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‘Abbé Prévost, Manon Lescaut

Présentation générale

Présentation générale :

I./ Éléments de biographie :


A./ La vocation religieuse
L’abbé Prévost est originaire du nord de la France (région de l’Artois (Arras)), il est issu d’une
famille bourgeoise (aisée) et de magistrats. À l’issu de ses études de théologie, et en 1720, il
s’engage dans un couvent (dans un monastère) il devient moine. 1 an plus tard il prononce
ses vœux définitifs (en 1721) : il devient officiellement moine. En 1726, il devient prêtre et
en 1734, il exerce une charge d’aumônier chez le prince de Conti. Il bénéficie d’un succès sur
sa manière d’écrire des textes, il fréquente toute l’élite sociale et intellectuelle du début du
XVIIIème siècle. En 1754, il reçoit un bénéfice ecclésiastique, le pape lui donne la charge de
gérer une petite communauté religieuse (Le Mans)

B./ Une quête de liberté


Lorsque qu’il est très jeune, pendant 4 ans il sèche les cours pour s’engager dans l’armée de
1713 à 1717. Il retourne au couvent, mais après deux ans de Monastère, il s’en va à nouveau
pour combattre encore pendant 1 an. Il se défroque (il ne veut plus être prêtre malgré
l’interdiction en 1728), ce qui l’amène à partir en exil d’abord en Angleterre. À Londres, il
donne des leçons en tant que précepteur (professeur particulier), malheureusement, le
scandale va le rattraper : il a une relation avec la sœur d’un de ses élèves, et il est donc
obligé de partir de l’Angleterre, et va rejoindre la Hollande. Il entretient une relation avec
Hélène Eckhardt (« Lenki »), c’est une femme qui va l’amener à des situations
catastrophiques (plusieurs amants, goûts de luxe…), il va donc s’endetter considérablement
pour assurer les dépenses et les envies d’Hélène. Par conséquent, ils s’enfuient encore en
Angleterre en 1733. Il va signer un document comptable (pour emprunter de l’argent), en
donnant le nom de son ancien élève, le frère de celle avec qui il a eu une relation. Il se fait
avoir et finit en prison pour escroquerie. Etonnamment, la plainte est retirée par le frère, les
charges sont donc abandonnées, il est donc libéré et rentre en France en 1734, toujours de
manière clandestine, c’est à ce moment-là que l’abbé Prévost obtient le pardon du pape.
Cela lui permet de revenir à sa charge ecclésiastique, et de ne plus être poursuivi.

C./ L’écrivain
L’abbé Prévost est l’auteur d’une œuvre considérable, d’une production littéraire énorme,
majoritairement religieuses. Lorsque qu’il entre au monastère, il va vraiment beaucoup
écrire des œuvres religieuses qui sont souvent publiées dans des revues littéraires. L’abbé
Prévost est l’auteur de nombreuses traductions notamment de nombreuses œuvres anglais
dont celles de l’anglais Richardson. C’est aussi quelqu’un de journaliste, il va écrire des
articles pour des revues, qui sont parfois créées par lui-même. Il écrit évidemment des
romans car c’est aussi un romancier. Il fait paraitre de très longs romans tout au long de sa
carrière. Parait en 1728 le tome 1 des Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui
s’est retiré du monde. 3 ans plus tard, en 1731 parait le tome 7, c’est dans ce tome que l’on
retrouve l’histoire de Manon Lescaut. Cleveland, est un de ses romans, qui est assez
conséquent, et par la suite parait Le Doyen de Killerine. À chaque roman, nous avons
l’affirmation d’une volonté morale. Au XVIII ème siècle, le genre du roman est condamné par
l’église en raison de sa supposée immoralité à cause du rapport à la romance.

II./ Le contexte du roman :


La régence est une période de transition, il y a bien un roi mais qui est trop jeune pour
régner donc c’est son plus proche parent qui va exercer son pouvoir en son nom. En 1715,
Louis XIV meurt, le royaume est donc dirigé par l’arrière-petit-fils de Louis XIV donc Louis XV
est âgé de 4-5 ans, c’est donc le plus proche parent qui va assurer la régence, en
l’occurrence le duc d’Orléans junior, qui est le grand oncle de Louis XV (fils du frère (Phillipe,
duc d’Orléans) de Louis XIV). Le règne de Louis XIV a été extrêmement long, il règne
personnellement à partir de 1661 jusqu’en 1715 (54 ans), c’est un règne extrêmement long,
dont la fin a été marquée par un certain nombre de crises, la fin du règne a été austère et
pesante. C’est une période qui se caractérise par des moments assez libres, le régent est
réputé pour son gout de la fête, dans des fêtes particulièrement somptueuses. Cette période
se sent développée économiquement grâce à des conquêtes. La monarchie absolue de droit
divin est une société despotique, donc très inégalitaire, la richesse nationale n’est détenue
que par 5% de la population. Dans Manon Lescaut, il va beaucoup être question d’argent.

III./ Manon Lescaut


L’abbé Prévost écrit cette œuvre dans une période de rupture ecclésiastique. La première
apparition est en 1731 dans le tome 7. Dans ce tome se trouve l’histoire de Manon Lescaut,
mais cette histoire ne se nomme pas encore Manon Lescaut, mais plutôt « Histoire du
chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut ». Ce n’est que deux ans plus tard que le roman
parait en France et de manière autonome. Très vite, le livre est d’abord saisi (empêchement
de la vente) puis interdit par la suite parce qu’il est jugé immoral, en rapport à Manon
Lescaut. L’abbé Prévost corrige donc cette première publication, et en propose une seconde
version qui paraitra en 1753. Dans le titre il y a le terme de mémoires, qui est un genre
littéraire tout à fait connu et pratiqué, et qui correspond à ces autres genres que l’on appelle
les genres de soi. Le cas le plus fréquent dans les mémoires, le « je », le narrateur et le
personnage sont les mêmes personnes. Dans les mémoires, nous avons toujours un lieu
entre la vie individuelle et l’aspect historique. Mais comme c’est un genre particulièrement
apprécié dans cette époque, il y aura des mémoires fictifs, donc un auteur qui écrit les
mémoires de quelqu’un qu’il invente. Les mémoires fictifs se rapprochent du roman, c’est ce
qu’on appelle le roman mémoire. Dans ce titre, il y a également le terme « d’aventure », ce
type de roman s’appelle le roman picaresque, ici l’intrigue repose sur un tas de péripéties
plus ou moins inattendue et soudaines pour qu’elles paraissent invraisemblables, qui
participe à divertir les lecteurs. Le premier tome qui parait avant le début du récit, parait une
lettre où Prévost utilise une utilisation narrative, celle du manuscrit trouvé. On a un auteur
qui prétend présenter une œuvre authentique à ses lecteurs. « La qualité » est synonyme
d’aristocratie au niveau de l’écriture, Des Grieux est un aristocrate. « Qui s’est retiré du
monde » est synonyme de sagesse, ces mémoires ont été écrites dans un moment de
solitude de la part de l’auteur. Au début du texte c’est l’aspect moral et didactique qui est
affirmé, pour vouloir instruire le lecteur.

A./ L’histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut


C’est un récit enchâssé, pas très original car connue depuis le XIV ème siècle. C’est un récit
dans un récit, le narrateur rencontre le personnage du chevalier des Grieux qui lui raconte
son histoire, de ce fait ce récit apparait comme une digression. Le narrateur des mémoires
rencontre deux fois le chevalier des Grieux, à deux moments différents : avant le départ de
des Grieux et de Manon pour la Louisiane, et au retour, qui est le moment où le récit à lieu.
Entre deux, Manon est morte. Dans ce livre, le pronom « Je » fait référence au narrateur des
mémoires, donc, Renoncour. Dans L’histoire de Manon Lescaut, le Chevalier Des Grieux
disparait du titre, Manon Lescaut est mise en avant dans le titre, elle devient le personnage
principal du livre, de fait, le roman continu jusqu’à la mort du personnage, la perspective
biographique est plus large. C’est donc l’histoire d’une courtisane et non plus d’un jeune
homme, une courtisane qui détourne cet homme du chemin de la vertu. C’est toujours des
Grieux qui raconte son histoire, alors qu’on attendrait soit que ce soit un roman mémoire à
la première personne, soit une biographie avec un narrateur à la troisième personne. Dans la
finalité, l’histoire ne change pas alors que le titre oui.

IV./ La structure du roman


A./ Schéma actanciel
Le Chevalier des grieux est le sujet principal de l’action narrative. Nous avons une première
catégorie de personnage, les opposants (les adversaires) : Le père de Des Grieux… La
deuxième catégorie est celle de tous les amants de Manon : Monsieur de G.M., Monsieur de
B (fermier général, il est chargé d’avancer à l’État le montant de l’impôt et après de
rembourser par le contribuable). Ces catégories incarnent trois types de pouvoir, le pouvoir
patriarcal, le pouvoir financier (amants de Manon), et enfin le pouvoir politique (le
gouverneur). À l’inverse nous avons les adjuvants qui vont aider des Grieux et Manon :
Tiberge (l’ami de de Grieux), et Monsieur de T. qui intervient plutôt sur l’évasion de Manon,
qui aident et participent à certaines actions (en plus d’autres personnages (capitaine du
bateau…)). Le frère de Manon Lescaut a un rôle qui est extrêmement ambigu, puis il meurt à
la fin de la première partie. Tout tourne autour de l’amour et le couple de Des Grieux et de
Manon, à la fois pour les aider mais aussi pour ne pas les aider. Nous avons un schéma
actanciel qui est révélateur, et qui montre l’amour, une sorte de transgression, de normes
sociales.

B./ Schéma narratif


Nous avons dans un premier temps, la situation initiale, qui consiste à présenter rapidement
le héros (Des Grieux) c’est l’occasion d’en faire un portrait tout à fait élogieux. Il va quitter la
ville d’Amiens (où il a fait ses études) avant de se lancer dans une carrière ecclésiastique
(une histoire qui ressemble à l’histoire de Des Prévost). Puis, deuxième étape, l’évènement
perturbateur, qui prend forme par la personne qu’est Manon. La rencontre de des Grieux
avec Manon va conditionner le destin du Chevalier, au moins pendant un certain nombre
d’épisodes. S’en suit la troisième étape, les péripéties : Nous avons l’élément de résolution,
qui prend la forme de la mort de Manon. La fin de la narration est assez brutale qui
correspond au parcours que Des Grieux aurait accompli s’il n’avait rencontré Manon (il
rentre en France, reprend sa carrière ecclésiastique, sa maladie…). On a malgré tout cette
idée morale que Des Grieux s’égare terriblement, mais au final il revient dans le droit
chemin.

V./ La thématique amoureuse


On parle de l’amour dans un roman du XVIII ème siècle avec des personnages du XVIIIème siècle.
Ce n’est pas quelque chose, un sentiment qui est pareil selon les époques.

A./ L’amour, considéré comme une transgression


Sur la plan de la moralité, des institutions politiques et religieuses, la vision de l’amour est
plutôt négative. Il s’agit de condamner la passion amoureuse qui menace et éloigne le fidèle
du culte divin. Dans l’esprit du XVIIIème siècle, c’est inconcevable que Manon puisse se marier
avec Des Grieux. Mais pour autant, il envisage à plusieurs reprises de se marier avec Manon
Lescaut. En revanche, il est mineur donc il a besoin d’une autorisation parentale pour se
marier mais son père ne la lui donne pas. Le narrateur précise que « Manon reçoit
froidement » cette demande en mariage car elle sait que c’est impossible. Ensuite ils
prennent une diligence pour aller à Paris, où ils ont des relations hors mariage (« nous
fraudâmes les droits de l’église »). On peut constater que Des Grieux est conscient de ce
caractère de transgression. Il ne peut pas s’en empêcher en revanche. Des Grieux ne devient
pas pour autant un libertin ou un criminel, car il sait très bien que ce sont des transgressions,
ça reste quelqu’un qui a un fond de vertu.

B./ L’amour et l’argent


En accomplissant toutes ces transgressions successives, il y a une affirmation d’une volonté
d’accomplir ses désirs, mais selon l’abbé Prévost cela ne fonctionne que si on a de l’argent.
Cela devient une contrainte nécessaire pour garantir un accès au plaisir amoureux. Manon
Lescaut tente par tous les moyens d’assouvir ses goûts pour le luxe, pour pouvoir gagner de
l’argent. C’est ce que dit le frère de Manon à Des Grieux (« n’avez-vous pas toujours avec
elle de quoi finir vos inquiétudes, elle et moi »). D’autres avant Des Grieux ont commis ces
choses. C’est pour cela que l’on peut se demander jusqu’où le personne de Des Grieux peut
aller par amour.

C./ L’éventuelle sincérité


C’est un amour passionné et physique, c’est extrêmement intense, un coup de foudre
lorsque qu’il rencontre Manon Lescaut dans la cour de l’auberge d’Amiens. Et par
conséquent, Des Grieux va donner des témoignages publics de son amour pour Manon dès
qu’il en a l’occasion, comme à l’embrasser ou la toucher en public et ce de manière non
réservée. C’est l’action de Des Grieux qui fait avancer le roman, à chaque fois il va l’accuser
de perfidie (tromperie), d’ingratitude, d’infidélité. Au niveau de la sincérité de Manon, on
peut se demander si Manon aime sincèrement le Chevalier Des Grieux ? C’est une vision
subjective donc on ne peut pas trancher sur la sincérité de Manon pour l’amour de Des
Grieux. Manon aime Des Grieux comme elle est capable d’aimer. L’abbé Prévost remet en
question la mythologie de l’âme sœur, avec une fusion physique mais aussi morale et
sentimentale, mais selon lui, il y a toujours quelque chose qui nous échappe (l’âge, la classe
sociale…)

TEXTE 1 : La première rencontre du narrateur avec les amants


Contextualisation : Ce passage est un extrait du début du roman Manon Lescaut, que l’on
appelle le récit « cadre » car nous ne sommes pas encore dans le récit du Chevalier des
Grieux (c’est Renoncour qui parle), nous ne sommes pas encore dans le récit enchâssé.
L’histoire raconte la rencontre entre Renoncour et les deux personnages principaux (Manon
Lescaut et le chevalier des Grieux). Nous avons affaire à une mise en scène des personnages
principaux, ce qui appelle à une question de point de vue (c’est le narrateur qui va les
introduire dans le roman), ils vont être vu par Renoncour, c’est donc un récit subjectif. C’est
un passage important et très travaillé car c’est toujours l’occasion de le décrire et d’en faire
le portrait. Les lecteurs accèdent au personnages que de façon partielle car ils voient les
personnages comme le voit le narrateur, de plus les éléments de description sont
extrêmement réduits. L’abbé Prévost fait le portrait des personnages principaux mais c’est
un portrait qui a pour but de questionner les lecteurs.

Explication de texte :

Ligne 1-2 : Il raconte une anecdote de voyage, le narrateur est dans une auberge à Pacy. Il y
a une antithèse entre « je » et « la foule », il y a une seule personne contre plein de monde,
de ce fait il y a des difficultés d’accès à l’action du personnage principal. Il y a une allitération
en « P » avec « Peine », en « Perçant » la foule. Il va s’agir d’attirer l’attention du lecteur sur
ce moment de la description des personnages tout en révélant ce qu’il a produit sur ce
spectateur (Renoncour). On va avoir un portrait dont le but est de retranscrire l’émotion du
lecteur. Il indique à quel type de lecteur il adresse cette émotion.

Ligne 3-10 : Nous allons avoir les raisons pour lesquelles l’auberge est agitée (convoi de
prisonnières). Ici le mot fille ne désigne pas seulement un individu de sexe féminin, il désigne
une prostituée. C’est plutôt une caractéristique morale péjorative. Nous avons quelque
chose qui est déjà paradoxal, qui est déjà dégradé, et pourtant cela provoque la sympathie
du lecteur car il trouve cela assez touchant.

Ligne 11 : C’est l’occasion de faire le portrait du personnage, Manon apparait comme une
intruse par rapport aux autres, le narrateur évoque quelque chose de paradoxal puisque
Manon est enchaînée avec d’autres jeunes filles. Il s’agit de souligner le caractère superlatif
du texte. Il y a une force d’attraction sur les autres mais plus particulièrement sur les
hommes. Il y a l’irréel du passé grâce à l’emploi du subjonctif plus-que-parfait (« que je
l’eusse prise »). « Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits » ne dégrade pas son
charme ce qui montre ce qu’elle est très belle. Elle n’inspire pas ce qu’elle devrait
normalement inspirer et par conséquent tout cela éveille le questionnement du lecteur, le
personnage est dans une situation (Manon) mais on se demande ce qu’elle fait ici. Dès sa
première apparition dans le roman on ne sait pas ce qu’elle fait là, l’effet qu’elle produit
n’est pas celui attendu par les lecteurs, le narrateur est également étonné. Il y a toujours
quelque chose qui s’interpose entre le regard du narrateur et du spectateur, le portrait du
personnage est confus, incomplet. Seul le visage de Manon est caché, non son corps. On
pourrait supposer que Manon à honte d’être ici, elle parait comme une actrice, elle se cache
le visage pour donner l’impression qu’elle veuille bien lui donner, c’est hypocrite. Le
spectateur a pitié (émotion théâtrale). La narrateur tente d’avoir des informations plus
précises grâce à la police et aux gardes. C’est aussi le signe qu’il demande des informations
puisque le portrait n’a pas permis d’en obtenir. « Cette belle fille » c’est aussi un élément de
description. Manon est l’incarnation de la beauté féminine, on la reconnait facilement parmi
plusieurs. Même l’identité exacte de Manon n’est pas donnée par le garde, de ce fait il ne
sait même pas qui il garde. Toutes les informations sur Manon sont inconnues. Elle s’obstine
de plus à ne rien répondre.

Ligne 19-20 : Nous avons Rappel exceptionnel de la personne, grâce aux comparatifs entre
Manon et les autres jeunes filles.

Ligne 24 : L’introduction d’un nouveau personnage vient ensuite, cette fois ci un personnage
masculin qui tout comme Manon, c’est un jeune homme triste. Ici, on voit le visage de
l’homme. Nous ne sommes pas dans un roman d’aventure mais plutôt dans un roman
d’amour.

Ligne 26 : Il paraissait une image de la douleur.

TEXTE 2 : La première rencontre de des Grieux et Manon


Contextualisation : Dans ce texte, nous ne sommes plus dans le récit cadre, enchâssé, ce
n’est plus Renoncour qui est le narrateur, c’est le Chevalier des Grieux. C’est en fait le récit
de sa rencontre avec Manon. Des grieux raconte donc une seconde rencontre avec Manon
(car déjà faite avec Renoncour). Le but est de voir les différences entre ces deux rencontres.
D’autres part, la vision de des Grieux est rétrospective, il raconte le passé, tout en ayant la
lumière de ce qu’il y a eu entre ce passé et le présent, puisqu’il sait ce qu’il s’est passé après
la rencontre. Il le raconte tel qu’il s’en souvient. Le but est de raconter comment ils se sont
rencontrés… mais aussi comment la rencontre devient le commencement du récit dans son
entièreté. Le chevalier des Grieux a fini ses études de philosophie, et sur la route pour
rentrer à la maison familiale, et par hasard il rencontre Manon, c’est une rencontre
amoureuse extrêmement stéréotypée, c’est une scène de séduction, puisqu’il est question
d’amour, mais l’auteur va interpréter au sens propre cette notion de séduction. Nous avons
d’abord une idée négative sur le plan moral, Manon va pervertir des Grieux par séduction,
elle va le sortir du droit chemin. L’abbé Prévost est un abbé, on ne peut pas faire le lien avec
la séduction religieuse. Le diable, pour séduire doit mettre devant les yeux de la victime, des
tentations, donc Manon met des tentations devant le nez de des Grieux. D’autres part, la
rencontre avec Manon va permettre de lui faire vivre un autre destin que celui qui
l’attendais. Des Grieux est un aristocrate qui arrive à vivre convenablement, il est
globalement intelligent, de ce fait, c’est facile pour lui d’être moral, il n’a jamais eu aucune
épreuve, n’a pas de problèmes financiers.

Ligne 9 : Des Grieux porte un premier regard sur cette jeune fille et qui vient confirmer les
différents éléments de description, ce qui ressort tout de suite, c’est sa jeunesse et sa
beauté extraordinaire, nous avons le récit de l’effet produit. Ici, le sens du mot « charme » a
subit un changement depuis plusieurs siècles, ici le mot a un sens fort qui est plus proche de
son sens latin qui ne l’est aujourd’hui, il dérive du mot « carmen » donc le chant,
l’incantation. A cette époque il est synonyme du pouvoir irrésistible, ici de la beauté de
Manon sur des Grieux comme de la magie ou un sortilège. C’est comme si des Grieux avait
pris un philtre d’amour. Des Grieux fait ici son propre portrait avec un certain nombre de
qualités morales, et comme il vient de finir ses études de philosophie, il découvre des
réactions qui relèvent du corps, et ne se reconnait plus lui-même mais se comporte en
philosophe antique, il maitrise ses passions.

Ligne 10-14 : Il y a une valeur intensive et qualitative qui sert à l’Abbé Prévost à montrer le
contraste de l’avant (ligne 10 et 11) et de l’après (ligne 12 et 13). De plus, il y a une
opposition à la ligne 14 avec le mot « mais » entre le passé et le présent (« j’avais le défaut »
et « je m’avançais »), les valeurs morales sont ruinées par cette rencontre avec Manon. Le
mot « transport » signifie qu’il est dans un état second, qu’il n’est plus lui-même.

Ligne 15 : Nous avons une périphrase pour désigner Manon. D’autre part, c’est une
périphrase qui est stéréotypée qui fait partie du langage galant de l’époque (« la maitresse
de son cœur » par exemple).

C’est un dialogue au discours indirect, le tout premier dialogue entre Des Grieux et Manon,
c’est un dialogue de séduction. Séduire quelqu’un c’est convaincre quelqu’un à l’aide
d’arguments. Ici on accède à Manon de manière indirecte, on y accède par le biais de Des
Grieux et par rapport à ce que Des Grieux à compris. Dans cette première phrase il y a
l’expression d’un paradoxe entre l’extrême jeunesse de Manon et entre le discours
extrêmement amoureux d’un inconnu. Puisqu’elle a une beauté extraordinaire elle est
censée être habituée à ces approches d’inconnus. Manon ne réagit pas comme Des Grieux
l’aurait voulu, pas avec la même pudeur par exemple. C’est une attitude qui ne cadre pas
avec les réactions attendues dans un pareil contexte. Manon adresse une provocation au
désirs, elle sait qu’elle inspire Des Grieux. Manon se montre extrêmement tentatrice par le
désir physique. « Son penchant au plaisir s’était déjà déclaré » signifie l’aveu extrêmement
choquant et franc, pour une jeune fille comme elle. Cela en fait une dimension érotiques
mais aussi une perspective religieuse, avec le retour au couvent, et le vœu de chasteté.

Ligne 25 : Manon se fait passer pour une victime d’une autorité parentale, pour simuler la
jeune fille en danger qu’il faut sauver, de ce fait Des Grieux va apparaitre comme un
chevalier médiéval, il y a La Fin’ Amor (amour parfait). Des Grieux s’oppose à la résolution
des parents de Manon, avec le mot « combattre », cela signifie qu’il va se battre. Il compte
se servir de « son éloquence scolastique » qu’il a appris à l’école puisqu’il sort de l’école,
pour aller la sauver. Il prépare un plan , comme une dissertation pour la convaincre. Mais
Manon le laisse faire : « elle n’affecta ni rigueur, ni dédain ».

Ligne 28 : « Elle me dit après un moment de silence », Manon laisse Des Grieux ce qu’il a à
dire. Ici, le discours de Manon prend une dimension hyperbolique, qui se met en place grâce
à la négation restriction (« ne », « que », « trop ») qui porte sur l’adverbe. Il s’agit d’une
« surenchère » par rapport à la phrase précédente.

Ligne 29 : L’hyperbole se poursuit avec la mention « du ciel ». Des Grieux s’oppose aux
parents de Manon, ce n’est plus seulement les parents de Manon qu’il doit combattre, mais
c’est aussi Dieu. Là aussi, c’est une technique de Manon afin d’implorer la pitié de Des
Grieux. Il prouve à sa dame, qu’il aime, la profondeur de ses sentiments, et la vérité derrière
tout ça. Manon est une manipulatrice, et une tentatrice.

Ligne 30 : La phrase commence avec une énumération (« La douceur de ses regards », « un


air charmant de tristesse », « l’ascendant de ma destinée ») qui montre que Des Grieux est
pris au piège par la séduction de Manon. Au début de la phrase, il parle de ce que fait
Manon, puis il finit par raconter des choses sur lui (…de SES regards, de MA destinée). Elle
est bâtie sur une palinodie. Ça n’est plus seulement la déclaration d’amour que nous avions
à la ligne 22, ici c’est un serment d’amour, il jure sur ce qu’il a de plus précieux : son
honneur. Il y a une sorte d’interruption du dialogue, une réflexion rétrospective de Des
Grieux va prendre place en 3 lignes.

Ligne 37 : Ce n’est pas un discours facile pour Des Grieux. Comme un écho : « on ne ferait
pas une divinité de l’amour ».

« Giovanile errore » signifie « L’erreur de jeunesse », qui vient de Pétrarque, Canzoniere.

C’est une invitation pour Des Grieux, pour qu’il puisse réfléchir sur son passé, et de montrer
l’histoire d’amour, et par conséquent, le récit va à la fois raconter la rencontre amoureuse,
mais aussi contenir très subtilement tout ce qui ne va pas marcher.

La rencontre amoureuse ra-


contée par le double regard
d’un narrateur jeune
et passionné et d’un narra-
teur plus âgé et critique
place le lecteur au cœur
d’une histoire complexe.
Témoin de la naissance des
sentiments intenses de Des
Grieux, le lecteur
assiste, impuissant, aux dé-
buts de cette passion, à
l’étymologie double : à la
fois source d’amour et de
souffrance, entre senti-
ments et interdits, la tragé-
die
se noue déjà.
La rencontre amoureuse ra-
contée par le double regard
d’un narrateur jeune
et passionné et d’un narra-
teur plus âgé et critique
place le lecteur au cœur
d’une histoire complexe.
Témoin de la naissance des
sentiments intenses de Des
Grieux, le lecteur
assiste, impuissant, aux dé-
buts de cette passion, à
l’étymologie double : à la
fois source d’amour et de
souffrance, entre senti-
ments et interdits, la tragé-
die
se noue déjà.

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