Vous êtes sur la page 1sur 3

I.

La situation de l’ouvrage : l’année 1678

a) Sur le plan politique


Règne de Louis XIV (1638-1715 → roi depuis 1643 et la mort de son père, règne effectivement
depuis 1661 et la mort du premier ministre Mazarin qui, favori de la reine mère Anne d’Autriche et
successeur désigné du ministre principal de Louis XIII, Richelieu, exerce effectivement le pouvoir.)
Cela fait donc 17 ans de règne personnel, effectif par Louis XIV. Deux caractéristiques de ce début
de règne :
=> le tournant autoritaire et centralisateur de la monarchie entamé au règne précédent sous
l’impulsion de Richelieu se poursuit. C’est ce qu’on a appelé la monarchie absolue : 1) pouvoir
élargi du monarque, de ses ministres et de ses envoyés au détriment des corps intermédiaires
(noblesse, parlements, gouverneurs de provinces, etc) qui, dans l’ancienne société, détenaient une
part de l’autorité publique et jouaient un rôle de contre-pouvoir (défense des « libertés publiques »,
mot ambigu indissociable à l’époque des privilèges privés) ; 2) mise sous tutelle de la noblesse à
travers l’institution d’une société de cour entièrement centrée autour de la glorification de la
personne du souverain et l’attribution des principales charges de l’État à des individus issus de
famille parlementaires (noblesse de robe) → il s’agit pour Louis XIV de rogner progressivement
l’influence politique d’une noblesse dont la rébellion contre le tournant absolutiste du pouvoir
pendant la Fronde (1648-1653) l’avait profondément traumatisé.
=> la vie de cour est fastueuse et brillante. Le roi est jeune et le faste dont il s’entoure ainsi que ses
victoires militaires (Flandre, Franche-Comté) font de la cour de France qui va bientôt s’installer
définitivement à Versailles (1682) la plus brillante et prestigieuse du monde. Ce qui nous renvoie à
l’incipit du roman sur la cour d’Henri II.

b) Sur le plan littéraire


L’année précédente (1677), la dernière des grandes tragédies de Racine est parue sur scène :
Phèdre. Devenu historiographe du roi, il cesse d’écrire pour le théâtre (il écrira encore deux pièces
religieuses, Esther et Athalie, pour les élèves du pensionnat de Saint-Cyr fondé par Mme de
Maintenon pour venir en aide aux jeunes filles pauvres de la noblesse : 1689 et 1691. Coïncidence
de date importante parce qu’on a souvent rapproché le roman de Mme de Lafayette des tragédies de
Racine : concision, élégance du style, « tristesse majestueuse » (préface de Bérénice, 1670), sens de
l’implicite, atmosphère sentimentale, conflit entre raison et passion, dénouement malheureux.

13 ans auparavant sont parues les Maximes (titre intégral : Réflexions ou sentences et maximes
morales, 1665) du duc de La Rochefoucauld. Il s’agit d’un recueil de courtes sentences morales
dénonçant la fausseté, la superficialité des vertus humaines qui ne sont pour l’auteur qu’un masque
de l’amour-propre ou de l’intérêt. Rapprochement avec la Princesse : 1) pessimisme, notamment
pessimisme anthropologique ; 2) il s’agit dans les deux cas d’œuvres écrites par de grands
personnages dans un contexte ludique et social ; 3) La Rochefoucauld est depuis 1665 l’ami
inséparable de Mme de Lafayette, sûrement un de ces inspirateurs et de ses conseillers, et il a même
parfois été considéré comme le co-auteur du livre : « M. de la Rochefoucauld et Mme de Lafayette
ont fait un roman des galanteries de la cour d’Henri second, qu’on dit être admirablement bien écrit.
Ils ne sont pas en âge de faire autre chose ensemble. » (Mlle de Scudéry)

Presque trente ans auparavant ont parus les dix volumes d’Artamène ou le Grand Cyrus des
Scudéry, Georges et Madeleine (1649-1654) : il s’agit là du modèle du roman-sentimental fleuve
dont La Princesse de Clèves va prendre le contre-pied (→ concision, sécheresse du style, fin
malheureuse). Mais l’univers mental de la galanterie imprègne le roman : idéal de courtoisie et
d’élégance dans les paroles et les manières, refus de l’amour-passion au profit d’un amour tendre
maîtrisé, socialisé et désincarné, le goût des jeux amoureux mondains, la méfiance envers l’amour
physique, la vision désenchantée du mariage.
c) Sur le plan personnel
Mme de Lafayette, née en 1634 a quarante-quatre ans. Sa situation mondaine est brillante : elle a
l’oreille d’un des principaux ministres de Louis XIV, Louvois, elle a du crédit à la cour et elle est
une des principales agents d’influences de Mme Royale, régente du duché de Savoie. Elle est
réputée pour son intelligence, ses qualités mondaines et sa science des affaires (elle a largement
contribué à restaurer les finances de la famille de son mari : elle est extrêmement riche). Elle est,
depuis 13 ans, l’amie inséparable du célèbre duc de La Rochefoucauld, elle est entourée aussi bien
par les grands noms que par les intellectuels et est alliée à la puissante famille princières des Condé.
Sa situation personnelle est plus difficile : elle vit séparée de son mari dont elle ne s’est jamais
sentie vraiment proche et sa santé, depuis ses vingt ans, est extrêmement mauvaise et le sera jusqu’à
sa mort.
→ Deux aspects indissociables de sa personnalité : séduisante, brillante, drôle, active, influente,
efficace / déçue, dépressive, neurasthénique, constamment alitée.

II. Mme de La Fayette a-t-elle écrit son livre ?

a) Les raisons du problème


La Princesse de Clèves est paru sans nom d’auteur.
Une seule des œuvres de Mme de Lafayette est parue de son vivant sous son nom : le portrait
qu’elle fait de Mme de Sévigné dans un recueil collectif en 1659.
Sa nouvelle La Princesse de Montpensier (1662), son roman Zayde (1670) sont parus tous les deux
sous le nom de son ami (et collaborateur) Segrais.
Elle même n’avoue être l’auteure du texte qu’à mots couverts dans une lettre privée à son ami
Gilles Ménage. C’est seulement en 1702 que Pierre-Daniel Huet, un autre de ses amis et
collaborateurs, la désigne publiquement comme l’auteure du roman.
Eléments d’identification : Similarités de style et de forme (pseudo-mémoire) de La Princesse de
Montpensier et La Princesse de Clèves. Similarités d’intrigue : les deux princesses et une autre
nouvelle (La Comtesse de Tende, parue seulement en 1718 et qui est généralement attribuée à Mme
de Lafayette) présentent des motifs communs : une femme belle et brillante est mariée à un homme
qu’elle estime mais qu’elle n’aime pas et sa passion pour un autre homme va briser son existence
ainsi que celle de son mari. Différence : la princesse de Clèves, contrairement aux deux autres
héroïnes, ne cède pas.

b) Les motifs du silence


La crainte du scandale : le roman, immense succès, a créé également une importante polémique
centrée autour de la question de la convenance et de la vraisemblance de l’aveu de la Princesse à
son mari.
L’ambiguïté du statut d’écrivain au XVIIème siècle : l’écriture est très valorisée à l’époque. La
gloire littéraire est pour les écrivains de métier un moyen d’ascension sociale. L’écriture mondaine,
pratiquée entre amis dans la bonne société est par ailleurs un passe-temps très pratiqué et un moyen
de s’illustrer. Mais, pour un noble, si écrire est bien vu, publier (donc faire son métier de l’écriture)
est considéré comme une déchéance. Et cela est encore plus vrai à l’époque pour une femme.
L’écriture est valorisée (aussi bien comme jeu mondain que comme moyen d’expression intime),
mais le statut d’écrivain est lui extrêmement mal vu, particulièrement pour des gens dont ce n’est
pas le métier.

c) L’écriture en commun
Oui, Mme de Lafayette a bien écrit la Princesse, mais elle ne l’a pas écrit toute seule. Comme LR
pour ses Maximes, l’écriture naît dans un contexte social : l’écriture est d’abord un jeu partagé. Par
ailleurs, Mme de Lafayette soumettait ses écrits à ses amis pour correction (de style et d’intrigue) :
Huet, Segrais et sûrement également LR ont donc participé à la mise en forme définitive du roman.

III. La Princesse de Clèves est-elle un roman ?

a) Des mémoires ?
« Il n'y a rien de romanesque, ni de grimpé ; aussi n'est-ce pas un roman, c'est proprement des
mémoires et c'était, à ce que l'on m'a dit, le titre du livre, mais on l'a changé. » Mme de Lafayette à
Lescheraine, secrétaire de Mme Royale, en 1678)
→ cadre historique longuement décrit dans l’incipit, présence de personnages réels (presque tous en
dehors du prince de Clèves et de Mlle de Chartres, la princesse).
→ sobriété du style, dépassionné, à la façon d’un historien.

b) Une nouvelle ?
Genre nouveau qui naît à cette époque et qui se distingue du roman traditionnel (galant ou héroïque)
par sa brièveté et un souci nouveau de vraisemblance. Segrais est un représentant de ses nouveaux
nouvellistes.
Cf. Pierre-Daniel Huet, Traité de l’origine des romans (1670), préface de Zayde.

c) Une histoire tragique


Genre illustré par François de Rosset. Noirceur de l’intrigue, dénouement malheureux, but
pédagogique.

→ Mme de Lafayette opère la synthèse de ces trois genres (en plus de la tragédie racinienne et du
roman galant) pour fonder un type de récit nouveau, celui du roman d’analyse à la française.

Vous aimerez peut-être aussi