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La Restauration, un retour à l’Ancien Régime ?

19/09/2023

Pacôme PERROUILLET
Le terme Restauration est emprunté au bas latin restauratio, qui signifie « renouvellement ». En
ancien français, il a donné restaureson, « rétablissement de la santé, guérison ». Les médecins
emploient le terme « restauration » dès le début du XIVème siècle pour désigner le retour de
l'organisme à l'état précédant une maladie. Dans cette dernière acception, la Restauration française
s’apparenterait à un régime visant à guérir un corps malade gangréné par la révolution. Par ailleurs, le
mot a le même radical que le verbe « restaurer » qui désigne l’action de remettre une chose en l’état,
et spécialement le rétablissement d’un édifice ancien. En définitive, quelle que soit sa sémantique, le
vocable possède une connotation positive : quand on guérit d’une maladie ou quand on rénove un
bâtiment en ruine, on passe du mal au bien, du moins bon au mieux. Le mot s’est spécialisé un peu
plus tard en politique pour parler d’un retour d'un souverain d'une dynastie écartée en 1677, avec la
dynastie des Stuart en Angleterre. Le terme prendra ensuite une majuscule pour évoquer la période
française de 1814-1830 marquée par le retour de la dynastie Bourbon et de la monarchie
constitutionnelle comme régime politique français. En effet, suite à l’abdication de Napoléon 1 er le 6
avril 1814, la monarchie est rétablie une première fois (première restauration) puis interrompue par
la période des « cents jours » où Napoléon reprend le pouvoir. Après la défaite de Waterloo le 18 juin
1815, la monarchie est de nouveau établie : c’est la deuxième Restauration. Finalement, la
Restauration française prend fin les 27, 28 et 29 juillet avec les trois Glorieuses. Elle aura vu se
succéder au pouvoir deux Bourbons, Louis XVIII et Charles X.

L’Ancien Régime est une période qui s’ouvre au XVIème siècle et se poursuit jusqu’à la Révolution
française ; elle peut se caractériser par trois points essentiels :

- un roi dit absolu qui détient et exerce tous les pouvoirs ;

- une religion (le catholicisme, religion du royaume) étroitement liée à l’Etat ;

- une société inégalitaire, la « société d’ordres », organisée de manière tripartite où la noblesse et le


clergé possèdent des privilèges fiscaux (pas d’impôts) et judiciaires ( des tribunaux spéciaux leurs
étaient réservés).

Dès lors, une question se pose : « La Restauration française renoue-t-elle avec les principes contre-
révolutionnaires de l’Ancien Régime ? ». Pour répondre au sujet, nous nous intéresserons dans un
premier temps au domaine politique, puis, au domaine religieux.

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I. Une restauration politique
A. Le retour du roi et de la monarchie
Dès son arrivée au pouvoir fin avril, le comte de Provence prend le nom de Louis XVIII, s’inscrivant
ainsi dans la continuité du règne de son frère.
Quand le Sénat lui propose une constitution reposant sur la souveraineté nationale le même mois, il
refuse : le projet lui semble trop proche de la constitution de 1791 et ne consacre pas assez la
puissance du roi. Ainsi, dans sa déclaration de Saint-Ouen, promulguée le 2 mai 1814, Louis XVIII
déclare son rejet de la constitution proposée par le Sénat et demande la création d’une « Charte » qui
garde néanmoins les bases de celle-ci. Cette Charte qualifiée de constitutionnelle est « octroyée » par
Louis XVIII le 4 juin 1814.
Elle instaure ce que l’on appelle une « monarchie limitée » : en effet, il n’y a pas réellement de
séparation des pouvoirs et comme pendant l’Ancien Régime, le roi est tout puissant :

 Seul le roi possède le pouvoir exécutif et dispose de nombreux autres privilèges : il déclare la
guerre, est le chef des armées, rédige les traités de paix, d’alliance et de commerce. L’article
14 lui donne le droit de légiférer grâce à des ordonnances pour « l’exécution des lois et la
sûreté de l’État ». Charles X utilisera très largement ce droit à la fin de la Restauration
notamment avec ses « 4 ordonnances. »
 Le roi possède aussi quasiment la totalité du pouvoir législatif puisqu’il peut être le seul à
l’initiative des lois et peut seul, les promulguer. Les deux chambres, chambres des pairs
(nommés par le roi) et des députés (élus par le peuple) possèdent une petite partie du
pouvoir législatif puisque le seul pouvoir autonome des chambres est le vote de l’impôt.
Le roi s’adresse aux chambres pour leur communiquer la politique qu’il compte suivre et à l’issue de
ces discours, elles peuvent approuver ou non cette politique. Si un ministre déplaît au souverain, il
peut le révoquer.
Le pouvoir judiciaire est confié à des juges qui sont nommés par le roi et qui peuvent aussi être
révoqués par ce dernier. Le pouvoir judiciaire est donc peu indépendant.

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B. La Charte constitutionnelle : un texte gardien des principes révolutionnaires mais qui
présente des limites

Le terme de « Charte » remonte au Moyen-Âge : il désignait un texte juridique par lequel le suzerain
attribuait des droits et des privilèges au peuple. Il a donc été préféré au mot « Constitution » car ce
dernier rappelait un passé révolutionnaire que Louis XVIII souhaitait oublier, comme un mauvais
rêve : en témoigne la formulation « renouer avec les chaînes du temps » présente dans le préambule
de la Charte. On a donc cette idée de continuité avec l’Ancien Régime. Cependant, la Charte doit être
vue comme un texte du compromis inviolable, au sommet de la hiérarchie, même au-dessus du roi,
conciliant monarchie constitutionnelle et acquis de la Révolution :
 en effet, la Charte perpétue les grands principes de liberté et d’égalité contenus dans la DDHC
comme l’égalité devant la loi, devant l’accès à l’emploi et l’impôt.
Elle confirme les libertés individuelles :
 liberté de la presse, liberté d’expression, liberté religieuse, droit de propriété
Et enfin, elle supprime la conscription (service militaire obligatoire).
Limites de la Charte :
Le droit de la participation politique est mis de côté : la Charte rétablit un suffrage censitaire
masculin. Ainsi, les plus pauvres sont exclus du vote qui est réservé à une élite riche de la population
française : 1 % de la population française peut voter au début de la Restauration. En privant les plus
pauvres de toute expression politique, on évite toute tentation républicaine car les plus riches sont le
plus souvent conservateurs. Cette discrimination est renforcée ensuite le 29 juin 1820 avec la loi du
« double vote » qui permet aux plus riches de voter deux fois.
Même si on ne peut pas à proprement parler de privilèges, il n’en demeure pas moins que cette loi
avantage clairement les plus riches.
Par ailleurs, à partir de 1824, Charles X, accompagné d’une chambre de plus en plus conservatrice,
revient sur les libertés garanties par la Charte en promulguant par exemple des lois répressives sur les
libertés individuelles : il supprime la liberté de la presse, tente de rétablir le droit d’aînesse. Ainsi, à la
fin de la Restauration, la Charte étant de plus en plus bafouée par Charles X, les acquis de la
révolution tendent à disparaître.
2. Une restauration religieuse
A) Une nouvelle liberté de culte…
L’article 5, lequel mentionne que « chacun professe sa religion avec une égale liberté », consacre la
liberté religieuse et le pluralisme religieux. De ce fait, les conversions sont parfaitement légales
puisqu’elles relèvent de la sphère des droits individuels et il est possible d’exercer la religion de son
choix sans être persécuté comme c’était le cas sous l’Ancien Régime où juifs et protestants n’avaient

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pas les mêmes droits que les catholiques. Le phénomène de conversion reste cependant marginal :
quelques centaines de personnes pour l’ensemble de la Restauration et sur la totalité du territoire
hexagonal. Par ailleurs, pendant la Restauration, la souveraineté n’est pas légitimée par la religion
comme c’était le cas dans l’Ancien Régime. Le pouvoir n’est plus présenté comme d’origine divine.
L’État s’est fortement laïcisé par rapport à l’Ancien Régime et n’a désormais plus de compte à rendre à
l’église dans le domaine politique : par exemple, la Charte stipule que les ministres des différents cultes
chrétiens sont salariés par l’État et pas par l’église comme c’était le cas pendant l’Ancien Régime.

B) ... contredite par une religion d’État imposée


Néanmoins, pendant la Restauration, la laïcité n’est pas totalement assurée. L’adverbe « cependant »
qui débute l’article 6 l’annonce et contraste un peu avec l’idée de liberté religieuse promise dans
l’article 5 : « Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État. » Au
début de la Restauration, le christianisme est revalorisé par de nombreux auteurs comme Félicité de
Lamennais, un prêtre breton opposé au pluralisme religieux. Le recrutement des prêtres bénéficie des
mesures favorables du régime (qui peuvent faire penser aux privilèges accordés au clergé sous l’Ancien
Régime) qui encourage le développement de séminaires, augmente le salaires des prêtres,
développent les paroisses.
La période de Restauration de Charles X est marquée par le retour de la religion : le sacre de Charles X
le 25 avril 1825 dans la cathédrale de Reims renoue avec une tradition propre à l’Ancien Régime. Le
catholicisme reprend sa place dans l’éducation : dans le primaire, une ordonnance de Charles X, le 8
avril 1824, donne aux évêques la direction et la surveillance des écoles du royaume. Enfin, la loi sur le
sacrilège, proposée par Charles X, et votée le 25 avril 1825 qui punissait tout personne ayant commis
un acte qui manquait de respect à la religion réinscrit le catholicisme dans le domaine politique.

En conclusion, on ne doit pas voir la Restauration comme un retour en arrière mais plutôt comme un
régime caractérisé par son hybridité et une volonté constante de compromis entre acquis de la
Révolution conservés par la Charte d’une part et principes monarchiques d’autre part, héritages de la
société d’Ancien Régime puisque le roi possède tous les pouvoirs. De plus, cette période constitue les
prémices du régime parlementaire en France. D’un point de vue religieux, l’idée d’une liberté de culte
apparaît sous la Restauration. Cependant, même si l’État s’est nettement laïcisé par rapport à l’Ancien
Régime, il n’en demeure pas moins que le catholicisme continue d’entretenir des liens étroits avec
celui-ci.

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Bibliographie1

Boudon, J. (2007). Chapitre 4 - La restauration d’une monarchie catholique. Religion et politique en


France depuis 1789 (pp. 41-52). Paris : Armand Colin.

De Waresquiel, E. (2020). Penser la Restauration : 1814-1830. Tallandier.

Dompnier, B. (2014). Chapitre 13 - Les pratiques religieuses d’Ancien Régime. Histoire du


christianisme en France (pp. 213-226). Paris : Armand Colin.

Le Breton, M. & Lepelley, D. (2014). Une analyse de la loi électorale du 29 juin 1820. Revue
économique, 65, (pp. 469-518).

Temdaoui, J-C. (2017). L’Ancien Régime : une construction historique de 1789 à nos jours. Licence.
France.

Sitographie

Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 | Conseil constitutionnel. (s. d.). Consulté le 10 septembre
2023, à l’adresse https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/Charte-
constitutionnelle-du-4-juin-1814.

La Restauration (1814-1830) : Les prémices d’un régime parlementaire| vie-publique.fr. (2022).


Consulté le 10 septembre 2023, à l’adresse http://www.vie-publique.fr/fiches/268870-la-
restauration-1814-1830-les-premices-dun-regime-parlementaire.

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