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TITRE 2 - L’EMPREINTE DE LA

REVOLUTION ET DES
REGIMES QUI L’ONT SUIVIE
Cet examen va nous conduire à examiner la rupture que
représente la Révolution de 89 (titre 1) et les tentatives de
reconstruction politique auxquelles celle-ci a donné lieu (titre 2).
Afin de ne pas être perdu, il faut garder à l’esprit la
chronologie :

SOUS-TITRE 1 - LA FRANCE EN REVOLUTION


(1789-1815)
Le passage de l’Ancien Régime au nouveau s’est réalisé durant
la période de la Révolution (1789-1799) et celle du Consulat et
de l’Empire (1799-1815). Cette époque nous apparaît
fondamentalement dualiste, dans la mesure où il convient de
distinguer ces deux époques : la première a brisé l’ordre ancien
en échouant à construire (1789-1799), la seconde s’est efforcé
de bâtir un nouvel ordonnancement qui s’est avéré durable au
plan des institutions administratives et civiles (1799-1815).
CHAPITRE 1
LA RÉVOLUTION : UN NOUVEL ORDRE
IDÉOLOGIQUE ET JURIDIQUE

La rupture révolutionnaire n’a ni été préméditée, ni même


prévue. Elle est née des circonstances qui ont précipité la fin
d’un régime politique entré en crise (sec. 1). L’esprit du siècle
aidant, elle n’en a pas moins débouché sur un nouvel agen-
cement politique et juridique (sec. 2).

SECTION 1
LA RUPTURE RÉVOLUTIONNAIRE
Paragraphe 1 - La pré-révolution aristocratique (1787-1788)

Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire


qu’ils font. Le déclenchement de la Révolution illustre le
phénomène, si l’on prend soin de rappeler deux observations
paradoxales.
En premier lieu, personne en France ne voulait d'une révolution.
Même parmi les « philosophes », nul ne la souhaitait et ne l'avait
prévue (sauf peut-être Voltaire dans une lettre de 1764). Selon
d'Holbach, les révolutions étaient des « remèdes violents...
toujours plus cruels que les maux que l'on veut faire
disparaître ». Rousseau lui-même, conseillant au Genevois de
redevenir libres, leur précisait : « soyez plutôt esclaves que
parricides » et il écrivait aux Polonais: « Je ris de ces peuples...
qui... s'imaginent que pour être libres, il suffit d'être des
mutins ». Selon lui, « le sang d'un homme a plus de prix que la
liberté du genre humain ». Les rares survivants des Lumières qui
assistèrent au déclenchement de la Révolution, comme
Marmontel ou Raynal, la condamnèrent. Morellet lui-même, dès
le 14 juillet, voyait dans le peuple « une puissance aveugle et
sans frein...le vrai Léviathan de Thomas Hobbes ». Les fils du
destin allaient se nouer sans eux et le cours des événements
allait en décider autrement.
En second lieu, à ses débuts, le mouvement fut l’œuvre des
« Privilégiés », qui initièrent le processus qui allait les conduire
à leur ruine.
En effet la Révolution est née de la conjonction entre
l'opposition systématique des Parlements et la faiblesse de Louis
XVI qui interdit l'adoption des réformes nécessaires, au point de
vue financier.
La monarchie ne parvint pas à maîtriser la croissance à peu près
inexorable des dépenses publiques. De 1600 à 1609, leur
montant, endigué par Sully, n'atteignait pas vingt millions de
livres tournois. Au début du règne personnel de Louis XIV (vers
1661-1683), elles furent portées à près de cent millions l'an.
Puis, pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697),
elles s'élevèrent à environ 150 M., pour atteindre 228 M. avec la
guerre de succession d'Espagne (1700-1713). Les longues
périodes de paix du XVIII° siècle permirent une baisse des
dépenses, mais celles-ci s'accrurent avec la coûteuse inter-
vention militaire française dans la guerre d'indépendance
américaine (1779-1783) et, en 1788, elles grimpèrent à près de
630 M.£
Le résultat fut un déficit chronique. Il devait être de 20% en
1781 et grandit ensuite chaque année, car le seul moyen de le
couvrir consistait à emprunter, ce qui revenait à accroître les
dépenses de l'exercice suivant. De plus, faute de pouvoir
compter sur une banque d'État ou même une organisation ban-
caire sérieuse, la monarchie recourut aux emprunts privés,
jusqu’à ce que les nouveaux emprunts ne servent plus qu'à payer
les intérêts des anciens.
La croissance du rôle de l'État et des dépenses publiques, la
succession des guerres extérieures auraient nécessité une refonte
complète du système fiscal. Celle-ci n'aurait pas été tech-
niquement irréalisable. La pression fiscale moyenne était
modeste. D’ailleurs la charge fiscale par habitant était une fois
et demi plus élevée en Espagne, deux fois et demi en Angleterre.
Mais en France les catégories privilégiées étaient nombreuses et,
comme aujourd’hui d’ailleurs, beaucoup de Français
échappaient à l’impôt.
La royauté n'entreprit pas cette réforme pour des raisons d'ordre
exclusivement politique. En matière fiscale, plus qu'en d'autres,
apparaissait l'incertitude des lois fondamentales. Jamais la
question du droit royal d'imposer ne fut résolue nettement,
malgré les proclamations théoriques d'un certain nombre
d'auteurs, fondées sur le droit romain. La royauté voulut éviter
une crise majeure. Elle s'abstint d'appliquer la taille
(personnelle) à la noblesse, déjà sous-imposée au titre de la
capitation, elle accepta en 1711 que l'Église se rachète forfai-
tairement de la capitation et du dixième, elle n'alourdit ni le
« don gratuit » versé par le clergé, qui représentait à peine plus
de 3% de la fiscalité directe, ni les subsides votés par les pays
d'États, qui payaient seulement 7% de la masse des impôts
directs.
Pour imposer des réformes, il aurait fallu que le roi s'appuie
résolument sur le tiers état, qui avait toujours été l'allié
traditionnel de la monarchie, et en tire toutes les conséquences
politiques. Notamment en abolissant les privilèges nobiliaires et
féodaux, devenus insupportables à la bourgeoisie des villes et
aux habitants des campagnes. Le mécontentent du tiers n'était
pas dirigé contre le trône. En 1789 la personne et l'institution
royale étaient hors de conteste et nul n'imaginait que la France,
qui était une création de la royauté, pût cesser d'être monar-
chique. Le décret du 4 août 1789 portant abolition de tous les
privilèges proclamait le roi "restaurateur de la liberté française"
et déclarait que l'assemblée nationale constituante irait présenter
son décret à Sa Majesté, « lui porter hommage de sa plus
respectueuse reconnaissance, et la supplier de permettre que le
Te Deum soit chanté dans sa chapelle, et d'y assister elle-
même ».
Le mécontentent de la bourgeoisie portait sur le visage
nobiliaire et « aristocratique » de l'Ancien Régime, celui de la
paysannerie concernait son caractère « féodal ».
Mais le pouvoir royal, qui en se retranchant à Versailles s'était
coupé de la nation, est toujours demeuré matériellement et
moralement dépendant d'une noblesse, repliée en caste, qui a
maintenu le trône dans un environnement idéologique dépassé et
entravé tout changement institutionnel.
En 1787, le gouvernement concéda à la fronde nobiliaire, la
réunion d’États généraux en leur forme traditionnelle, garan-
tissant la prépondérance à la noblesse et au clergé.
Mais, dès l'été 1788, la fraction la plus radicale de la bourgeoisie
réclama des États d'un type nouveau, avec des effectifs doublés
pour le tiers, des délibérations en commun et le vote par tête. Le
25 septembre, le Parlement de Paris pouvait bien se prononcer
pour des États traditionnels « suivant la forme observée en
1614 ». L'évolution des esprits ne le permettait plus et
l'aristocratie qui avait déclenchée la révolution se vit débordée
par le parti « national ». Pour concilier des points de vues
obstinément divergents, le roi décida le doublement des effectifs
du tiers...tout en laissant aux États le soin de se prononcer eux-
mêmes sur le système de vote qui serait appliqué en leur sein
(27 décembre 1788). Il se contenta dans ses lettres de janvier
1789 de fixer les grandes lignes du déroulement des élections
aux États. Aucune controverse ne s'éleva à ce sujet et pour le
tiers le suffrage fut pratiquement universel. Il en résulta une
composition plus ouverte, marquée par la prédominance des
professions libérales, des commerçants et des artisans. Lorsque
l'assemblée s'ouvrit, le 5 mai, le fonctionnement de l'institution
n'était pas réglé et la révolution bourgeoise pouvait commencer.
Paragraphe 2 - La révolution bourgeoise (1789)

Dès la première séance, à Versailles, éclata la querelle des


ordres, dont l'enjeu était le système de vote et donc la maîtrise
politique de l'Assemblée. Le Tiers souhaitait le vote individuel.
Il comptait environ 600 députés sur 1200 et pouvait compter sur
l’appui de la majorité du bas-clergé et de celui de quelques
nobles libéraux. Les « aristocrates » de leur côté exigeaient
qu'on s'en tienne au vote traditionnel par ordre, mais leur base
numérique était restreinte.
Le conflit se résolut par une véritable révolution juridique, la
transformation unilatérale de l'assemblée du Tiers en assemblée
nationale.
Du 5 mai au 10 juin, alors que les ordres étaient invités à se
réunir dans des locaux particuliers pour vérifier les pouvoirs de
leurs élus, les représentants « des Communes » demeurèrent
dans la Salle des Menus Plaisirs, tout en s'abstenant de se
comporter en ordre distinct et en appelant les députés des autres
Ordres à venir siéger avec eux. Il s'agissait d'obtenir de ceux-ci
qu'ils rompent la distinction en Ordres, prélude à un vote par
tête.
Le 10 juin, le Tiers somma les « privilégiés » de se réunir avec
lui. Quelques représentants du bas-clergé le rejoignirent. Le 17,
le Tiers et cette poignée de transfuges se proclamèrent
Assemblée nationale, par 491 voix contre 90. C'était là une
rupture doublement décisive, dans la mesure où elle excluait les
opposants de la représentation et de la communauté nationales et
affirmait l'existence d'une nation, distincte du roi.
Le 20 juin, le roi répliqua en interdisant toute assemblée d'ordres
jusqu'à la séance royale. L'Assemblée nationale, trouvant porte
close, se réunit alors dans la célèbre salle du Jeu de Paume, où
ses membres jurèrent alors de ne point se séparer avant d'avoir
doté le royaume d'une constitution. Puis, installée dans l'Église
Saint-Louis, l'assemblée fut rejointe le 22 par 150 députés du
clergé.
Lors de la séance royale du 23, le roi accepta de faire un certain
nombre de concessions. Il reconnut aux États le droit de
consentir à l'impôt et se déclara en faveur d'une certaine liberté
individuelle, de la liberté de la presse et de l'égalité fiscale. Mais
il n'entendait pas revenir sur l'indivisibilité de la souveraineté
royale, sur la division en ordres, la « féodalité » et la dîme.
D'ailleurs, il ordonna aux députés récalcitrants de se séparer tout
de suite. Mais ceux-ci rejetèrent la sommation royale. Le 25, ils
furent rejoints par une cinquantaine de députés nobles.
Le 27, le roi renouvela ses exigences et des troupes
manœuvrèrent autour de Paris. Il est difficile de dire ce qui se
serait passé en cas d'intervention. Toujours est-il que l'armée
n'en reçut pas l'ordre, car Louis XVI répugnait à de telles
violences contre ceux qu'il appelait ses « enfants rebelles ».
Le 9 juillet, l'Assemblée nationale en tira parti pour se
proclamer Assemblée constituante.
Le 11 juillet, les Parisiens, craignant une entrée en force brutale
des troupes concentrées autour de Versailles et Paris, créèrent
une milice bourgeoise, la future « Garde Nationale ». Le 14, le
petit peuple de Paris, spontanément, se porta au secours des
députés qu'il croyait menacé. Des armes furent dérobées aux
Invalides, l'Arsenal fut investi, la Bastille prise. D'autant plus
aisément que son gouverneur en ouvrit les portes aux émeutiers.
En retour il fut massacré, comme le Prévôt des Marchands de
l'Hôtel de Ville, remplacé par un maire révolutionnaire.
Au lieu de répliquer, Louis XVI décida l'apaisement: le 15, il
accepta de se montrer en public, avec une cocarde tricolore : il
unit à la cocarde bleu et rouge (aux couleurs de Paris) -symbole
de la Garde Nationale- la sienne (qui était blanche). De sorte que
Louis XVI, est involontairement à l’origine des trois couleurs du
drapeau national. Désormais, l'Assemblée avait la voie libre
pour accomplir son œuvre normative, d'autant qu'en province
l'administration royale se décomposait et partout s'organisaient
des municipalités révolutionnaires et des milices armées.
Le 4 août, la révolte des campagnes, dirigée contre le régime
seigneurial, décida la Constituante à abolir les « droits féodaux »
et, dans la foulée, l'Assemblée abolit tous les privilèges sociaux
et territoriaux. Le décret définitif ne fut voté que le 10 août et
signé par le roi le 3 novembre. Il en résulta la fin de la noblesse
et du clergé, dont la disparition en tant que personne morale
entraîna la mise à la disposition de la Nation des biens d'Église.
Le 26 août, l'Assemblée adopta la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen, qui posa les principes du droit public
nouveau.
Dès septembre, elle entreprit l'élaboration de la nouvelle
constitution, qui fut entrecoupée par le vote de plusieurs grandes
lois, avant d'être adoptée deux ans plus tard, les 3-14 septembre
1791.

SECTION 2
L’HÉRITAGE POLITIQUE ET JURIDIQUE
DE LA RÉVOLUTION
L’héritage révolutionnaire n’est pas totalement homogène, car le
contexte de 1789 n’est pas celui du « dérapage » de 1793 et ce
dernier diffère de celui de la « normalisation » de 1795. Pour
bien faire, il faudrait affiner l’inventaire et rappeler d’abord le
fil des événements, ce qui n’est pas possible dans le cadre limité
de cet ouvrage. On ne bornera ici à une vision simplifiée : la
Révolution a introduit un nouvel ordre idéologique et, même si
le temps a manqué à l’œuvre et à l’ouvrier, elle a voulu
l’incarner en refondant non seulement le droit de l’Etat, mais
également le droit privé et le statut de l’Eglise.
Paragraphe 1 - Un nouvel ordre idéologique en surplomb

La Révolution a eu l’ambition de fonder un nouvel ordre


juridique, un ordre complet depuis la constitution jusqu’au droit
civil, un ordre offert en modèle aux autres nations. Jamais
depuis l’Empire romain et la prédication chrétienne ne s’est
affirmée semblable affirmation. Les grands principes du
nouveau droit public sont essentiellement contenus dans la
« Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » du 26 août
89 et le titre I° de la constitution du 3-14 septembre 91. Ils
supposent une refondation de l’Etat, acteur dont la centralité
n’est pas remise en question. Parmi les grands principes figure
d’abord la finalisation « lockienne » (du nom de John Locke) du
pouvoir politique voué à la « conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'homme ». Viennent ensuite l’unité et la
souveraineté nationale, la représentation, dont Siéyès avait
élaboré la théorie. Il y a désormais une Nation française au
singulier. Il en résulte que le pluralisme linguistique et juridique
de l’Ancien Régime est voué à disparaître : désormais la langue
doit être une, ainsi que le droit. De tels projets n’étaient pas
évidents : en ce qui concerne les données linguistiques, d’après
l’enquête de l’abbé Grégoire, seuls 15 des 85 départements
parlaient couramment le Français et il existait alors quelque 360
systèmes de droit privé différents. La Déclaration donne aussi sa
place à la séparation des pouvoirs, dont Montesquieu avait fait
un principe constitutionnel dont la nécessité transcende tout
esprit de faction. Enfin il faut citer les grands thèmes de la
philosophie des Lumières : l'idée rousseauiste que les hommes,
naturellement bons, naissent libres et égaux en droits, la liberté
individuelle, c'est à dire la sûreté, la liberté d'opinion « même
religieuse », la liberté d'écrire, de parler, d'imprimer et de
consentir à l'impôt. On sent percer derrière eux les
revendications plus concrètes de la bourgeoisie notamment avec
l'égalité dans l'accès à toutes dignités, places et emplois publics,
l'égalité fiscale et surtout le respect de la propriété « inviolable
et sacré ». La constitution de 1793 (dite de l’an I) afficha
formellement la souveraineté du peuple, le suffrage universel et
plus timidement le droit à l’assistance et à l’éducation (balayés
dès la constitution de 1795, dite de l’an III).
L’organisation économique n’a pas été jugée digne de figurer
dans les textes de rang supérieur, notamment constitutionnels,
mais la Révolution n’a pas omis de proclamer la liberté du
commerce et de l’industrie, la liberté du travail, avec le fameux
décret des 2-17 mars 1791, et elle a supprimé les corporations -
quitte à introduire de prudentes exceptions (pourles
apothicaires).
Relativement au droit privé, si le temps fera défaut aux
Constituants (et à leurs successeurs) pour réaliser leur promesse
de faire « un Code des lois civiles communes à tout le
royaume », un certain nombre de réformes capitales modifièrent
la législation privée de la France
Paragraphe 2 - Un nouveau droit privé résolument individualiste
et égalitaire

Le droit des personnes, jusqu’alors marqué par le christianisme,


le paternalisme et d’une certaine mesure les idées aristocratiques
(sur l’inégale condition des personnes et des biens), devint
résolument individualiste et égalitaire. En effet tous les Français
apparaissent désormais égaux devant la loi : les discriminations
héréditaires, les distinctions d'ordre, la noblesse, la pairie, la
chevalerie sont abolies. Tous les corps et communautés dotés de
la personnalité morale disparaissent du droit privé, comme les
communautés territoriales en droit public: les Ordres, les corps
et communautés professionnelles sont abolis, la famille elle
même perd sa personnalité juridique.
Le droit familial est en effet transformé dans le même sens. Le
mariage n'est plus qu'un contrat civil, aussi bien le divorce par
consentement mutuel s'introduit-il dans le droit (1792). Toute
puissance paternelle sur les enfants majeurs est abolie.
Le droit du patrimoine subit la même transformation. Le
nouveau régime de la propriété nous apparaît marqué par la
consécration de son caractère inviolable et sacré et par
l'abolition de ce qu'on appelait alors la « féodalité » (L. 11 août-
3 septembre 89). Le paradoxe est total, car les droits dits
« féodaux » constituaient bel et bien une propriété. Aussi bien,
le Législateur révolutionnaire a-t-il laborieusement cherché un
critère permettant de distinguer la « bonne » propriété de la
« mauvaise ».
Le régime successoral fut bouleversé par le principe d'égalité.
L'abolition des privilèges emportait en effet celle des privilèges
successoraux procédant de l'aînesse et de la masculinité: elle va
entraîner le morcellement croissant des grandes propriétés et
priver définitivement la noblesse de sa richesse foncière.
Le droit des obligations vit la consécration du consensualisme,
déjà en voie d'affirmation dans l'Ancien Droit, et de la liberté
contractuelle. Mais là encore le législateur révolutionnaire entra
en contradiction avec lui même, en proclamant d'une part cette
liberté contractuelle et en interdisant de l'autre les contrats
entraînant une servitude personnelle, au nom d’impératifs
politiques.
Au lendemain du coup d’État de Brumaire an VIII, ces réformes
-dont certaines pesaient problème (comme le divorce par
consentement mutuel)- étaient déjà disséminées dans une
multitude de textes. Le régime suivant, qui vit le jour avec
Napoléon Bonaparte (consul puis empereur) opéra une remise
en ordre remarquable et corrigea ce qui était perçu à l’époque
comme excessif. C’est aussi ce qu’il advint au plan religieux.

Paragraphe 3 – Le déclenchement d’un conflit religieux inutile


et générateur de troubles graves et durables

La révolution de 1789 n’était ni anticatholique ni antireligieuse.


Elle ne chercha pas à séparer l'Église catholique de l'État. Si
l'hostilité envers la puissance politique de l'Église était certaine,
l'athéisme, à cette époque, était une attitude philosophique très
isolée -même chez les Jacobins dont la majorité était composée
de déistes anticléricaux, comme Robespierre. La déclaration des
droits de 1789 a été prise sous les auspices de « l’Etre suprême »
et la représentation iconographique de l’œil dans le triangle
lumineux, qui est le symbole du « Grand architecte de
l’univers » s’y retrouve en bonne place, comme d’ailleurs sur les
déclarations de 1793 et encore de 1848. Après avoir ôté au
clergé ses privilèges et sa formidable puissance économique et
sociale, pour des raisons, parmi lesquelles la stratégie politique
n'était probablement pas exempte, la Constituante, récusant
toute impiété, s'affirma catholique et voulut maintenir l'Église
dans une situation privilégiée. Elle se refusa à proclamer la
liberté de conscience (comme l'aurait souhaité Mirabeau) et se
borna à admettre la tolérance de toutes les opinions « même
religieuses ». Elle hésita longuement avant d'étendre la
citoyenneté française aux non-catholiques : aux Protestants (24
décembre 1789) et surtout aux Juifs (27 septembre 1791). La
Marseillaise, composée en avril 1792 par C. Rouget de Lisle
comportait encore un couplet religieux, qui ne fut supprimé que
sous la Convention montagnarde : « Dieu de clémence et de
justice/ Vois nos tyrans, juge nos cœurs. /Que ta bonté nous soit
propice,/ Défends-nous de ces oppresseurs... /Tu règnes au ciel
et sur terre/ Et devant Toi tout doit fléchir,/ De ton bras, viens
nous soutenir. /Toi, grand Dieu, maître du tonnerre... »
La révolution commençante chercha plutôt à intégrer l'Église à
l'État en mettant son organisation interne au diapason du
nouveau droit profane. Ce faisant, elle s'ingéra dans le domaine
spirituel et suscita une opposition irréductible du clergé. La loi
des 12 juillet-24 août 1790 mit sur pied la Constitution civile du
Clergé, qui conférait aux ministres du culte catholique la qualité
de fonctionnaires publics. Or ces modalités étaient inacceptables
pour les catholiques. La loi prévoyait en effet que les clercs
seraient élus par le collège électoral de droit commun, c'est à
dire les citoyens actifs, protestants, juifs et athées inclusivement.
C'était déjà inacceptable pour les curés dans chaque district,
mais plus encore pour les évêques dans chaque département car
leur désignation sans l'intervention de Rome rendait l'Église
constitutionnelle schismatique. Par ailleurs la loi violait
unilatéralement le Concordat de 1516. Les Constituants
aggravèrent encore la situation le 27 novembre 1790 en exigeant
des clercs qu'ils prêtent un serment civique, c'est à dire qu'ils se
soumettent au Régime. Seule une minorité accepta. Le 10 mars
1791, le Pape Pie VI condamna la Constitution civile du Clergé
qui consomma le schisme entre le Clergé « jureur » et le clergé
« réfractaire » et déclencha les persécutions contre le second.
Mais, même à cette époque, les révolutionnaires les plus
radicaux souhaitaient d'autant moins séparer la religion de l'État
qu'ils suppléèrent à cette défaillance du catholicisme en tentant
de mettre sur pied une « religion civile » nouvelle, rationnelle, le
culte de l'Être Suprême, qui connut sa brève apogée à la fin de la
période de la Convention montagnarde (mai-juillet 1794), dans
le sillage ouvert par l'étonnante loi du 18 floréal an II (7 mai
1794), dont l'article 1° affirmait : « Le peuple français reconnaît
l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme ».
La séparation de l'Église et de l'État n'intervint qu'avec le décret
du 3 ventôse an III (21 février 1795), pour constater un échec
depuis longtemps consommé. C'était un texte de conjoncture et
certainement pas l'expression d'un courant profond de la pensée
révolutionnaire. D’ailleurs le concordat napoléonien (1801) y
mit un terme.

CHAPITRE 2
LE CONSULAT ET L’EMPIRE (1799-1815) :
UN NOUVEAU CORPUS JURIDIQUE

L'œuvre normative du Consulat, poursuivie sous l'Empire, fut


considérable. Avec un Etat fort, elle jeta « les masses de granit »
sur lesquelles reposa le droit français pendant plusieurs
générations, au plan des institutions privées, pénales et
administratives.

SECTION 1 - L’APPORT DU NOUVEAU RÉGIME À


L’ORDRE JURIDIQUE PRIVÉ ET PÉNAL : LES CINQ
CODES NAPOLÉONIENS
Dans l’ordre juridique privé et pénal, cinq codes furent
promulgués en cinq ans.
La réussite la plus évidente fut assurément le nouveau Code
civil, véritable « constitution civile de la France ».

§ 1. L’œuvre centrale : le code civil de 1804

La rédaction fut confiée à une commission composée de quatre


magistrats deux méridionaux (le Périgourdin Malleville et
l’Aixois Portalis) et deux septentrionaux (le Parisien Tronchet et
le Breton Bigot de Préameneu). Quatre mois après, le texte
passa au Conseil d'État qui, sous la présidence soit de
Cambacérès, soit de Bonaparte, en répartit les 2281 articles en
36 projets de lois. L’ensemble aboutit à la loi du 30 ventôse an
XII (21 mars 1804) qui groupa tous ces textes dans un Corps
unique, le « Code Civil des Français » et abrogea le droit
antérieur à 1803, notamment les lois romaines, les ordonnances,
les coutumes générales ou locales.
Les caractères essentiels de la codification consulaire sont au
nombre de trois. C’est une œuvre d’héritiers, un travail de
compromis et enfin une réalisation foncièrement individualiste
et libérale.
C'est d’abord un aboutissement. Le monument comporte fort
peu d’idées nouvelles. C’est un ouvrage « de disciples et non de
prophètes ». En effet, on pourrait redire du Code civil ce qu’on a
déjà écrit de Pothier : à défaut d'être originale, son oeuvre est à
la fois vaste et claire. Les Quatre ont puisé dans les règles et les
idées de ses prédécesseurs. Leur composition est redevable à la
doctrine française d’Ancien Régime, notamment à Pothier et,
dans une moindre mesure, à Domat. Du code, on ne dira pas
qu’il ne doit rien à la doctrine européenne, car l’influence du
Hollandais Grotius, des Allemands Pufendorf et Wolff, du
Suisse Barbeyrac, c'est-à-dire de la célèbre Ecole du droit
naturel est incontestable : elle est même évidente si l’on
considère la notion centrale de droit de l’homme apprécié
subjectivement, le triomphe du consensualisme dans le transfert
de la propriété et l’avènement d’un principe général de
responsabilité pour les dommages causés à autrui. Mais cette
influence est surtout diffuse et n’est pas nécessairement directe.
C’est ensuite une œuvre de compromis, de transaction, élaborée
par des magistrats réalistes et modérés. Elle évite les outrances
idéologiques du droit révolutionnaire et emprunte largement à
l'ancien droit chaque fois que celui-ci se révélait compatible
avec les principes de liberté et d'égalité juridique posés par la
Révolution. Par ailleurs, au sein de ce dernier, elle s'efforce de
maintenir un certain équilibre entre les solutions du droit
coutumier et du droit écrit. Le cas le plus typique est celui des
régimes matrimoniaux qui légalise à la fois le régime coutumier
de la communauté entre époux et le régime dotal de droit
romain. Globalement, le droit coutumier en général, la Coutume
de Paris de 1580 en particulier, a fourni la plupart des
dispositions sur la puissance maritale et paternelle, l'incapacité
de la femme mariée, nombre de règles successorales, mais aussi
les dispositions relatives aux servitudes. Le droit romain a
surtout inspiré le droit de la propriété et celui des obligations,
lequel avait déjà été très largement reçue en pays de coutumes.
En dépit de sa misogynie et des conceptions encore teintées
d’un paternalisme certain dans l’ordre familial, le Code civil est
enfin une œuvre individualiste et libérale, comme en témoigne
son contenu.
Le contenu de la codification consulaire ne saurait faire l'objet
ici que d'un bref tableau.
Le droit des personnes (art. 7 à 715) est assez fortement
individualiste. Il s'agit là d'un trait qui, non seulement a
parfaitement survécu dans notre droit positif, mais s'est encore
accru depuis 1804. Du chef de la personne, les principes de
liberté et d'égalité civiles proclamés par la révolution, sont
consacrés, même si l'esclavage, rétabli dans les colonies en mai
1802, dut attendre 1848 pour disparaître entièrement. De même,
l'état civil est sécularisé, comme dans le droit intermédiaire,
malgré le Concordat de 1801.
Du chef de la famille, si la personnalité juridique de celle-ci
n'est pas rétablie, le Code s'en préoccupe, notamment en
protégeant les droits familiaux dans le cadre de la dot et des
successions ab intestat (=successions en l’absence de
testament), puisque l'ordre des successibles est déterminé par la
parenté par le sang, reléguant le conjoint survivant après les
collatéraux ordinaires. Le Code redonne beaucoup plus
d'importance au mariage que le droit révolutionnaire. S'il
maintient le divorce pour faute, il supprime ainsi la clause dite
d' « incompatibilité d'humeur » et par là même le divorce par
consentement mutuel. Les justes noces sont -avec la filiation
légitime- à peu près la seule source des relations familiales.
Toute recherche en justice de la paternité naturelle est interdite,
car comme le disait crûment le Premier Consul « la société n'a
aucun intérêt à ce que les bâtards soient reconnus ».
Au sein de la famille, l’individualisme doit composer en effet
avec d’autres influences plus anciennes : empreint d’un état
d’esprit paternaliste, le Code consacre la supériorité du mari sur
sa femme et du père sur ses enfants.
L’épouse, soumise à la puissance maritale, doit obéissance à son
conjoint et est proclamée incapable de faire aucun acte juridique
sans son autorisation. Dans le régime matrimonial de droit
commun, la communauté, c'est à dire les meubles et les acquêts,
est gérée par l'époux, qui en dispose seul, à son gré. Il
administre même les biens propres de sa femme, quoiqu'en ce
cas, il soit responsable et ses pouvoirs plus limités. Dans les
autres régimes, que les biens communs soient plus étendus
(communauté universelle) ou plus réduits (communauté réduite
aux acquêts), le pouvoir du mari sur ceux-ci demeure identiques
et si la femme peut éventuellement administrer ses biens
(régime de séparation), elle ne peut pas aliéner un de ses
immeubles sans l'autorisation de son mari et, même avec celle-
ci, elle ne peut pas disposer d'un immeuble dotal.
Le Code consacre également la puissance paternelle du père sur
ses enfants, « nécessaire à la conservation des mœurs et au
maintien de la tranquillité publique ». Elle englobe les droits de
garde, de correction sur la personne des enfants et ceux
d'administration et de jouissance légales sur leurs biens, sans
aucun contrôle. Elle prend cependant fin à l'âge de leur majorité,
fixée à 21 ans, quoique le consentement des parents soit requis
pour le mariage des filles jusqu'à l'âge de 25 ans.
Le droit des biens et des obligations (art. 516 à 2281) est encore
plus nettement individualiste.
Le Code consacre le droit de propriété privé individuel, défini
comme un droit absolu (art. 544). Il ignore la propriété privée
collective et ne la réglemente même pas.
Enfin il consacre l'autonomie de la volonté et la liberté
contractuelle, qui étaient dans l’air du temps.
Ce Code fit en son temps l'objet d'un véritable culte. « Ma vraie
gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles, dira Napoléon,
Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires; ce que rien
n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil ».
Pour la première fois de son histoire, la France était soumise à
un droit privé uniforme et spécifique. Un droit privé, mis dans
une forme remarquablement claire. Un professeur de droit de
l’époque s'exclamait d’ailleurs : « Je ne connais pas le droit
civil, je n'enseigne que le Code civil ». Environ une centaine
d’ouvrages furent publiés pour le commenter. Cet enthousiasme
a même dépassé les frontières du droit, puisque l'œuvre a attiré
l'attention des théologiens et des gens de lettres. Stendhal aurait
écrit à Balzac qu’il en lisait quelques articles tous les jours pour
s'imprégner du style lapidaire de ses rédacteurs. Le Mercure de
France a célébré sa promulgation par des odes, tant il est vrai,
qu'entre ode et code, comme le rappelait Balzac, « il n'y a qu'un
C de différence ». Le Code Napoléon, comme on l’a appelé
jusqu’en 1815, a été traduit en latin (1806) réaménagé sous
forme de « catéchisme » et trois auteurs au moins l’ont mis en
vers.

§ 2. Les autres réalisations : les codes de


procédure civile (1806), de commerce (1807),
d'instruction criminelle (1808) et le code pénal
(1810)

- Le code de procédure civile de 1806 - Ses 1042 articles très


largement redevables à l'ordonnance sur la justice de 1667
retracent la procédure suivie devant les tribunaux judiciaires. Il
resté plus d'un siècle sans être retouché, avant de subir plusieurs
modifications et surtout des rajouts importants au XX° siècle
jusqu’à son abrogation en 2007.

- Le code de commerce de 1807 - La codification continua avec


le code de commerce de 1807 dont les 648 articles doivent
beaucoup à l'ordonnance du commerce de 1673. L'œuvre est
celle qui a été le plus critiquée pour ses lacunes et ses
insuffisances. En effet, elle ne s’attarde guère sur les sociétés
commerciales et -tributaire d’une ordonnance vieillie en
décalage avec les nouvelles réalités économiques- elle est
silencieuse sur les contrats commerciaux, le fonds de commerce,
les banques, le crédit, les assurances terrestres et les brevets
d'invention. A rebours des tendances libérales, ce code, marqué
par l’étatisme de colbertisme, exprime de la méfiance à l’égard
des commerçants, comme en témoigne la rigueur qui leur est
imposé dans la tenue de leurs livres, les longs développements
sur les juridictions consulaires et surtout les sanctions pénales
qui accompagnent la faillite. Cette suspicion atteint son
paroxysme avec les sociétés anonymes dont la création est
soumise à une autorisation gouvernementale préalable.
- Les codes d'instruction criminelle en 1808 et de droit pénal en
1810 - Après une tentative de code commun , l'œuvre
napoléonienne s'acheva avec deux codes spécialisés, pour
l'instruction criminelle en 1808 et le droit pénal en 1810.
Les 643 articles du Code d'instruction criminelle s'inspirent
fortement de l'Ordonnance criminelle de 1670, notamment pour
tout ce qui relève de l'instruction préparatoire, qui renoue avec
la règle du secret en usage dans l'Ancienne Procédure pénale. En
revanche, la procédure devant les juridictions de jugement est
surtout inspirée par le droit intermédiaire, quoique le Code
supprime le jury d'accusation imposé par la Révolution.
Le Code pénal de 1810 est une œuvre de 484 articles dont la
construction est originale, bien qu'historiquement datée en
raison de son parti-pris répressif. Cette observation n’empêche
pas qu’au plan de la technique juridique, l’ouvrage a été
davantage inspiré par son devancier de 1791 que par l'Ancien
Droit criminel : comme lui, il établit un droit légaliste et
égalitaire, fondé sur la responsabilité morale du délinquant. Il ne
fait pas renaître des infractions abolies par la Révolution,
comme le blasphème ou le sacrilège, mais reprend nombre
d'incriminations introduites pour la première fois par le droit
criminel de la révolution, par exemple les prohibitions pénales
nées de la loi Le Chapelier sanctionnant « toute coalition de la
part des ouvriers pour faire cesser en même temps de
travailler ». Les principales différences avec le Code de 1791
tiennent à l'établissement de limites minima et maxima pour les
peines, et surtout à une répressivité accrue qui s'explique par les
troubles sociaux de l'époque : la peine de mort était
fréquemment prévue et les autres peines criminelles (travaux
forcés, réclusion à perpétuité ou à temps) se caractérisaient par
une grande rigueur s'accompagnant parfois de manifestations
infamantes plus ou moins douloureuses (marque au fer rouge,
carcan...).
Malgré la rédaction successive de deux projets (1807 et 1814),
la codification du droit rural n'aboutit pas.
Quant à la sanction du droit, le nouveau régime régla la
question de l'organisation juridictionnelle. C’est la constitution
de l'an VIII qui créa véritablement la fonction publique
judiciaire en substituant aux juges élus des juges professionnels
nommés par l'exécutif et inamovibles.
Ses dispositions furent complétées par la loi du 27 ventôse an
VIII (18 mars 1800) sur l'organisation des tribunaux et le
recrutement des magistrats, légèrement transformée en l'an X.
Au plan de l'organisation juridictionnelle, la loi apporta un
certain nombre de précisions.
Au civil, elle doubla les justices de paix (dans chaque canton) et
les tribunaux d'instance (dans chaque arrondissement) par 29
tribunaux d'appel.
Au pénal, la justice de paix devint un tribunal de simple police,
les tribunaux d'instance et d'appel reçurent une compétence
correctionnelle et un tribunal criminel fut installé dans chaque
département.
Au sommet, elle maintint le Tribunal de Cassation, constitué
en 1790.
Au plan du recrutement des magistrats, le système définitif fut
arrêté avec la constitution de l'an X. Tous les juges furent
nommés par le Premier Consul, depuis le juge de paix du
canton, jusqu'aux juges de cassation, de manière indirecte.

SECTION 2 - L’APPORT DURABLE DU SYSTÈME


NAPOLÉONIEN À L’ORDRE ADMINISTRATIF
Paragraphe 1 - La « constitution administrative française »

Au niveau administratif ; l’apport capital fut la fameuse loi du


28 pluviôse an VIII (17 février 1800) qui mit sur pied ce qu'on a
appelé la « constitution administrative française ». Les dépar-
tements (dépourvus de la personnalité juridique jusqu’en 1838),
furent administrés par un Préfet (jusqu’en 1983) et une
assemblée, le Conseil général.
Les départements furent divisés en quatre ou cinq
arrondissements et un sous-préfet (nommé au niveau central) fut
institué dans chacun de ceux-ci.
Les communes (également dépourvue de personnalité morale,
jusqu’en 1834) furent administrées par un Maire et une
assemblée, le Conseil municipal. Tous ces agents furent nom-
més par le Préfet sur les listes communales, à l'exception des
maires des villes de plus de 5000 habitants dont la nomination
relevait exclusivement du Premier Consul. A partir de la
constitution de l'an X, le choix se fit sur les listes de candidats
présentés par les assemblées de canton et comptant parmi les
100 contribuables les plus imposés du canton.
Le Consulat procéda également à une refonte durable des
services publics.
Paragraphe 2 - La refonte des grands services publics et la
refondation du statut de la religion

Le nouveau régime ne modifia pas les impôts en vigueur, mais


les lois du 3 frimaire an VIII (24 novembre 1799) et du 27
ventôse an VIII (18 mars 1800) sur l'administration financière et
celle du 16 nivôse an VIII (6 janvier 1800) sur la Banque de
France réorganisèrent ce secteur.
La loi du 1° mai 1802 sur l'enseignement secondaire, qui créa
les lycées, et celle du 10 mai 1806, qui mit en place le monopole
des universités impériales, réaménagèrent le système éducatif.
La constitution de l'an VIII consacra enfin une règle majeure de
droit administratif, la garantie des fonctionnaires: « les agents du
gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être pour-
suivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une
décision du Conseil d'État; en ce cas, la poursuite a lieu devant
les tribunaux ordinaires ».

La séparation de l’Eglise et de l’Etat opérée sous le Directoire


était comme un divorce rendu nécessaire par le désaccord des
deux parties en présence. Mais elle privait la première des
moyens matériels de fonctionner et le second de la possibilité de
la soumettre à un contrôle. Assez vite le Consulat y revint en
trouvant avec le Saint-Siège un compromis durable : le
concordat du 15 juillet 1801, qui reprenait en partie le concordat
de Bologne de 1516. L’Etat reconnaît l’Eglise et rémunère ses
ministres du culte. Rompant avec l'esprit du concordat
monarchique, le nouveau régime étendit une partie de ses
dispositions au Protestantisme et, dans une moindre mesure, au
Judaïsme. Si la liberté religieuse était réalisée au profit des
« cultes reconnus » et si l'égalité entre ceux-ci avait
considérablement progressé, de laïcité il n'était pas question.
Aussi bien l’Empire légua-t-il à la postérité un héritage en demi-
teinte sur ce point.

SECTION 3 - UN BILAN EN DEMI-TEINTE


La Révolution et l’Empire ont eu rétrospectivement des résultats
vivement contrastés. Indéniablement fécondes au plan civil,
pénal et administratif, ces années frappent par une remarquable
carence : elles ne sont pas parvenues à doter le pays d’une
constitution stable. Et en 1814 et en 1827, la couronne de France
échut à Louis et à Charles, les deux frères puînés de Louis XVI,
qui maintinrent, à très peu de choses près, l’ossature civile,
pénale et administrative qu’ils avaient trouvé. La France a donc
mis un quart de siècle de fer, de feu et de sang pour déboucher
… sur une monarchie constitutionnelle, peu différente de celles
qui existaient alors en Europe dans les années 1815. Plutôt
moins libérale que la monarchie anglaise, par exemple. C’était
évidemment un aboutissement contestable, eu égard aux
espérances (mais aussi aux illusions) inspirées par la Révo-
lution. Il en a résulté de nouveaux soubresauts révolutionnaires
(1830 et 1848), le retour éphémère de la République (1848-51)
…et même celui de l’Empire napoléonien (1852-70).
Cet échec n’a pas pour autant entamé le prestige que la France a
tiré de la diffusion européenne et même mondiale des principes
de 89 et du remarquable code de 1804, qui nous ramène au cœur
de notre sujet. Pour s’en tenir au droit, qui est au centre de notre
propos, il est significatif de noter que le code civil français a
bien failli devenir le droit commun de l'Europe. Il fut introduit
dans un grand nombre de pays à l'occasion des conquêtes
napoléoniennes. C'est ainsi que le royaume d'Italie reçut en 1806
son Code Napoléon (le Codice di Napoleone il Grande per il
regno d'Italia) et que le royaume de Hollande se dota du sien en
1811 (le Wetboek Napoleon ingerigt voor het Koningrijk
Holland) pour s'en tenir à deux exemples parmi d'autres. Mais il
ne faut pas y voir le résultat de la seule violence, car, dans
plusieurs pays, le code continua à s’appliquer après la défaite
française de 1815 : en Hollande (d'une large mesure jusqu'en
1829), dans certains États italiens notamment l'ancien duché de
Lucques (jusqu'en 1865), dans tout l'ouest de l'Allemagne
(jusqu'en 1900), en Suisse romande (jusqu’en 1907), en Pologne
(depuis 1808 jusqu'à l'entre-deux guerres mondiales dans
certaines parties du pays). Son prestige a été considérable
pendant tout le XIX° siècle, voire au-delà. D’ailleurs, en
Belgique et au Luxembourg, le texte est toujours formellement
en vigueur. Mais qu’il y a-t-il derrière la « gloire nationale » ? Si
l’on écarte celle-ci, force est de constater que la codification
napoléonienne a été foncièrement ambivalente.

La remarque faite pour le droit pourrait être formulée de façon


très générale. En effet, si l’on ôte l’épopée, à laquelle bien des
cœurs français restent indéfectiblement attachés, on peut
considérer qu'au regard de leurs conséquences, ces années de
fer, de feu et de sang ont été très coûteuses pour le pays.
D’abord au plan démographique. La saignée qu'ont entraîné (par
ordre croissant) la Terreur, la répression de la Vendée et la
guerre européenne déclarée en 1792 et perdue à deux reprises,
en 1814 et en 1815, ont brisé l'expansion démographique de la
France à une époque où la croissance des autres peuples
européens commençait à s'accentuer. A partir de 1840 et pour un
siècle la population française resta stationnaire alors que ses
voisins voyaient doubler la leur. Aussi bien le part des Français
dans la population européenne n'a-t-elle pas cessé de décroître.
La France comptait 20% de la population européenne en 1650,
18% en 1750, 15,7% en 1800, 13,3% en 1850 Il n'est pas de
cause plus importante au déclin de sa puissance aux XIX° et
XX° siècles.
Les effets de ce quart de siècle d’expérimentations n’ont pas été
moins désastreux au niveau économique. En 1815, la France est
sortie vaincue et ruinée du conflit, l'Angleterre étant désormais
et de loin la première place économique du monde : le volume
de son commerce la hissait au premier rang mondial, alors que
la France était encore à parité avec elle en 1787. D'où ce
paradoxe qu'avait relevé Tocqueville en 1859 : l'économie
française d'Ancien Régime « malgré l'inégalité des charges, la
diversité des coutumes, les douanes intérieures, les droits
féodaux, les jurandes, les offices » se développait plus rapi-
dement « qu'à aucune des époques qui ont suivi la révolution ».
Le bilan n’est pas aussi différent qu’on pourrait l’imaginer au
plan du droit et des libertés.
L'esprit du XVIII° siècle avait voulu secouer tous les jougs,
toutes les contraintes que le XVII° voulait « porter avec
honneur », pour reprendre les mots de Bossuet. Or, la révolution
n'a pas affaibli la plus forte des contraintes, celles de l'État.
Abstraitement, elle n'a fait que changer le titulaire de la
souveraineté, concrètement elle l'a renforcée.
Mirabeau, le premier, avait perçu cette réalité. Il avait ainsi
indiqué au roi qu' « une partie des actes de l'Assemblée
Nationale (...) est évidemment favorable au gouvernement
monarchique. N'est-ce donc rien que d'être sans parlement, sans
pays d'État, sans corps de clergé, de privilégiés, de noblesse?
L'idée de ne former qu'une seule classe de citoyens aurait plu à
Richelieu: cette surface égale facilite l'exercice du pouvoir.
Plusieurs règnes d'un gouvernement absolu n'auraient pas fait
autant que cette seule année de révolution pour l'autorité
royale ».
A sa suite, Tocqueville avait relevé que les convulsions
révolutionnaires avaient permis l'émergence « d'un pouvoir
central immense qui a attiré et englouti dans son unité toutes les
parcelles d'autorité et d'influence qui étaient auparavant
dispersées dans une foule de pouvoirs secondaires, d'ordres, de
classes, de professions, de familles et d'individus (...) La
Révolution a créé cette puissance nouvelle, ou plutôt celle-ci est
sortie d'elle-même des ruines que la Révolution a faites ». En
d'autres termes la révolution française a abouti « à accroître la
puissance et les droits de l'autorité publique ».
Elle avait voulu établir un régime fondé sur les « droits naturels
et imprescriptibles de l'homme » et une société reposant sur
l'égalité. Or toutes les constitutions qu'elle a promulgué ont été
éphémères: ni la monarchie constitutionnelle, ni la république,
ni la dictature populaire n'ont fondé un gouvernement stable. A
chaque nouvel échec, ce fut à nouveau le vide « l'espace vide de
droit » qui s'était ouvert dans les institutions françaises le 17 juin
1789, à la suite du coup de force des élus du Tiers État.
Aucun des régimes qui se sont succédés de 1791 à 1815 n'a
établi la liberté et l'égalité politiques.
Certes, la révolution les a inscrites dans le droit civil, elle a aboli
les privilèges, elle a précipité la chute de l'aristocratie en la
privant d'une grande partie de sa base économique foncière.
Mais sa portée sociale n'a pas été d'établir l'égalité: elle a
transféré les terres confisquées dans d'autres mains et de
nouvelles hiérarchies sociales sont apparues.
En premier la révolution a été essentiellement « une translation
de propriété » (H. Taine). Avec elle, 15 à 20% du sol français
est passé entre les mains de nouveaux acquéreurs, des paysans et
des bourgeois.
En second lieu, la disparition de la noblesse et de la « féodalité »
n'a pas permis de déboucher sur une société d'égalité car, une
nouvelle hiérarchie sociale, fondée sur l'argent, s’est substituée
aux différenciations reposant sur la fonction sociale.
L’avènement d’une société démocratique est beaucoup plus le
fruit du libéralisme, de l’individualisme et de l’essor capitaliste
que celui de la Révolution, comme le montre l’exemple du
Royaume-Uni et des pays scandinaves.
C'est en ce sens que la Révolution a été inutile et coûteuse. Au
soir de sa vie, alors qu'on lui demandait pourquoi il ne rédigeait
pas ses Mémoires, Sieyès répondit que « nos avertissements
seraient inutiles pour mettre en garde contre nos fautes les
hommes qui, venus après nous, n'acquerront notre sagesse qu'au
prix des mêmes malheurs ».
Si l’on en revient aux codes napoléoniens, ils ont donné un écho
considérable a un système de droit qui avait une certaine
supériorité en son temps, ce qui explique la précellence du
modèle juridique français au XIX° siècle

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