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Commentaire de texte : « séance de la

flagellation »
Introduction

Le long règne de Louis XV (cinquante-neuf années) présente deux aspects,


contradictoires en apparence seulement : d'un côté, une croissance économique
progressive et satisfaisante malgré les inégalités régionales et sociales ; de l'autre un
pouvoir de plus en plus isolé, incapable de répondre à l'attente d'une opinion
publique qui s'appuie sur la philosophie des Lumières, alors triomphante et
combative. En effet, Louis XV collectionne les agrandissements territoriaux dans la
paix (il reçoit la Lorraine et la Corse sans livrer bataille) alors que les menaces
d'invasion étrangère ne semblent plus que de lointains souvenirs. La « bonne
machine », comme disait Louis XV, fonctionne tant bien que mal. En certaines
mauvaises années, le peuple s'agite parfois, sans pour autant ébranler la sérénité de
Versailles. La population française s'accroît comme ses productions ; les affaires
marchent, la rente foncière se gonfle après 1730 et la France domine l'Europe
culturelle. Cette civilisation brillante dissimule pourtant sous ses prestiges les
lézardes qui ébranlent progressivement cet édifice politique et social. De toutes
parts, l'État absolutiste devient la cible des intérêts frustrés ou en passe de l'être. Les
ambitions nobiliaires et bourgeoises se liguent contre le système politique, et les
parlements - réceptacles de toutes les oppositions - sont hostiles aux réformes qui
permettraient au roi d'ouvrir une nouvelle voie à la monarchie. Le Parlement de Paris
prend la tête des revendications des parlements et prétend pouvoir délibérer sur les
textes dont le roi a ordonné l'enregistrement.
Après de nombreux conflits, Louis XV décide de mettre un terme à l'opposition
constante des parlements en se rendant, à l'improviste au Parlement de Paris le 3
mars 1766 pour rappeler aux parlementaires, en un lit de justice préparé
collectivement par un maître des requêtes, Calonne et par le conseiller d'Etat Gilbert
de Voisins, son absolue puissance. Le document consiste en un procès verbal de
cette séance, dite « séance de la flagellation » en raison de la sévérité des propos du
souverain. Le terme lit de justice désigne une session du Parlement tenue en
présence du roi. Louis XV utilisa à maintes reprises cet instrument juridique pour
tenter de contrôler les différentes révoltes du Parlement, la « séance de flagellation »
est un lit de justice demeuré célèbre.
On insistera donc tout d'abord sur les oppositions des parlementaires au
pouvoir royal (I), pour dans un deuxième temps nous interroger sur les principes
affirmés dans ce lit de justice ainsi que sur leur portée (II).

I. Des Parlements insoumis à l'autorité royale

Afin de comprendre ce qui a poussé Louis XV à tenir un lit de justice dans


lequel il s'exprime avec autant de sévérité à l'égard des parlementaires ( en réponse
aux remontrances du Parlement de Paris qu'il fait lire par le sieur Joly de Fleury), il
convient de s'intéresser aux revendications des parlementaires, ainsi que ce sur quoi
elles se fondent (A), pour ensuite expliquer en quoi elles constituent une atteinte à
l'absolutisme royal en usurpant certaines de ses prérogatives (B).
A. Fondements et illustration de leurs revendications

Les Parlements, instances juridiques, jouèrent un important rôle politique, ce


sont les revendications liées à ce rôle qu'il convient d'éclaircir. Les Parlements
avaient en effet compétence pour enregistrer les ordonnances royales. Dans le cadre
de cette mission, ils pouvaient manifester leur opposition à une ordonnance par le
vote de remontrances. Ils acquirent ainsi rapidement un pouvoir de critique et
d'opposition à la monarchie absolue, même si le roi pouvait toujours les soumettre et
imposer sa volonté. Le Parlement, pour justifier ses critiques et les délibérations
tenues par les parlementaires sur les textes du roi, se dit investi d'une mission de
contrôle de légalité des actes royaux. Ainsi Louis XV rappelle aux parlementaires,
que le Parlement n'est pas « le protecteur et le dépositaire essentiel de [la] liberté »
de la Nation. L'historien Michel Antoine considère en effet, que les magistrats
rêvaient d'un « gouvernement des juges ».
Les parlementaires justifient leurs aspirations en prenant pour fondement les
temps de Mérovée et de Clovis, se considérant ainsi comme les descendants des
Francs, qui, réunis en plaids participaient à l'élaboration des lois. Louis XV fait
référence à « ce qui s'est passé dans ces parlements de Pau et de Rennes ». Cette
référence aux parlements de province s'explique par la résurgence de la théorie des
classes, théorie largement invoquée lors de l'affaire de Bretagne dont il est ici
question. L'influence de Choiseul, qui dirige pratiquement la politique française sans
pour autant avoir le titre de premier ministre, conduit le roi à reculer devant les
colères des parlements. Cependant, deux parlements s'attirèrent les foudres du
pouvoir royal. Louis XV brisa la résistance du parlement de Pau alors en pleine
ébullition. En ce qui concerne le parlement de Rennes, ce dernier multiplia les
remontrances et les critiques à l'égard du commandant en chef de la province, le duc
d'Aiguillon. Face à cette fronde, le roi prit des mesures qui entraînèrent les
parlementaires à démissionner. La Chalotais, procureur général du parlement de
Rennes, et ses amis furent arrêtés et le parlement de Rennes fut remplacé par des
conseillers d'Etat. Les autres parlements réagirent en justifiant leur intervention au
nom de la théorie des classes, théorie selon laquelle les parlements seraient issus
des plaids des rois francs et par la suite, de la Curia regis des premiers Capétiens,
formant ainsi les « classes » du grand « Parlement de France ». C'est contre cette
théorie que Louis XV s'élève : « Je ne souffrirai pas qu'il se forme en mon royaume
une association qui ferait dégénérer en une confédération de résistance le lien
naturel des mêmes devoirs et des obligations communes, ni qu'il s'introduise dans la
Monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu'en troubler l'harmonie ; la
magistrature ne forme point un corps, ni un ordre séparé des trois ordres du
Royaume »

B. L'usurpation des prérogatives royales

Cette théorie des classes ainsi que la volonté des parlements d'affirmer des
origines remontant aux plaids franques et de la Curia regis, développée dans la
deuxième moitié du XVIIIème siècle, sous-entend que les membres des divers
parlements ont des devoirs à accomplir et que ces prérogatives ne dépendent en
aucun cas d'une concession du pouvoir royal et qu'elles ne sauraient par conséquent
leur être retirées. En effet, par ces affirmations, les parlementaires entendent
participer à l'élaboration des lois, comme il se faisait lors des plaids, et suivre la
genèse des textes normatifs comme étaient appelés à le faire leurs ancêtres de la
Curia regis.
Ainsi, le rôle des parlements ne saurait être réduit à une simple fonction
d'enregistrement des actes royaux, mais impliquerait une large participation au
processus législatif, laissant simplement le soin au roi de proposer les lois. Depuis la
mort de Louis XIV en 1715, le Parlement n'avait de cesse de retrouver sa prérogative
principale : le droit de remontrance. Ainsi, progressivement, le Parlement a imaginé
une condition préalable à l'enregistrement des lois. Avant d'être enregistrés, les
parlementaires procédaient à un véritable contrôle de conformité de la loi. Sans pour
autant enlever toute prérogative législative au roi, cette atteinte que souhaitaient
porter les parlementaires, notamment ceux du Parlement de Paris, au pouvoir
législatif du roi ne pouvait laisser le roi indifférent. Lorsque le roi parvient à faire
enregistrer les lois qu'il souhaite voir appliquer, en usant au besoin du lit de justice,
l'obstacle parlementaire n'est pas pour autant franchir. En effet, l'opposition des
parlementaires au lit de justice, si elle ne peut s'exprimer pendant cette séance
solennelle, peut prendre la forme d'une suspension du service de la justice ou encore
d'une démission collective.
C'est pourquoi Louis XV rappelle aux parlementaires présents lors de cette
séance, qu'il n'est pas question « que les parlements coopèrent avec la puissance
souveraine dans l'établissement des lois » et qu'en aucun cas les parlementaires ne
sauraient « par leur seul effort s'affranchir d'une loi enregistrée et la regarder à juste
titre comme non existante ».

Transition

Ainsi, depuis le milieu du XVIII ème siècle, le pouvoir royal est fortement
ébranlé par les revendications des parlements et leurs atteintes aux prérogatives
royales, essentiellement en matière législative. On comprend donc les raisons qui
ont poussé Louis XV à tenir un lit de justice aussi sévère. Cette séance n'est pas
seulement une occasion de condamner l'attitude des parlements, c'est également
pour le roi une opportunité pour réaffirmer l'absolutisme monarchique.

II. Un absolutisme royal réaffirmé, mais pour combien de temps ?

Dans cette deuxième partie, il convient tout d'abord de s'interroger sur la façon
dont Louis XV met en avant la toute-puissance royale (A) pour ensuite envisager
l'avenir et l'influence de ce solennel rappel à l'ordre (B).

A. L'absolutisme royal retranche le Parlement dans un simple rôle de conseil

Sous Louis XIV, l'absolutisme monarchique fut sans aucune contestation


possible à son zénith. En comparaison, le règne de Louis XV connaît une crise de
l'absolutisme monarchique, entre la pression philosophique des Lumières et le
blocage gouvernemental des parlements. Ce solennel rappel à l'ordre illustre
parfaitement la conception royale du pouvoir : « c'est en ma personne seule que
réside la puissance souveraine ».
L'affirmation du pouvoir royal passe par le musellement du contre pouvoir que
représente le parlement, réceptacle de toutes les oppositions qui atteignent la
monarchie. Ainsi, Louis XV souligne-t-il énergiquement que le monarque se doit
d'être la source de tout pouvoir : « c'est de moi seul que mes cours tiennent leur
existence et leur autorité ; que la plénitude de cette autorité, qu'elles n'exercent qu'en
mon nom, demeure toujours en moi, et que l'usage ne peut jamais être retourné
contre moi ; que c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance
et sans partage ; [...] non à la formation, mais à l'enregistrement, à la publication ,à
l'exécution de la loi, et qu'il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de
bons et utiles conseillers ». Dans ce paragraphe, Louis XV énonce sans ambiguïté la
conception qu'il se fait du rôle des parlements vis-à-vis de son pouvoir législatif. Le
parlement n'a plus qu'un rôle minime, celui d'enregistrement des textes royaux, et le
champ d'application de son droit de remontrance est largement restreint à celui d'un
conseil qui fait usage de son droit de remontrance avec parcimonie.
La souveraineté du roi signifie que le monarque n'est soumis à aucune
autorité étrangère et qu'il est indépendant de toute autre instance dans son rôle de
créateur du roi. Le pouvoir du roi ne peut être limité par aucun autre pouvoir, car
selon Louis XV, « l'ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les
intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque, sont
nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains... ». Ainsi, le
monarque dispose-t-il d'un pouvoir absolu que nul ne saurait limiter.

B. Un lit de justice efficace ?

Le rappel à l'ordre des parlementaires par Louis XV dans cette séance dite de
flagellation en raison de la fermeté du ton du discours, semblait annoncer une
période d'adoucissement dans les relations entre le roi et ses cours, malgré cela la
condamnation de l'attitude des parlementaires resta sans appel. En effet, l'opposition
parlementaire ne sembla pas en tenir compte, à tel point que Louis XV usa encore
du lit de justice pour faire enregistrer, le 7 décembre 1770, un édit prohibant
l'utilisation par les parlements de leurs armes traditionnelles, à savoir, cessation de
fonction, démission collective ou encore, référence à la théorie des classes, sous
peine de forfaiture et de confiscation des offices. A cela, les parlementaires
répondirent par une suspension de la justice, imaginant qu'ils seraient rappelés après
avoir était exilés, comme il se faisait d'habitude.
C'était sans compter la réforme par coup de majesté organisée par Maupeou,
ancien premier Président du Parlement de Paris, nommé chancelier en 1768. Avec
l'accord de Louis XV, il met les parlementaires en garde. Cependant les membres du
Parlement refusent de céder, ce qui pousse Maupeou à agir. De nuit, un conseiller
d'Etat accompagné de deux mousquetaires se rend au domicile de chaque
parlementaire, qui se voit proposer de retourner au Parlement et de ne plus jamais
s'opposer au monarque. En cas de refus, les parlementaires sont exilés loin et seuls
pour éviter qu'une opposition s'organise. Au mois d'avril 1771, le Parlement
enregistre de nouveau les textes royaux.

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