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Histoire des institutions après 1789

À la veille de 1789 pourquoi peut on affirmer que le régime est devenu trop ancien ?

« La famille du Seigneur, qui paraît une, est donc dans le fait divisée en trois classes. Les uns
prient, les autres combattent, les derniers travaillent. Ces trois classes ne forment qu'un seul tout, et ne
sauraient être séparées ; ce qui fait leur force, c'est que, si l'une d'elles travaille pour les deux autres,
celles-ci à leur tour en font de même pour celle-là; c'est ainsi que toutes trois se soulagent l'une l'autre.
[...]Mais aujourd'hui les lois sont sans force, la tranquillité fuit de partout, les mœurs des hommes se
corrompent, et tout ordre s'intervertit. Roi, tu tiens la balance par le droit de ta naissance, c'est donc à toi
de veiller au bonheur du monde et de réprimer, à l'aide du frein des lois, ceux qui se montrent enclins au
crime. » Bien que datant du début du XI° siècle, ce poème 1 d’Adalbéron de Laon introduit pour la
première fois les bases de la tripartition, cette division qui restera un symbole de l'Ancien Régime. Rédigé
dans un contexte de crise de la royauté, il souligne déjà l'importance d'un pouvoir royal puissant, au moins
symboliquement à l'époque, pour maintenir ces trois ordres ensemble, dans une idée fantasmée de
complémentarité. Sept siècles plus tard, la faiblesse reconnue du roi Louis XVI, un renouveau
philosophique ainsi qu'une situation socio-économique difficile auront raison de la monarchie absolue.
En commençant l'intégration de la Nation dans l’État, Henri IV renforce au XVI° siècle
l'établissement d'un système ou le pouvoir de l’État s'applique à tous les domaines de la vie publique, c'est
la monarchie absolue. Cette doctrine est à son apogée sous le règne de Louis XIV au cours duquel il
applique l'absolutisme pragmatique, basé sur la pensée de Richelieu. Louis XIV s'accorde à exercer son
pouvoir en admettant aucune opposition, aucun partage, la raison d’État est un « Mystère divin » selon
lui.2 Il est seulement soutenu par une bureaucratie destinée à appliquer ses décisions. Louis XVI, dernier
représentant de la monarchie absolue de l'Ancien Régime, arrive au pouvoir en 1774, mais son règne devra
affronter deux tendances qui le déstabiliseront et qui aboutiront finalement a sa fin politique, le
rationalisme et le libéralisme.
L'Ancien Régime se caractérise sur ses deux siècles3 par l'apparition, l'épanouissement, puis le
déclin de la monarchie absolue. Un dogme ou tous les pouvoirs sont centralisés en la personne du Roi.
C'est lui qui distribue les droits et les privilèges. Une administration locale est mise en place. Le roi dispose
du pouvoir législatif, judiciaire, financier. Ce mode de gouvernement laissera sa place à la monarchie
constitutionnelle en 1789, dans laquelle commence à émerger la séparation des pouvoirs, puis à la
première république en 1792 qui, bien qu’éphémère, reviendra au XIX° siècle pour s'imposer comme la
forme de gouvernement que nous connaissons aujourd'hui.
La dernière période de la monarchie d'Ancien Régime est une période de remise en cause des
institutions, on voit émerger une vaste aspiration à la rationalisation et à la participation de toutes les élites
locales aux affaire publiques. Les courants de pensée changent avec les Lumières, l'économie évolue avec
l'arrivée du libéralisme, l'ordre social est remis en question. En soit la seconde moitié du XVIII°e constitue
une période historiquement riche, véritable bouillonnement d'idées aspirant majoritairement au
changement.
À son apogée sous Louis XIV, imité par les souverains européens, nous nous demanderons
pourquoi, à la veille de 1789, peut on affirmer que le régime en place est devenu trop ancien ?

Si le royaume donnait déjà des signes de vacillation au début de la seconde moitié du XVIII° siècle,
nous verrons que les tentatives de réformes menées sous Louis XVI par les organes traditionnels de
l'Ancien Régime n'ont pas suffit à résorber cette crise sociétale attisée par les pensées des Lumières.
1
A. de Laon, Carmen ad Rotbertum regem (Le Poème au roi Robert ), version de J-B.Noé.
2
J.Ellul, Histoire des institutions, XVIe-XVIIIe siècle, 1956, p.79.
3
L'Ancien Régime est communément délimité entre l'accession au trône d'Henri IV en 1589 et la fin de la monarchie absolue
en 1789, ou la fin de la monarchie en 1792.
I) Le XVIIIe siècle, l'accroissement du malaise structurel

Le XVIIIe siècle est en France le siècle des Lumières. Il marque aussi bien un renouveau
intellectuel dont les courants de pensée établiront les bases de l'organisation de l’époque moderne et
contemporaine, qu'il annonce aussi la fin d'un système à la dérive basé sur des traditions qui trouvent leurs
fondements de plus en plus remis en question et contestés.

A – Un royaume divisé par les traditions de l'Ancien Régime

Si il est un principe que l'on retient de l'Ancien Régime, après celui des ordres, c'est sûrement celui
complémentaire des privilèges. Dans un royaume chrétien, et comme cela est confirmé par son ordre
d'apparition dans la citation en introduction, le clergé est le premier des trois ordres, le plus important
symboliquement. Si ce classement semblait pertinent à l'époque de la société médiévale, il l'est beaucoup
moins au XVIII° siècle. La richesse de l'Église est considérable, en plus de son patrimoine immobilier elle
perçoit une dîme, impôt prélevé sur les fruits de la terre et les troupeaux, donc sur les paysans, qui s’élève
chaque année à près de 120 millions de livres. La taille royale est un autre impôt qui symbolise bien les
inégalités qui pèsent sur le Tiers-État, en effet elle ne s'applique qu'aux échelons les plus bas de ce dernier.
Pendant la période d'absolutisme monarchique caractérisée à son apogée par le règne de Louis
XIV on constate une grande sévérité envers les insurrections paysannes. Malgré la façade d'un pouvoir
absolue détenu par le monarque, l'exploitation seigneuriale gagne du terrain sur les paysans, impactant
ainsi leurs intérêts. Les tensions sont aussi bien entre la bourgeoisie et les sphères du pouvoir qu'entre une
« foule de petits propriétaires libres » 4 de province et les aristocrates. La noblesse aussi soulève des
questions, désarmée et domestiquée, elle accepte mal ce statut.
Si les ordres sont hiérarchisés entre eux, il existe aussi une division interne propre à chaque ordre.
Le Tiers-État lui même peut être classé entre les mendiants, les paysans, les artisans et les marchands.
Avec l'augmentation démographique et l’accès à l'éducation des certaines castes sociales, de plus en plus
de monde aspire à l’élévation sociale. En dénonçant le despotisme, les élites sociales aspirent à la
participation aux affaire locales.
Concernant la justice, on peut aussi reprocher une pratique condamné et condamnable qui consiste,
pour le roi, à signer des lettres de cachet en blanc, laissant le soin à ses ministres d'inscrire les noms. Ce
despotisme ministérielle permettait par exemple l'incarcération sans jugement ou l'exil. Une partie de la
justice appartient à la royauté. Ensuite la justice est chère, multiple et fonctionne mal, les magistrats étaient
payés par les justiciés, les partis devaient rétribuer les magistrats. Donc un avocat pouvait faire durer le
procès le plus longtemps possible pour s'enrichir.

Aux tensions inhérentes aux institutions et aux traditions de l'avant-révolution vient se rajouter
une incroyable bataille d'idées et de mots qui ravive l'activité intellectuelle d'une partie du royaume et de
fait son aspiration au changement.

B – Un renouveau philosophique questionnant le pouvoir : les Lumières

Le XVIIIe siècle rompt avec le siècle précédent et ce bien avant la révolution. Si le XVII siècle
était celui du devoir5, le XIII porte en lui « l'esprit du siècle », esprit critique à la recherche du bonheur,
commun et individuel. Il s'est développé chez les gens cultivés et a contribué à saper les anciens respects,
rendant inévitable l'apparition d'un nouveau régime.

Même si Rousseau ou Montesquieu entrent en contradiction, ils ont contribué aux changements
politiques et à la réflexion des esprits cultivés. Ils ont permis de se débarrasser des préjugés 6 . Les
changements sont appelés au nom de la raison, d’où la montée du terme de rationalisme moderne, dont
4
J-P.Bertaud, Les causes de la Révolution française, ed. Armand Colin, Paris,1992.
5
Dans le sens chrétien d'obéissance aux contraintes terrestres dans l'attente du salut.
6
J-J.Chevalier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, Dalloz, 9e éd., 2001.
Descartes fut l'initiateur un siècle auparavant. L'idée de progrès apparaît, conjointe avec l’avancée des
sciences physiques et naturelles, l'art de gouverner est lui même rationalisé. Une remise en question
générale de toutes les institutions est soutenue par la bourgeoisie qui, au nom de l'utilité sociale, trouve
son intérêt dans la critique de l'arbitraire monarchique. Le préjugé religieux est rejeté, vu comme un
support au pouvoir absolue du roi, qui assure une unité et une confiance aveugle. Le sacre du roi à Reims,
symbole du mariage religieux entre le roi et ses sujets, ne garantie donc plus sa légitimé aux yeux de
certains.
En opposition à la souveraineté du roi, J-J.Rousseau préfère la souveraineté du peuple qui, en
contractant un « contrat social » avec lui même, rend la souveraineté inaliénable et indivisible et chacun
s'aliène au « tout » qu'est la volonté générale pour conserver sa liberté. En affirmant le principe que « toute
loi que le peuple en personne n'a pas ratifié est nulle » il écarte de facto la monarchie absolue de Louis
XVI.
C-L. De Secondat, dit Montesquieu est lui partisan de la « séparation des pouvoirs », décrié
souvent comme un mythe, elle se traduirait par la décomposition suivante : l'exécutif incarné par le roi, le
législatif incarné par deux chambres, et le judiciaire incarné par les magistrats. Si ce schéma n'exclut pas
la présence du Roi, il restreint tout de même considérablement ses pouvoirs.
Une force philosophique des lumières est aussi le règne de la loi, qui nouvelle source de l'ordre
public offre des garanties, des protections, pour sortir de l'arbitraire. Pour Rousseau la soumission à la
volonté générale se traduit par la soumission à la loi. La loi ne considère jamais l'homme en tant
qu'individu, ni l'action comme particulière, elle est donc impersonnelle, universelle.

Les mœurs appliqués au début de la monarchie absolue ont changé, la façon de penser des élites
aussi et les notions philosophiques démocratiques de l’antiquité remises sur le devant de la scène. Un
nouvel ordre social est en marche, mais l'ancien ordre politique demeure.

II) Des organes monarchiques en difficulté face à la déstabilisation du royaume

Louis XVI n'est pas coupé du royaume qui l'entoure, il est bien informé de ses problèmes mais il
aime rappeler qu'il a prêté serment à Dieu et non à la nation. Ce faisant il donne l'occasion d'opérer la
distinction entre sa personne et la nation, distinction qui servira de prétexte pour s'écarter de la vision
traditionnelle du corps politique incarné par le roi. En proie à la défiance et incapable de redresser la
situation économique du pays, il sera contraint de laisser sa place.

A – Le contexte économique

La situation économique du royaume est assez fluctuante tout au long du XVIII° siècle. Le
commerce et l'industrie enrichissent une partie du peuple et rapprochent une partie de la bourgeoisie du
Tiers-État à la noblesse. Au même titre que les sciences ou l'éducation intègrent dans les mœurs une
première ébauche de l'idée d'égalité.
Les secteurs du commerce et de l'industrie sont en souffrance à l'époque de Louis XVI. Les
barrières douanières intérieurs, une agriculture peu productive et un retard technique avéré plombent la
France. Le traité de 1786 avec l'Angleterre met fin à une véritable guerre commerciale entre les deux pays.
Mais en contrepartie il permit à l’Angleterre d'inonder la France de produits industriels concurrençant
l'économie française. L'idée d'un complot de famine organisé contre le peuple émerge dans la tête de
certains paysans. Selon les estimations de l'époque, il y aurait de 4 à 5 millions d'individus nécessitant des
secours à la veille de la révolution. La guerre des farines de 1775 suite à la liberté du commerce des grains
montre bien des des émeutes peuvent vite éclater dans cette situation économique.

Les attaques dirigées contre les seigneuries triplent en nombre entre 1760 et 1789 par rapport à la période
1690-1720.7
Même la bourgeoisie financière de l'Ancien Régime constituait une « force sociale hybride au

7
J-P.Bertaud, Les causes de la Révolution française, ed. Armand Colin, Paris,1992.
point de croisement de l'Ancien Régime et du capitalisme nouveau » 8 . En effet si elle trouvait ses
avantages dans le maintien des traditions elle subissait tout de même les vices d'une bureaucratie
irresponsable et l'arbitraire du pouvoir absolu.

Entouré de ministre compétents et expérimentés, certains ayant conseillé son prédécesseur Louis
XV, le roi Louis XVI va tenter plusieurs manœuvres politiques. S'ouvrant parfois au libéralisme avant de
se raviser, la situation semble pour lui hors de contrôle, mais aussi hors du contrôle de ses institutions.

B – Les tentatives de réformes sous Louis XVI

Plusieurs éléments de sa politique ont joués en la défaveur de Louis XVI. D'abord une institution
en place depuis plusieurs siècles, les parlements. Il en existe 13 au sein du royaume, et bien qu'ils aient
pour vocation première de traiter des affaires judiciaires, ils vont progressivement s’approprier des
compétence politiques et faire obstacle ou pouvoir royal. Composés de magistrat, ils doivent enregistrer
les ordonnances du roi pour qu'elles aient force de lois. À cette occasion, les parlements peuvent
présenter des « remontrances » écrites ou verbales sur un texte proposé par le roi, ils ont donc le pouvoir
de s'opposer au roi en n'enregistrant pas les textes royaux. A partir de la mort de Louis XIV les juges
commencent à s'opposer de plus en plus au pouvoir royal, ils veulent se constituer en pouvoir d'opposition.
Les états généraux de 1789 n'ont été réunis que grâce à la pression des parlementaires, ne supportant plus
le gouvernement d'un seul, et profitant d'un désamour manifeste entre le roi et le peuple.
Certains ministres éclairés ont tenté de réaliser des réformes souhaitées par l’opinion éclairée. C'est
le cas d'A.R.J Turgot qui, contrôleur des finances depuis 1774, décide en 1776 de s'attaquer à l'organisation
du travail. Dans un édit de février 1776 il supprime les corporations, car contraire au droit naturel de
travailler. Le parlement de Paris est contre, il adresse des remontrances au Roi. Mais Louis XVI finit par
ordonner l'enregistrement de l'édit, avant de laisser partir Turgot en mai 1776, puis de finalement rétablir
le système des corporations en août 1776. Turgot se veut extrêmement critique des corporations « La
nation est une société composée de différents ordres mal unis... ou personne n'est occupé que de son intérêt
particulier ». Tocqueville ajoutera « Dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d'entreprises, Votre
Majesté est obligée de tout décider par elle-même ou par ses mandataires ». Mais cette « disgrâce » de
Turgot, le 12 mai 1776, serait due essentiellement à la faiblesse de Louis XVI, à son incapacité d'arbitrage
en tant que monarque 9 . Faiblesse aussi soulignée par le Baron de Bésenval lorsqu'il écrits dans ses
mémoires « Rien de plus pur que les intentions de Louis XVI ; son sens est droit, son cœur vertueux, mai
son caractère est faible est mou. »
Turgot n'est pas le seul à être force de proposition, J.Necker tenta d'élargir les impôts aux autres
ordres, sans succès, et s'en remettant à la réunion de États Généraux. Plusieurs tentatives de réformes
furent entravées par les parlements, parmi elles on peut citer l'initiative de Maupeou en 1771 concernant
les parlements, ainsi que celle de Lamoignon en 1788 sur le même sujet. Malheureusement pour le roi les
parlements résisteront.

La fin du XVIII° siècle est incontestablement marquée par un vent de renouveau politique et
intellectuel en France, mais aussi aux États-Unis qui ont connus leur révolution une décennie avant la
notre. Dans un tel contexte de libéralisation économique et intellectuel nous pouvons nous interroger sur
le retour de la monarchie en France, et sur l'héritage des Lumières ainsi que de la Révolution dans son
fonctionnement institutionnel.

8
J.Jaurès, Histoire socialiste, t.I, p.40.
9
A.Soboul, Comprendre la Révolution, Paris, ed. F. Maspero, 1981.

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