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Université Ibn Tofail

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines - Kénitra

Histoire des idées au XVIIIe


siècle S2 : cours et anthologie

Prof. Raoui
Les mutations

Les Lumières font référence non pas à une délimitation chronologique mais plutôt au
triomphe de la raison sur l’ignorance et sur la superstition. Pour comprendre cette
transformation, il faut jeter la lumière sur certains événements marquants qui se sont déroulés
à la fin du XVIIe siècle.

1. La querelle des Anciens et des Modernes :

Le 27 janvier 1687 éclate à l’Académie française une querelle importante entre Charles
Perrault qui se dit Moderne et Nicolas Boileau qui est le chef de file des Anciens. C’est une
guerre d’épigrammes où chacune des deux parties cherche à affaiblir l’autre.
Principale cause de la querelle : Tandis que les Anciens tentent de faire renaître les penseurs
grecs de leurs cendres en étudiant leurs œuvres et en les glorifiant, les Modernes admirent
leurs philosophes contemporains tels Molière et pensent qu’ils sont plus intéressants que leurs
aïeuls grecs.

2. La querelle sur Homère :

Dans le même raisonnement que celui de la querelle entre Anciens et Modernes, la querelle
sur Homère est provoquée par un certain Houdar De La Motte qui prétend avoir trouvé des
erreurs importantes dans l’Iliade de Homère. Une information qui suscite polémique dans le
cercle des Salonniers et surtout auprès de Mme Dacier, traductrice, savante helléniste et
surtout Ancienne convaincue, pour qui Homère est parfait.

3. La querelle sur la poésie dans le cercle des géomètres :

L’année 1720 connait l’apparition de philosophes qui se disent être des « géomètres ». Ces
philosophes ne jurent que par la raison et rejettent l’artifice. A ce propos, ils critiquent
fortement la poésie traditionnelle et les vers qu’ils trouvent « frivoles » au profit de la prose
qui est plus « libre ». Ils provoquent de ce fait, la querelle sur la poésie.
Pourtant, ils ressentent un « quelque chose » ou un « je ne sais quoi » devant une œuvre d’art
ou un spectacle lyrique. Et pour cause, la notion d’esthétique n’ayant pas encore été inventée,

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ils ont du mal à exprimer leur extase face à la beauté. Cet inexprimable « je ne sais quoi » fait
d’eux, paradoxalement, des sentimentaux.

4. Les nouveaux précieux :

Les nouveaux précieux sont de grands grammairiens et linguistes comme leurs prédécesseurs
au XVIIe siècle. Mais ce sont aussi des Modernes qui souhaitent le progrès de la langue
française. Ils pensent que de nouveaux mots et expressions doivent être crées pour enrichir le
dictionnaire. Le mot : Bienfaisance et l’expression : Tomber amoureux datent, par exemple,
de cette époque.

5. La théorie du « beau » :

Entre 1740 et 1750, la recherche du beau se présente comme une réconciliation entre les
besoins vitaux de l’homme et ses plaisirs. Les théoriciens du ‘beau’ sont de plus en plus
nombreux. Entre autres, Yves André fait la différence entre le beau mathématique, le beau
naturel et le beau arbitraire.

6. L’esprit critique :

Les gens de lettres se sont donnés pour mission, dès la fin du XVIIe siècle, de contrecarrer les
dérives des fabulations et des clichés en ayant un esprit critique. Deux noms se sont imposés,
entre autres, qui sont le théologien Pierre Bayle auteur de : Avis aux réfugiés sur leur
prochain retour en France, et Bernard de Fontenelle célèbre pour son livre : Digression sur
les Anciens et les Modernes.

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La révolution française

En 1789 éclate la célèbre révolution française qui se présente depuis lors comme l’événement
le plus marquant de l’histoire de France. Il faut dire que sous la monarchie absolue, le
royaume de France a connu une quantité incalculable de révoltes du peuple, dont les causes
sont, notamment, les persécutions religieuses et les émeutes de la faim. Mais la grande
révolution représentera une transformation radicale et sans précédent du pays.

Le contexte socio-économique de la France à la veille de la révolution

1. Le roi et sa famille :

Le roi de France est Louis XVI, il a trente-quatre ans et vit à Versailles en compagnie de sa
femme Marie-Antoinette d’Autriche qui a trente-trois ans et qui est connue pour son caractère
festif. Elle a aussi été au centre de certains scandales comme celui de l’affaire du collier.

2. Les Français :

Hormis le tiers état, le peuple français se compose des nobles (à savoir la noblesse de robe et
la noblesse d’épée), du clergé (l’ensemble du ministère chrétien) et des bourgeois.
- Les nobles et le clergé ne paient pas d’impôt et possèdent la majorité des terres.
- Les bourgeois s’investissent dans le commerce (surtout maritime à cause de la traite
négrière).

3. Les finances :

Le gouvernement ayant besoin de beaucoup d’argent pour entretenir son armée, mais aussi la
maison royale, les nobles et le clergé, pousse le peuple à payer de lourds impôts auxquels
s’ajoutent la dîme (soutien aux œuvres de charité menées par l’église) et des taxes variées.

4. Le gouvernement :

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A partir du moment où le roi passe par la cérémonie du sacre (couronnement et onction du
corps par l’huile sainte), il détient tous les pouvoirs sur son peuple qui lui doit obéissance et
qui doit se convertir à sa religion.

La révolte du peuple

Face à ces difficultés socio-économiques de taille, les philosophes ne trouvent pas d’issus et
se révoltent à travers leurs écrits. Par conséquent, l’Emile de Jean-Jacques Rousseau qui
s’insurge indirectement contre le pouvoir en vigueur, finit par être sanctionné puis brûlé. Mais
pour ces penseurs, si le papier peut être détruit, les idées des jeunes restent intactes et ne font
au contraire que se vivifier. Les jeunes français soutiennent d’ailleurs Benjamin Franklin et
les treize colonies d’Amérique pour créer les Etats-Unis, événement qui leur fera goûter au
plaisir de la rébellion et de la liberté.

1. Ouverture des Etats-Généraux :

Décidé à changer le cours des événements, les révoltés exigent qu’une Assemblée
extraordinaire réunissant les trois ordres : le tiers état, la noblesse et le clergé soit mise en
place. En même temps, chaque paroisse est contrainte de tenir un cahier de doléances où
seront notées toutes les réclamations des habitants.

2. Le Serment du jeu de Paume :

Une Assemblée Nationale Constituante basée pour la première fois sur une Constitution
tenant compte du droit du tiers état se met en place le 20 juin 1789 dans la célèbre salle du jeu
de Paume à Versailles. Elle inaugure le début d’une vie sociale plus égalitaire surtout avec
l’avènement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en août de la même
année.

3. La prise de la Bastille :

Le 14 juillet, le peuple affamé et fatigué décide de prendre la Bastille. Cette prison représente
pour eux le symbole suprême du pouvoir royal d’autant plus que le roi y cache depuis

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toujours les munitions et les lettres de cachets qui sont des preuves d’emprisonnements
injustes et sans fondements.

4. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :

Fasciné par la Déclaration américaine des Droits de l’Homme, le marquis de la Fayette


demande à ses concitoyens d’ériger une déclaration similaire à même de consacrer l’égalité
pour tous. On attend beaucoup de ce document qui allait pour la première fois assoir de
grands principes d’équité et de liberté. Parmi ces principes, figurent en tête de liste l’égalité
devant les impôts et la liberté philosophique et religieuse.

5. Le roi en fuite :

Pris de panique, le roi désespérant de retrouver un jour ses prérogatives prend la fuite le 20
juin 1790. Mais Drouet qui croit avoir aperçu la silhouette du roi dans son carrosse alerte les
révolutionnaires. Ceux-ci ne tardent pas à reconnaitre et à ramener le roi aux Champs-Elysées.

6. Le procès du roi :

Le 21 janvier 1793, après beaucoup d’hésitation et de longues investigations, la nation décide


que le roi est coupable d’avoir mis la France en état de crise. Il est jugé et guillotiné à cette
date à la place de la Révolution.

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Jean Jacques Rousseau, Du contrat social

Chapitre premier

L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel se croit le maitre des autres, qui ne
laisse pas d’être plus esclave qu’eux. Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore.
Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question.

Si je ne considérais que la force, et l’effet qui en dérive, je dirais : tant qu’un peuple est
contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug, et qu’il le secoue,
il fait encore mieux ; car recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est
fondé à la reprendre, ou l’on ne l’était point à lui ôter. Mais l’ordre social est un droit sacré
qui sert de base à tous les autres. Cependant, ce droit ne vient point de la Nature ; il est donc
fondé sur des conventions.

Chapitre quatre

Si l’Etat ou la cité n’est qu’une personne morale dont la vie consiste dans l’union de ses
membres, et si le plus important de ses soins est celui de sa propre conservation, il lui faut une
force universelle et convulsive pour mouvoir et disposer chaque partie de la manière la plus
convenable au tout.

Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte
social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens, et c’est ce même pouvoir,
qui, dirigé par la volonté générale, porte comme je l’ai dit, le nom de Souveraineté. Mais
outre la personne publique, nous avons à considérer les personnes privées qui la composent, et
dont la vie et la liberté sont naturellement indépendantes d’elle. Il s’agit donc de bien
distinguer les droits respectifs des Citoyens et du Souverain, et les devoirs qu’ont à remplir les
premiers en qualité de sujets, du droit naturel dont ils doivent jouir en qualité d’hommes.

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Jean-Jacques Rousseau, L’Emile ou l’éducation

Tout est bien, sortant des mains de l’Auteur des choses : tout dégénère entre les mains de
l’homme. Il force une terre à nourrir les productions d’une autre, un arbre à porter les fruits
d’un autre : il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons : il mutile son chien, son
cheval, son esclave : il bouleverse tout, il défigure tout : il aime la difformité, les montres : il
ne veut rien tel que l’a fait la nature, pas même l’homme ; il le faut dresser pour lui, comme
un cheval de manège ; il le faut contourner à sa mode, comme un arbre de son jardin.

Sans cela, tout irait plus mal encore, et notre espèce ne veut pas être façonnée à demi. Dans
l’état où sont désormais les choses, un homme abandonné dès sa naissance à lui-même parmi
les autres serait le plus défiguré de tous. Les préjugés, l’autorité, la nécessité, l’exemple,
toutes les institutions sociales, dans lesquelles nous nous trouvons submergés, étoufferaient en
lui la nature, et ne mettrait rien à la place. Elle y serait comme un arbrisseau que le hasard fait
naitre au milieu d’un chemin, et que les passants font bientôt périr, en le heurtant de toutes
parts et le pliant dans tous les sens.

C’est à toi que je m’adresse, tendre et prévoyante mère, qui sus t’écarter de la grande route et
garantir l’arbrisseau naissant du choc des opinions humaines ! Cultive, arrose la jeune plante
avant qu’elle meure ; ses fruits feront un jour tes délices. Forme de bonne heure une enceinte
autour de l’âme de ton enfant : un autre en peut marquer le circuit, mais toi seule y doit poser
la barrière.

On façonne les plantes par la culture et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait
grand et fort, sa taille et sa force lui serait inutiles jusqu’à ce qu’il eut appris à s’en servir :
elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné
à lui-même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de
l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri si l’homme n’eut commencé par être
enfant.

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Montesquieu, L’esprit des lois

Chapitre III : Des lois positives

Sitôt que les hommes sont en société ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité qui
était entre eux cesse, et l’état de guerre commence.

Chaque société particulière vient à sentir sa force ; ce qui produit un état de guerre de nation à
nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force ; ils cherchent à
tourner en leur faveur les principaux avantages de leur société, ce qui fait entre eux un état de
guerre.

Ces deux sortes d’état de guerre font établir les lois parmi les hommes. Considérés comme
habitants d’une si grande planète qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des
lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le droit des gens.

Considérés comme vivant dans une société qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le
rapport qu’ont ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés ; et c’est le droit politique.
Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux ; et c’est le droit civil.
(…).

La loi en général est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ;
et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que le cas particuliers où
s’applique cette raison humaine.

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un grand
hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre.

Il faut qu’elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement qui est établi, ou


qu’on veut établir ; soit qu’elles le forment comme font les lois politiques ; soit qu’elles le
maintiennent comme font les lois civiles.

Elles doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la
qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur, au genre de vie des peuples, laboureurs,
chasseurs, ou pasteurs : elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut

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souffrir, à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur
commerce, à leurs mœurs, à leurs manières.

Montesquieu, Les Lettres persanes

Lettre première
Usbek à son ami Rustan
A Ispahan

Nous n’avons séjourné qu’un jour à Com ; lorsque nous eûmes fait nos dévotions sur le
tombeau de la vierge qui a mis au monde douze prophètes, nous nous remîmes en chemin ; et
hier, vingt-cinquième jour de notre départ d’Ispahan, nous arrivâmes à Tauris.

Rica et moi sommes peut-être les premiers parmi les Persans que l’envie de savoir ait fait
sortir de leur pays, et qui aient renoncé aux douceurs d’une vie tranquille pour aller chercher
laborieusement la sagesse.

Nous sommes nés dans un royaume florissant ; mais nous n’avons pas cru que ses bornes
fussent celles de nos connaissances, et que la lumière orientale dût seule nous éclairer.

Mande – moi ce qu’on ce que l’on dit de notre voyage ; ne me flatte point : je ne compte pas
sur un grand nombre d’approbateurs. Adresse ta lettre à Erzeron, où je séjournai quelque
temps. Adieu mon cher Rustan. Sois assuré qu’en quelque lieu du monde où je sois, tu as un
ami fidèle.

Lettre II.
Usbek au premier Eunuque noir.
A son sérail d’Ispahan.

Tu es le gardien fidèle des plus belles femmes de Perse ; je t’ai confié ce que j’avais dans le
monde de plus cher : tu tiens en tes mains les clefs de ces portes fatales, qui ne s’ouvrent que
pour moi.

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Tandis que tu veilles sur ces dépôts précieux de mon cœur, il se repose et jouit d’une sécurité
entière. Tu fais la garde dans le silence de la nuit comme dans le tumulte du jour. Tes soins
infatigables soutiennent la vertu quand elle chancelle.

Si les femmes que tu gardes voulaient sortir de leur devoir, tu leur ferais perdre l’espérance.
Tu es le fléau du vice et la colonne de la fidélité. Tu leur commandes et leur obéis. Tu
exécutes aveuglement toutes leurs volontés, et leur fais exécuter de même les lois du sérail.
(…).

Denis Diderot, L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers

Politique (philosophie) : La philosophie politique est celle qui enseigne aux hommes à se
conduire avec prudence, soit à la tête d’un état, soit à la tête d’une famille. Cette importante
partie de la philosophie n’a point été négligée par les anciens, et surtout par l’école d’Aristote.
Ce philosophe élevé à la cour de Philippe, et témoin de ces grands coups de politique qui ont
rendu ce roi si célèbre, ne manqua point une occasion si favorable de pénétrer les secrets de
cette science si utile et si dangereuse ; mais il ne s’amusa point, à l’exemple de Platon son
maitre, à enfanter une république imaginaire, ni à faire des lois pour des hommes qui
n’existent point : il se servit au contraire des lumières qu’il puisa dans le commerce familier
qu’il eut avec Alexandre-le-Grand, avec Antipater et avec Antiochus pour prescrire des lois
conformes à l’état des hommes et à la nature de chaque gouvernement.

République (Gouvern. Polit) : forme de gouvernement dans lequel le peuple en corps ou


seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance.

Lorsque dans la République, le peuple a la souveraine puissance, c’est une démocratie.


Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, c’est une
aristocratie.

Lorsque plusieurs corps politiques se réunissent ensemble pour devenir citoyens d’un
état plus grand qu’ils veulent former, c’est une république fédérative.

Les républiques anciennes les plus célèbres sont la république d’Athènes, celle de
Lacédémone, et la république romaine.

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Je dois remarquer ici que les anciens ne connaissaient point le gouvernement fondé sur un
corps législatif formé par les représentants d’une nation. Les républiques de Grèce et d’Italie
étaient des villes qui avaient chacune leur gouvernement, et qui assemblaient leur citoyen
dans leurs murailles. Avant que les Romains eussent engloutis toutes les républiques, il n’y
avait presque point de roi nulle part, en Italie, en Gaule, Espagne ; tout cela était de petits
peuples ou de petites républiques.

Denis Diderot, Le Neveu de Rameau

Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me
promener au Palais-Royal. C’est moi qu’on voit, toujours seul, rêvant sur le banc d’Argenson.
Je m’entretiens avec moi-même de politique, de goût, de philosophie. J’abandonne mon esprit
à tout son libertinage. Je le laisse maitre de suivre la première idée sage ou folle qui se
présente, comme on voit dans l’allée de Foy nos jeunes dissolus marcher les pas d’une
courtisane à l’air éventé, au visage riant, à l’œil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une
autre, les attaquant toutes et ne s’attachant à aucune.

Mes pensées, ce sont mes catins. Si le temps et trop froid, ou trop pluvieux, je me réfugie au
café de la Régence ; là je m’amuse à voir jouer aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le
café de la Régence est l’endroit où l’on joue le mieux à ce jeu.

C’est chez Rey que font assaut : Legal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot ; qu’on
voit les coups les plus surprenants, et qu’on entend les plus mauvais propos ; car si l’on peut
être homme d’esprit et grand joueur d’échecs, comme Legal, on peut être aussi un grand
joueur d’échecs, et un sot, comme Foubert et Mayot. Un après-dîner, j’étais là, regardant
beaucoup, parlant peu, et écoutant le moins que je pouvais ; lorsque je fus abordé par un des
plus bizarres personnages de ce pays où Dieu n’en a pas laissé manquer.

C’est un composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison. Il faut que les notions
de l’honnête et du déshonnête soient bien étrangement brouillées dans ma tête ; car il montre
ce que la nature lui a donné de bonnes qualités, sans ostentation, et ce qu’il en a reçu de
mauvaises, sans pudeur. (…).

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C’est le neveu de ce musicien célèbre qui nous a délivrés du plain-chant de Lulli que nous
psalmodiions depuis plus de cent ans ; (…).

Il m’aborde Ah, ah, vous voilà, M. le philosophe ; et que faites-vous ici parmi ce tas de
fainéants ? Est-ce que vous perdez aussi votre temps à pousser le bois ? C’est ainsi qu’on
appelle par mépris jouer aux échecs ou aux dames.

Germaine de Staël, De l’Allemagne

Chapitre III
Les femmes.

La nature et la société donnent aux femmes une grande habitude de souffrir, et l’on ne saurait
nier, ce me semble, que de nos jours elles valent, en général, mieux que les hommes. Dans
une époque où le mal universel est l’égoïsme, les hommes, auxquels tous les intérêts positifs
se rapportent, doivent avoir moins de générosité, moins de sensibilité que les femmes ; elles
ne tiennent à la vie que par le lien du cœur ; et lorsqu’elles s’égarent c’est encore par ce
sentiment qu’elles sont entraînées : leur personnalité est toujours à deux, tandis que celle de
l’homme n’a que lui-même pour but. On leur rend hommage par les affections qu’elles
inspirent, mais celles qu’elles accordent sont presque toujours des sacrifices. La plus belle des
vertus, le dévouement, est leur jouissance et leur destinée ; nul bonheur ne peut exister pour
elles que par le reflet de la gloire et des prospérités d’un autre ; enfin, vivre hors de soi-même,
soit par des idées, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, donne à l’âme un
sentiment inhabituel d’élévation.

Dans les pays où les hommes sont appelés par les institutions politiques à exercer toutes les
vertus militaires et civiles qu’inspire l’amour de la patrie, ils reprennent la supériorité qui leur
appartient, ils rentrent avec éclat dans leurs droits de maitres du monde, mais lorsqu’ils sont
condamnés de quelque manière à l’oisiveté ou à la servitude, ils tombent d’autant plus bas
qu’ils doivent s’élever plus haut. La destinée des femmes reste toujours la même, c’est leur
âme seule qui la fait ; les circonstances politiques n’y influent en rien.

Lorsque les hommes ne savent pas ou ne peuvent pas employer dignement et noblement leur
vie, la nature se venge sur eux des dons mêmes qu’ils en ont reçus ; l’activité du corps ne sert

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plus qu’à la paresse de l’esprit ; la force de l’âme devient de la rudesse, et le jour se passe
dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la chasse, les festins, qui
conviendraient comme délassement, mais qui abrutissent comme occupation.

Pendant ce temps, les femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la rêverie conservent
dans leur âme l’image de tout ce qui est noble et beau.

Germaine de Staël, Histoire de Pauline

Dans ces climats brûlants, où les hommes, uniquement occupés d’un commerce et d’un gain
barbares, semblent, pour la plupart, avoir perdu les idées et les sentiments qui pourraient en
inspirer l’horreur, une jeune fille, nommée Pauline de Gercourt, avait été mariée à l’âge de
treize ans à un négociant fort riche, et plus avide encore de le devenir. Ses plantations, son
commerce, ses commerces occupaient seuls sa vie. Il s’était marié parce qu’il avait, dans ce
moment, besoin d’une grande somme d’argent pour faire un achat considérable de nègres, et
que la dot de Pauline lui en fournissait les moyens.

Orpheline et mal élevée par un tuteur ami de son époux, et tout à fait dans le même genre, à
treize ans, elle épousa M. de Valville, sans connaitre la valeur de l’engagement qu’elle
prenait, sans avoir réfléchi ni sur le présent ni sur l’avenir.

Pauline avait un naturel aimable et sensible, mais à cette époque de la vie, de quel usage est ce
don, si l’éducation ne l’a pas développé ? On le retrouve, quand le moment arrive, où l’on
peut s’élever soi-même, où l’on sait se servir de sa propre expérience : mais le meilleur
naturel cède à toutes les premières impressions du monde, quand le principe ne le préserve
pas.

Pauline était belle comme le jour ; tout ce que les romans nous racontent de la régularité des
traits, du charme de l’expression, était réalisé par elle ; et quoique sa jeunesse tînt encore à
l’enfance, un regard souvent mélancolique caractérisait déjà sa physionomie. Pour son
malheur M. de Meltin venait souvent chez M. de Valville ; c’était un homme de trente-six ans,

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aimable et spirituel, mais si dépravé, qu’aucun sentiment même de délicatesse ne remplaçait
dans son âme l’absence totale des principes de la morale.

Il amusait Pauline, qui, délaissée tout le jour par son mari, ne savait que faire de son temps, ni
de sa gaieté ; il voulait lui plaire, mais il s’aperçut bientôt qu’il n’y réussirait pas ; et sentant
qu’il ne pourrait pas la séduire, se flatta de la corrompre et de l’obtenir à son tour par cet
horrible moyen. L’âge de Pauline ne peut l’arrêter ; il la dévoue au malheur. Il est vrai que
n’attachant pas d’importance à la vertu des femmes, il agissait comme il pensait.

Johann Wolfgang Goethe, Poésie et réalité

Livre premier

Lorsque nous cherchons à nous rappeler les événements de notre enfance, nous sommes
exposés à confondre le souvenir des récits qu’on nous en a faits, avec celui qu’ils ont
réellement laissé dans notre mémoire. (…).

Nos luttes poétiques avaient attiré l’attention de nos pères ; pour se faire une juste idée de
notre talent, ils donnèrent à chacun de nous le sujet d’un impromptu ; le mien obtint tous les
suffrages, et je repris confiance en moi-même. A cette époque, il n’existait pas encore de
bibliothèque à l’usage des enfants, mais j’avais feuilleté plusieurs fois les Chroniques de
Gottfried et une bible in-folio, ornée de gravure de Mérian, ce qui m’avait familiarisé avec les
principaux événements de l’ancien monde. L’Aserra philologica ajoute à ces faits historiques
une foule de fables et de mythologies. Bientôt Les Métamorphoses d’Ovide, me tombèrent
sous la main et achevèrent de meubler mon jeune cerveau d’une foule d’images et
d’événements.

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Tout cela me préoccupait au point que je n’ai jamais connu l’ennui. Les impressions, parfois
dangereuses, que je puisais dans ces livres, ne tardèrent pas à être favorablement modifiées
par la lecture du Télémaque de Fénelon, avec lequel je ne pouvais alors faire connaissance
que par la traduction si imparfaite de Neukirsh, Robinson Crusoé et l’Ile Felsenbürg, eurent
leur tour. Le voyage de Lord Anson autour du monde, me fut surtout très-utile ; car, en
suivant du doigt sur mon petit globe, la route de ce voyageur, je parvins à me faire une juste
idée de la terre et de ses diverses contrées.

Goethe, Les Souffrance du jeune Werther

Livre premier

4 mai 1771

Que je suis aise d’être parti ! Ah ! Mon ami, qu’est-ce que le cœur de l’homme ? Te quitter,
toi que j’aime, toi dont j’étais inséparable ; te quitter et être content ! Mais je sais que tu me le
pardonnes. Mes autres liaisons ne semblaient-elles pas tout exprès choisies par le sort pour
tourmenter un cœur comme le mien ? La pauvre Léonore ! Et pourtant j’étais innocent. Etait-
ce ma faute, à moi, si pendant que je ne songeais qu’à m’amuser des attraits piquants de sa
sœur, une funeste passion s’allumait dans son sein ? Et pourtant, suis-je bien innocent ? N’ai-
je pas nourri moi-même ses sentiments ? Ne me suis-je pas souvent plu à ses transports naïfs
qui, si peu risibles qu’ils fussent, nous ont si souvent fait rire ? N’ai-je pas… Oh ! Qu’est-ce
que l’homme pour qu’il ose se plaindre de lui-même ! Cher ami, je te le promets, je me
corrigerai ; je ne veux plus, comme je l’ai toujours fait, ruminer sans cesse le moindre
malheur que nous envoie le sort. Je jouirai du présent, et le passé sera passé pour moi.

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Oui, sans doute, mon ami, tu as raison ; les hommes auraient des peines moins vives si …
(Dieu sait pourquoi ils sont ainsi faits …), s’ils n’appliquaient pas toutes les forces de leur
imagination à renouveler sans cesse le souvenir de leurs maux, au lieu de supporter la
pauvreté du présent. (..).

Il règne dans mon âme une merveilleuse sérénité, semblable aux douces matinées de
printemps que je savoure avec délices. Je suis seul, et je goûte le charme de vivre dans une
contrée qui fut créée pour des âmes comme la mienne. Je suis si heureux, mon ami, si abîmé
dans le sentiment de ma tranquille existence, que mon talent en souffre. Je ne pourrais pas
dessiner un trait, et cependant je ne fus jamais plus grand peintre.

Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard

Scène I.
Silvia, Lisette

Silvia :

Mais encore une fois, de quoi vous mêlez-vous, pourquoi répondre de mes sentiments ?

Lisette :

C’est que j’ai cru que, dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le
monde ; Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu’il vous marie, si vous en
avez quelque joie : moi je réponds qu’oui ; cela va tout de suite ; et il n’y a peut-être que vous
de fille au monde, pour que ce oui-là ne soit pas vrai : le non n’est pas naturel.

Silvia :

Le non n’est pas naturel, quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands charmes pour
vous ?

Lisette :

Eh bien, c’est encore oui, par exemple.

Silvia :

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Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n’est pas à vous à
juger de mon cœur par le vôtre…

Lisette :

Mon cœur est fait comme celui de tout le monde ; de quoi le vôtre s’avise-t-il de n’être fait
comme celui de personne ?

Silvia :

Je vous dis que, si elle osait, elle m’appellerait une originale.

Lisette :

Si j’étais votre égale, nous verrions. (…)

Scène IV

Monsieur Orgon, Mario

Monsieur Orgon :

Ne l’amusez-vous pas, Mario, venez, vous saurez de quoi il s’agit.

Mario :

Qu’y a-t-il de nouveau, Monsieur ?

Monsieur Orgon :

Je commence par vous recommander d’être discret sur ce que je vais vous dire, au moins.

Mario :

Je suivrai vos ordres.

Monsieur Orgon :

Nous verrons Dorante aujourd’hui ; mais nous ne le verrons que déguisé.

Mario :

Déguisé ! Viendra-t-il en partie de masque, lui donnerez-vous le bal ?

Monsieur Orgon :

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Ecoutez l’article de la lettre du père. Hum … « Je ne sais au reste ce que vous penserez d’une
imagination qui est venue à mon fils ; elle est bizarre, il en convient lui-même, mais le motif
est pardonnable et même délicat ; c’est qu’il m’a prié de lui permettre de n’arriver d’abord
chez vous que sous la figure de son valet, qui de son côté fera le personnage de son maître ».

Mario :

Ah ! Cela serait plaisant.

Monsieur Orgon :

Ecoutez le reste … : « Mon fils sait combien l’engagement qu’il va prendre est sérieux, et il
espère, dit-il, sous ce déguisement de peu de durée, saisir quelques traits du caractère de notre
future et la mieux connaitre, pour se régler ensuite sur ce qu’il doit faire, suivant la liberté que
nous sommes convenus de leur laisser. Pour moi, qui m’en fie bien à ce que vous m’avez dit
de votre aimable fille, j’ai consenti à tout en prenant la précaution de vous avertir, quoiqu’il
m’ait demandé le secret de votre côté ; vous en userez là-dessus avec la future comme vous le
jugerez à propos… « Voilà ce que le père m’écrit. Ce n’est pas le tout, voici ce qui arrive ;
c’est que votre sœur inquiète de votre côté sur le chapitre de Dorante, dont elle ignore le
secret, m’a demandé de jouer ici la même comédie, et cela précisément pour observer
Dorante, comme Dorante veut l’observer. Qu’en dites-vous ? Savez-vous rien de plus
particulier que cela ? Actuellement, la maitresse et la suivante se travestissent. Que me
conseillez-vous, Mario, avertirai-je votre sœur ou non ?

Mario :

Ma foi, Monsieur, puisque les choses prennent ce train-là, je ne voudrais pas les déranger, et
je respecterais l’idée qui leur est inspirée à l’un et à l’autre ; il faudra bien qu’ils se parlent
souvent tous deux sous ce déguisement, voyons si leur cœur ne les avertirait pas de ce qu’ils
valent. Peut-être que Dorante prendra du goût pour sa sœur, toute soubrette qu’elle sera, et
cela serait charmant pour elle.

Monsieur Orgon :

Nous verrons un peu comme elle se tirera d’intrigue.

Mario :

C’est une aventure qui ne saura manquer de nous divertir, je veux me trouver au début et les
agacer tous deux.

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Jacques Cazotte, Le diable amoureux

J’étais à vingt-cinq ans capitaine aux gardes du roi de Naples : nous vivions beaucoup entre
camarades, et comme de jeunes gens, c’est-à-dire des femmes, du jeu, tant que la bourse
pouvait y suffire ; et nous philosophions dans nos quartiers quand nous n’avions plus d’autre
ressource.

Un soir, après nous être épuisés en raisonnements de toute espèce autour d’un petit flacon de
vin de Chypre et de quelques marrons secs, le discours tomba sur la cabale et les cabalistes.

Un d’entre nous prétendait que c’était une science réelle, et dont les opérations étaient sûres ;
quatre des plus jeunes lui soutenaient que c’était un amas d’absurdités, une source de
friponneries, propres à tromper les gens crédules et amuser les enfants. (…).

Nous étions dans la chambre du fumeur ; la nuit s’avançait : on se sépara, et nous


demeurâmes seuls notre ancien et moi. Enfin mon homme rompit le silence.

« Jeune homme, me dit-il, vous venez d’entendre beaucoup de bruit : pourquoi vous êtes-vous
tiré de la mêlée ?

- C’est, lui répondis-je, que j’aime mieux me taire que d’approuver ou blâmer ce
que je ne connais pas : je ne sais pas même ce que veut dire le mot de cabale.

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- Il y a plusieurs significations, me dit-il ; mais ce n’est point d’elles dont il
s’agit, c’est de la chose. Croyez-vous qu’il puisse exister une science qui enseigne à
transformer les métaux et à réduire les esprits sous notre obéissance ?
- Je ne connais rien des esprits, à commencer par le mien, sinon que je suis sûr
de son existence. Quant aux métaux, je sais la valeur d’un carlin au jeu, à l’auberge et
ailleurs, et ne peut rien assurer ni nier sur l’essence des uns et des autres, sur les
modifications et impressions dont ils sont susceptibles.
- Mon jeune camarde, j’aime beaucoup votre ignorance ; elle vaut bien la
doctrine des autres : au moins vous n’êtes pas dans l’erreur, et si vous n’êtes pas instruit,
vous êtes susceptible de l’être. Votre naturel, la franchise de votre caractère, la droiture de
votre esprit, me plaisent : je sais quelque chose de plus que le commun des hommes ;
jurez-moi le plus grand secret sur votre parole d’honneur, promettez de vous conduire
avec prudence, et vous serez mon écolier.
- L’ouverture que vous me faite, mon cher Soberano, est très agréable. La
curiosité est ma plus forte passion. Je vous avouerai que naturellement j’ai peu
d’empressement pour nos connaissances ordinaires ; elles m’ont toujours semblées trop
bornées, et j’ai deviné cette sphère élevée dans laquelle vous voulez m’aider à m’élancer :
mais quelle est la première clef de la science dont vous parlez ? Selon ce que disaient nos
camarades en disputant, ce sont les esprits eux-mêmes qui nous instruisent ; peut-on se lier
avec eux ?
- Vous avez dit le mot Alvare, on apprendrait rien de soi-même ; quant à la
possibilité de nos liaisons, je vais vous donner une preuve sans réplique ».

Comme il finissait ce mot, il achevait sa pipe : il frappe trois coups pour faire sortir le peu
de cendres qui restait au fond, la pose sur la table assez près de moi. Il élève la voix :

« Calderon, dit-il, allez chercher ma pipe, allumez-la et rapportez-la moi ».

Il finissait à peine le commandement, je vois disparaitre la pipe ; et avant que j’eusse pu


raisonner sur les moyens, ni demander quel était ce Calderon chargé de ses ordres, la pipe
allumée était de retour, et mon interlocuteur avait repris son occupation. (…).

Je lui faisais mille questions ; il éludait les unes et répondait aux autres d’un ton d’oracle.
Enfin, je le pressai sur l’article de la religion de ses pareils. « C’est, me répondit-il, la
religion naturelle ». Nous entrâmes dans quelques détails ; ces décisions cadraient plus

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avec mes penchants qu’avec mes principes ; mais je voulais venir à mon but et ne voulais
pas le contrarier.

« Vous commandez aux esprits, lui disais-je ; je veux comme vous être en commerce avec
eux : je le veux, je le veux ».

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