entre les sexes d’autre différence que celle de l’appareil générateur ? En d’autres termes, le système
des rapports entre l’homme et la femme, que j’ai cherché à établir sur l’équivalence de leurs
attributs, doit-il être fondé au contraire sur l’ÉGALITÉ et l’IDENTITÉ de ces mêmes attributs ? Toute la
dispute est là.
Notons que de la loi des sexes dépendra celle de la famille, par suite, l’ordre de la société, la
constitution de l’humanité tout entière.
J’ai dit que les faits confirmaient ce que révèle à tout individu de bonne foi le premier aperçu, savoir :
Que l’homme est plus fort, mais moins beau ; la femme plus belle, mais moins vigoureuse. Là-dessus
vous faites de grandes ricaneries. Vous niez les faits, parce que, contrairement à ma propre thèse,
vous vous imaginez que je les cite à mauvaise intention. Vous allez jusqu’à dire que je n’ai point
produit de faits ; bien plus, que les faits sont pour vous. La femme surprise en adultère nie toujours; à
l’en croire, son mari lui aurait encore de l’obligation. Rappelons donc, au moins sommairement, les
faits, et de manière à ce qu’on ne les passe plus sous silence.
Facultés physiques. — Prenez au hasard, dans les différentes classes et conditions de la société, deux
jeunes gens, un paysan et une paysanne, un ouvrier et une ouvrière, un damoiseau et une demoiselle
; prenez, à d’autres degrés de l’échelle, un homme fait et une femme, un vieillard et une vieille, ou
bien un adolescent et une adolescente, un petit garçon et une petite fille, et faites-les lutter. C’est une
expérience que chacun peut faire par soi-même, que j’ai faite cent fois au temps où j’étais berger. Il
pourra se faire quelquefois que le sort désigne pour la lutte un garçon faible et une fille très-forte, qui
alors remportera la victoire. Mais quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, vous trouverez que le mâle sera
le maître. Voilà un fait. En revanche, vous trouverez un pareil nombre de fois la femme plus belle que
l’homme. Ce second fait est la contre-partie de l’autre.
Est-ce la nature qui a établi entre eux cette différence ? Il est facile d’en juger : il suffit des yeux.
Comparez l’Hercule Farnèse, le gladiateur, le Thésée ou l’Achille à la Vénus de Milo, à la Venus de
Médicis, à la Diane Chasseresse : est-ce que les uns ne sont pas organisés pour la force, les autres
pour la beauté ? Faites comparaître, comme à Sparte, dans l’arène, toute la jeunesse, toute la
population : l’effet produit sera le même. Tel est le fait, fait qui se répétera autant de fois, ou peu s’en
faut, que vous aurez formé de couples.
C’est peut-être le régime qui en est la cause, direz-vous. Nous allons voir. Jusqu’à l’époque de la
puberté, la différence entre garçons et filles est peu de chose : Fourier les appelait le sexe neutre.
Leur régime est aussi, à peu près, le même : s’il y a quelque différence, c’est en prévision de ce que la
jeune fille doit inévitablement devenir. Aussi, en même temps que les adolescents, de même que les
petits enfants des deux sexes se rapprochent davantage pour la force, ils s’éloignent moins pour la
beauté ; de là, en partie, cet amour grec, sur lequel je n’ai pas besoin, mesdames, de m’expliquer
avec vous. Tout à coup, chez l’un et chez l’autre sujet, la physionomie change : les formes deviennent
plus anguleuses chez l’un, plus arrondies chez l’autre ; le développement des hanches et du sein, en
donnant le dernier trait à la beauté de la femme, lui ôte en même temps l’agilité. Les anciens poètes
ont fait d’Atalante, de Camille, des femmes légères à la course : pure fiction ! La rapidité de la femme
est chose impossible ; elle porte proportionnellement plus de poids mort que l’homme. Relisez, dans
l’Émile, la description de la joute entre Émile et Sophie ; vous verrez quelle drôle de figure fait une
femme disputant à un homme le prix de la course. Relisez, dans le poème de Quintus de Smyrne, le
combat d’Achille et de Penthésilée, la reine des Amazones, et vous verrez l’énorme différence qu’il y
a, même au point de vue du merveilleux épique, entre un héros et une héroïne. Si Camille, Atalante,
Diane elle-même, avaient le pied aussi léger que l’ont dit les poètes, c’est qu’elles n’étaient pas jolies
femmes : le centre de gravité devait être placé chez elles, comme chez l’homme, dans la poitrine ;
elles avaient la jambe maigre, la hanche évidée, et pas de gorge.
En voulez-vous davantage ? En Amérique, on n’emploie pas les femmes aux travaux des champs, et,
d’après le récit de tous les voyageurs, elles n’en sont que mieux portantes et plus belles. En Franche-
Comté, en Bourgogne, où les paysannes travaillent comme des bêtes de somme, elles sont vieilles à
trente ans et affreuses ; tandis que les hommes, qui pourtant se réservent le plus rude de la besogne,
sont encore, à cinquante ans, superbes. Sur tout cela, consultez les physiologistes, vous les trouverez
d’accord avec les peintres et les statuaires."

Ce texte antiféministe essaie de replacer la femme, physiquement incapable de vivre autre chose
qu'une vie sédentaire (c'est une loi de la nature).

"Je n’ai jamais rencontré de femme qui fût en état de suivre un raisonnement pendant un demi-quart
d’heure. Elles ont des qualités qui nous manquent, des qualités d’un charme particulier, inexprimable;
mais, en fait de raison, de logique, de puissance de lier les idées, d’enchaîner les principes et les
conséquences et d’en apercevoir les rapports, la femme, même la plus supérieure, atteint rarement à
la hauteur d’un homme de médiocre capacité. L’éducation peut être en cela pour quelque chose,
mais le fond de la différence est dans celle des natures. La femme est un papillon léger, gracieux,
brillant, à qui des escargots philosophes ont proposé de se faire chenille."
- Félicité de La Mennais
La femme, de Jules Michelet, 1860
"L’ouvrière
Quand les fabricants anglais, énormément enrichis par les machines récentes, vinrent se plaindre à
M. Pitt et dirent : « Nous n’en pouvons plus, nous ne gagnons pas assez ! » il dit un mot effroyable qui
pèse sur sa mémoire : « Prenez les enfants. »
Combien plus coupables encore ceux qui prirent les femmes, ceux qui ouvrirent à la misère de la fille
des villes, à l’aveuglement de la paysanne, la ressource funeste d’un travail exterminateur et la
promiscuité des manufactures ! Qui dit la femme, dit l’enfant ; en chacune d’elles qu’on détruit, une
famille est détruite, plusieurs enfants, et l’espoir des générations à venir.
Barbarie de notre Occident ! La femme n’a plus été comptée pour l’amour, le bonheur de l’homme,
encore moins comme maternité et comme puissance de race ;
Mais comme ouvrière !
L’ouvrière ! mot impie, sordide, qu’aucune langue n’eut jamais, qu’aucun temps n’aurait compris
avant cet âge de fer, et qui balancerait à lui seul tous nos prétendus progrès.
Ici arrive la bande serrée des économistes, des docteurs du produit net. « Mais, monsieur, les hautes
nécessités économiques, sociales ! L’industrie, gênée, s’arrêterait. Au nom même des classes pauvres
! etc., etc. »
La haute nécessité, c’est d’être. Et visiblement, l’on périt. La population n’augmente plus et elle
baisse en qualité. La paysanne meurt de travail, l’ouvrière de faim. Quels enfants faut-il en attendre ?
Des avortons, de plus en plus.
« Mais un peuple ne périt pas ! » Plusieurs peuples, de ceux même qui figurent encore sur la carte,
n’existent plus. La haute Écosse a disparu. L’Irlande n’est plus comme race. La riche, l’absorbante
Angleterre, ce suceur prodigieux qui suce le globe, ne parvient pas à se refaire par la plus énorme
alimentation. La race y change, y faiblit, fait appel aux alcools, et elle faiblit encore plus. Ceux qui la
virent en 1815 ne la reconnurent plus en 1830. Et combien moins depuis !
Que peut l’État à cela ? Bien moins là-bas, en Angleterre, où la vie industrielle engloutit tout, la terre
même n’étant plus qu’une fabrique. Mais, infiniment en France, où nous comptons encore si peu
d’ouvriers (relativement).
Que de choses ne se pouvaient pas, qui se sont faites pourtant ! On ne pouvait abolir la loterie ; elle
est abolie. On eût juré qu’il était impossible de démolir Paris pour le refaire ; cela s’exécute aisément
par une petite ligne du code. (Expropriation pour cause d’utilité publique.)

Je vois deux peuples dans nos villes :


L’un, vêtu de drap ; c’est l’homme ; — l’autre, de misérable indienne. — Et cela, même l’hiver !
L’un, je parle du dernier ouvrier, du moins payé, du gâcheux, du serviteur des ouvriers ; il arrive
pourtant, cet homme, à manger de la viande le matin (un cervelas sur le pain ou quelque autre
chose). Le soir, il entre à la gargotte et il mange un plat de viande et même boit de mauvais vin.
La femme du même étage prend un sou de lait le matin, du pain à midi et du pain le soir, à peine un
sou de fromage. — Vous niez ?… Cela est certain : je le prouverai tout à l’heure. Sa journée est de dix
sous, et elle ne peut être de onze, pour une raison que je dirai.
Pourquoi en est-il ainsi ? L’homme ne veut plus se marier, il ne veut plus protéger la femme. Il vit
gloutonnement seul.
Est-ce à dire qu’il mène une vie abstinente ? Il ne se prive de rien. Ivre le dimanche soir, il trouvera,
sans chercher, une ombre affamée, et outragera cette morte.
On rougit d’être homme.

« Je gagne trop peu, » dit-il. Quatre ou cinq fois plus que la femme, dans les métiers les plus
nombreux. Lui quarante ou cinquante sous, et elle dix, comme on va le voir.
La pauvreté de l’ouvrier serait pour l’ouvrière richesse, abondance et luxe.
Le premier se plaint bien plus. Et, dès qu’il manque en effet, il manque de bien plus de choses. On
peut dire d’eux ce qu’on a dit de l’Anglais et de l’Irlandais : « L’Irlandais a faim de pommes de terre.
L’Anglais a faim de viande, de sucre, de thé, de bière, de spiritueux, etc., etc. »
Dans le budget de l’ouvrier nécessiteux, je passais deux choses qu’il se donne à tout prix, et
auxquelles elle ne songe pas : le tabac et la barrière. Pour la plupart, ces deux articles absorbent plus
qu’un ménage.
Les salaires de l’homme ont reçu, je le sais, une rude secousse, principalement par l’effet de la crise
métallique qui change la valeur de l’argent. Ils remontent, mais lentement. Il faut du temps pour
l’équilibre. Mais, en tenant compte de cela, la différence subsiste. La femme est encore plus frappée.
C’est la viande, c’est le vin, qui sont diminués pour lui ; pour elle, c’est le pain même. Elle ne peut
reculer, ni tomber davantage : un pas de plus, elle meurt."

"Voyons la condition de la femme ainsi chargée, et encore dans des conditions relativement
favorables.
Une jeune veuve protestante, de mœurs très-austères, laborieuse, économe, sobre, exemplaire en
tout sens, encore agréable, malgré tout ce qu’elle a souffert, demeure derrière l’Hôtel-Dieu, dans une
rue malsaine, plus bas que le quai. Elle a un enfant maladif, qui va toujours à l’école, retombe
toujours au lit et qui ne peut avancer. Son loyer, de cent vingt francs, moins enchéri que bien
d’autres, est porté à cent soixante. Elle disait à deux dames excellentes : « Quand je puis aller en
journée, on veut bien me donner vingt sous, même vingt-cinq ; mais cela ne me vient guère que deux
ou trois fois la semaine. Si vous n’aviez eu la bonté de m’aider pour mon loyer en me donnant cinq
francs par mois, il eût fallu, pour nourrir mon enfant, que je fisse comme les autres, que je
descendisse le soir dans la rue. »
La pauvre femme qui descend tremblante, hélas ! pour s’offrir, est à cent lieues de l’homme grossier
à qui il lui faut s’adresser. Nos ouvrières qui ont tant d’esprit, de goût, de dextérité, sont la plupart
distinguées physiquement, fines et délicates. Quelle différence entre elles et les dames des plus
hautes classes ? Le pied ? Non. La taille ? Non. La main seule fait la différence, parce que la pauvre
ouvrière, forcée de laver souvent, passant l’hiver sous le toit avec une simple chaufferette, a ses
mains, son unique instrument de travail et de vie, gonflées douloureusement, crevées d’engelures. À
cela près, la même femme, pour peu qu’on l’habille, c’est madame la comtesse, autant qu’aucune du
grand faubourg. Elle n’a pas le jargon du monde. Elle est bien plus romanesque, plus vive. Qu’un
éclair de bonheur lui passe, elle éclipsera tout."

Ce texte a soutenu la cause féminine.


Mémoires, Louise Michel, 1886
"Il y a des noms si retentissants et d’une notoriété telle qu’il suffit de les mettre sur la couverture d’un
livre sans qu’il soit nécessaire de présenter l’auteur au public.
Et pourtant je crois utile de faire précéder ces Mémoires d’une courte préface.
Tout le monde connaît, ou croit connaître l’ex-déportée de 1871, l’ex-pensionnaire de la maison
centrale de Clermont, la prisonnière devant laquelle viennent enfin de s’ouvrir les portes de Saint-
Lazare.
Mais il y a deux Louise Michel : celle de la légende et celle de la réalité, qui n’ont l’une avec l’autre
aucun point de ressemblance.
Pour bien des gens, et - pourquoi ne pas l’avouer - pour la grande majorité du public, et surtout en
province, Louise Michel est une sorte d’épouvantail, une impitoyable virago, une ogresse, un monstre
à figure humaine, disposée à semer partout le fer, le feu, le pétrole et la dynamite… Au besoin on
l’accuserait de manger tout crus les petits enfants… Voilà la légende.
Combien différente est la réalité :
Ceux qui l’approchent pour la première fois sont tout stupéfaits de se trouver en face d’une femme à
l’abord sympathique, à la voix douce, aux yeux pétillants d’intelligence et respirant la bonté. Dès
qu’on a causé un quart d’heure avec elle, toutes les préventions s’effacent, tous les partis pris
disparaissent : on se trouve subjugué, charmé, fasciné, conquis.
On peut repousser ses idées, blâmer ses actes ; on ne saurait s’empêcher de l’aimer et de respecter,
même dans leurs écarts, les convictions ardentes et sincères qui l’animent.
Cette violente anarchiste est une séductrice. Les directeurs et les employés des nombreuses prisons
traversées par elle sont tous devenus ses amis, les religieuses elles-mêmes de Saint-Lazare vivaient
avec cette athée, avec cette farouche révolutionnaire, en parfaite intelligence.
C’est qu’il y a, en effet, chez elle - que Mlle Louise Michel me pardonne ! - quelque chose de la sœur
de charité. Elle est l’abnégation et le dévouement incarnés. Sans s’en douter, sans s’en apercevoir,
elle joue autour d’elle le rôle d’une providence. Oublieuse de ses propres besoins et de ses propres
ennuis, elle ne se préoccupe que des chagrins ou des besoins des autres.
C’est pour les autres - parents, amis ou étrangers - qu’elle vit et qu’elle travaille. Et le parloir de Saint-
Lazare, où elle recevait de nombreuses visites quotidiennes, était devenu une sorte de bureau de
charité en même temps qu’un bureau de placement, car la prisonnière, du fond de sa cellule,
s’ingéniait pour trouver des emplois à ceux qui étaient sans ouvrage et pour donner du pain à ceux
qui avaient faim… Elle multipliait les correspondances, n’hésitait pas à importuner ses amis — qui ne
s’en plaignaient jamais - à plaider pour ses protégés.
L’anecdote suivante donnera la mesure de sa bonté :
Il y a trois ans, elle allait faire une série de conférences à Lyon et dans les autres villes de la région du
Rhône. Partie avec une robe toute neuve, elle revint, quinze jours plus tard, au grand scandale de sa
pauvre mère, avec un simple jupon ; la robe de cachemire noir avait disparu ! N’ayant plus d’argent
elle l’avait donnée à Saint-Étienne à une malheureuse femme qui n’en avait pas, renouvelant ainsi la
légende de saint Martin…
Encore l’évêque de Tours ne donnait-il que la moitié de son manteau ; Louise Michel offrait sa robe
tout entière !
J’ai parlé de sa mère. Ah ! voilà encore un des côtés touchants de Mlle Michel. En lisant ses
Mémoires, on verra à quel point est développé chez elle le sentiment de la piété filiale. C’était une
véritable adoration. Cette femme, à quarante ans passés, était soumise comme une petite fille de dix
ans devant l’autorité maternelle. Enfant terrible, parfois, il est vrai !… Ayant recours, pour épargner à
sa digne mère une inquiétude et une angoisse au milieu de ses périlleuses aventures, à une foule
d’innocents subterfuges et de petits mensonges !
Rien qu’en l’entendant dire : « Maman », on se sentait ému ; on ne se souvenait plus qu’elle était
arrivée à la maturité. Elle a conservé une jeunesse de cœur et d'allure, une fraîcheur de sentiments
qui lui donnent un charme incroyable : câline, tendre, affectueuse, se laissant gronder par ses amis,
et les tourmentant, de son côté, avec une mutinerie de jeune fille.
Voilà pour la femme :
Quant à son rôle politique, il ne saurait me convenir de l’apprécier ici, en tête de ces pages où, avec
sa franchise ordinaire, avec un décousu systématique qui ne lui messied pas et des négligences
voulues de forme et de style qui donnent à tout ce qu’elle écrit une originalité particulière, elle
raconte sa vie, ses impressions, ses pensées, ses actes, ses souffrances, ses doctrines.
En éditant ce livre, qui s’adresse à tout le monde, aux adversaires de l’auteur comme à ses amis, je
n’ai ni à blâmer ni à approuver ; ni à endosser ni à décliner la responsabilité de ce qu’il contient. Les
lecteurs jugeront, selon leurs tendances, selon leurs goûts, selon leurs idées, selon leurs hostilités ou
leurs sympathies. C’est leur tâche et non la mienne.
Mais il est un point sur lequel on tombera d’accord, à quelque parti qu’on appartienne, et sur lequel il
n’y a jamais, dans la presse, qu’une seule voix, dès qu’il s’agit de Louise Michel.
On aime, en France, et on admire la simplicité et la crânerie, même chez ceux dont on répudie les
faits et gestes. On estime l’unité de vie et la bonne foi, même dans l’erreur.
Mlle Louise Michel, on lui a constamment rendu cette justice, n’a jamais varié, ni jamais reculé
devant les conséquences de ses tentatives. Elle n’est pas de ceux qui fuient, et l’on se rappelle
qu’après l’échauffourée de l’esplanade des Invalides, elle a résisté à toutes les instances de la famille
amie chez laquelle elle était réfugiée, et a tenu à se constituer prisonnière… Ce n’est ni une lâcheuse
ni une franc-fileuse…
Et quelle crânerie simple, digne, dépourvue de pose et de forfanterie, en présence de ses juges ! Avec
quel calme elle a l’habitude d’accepter la situation qu’elle s’est librement faite, à tort ou à raison ; de
ne s’abriter jamais derrière des faux-fuyants, des excuses ou des échappatoires !
Soit devant le conseil de guerre de Versailles, en 1871 ; soit devant la police correctionnelle, après la
manifestation Blanqui, en 1882 ; soit dans son dernier procès, en 1883, devant la cour d’assises de la
Seine : toujours on l’a trouvée levant fièrement la tête, répondant à tout, s’attachant à justifier ses
coaccusés sans se justifier elle-même, et courant au devant de toutes les solidarités !
On trouvera dans l’appendice placé à la fin de ce premier volume le compte rendu emprunté à la
Gazette des tribunaux, qui n’est pas suspecte de complaisance pour l’accusée, de ces trois jugements,
et l’on se convaincra que la condamnée est vraiment un caractère.
Quant à la résignation, à la joie âcre avec lesquelles elle a supporté les diverses peines prononcées
contre elle : la déportation, la prison, la maison centrale, il faut remonter aux premiers siècles de
notre ère, pour trouver chez les martyres chrétiennes, quelque chose d’équivalent.
Née dix-neuf siècles plus tôt, elle eût été livrée aux bêtes de l’amphithéâtre ; à l’époque de
l’inquisition elle eût été brûlée vive ; à la Réforme, elle se fût noblement livrée aux bourreaux
catholiques. Elle semble née pour la souffrance et pour le martyre.
Il y a quelques jours à peine, et quand le décret de grâce rendu par monsieur le président de la
République lui a été signifié, n’a-t-il pas fallu presque employer la force pour la mettre à la porte de
Saint-Lazare ? Elle ne voulait point d’une clémence qui ne s’appliquait pas à tous ses amis. Sa
libération a été une expulsion, et elle a protesté avec énergie.
Louise Michel n’est pas moins bien douée intellectuellement qu’au point de vue moral.
Fort instruite, bonne musicienne, dessinant fort bien, ayant une singulière facilité pour l’étude des
langues étrangères ; connaissant à fond la botanique, l’histoire naturelle — et l’on trouvera dans ce
volume de curieuses recherches sur la faune et la flore de la Nouvelle-Calédonie — elle a même eu
l’intuition de quelques vérités scientifiques, récemment mises au jour. C’est ainsi qu’elle a devancé M.
Pasteur dans ses applications nouvelles de la vaccine au choléra et à la rage.
Il y a quelques années déjà que la déportée de Nouméa — on le verra plus loin — avait eu l’idée de
vacciner les plantes elles-mêmes !
Mais par-dessus tout, elle est poète, poète dans la véritable acception du mot, et les quelques
fragments jetés çà et là dans ses Mémoires décèlent une nature rêveuse, méditative, assoiffée
d’idéal. La plupart de ses vers sont irréprochables pour la forme aussi bien que pour le fond et pour la
pensée.
Je m’arrête.
Maintenant que j’ai — au risque d’encourir les reproches de Mlle Louise Michel — présenté, sous son
vrai jour, une des physionomies les plus curieuses de notre temps, je livre avec confiance ce livre au
public, et je laisse la parole à l’auteur."

Préface de l'éditeur : les hommes s'engagent dans la cause féminine (en bien ou en mal).

"J'ai toujours été étonné qu'on laissa les femmes entrer dans les églises. Quelles conversations
peuvent-elles avoir avec Dieu ?"
- Baudelaire

La femme est condamnée à être soit une sorcière, une vierge, une mère de famille ou soit une
prostituée. Ces représentations relèvent du mythe.
L'image d'une femme émancipée apparaît chez Mathilde de La Mole dans Le rouge et le noir de
Stendhal. Elle est à l'égal de l'homme (engagement, rapport à l'amour, force de caractère). Mais la
plupart des romantiques présentent les femmes comme une sainte, une muse, une amoureuse qui
inspire. Ils vouent leurs poèmes au féminin qui n'est pas émancipé, la femme nouvelle ne naît pas
dans les oeuvres romantiques.

Les années 70 sont marquées par des romans populaires, écrits par le peuple, pour le peuple. Parmi
les écrivains socialistes : Sans famille d' Hector Malo, Les mystères de Paris d'Eugène Sue, Les
mystères de Londres de Paul Féval, Le Bossu de Paul Féval… Ces écrits rencontrent un succès auprès
du peuple (paralittérature, raconteurs d'histoires, sans réflexion sur le style ou la forme). Le roman
historique et le roman policier sont en tête : ce sont des romans manichéens (le bien contre le mal,
rétablissement de l'ordre social). Connaissent du succès les romans feuilletons (il faut acheter
quotidiennement les feuilles pour connaître la suite de l'histoire), les comptes-rendus des procès…
Tous ces textes bénéficient de la scolarité obligatoire : les classes populaires sont alphabétisées.

Le XIXème est aussi marqué par les débuts de l'édition, l'apparition des périodiques, le
développement des bibliothèques communales… Tout cela est favorable à l'essor d'idées sociales sur
tous les plans : juridique, instruction, édition…
Le roman policier est engagé politiquement (exemple : l'anarchiste Arsène Lupin). Le roman policier
est intéressant sur le plan politique : en France, le policier mène une vie banale, c'est un
fonctionnaire. Après une situation de perturbation sociale, il rétablit l'ordre. Le policier représente
l'Etat, qui protège la population et est garant du retour à l'ordre (Maigret, Colombo…).
Au Royaume-Uni, Sherlock Holmes, par exemple, est d'origine aristocratique.
La culture du pays influence les romans policiers.

Madame Bovary, Flaubert, 1857


Après son mariage, Madame Bovary n'a pas la vie qu'elle rêvait d'avoir. Elle se laisse aller à deux
adultères, et même ses amants ne sont pas bons. D'échecs en échecs, elle devient de plus en plus
pauvre, de plus en plus seule, et se suicide au cyanure. Madame Bovary naît d'un fait divers (suicide
d'une femme de province endettée) : Delamarre, un officier de santé veuf, épouse une romantique.
Dès l'installation du couple en province, la jeune épouse prend deux amants, s'endette puis se
suicide à 27 ans. L'époux meurt dans l'année qui suit et laisse leur fille orpheline.
Madame Bovary a été traduit en justice car jugé offensant la morale publique, religieuse (le même
tribunal qui a essayé d'empêcher la publication des Fleurs du mal). Malgré quelques coupes, le
roman a pu être publié.

De ce roman naît le bovarysme : un état psychologique d'insatisfaction, d'ennui, par rapport à sa vie
(frustration face au décalage entre les rêves et la réalité).

"Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d'être endormie ; et, tandis qu'il s'assoupissait à ses
côtés, elle se réveillait en d'autres rêves.
Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d'où ils ne
reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d'une
montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des
navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus
portaient des nids de cigognes. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre
des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner
des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur
s'envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles, qui
souriaient sous les jets d'eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets
bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C'est là qu'ils s'arrêteraient pour vivre ;
ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d'un palmier, au fond d'un golfe, au bord de
la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile
et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu'ils
contempleraient. Cependant, sur l'immensité de cet avenir qu'elle se faisait apparaître, rien de
particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se
balançait à l'horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l'enfant se mettait à
tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s'endormait que le matin,
quand l'aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait les auvents de
la pharmacie."
Une vie, Maupassant, 1857
Projet réaliste, mais en réalité naturaliste (biographie fictive).
Jeanne est l’équivalent de Mme de Bovary, sauf qu’elle accepte son sort de femme sans
complaisance, et avec courage.

"Le baron, un matin, entra dans la chambre de Jeanne avant qu’elle fût levée, et s’asseyant sur les
pieds du lit : « M. le vicomte de Lamare nous a demandé ta main. »
Elle eut envie de cacher sa figure sous ses draps.
Son père reprit : « Nous avons remis notre réponse à tantôt. » Elle haletait, étranglée par l’émotion.
Au bout d’une minute le baron, qui souriait, ajouta : « Nous n’avons rien voulu faire sans t’en parler.
Ta mère et moi ne sommes pas opposés à ce mariage, sans prétendre cependant t’y engager. Tu es
beaucoup plus riche que lui, mais, quand il s’agit du bonheur d’une vie, on ne doit pas se préoccuper
de l’argent. Il n’a plus aucun parent ; si tu l’épousais donc, ce serait un fils qui entrerait dans notre
famille, tandis qu’avec un autre, c’est toi, notre fille, qui irait chez des étrangers. Le garçon nous plaît.
Te plairait-il… à toi ? »
Elle balbutia, rouge jusqu’aux cheveux : « Je veux bien, papa. »
Et petit père, en la regardant au fond des yeux, et riant toujours, murmura : « Je m’en doutais un
peu, Mademoiselle. »
Elle vécut jusqu’au soir comme si elle était grise, sans savoir ce qu’elle faisait, prenant
machinalement des objets pour d’autres, et les jambes toutes molles de fatigue sans qu’elle eût
marché.
Vers six heures, comme elle était assise avec petite mère sous le platane, le vicomte parut.
Le cœur de Jeanne se mit à battre follement. Le jeune homme s’avançait sans paraître ému. Lorsqu’il
fut tout près, il prit les doigts de la baronne et les baisa, puis soulevant à son tour la main frémissante
de la jeune fille, il y déposa de toutes ses lèvres un long baiser tendre et reconnaissant.
Et la radieuse saison des fiançailles commença. Ils causaient seuls dans les coins du salon ou bien
assis sur le talus au fond du bosquet devant la lande sauvage. Parfois, ils se promenaient dans l’allée
de petite mère, lui, parlant d’avenir, elle, les yeux baissés sur la trace poudreuse du pied de la
baronne.
Une fois la chose décidée, on voulut hâter le dénouement ; il fut donc convenu que la cérémonie
aurait lieu dans six semaines, au 15 août ; et que les jeunes mariés partiraient immédiatement pour
leur voyage de noces. Jeanne, consultée sur le pays qu’elle voulait visiter se décida pour la Corse où
l’on devait être plus seuls que dans les villes d’Italie.
Ils attendaient le moment fixé pour leur union sans impatience trop vive, mais enveloppés, roulés
dans une tendresse délicieuse, savourant le charme exquis des insignifiantes caresses, des doigts
pressés, des regards passionnés, si longs que les âmes semblent se mêler ; et vaguement tourmentés
par le désir indécis des grandes étreintes.
On résolut de n’inviter personne au mariage, à l’exception de tante Lison, la sœur de la baronne, qui
vivait comme dame pensionnaire dans un couvent de Versailles.
Après la mort de leur père, la baronne avait voulu garder sa sœur avec elle ; mais la vieille fille,
poursuivie par l’idée qu’elle gênait tout le monde, qu’elle était inutile et importune, se retira dans une
de ces maisons religieuses qui louent des appartements aux gens tristes et isolés dans l’existence.
Elle venait, de temps en temps, passer un mois ou deux dans sa famille.
C’était une petite femme qui parlait peu, s’effaçait toujours, apparaissait seulement aux heures des
repas, et remontait ensuite dans sa chambre où elle restait enfermée sans cesse.
Elle avait un air bon et vieillot, bien qu’elle fût âgée seulement de quarante-deux ans, un œil doux et
triste ; elle n’avait jamais compté pour rien dans sa famille. Toute petite, comme elle n’était point
jolie ni turbulente, on ne l’embrassait guère ; et elle restait tranquille et douce dans les coins. Depuis
elle demeura toujours sacrifiée. Jeune fille, personne ne s’occupa d’elle.
C’était quelque chose comme une ombre ou un objet familier, un meuble vivant qu’on est accoutumé
à voir chaque jour, mais dont on ne s’inquiète jamais.
Sa sœur, par habitude prise dans la maison paternelle, la considérait comme un être manqué, tout à
fait insignifiant. On la traitait avec une familiarité sans gêne qui cachait une sorte de bonté
méprisante. Elle s’appelait Lise et semblait gênée par ce nom pimpant et jeune. Quand on avait vu
qu’elle ne se mariait pas, qu’elle ne se marierait sans doute point, de Lise on avait fait Lison. Depuis
la naissance de Jeanne, elle était devenue « tante Lison », une humble parente, proprette,
affreusement timide, même avec sa sœur et son beau-frère qui l’aimaient pourtant, mais d’une
affection vague participant d’une tendresse indifférente, d’une compassion inconsciente et d’une
bienveillance naturelle.
Quelquefois, quand la baronne parlait des choses lointaines de sa jeunesse, elle prononçait, pour fixer
une date : « C’était à l’époque du coup de tête de Lison. »
On n’en disait jamais plus ; et « ce coup de tête » restait comme enveloppé de brouillard.
Un soir Lise, âgée alors de vingt ans, s’était jetée à l’eau sans qu’on sût pourquoi. Rien dans sa vie,
dans ses manières, ne pouvait faire pressentir cette folie. On l’avait repêchée à moitié morte ; et ses
parents, levant des bras indignés, au lieu de chercher la cause mystérieuse de cette action, s’étaient
contentés de parler du « coup de tête », comme ils parlaient de l’accident du cheval « Coco » qui
s’était cassé la jambe un peu auparavant dans une ornière et qu’on avait été obligé d’abattre."

Le rêve de Jeanne, de trouver son "prince charmant”, se concrétise.


"Insignifiantes”, "vaguement”, "on résolut de n’inviter personne”, "vague”, "différent”, "inconscient”
: très loin de la passion.
Le passage à l'âge adulte passe par l'institution du mariage : "elle s’était endormie jeune fille, elle est
devenue femme maintenant".
Rosalie, la gouvernante, a un fils du mari de Jeanne.
Ses attentes sur le mariage sont déçues : volonté de peindre le désir qui s’use et la déception.
Description réaliste de la nuit de noces et du voyage de noces.
Le roman est le genre par excellence, permettant de mêler ces différentes sciences, notamment la
sociologie (rapport de l’homme à son milieu).

Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1857


Baudelaire est identifié comme celui qui a marqué le début de la modernité.

Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle


Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous fait un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,


Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide,
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées


D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’horribles araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout-à-coup sautent avec furie


Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrément.

— Et d’anciens corbillards, sans tambours ni musique,


Défilent lentement dans mon âme ; et, l’Espoir
Pleurant comme un vaincu, l’Angoisse despotique
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Baudelaire a perdu son père à l’âge de 6 ans. Adulte, il s’enlise rapidement dans une vie de
débauche à Paris. Sa famille l’envoie obligatoirement sur l’île de la Réunion, en 1841.

En 1857, son recueil Les Fleurs du Mal est condamné pour immoralité. Baudelaire s’enfonce ensuite
dans la maladie et la misère. Il meurt en 1867, après une vie d'excès et de déprime.

Le tempérament romantique et la reconnaissance de l’art vont caractériser la modernité. Baudelaire


n’innove pas en ce qui concerne la forme (sonnets, alexandrins, rimes plates). Mais, Baudelaire est
audacieux sur le plan du rythme et des thématiques.

Une charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,


Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint.

Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s’épanouir ;
— La puanteur était si forte que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir ; —

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,


D’où sortaient de noirs bataillons
De larves qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,


Où s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique


Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,


Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète


Nous regardait d’un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui, telle vous serez, ô la reine des grâces,


Après les derniers sacrements,
Quand vous irez sous l’herbe et les floraisons grasses
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté, dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Il y a une rupture manifeste avec le romantisme sur le plan de la thématique. Baudelaire présente la
nature comme dégénérescence, pourriture et corruption.
Parler du putride est assez moderne. Le beau peut jaillir du laid, on peut faire de la charogne
quelque chose de sublime.

Correspondances

La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent


Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,


Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,


Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Tentative de ressaisissement d’un tout que Baudelaire appelle les "correspondances".

Baudelaire tente de faire une description par le biais d’un échange entre les sens (odorat, ouïe).

Représentation de la femme fleur pouvant revêter tous les aspects de la nature, une femme muse
(diabolique et en même temps enchanteresse).
C’est dans ces textes critiques que Baudelaire incarne la modernité. Il est sensible à l’évolution que
prend la pratique artistique au XIXème siècle, et est en même temps très méfiant face à son
formalisme, ce qui le rend hermétique.
"La modernité

Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme, tel que je l’ai dépeint, ce
solitaire doué d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un
but plus élevé que celui d’un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la
circonstance. Il cherche ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité ; car il ne se
présente pas de meilleur mot pour exprimer l’idée en question. Il s’agit, pour lui, de dégager de la
mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire. Si nous
jetons un coup d’œil sur nos expositions de tableaux modernes, nous sommes frappés de la tendance
générale des artistes à habiller tous les sujets de costumes anciens. Presque tous se servent des
modes et des meubles de la Renaissance, comme David se servait des modes et des meubles romains.
Il y a cependant cette différence, que David, ayant choisi des sujets particulièrement grecs ou
romains, ne pouvait pas faire autrement que de les habiller à l’antique, tandis que les peintres
actuels, choisissant des sujets d’une nature générale applicable à toutes les époques, s’obstinent à les
affubler des costumes du Moyen Âge, de la Renaissance ou de l’Orient. C’est évidemment le signe
d’une grande paresse ; car il est beaucoup plus commode de déclarer que tout est absolument laid
dans l’habit d’une époque, que de s’appliquer à en extraire la beauté mystérieuse qui y peut être
contenue, si minime ou si légère qu’elle soit. La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent,
la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque
peintre ancien ; la plupart des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont revêtus des
costumes de leur époque. Ils sont parfaitement harmonieux, parce que le costume, la coiffure et
même le geste, le regard et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire) forment
un tout d’une complète vitalité. Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si
fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant, vous
tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l’unique
femme avant le premier péché. Si au costume de l’époque, qui s’impose nécessairement, vous en
substituez un autre, vous faites un contre-sens qui ne peut avoir d’excuse que dans le cas d’une
mascarade voulue par la mode. Ainsi, les déesses, les nymphes et les sultanes du xviiie siècle sont des
portraits moralement ressemblants.
Il est sans doute excellent d’étudier les anciens maîtres pour apprendre à peindre, mais cela ne peut
être qu’un exercice superflu si votre but est de comprendre le caractère de la beauté présente. Les
draperies de Rubens ou de Véronèse ne vous enseigneront pas à faire de la moire antique, du satin à
la reine, ou toute autre étoffe de nos fabriques, soulevée, balancée par la crinoline ou les jupons de
mousseline empesée. Le tissu et le grain ne sont pas les mêmes que dans les étoffes de l’ancienne
Venise ou dans celles portées à la cour de Catherine. Ajoutons aussi que la coupe de la jupe et du
corsage est absolument différente, que les plis sont disposés dans un système nouveau, et enfin que
le geste et le port de la femme actuelle donnent à sa robe une vie et une physionomie qui ne sont pas
celles de la femme ancienne. En un mot, pour que toute modernité soit digne de devenir antiquité, il
faut que la beauté mystérieuse que la vie humaine y met involontairement en ait été extraite. C’est à
cette tâche que s’applique particulièrement M. G.
J’ai dit que chaque époque avait son port, son regard et son geste. C’est surtout dans une vaste
galerie de portraits (celle de Versailles, par exemple) que cette proposition devient facile à vérifier.
Mais elle peut s’étendre plus loin encore. Dans l’unité qui s’appelle nation, les professions, les castes,
les siècles introduisent la variété, non-seulement dans les gestes et les manières, mais aussi dans la
forme positive du visage. Tel nez, telle bouche, tel front remplissent l’intervalle d’une durée que je ne
prétends pas déterminer ici, mais qui certainement peut être soumise à un calcul. De telles
considérations ne sont pas assez familières aux portraitistes ; et le grand défaut de M. Ingres, en
particulier, est de vouloir imposer à chaque type qui pose sous son œil un perfectionnement plus ou
moins despotique, emprunté au répertoire des idées classiques.
En pareille matière, il serait facile et même légitime de raisonner a priori. La corrélation perpétuelle
de ce qu’on appelle l’âme avec ce qu’on appelle le corps explique très-bien comment tout ce qui est
matériel ou effluve du spirituel représente et représentera toujours le spirituel d’où il dérive. Si un
peintre patient et minutieux, mais d’une imagination médiocre, ayant à peindre une courtisane du
temps présent, s’inspire (c’est le mot consacré) d’une courtisane de Titien ou de Raphaël, il est
infiniment probable qu’il fera une œuvre fausse, ambiguë et obscure. L’étude d’un chef-d’œuvre de
ce temps et de ce genre ne lui enseignera ni l’attitude, ni le regard, ni la grimace, ni l’aspect vital
d’une de ces créatures que le dictionnaire de la mode a successivement classées sous les titres
grossiers ou badins d’impures, de filles entretenues, de lorettes et de biches.
La même critique s’applique rigoureusement à l’étude du militaire, du dandy, de l’animal même,
chien ou cheval, et de tout ce qui compose la vie extérieure d’un siècle. Malheur à celui qui étudie
dans l’antique autre chose que l’art pur, la logique, la méthode générale ! Pour s’y trop plonger, il
perd la mémoire du présent ; il abdique la valeur et les priviléges fournis par la circonstance ; car
presque toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos sensations. Le lecteur
comprend d’avance que je pourrais vérifier facilement mes assertions sur de nombreux objets autres
que la femme. Que diriez-vous, par exemple, d’un peintre de marines (je pousse l’hypothèse à
l’extrême) qui, ayant à reproduire la beauté sobre et élégante du navire moderne, fatiguerait ses
yeux à étudier les formes surchargées, contournées, l’arrière monumental du navire ancien et les
voilures compliquées du xvie siècle ? Et que penseriez-vous d’un artiste que vous auriez chargé de
faire le portrait d’un pur-sang, célèbre dans les solennités du turf, s’il allait confiner ses
contemplations dans les musées, s’il se contentait d’observer le cheval dans les galeries du passé,
dans Van Dyck, Bourguignon ou Van der Meulen ?
M. G., dirigé par la nature, tyrannisé par la circonstance, a suivi une voie toute différente. Il a
commencé par contempler la vie, et ne s’est ingénié que tard à apprendre les moyens d’exprimer la
vie. Il en est résulté une originalité saisissante, dans laquelle ce qui peut rester de barbare et d’ingénu
apparaît comme une preuve nouvelle d’obéissance à l’impression, comme une flatterie à la vérité.
Pour la plupart d’entre nous, surtout pour les gens d’affaires, aux yeux de qui la nature n’existe pas,
si ce n’est dans ses rapports d’utilité avec leurs affaires, le fantastique réel de la vie est
singulièrement émoussé. M. G. l’absorbe sans cesse ; il en a la mémoire et les yeux pleins."

Promotion de la modernité, prendre acte du fugitif et déceler l’émotion, le beau.

Le flacon

Il est de forts parfums pour qui toute matière


Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l’orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,


Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige


Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige
Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;

Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,


Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire


Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence !


Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges ! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !

Rimes destructurant l’alexandrin, représentation de la femme très binaire et mystifiée.

Maupassant
Maupassant est un disciple de Flaubert. Il a publié plus de six romans, mais est surtout connu pour
ses nouvelles.
Ses nouvelles sont une construction qui programme un renversement de situation, laissant le lecteur
sans voix. Elles donnent l'image d’une représentation de la réalité extrêmement cruelle, un mépris
du monde paysan que Maupassant trouve étriqué.
Interné à cause des névralgies que la syphilis lui procure, Maupassant meurt en 1891.

III. Le naturalisme
Le prix Goncourt soutient l'autonomie financière des écrivains, exclusivement masculins.
Le prix Goncourt étant jugé misogyne, le prix Femina est créé.

Le naturaliste n'est pas d'origine française, ce n'est pas Zola qui a lancé le mouvement.
Les naturalistes en France : Zola, Goncourt, Maupassant, Huysmans...

Au XIXème, les sciences humaines se développent (apparition de la sociologie). Le naturalisme est


emprunt à de nombreux discours scientifiques.
En 1880, dans le roman expérimental, on observe une influence du discours scientifique,
technologique (machines), idéologique (montée du socialisme), la théorie de l'évolution se
développe… Selon Zola, dans le corps social s'applique la même sélection naturelle que dans la
nature. Il fait une observation et une experimentation de la société.
Ce projet d'embrasser toute la nature donne son nom au naturalisme.

1. Émile Zola
L'assomoir, publié en 1877, marque le début de cette vague naturaliste forte, qui a eu beaucoup
d'influence à la fin du XIXème siècle.
Le début du XXème sera encore marqué par quelques textes naturalistes qui traitent de la Première
Guerre mondiale, comme Le Feu, de Barbusse (1916).

Émile Zola se fixe un plan de carrière, notamment grâce au projet Les Rougon-Macquart, il a pour
objectif de faire un roman par an. Soucieux d'indépendance et d'autonomie financière, il maîtrise les
publications en publiant en feuilletons, puis en volumes.

Zola est accusé d'avoir un goût pour les bas-fonds, le vulgaire, le méprisable. Le parlé populaire qu'il
utilise est aussi critiqué.

Avec J'accuse, en 1898, Zola, journaliste, prend position dans l'affaire Dreyfus. Son succès décline
suite à cet engagement. Menacé, il est obligé de s'exiler. Émile Zola finira par mourir d'asphyxie, en
1902.

Le roman est le genre qui peut tout dire, il interroge la manière de l'homme d'habiter le monde, ce
que ne fait pas la poésie. Le développement psychologique et historique est plus large que dans le
poème.
Le roman expérimental, de Émile Zola, 1880
"Le problème est de savoir ce que telle passion, agissant dans tel milieu et dans telles circonstances,
produira au point de vue de l'individu et de la société ; et un roman expérimental, La Cousine Bette
par exemple, est simplement le procès-verbal de l'expérience, que le romancier répète sous les yeux
du public. En somme, toute l'opération consiste à prendre des faits dans la nature, puis à étudier le
mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux,
sans jamais s'écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l'homme, la
connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale."

La doctrine naturaliste est présentée.

L'assomoir, de Émile Zola, 1877


"Les lendemains de culotte, le zingueur avait mal aux cheveux, un mal aux cheveux terrible qui le
tenait tout le jour les crins défrisés, le bec empesté, la margoulette enflée et de travers. Il se levait
tard, secouait ses puces sur les huit heures seulement ; et il crachait, traînaillait dans la boutique, ne
se décidait pas à partir pour le chantier. La journée était encore perdue. Le matin, il se plaignait
d’avoir des guibolles de coton, il s’appelait trop bête de gueuletonner comme ça, puisque ça vous
démantibulait le tempérament. Aussi, on rencontrait un tas de gouapes, qui ne voulaient pas vous
lâcher le coude ; on gobelottait malgré soi, on se trouvait dans toutes sortes de fourbis, on finissait
par se laisser pincer, et raide ! Ah ! fichtre non ! ça ne lui arriverait plus ; il n’entendait pas laisser ses
bottes chez le mastroquet, à la fleur de l’âge. Mais, après le déjeuner, il se requinquait, poussant des
hum ! hum ! pour se prouver qu’il avait encore un bon creux. Il commençait à nier la noce de la veille,
un peu d’allumage peut-être. On n’en faisait plus de comme lui, solide au poste, une poigne du
diable, buvant tout ce qu’il voulait sans cligner un œil. Alors, l’après-midi entière, il flânochait dans le
quartier. Quand il avait bien embêté les ouvrières, sa femme lui donnait vingt sous pour qu’il
débarrassât le plancher. Il filait, il allait acheter son tabac à la Petite Civette, rue des Poissonniers, où
il prenait généralement une prune, lorsqu’il rencontrait un ami.
Puis, il achevait de casser la pièce de vingt sous chez François, au coin de la rue de la Goutte-d’Or, où
il y avait un joli vin, tout jeune, chatouillant le gosier. C’était un mannezingue de l’ancien jeu, une
boutique noire, sous un plafond bas, avec une salle enfumée, à côté, dans laquelle on vendait de la
soupe. Et il restait là jusqu’au soir, à jouer des canons au tourniquet ; il avait l’œil chez François, qui
promettait formellement de ne jamais présenter la note à la bourgeoise. N’est-ce pas ? il fallait bien
se rincer un peu la dalle, pour la débarrasser des crasses de la veille. Un verre de vin en pousse un
autre. Lui, d’ailleurs, toujours bon zigue, ne donnant pas une chiquenaude au sexe, aimant la
rigolade, bien sûr, et se piquant le nez à son tour, mais gentiment, plein de mépris pour ces saloperies
d’hommes tombés dans l’alcool, qu’on ne voit pas dessoûler ! Il rentrait gai et galant comme un
pinson.
— Est-ce que ton amoureux est venu ? demandait-il parfois à Gervaise pour la taquiner. On ne
l’aperçoit plus, il faudra que j’aille le chercher.
L’amoureux, c’était Goujet. Il évitait, en effet, de venir trop souvent, par peur de gêner et de faire
causer. Pourtant, il saisissait les prétextes, apportait le linge, passait vingt fois sur le trottoir. Il y avait
un coin dans la boutique, au fond, où il aimait rester des heures, assis sans bouger, fumant sa courte
pipe. Le soir, après son dîner, une fois tous les dix jours, il se risquait, s’installait ; et il n’était guère
causeur, la bouche cousue, les yeux sur Gervaise, ôtant seulement sa pipe de la bouche pour rire de
tout ce qu’elle disait. Quand l’atelier veillait le samedi, il s’oubliait, paraissait s’amuser là plus que s’il
était allé au spectacle.
Des fois, les ouvrières repassaient jusqu’à trois heures du matin. Une lampe pendait du plafond, à un
fil de fer ; l’abat-jour jetait un grand rond de clarté vive, dans lequel les linges prenaient des
blancheurs molles de neige. L’apprentie mettait les volets de la boutique ; mais, comme les nuits de
juillet étaient brûlantes, on laissait la porte ouverte sur la rue. Et, à mesure que l’heure avançait, les
ouvrières se dégrafaient, pour être à l’aise. Elles avaient une peau fine, toute dorée dans le coup de
lumière de la lampe, Gervaise surtout, devenue grasse, les épaules blondes, luisantes comme une
soie, avec un pli de bébé au cou, dont il aurait dessiné de souvenir la petite fossette, tant il le
connaissait."

Reflet réel du parlé de Zola, familiarité du langage. Comme chez Balzac, il y a un certain symbolisme
des personnages : les traits caractéristiques sont outrés (prostitution, alcoolisme).

La bête humaine, de Émile Zola, 1890


Zola témoigne du désir qu'il a toujours eu en lui : tuer des filles.

"Alors, Jacques, les jambes brisées, tomba au bord de la ligne, et il éclata en sanglots convulsifs,
vautré sur le ventre, la face enfoncée dans l’herbe. Mon Dieu ! il était donc revenu, ce mal
abominable dont il se croyait guéri ? Voilà qu’il avait voulu la tuer, cette fille ! Tuer une femme, tuer
une femme ! cela sonnait à ses oreilles, du fond de sa jeunesse, avec la fièvre grandissante, affolante
du désir. Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui s’était enragé à
l’idée d’en tuer une. Car il ne pouvait se mentir, il avait bien pris les ciseaux pour les lui planter dans
la chair, dès qu’il l’avait vue, cette chair, cette gorge, chaude et blanche. Et ce n’était point parce
qu’elle résistait, non ! c’était pour le plaisir, parce qu’il en avait une envie, une envie telle, que, s’il ne
s’était pas cramponné aux herbes, il serait retourné là-bas, en galopant, pour l’égorger. Elle, mon
Dieu ! cette Flore qu’il avait vue grandir, cette enfant sauvage dont il venait de se sentir aimé si
profondément. Ses doigts tordus entrèrent dans la terre, ses sanglots lui déchirèrent la gorge, dans
un râle d’effroyable désespoir.
Pourtant, il s'efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu'avait-il donc de différent, lorsqu'il
se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse, souvent déjà il s'était questionné. Sa
mère Gervaise, il est vrai, l'avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n'arrivait que le second,
elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu'elle était accouchée du premier, Claude ; et
aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Etienne, né plus tard, ne semblait souffrir d'une mère si enfant
et d'un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais coeur devait coûter à Gervaise tant
de larmes. Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal qu'ils n'avouaient pas, l'aîné surtout
qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement, qu'on le disait à moitié fou de son génie. La
famille n'était guère d'aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien,
cette fêlure héréditaire ; non pas qu'il fût d'une santé mauvaise, car l'appréhension et la honte de ses
crises l'avaient seules maigri autrefois ; mais c'étaient, dans son être, de subites pertes d'équilibre,
comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d'une sorte de grande
fumée qui déformait tout. Il ne s'appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée.
Pourtant, il ne buvait pas, il se refusait même un petit verre d'eau-de-vie, ayant remarqué que la
moindre goutte d'alcool le rendait fou. Et il en venait à penser qu'il payait pour les autres, les pères,
les grands-pères, qui avaient bu, les générations d'ivrognes dont il était le sang gâté, un lent
empoisonnement, une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des
bois.
Jacques s’était relevé sur un coude, réfléchissant, regardant l’entrée noire du tunnel ; et un nouveau
sanglot courut de ses reins à sa nuque, il retomba, il roula sa tête par terre, criant de douleur. Cette
fille, cette fille qu’il avait voulu tuer ! Cela revenait en lui, aigu, affreux, comme si les ciseaux eussent
pénétré dans sa propre chair.
Aucun raisonnement ne l’apaisait : il avait voulu la tuer, il la tuerait, si elle était encore là, dégrafée,
la gorge nue. Il se rappelait bien, il était âgé de seize ans à peine, la première fois, lorsque le mal
l’avait pris, un soir qu’il jouait avec une gamine, la fillette d’une parente, sa cadette de deux ans ; elle
était tombée, il avait vu ses jambes, et il s’était rué. L’année suivante, il se souvenait d’avoir aiguisé
un couteau pour l’enfoncer dans le cou d’une autre, une petite blonde, qu’il voyait chaque matin
passer devant sa porte. Celle-ci avait un cou très gras, très rose, où il choisissait déjà la place, un
signe brun, sous l’oreille. Puis, c’en étaient d’autres, d’autres encore, un défilé de cauchemar, toutes
celles qu’il avait effleurées de son désir brusque de meurtre, les femmes coudoyées dans la rue, les
femmes qu’une rencontre faisait ses voisines, une surtout, une nouvelle mariée, assise près de lui au
théâtre, qui riait très fort, et qu’il avait dû fuir, au milieu d’un acte, pour ne pas l’éventrer. Puisqu’il
ne les connaissait pas, quelle fureur pouvait-il avoir contre elles ? car, chaque fois, c’était comme une
soudaine crise de rage aveugle, une soif toujours renaissante de venger des offenses très anciennes,
dont il aurait perdu l’exacte mémoire. Cela venait-il donc de si loin, du mal que les femmes avaient
fait à sa race, de la rancune amassée de mâle en mâle, depuis la première tromperie au fond des
cavernes ? Et il sentait aussi, dans son accès, une nécessité de bataille pour conquérir la femelle et la
dompter, le besoin perverti de la jeter morte sur son dos, ainsi qu’une proie qu’on arrache aux autres,
à jamais. Son crâne éclatait sous l’effort, il n’arrivait pas à se répondre, trop ignorant, pensait-il, le
cerveau trop sourd, dans cette angoisse d’un homme poussé à des actes où sa volonté n’était pour
rien, et dont la cause en lui avait disparu."

Germinal en 1885, Au bonheur des dames 1883, J'accuse 1898

2. Rimbaud
Arthur Rimbaud est mort à l'âge de 37 ans.

L'éternité

"Elle est retrouvée.


Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,


Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,


Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.

Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.


Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil."

Rupture sur le plan formel (pas d'alexandrins).

On ne se libère pas grâce à la littérature, alors Rimbaud fait le souhait de ne plus écrire du tout.
Rimbaud avait un rapport maudit avec la littérature.

Oeuvres : Une saison en enfer (1973), Bateau ivre (1971), Les illuminations (1886).

La lettre du voyant, de Arthur Rimbaud, 1871


"La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche
son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. (...) Le Poète se fait voyant par un long, immense et
raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche
lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture
où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade,
le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a
cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre
l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et
innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre
s’est affaissé !
(...)
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ;
si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver
une langue ;
— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! Il faut être
académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce
soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer
dans la folie !-
Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée
accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans
l’âme universelle : il donnerait plus — (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au
Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de
progrès !
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie ces
poèmes seront faits pour rester. — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque. L’art éternel
aurait ses fonctions ; comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action, elle sera
en avant."

Aube, de Arthur Rimbaud, 1886


"J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas
la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les
ailes
se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit
son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la
déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au
coq.
A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les
quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un
peu
son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi."

Syntaxe et forme versifiée déstructurées.


IV. Le symbolisme
Le symbolisme est apparu dans les années 1880.
Il est plus porté sur la dérision, l’inquiétude et la curiosité métaphysique que vers la spiritualité.

Les représentants du symbolisme : Schopenhauer (philosophe pessimiste), Nietzsche, Bergson…


Le symbolisme s'étend chez d'autres écrivains du XXème siècle, comme Valérie.

En 1886, Jean Moréas écrit le Manifeste du symbolisme.

Le symbolisme est marqué par cet esprit décadent, qu'on voit à travers quelques titres d’oeuvres,
comme À rebours, de Huysmans (1884). Les écrivains se présentent comme troublés, écrasés par la
fatalité.

A la fin du XIXème siècle, on assimile les écrivains à des névrosés, enfermés dans une individualité.
Ils vivent le monde comme une résignation.
En littérature, l'œuvre est décomposée pour mettre en valeur le sens de chaque mot. Par exemple,
dans Les lauriers sont coupés, d'Édouard Dujardin (1887): le narrateur dit "je", il met en avant ses
sensations plutôt que la cohérence. Cette oeuvre est la première qui raconte un monologue
intérieur.

Avec le romantisme, c'était le culte du moi, avec cette écriture à la première personne, cette
éducation à la sensibilité… Mais avec le symbolisme, c'est un regard pessimiste : le comportement
n'est pas maîtrisé, on parle des relations à soi-même, des émotions refoulées sur soi. Les symbolistes
sont pessimistes et valorisent le culte de soi-même.
Nietzsche disait que la douleur fait partie de la vie.

La parure, de Maupassant, 1884


"C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille
d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun moyen d’être connue, comprise, aimée,
épousée par un homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un petit commis du ministère
de l’Instruction publique.
Elle fut simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une déclassée ; car les femmes
n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de
famille. Leur finesse native, leur instinct d’élégance, leur souplesse d’esprit sont leur seule hiérarchie,
et font des filles du peuple les égales des plus grandes dames.
Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les délicatesses et tous les luxes. Elle souffrait de
la pauvreté de son logement, de la misère des murs, de l’usure des sièges, de la laideur des étoffes.
Toutes ces choses, dont une autre femme de sa caste ne se serait même pas aperçue, la torturaient
et l’indignaient. La vue de la petite Bretonne qui faisait son humble ménage éveillait en elle des
regrets désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres muettes, capitonnées avec des
tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets en culotte
courte qui dorment dans les larges fauteuils, assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle
songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins portant des bibelots
inestimables, et aux petits salons coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec les
amis les plus intimes, les hommes connus et recherchés dont toutes les femmes envient et désirent
l’attention.
Quand elle s’asseyait, pour dîner, devant la table ronde couverte d’une nappe de trois jours, en face
de son mari qui découvrait la soupière en déclarant d’un air enchanté : « Ah ! le bon pot-au-feu ! je
ne sais rien de meilleur que cela... » elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes, aux
tapisseries peuplant les murailles de personnages anciens et d’oiseaux étranges au milieu d’une forêt
de féerie ; elle songeait aux plats exquis servis en des vaisselles merveilleuses, aux galanteries
chuchotées et écoutées avec un sourire de sphinx, tout en mangeant la chair rose d’une truite ou des
ailes de gélinotte.
Elle n’avait pas de toilettes, pas de bijoux, rien. Et elle n’aimait que cela ; elle se sentait faite pour
cela. Elle eût tant désiré plaire, être enviée, être séduisante et recherchée.
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent qu’elle ne voulait plus aller voir, tant elle
souffrait en revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de chagrin, de regret, de désespoir et
de détresse."

Toute l'âme résumée, de Mallarmé, 1914


Toute l’âme résumée
Quand lente nous l’expirons
Dans plusieurs ronds de fumée
Abolis en autres ronds

Atteste quelque cigare


Brûlant savamment pour peu
Que la cendre se sépare
De son clair baiser de feu

Ainsi le chœur des romances


À la lèvre vole-t-il
Exclus-en si tu commences
Le réel parce que vil

Le sens trop précis rature


Ta vague littérature

Schéma inverse du conte de fées.


Conception de littérature détachée du matériel.

Vers impairs, perte de la ponctuation, volonté de perfection sur le plan typographique.


Les deux derniers vers représentent la disparition : ces “ronds de fumée” qui s’épuisent : l'âme
disparaît.
La poésie / littérature est représentée comme cette fumée : fragile, épurée, légère.
Importance du domaine philosophique et religieux.

Complainte du pauvre corps humain, de Laforgue, 1885


L’Homme et sa compagne sont serfs
De corps, tourbillonnants cloaques
Aux mailles de harpes de nerfs
Serves de tout et que détraque
Un fier répertoire d’attaques.

Voyez l’homme, voyez!


Si ça n’fait pas pitié!

Propre et correct en ses ressorts,


S’assaisonnant de modes vaines,
Il s’admire, ce brave corps,
Et s’endimanche pour sa peine,
Quand il a bien sué la semaine.

Et sa compagne! allons,
Ma bell’, nous nous valons.

Faudrait le voir, touchant et nu


Dans un décor d’oiseaux, de roses ;
Ses tics réflexes d’ingénu,
Ses plis pris de mondaines poses ;
Bref, sur beau fond vert, sa chlorose.

Voyez l’Homme, voyez!


Si ça n’fait pas pitié!

Les Vertus et les Voluptés


Détraquant d’un rien sa machine,
Il ne vit que pour disputer
Ce domaine à rentes divines
Aux lois de mort qui le taquinent.

Et sa compagne ! allons,
Ma bell’, nous nous valons.

Il se soutient de mets pleins d’art,


Se drogue, se tond, se parfume,
Se truffe tant, qu’il meurt trop tard ;
Et la cuisine se résume
En mille infections posthumes.

Oh ! ce couple, voyez!
Non, ça fait trop pitié.

Mais ce microbe subversif


Ne compte pas pour la Substance,
Dont les déluges corrosifs
Renoient vite pour l’Innocence
Ces fols germes de conscience.

Nature est sans pitié


Pour son petit dernier.

Langage pessimiste et argotique, perte de la dimension héroïque.


Génération de la fin du XIXème siècle : désenchantée, désabusée, cynique.
“Vague” : mot souvent retrouvé à la fin du XIXème.

A la fin du XIXème/XXème, les modalités narratives ont changé. Le monde a changé lentement à
partir des 1860-70 vers une individualité. On rêve de possession, de succès financier, la société
plonge dans le vice. Le regard narratif a changé dans la littérature, marqué par la subjectivité, la
solitude et le désespoir.

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