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n° 629
Texte intégral
Source :
Bases constitutionnelles de la république du genre humain par
Anacharsis Cloots, membre de la Convention nationale, Paris,
Imprimerie nationale, 1793 (l’an II de la République une et
indivisible).
L’orthographe du texte a été modernisée. Sauf mention
contraire, toutes les notes sont de Louis Lourme.
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Anacharsis Cloots
La République du genre humain
Louis Lourme
« Le genre humain pour horizon »
Repères bibliographiques
Collection
ANACHARSIS CLOOTS
PROJET DE DÉCRET
La Convention nationale voulant mettre un terme aux erreurs, aux
inconséquences, aux prétentions contradictoires des corporations et des
individus qui se disent souverains, déclare solennellement sous les auspices
des Droits de l’Homme :
ARTICLE PREMIER
Il n’y a pas d’autre souverain que le genre humain.
ARTICLE II
Tout individu, toute commune qui reconnaîtra ce principe lumineux et
immuable, sera reçu de droit dans notre association fraternelle, dans la
République des Hommes, des Germains, des Universels.
ARTICLE III
À défaut de contiguïté ou de communication maritime, on attendra la
propagation de la vérité, pour admettre les communes des enclaves
lointaines39.
26 avril 1793
1. Littéralement, « l’amour de la chose publique est au-dessus de tout ».
2. Commettant : personne qui en charge une autre (son mandataire) du soin de ses intérêts privés
ou politiques. Ici, les électeurs.
3. Depuis le 4 mars 1790, dans les faits, la France n’est plus découpée selon les anciennes
provinces, dont les noms rappellent les fiefs, mais en 83 départements nommés d’après leur
géographie ou leurs rivières et fleuve. Ce nouveau cadre est l’unité administrative du pays, aussi bien
que judiciaire, fiscale et religieuse : elle dispose de son assemblée de citoyens élus. (Le département
est subdivisé en districts, cantons et communes.)
4. Allusion aux précédentes assemblées, l’Assemblée constituante de 1789, puis sous la monarchie
constitutionnelle, l’Assemblée législative chargée de mettre en œuvre la constitution de 1791…
jusqu’à l’échec politique que signe la journée révolutionnaire à Paris du 10 août 1792 : les insurgés
de la Commune de Paris prennent les Tuileries, d’où le roi fuit pour se réfugier à l’Assemblée, qui
prononce la suspension de son pouvoir et son placement en résidence surveillée.
5. Allusion à la journée du 10 août 1792, à l’abolition de la royauté par la Convention et à la
condamnation à mort de Louis XVI, votée le 15 janvier 1793.
6. Par les Articles de la Confédération de novembre 1777, le Second Congrès continental, qui a
servi d’organe fédérant la résistance à la Couronne britannique colonisatrice, a organisé les treize
États ayant proclamé leur indépendance en 1776 en une confédération, avant que la constitution des
États-Unis ne soit promulguée en 1787. Désormais ; le Congrès américain est un parlement bicaméral
comprenant une chambre haute, le Sénat, et une chambre basse, la Chambre des représentants ; sa
première forme avait été unicamérale. Voir plus loin le développement de Cloots contre le
bicaméralisme, p. 24 et p. 30.
7. Allusion à la petite cité-État maritime de la côte dalmate (actuelle Dubrovnik), crée au
e
XIV siècle, enclavée entre la Hongrie et l’Empire ottoman.
8. Véies, puissante ville étrusque à sa voisine Rome, qui lui conteste sa suprématie régionale, est
prise par Camille, dictateur chargé de la guerre, à l’issue d’un long siège en 396 avant J.-C. À Rome,
des voies patriciennes s’élèvent pour que le Sénat soit installé à Véies annexée (cf. Plutarque, « Vie
de Camille »).
9. Impôt indirect (taxe) prélevé sur des produits de consommation, comme les boissons
alcoolisées.
10. Allusion aux travaux qui ont débuté, notamment en cette année 1793 ceux du Capitole qui vont
abriter le Congrès, à la suite de la constitution de 1787 qui a fait de Washington, ex nihilo, la capitale
fédérale des États-Unis.
11. Un mois après la victoire de Valmy, Jean-Nicolas Pache (1746-1823) est nommé ministre de la
Guerre sur la recommandation de Roland (voir ce qu’en écrit Cloots, p. 39). Il fait venir à ses côtés
Hébert. Après le départ de Roland du Conseil exécutif, en janvier 1793, il devient maire de Paris.
12. Dénominations imaginaires de Cloots pour désigner les départements qui pourraient être taillés
dans les Pays-Bas autrichiens, dont la population s’est soulevée en 1790 contre l’Empereur Joseph II,
le temps de déclarer les États Belgiques unis (Brabant, Gueldres, Flandres, West-Flandres, Hainaut,
Namur, Tournaisis et Malines), avant la reconquête autrichienne par Léopold II. Les troupes
françaises ont marché sur les Pays-Bas autrichiens après avoir déclaré la guerre à l’Autriche et ont
vaincu son armée à Jemmapes le 6 novembre 1792. L’année 1793 voit l’armée du prince de Cobourg
reprendre aux Français le territoire.
13. Littéralement, « lieutenant » en néerlandais. Titre correspondant à celui de gouverneur général
dans les provinces des anciens Pays-Bas, à la fin de l’époque médiévale et à l’époque moderne
désigné par le souverain (les ducs de Bourgogne puis la maison des Habsbourg, empereurs du Saint-
Empire).
14. Dans la confédération des Sept Cantons (Suisse), titre du premier magistrat ayant fonction de
gouverneur, désigné par le seigneur local.
15. Dans la monarchie constitutionnelle anglaise, le veto royal est suspensif de l’accord qui
prévaut pour les activités législatives du Parlement. De 1789 à 1792, conformément à la constitution,
Louis XVI a disposé d’un droit de veto similaire.
16. Le Conseil exécutif provisoire nommé le 10 août 1792 est confirmé par la Convention, qui
affirme ainsi une continuité dans le pouvoir exécutif. Il est composé de six ministres : Intérieur,
Marine, Justice, Affaires étrangères et Guerre.
17. Allusion aux institutions supérieures en vigueur dans le Saint-Empire romain germanique (de
« Aula », la cour), en particulier au Conseil aulique, conseil particulier qui se tient en présence de
l’empereur, conformément au droit impérial, pour régler des affaires qui concernent un fief, par
opposition à la diète d’Empire qui règle les différends survenus entre des États de la confédération.
18. Bursal : qui a pour objet les impôts et en particulier les impôts extraordinaires (Littré).
19. Argus : surveillant, espion (Littré), sens figuré du nom d’Argus, personnage fabuleux aux cent
yeux.
20. Allusion aux lettres décrétales des papes, généralement destinées à tout le clergé, édictant une
règle (en matière disciplinaire ou théologique) qui, recueillies dans des sommes, participent à
l’élaboration du droit canon.
21. La départementalisation n’est pas passée par les colonies. La colonie française en Haïti est
plongée dans la guerre depuis le soulèvement des esclaves emmené par Toussaint Louverture, après
que les colons ont rejeté la Révolution et pris le parti des Britanniques ; quant au comptoir français au
Bengale, il menace d’être pris par les Britanniques.
22. Les Actes de navigation désignent une série des lois protectionnistes prises par le Parlement
britannique visant à assurer à sa flotte marchande le monopole du commerce entre la métropole et les
colonies britanniques, et à renforcer sa marine de guerre ; les premières lois sont votées sous
Cromwell (1651), l’une des plus fameuses est le Sugar Act (1764). Elles mettent en œuvre la
politique mercantiliste de la Couronne, qui aura pour effet d’allumer le brandon de l’indépendance,
lors de la Tea Party, dans le port de Boston, en 1773.
23. Désigne les Noirs de la « Cafrerie », nom donné à l’Afrique australe, inspiré du terme de
« kafir » (« infidèle » en arabe), utilisé par les marchands d’esclaves arabes.
24. Transposée ici, la doctrine politique de Thomas Paine, résumée par sa phrase célèbre tirée de
Common Sense (1776) : « Le gouvernement, dans sa perfection même, n’est qu’un mal nécessaire ;
dans son imperfection, c’est un mal insupportable. » Elle est précédée de la phrase : « L’état social
est un bien dans toutes les hypothèses », à la première page. L’édition française de ce livre fameux
paraît en 1793. L’écrivain pamphlétaire anglais, parti en 1774 pour les Treize colonies, sur la
recommandation de Benjamin Franklin et ayant participé à soulever la révolution américaine avec
Common Sense, s’installe en France en 1792 : depuis ses débuts, il est enthousiasmé par la
Révolution, et il ne peut plus rester en Angleterre. Dès son arrivée, il est fait citoyen français
(août 1792, comme Cloots), et est élu à la Convention.
25. Benjamin Franklin disparaît en 1790, à Philadelphie. L’ami de Thomas Paine avait été
l’ambassadeur officieux des États-Unis (en formation) en France, à compter de 1776, ce qui avait
donné à Cloots l’occasion de le fréquenter. À son retour, en 1785, il participe à la rédaction de la
Constitution américaine.
26. Allusion au Conventionnel corse Christophe Saliceti (siégeant parmi les Montagnards), qui,
député du tiers état, avait déclaré à l’Assemblée constituante, le 30 novembre 1789 : « La Corse fait
partie intégrante de l’État français. » L’île, jusque-là province autonome, a été rattachée à la France et
a accédé au statut de département en 1790.
27. Allusion au massacre de la Glacière, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791, dans le palais des
Papes d’Avignon, théâtre de l’exécution sanglante par des bourreaux inexpérimentés de plusieurs
dizaines de « contre-révolutionnaires » qui avaient été arrêtés à la suite du lynchage d’un patriote
travaillant pour la municipalité : une foule de « papistes », adversaires du rattachement des États
pontificaux à la France et de la confiscation de leurs biens, s’en était prise à lui.
28. Originaire du comtat Venaissin, l’ecclésiaste et académicien Jean-Sifrein Maury (1746-1817) a
fui la France pour passer à l’Émigration lorsque l’Assemblée constituante a été dissoute, en 1791,
dont il était député du clergé depuis les États généraux : il s’est montré un défenseur des intérêts du
clergé et de la noblesse contre ceux du tiers état, et de l’autorité du pape contre celle de l’État
français.
29. Aristocrate corse, Matteo Buttafoco (1731-1806) est un militaire de carrière. Élu député de la
noblesse corse aux États généraux de 1789, il s’oppose violemment à Paoli, de retour sur l’île, et au
lieutenant Bonaparte qui l’a rallié dans sa cause indépendantiste, si bien que la municipalité
d’Ajaccio le fit brûler en effigie en 1791.
30. Jean-Jacques Duval d’Esprémesnil (1745-1794), avocat affairiste et pamphlétaire, était connu
sous l’Ancien Régime pour s’adonner au magnétisme. En 1788, magistrat au Parlement de Paris, il
est partisan de la convocation des États généraux et défenseur du Parlement, ce qui lui vaut une
disgrâce passagère qui le fait passer malgré lui, au début de la Révolution pour un opposant au
despotisme. Élu député de la noblesse en 1789, il est un partisan acharné de l’absolutisme, s’activant
à des menées contre-révolutionnaires secrètes et aidant l’Émigration en la renseignant. Il doit se
cacher à partir de juillet 1792, après qu’il a failli être pendu par des fédérés aux Tuileries.
31. Brahmanes.
32. Allusion au club des Feuillants, créé en juillet 1791, à la suite de l’explosion du club des
Jacobins, qui n’a pas résisté aux divisions nées des conséquences politiques de la fuite du roi à
Varennes (une fraction virulente des Jacobins, dont Robespierrre, réclame sa déchéance, la majorité
s’en va). Ses membres, soutenant plutôt la monarchie constitutionnelle, se trouvent majoritaires à
l’Assemblée législative sortie des urnes en octobre 1791.
33. Cloots s’empare librement d’un point fondamental de la théorie de Nicolas Malebranche,
prêtre oratorien et philosophe ayant travaillé à concilier augustinisme et cartésianisme. Sa doctrine de
la « vision en Dieu », développée notamment dans Entretiens sur la métaphysique et la religion, est
ainsi résumée par Émile Boutroux (« L’intellectualisme de Malebranche », Revue de métaphysique et
de morale, 1916) : « Nous voyons en Dieu tout ce que nous connaissons véritablement. Connaître le
monde, c’est le concevoir par rapport à l’étendue intelligible qui réside en Dieu même, c’est le
réduire en éléments mathématiques. Dieu, chez Malebranche, est toute lumière, toute vérité, tout
ordre. » En d’autres termes, il n’y a pas, selon Malebranche, de connaissance directe possible du
monde matériel. L’homme ne peut connaître que par la raison, par les idées qui le relient à Dieu. Il en
découle une philosophie à la fois rigoureuse et très étonnante.
34. Note de l’Auteur. Je fis, il y a quelques années, un testament philosophique, dans lequel je
prouvais qu’on peut vous ôter l’âme sans vous tuer ; et par conséquent que notre âme est une chimère
aussi ridicule que le fantôme appelé Dieu. Comme il importe à la République que nos neveux ne
soient pas la dupe des prédicateurs du mensonge, je vais retracer ici une courte analyse à l’usage des
instituteurs de la jeunesse. Le vrai moyen de se défaire des jongleurs, c’est de montrer que l’âme de
l’homme est le résultat de l’organisation humaine, comme l’âme d’un dogue est le résultat de
l’organisation canine. Nous sommes, disais-je, des plantes ambulantes, et nous deviendrons des
plantes sédentaires. Nous avons pris racine dans le sein de la femme, et nous reprendrons racine dans
le sein de la terre. Le nombril n’est autre chose qu’une racine. Donnez à l’arbuste les sens qui lui
manquent, et vous ferez de ce végétal ce que nous appelons un animal. Analysez le corps humain, et
vous trouverez un tronc, des branches, des rameaux, une écorce et la circulation de la sève ou du
sang. Un brin d’herbe a beaucoup de rapport avec l’homme le mieux organisé. Ensevelissez-moi sous
la verte pelouse, pour que je renaisse par la végétation : métempsycose admirable dont les mystères
ne seront jamais révoqués en doute. Mais je n’aurai pas le souvenir de mon existence première : eh !
que m’importe cette réminiscence, pourvu que j’existe agréablement. Il ne s’agit pas ici de
récompenses et de peines théologiques. Je consulte la nature qui me dit de mépriser la théologie. La
nature est une bonne mère qui se plaît à voir naître et renaître ses enfants sous des combinaisons
différentes. Un profond sommeil ne laisse pas que d’avoir son mérite.
On disserte depuis des siècles sur l’essence de notre âme ; elle est indivisible, dit-on, et par
conséquent immortelle. Je nie la majeure, car notre âme se divise en six parties très distinctes ; et
j’ôterai successivement à un homme son âme, sans lui ôter la vie. Vous perdez la vue aujourd’hui,
demain l’ouïe, le lendemain l’odorat, ensuite le goût et le tact. Que restera-t-il de votre âme, sinon la
mémoire, le souvenir des phénomènes transmis par les cinq sens ? de sorte qu’en perdant cette
mémoire, vous devenez un végétal proprement dit, à cela près que vous éprouverez la faim et la soif,
le froid et le chaud. Ma bouche n’ayant ni tact, ni saveur recevra machinalement la nourriture qu’on y
versera ; elle me tiendra lieu de nombril ou de racine. Je vivrai sans notre prétendue âme, je végéterai
comme une plante, et vous ne sauriez me rendre mon âme qu’en me rendant mes sens. Penser, c’est
sentir : sentir, c’est recevoir l’impression de tous nos organes dans un point central où nos fibres, nos
nerfs, nos esprits vitaux viennent aboutir. Coupez cette communication, et l’animal devient plante, un
coup violent sur la tête ôte la faculté de sentir les plus rudes coups sur le reste du corps. Donnez une
tête aux plantes, et vous leur communiquerez les impressions du plaisir et de la douleur, comme aux
animaux. Modifiez la tête de telle ou telle manière, et vous verrez toutes les gradations de la sagesse
et de la folie, du génie et de l’imbécillité. Il y a donc deux moyens de faire disparaître notre âme sans
que mort s’ensuive, soit par l’absence de nos cinq sens, soit par l’affaissement du cerveau. On peut
cesser de sentir, perdre la mémoire des sensations précédentes, et continuer à vivre, à respirer, à
digérer, à végéter. Je le répète : penser, c’est sentir, et il faudrait avoir aussi peu de sentiment qu’un
théologien, pour se refuser l’évidence de ma démonstration, qui dispensera de la lecture de mille et
un traités sur la métaphysique.
35. La livre tournois est une monnaie de compte de l’Ancien Régime, d’une valeur de vingt sous,
encore en circulation. Elle sera remplacée par le franc français en 1795.
36. Les États de Savoie, appartenant au royaume de Piémont-Sardaigne (allié peu belligérant de
l’Autriche), assistent sans y prendre part aux débuts de la Révolution. Les choses changent quand, en
septembre 1792, les troupes françaises entrent en Savoie, sans que les troupes sardes ne combattent.
La Convention y envoie aussitôt des commissaires chargés de constituer une assemblée, aussitôt
dénommée Assemblée nationale des Allobroges, créée à Chambéry et qui vote immédiatement la
suppression des droits souverains de la Maison de Savoie, la fin de la noblesse, la confiscation des
biens du clergé. L’Assemblée dissoute sans avoir prononcé le rattachement de la Savoie à la France,
c’est Sieyès, à la Convention, qui proclame son annexion.
37. Figures de législateurs mythiques, Moïse recevant les Tables de la Loi et Lycurgue concevant
la constitution de Sparte.
38. Léto (ou Latone dans la mythologie latine) est la première épouse de Zeus et la mère d’Artémis
et d’Apollon. Cette « île flottante » évoquée par Cloots fait référence à l’île d’Ortygie, où Léto se
réfugie pour échapper à la colère d’Héra.
39. Note de l’auteur. S’il restait encore le moindre doute aux hommes de bonne volonté, je les
prierais de lire mon livre de L’Orateur du genre humain, mon livre de la République universelle, et
ma dernière brochure intitulée : Étrennes de l’orateur du genre humain aux Cosmopolites.
Le genre humain pour horizon
Louis LOURME
Vie d’Anacharsis Cloots