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TEXTE 1« L'Automne » est la vingt-troisième

des Méditations poétiques d'Alphonse de


Lamartine, recueil composé après le décès de la
femme qu'il aimait. Le poète y dépeint ses Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
sentiments contrastés, à l'image des couleurs de
Peut-être restait-il une goutte de miel ?
la saison. La nature devient l'interlocutrice, la
complice et le reflet de l'âme du poète esseulé.

L'Automne Peut-être l'avenir me gardait-il encore


Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ?…
nature

Convient à la douleur et plaît à mes regards !


La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyre ;

À la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;


Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
Moi, je meurs ; et mon âme, au moment qu'elle expire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière

Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Alphonse de Lamartine, « L'Automne », Méditations poétiques,


Oui, dans ces jours d'automne où la nature 1820.
expire,

À ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,

C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire

Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,

Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,

Je me retourne encore, et d'un regard d'envie

Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,

Je vous dois une larme aux bords de mon


tombeau ;

L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !

Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie

Ce calice mêlé de nectar et de fiel !


TEXTE 2 Victor Hugo a vingt-huit ans quand il écrit Les Feuilles d'automne. Le recueil évoque des souvenirs
familiaux, des états d'âme, une nature émouvante et somptueuse. Dans le texte qui suit, l'auteur livre à la femme
aimée une réflexion qui dépasse le thème de l'amour.

« Vois, cette branche est rude… »

Ô les tendres propos et les charmantes choses

Que me disait Aline en la saison des roses !

Doux zéphyrs qui passiez alors dans ces beaux lieux,

N'en rapportiez-vous rien à l'oreille des dieux ?

Segrais

Vois, cette branche est rude, elle est noire, et la nue

Verse la pluie à flots sur son écorce nue ;

Mais attends que l'hiver s'en aille, et tu vas voir

Une feuille percer ces nœuds si durs pour elle,

Et tu demanderas comment un bourgeon frêle

Peut, si tendre et si vert, jaillir de ce bois noir.

Demande alors pourquoi, ma jeune bien-aimée,

Quand sur mon âme, hélas ! endurcie et fermée,

Ton souffle passe, après tant de maux expiés,

Pourquoi remonte et court ma sève évanouie,

Pourquoi mon âme en fleur et tout épanouie

Jette soudain des vers que j'effeuille à tes pieds !

C'est que tout a sa loi, le monde et la fortune ;

C'est qu'une claire nuit succède aux nuits sans lune ;

C'est que tout ici-bas a ses reflux constants ;

C'est qu'il faut l'arbre au vent et la feuille au zéphire ;

C'est qu'après le malheur m'est venu ton sourire ;

C'est que c'était l'hiver et que c'est le printemps !

7 mai 1829.

Victor Hugo, « Vois, cette branche est rude… », Les Feuilles d'automne, 1831.
TEXTE 3 Les Odelettes présentent une quarantaine de petits poèmes à la structure classique
mais au ton et au style étranges, mélancoliques, parfois mystiques.

Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,


De deux cents ans mon âme rajeunit…
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit.

Puis un château de brique à coins de pierre,


Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,


Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence, peut-être,
J'ai déjà vue – et dont je me souviens !
Gérard de Nerval, « Fantaisie », Odelettes, 1834.
TEXTE 4 De « La Nuit de mai » à « La Nuit d'octobre », Alfred de Musset, qui vit une
relation houleuse et passionnée avec George Sand, croise les thèmes de la souffrance et de la
création poétique. Il convoque la figure de la muse. Dans les vers qui précèdent l'extrait qui
suit, celle-ci compare le poète au pélican se sacrifiant pour nourrir ses petits et voit dans le
sacrifice de l'animal un acte d'amour sublime.

La Nuit de mai
LA MUSE
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

LE POETE
Ô Muse ! spectre insatiable,
Ne m'en demande pas si long.
L'homme n'écrit rien sur le sable
À l'heure où passe l'aquilon.
J'ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j'ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j'en pourrais dire,
Si je l'essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
Alfred de Musset, « La Nuit de mai » (extrait), Les Nuits, 1835-1837.
TEXTE 5 « La Vie dans la mort » est un long poème dans lequel l'auteur, non sans humour,
évoque l'omniprésence et les pouvoirs de la mort. Dans l'extrait suivant, une jeune fille pense
attendre son bien aimé dans son lit nuptial mais se rend compte qu'elle parle avec un ver venu
la ronger dans son tombeau.

La Vie dans la mort


LE VER.
À moi tes bras d'ivoire, à moi ta gorge blanche,
À moi tes flancs polis avec ta belle hanche
À l'ondoyant contour ;
À moi tes petits pieds, ta main douce et ta bouche,
Et ce premier baiser que ta pudeur farouche
Refusait à l'amour.

LA TREPASSEE.
C'en est fait ! C'en est fait ! Il est là ! sa morsure
M'ouvre au flanc une large et profonde blessure.
Il me ronge le cœur.
Quelle fortune ! ô Dieu, quelle angoisse cruelle !
Mais que faites-vous donc, lorsque je vous appelle,
Ô ma mère, ô ma sœur !

LE VER.
Dans leur âme déjà ta mémoire est fanée
Et pourtant sur ta fosse, ô pauvre abandonnée,
L'oranger est tout frais.
La tenture funèbre à peine repliée,
Comme un songe d'hier elles t'ont oubliée,
Oubliée à jamais.

LA TREPASSEE.
L'herbe pousse plus vite au cœur que sur la fosse ;
Une pierre, une croix, le terrain qui se hausse
Disent qu'un mort est là.
Mais quelle croix fait voir une tombe dans l'âme ?
Oubli ! seconde mort, néant que je réclame,
Arrivez, me voilà !

LE VER.
Console-toi. – La mort donne la vie. – Éclose
À l'ombre d'une croix l'églantine est plus rose
Et le gazon plus vert.
La racine des fleurs plongera sous tes côtes ;
À la place où tu dors les herbes seront hautes :
Aux mains de Dieu, tout sert !

Théophile Gautier, « La Vie dans la mort II » (extrait), La Comédie de la mort, 1838.

TEXTE 6 Écrit en 1834 et paru en 1864, ce long poème évoque une scène de chasse nocturne
et adopte le point de vue du chasseur. Dans les vers précédents, les chasseurs ont rattrapé une
famille de loups. Le loup mâle s'avance alors pour protéger les siens.

La Mort du loup
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges [entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter [un cri.

II
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
À poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
À ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Alfred de Vigny, « La Mort du loup » (extrait), Les Destinées, 1864.

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