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Chapitre 5

La pensée politique

La Renaissance humaniste voit l’émergence de la rationalité dans la


conduite de la vie. Tout ce qui relève de l’expérience humaine est
susceptible d’être pensé, évalué, jugé. La politique devient elle aussi
objet d’analyse critique.
9
8206
6883

Machiavel, Le Prince
1.1:1

Machiavel (1469-1527), homme politique italien lié à la ville de Florence, rédige


51.4

Le Prince (1513) alors qu’il connaît la disgrâce politique et que l’Italie vit une
période de troubles.
:41.2
3944

César Borgia, modèle politique selon Machiavel


8891

Après avoir conquis la Romagne, ce « prince » doit y instaurer l’ordre. Il confie


056:

cette mission à Rémy d’Orque qui pacifie la région par la terreur. Pour établir sa
popularité et assurer son pouvoir, César Borgia fait alors exécuter Rémy d’Orque
0641

sur la place publique. Son intelligence fourbe, mais efficace, est présentée comme
:211

un modèle de stratégie politique.


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La « virtù » et la « fortuna »
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Ce sont les deux mots-clés de l’ouvrage. « Fortuna » est un équivalent de


« conjoncture ». L’intelligence politique est d’abord une faculté de discernement :
larvo

le prince doit pouvoir distinguer, dans la réalité qu’il doit gérer, ce sur quoi il
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peut agir, de ce qu’il ne peut qu’accepter. « Virtù » prend tout son sens par son
étymologie latine, « homme », « virilité ». Ce terme regroupe un ensemble de
qualités intellectuelles, psychologiques et morales : intelligence stratégique,
courage, bravoure, opiniâtreté. La « virtù » façonne le prince, l’homme politique,
et le rend apte à gérer la « fortuna ».
Le prince ne défend pas un idéal moral ou spirituel. La morale et la religion sont
de simples moyens, d’ailleurs très efficaces, d’action politique ; le prince doit
savoir en particulier utiliser la crainte suscitée par la morale religieuse. De
même, il ne s’enferme pas dans une seule stratégie ; il choisit tantôt « la ruse du
renard », tantôt « la force du lion », selon les circonstances. Enfin, il joue avec
son image, tantôt craint, tantôt aimé, ce qui suppose une bonne connaissance de
son peuple. Seule l’efficacité importe.

La défense d’une valeur politique : le patriotisme


On pourrait croire Machiavel immoral, c’est notamment la réputation que les
moralistes traditionnels lui ont forgée. On pourrait aussi le croire cynique,
9
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désabusé : « Quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer
6883

d’avance les hommes méchants […] ingrats, changeants, dissimulés ». En fait,


sa philosophie politique s’explique par la situation de Florence et de l’Italie de
1.1:1

l’époque. Quatre sphères d’influence se disputent le pouvoir : les grandes


51.4

familles, la papauté, l’Espagne, la France. La corruption règne en maître. Seul un


prince nouveau, au pouvoir fort, pourra assurer un minimum de stabilité politique,
:41.2

« libérer l’Italie des Barbares » et lui restituer la dignité. La morale de


3944

Machiavel se réduit au patriotisme.


8891

Portée de l’ouvrage
056:

Machiavel est l’un des fondateurs de la science politique. L’art de gouverner ne se


0641

déduit pas d’une « idéologie » : « real politik » avant l’heure, il consiste à


:211

élaborer une action politique efficace. Toutefois, Machiavel réduit son analyse
aux seules relations entre un individu, le prince, et son peuple. Les questions
ncity

économiques et sociales ne sont pas vraiment abordées. Il n’empêche qu’il est un


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penseur moderne, déformé par la tradition morale qui lui a fait dire ce qu’il n’a
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pas écrit : « la fin justifie les moyens ». Machiavel aurait d’ailleurs pu


revendiquer la formule, à condition de donner à « fin » son sens
larvo

« machiavélien », « l’intérêt de la Cité ». Le sens pris par l’adjectif


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« machiavélique » trahit la pensée de Machiavel. Il n’est pas aussi immoral qu’on
a voulu le faire croire. Sa morale politique est faite de raison d’État, de dévotion
à l’État.

La Boétie, Discours de la servitude volontaire


La Boétie (1530-1563), l’ami de Montaigne, meurt à 33 ans. On n’a conservé de
lui que cet opuscule (1548).

La thèse défendue
L’expression « servitude volontaire » est une sorte d’oxymore qui dénonce
l’irrationalité de la tyrannie. La Boétie interpelle les hommes pour qu’ils se
débarrassent du tyran qu’ils ont, par lâcheté, et non par volonté réfléchie, accepté.
La servitude est contre nature, parce que les hommes sont égaux, et que les sujets
ont l’avantage du nombre, et donc de la force. Renommé « Le Contre’un »,9
8206

l’ouvrage s’oppose au pouvoir autocratique, tyrannique.


6883

Les mécanismes du pouvoir tyrannique


1.1:1

Pratique des faveurs, manifestations de prestige qui impressionnent les foules,


51.4

infantilisation des sujets qui se croient incapables de vivre sans la protection du


:41.2

« père », habitude qui fait du régime une norme, tels sont les ressorts de la
tyrannie. En outre, elle met en place une « chaîne de tyranneaux » : « Cinq ou six
3944

ont eu l’oreille du tyran […]. Ces six ont six cents sous eux […]. Ces six cents
8891

tiennent sous eux six mille ». Le tyran s’appuie ainsi sur des « petits chefs » en se
démultipliant.
056:
0641

Un appel au peuple
:211

Le tyran est en réalité un sous-homme qui aime « se vautrer dans ses sales
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plaisirs », pouvoir, cupidité, sexe. Il tire sa force de la soumission de ses sujets.


:Aiva

Il suffit de refuser de se soumettre pour le renverser : « Soyez donc résolus à ne


plus servir et vous serez libres ».
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Portée de l’œuvre
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Certes, La Boétie paraît superficiel rapporté à Hannah Arendt et ses analyses du
totalitarisme. Mais il se révèle humaniste par son apologie de la raison et de la
liberté, et surtout il fait du peuple le seul fondement de l’autorité politique, même,
paradoxalement, dans une tyrannie.

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51.4
:41.2
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056:
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Chapitre 6
L’humanisme occidental

L’humanisme est une conception de l’homme qui dépasse le cadre


historique du XVIe siècle pour se développer dans toute la culture
occidentale, et surtout du XVIe au XIXe siècles. Ce chapitre
transversal s’attache à définir les caractéristiques de l’humanisme
traditionnel, les raisons de sa contestation au XXe siècle, avant de 9
8206

montrer que les années 1980 opèrent un retour à une certaine forme
d’humanisme, débordée par le transhumanisme.
6883
1.1:1
51.4

Les caractéristiques de l’humanisme


:41.2
3944

Une nature humaine universelle


8891

La formule de Montaigne « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine


056:

condition » affirme l’existence d’une nature humaine commune à tous. Au-delà


des différences individuelles et culturelles, il existe des constantes communes à
0641

tous. Une telle conviction permet de définir des valeurs universelles, des droits
:211

imprescriptibles : toute atteinte à la nature humaine relève de la barbarie et doit


être combattue. Quelle est la spécificité de la nature humaine ?
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:Aiva

L’homme, un être de raison doté de droits


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Une raison à éduquer. Par sa raison, l’homme se construit. Cette raison est une
faculté en puissance, elle nécessite une formation. C’est une des idées majeures
d’Érasme : « On ne naît pas homme mais on le devient ». L’éducation, libérale,
respecte la personnalité de l’enfant, a confiance en lui, à l’opposé d’une
pédagogie avilissante faite de contraintes dégradantes.
Raison et liberté. Tout homme éduqué, capable de discernement, accède la
liberté. Celle-ci ne fait pas de lui un dieu affranchi de toutes bornes. La liberté
humaniste n’a de sens qu’à l’intérieur de limites qui sont celles de la condition
humaine ; elle est la conquête d’un équilibre entre libre arbitre et nécessité.
Raison, liberté, droits. Raisonnable et libre, l’homme est doté de droits, droits
universels puisque la nature de l’homme est universelle.

La foi en l’homme
L’humanisme a confiance en l’homme, une confiance lucide, qui connaît et assume
les limites imposées par la nature. L’humaniste est convaincu que l’homme est
9
perfectible, qu’il est responsable de sa propre réalisation, de sa propre histoire. Il
8206

croit au progrès qui devient une valeur mythique au XVIIIe siècle.


6883
1.1:1

La contestation de l’humanisme au XXe siècle


51.4
:41.2

Les horreurs de l’Histoire


3944

Comment croire encore en l’homme après les boucheries des deux guerres
8891

mondiales qui naissent au sein de la culture européenne « humaniste » ?


056:

Auschwitz, Hiroshima démythifient la foi en l’homme et dans le progrès.


0641

La crise des valeurs


:211

Les sciences humaines. La psychologie et la sociologie étudient les multiples


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déterminismes qui pèsent sur l’homme, et compromettent sa liberté. De plus, le


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structuralisme au XXe siècle nie l’existence d’une nature humaine universelle et


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défend la pluralité culturelle.


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Les sciences. L’astrophysique et la biologie découvrent que l’humanité, qui aurait
pu ne pas exister, n’est qu’un épiphénomène dans le cosmos. Le prétendu « roi de
l’univers » est démythifié. Mais c’est la génétique qui suscite les craintes les plus
vives : la recherche scientifique est dorénavant capable de modifier la structure
biologique des êtres vivants, y compris celles de l’homme. Comment encadrer ces
recherches ?
La « mort de Dieu ». Si la nature humaine n’existe pas, si Dieu n’existe pas
comme l’affirment les athées de plus en plus nombreux, comment définir l’homme
et comment définir des valeurs qui fondent la morale ?
Le procès du marxisme. Le marxisme est très sévère à l’encontre de
l’humanisme. Il l’accuse d’être une « idéologie », un discours, qui masque la
réalité d’une humanité écrasée par la misère, les guerres, l’esclavage, la torture,
la dictature. Il l’accuse de servir d’alibi colonialiste : l’humanisme, élaboration
européenne, impose son modèle aux autres cultures pour mieux les asservir.

9
8206

Le renouveau de l’humanisme
6883
1.1:1

Le retour de l’universalisme
51.4

L’ONU a pour but de préserver la paix : on ne peut pas constituer des « nations
unies » sans un minimum de valeurs communes. De plus, la mondialisation
:41.2

économique, médiatique, numérique favorise les échanges.


3944

Le structuralisme qui triomphe dans les années 1970 est battu en brèche. Des
8891

droits de l’homme, universels, interdisent de justifier des comportements


barbares, avilissants, en invoquant le respect dû à toutes les cultures : des rituels
056:

dégradants, telle « l’excision » des petites filles, sont injustifiables.


0641
:211

Vers un humanisme réaliste


ncity

Cette forme nouvelle d’humanisme demande moins de lutter pour faire triompher
des valeurs que pour combattre des scandales. Pour se battre il faut néanmoins
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des valeurs à défendre : le nihilisme conduit ou au désespoir, ou au repli sur soi,


x.com

ou au terrorisme aveugle. Les humanistes contemporains croient en la dignité de


l’homme : conscients que la justice parfaite ne peut se concrétiser, ils se battent
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pour que le monde soit moins injuste. Il existe en effet des formes de mal
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indiscutables, notamment celles qui frappent les enfants, les minorités, les
victimes des totalitarismes. Le mal est une donnée objective, qui doit être
combattue, au risque de nier toute dignité au genre humain.

Vers un transhumanisme ?
Le transhumanisme se développe à partir des années 1980. Il invite à recourir aux
techniques scientifiques, aux nanotechnologies, aux biotechniques, à l’intelligence
artificielle (IA), pour faire reculer les limites de la condition humaine en
améliorant les performances physiologiques, intellectuelles et psychologiques des
individus. Ce courant pose des problèmes moraux dont se fait écho Luc Ferry
dans La Révolution transhumaniste (2016) : « Jusqu’où ira-t-on dans cette
voie ? Sera-t-il possible un jour (bientôt ? déjà ?) “d’augmenter” à volonté tel
ou tel trait de caractère de ses enfants, d’éradiquer dans l’embryon les
maladies génétiques, voire d’enrayer la vieillesse et la mort en façonnant une
nouvelle espèce d’humains “augmentés” ? »
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056:
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Chapitre 7
L’utopie occidentale

L’usage courant confère au mot « utopie » le sens de « chimère »,


« illusion ». Mais l’utopie est d’abord un genre littéraire à la portée
philosophique et politique. Elle apparaît au XVIe siècle et se
développe jusqu’au XIXe siècle. Dans ce nouveau chapitre
transversal, on en définira les caractéristiques et on s’interrogera sur
9
8206

les raisons de son effacement au XXe siècle au profit d’un nouveau


genre, la dystopie. L’utopie serait-elle devenue inenvisageable au
6883

XXIe siècle ?
1.1:1
51.4
:41.2

More, L’Utopie (Utopia)


3944
8891

Érasme, Éloge de la folie


056:

Thomas More, ami d’Érasme, confesse avoir écrit L’Utopie (1516) pour faire
diptyque avec l’Éloge de la folie (1511).
0641

Érasme l’érudit pacifiste (1469-1536). Moine hollandais, ce lettré a légué une


:211

sagesse, « l’érasmisme », ou évangélisme pacifiste : dans une époque déchirée


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par les conflits, Érasme défend la paix enseignée par les Évangiles.
:Aiva

Un éloge paradoxal. Faire parler la folie, c’est s’autoriser à tout dire, les pires
sottises, mais aussi les vérités les plus audacieuses, un peu dans la tradition du
x.com

« fou du roi ». L’œuvre demeure toutefois difficile d’accès, truffée d’allusions


littéraires érudites, absconses pour le lecteur contemporain.
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Un éloge subversif. Les vrais fous sont ceux qui se croient les détenteurs du
savoir, de la vérité, dans quelque domaine que ce soit. Ils n’ont pas compris que
la raison est une faculté critique : quiconque réfléchit s’interroge sur lui-même. La
prétendue « raison » au nom de laquelle les dogmatiques veulent imposer leur
vérité est la voix de la vraie folie.
La folie forme supérieure de sagesse ? Le message évangélique tient d’une
sorte de folie dans sa proposition d’un amour qui va jusqu’à la mort. Érasme
réhabilite une foi intérieure, une « folie mystique », une relation intime, sans
intermédiaire, entre le croyant et Dieu, une foi vivante libérée des dogmes qui
paralysent. On comprend que la Réforme se soit intéressée à lui.
Critique audacieuse de ceux qui prétendent détenir savoir et pouvoir, volonté de
contribuer à un renouveau spirituel et moral, ces deux objectifs sont également
ceux de l’Utopie de More qui constitue le second volet du diptyque.

More, un humaniste lettré


9
Chancelier du roi d’Angleterre de 1529 à 1532, Thomas More (1478-1535) est
8206

mis à mort par Henri VIII parce qu’il reste fidèle à ses convictions catholiques.
6883

Plus qu’un homme politique, Thomas More est un humaniste, un lettré, « le frère
jumeau d’Érasme ». Trente ans d’amitié unissent ces deux érudits.
1.1:1

More présente ainsi l’Utopie : « Une bagatelle littéraire échappée presque à


51.4

mon insu de ma plume ». Certes, la fantaisie est présente ; mais elle est le moyen
:41.2

de transmettre les messages les plus audacieux. Dans son récit, il imagine qu’un
navigateur, Raphaël « Hythlodée », « celui qui aime raconter des histoires »,
3944

revient d’une île où le bonheur parfait règne.


8891
056:

Utopie et réalité
0641

« Utopia », le nom de cette île, à consonance latine, est forgé sur le grec :
« topos », le lieu ; « u », privatif, mais aussi variante de « eu », le bonheur : le
:211

lieu du bonheur parfait n’existe donc pas, il est inventé par l’imagination.
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Toutefois, Amaurote, la capitale embrumée, est située sur les rives d’un fleuve qui
:Aiva

subit le mouvement de la marée… comme Londres. Et Utopia est divisée en 54


parties… comme les 54 comtés de l’Angleterre du XVIe siècle. Utopia est par
x.com

conséquent un double de la réalité anglaise.


larvo
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La vie en Utopie
La vie urbaine dans Amaurote. L’urbanisme est pensé pour le confort de la
population, avec un grand souci de l’élégance et de la propreté.
L’organisation politique. Le collectivisme qui régit Utopia en fait une grande
famille. L’action politique est animée par un principe unique : « Travailler au
bien général est religion ».
L’organisation du travail. Par souci d’équité et de diversité, l’alternance des
tâches est systématique. Trois heures de travail le matin, trois autres l’après-midi,
organisent la journée. Six heures de travail quotidien suffisent parce que tous
travaillent. De plus, tout superflu est banni : un vêtement de laine et un autre de lin
sont perçus tous les deux ans. Il n’y a pas de commerce intérieur : le père de
famille se sert librement sur le « marché ».
La place centrale de la culture. Le temps de loisir est important. Ce temps de
liberté est consacré à la culture, aux activités de l’esprit.
Une morale naturaliste. La nature dicte les valeurs morales : « Ils définissent la
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vertu : vivre selon la nature ». Le plaisir est à la fois but et garant de la morale :
8206

« Les Utopiens ramènent toutes nos actions et même toutes nos vertus au
6883

plaisir, comme à notre fin ». Seul le bonheur ici-bas est recherché ; la religion
tient une place minime, c’est une religion naturelle, un déisme : « La raison
1.1:1

inspire d’abord à tous les mortels l’amour et l’adoration de la majesté divine, à


51.4

laquelle nous devons l’être et le bien-être ».


:41.2
3944

Portée de l’ouvrage
Thomas More ne propose pas un modèle à traduire en actes. En revanche, sa
8891

société idéale, imaginée à l’envers de la réalité de l’époque, dénonce les


056:

dysfonctionnements et les injustices qui ravagent les sociétés du XVIe siècle.


0641
:211

Campanella, La Cité du Soleil


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:Aiva

Une existence tourmentée


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Moine bénédictin italien, érudit, indépendant d’esprit, Tommaso Campanella
(1568-1639) mène une vie d’aventures déchirée par les nombreux procès qui lui
sont intentés pour hérésie. Torturé plusieurs fois, il passe plus de 25 ans en
prison. Dans La Cité du Soleil (1623), il imagine qu’un capitaine de navire
génois accoste à Ceylan, traverse une forêt, et découvre une ville érigée sur les
flancs d’une colline et formée de sept cercles concentriques.

Heliaca, la cité du Soleil, ou le communisme intégral


Heliaca vit sous le régime de la communauté des biens et des femmes. Chaque
quartier possède ses réserves et ses réfectoires qui nourrissent le peuple. La
famille n’existe pas : dès leur sevrage, les enfants sont séparés de leur génitrice,
et ils sont élevés en communauté. Chacun participe au travail, quatre heures
quotidiennes, pour assurer les besoins vitaux.

Une république « philosophique » 8206


9
Un chef suprême, « Soleil », aidé par trois princes, assure la totalité du pouvoir.
Cette aristocratie intellectuelle a reçu une éducation solide qui lui confère
6883

compétence et sens moral, sens du bien général : « Notre Soleil sera toujours
1.1:1

bien trop savant pour devenir cruel, scélérat ou tyrannique ».


51.4

La reproduction des hommes


:41.2

Le pouvoir politique, soucieux d’améliorer la race des hommes, gère la


3944

reproduction. Les géniteurs sont réunis en fonction de leurs qualités. Le moment


8891

de la copulation est choisi par un astrologue et un médecin pour mettre en


harmonie l’ordre cosmique et humain, selon un rituel quasi religieux. Toute idée
056:

de plaisir, d’amour, est niée par cet eugénisme.


0641
:211

Portée de l’ouvrage
ncity

L’idée d’une république philosophique doit beaucoup à Platon. La raison au


pouvoir condamne la force et l’arbitraire que Campanella a combattus toute sa
:Aiva

vie. Toutefois, on imagine Heliaca concrétisée : ce serait une société totalitaire.


x.com

La « raison », quand elle se fait impérative et exclusive, ne peut qu’engendrer le


totalitarisme.
larvo
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Les caractéristiques de l’utopie moderne1

De l’Antiquité au Moyen Âge


Platon imagine le mythe des Atlantes et sa Cité Idéale, Ovide ses
Métamorphoses. Ces sociétés parfaites relèvent de la nostalgie du paradis perdu :
la perfection est celle des origines, le temps a opéré ses effets dévastateurs, l’Âge
d’or est définitivement révolu. Durant le Moyen Âge chrétien, on cesse d’imaginer
une société idéale : le monde terrestre est corrompu par le péché.

Le bonheur des hommes sur la terre


La Renaissance humaniste réhabilite la raison grecque ; cette raison conquiert la
connaissance et la liberté. Le bonheur sur la terre devient un droit et, pour le
réaliser, la société doit être organisée rationnellement. Par ailleurs, les sociétés
de l’époque sont hiérarchisées en ordres sociaux ; les utopies sont, à l’inverse,
des sociétés communautaires et harmonieuses qui défendent l’égalité des
9
8206

conditions comme un principe-clé parce que chacun a droit au bonheur.


6883

La foi dans le progrès


1.1:1

Les utopies ne sont pas nostalgiques, elles sont prospectives. L’idéal est imaginé
51.4

en inversant le monde réel, ce qui souligne, en les dénonçant, les imperfections du


:41.2

réel à combattre. L’utopie est donc politique. En allemand, « utopie » se dit


3944

« Staatsroman », « le roman de l’État », un terme qui définit l’essence de ce genre


littéraire.
8891

Mais toutes les utopies ne sont pas appelées à être réalisées. La conclusion de
056:

More sur une éventuelle application de ses idées : « Je le souhaite, plutôt que je
0641

ne l’espère », révèle un auteur qui se veut plus éveilleur de conscience qu’acteur


politique.
:211
ncity
:Aiva

La contre-utopie ou « dystopie » au XXe siècle


x.com

Le discrédit du genre utopique


larvo
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Il est parallèle à celui de l’humanisme. Au XXe siècle, les sociétés qui se
proclament parfaites, qu’elles soient d’obédience marxiste ou fasciste, mettent en
place les camps de concentration, les goulags, les exterminations. Dorénavant, on
se défie de ces sociétés : la contre-utopie, parodique, dénonce les promesses
illusoires des « marchands de bonheur ».

Quelques contre-utopies représentatives


Huxley, Le Meilleur des mondes (Brave new world), 1932. Ce roman imagine
la société en 2500. Elle a un nouveau Dieu, « Notre Ford ». La devise de l’État
« Communauté, Identité, Stabilité » définit une société standardisée. La
reproduction des citoyens par éprouvettes les détermine pour leur vie future. Le
beau, la famille, l’amour, l’acte gratuit, l’art, la culture, sont des vices à bannir.
Quiconque est troublé… la pilule du « soma » l’apaise. Tous les loisirs, des
voyages et des cérémonies érotico-religieuses, sont organisés. La mort est
planifiée : la vieillesse, accélérée, est suivie d’une euthanasie et d’une
incinération. Une erreur de programmation sur un ingénieur, Bernard Marx,
9
8206

conduit les autorités à l’exiler dans une réserve de « sauvages ». Il rentre de son
exil avec John le Sauvage, en réalité l’homme du XXe siècle… qui a lu
6883

Shakespeare. John opte pour le suicide dans ce meilleur des mondes qui s’avère
1.1:1

le pire qui soit.


51.4

Huxley affirme que son roman est prémonitoire. Il dénonce le totalitarisme doux,
indolore, accepté par tous, que personne n’identifie, pervers parce qu’il parvient
:41.2

à endormir les consciences satisfaites de leur sort.


3944

Orwell, La Ferme des animaux, 1945. Cette fable animale met en scène deux
8891

cochons, César2 et Snowball, qui se révoltent et chassent leur maître. Ils créent
pour tous les animaux de la ferme une communauté du travail. César à son tour
056:

chasse Snowball grâce à ses molosses. Il échoue dans ses projets de grands
0641

travaux, mais les animaux se taisent ; anesthésiés par une politique


d’obscurantisme ils ont perdu toute conscience. Toute contestation est réprimée
:211

par les molosses.


ncity

« Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres »,
:Aiva

telle est la morale sarcastique de cette dénonciation féroce du stalinisme. Orwell


est un homme de gauche, mais son expérience de la guerre d’Espagne, où il voit
x.com

les socialistes du P.O.U.M. – Parti Ouvrier d’Unification Marxiste – liquidés par


larvo

les staliniens, lui ouvre les yeux sur la vraie nature du stalinisme.
scho
univ.
Orwell, 1984, 1948. Ce roman d’anticipation est écrit en 1948, Orwell inverse
les deux derniers chiffres et situe son action à Londres, en Océania, en 1984.
Océania est, avec Eurasia et Estasia, une des trois puissances totalitaires qui
constituent le monde. Océania est gouvernée par « Big Brother », un homme de 45
ans à l’épaisse moustache, dont le regard fixe les hommes partout ; des télécrans
renseignent la police de la pensée sur le moindre geste.
Trois slogans résument la doctrine politique : « La guerre c’est la paix. La
liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force ». Dans cette société du
mensonge généralisé, la langue mise au point par le parti, le « novlangue », joue
un rôle fondamental : langue pauvre, elle rend impossible l’expression d’une
pensée complexe, et elle annihile par là tout esprit critique et tout désir de
révolte.
Le héros, Winston Smith, tente bien de se révolter. Arrêté, torturé, il capitule en
acceptant de reconnaître que deux et deux font parfois cinq : « La lutte était
terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother ».
Libéré, paisible, il peut attendre une exécution sommaire qui ne saurait tarder.
8206
9
1984 est une dénonciation acerbe des totalitarismes. Orwell présente ces régimes
comme indestructibles. En 1948, il ne prend pas en compte l’impact des erreurs
6883

économiques susceptibles de déstabiliser et de faire imploser un système qui se


1.1:1

pense et se proclame « infaillible et tout-puissant ».


51.4

Houellebecq, La Possibilité d’une île, 2005. Dans ce roman, pour une part de
science-fiction, Michel Houellebecq (né en 1956) construit une intrigue autour de
:41.2

« clones » et de la création d’une nouvelle espèce humaine. Le récit de Daniel 1


3944

est commenté 2 000 ans plus tard par ses « successeurs », Daniel 24 ou encore
Daniel 25. Le romancier se livre à une charge violente contre une civilisation qui
8891

se meurt parce qu’elle a trahi toutes ses valeurs. « Ce que nous essayons de créer
056:

c’est une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au
sérieux ni à l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus
0641

désespérée du fun et du sexe. »


:211
ncity

L’utopie est-elle encore possible ?


:Aiva

D’un côté, l’utopie traditionnelle, qui fait miroiter le fantasme d’une société
x.com

parfaite, apparaît obsolète. De l’autre, en rester aux contre-utopies, c’est courir le


risque de l’inaction face à des aberrations présentées comme insurmontables.
larvo
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univ.
Néanmoins, les hommes ont besoin de rêve, d’un idéal à défendre, pour
construire, pour agir. Qui aurait cru dans la société d’ancien régime qu’une
société sans ordres hiérarchisés était possible ? Certes, nos sociétés ne sont pas
égalitaires, mais de nombreux privilèges de castes ont bel et bien disparu.
L’utopie contemporaine, comme l’humanisme actuel, consiste à imaginer, non pas
un monde parfait, mais un monde moins cruel, moins injuste, plus respectueux de
l’homme. La généralisation des droits de l’homme, une altermondialisation qui
prenne en compte la justice pour tous, une écologie dans laquelle l’homme puisse
s’exprimer en respectant les grands équilibres de la nature… telles sont les
utopies contemporaines qui peuvent faire avancer le monde.

1. Le socialisme utopique du XIXe siècle sera étudié plus loin, partie VI, chapitre 4.
2. « Napoleon » dans le texte d’Orwell a été traduit pas « César » dans les premières éditions françaises.

9
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1.1:1
51.4
:41.2
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Partie IV
Le XVIIe siècle

Le XVIIe siècle est souvent dénommé « le siècle de Louis XIV »,


en référence à l’œuvre historique de Voltaire portant sur cette
période. Cette appellation peut sembler abusive dans la mesure
où Louis XIV n’est roi qu’en 1655 et qu’il n’exerce effectivement
le pouvoir qu’à partir de la mort de Mazarin en 1661.
9
Elle exprime toutefois le mouvement de ce siècle orienté vers
8206

l’ordre, la centralisation et l’autorité représentés par ce règne.


6883

Mais il serait naïf de croire que ce siècle est monolithique,


cadenassé par le classicisme et l’absolutisme royal. De
1.1:1

nombreux mouvements de contestation s’expriment au point


51.4

que toutes les idées des Lumières sont en gestation dès la


:41.2

seconde moitié du règne de Louis XIV.


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Chapitre 1
Le classicisme

La réalisation d’une volonté politique

Le triomphe de l’autocratie centralisée


Une unification imposée. Le siège et la reddition de La Rochelle (1627-1628),
8206
9
place forte accordée aux huguenots, la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685,
sont autant d’actes politiques émanant d’un pouvoir central décidé d’éradiquer
6883

« l’hérésie » protestante pour imposer le seul catholicisme.


1.1:1

Le combat contre la Fronde (1648-1652), mené par Mazarin, témoigne de la


volonté d’éliminer la contestation politique des nobles. C’est à la mort de
51.4

Mazarin, en 1661, que Louis XIV aurait prononcé les mots célèbres « L’État,
:41.2

c’est moi » : il s’impose comme monarque absolu.


3944

Un pouvoir absolu de droit divin. Bossuet (1627-1704) apporte de nouvelles


justifications à la monarchie de droit divin dans son œuvre posthume Politique
8891

tirée des propres paroles de l’Écriture Sainte (1709). À l’État laïque prôné par
056:

la pensée anglaise, il oppose la monarchie absolue chrétienne en rappelant les


0641

propos de saint Paul : « Toute puissance vient de Dieu ». Il proclame


l’excellence de « la monarchie héréditaire de mâle en mâle et d’aîné en aîné ».
:211

Aucun contrôle des sujets ne peut s’exercer sur le souverain qui se doit
ncity

uniquement de suivre la religion et les lois. La révolte est par conséquent une
impiété. L’exercice du pouvoir toutefois n’a rien d’arbitraire, le roi doit assurer le
:Aiva

bonheur de ses sujets ; pour ce, il doit agir en conformité avec la Raison et avec
x.com

Dieu, sinon il va à sa perte. Mais, il n’a de compte à rendre qu’à Dieu.


larvo
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univ.
La volonté d’édifier une culture nationale
La création de l’Académie française. Décidée par Richelieu en 1635, sa
mission est de fixer une langue française alors non codifiée, de combattre les
dialectes, ce qui doit contribuer à unifier la nation autour d’une langue unique.
La volonté d’élaborer un art français. Le Roi-Soleil a l’ambition de forger un
art qui exprime l’éclat de la France, le « génie » français, à l’image de Versailles.
La production artistique est contrôlée par le pouvoir. Colbert, par exemple, confie
à Chapelain la mission de créer une littérature « française » en récompensant, par
un système de pensions, les artistes « méritants ».

Un mouvement précurseur, la préciosité

Un idéal noble
9
Depuis des décennies, la France est déchirée par des guerres civiles qui ont
8206

dégradé les mœurs. Émanant de femmes, ce courant recherche « l’exquis », au


6883

sens étymologique, « choisi », le raffiné ; cette élégance de l’esprit prône la


diffusion des connaissances, le progrès de l’instruction, le goût des belles lettres.
1.1:1

La préciosité annonce les valeurs nobles du classicisme.


51.4
:41.2

Madame de Rambouillet et Mademoiselle de Scudéry


3944

La première (1588-1655) est célèbre par son salon. Prénommée Catherine,


connue sous l’anagramme « l’Incomparable Arthénice », elle reçoit ses hôtes pour
8891

échanger des idées, pour faire « la conversation ». La seconde (1607-1701)


056:

invente dans son roman Clélie « la Carte de Tendre », une géographie


métaphorique qui codifie le discours et le sentiment amoureux.
0641
:211

Les précieuses ridicules


ncity

Ce mouvement sombre rapidement dans l’affectation et le snobisme. On en vient


:Aiva

notamment à vouloir éliminer de la langue « les mots sales », à utiliser des


x.com

périphrases pour éviter les mots décrétés « vulgaires » qui désignent le corps et
les actes quotidiens. Molière s’empare de ces excès dans ses comédies.
larvo
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univ.
Les débuts du féminisme
Le succès du théâtre de Molière fige la préciosité dans une réputation grotesque
injuste. Ce courant inaugure en réalité les revendications féministes. Au-delà de
leurs excentricités, ces femmes réclament le droit à l’instruction, celui d’être
respectées, reconnues dans leur dignité. Quelques cercles précieux s’interrogent
même sur les fondements du mariage et de la famille, militent pour le mariage à
l’essai, le divorce, l’espacement des maternités.

L’art classique

Un dogmatisme philosophique et esthétique


L’existence d’une vérité sur l’homme. L’homme, être religieux, adhère à la
vérité du catholicisme, religion d’État ; être politique, il est un sujet fidèle
obéissant à son roi. « Un Dieu, un Roi, une loi », telle est la foi du classique.
9
8206

L’existence d’une vérité sur l’art. Elle se trouve chez Aristote qui, dans
6883

Poétique, définit les codes de l’art. L’artiste classique imite les Anciens.
1.1:1

Un art « aristocratique »
51.4

L’homme. L’artiste classique célèbre la raison, faculté noble ; il dépeint les


:41.2

passions comme dangereuses parce que dévastatrices ; les instincts enfin,


3944

dimension animale, sont passés sous silence.


La société. La tragédie, genre noble, met en scène des empereurs, des rois, des
8891

princes ; la comédie de mœurs, moins digne, des bourgeois et quelques nobles. Le


056:

peuple demeure cantonné à la farce.


0641
:211

Un art de l’équilibre et de la mesure


ncity

L’architecture. Elle révèle une prédilection pour la ligne droite, les grandes
surfaces lisses, les structures symétriques, les espaces ouverts, qu’on trouve au
:Aiva

château de Versailles par exemple.


x.com

La littérature. Le classique exprime l’homme le plus fidèlement possible – la


mimésis –, en lui donnant une « forme » sans laquelle il n’y aurait pas d’art. Cette
larvo

stylisation, d’abord, est rationnelle : Phèdre, personnage de Racine, avoue sa


scho
univ.
passion amoureuse incontrôlée dans un discours parfaitement structuré. En outre,
la stylisation use de la litote : le classique dit le moins pour suggérer le plus, dans
une volonté de pudeur. Elle est enfin impersonnelle ; le classique fait sienne la
formule de Pascal : « Le moi est haïssable » ; parler de soi est inconvenant, et,
surtout, l’art exprime la condition humaine universelle.
« L’honnête homme ». Cet idéal humain est fait d’ouverture d’esprit, d’intérêt
pour tout le champ du savoir. « L’honnête homme », sociable, respecte le naturel
et cultive les vertus du juste milieu aristotélicien.
La sociologie a montré que cet idéal est celui d’une noblesse amputée de toute
grandeur, de toute ambition, une noblesse sous la coupe de Louis XIV.

Un théâtre codifié
La règle des trois unités. L’unité d’action impose une seule intrigue centrale,
sans laquelle le spectateur serait perdu. L’unité de temps limite la durée de
l’action représentée à 24 heures, ou, mieux, du lever au coucher du soleil,
9
symbole d’une vie ; ce temps resserré conduit à représenter des situations de
8206

crises dans lesquelles les êtres se révèlent. L’unité de lieu, qui facilite la gestion
6883

des décors, est aussi symbolique : l’espace dans lequel les personnages se
meuvent est un espace neutre, universel, celui de la condition humaine.
1.1:1

La règle des bienséances. Toute scène qui porte atteinte aux bonnes mœurs est
51.4

proscrite. De même, le sang versé ne doit pas être montré ; la violence est par
:41.2

conséquent rapportée dans des récits. Ni théâtre grand spectacle ni théâtre de la


gestuelle, le théâtre classique est un théâtre du discours.
3944

La règle de la séparation des genres. Aucun élément comique ne doit pervertir


8891

une tragédie, qui doit demeurer noble, solennelle.


056:

Les règles et l’art. Les dramaturges classiques sont à l’aise avec ces règles.
0641

Molière feint de s’interroger : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de


toutes les règles n’est pas de plaire ». Racine est péremptoire : « La principale
:211

règle est de plaire et toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir
ncity

à cette première ».
:Aiva

L’art en effet ne prend son sens que s’il est reçu par un public ; les règles
constituent une sorte de code qui facilite la communication artistique. Les
x.com

contraintes ne tuent donc pas la création artistique. Pour Gide, « l’art naît de
contrainte, vit de lutte, et meurt de liberté ».
larvo
scho
univ.
Portée du classicisme
Le classicisme du XVIIe siècle émane d’une politique qui impose un art censé
célébrer le « génie » de la France. Classicisme et monarchie du Roi-Soleil sont
intimement liés. Jdanov pour le stalinisme, Goebbels pour le nazisme, iront plus
loin en réduisant l’art à la seule propagande politique. Louis XIV ne va pas
jusqu’à là, ce qui différencie l’absolutisme du totalitarisme.
Mais le classicisme est aussi intemporel dans la mesure où il s’intéresse à la
condition humaine universelle. De plus, ordre, tradition, autorité sont des valeurs
qu’on retrouve à toutes les époques chez les conservateurs.

9
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:Aiva
x.com
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univ.
Chapitre 2
Autour du classicisme

Plusieurs mouvements, qui s’expriment simultanément, sont liés au


classicisme. Par certains côtés, ils défendent des valeurs proches de
celles des classiques, par d’autres, ils prônent des points de vue
opposés qui annoncent la philosophie des Lumières.
9
8206
6883

Le baroque
1.1:1

« Barroco » est un terme portugais qui signifie « perle irrégulière » : une perle
51.4

peut être belle et irrégulière. Cette idée s’oppose à la rigueur classique.


:41.2

Les causes historiques : une instabilité sociale et


3944

politique
8891

La France de la fin du XVIe siècle et de la première moitié du XVIIe siècle est


056:

instable. Le conflit religieux, relancé avec l’assassinat de Henri IV par Ravaillac


0641

en 1610, discrédite la religion et sa prétention à imposer « sa » vérité. La régence


de Marie de Médicis, mère de Louis XIII, est une période de troubles et de
:211

confusion. En réalité, de 1624 à 1661, le pouvoir est exercé par deux ministres,
ncity

Richelieu et Mazarin, ce qui conduit à flétrir l’auréole d’une royauté toute-


puissante.
:Aiva
x.com

Les caractéristiques du baroque


larvo
scho
univ.
Le mouvement. Les cycles de la nature prouvent que le mouvement est inhérent à
la vie. Rappelons Montaigne et l’un de ses leitmotive, le « branle », le
« mouvement » : « Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y
branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte,
et du branle public et du leur ». Le mouvement est double : pris dans la
mouvance universelle, chaque élément est animé par son propre mouvement.
Celui-ci fait de la vie un passage vers la mort ; c’est le même dynamisme qui est à
l’origine de la vie et de la mort.
Le masque et le théâtre. Aucune identité ne peut définir un individu puisque
l’identité suppose une permanence qui n’existe pas. Montaigne commente ainsi sa
démarche dans ses Essais : « Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non
pas un passage d’âge en un autre, […] mais de jour en jour, de minute en
minute ». Passer d’un masque à un autre, d’une illusion à une autre, telle est la vie
assimilée à un vaste théâtre.
La métamorphose et l’ostentation. La métaphore et l’hyperbole sont les grandes
figures de la rhétorique baroque ; les lignes courbes, les détails abondants et
8206
9
luxuriants caractérisent l’art. Louis XIV, un « classique », est également baroque
par sa politique de grandeur exubérante et ostentatoire. Versailles est classique
6883

par l’équilibre, la symétrie ; Versailles est baroque par son gigantisme, sa


1.1:1

luxuriance, sa somptuosité.
51.4

Quelques créateurs et ouvrages baroques majeurs


:41.2

Le Bernin (1598-1680). Architecte, peintre et sculpteur italien, il conçoit Saint-


3944

Pierre de Rome et sa colonnade pour lui donner tout son faste. Ses sculptures
8891

placées dans des fontaines illustrent sa volonté de donner le mouvement, même à


la pierre, par la fluidité de l’eau.
056:

Shakespeare, Hamlet, 1601. Hamlet est l’un des drames les plus baroques parce
0641

qu’il est construit sur l’incertitude et l’ambiguïté du héros… et de toute la pièce.


:211

Pour Shakespeare « Le monde entier est un théâtre ».


Cervantès, Don Quichotte, 1605. Don Quichotte refuse les évidences du réel
ncity

pour vivre dans les illusions de son imaginaire généreux mais inopérant. Ce héros
:Aiva

burlesque et tragique incarne l’homme qui poursuit un absolu chimérique, jusqu’à


x.com

la folie.
larvo
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univ.
Calderón, La vie est un songe, 1636. Pour déjouer les prédictions d’un
horoscope, le roi enferme son fils Sigismond dans une tour et le fait endormir.
Réveillé, celui-ci se révèle d’une terrible cruauté. De nouveau endormi, on lui fait
croire que ses turpitudes n’ont été qu’un songe. Il incarne l’homme déchiré entre
illusion et réalité.

Portée du baroque
Audace, incohérence, outrance, on retrouve ces caractères du baroque dans toutes
les périodes de troubles, de crises.

Le jansénisme
La querelle autour du jansénisme mêle théologie, morale et politique. Elle est un
facteur de déstabilisation de l’ordre établi.
9
8206

La doctrine janséniste
6883

Théorisée par Carl Jansen (1585-1638), évêque d’Ypres, elle est publiée en 1640
1.1:1

sous le patronyme latinisé Jansénius et sous le titre Augustinus. Jansénius


commente, en les radicalisant, les thèses de saint Augustin.
51.4

La grâce. Seule la grâce, la force spirituelle émanant de Dieu, assure le salut de


:41.2

l’âme. Mais cette grâce n’est accordée qu’aux élus, et non à tous les hommes. Le
3944

« janséniste », qui mène une vie conforme aux préceptes divins, n’est pas assuré
du salut de son âme, parce que rien ne lui garantit d’être un élu, ce qui le
8891

condamne à une angoisse existentielle durant toute sa vie.


056:

Le « Deus absconditus ». La corruption du péché originel touche l’intelligence.


0641

Celle-ci est capable de performances dans les recherches scientifiques, mais elle
est impuissante à connaître Dieu, qui demeure à jamais le « Deus absconditus »,
:211

le « Dieu caché ». L’homme Le craint, il dépend de Lui, mais il ne peut savoir qui
ncity

Il est.
:Aiva

Une morale ascétique. La nature humaine étant corrompue, seule une discipline
austère est susceptible de contrôler la puissance séductrice des pulsions. Les
x.com

jansénistes pratiquent une morale ascétique, faite de pénitence et de mortification.


larvo
scho
univ.
Certains revêtent le cilice, cette ceinture de crin ou d’étoffe rugueuse portée à
même la peau, pour meurtrir leur chair, une souffrance disciplinaire expiatrice des
fautes.

Port-Royal
Deux abbayes. En 1204, au lieu-dit « Port-Royal », dans la vallée de Chevreuse,
un monastère de femmes s’installe. En 1625, le couvent est transféré à Paris, d’où
la double appellation « Port-Royal de Paris » et « Port-Royal des Champs ». Les
locaux de l’abbaye originelle étant abandonnés, des hommes, de brillants
intellectuels, s’y retirent et forment une nouvelle communauté, « les Solitaires de
Port-Royal » qui se consacrent notamment à l’éducation des enfants dans les
« Petites Écoles », concurrentes de celles des jésuites.
Une histoire tourmentée. Port-Royal connaît une grande prospérité dans la
première moitié du XVIIe siècle. À partir des années 1650, Port-Royal des
Champs, devenu le foyer du jansénisme, est l’objet d’attaques religieuses et
politiques incessantes. Les interdictions, arrestations, emprisonnements,
9
8206

bannissements, fermetures se multiplient. Le monastère est intégralement rasé de


6883

1711 à 1713 ; l’exhumation des corps ensevelis est même effectuée.


1.1:1

Portée du jansénisme
51.4

Un mouvement influent. Le jansénisme est animé par des intelligences brillantes,


:41.2

les « Messieurs ». Il a le soutien de deux hommes de lettres exceptionnels, Pascal,


3944

et Racine, un élève des « Petites Écoles ».


Un mouvement dangereux pour l’autorité papale. Contre le centralisme du
8891

pouvoir pontifical, les jansénistes défendent le pouvoir des évêques. Ils prônent
056:

les offices religieux en langues nationales. Ils conseillent la libre lecture de la


0641

Bible par tous les croyants.


Un mouvement subversif. Les jansénistes n’acceptent ni la raison d’État, ni
:211

l’absolutisme du pape et du roi : la seule autorité incontestable est celle de Dieu.


ncity

Ils contestent aussi la monarchie de droit divin ; Dieu ne confère le pouvoir à


:Aiva

aucun homme, son autorité s’exerce directement sur chaque créature. « Amis de la
Vérité », ils défendent les droits de la conscience individuelle. En 1713, le pape
x.com

Clément XI, à la demande de Louis XIV, publie la bulle Unigenitus qui condamne
101 « propositions » jansénistes. En 1830, cette bulle devient loi d’État, signant
larvo

ainsi la défaite politique du jansénisme.


scho
univ.
Lucien Goldmann, Le Dieu caché
Dans cet essai sociologique (1955), Lucien Goldmann affirme que le jansénisme
s’explique par la situation de la noblesse au XVIIe siècle. Mazarin et Louis XIV
mettent en place le corps des « commissaires » ou « intendants » qui prive la
noblesse de ses pouvoirs en matière de justice. Toutefois, cette noblesse ne peut
pas renverser un régime qui fait d’elle un ordre privilégié, au risque de se
détruire. Le dilemme, qui l’oblige à refuser et à accepter le monde tel qu’il est, la
conduit à un profond pessimisme sur la vie terrestre et à la conviction que rien
ici-bas ne saurait épanouir l’homme, conviction centrale du jansénisme.

Les libertins

Un précurseur : Giordano Bruno


Pour ce moine dominicain italien (1548-1600), l’univers est infini. Mais il n’y a
9
8206

pas de transcendance divine : Dieu n’appartient pas à un monde de l’au-delà.


Dieu n’est pas une personne qui crée ex nihilo l’univers, c’est un dynamisme qui
6883

appartient au cosmos et qui insuffle vie et unité aux éléments qui constituent
1.1:1

l’univers. Ce panthéisme – Dieu est tout –, qui annonce celui de Spinoza, lui attire
les foudres de l’Inquisition italienne en 1592. Durant 8 ans, il est interrogé et
51.4

torturé. En 1600, il est condamné au bûcher comme « hérétique impénitent,


:41.2

opiniâtre et obstiné » ; avant d’être brûlé vif, on lui arrache la langue pour le
3944

punir de ses « affreuses paroles ». Bruno, à l’image de Galilée, devient un mythe,


celui du savant philosophe martyrisé par une religion qui interdit la liberté de
8891

pensée.
056:
0641

Une contestation de l’autorité


:211

Les libertins ne sont pas seulement des individus aux mœurs légères, aux
innombrables conquêtes féminines. Ce sont des intellectuels très cultivés qui
ncity

refusent l’autorité de la religion chrétienne.


:Aiva

Le triomphe de la raison individuelle. Les libertins se plaisent à discréditer la


x.com

religion chrétienne. Ils l’accusent de faire du miracle l’argumentation centrale de


la défense de la religion. Pour le libertin, ou le miracle est pur produit de
larvo

l’imagination, ou il s’agit d’un phénomène naturel qui s’explique par des causes
scho
univ.
rationnelles et qu’on maquille en manifestation surnaturelle. Les contradictions et
les invraisemblances de la Bible sont également relevées. De même, l’autorité
politique qui se fonde sur le droit divin est stigmatisée comme de la pure
superstition. Molière et Cyrano de Bergerac illustrent cette contestation.
Molière, Dom Juan, 1665. Le personnage éponyme de Molière est l’archétype du
libertin. Il se définit dans une réplique, véritable aphorisme du libertinage : « Je
crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont
huit ». « Je crois » est ironique, puisque le verbe approprié est « savoir » et non
« croire » : le libertin abandonne la croyance irrationnelle pour la connaissance
rationnelle. Toutefois, il faut aussi donner à « Je crois » un sens symbolique :
Dom Juan affirme ne croire qu’en la seule raison.
Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune, 1657 ; Les États et
Empires du Soleil, 1662. Ces deux ouvrages sont posthumes. Le premier raconte
un voyage du narrateur sur la Lune, le second sur le Soleil. Sur la Lune, le
narrateur Cyrano découvre un monde où tout est inversé par rapport à la Terre,
une inversion qui invite à la relativité ; d’ailleurs, sur cet astre la Terre s’appelle
8206
9
Lune. Mais on y discute aussi de religion, et les hypothèses émises sont autant de
remises en question des dogmes chrétiens.
6883

Un autre narrateur, du moins en apparence, Drycona, en fait anagramme de


1.1:1

« Cyrano d… », après avoir été persécuté pour son livre Les États et Empires de
la Lune, entreprend un voyage qui doit le libérer de tout dogme. Il parvient sur le
51.4

Soleil. Dans ce monde, les plantes et les animaux, qui parlent et raisonnent,
:41.2

remettent en cause le statut de l’homme comme créature privilégiée de Dieu. Ils


3944

s’étonnent également que les hommes puissent supporter partout l’oppression, tant
dans leur vie familiale que religieuse ou politique.
8891
056:

Une morale ambiguë du plaisir


0641

Le libertinage d’esprit se double souvent d’un autre libertinage qui lui est lié, le
:211

libertinage de mœurs. En s’affranchissant de toute contrainte extérieure, le libertin


conquiert sa puissance. C’est dans la conquête amoureuse qu’il se prouve à lui-
ncity

même sa force, par sa capacité à soumettre la personne séduite. Triompher d’une


:Aiva

personne c’est aussi triompher de la religion puisque la morale sexuelle


religieuse est alors très stricte. C’est ainsi que le Dom Juan de Molière se
x.com

compare à Alexandre de Macédoine. De même, dans Les Liaisons dangereuses


larvo

de Choderlos de Laclos (1782), le prix d’une conquête amoureuse s’évalue à la


scho
univ.
difficulté de vaincre les résistances d’une vertu religieuse. La sexualité s’avère
ainsi le terrain sur lequel le libertin se prouve sa puissance. Mais il ne peut que se
heurter au piège du plaisir qui fait de lui, alors qu’il revendique la liberté, un
dépendant, un prisonnier du plaisir charnel. Le but ultime du libertin sera de :
« Jouir dans l’insensibilité », un oxymore qui traduit les impasses de cette quête
des plaisirs. L’œuvre de Sade illustre au XVIIIe siècle cette philosophie cynique
du plaisir.

Portée des libertins


Le pouvoir politique et religieux combat difficilement les libertins, d’une part
parce qu’ils se recrutent surtout chez les nobles qui disposent d’appuis, d’autre
part parce qu’ils savent faire preuve d’une grande prudence. Ces libertins
annoncent les philosophes du XVIIIe siècle.

9
La querelle des Anciens et des Modernes
8206

Cette querelle se déroule à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. Elle
6883

n’est pas une simple dispute entre spécialistes, elle est l’expression d’une
1.1:1

mutation culturelle fondamentale.


51.4

La confrontation de deux camps


:41.2

Le camp des partisans des Anciens. Pour La Fontaine, Racine, Bossuet, La


3944

Bruyère, Boileau, les Anciens expriment la vérité de la nature. Or, cette nature, en
8891

particulier la nature humaine, est permanente. La création artistique passe donc


par l’imitation des Anciens.
056:

Le camp des Modernes. Pour Perrault et Fontenelle, si la nature est constante, sa


0641

connaissance progresse ; par conséquent, l’histoire des hommes est celle d’un
:211

progrès, et non la répétition servile de modèles figés.


ncity

Une position de conciliation. Fénelon (1651-1715), dans sa Lettre à l’Académie


publiée après sa mort en 1716, tente d’apaiser le conflit. Les Anciens
:Aiva

conserveront toujours la gloire d’avoir été des initiateurs. Mais c’est en


x.com

reconnaissant les erreurs des Anciens que les Modernes progressent, des Anciens
qui par conséquent sont les moteurs du progrès des Modernes.
larvo
scho
univ.
Portée de cette querelle
Cette querelle annonce également le combat des Lumières. De plus en plus, le
passé sera passé au crible par une raison qui croit en ses capacités d’innovation
et de progrès.

Deux précurseurs : Fontenelle et Bayle

Fontenelle et l’Histoire des oracles


Une contestation des oracles. Histoire des oracles (1687) remet en cause les
oracles antiques. Fontenelle explique que ces oracles ont disparu au Ve siècle,
grâce aux progrès des connaissances. Les oracles n’ont jamais été la voix des
dieux ; ils émanent de la fourberie des prêtres antiques qui manipulent la crédulité
du peuple ignorant pour mieux l’asservir.
9
Une contestation du christianisme. La vraie cible de cet ouvrage est en fait le
8206

christianisme. Dans l’épisode de « la Dent d’or », Fontenelle se penche sur un


6883

miracle chrétien : Dieu aurait accordé une dent en or à un jeune garçon de Silésie,
à la fin du XVIe siècle, pour manifester son soutien aux chrétiens dans la lutte qui
1.1:1

les oppose aux Turcs. Lorsqu’un orfèvre examine la dent, il constate que c’est
51.4

« une feuille d’or appliquée à la dent, avec beaucoup d’adresse ». Habilement,


Fontenelle ne tire pas la conclusion qui s’impose : ce prétendu miracle chrétien
:41.2

est une mise en scène qui relève de la même fourberie que celle des prêtres grecs.
3944

Les convictions religieuses deviennent ainsi des superstitions imaginées par des
autorités religieuses qui manipulent les foules ignorantes. Il leur oppose la voix
8891

de la raison : « Assurons-nous bien du fait avant que de nous inquiéter de la


056:

cause ».
0641
:211

Bayle et le Dictionnaire historique et critique


ncity

Cet ouvrage en quatre volumes (1695-1697) connaît un grand succès. Classés par
ordre alphabétique, les articles se divisent en deux parties. La première, brève,
:Aiva

est historique ; la seconde, beaucoup plus développée, dénonce les innombrables


x.com

erreurs de l’Histoire sur le sujet traité. Bayle dépeint une Histoire davantage
larvo
scho
univ.
constituée de barbaries que d’événements édifiants, exemplaires : le passé ne peut
donc plus être une référence. De plus, les contradictions des témoignages et des
doctrines engendrent un scepticisme fondateur de la tolérance.

Paul Hazard, La Crise de la conscience


européenne : 1680-1715
Cette remarquable synthèse universitaire (1935) porte sur les 35 années
d’absolutisme de Louis XIV, qui voient pourtant l’émergence d’idées nouvelles
contestant la stabilité classique et prônant de nouvelles valeurs. Elle se divise en
quatre parties. La première, « les Grands Changements psychologiques », montre
que le passé et la tradition sont dévalorisés, au profit de la raison critique, du
progrès. La deuxième, « Contre les croyances traditionnelles », porte sur les
religions révélées, elles aussi contestées. La troisième partie, « Essai de
reconstructions », analyse les apports de la pensée anglaise. La quatrième, « les
9
Valeurs imaginatives et sensitives », est consacrée à l’émergence de la
8206

psychologie des profondeurs.


6883

Paul Hazard ne remet pas en question les mérites des philosophes des Lumières.
1.1:1

Mais il démontre qu’à la mort de Louis XIV les idées qui seront défendues par les
Lumières ont déjà été formulées ; le mérite des philosophes du XVIIIe siècle est
51.4

d’en avoir fait un combat pour les imposer.


:41.2
3944
8891
056:
0641
:211
ncity
:Aiva
x.com
larvo
scho
univ.
Chapitre 3
Descartes et le cartésianisme

« Cartésien », « cartésianisme », des termes devenus synonymes de


« rationnel », « rationalisme ». Homme de la raison, surtout de la
raison théorique, spéculative, Descartes est considéré comme
l’archétype du penseur classique, le philosophe de référence du
XVIIe siècle. Sa pensée présente toutefois une portée moderne par le 9
8206

dépassement délibéré de la tradition.


6883
1.1:1

Le penseur « masqué »
51.4

La devise de René Descartes (1596-1650), « Larvatus prodeo », « Je m’avance


:41.2

masqué », révèle sa volonté de préserver son jardin intérieur. Il réfléchit dans son
3944

« poêle », sa chambre chauffée par un poêle. La publication de son œuvre suscite


8891

de nombreuses polémiques qui l’indisposent, lui qui cherche « le repos ». En


1649, il accepte l’invitation de la reine Christine de Suède. Il prend froid en lui
056:

donnant des cours tôt le matin, une pneumonie se déclare, il en meurt.


0641
:211

Le Discours de la méthode
ncity
:Aiva

Ce texte fondateur pour la modernité est le premier livre de philosophie écrit en


français. Il est publié anonymement en 1637.
x.com
larvo

Les quatre règles de la méthode


scho
univ.
L’évidence. L’évidence cartésienne est le résultat d’une pensée critique. Sans se
« précipiter », la raison doit combattre la « prévention » – les préjugés et les
idées reçues – pour engendrer des idées « claires et distinctes ».
L’analyse. Elle consiste, dans une démarche ordonnée, à isoler dans un ensemble
complexe les éléments les plus simples.
La synthèse. Cette autre démarche ordonnée suit le mouvement inverse. Elle
construit, à partir d’éléments simples, un ensemble cohérent porteur de sens.
Le dénombrement. Cette dernière règle s’applique aux trois premières. Oublier
un élément, c’est tomber dans la précipitation, courir le danger du préjugé,
construire des analyses et des synthèses erronées.

Portée de la méthode cartésienne


Elle est double. D’un côté, Descartes prône l’indépendance de la raison vis-à-vis
de la tradition ; l’argument d’autorité « Aristote l’a dit » n’est plus de mise.
Toutefois, cette liberté ne s’exerce ni dans le domaine politique pour lequel
8206
9
Descartes se montre respectueux du régime établi, ni dans le domaine religieux,
les vérités de la foi n’étant pas concernées par la méthode.
6883

De l’autre, cette méthode établit les fondements du rationalisme. Seules les idées
1.1:1

qui émanent d’une raison conduite avec méthode sont indiscutables, parce que
« claires et distinctes ». Il faut davantage faire confiance en la raison qu’aux sens,
51.4

qui s’avèrent souvent trompeurs.


:41.2
3944

Les Méditations métaphysiques


8891
056:

Elles sont parues en 1641 en latin.


0641

Le doute « méthodique », « hyperbolique »


:211

Contrairement au doute sceptique, qui est la conséquence d’une réflexion, le doute


ncity

cartésien est un moyen, une « méthode » intellectuelle. Il est « hyperbolique »


:Aiva

parce qu’il s’applique à l’ensemble des certitudes. Il opère une purification pour
l’esprit qu’il prépare à la connaissance. Il faut douter de tout, jusqu’à retenir
x.com

l’hypothèse d’un « malin génie » qui se plairait à berner les hommes.


larvo
scho
univ.
Le cogito
Le doute hyperbolique semble mener à une impasse. Or, même si tout ce que nous
pensons est faux, il est impossible de douter que nous pensions, d’où la formule
célèbre « Cogito ergo sum », « Je pense donc je suis ». Le cogito prouve donc
l’existence d’une âme – « mens » –, pure conscience, qui constitue l’essence
humaine. Il établit un dualisme, une séparation entre deux substances totalement
différentes, l’âme et le corps, l’esprit et la matière.

Dieu
Toutes les idées venant de l’homme pourraient être frappées de suspicion. Mais il
en est une qui ne peut être produite par l’esprit humain, l’idée de Dieu. Dieu est
« une substance éternelle, infinie, immuable, indépendante, toute-connaissante,
toute-puissante ». Cette idée, parfaite, est totalement étrangère à une condition
humaine limitée de toutes parts. L’idée de Dieu n’a donc pu être mise en l’esprit
que par Dieu, c’est une « idée innée ». Cette existence de Dieu libère du spectre
9
du « malin génie » : Dieu ne peut être trompeur, sinon il serait imparfait. Certes,
8206

l’homme commet des erreurs, mais elles sont dues à un mauvais usage de la raison
6883

que Dieu lui a accordée.


1.1:1
51.4

La science cartésienne et la nature


:41.2

Les travaux de Descartes en mathématiques et en physique font autorité. En


3944

revanche, sa représentation de la nature est plus problématique.


8891

La nature et le mécanisme
056:

Il n’existe dans la nature ni force occulte, ni mystère inaccessible. La nature


0641

constitue un ensemble homogène régi par des lois cohérentes qui émanent du
:211

Créateur ; les choses s’y déterminent réciproquement. Les êtres vivants eux-
ncity

mêmes sont des sortes d’automates complexes. Toute la vie du corps s’explique
par des actions mécaniques, tractions, pressions, gonflements.
:Aiva
x.com

Les « animaux machines »


larvo
scho
univ.
Doté d’un esprit, l’homme est le seul être vivant à disposer d’une conscience.
L’animal, en revanche, n’est que matière. Aucune vie affective, aucune conscience
ne l’animent. Lorsqu’un animal battu crie par exemple, il ne souffre pas, c’est une
simple réaction mécanique. Une telle conception justifie toutes les expériences
que l’homme peut faire sur des animaux vivants.

Le « rêve cartésien »
Les sciences doivent rendre les hommes « comme maîtres et possesseurs de la
nature ». Descartes sépare deux mondes, celui des hommes et celui de la nature.
Il donne tout pouvoir aux hommes sur cette nature, et s’inscrit par là dans la
tradition biblique. Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir
émerger une conscience écologique1 qui impose une nouvelle approche des
relations de l’homme à son environnement.

9
La morale cartésienne
8206
6883

Le dualisme
1.1:1

L’homme est composé de deux substances, l’âme et le corps, l’esprit et la matière.


51.4

L’âme constitue la spécificité de l’homme, elle doit donc dominer le corps. Mais
:41.2

la douleur physique révèle que l’âme peut aussi dépendre du corps.


3944

Les passions
8891

En 1649, dans les Passions de l’âme, Descartes définit les passions comme des
056:

manifestations, dans l’âme, causées par le corps. Elles ne sont pas toujours
0641

négatives parce qu’elles peuvent inciter à agir en vue d’assurer la protection et


l’intégrité, comme le fait la peur. Toutefois, l’âme ne doit pas se laisser dominer
:211

par les passions, au risque d’abandonner toute liberté. Du règlement des passions
ncity

dépend le bonheur de l’homme.


:Aiva

La « générosité »
x.com
larvo
scho
univ.
Par ce terme Descartes désigne la forme la plus noble de vertu. La « générosité »
est la volonté de bien juger pour bien agir, de juger librement pour agir librement.
C’est dans cette démarche que l’homme exprime ce qu’il a de plus digne dans sa
nature, et par conséquent qu’il accède au bonheur.

Portée de la philosophie cartésienne

Une philosophie dépassée


Sur de nombreux points la pensée de Descartes est démentie. Ils sont rares
aujourd’hui à défendre le dualisme qui oppose esprit et matière, la théorie des
« animaux-machines » qui refuse toute affectivité à l’animal, la foi en une raison
pure, qui, lorsqu’elle travaille avec méthode, est souveraine.

Une philosophie moderne 9


8206

Malgré ces « erreurs », Descartes est le fondateur de la modernité. L’ouvrage


6883

d’André Glucksmann, Descartes c’est la France (1987), fait de la pensée


cartésienne une pensée fondatrice pour la nation. Selon Descartes, la vérité est
1.1:1

élaborée par la raison. En proclamant que le « bon sens », c’est-à-dire la raison,


51.4

est partagé par tous, il dote l’homme de potentialités qui l’affranchissent de la


:41.2

double tutelle de la tradition et de l’autorité. Descartes fonde un rationalisme qui


ne cesse de se développer jusqu’à la fin du XIXe siècle. Rappelons toutefois que
3944

la politique et la religion ne sont pas concernées par cette approche rationnelle ;


8891

Descartes demeure un « classique », un conservateur, sur ces deux sujets.


056:

Une philosophie subversive


0641

À sa mort, Descartes est inhumé en Suède. Ce n’est qu’en 1667 que sa dépouille
:211

est rapatriée. À cette occasion, Louis XIV interdit l’éloge public et les funérailles
ncity

solennelles, alors que Descartes s’est toujours comporté en sujet respectueux de


la monarchie. De plus, les jésuites, qui continuent de défendre la philosophie
:Aiva

aristotélicienne traditionnelle, obtiennent de Rome, dès 1662, la mise à l’Index de


x.com

toute son œuvre, alors qu’il s’est toujours soumis à l’autorité catholique. Les
autorités politiques et religieuses de l’époque ont bien compris les dangers que la
larvo

pensée cartésienne leur faisait courir.


scho
univ.
Le cartésianisme au XVIIe siècle
Deux penseurs européens importants se situent dans la lignée de Descartes.

Spinoza
Un penseur honni par les religions (1632-1677). Ce philosophe hollandais, juif,
est excommunié par sa communauté pour « effroyables hérésies » ; les chrétiens,
simultanément, fixent sur lui leur haine antisémite. L’Éthique, son œuvre majeure,
est publiée en 1677 après sa mort.
Le « cartésianisme ». Spinoza est cartésien par son rationalisme. Rien de ce qui
existe dans l’univers n’est dû au hasard. La Nature est structurée selon une
parfaite rationalité ; l’homme, étant une partie de cette Nature, est régi par des
lois intelligibles. Être libre pour l’homme c’est agir selon les lois de sa propre
nature, qu’il faut donc connaître. Au-delà de ce rationalisme, Spinoza se distingue
totalement de Descartes.
Dieu et la Nature. Le Dieu de Spinoza n’est pas une Personne transcendante qui
9
8206

crée le monde, qu’on peut prier, qui punit ou récompense, qui fixe des impératifs.
6883

Dieu, c’est la Nature, unique et infinie ; ce Dieu exclut tout surnaturel, il n’est en
rien le Dieu-Personne des monothéismes.
1.1:1

La connaissance. L’homme qui vit dans l’ignorance est l’esclave des « passions
51.4

tristes », la dépression, la haine, la colère, la vengeance, le remords, etc. Comme


:41.2

les penseurs grecs, Spinoza conçoit la connaissance comme fondement de la


morale, notamment la connaissance authentique, « la science intuitive », qui
3944

relève de la raison et de l’intuition ; l’homme qui la détient vit conformément aux


8891

lois de la Nature.
Une morale du désir et de la joie. « L’essence de l’homme est le désir » : le
056:

désir est cette volonté inscrite en l’homme qui affirme et développe son être. Il est
0641

cette force qui, à l’inverse des passions illusoires, pousse l’homme à vivre en
:211

conformité avec l’ordre des choses, et à vivre libre : « Nous ne désirons pas une
chose parce qu’elle est bonne, mais au contraire c’est parce que nous la
ncity

désirons que nous la disons bonne ». En se réalisant selon son désir, en fidélité à
:Aiva

sa nature, l’homme accède à la joie. La morale de Spinoza est opposée à toute


forme d’ascétisme austère.
x.com
larvo
scho
univ.
Une philosophie politique. L’état de nature est régi par la puissance de vivre ; il
peut engendrer la peur, l’insécurité, la guerre, la servitude. Il revient donc aux
hommes de fonder un pacte social qui détermine le juste et l’injuste et assure la
sécurité de tous. Le pacte républicain l’emporte sur la monarchie, laquelle ne
garantit la sécurité que pour quelques-uns.
Portée de Spinoza. Spinoza suscite des haines violentes. Sa pensée est
malmenée, vilipendée, comme celle d’Épicure. Ce n’est que progressivement que
sa philosophie finit par être reconnue ; Gilles Deleuze2 notamment la salue comme
« une entreprise de libération et de démystification radicales ».

Leibniz
Un homme universel (1646-1716). Conseiller politique écouté, mathématicien,
linguiste, juriste, théologien, philosophe, ce brillant intellectuel allemand n’a rien
de la caricature que Voltaire en fait dans Candide par le personnage imbécile de
Pangloss.
9
Le « cartésianisme ». Comme Spinoza, Leibniz est cartésien par son
8206

rationalisme. Tout ce qui est réel obéit à des lois logiques, et par conséquent est
6883

accessible à l’intelligence humaine. Leibniz définit trois grands principes


rationnels qui régissent l’univers. Le principe de contradiction pose qu’une
1.1:1

proposition et la proposition contraire ne peuvent pas être vraies toutes les deux.
51.4

Le principe de raison suffisante mène à Dieu comme cause nécessaire à


:41.2

l’existence de l’univers. Le principe de continuité dit que dans la nature tout est
lié par des chaînes qui en assurent l’unité.
3944

Les monades. L’ouvrage la Monadologie, écrit en fin de vie, est publié après la
8891

mort de Leibniz. La monade est une force spirituelle, vivante, qui caractérise
chaque élément de l’univers dans lequel rien n’est mort. Tout vit et tout
056:

communique avec tout dans une sorte d’inconscient collectif. Il existe des degrés
0641

de perfection des monades, qui vont de la monade nue, minérale, à la monade


:211

raisonnable, intelligente.
L’optimisme. La Théodicée, publiée en 1710, fonde l’optimisme comme système
ncity

philosophique. Le Dieu de Leibniz est un Dieu-Personne, créateur. Parfait, Il n’a


:Aiva

pu vouloir le mal, Il n’a pu créer le monde que sur le principe de « l’harmonie


x.com

préétablie ». Toutefois, une création est nécessairement distincte de son créateur ;


ce créateur étant parfait, sa création est nécessairement imparfaite… mais elle est
larvo

aussi la moins imparfaite possible. Le mal est donc inhérent à l’acte même de la
scho
univ.
création, mais il est le moindre possible. Le mal, qui nous émeut, voire nous
épouvante à notre niveau humain, est la condition du bien parce que, dans l’Œuvre
divine, il évite de plus grands maux qui auraient existé sans lui. Ainsi, peut-être le
tyran Néron a-t-il empêché des férocités plus terribles que celles qu’il a
pratiquées. « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » : la
célèbre formule est ainsi justifiée.
Portée de Leibniz. Précurseur de l’évolutionnisme rendu possible par un univers
vivant, précurseur de la notion d’inconscient, Leibniz annonce la réflexion
moderne. Mais son explication rationnelle du mal est objet de scandale, parce
qu’elle ignore la souffrance inhumaine endurée par des innocents, et qu’elle
engendre le fatalisme en justifiant les pires barbaries.

1. Voir partie VII, chapitre 12.


2. Voir partie VII, chapitre 10.

9
8206
6883
1.1:1
51.4
:41.2
3944
8891
056:
0641
:211
ncity
:Aiva
x.com
larvo
scho
univ.
Chapitre 4
Pascal, Pensées, 1670

La postérité des Pensées est paradoxale. D’une part, cette œuvre,


bien que très inachevée, est devenue l’un des classiques de la
pensée occidentale. D’autre part, malgré son dessein religieux, elle
est toujours une référence dans notre culture moderne dominée par
l’athéisme. Comment expliquer ces paradoxes ? 9
8206
6883
1.1:1

Un « effrayant génie » ?
51.4

Blaise Pascal (1623-1662), « une des plus fortes intelligences qui ait jamais
paru » selon Paul Valéry, est un brillant scientifique. À 11 ans il écrit un traité sur
:41.2

les sons ; à 16 ans un Essai sur les coniques ; à 19 ans il invente une machine à
3944

calculer, « la pascaline ». Ses travaux sur la pression atmosphérique font


8891

autorité : l’unité de pression, le pascal, est toujours utilisée. Il est aussi un des
inventeurs du calcul des probabilités.
056:

Il est aussi un homme de foi. En 1646, il découvre avec passion le jansénisme.


0641

Dans la nuit du 23 novembre 1654, Dieu se révèle à lui dans une extase mystique,
un transport émerveillé, dont il conserve le souvenir, le « Mémorial », sur une
:211

page cousue dans la doublure de son manteau. Dès lors, la vie de Pascal est liée à
ncity

Port-Royal, le foyer du jansénisme. Il n’aura de cesse de défendre la religion.


:Aiva
x.com

Le projet pascalien dans les Pensées


larvo
scho
univ.
Les libertins. Pascal connaît les libertins, leur intelligence, leur culture. Il les
respecte. Mais il est convaincu qu’ils représentent un danger pour la religion, ce
qui le conduit à imaginer le projet d’un ouvrage qui leur serait destiné en priorité,
une Apologie de la religion chrétienne. Les libertins tirent gloire de leur
irréligion ; Pascal veut transformer cette fierté en inquiétude en leur montrant que
la condition humaine privée de Dieu mène à une impasse.
« L’art d’agréer ». Pascal réfléchit sur l’art de convaincre et de persuader son
interlocuteur. Il retient trois principes. 1 Ne jamais prendre de haut le destinataire,
mais au contraire en faire un complice. 2 Rester naturel, ne pas vouloir
impressionner. 3 Maîtriser la puissance argumentative de la langue.
Les problèmes de rédaction et d’édition. Lorsque Pascal meurt à 39 ans, il
laisse des notes, certaines élaborées, d’autres squelettiques. Il faut les déchiffrer,
puis les classer, pour les éditer. En 1670, Port-Royal publie une première édition.
Il faut attendre le XXe siècle pour disposer de trois éditions de référence.

9
8206

« Misère de l’homme »
6883
1.1:1

L’homme et les deux infinis


51.4

Limité tant par son corps que par son intelligence, l’homme est perdu entre les
deux infinis qui caractérisent l’univers, l’infiniment grand et l’infiniment petit :
:41.2

« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». Cette situation condamne


3944

l’homme à l’ignorance, tant de ce qui constitue l’univers, que de sa place en son


sein, une place qui demeure à jamais énigmatique : « Car enfin qu’est-ce que
8891

l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du


056:

néant, un milieu entre rien et tout ». Ce « milieu », entre deux infinis, n’a pas de
sens : l’homme ne se trouve pas au centre de l’univers.
0641
:211

« Les puissances trompeuses »


ncity

Ce sont les sources d’erreur qui sont inhérentes à la nature de l’homme.


:Aiva

Les sens. Pascal reprend la thématique souvent traitée, notamment par Montaigne,
x.com

des sens trompeurs.


L’imagination. Notre irrationalité nous rend incapables de dépasser les
larvo

apparences, le spectaculaire ; nous n’appréhendons pas la réalité telle qu’elle est.


scho
univ.
La coutume. Elle tient lieu de vérité, en particulier en matière de morale
individuelle et sociale.
L’amour-propre. L’amour de soi conduit à détester qu’on nous dise la vérité sur
nous-mêmes lorsqu’elle nous est défavorable. Plus un individu aura de
responsabilités et de pouvoirs, moins on osera lui révéler ses erreurs, ses fautes.

La méconnaissance de la justice
Non seulement l’homme est limité dans ses connaissances rationnelles, mais il est
aussi incapable de définir la moindre loi universelle : « Vérité au-deçà des
Pyrénées, erreur au-delà ». Comment les hommes, qui détestent l’injustice,
pourraient-ils se satisfaire d’une justice humaine arbitraire, fantaisiste ?

Le « divertissement pascalien »
« Se divertir » selon Pascal, c’est, conformément à l’étymologie, prendre une voie
qui n’est pas la sienne, c’est s’aveugler pour échapper à sa condition d’homme,
9
8206

qu’on refuse d’assumer. L’homme se divertit par ses jeux, mais aussi par son
travail, ses responsabilités ; plus celles-ci sont grandes, moins l’homme dispose
6883

de temps pour penser à sa propre condition, et plus il se croit heureux. L’illusion


1.1:1

sur soi conditionne le bonheur. « Un roi sans divertissement est un homme plein
de misères » : la formule sera reprise par Giono dans son roman Un roi sans
51.4

divertissement paru en 1947.


:41.2
3944

« Grandeur de l’homme »
8891
056:

Le « roseau pensant »
0641

La métaphore du « roseau pensant » définit l’ambivalence de la condition


:211

humaine : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est
ncity

un roseau pensant ». Infime par son corps d’une extrême fragilité, l’homme tire
:Aiva

sa dignité de la pensée. Par la pensée, l’homme est supérieur à l’univers matériel


dépourvu de conscience : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se
x.com

connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable ».


larvo
scho
univ.
Les trois ordres
Pascal reprend le dualisme classique, qui distingue en l’homme un corps et un
esprit, mais il y ajoute un troisième ordre, le « cœur ». Ce mot définit une sorte
d’intuition immédiate de la vérité qui constitue « l’esprit de finesse », supérieur à
la rigueur de « l’esprit de géométrie » ; il désigne aussi une « charité », une
volonté de s’ouvrir à Dieu et aux autres, qui fait de l’homme un être spirituel,
religieux. La formule « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît pas »
situe Pascal au-delà des rationalismes classiques.
Dans l’argument du « pari », Pascal « prouve » au libertin joueur qu’il a intérêt à
parier pour l’existence de Dieu. En effet, l’homme ne mise que sa vie terrestre,
limitée, alors que, dans l’au-delà, le salut ou la damnation sont éternels, illimités.
Mais cet argument n’a rien d’une « preuve » de l’existence de Dieu, car le Dieu
de Pascal est un « Dieu sensible au cœur », non à la raison.

La portée des thèses pascaliennes


9
8206
6883

Pascal « effrayant » ?
1.1:1

Voltaire le juge « misanthrope sublime ». Certes, Pascal janséniste est caustique


51.4

dans sa peinture de la condition humaine. Mais l’homme qu’il dépeint est plus
grotesque que pervers. Pascal ironise sur la comédie humaine et ses bassesses
:41.2

pour trouver la vérité ou le bonheur. En revanche, il ne s’attarde pas sur la


3944

cruauté, la barbarie dont l’humanité fait pourtant régulièrement la preuve. Il est


moins « effrayant » que Chateaubriand le dit.
8891
056:

Des thèses contestées


0641

Pascal est attaqué par Voltaire. Le philosophe des Lumières invite l’homme à
:211

assumer les limites de sa condition et à s’y épanouir par l’action. Loin d’être un
ncity

« divertissement », le travail donne à l’existence humaine un sens, une dignité.


:Aiva

Des thèses modernes


x.com
larvo
scho
univ.
Certes, Pascal n’a rien de « moderne » lorsqu’il tente de formuler des « preuves
de la religion chrétienne ». Mais il l’est par le tableau qu’il brosse de la
condition humaine. « L’ennui », l’inquiétude métaphysique qui ronge l’homme,
annonce le mal du siècle des romantiques, le spleen baudelairien. L’absurdité de
la condition humaine privée de sens annonce les grands courants de l’absurde du
XXe siècle, de l’existentialisme notamment.

Pascal : un écrivain-métaphysicien
Pascal est un métaphysicien ; il ne se préoccupe pas des questions politiques,
sociales ; il ne s’intéresse qu’à la condition humaine et au sens de l’existence.
Styliste classique, il peaufine son écriture en tirant toute la puissance des
ressources de la langue. Comment ne pas admirer son extraordinaire définition de
l’univers : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout la circonférence
nulle part » ? Les mots qui suivent « sphère », et qui sont censés la définir, la
nient. L’univers n’est pas sphérique, n’a pas de centre. Voilà qui est précurseur, et
qui ruine, en quelques mots, l’héliocentrisme copernicien. Copernic, Galilée,
9
8206

Kepler « prouvent » que le soleil, et non la terre, est au centre du monde : Pascal
leur rétorque que l’univers, infini, ne peut avoir de centre.
6883
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:Aiva
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univ.
Chapitre 5
La pensée anglaise

L’Angleterre joue un grand rôle dans les idées occidentales au


XVIIe siècle. La Réforme religieuse l’affranchit du contrôle de l’Église
romaine sur les productions intellectuelles ; de plus, la monarchie
anglaise garantit une certaine liberté d’expression. Les Lumières
françaises du XVIIIe siècle s’inspireront beaucoup de la pensée 9
8206

anglaise du XVIIe siècle.


6883
1.1:1

Bacon
51.4
:41.2

Chancelier et philosophe
3944

Homme politique important, Francis Bacon (1561-1626) est chancelier à 57 ans.


8891

Attaqué pour son homosexualité, accusé de corruption, il connaît la disgrâce.


056:

Philosophe, il s’intéresse surtout aux sciences. Son œuvre majeure, La Nouvelle


logique, plus connue sous le titre latin le Novum organum (1620), affiche
0641

clairement la volonté de dépasser la logique aristotélicienne1.


:211
ncity

La science au service de l’humanité


:Aiva

Une vénération pour la science. Une découverte ne se justifie que si elle est utile
au bien-être des hommes. Le savant, animé par la charité, représente l’espérance
x.com

pour l’humanité. Il se met au service de ses semblables, il doit être honoré en tant
larvo

que tel.
scho
univ.
L’homme maître de la nature. « Le savoir, c’est le pouvoir [science is
power] ». Cette formule prend tout son sens par cette autre : « On ne commande à
la nature qu’en lui obéissant » ; la science découvre les lois de la nature, elle
confère par là un pouvoir sur cette même nature. « Obéir à la nature » ne fait pas
de l’homme le sujet de cette nature : « La nature est une femme publique, nous
devons la mater, pénétrer ses secrets et l’enchaîner selon nos désirs ». La
trivialité de la formulation traite la nature comme un objet livré au bon vouloir de
l’homme. Bacon devance le « rêve cartésien ».
La science indépendante de la religion. Dieu a écrit deux livres, la Bible et le
livre de la nature. Ces deux livres sont indépendants. Bacon défend, comme
Galilée qu’il connaît, l’autonomie de la recherche scientifique.

Une ébauche de la méthode expérimentale


« La chasse aux idoles ». La recherche scientifique doit se libérer des quatre
sources d’erreurs, les « idoles », qui compromettent son travail.
9
– « Les idoles de la tribu ». L’anthropomorphisme conduit à déformer le réel
8206

en lui prêtant des caractéristiques humaines.


6883

– « Les idoles de la caverne ». La subjectivité du chercheur, elle aussi


fallacieuse, doit céder la place à l’objectivité.
1.1:1

– « Les idoles du forum ». Deux tentations de tout discours sont perverses,


51.4

celle des phrases toutes faites qui enferment dans les préjugés, celle des
:41.2

belles paroles qui grisent et font perdre tout sens du réel.


– « Les idoles du théâtre ». Les philosophes construisent de grandes synthèses
3944

théâtrales, séduisantes, pour expliquer le monde. Or, les résultats d’une


8891

recherche, aussi aboutie soit-elle, sont condamnés à demeurer fragmentaires.


056:

« La chasse de Pan ». Les Grecs font de ce dieu des bergers une incarnation de
l’univers (« pan », le tout). Le savant part à la chasse aux faits, des faits qu’il
0641

analyse en vue de formuler une hypothèse scientifique.


:211

Le Novum Organum pose les fondements de l’empirisme : nos connaissances sont


ncity

fondées sur l’expérience.


:Aiva
x.com

Hobbes et Le Léviathan
larvo
scho
univ.
La vie de Thomas Hobbes (1588-1679) est consacrée à la réflexion et aux
échanges avec les savants et les philosophes européens. Son œuvre est dominée
par le Léviathan (1651).

La nature humaine
Hobbes refuse la conception grecque de l’homme « animal politique ». Par nature,
l’homme n’est pas sociable, il est égoïste. Il est animé par un instinct
d’affirmation de soi, en latin « conatus », en anglais « endeavour » : l’intérêt
personnel, la passion et l’insatisfaction font désirer toujours davantage pour soi.

L’état de nature
Cet état de nature n’a pas historiquement existé, c’est une fiction méthodologique
par laquelle Hobbes explique pourquoi les hommes vivent en société organisée et
ce qu’ils en attendent. Dans un état de nature, chacun, animé par un profond
orgueil (« pride »), veut surpasser ses semblables en leur imposant sa supériorité.
8206
9
Mais chacun vit aussi dans la crainte permanente d’être tué ou asservi. Dans un
état de nature, « la guerre de tous contre tous » est permanente, et « l’homme est
6883

un loup pour l’homme », traduction d’une formule de Plaute : « Homo homini


1.1:1

lupus ». Cette loi de la jungle généralisée engendre une peur qui finit par
triompher de l’orgueil. Pour conserver son intégrité et sa vie, chacun appelle de
51.4

ses vœux une société qui lui garantisse la sécurité. C’est donc par égoïsme, pour
:41.2

satisfaire ses intérêts personnels, que l’homme vit en société.


3944

L’état de société
8891

Un contrat original : le « Common-Wealth ». Ce « contrat » engage chaque


056:

individu qui accepte de devenir sujet. Il s’en remet totalement à l’autorité d’un
0641

souverain, lequel dispose d’un pouvoir absolu pour imposer sa loi. Ainsi, la
communauté est réalisée et la paix garantie. Ce « contrat » ne stipule en rien une
:211

délégation du pouvoir, c’est un abandon du pouvoir au Léviathan.


ncity

Le Léviathan, un État fort. Dans le Livre de Job de la Bible, le Léviathan est un


:Aiva

monstre marin. Hobbes en reprend l’image et, sur le frontispice du livre, il est
dessiné sous la forme d’un géant couronné, dont le corps est formé d’êtres
x.com

humains conglomérés. Il tient dans une main une crosse d’évêque et dans l’autre
larvo

un glaive : le Léviathan dispose de la totalité des pouvoirs, aussi bien spirituels,


scho
univ.
la crosse, que temporels, le glaive. Sa toute-puissance est indispensable pour
qu’il assure sa mission : perdurer pour maintenir un ordre stable qui garantisse la
paix et la sécurité.
Cet État fort n’est pas un État totalitaire. En effet, l’une des composantes du
totalitarisme est la terreur, un climat permanent d’insécurité, ce qui est l’inverse
de la sûreté que doit garantir le Léviathan. De plus, Hobbes justifie le droit à
l’insurrection puisque tout sujet qui serait menacé dans ses biens ou dans sa vie
par l’État a le droit de se défendre et de résister, l’État trahissant sa mission. Mais
ce n’est que pure hypothèse, car l’État-Léviathan n’a qu’un objectif, le bien
général. C’est pourquoi Hobbes le fait représenter sous la forme d’un corps qui
est un conglomérat d’individus : « Le roi est ce que je nomme le peuple ». En fait,
l’État-Léviathan fédère la volonté de tous et travaille au bien et à la sécurité de
chacun.

Portée de la philosophie politique de Hobbes


Une philosophie moderne. Alors que Bossuet en France affirme que l’autorité du
9
8206

souverain provient de Dieu, Hobbes soutient qu’elle provient des hommes et


6883

qu’elle est l’expression de leur volonté. La politique ne concerne dorénavant que


les hommes.
1.1:1

Le théoricien de l’État tout-puissant. L’État, dont le pouvoir est absolu, ne peut


51.4

pas se tromper parce que sa rationalité est au service de l’intérêt général. Hobbes
:41.2

annonce l’État prussien de Hegel et l’État socialiste de Marx.


Des valeurs modernes. L’autorité de l’État-Léviathan est limitée de fait par son
3944

devoir de défendre la sécurité de chacun ; le droit de résister s’exerce en cas de


8891

trahison de cette mission. Un État fort, mais limité par les droits des citoyens, les
bases de l’État moderne sont annoncées.
056:
0641
:211

Locke
ncity

« Entre Platon et Locke il n’y a rien en philosophie » selon Voltaire. John Locke
:Aiva

(1632-1704) s’intéresse à la philosophie en découvrant Descartes, mais sa


réflexion s’élabore en partie contre les thèses cartésiennes. Ses trois œuvres
x.com

importantes sont publiées en 1690.


larvo
scho
univ.
L’empirisme : Essai sur l’entendement humain
Le refus de l’innéisme. Locke réfute l’innéisme de Descartes. Si des idées innées
existaient, on rencontrerait des vérités universelles. Or, ce n’est pas le cas.
L’esprit est une « tabula rasa », « une ardoise vierge » ; avant d’entrer en
relation avec le monde, l’esprit ne contient rien. Toutes nos connaissances n’ont
qu’une seule origine : notre expérience. La raison qui est, non pas une idée innée,
mais une faculté innée, engendre des idées, des connaissances, en s’exerçant sur
l’observation des faits.
La portée de l’empirisme de Locke. Voltaire exprime son enthousiasme pour la
théorie de Locke dans sa treizième Lettre philosophique. Cette théorie est
effectivement neuve : Locke y affirme que la connaissance n’est pas la lecture
d’une vérité, mais qu’elle est une élaboration construite par l’intelligence humaine
à partir de son expérience. Conséquence essentielle : si l’homme n’a plus à se
conformer à une vérité préétablie, il devient responsable de sa vie, de son histoire
à édifier.
9
8206

La tolérance: Lettre sur la tolérance


6883

Les fondements de la tolérance. On ne peut pas réfuter des idées qui seraient
innées. L’innéisme conduit donc à l’intolérance. Mais comme l’innéisme est
1.1:1

erroné, la tolérance est fondée. Locke croit en un Dieu créateur, mais l’homme est
51.4

incapable de savoir qui est Dieu, ce qui justifie que les religions soient
:41.2

différentes, et respectables dans leurs différences. En outre, Locke distingue deux


sociétés, la société civile avec ses lois qui s’appliquent à tous, la société
3944

religieuse, librement choisie par l’individu, avec ses propres lois qui ne doivent
8891

pas empiéter sur celles de la société civile, prioritaires.


Les limites de la tolérance. Locke fixe quatre limites à la tolérance religieuse.
056:

Impossible d’accepter les fanatiques, ce serait nier la tolérance. Impossible


0641

d’accepter des dogmes contraires aux bonnes mœurs de la société civile.


:211

Impossible d’accepter les catholiques, les « papistes », parce que le pape est un
monarque absolu qui nie toute liberté aux croyants. Impossible enfin d’accepter
ncity

les athées parce que l’existence de Dieu est une évidence intellectuelle, et parce
:Aiva

que les engagements importants se prennent devant Dieu, ce qui contraint les
contractants et garantit une vie collective saine.
x.com
larvo
scho
univ.
Portée de l’œuvre. Cet ouvrage concerne d’abord l’Angleterre : le monarque
demeure le « chef » de l’Église anglicane, mais les thèses de Locke justifient la
cohabitation des nombreuses Églises réformées qui sont alors établies. Le refus
de tolérer les athées porte la marque de l’époque, un XVIIe siècle qui demeure
religieux. Mais Locke est surtout un pionnier de l’État laïque, il a plus de deux
siècles d’avance sur « la Séparation des Églises et de l’État » qui n’intervient en
France qu’en 1905. Garantir la liberté des consciences et assurer la cohésion
sociale, tels sont les fondements de l’idéal démocratique.

Le contrat social : deux Traités du gouvernement civil


L’état de nature. Il a historiquement existé et il représente une sorte de
perfection paradisiaque. La loi de la nature impose à l’homme des devoirs qui
sont autant de droits : le respect de la vie, des biens, des autres, la fidélité aux
engagements, le refus de la violence. Le droit à la propriété est également un droit
naturel. Propriétaire de sa personne, l’homme est tout normalement propriétaire
de son travail. 9
8206

L’état de société. Tous les hommes dans l’état de nature sont des propriétaires
6883

qui procèdent à l’échange de biens, ces échanges progressent avec la croissance


de la production. Un État, une société organisée, s’avère à un moment nécessaire
1.1:1

pour réguler les relations économiques. Le pouvoir repose alors sur le peuple. Un
51.4

contrat social fédère la société en une communauté citoyenne qui détient le


pouvoir et qui légitime l’autorité politique. Celle-ci a pour finalité de respecter et
:41.2

de faire respecter les droits naturels qui sont ceux de chaque citoyen. Elle
3944

s’exerce par des mandataires en séparant les pouvoirs exécutif et législatif, une
séparation qui est source d’efficacité et qui garantit les libertés. Les mandataires
8891

élus, sur le principe majoritaire, sont renouvelables. Le droit de contrôle sur ces
056:

responsables est effectif ; il peut aller jusqu’à la désobéissance civique en cas


0641

d’abus.
Portée de l’œuvre. Locke est le fondateur de l’individualisme libéral ; la société
:211

a pour but de défendre les droits et libertés individuels. En légitimant et en


ncity

garantissant le droit à la propriété individuelle l’État participe à la croissance


:Aiva

économique tout en redistribuant les richesses. Locke contribue également à


l’élaboration des droits de l’homme définis comme naturels et par conséquent
x.com

imprescriptibles. La « Magna Carta » de 1215, la « Petition of rights » de 1628,


« l’Habeas Corpus Act » de 1679, le « Bill of Rights » de 1689, tous ces textes
larvo

d’origine exclusivement anglo-saxonne qui définissent des droits, sont parachevés


scho
univ.
par Locke. Contrat social, libertés individuelles, séparation des pouvoirs, droit à
la désobéissance politique voire à l’insurrection, Locke définit les principes du
droit politique moderne.

1. L’Organon est un ensemble de traités de logique d’Aristote.

9
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Partie V
Le XVIIIe siècle

Le XVIIIe siècle voit l’aboutissement d’une mutation culturelle


initiée au XVIe siècle par la Renaissance humaniste. La raison
critique revendique toute liberté, elle s’impose face aux valeurs
séculaires de la tradition et de l’autorité. L’unanimité ne règne
toutefois pas entre les philosophes des Lumières ; les
9
divergences sont nombreuses et importantes, et les haines
8206

parfois passionnées.
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Chapitre 1
La philosophie des Lumières

Définition des « Lumières »

Une métaphore polémique


Dans la tradition platonicienne, la « Lumière » symbolise la connaissance. Dans
8206
9
la tradition judéo-chrétienne, elle symbolise Dieu. Les philosophes du
XVIIIe siècle reprennent cette métaphore dans une intention polémique. Les
6883

Lumières traditionnelles appartiennent à un univers transcendant : le monde des


1.1:1

Idées, le royaume céleste ; l’homme ne peut que souscrire à cette vérité qui lui
préexiste. Les philosophes sont animés par une volonté neuve, celle de s’éclairer
51.4

par la Lumière émanant de leur propre raison et de conquérir ainsi la liberté.


:41.2
3944

Une définition de Kant : « Sapere aude ! »


8891

Qu’est-ce que les Lumières ? (1784). Dans quelques essais regroupés sous ce
titre, Kant développe la définition suivante : « La sortie de l’homme de sa
056:

minorité, où il se maintient par sa propre responsabilité. La minorité, c’est


0641

l’incapacité de se servir de sa raison sans être guidé par autrui. Elle est due à
notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais
:211

d’un manque de courage et de résolution pour s’en servir sans être dirigé par
ncity

autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ta propre raison ! Tel est le
:Aiva

mot d’ordre des Lumières. […] De tous côtés on crie : ne raisonnez pas !
L’officier dit : exécutez ! Le prêtre dit : croyez ! Le financier : payez ! ». Cette
x.com

définition importante défend trois thèses.


larvo
scho
univ.
Une humanité manipulée. Le peuple est traité comme un enfant. Il obéit
aveuglément aux institutions que sont l’armée, la religion, l’État.
Un rationalisme. C’est par la raison que l’homme accède à la liberté, à la
maturité, et qu’il peut se libérer des jougs politiques et religieux. La raison est
fondamentalement une raison critique.
Une liberté à conquérir. L’homme accepte la sujétion par paresse. Il doit faire
preuve de courage pour conquérir sa liberté. Kant salue le combat des
philosophes, ils « osent savoir », ils prennent des risques, défient les autorités
pour améliorer le sort des hommes en diffusant les idées des Lumières.

Une métaphore européenne


« L’Enlightenment » anglais. Les Lumières anglaises s’expriment au
XVIIe siècle, notamment dans l’œuvre de Locke1. La gravitation universelle, quant
à elle, découverte par Newton (1642-1727) ruine l’idée d’un monde « stable ».
« L’Aufklärung » allemand. Les Lumières allemandes connaissent leur apogée
8206
9
avec l’œuvre de Kant. Frédéric II, roi de Prusse, se veut un souverain « éclairé ».
Admirateur des philosophes français, il fait venir Voltaire, et il confie à
6883

Maupertuis la tâche de réorganiser l’Académie de Berlin.


1.1:1

En France, contrairement à l’Angleterre et à l’Allemagne, les Lumières


s’expriment dans un contexte politique et religieux très hostile. Contestées, elles
51.4

sont l’enjeu d’un combat doctrinal âpre qui se développe dès 1715 et qui trouve
:41.2

sa concrétisation politique à partir de 1789.


3944
8891

Le philosophe, un homme engagé


056:
0641

Un engagement économique
:211

L’importance de la vie matérielle. Les philosophes se battent pour améliorer la


ncity

vie du peuple. Dans les volumes de « Planches » de l’Encyclopédie, Diderot


:Aiva

confère une place importante aux outils, aux machines et aux techniques. Ces
volumes, constitués de dessins et de schémas annotés, présentent les moyens de
x.com

contribuer aux progrès économiques.


larvo
scho
univ.
Voltaire à Ferney. De 1760 à 1778, Voltaire s’installe à Ferney, petit village près
de Genève. Par ses initiatives, le bourg connaît une véritable révolution
économique, tant agricole qu’artisanale, preuve que le peuple peut sortir de la
misère. Non sans autosatisfaction il note : « Un repaire de 40 sauvages est
devenu une petite ville opulente habitée par 1200 personnes utiles ».

Un engagement politique : le « despotisme éclairé »


Le despotisme éclairé est une théorie du XVIIIe siècle selon laquelle le monarque,
au pouvoir absolu, doit gouverner selon les lumières de la raison.
Voltaire et Frédéric II, roi de Prusse. Après avoir longtemps hésité, Voltaire en
1750 se laisse séduire par la carrière et la pension qui lui sont promises par
Frédéric II. Les débuts de la collaboration sont enthousiastes. Mais très vite la
brouille s’installe jusqu’à la rupture, très violente.
Diderot et Catherine II de Russie. L’impératrice achète à Diderot son immense
bibliothèque en 1765, tout en lui en laissant la jouissance durant toute sa vie.
9
Redevable, il accepte l’invitation de la tsarine en 1773 et il passe cinq mois à la
8206

cour russe. Cette expérience s’avère également un fiasco.


6883

Deux expériences ambiguës. Certes, elles montrent la volonté de Diderot et de


1.1:1

Voltaire de s’engager dans la vie politique de leur époque. Mais comment un


« despotisme » pourrait-il être « éclairé » ? Les « Lumières » de la raison fondent
51.4

la liberté, elles ne peuvent fonder l’absolutisme.


:41.2
3944

Un engagement moral : le philosophe combat l’injustice


8891

Voltaire et l’opinion publique. C’est à partir de 1762 – il a 68 ans ! – que


Voltaire se lance dans une série « d’affaires » dans lesquelles il se fait l’avocat de
056:

victimes d’injustices, en convoquant son immense réseau de relations.


0641

L’affaire Calas. Voltaire y met tout le poids de sa notoriété et il obtient la


:211

réhabilitation de Jean Calas, un protestant exécuté, injustement accusé d’avoir


assassiné son fils qui aurait voulu se convertir au catholicisme. L’audience de
ncity

cette affaire est telle que Voltaire devient « l’homme des Calas », et que, jusqu’à
:Aiva

sa mort en 1778, il se lance dans de multiples autres affaires. Le succès toutefois


n’est pas systématique comme le montre l’affaire suivante.
x.com
larvo
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univ.
L’affaire du chevalier de la Barre. En 1765, à Abbeville, le jeune chevalier de
la Barre est accusé d’avoir chanté des chansons paillardes au passage d’une
procession religieuse et de ne pas s’être découvert. Voltaire échoue dans sa
défense ; l’accusé est torturé puis décapité.

Portée de l’engagement des philosophes des Lumières


Le philosophe des Lumières annonce « l’intellectuel », dans l’acception que ce
mot prend avec Zola et l’affaire Dreyfus. Homme de lettres qui fait autorité,
homme des valeurs et des mots, il combat les injustices sociales.

Le combat politique des Lumières

Une remise en cause des valeurs politiques établies


9
Le refus des trois fondements de la monarchie. L’article « Autorité politique »
8206

de Diderot dans l’Encyclopédie s’ouvre sur : « Aucun homme n’a reçu de la


6883

nature le droit de commander aux autres ». Cet aphorisme remet en cause tout
pouvoir se justifiant par l’hérédité, la force, et le droit divin.
1.1:1

La contestation des ordres dominants, le clergé et la noblesse. Dans Le


51.4

Mariage de Figaro (1784) Beaumarchais est virulent : Noblesse, fortune, un


:41.2

rang, des places : tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ?
Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ». Voltaire fait du clergé
3944

sa cible favorite : « Nos prêtres ne sont point ce qu’un vain peuple pense ; notre
8891

crédulité fait toute leur science. »


056:

La remise en cause de l’inégalité des conditions. Dans son Discours sur


l’origine de l’inégalité (1755), Rousseau, par le titre de son essai, laisse
0641

entendre que l’inégalité n’a rien de naturel, comme on le dit depuis des
:211

millénaires, et qu’elle est donc susceptible d’être remise en question.


ncity

La défense de nouvelles valeurs politiques


:Aiva

Une valeur neuve : la liberté. Le mot « liberté » est un des leitmotive des
x.com

Lumières. Tous les hommes sont dotés de raison, cette raison fonde leur liberté.
larvo

Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) fait de la raison une qualité des
scho
univ.
peuples et non des seuls individus : « La vraie loi de l’humanité est la raison
humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre », ce qui fonde le
principe de la souveraineté populaire.

Des divergences importantes dans les régimes politiques


défendus
Voltaire « conservateur ». Paternaliste, Voltaire se défie du peuple. Dans
l’article « Égalité » de son Dictionnaire philosophique, il doute de cette valeur.
Dans le dénouement de Candide il refuse toute participation à la vie politique, un
refus qui conduit à un conformisme de fait.
Montesquieu monarchiste constitutionnel. Son modèle est le régime anglais, un
régime qui confère un pouvoir politique à la noblesse par la chambre des Lords,
comme au peuple par la Chambre des Communes. Il garantit aussi les libertés
fondamentales par une constitution.
Diderot républicain. Dans « Autorité politique » Diderot défend le principe du
9
« contrat fait ou supposé entre [les sujets] et celui à qui ils ont déféré
8206

l’autorité ». Ce contrat repose sur la souveraineté nationale et le droit des


6883

peuples à disposer d’eux-mêmes.


1.1:1

Rousseau républicain collectiviste. L’œuvre Du contrat social est d’une


importance telle qu’un chapitre lui sera consacré2.
51.4
:41.2
3944

Le combat religieux des Lumières


8891

Depuis la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685 par Louis XIV, le catholicisme


est plus que jamais religion d’État. C’est contre ce principe que les philosophes
056:

des Lumières s’insurgent unanimement. Mais leurs convictions religieuses


0641

personnelles s’avèrent très différentes, voire contradictoires.


:211
ncity

Une remise en cause systématique du catholicisme


:Aiva

Une religion qui relève de la superstition. Voltaire ne cesse de s’amuser de


miracles et de crédulités qu’il présente comme autant de stupidités ridicules.
x.com

Montesquieu ose le blasphème ; dans les Lettres persanes (1721), son personnage
larvo
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feint de s’étonner : « Tantôt il [le pape] lui [le roi] fait croire que trois ne font
qu’un, que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est
pas du vin, et mille autres choses de cette espèce ».
Une religion qui donne dans le fanatisme. Toute l’œuvre et la vie voltairiennes
sont animées par le combat contre « l’Infâme », le catholicisme et son
intolérance. Avant de signer ses lettres, Voltaire lance souvent l’invitation
« Écraser l’Infâme », une invitation qui peut se réduire à « Écrelinf ».
Une religion qui verse dans l’ingérence politique. L’intervention de l’Église
catholique romaine dans les affaires politiques françaises suscite la colère des
philosophes.

Des convictions religieuses très divergentes


L’athéisme de Diderot. En affirmant, dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage
de ceux qui voient (1749), « la matière pense », Diderot nie implicitement l’âme,
confesse prudemment son matérialisme et son athéisme, ce qui lui vaut une lettre
9
de cachet qui l’envoie au cachot.
8206

Le mysticisme de Rousseau. Rousseau se proclame profondément croyant :


6883

« J’aperçois Dieu partout dans ses œuvres ; je le sens en moi, je le vois autour
1.1:1

de moi ». Il revendique la liberté d’une foi en Dieu simple et naturelle.


La foi évangélique de Montesquieu. La lecture de l’Évangile n’a pas besoin
51.4

d’une Église retorse : « Les ecclésiastiques sont intéressés à maintenir les


:41.2

hommes dans l’ignorance ; sans cela, comme l’Évangile est simple, on leur
3944

dirait : “Nous savons tout cela, comme vous” ».


8891

L’ambivalence de la religion de Voltaire


056:

Une foi rationnelle. Deux alexandrins définissent la foi de Voltaire :


0641

« Ce monde m’embarrasse, et je ne puis songer


:211

Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ».


ncity

L’horloge est une métaphore qui, au XVIIIe siècle, exprime la complexité de


:Aiva

l’univers. Le Dieu dit « le Grand Horloger » de Voltaire est la cause première,


créatrice du monde, qui s’impose par la raison. Quant à la boutade « Dieu a créé
x.com

l’homme à son image, celui-ci le lui a bien rendu », elle dénonce avec ironie les
impasses de la théologie ; toute connaissance de Dieu est vouée à l’échec,
larvo

l’homme ne peut que prêter à Dieu des caractéristiques humaines.


scho
univ.
La religion traditionnelle nécessaire au peuple. Non sans cynisme, Voltaire
compose cet autre alexandrin :
« Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer », il le justifie ainsi :
« […] Et ton nouveau fermier
Pour ne pas croire en Dieu va-t-il mieux te payer ? »
Le peuple est d’autant plus enclin à suivre les lois qu’il croit en une punition dans
l’au-delà s’il ne respecte pas les règles. Autrement dit, la religion traditionnelle
est nécessaire pour maintenir l’ordre social. On comprend que Voltaire, à Ferney,
ait fait construire…une église !
Une foi rationnelle pour le philosophe, une religion traditionnelle pour le peuple,
cette aristocratie de pensée est très éloignée des valeurs égalitaires.

Le déisme
Tous les philosophes des Lumières qui demeurent croyants, qu’ils soient
rationnels ou mystiques, défendent une nouvelle forme de religion, le déisme ; elle
9
8206

consiste à croire en Dieu, mais en dehors de tout clergé, de toute religion


6883

institutionnalisée. La religion ne concerne que la relation du croyant à son Dieu, la


société n’intervient en aucune façon dans cette relation. La tolérance religieuse est
1.1:1

ainsi justifiée.
51.4

La pensée des Lumières pose les jalons des valeurs laïques qui animeront la
:41.2

démocratie française.
3944
8891

La défense de nouvelles valeurs


056:
0641

La défense des droits de l’homme


:211

Le droit à la paix. La guerre est unanimement condamnée. Damilaville, par


exemple, dans l’article « Paix » de l’Encyclopédie, oppose la honte de la guerre
ncity

aux bienfaits de la paix : « La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ;


:Aiva

c’est une maladie convulsive et violente du corps politique, il n’est en santé,


x.com

c’est-à-dire dans son état naturel, que lorsqu’il jouit de la paix ; c’est elle qui
donne de la vigueur aux empires. »
larvo
scho
univ.
Le droit à la liberté de pensée et d’expression. Les philosophes, qui sont
régulièrement censurés, réclament avec véhémence la liberté d’expression. Dans
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, le monologue de Figaro est truffé de
formules lapidaires dont la célèbre « Sans la liberté de blâmer, il n’est point
d’éloge flatteur », qui deviendra la devise du journal… le Figaro.
Le droit à la différence. Ce droit est lié au précédent. Il fait de la tolérance une
valeur essentielle. Voltaire se bat beaucoup pour cette valeur, en particulier dans
son Traité sur la tolérance (1763).

Le progrès
Dans une culture qui se laïcise, la vie sur terre devient la seule à prendre en
compte, il faut donc la rendre la plus heureuse possible, ce qui justifie la défense
du « superflu ». Voltaire joue à la fois du lyrisme et de la provocation dans « Le
Mondain » (1736) :
« Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde. 8206
9
Ah ! le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
6883

A réuni l’un et l’autre hémisphère ».


1.1:1

Tout ce qui contribue à améliorer la vie des hommes, tant matérielle


51.4

qu’intellectuelle ou morale, est défendu par les Lumières. Le progrès devient ainsi
:41.2

une valeur, une foi, comme en témoigne l’œuvre de Condorcet, Esquisse d’un
tableau historique des progrès de l’esprit humain3.
3944
8891

L’action, le travail
056:

Dans une culture qui se laïcise les hommes ne font plus dépendre leur sort de la
0641

Providence divine : Dieu ne conduit pas les hommes vers un but. Libres, ils sont
responsables de leur vie ; les actes qu’ils posent construisent leur existence. Dans
:211

une culture qui conteste les privilèges de naissance, la vie pour un individu ne se
ncity

joue plus selon les hasards de sa naissance, mais elle se construit selon ses talents
et son mérite. Les Lumières sont ainsi à l’origine de la valeur « bourgeoise » du
:Aiva

travail.
x.com

La raison
larvo
scho
univ.
Dans une culture qui se laïcise, la vérité n’est plus imposée de l’extérieur, elle est
élaborée par sa raison. Dans son article « Philosophe » de l’Encyclopédie,
Dumarsais définit le philosophe en opposition au chrétien, à l’avantage implicite
du philosophe : « La raison est à l’égard du philosophe ce que la grâce est à
l’égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine
le philosophe ». La raison est la vraie foi du philosophe.

Portée de la philosophie des Lumières


La philosophie des Lumières est une philosophie humaniste universaliste. La
raison qu’elle défend est une faculté inhérente à la nature humaine ; par
conséquent, les valeurs et les droits défendus par les Lumières sont valables pour
tous. Le terme « cosmopolitisme » est un mot des Lumières, il est utilisé
notamment par Kant. Les romantiques allemands s’insurgent dès la fin du
XVIIIe siècle contre cet universalisme ; ils y voient une volonté de colonisation
des esprits par les philosophes français.
9
8206

C’est aussi une philosophie humaniste parce qu’elle a foi en la nature de l’homme,
6883

non pas que cet homme puisse être parfait, mais elle le croit perfectible, ce qui
rend l’action et le progrès possibles. Saint-Just pense que « le bonheur est une
1.1:1

idée neuve en Europe ». « En Europe » parce que les États-Unis ont déjà fait leur
51.4

révolution qui fait du bonheur des citoyens un objectif politique. « Idée neuve »,
:41.2

d’un côté parce que le bonheur dont il s’agit n’est plus celui de l’au-delà, mais
celui sur la terre, de l’autre parce que le bonheur dont on se préoccupe n’est plus
3944

celui réservé à la seule élite des ordres dominants, mais celui de tous les
8891

individus.
056:
0641

1. Voir partie IV, ch.5.


2. Voir le chapitre 5 de cette partie.
:211

3. Voir le chapitre 4 de cette partie.


ncity
:Aiva
x.com
larvo
scho
univ.
Chapitre 2
Les philosophes majeurs des
Lumières françaises

Le chapitre précédent a fait une large place aux combats de


Montesquieu, de Voltaire, de Diderot, de Rousseau. On a pu déjà y
discerner ce qui les rassemble et ce qui les distingue. Chacun d’entre
9
8206

eux a légué un héritage qui lui est spécifique.


6883
1.1:1

Montesquieu
51.4
:41.2

Un aristocrate philosophe
3944

Charles-Louis de Secondat (1689-1755), baron de la Brède et de Montesquieu,


8891

est un noble de souche très ancienne. De ses origines, il conserve la haute


056:

conception d’une noblesse animée par le service de la patrie ; il condamne la


politique de Richelieu et de Louis XIV qui réduit cet ordre à une courtisanerie
0641

d’apparat. Président du parlement de Bordeaux jusqu’en 1726, ce grand


:211

travailleur se consacre entièrement, à partir de 1731, à l’élaboration de son


« grand dessein » : sa réflexion sur « la nature des lois et leurs rapports entre
ncity

elles ».
:Aiva
x.com

Lettres persanes
larvo
scho
univ.
Un roman épistolaire. Dans ce roman par lettres (1721), le lecteur passe d’un
narrateur à un autre ; il est ainsi confronté à une grande diversité de points de vue
qui lui livrent autant de vérités que de regards portés sur le réel.
La trame du roman. Deux seigneurs persans, Usbek et Rica, fuient Ispahan et
voyagent en France de 1712 à 1720. Ils écrivent leurs impressions de voyage à
leurs proches.
Une critique des mœurs, de la politique et de la religion françaises. Étrangers,
Rica et Usbek s’étonnent de ce qui pour les Français est habituel, « normal », ce
qui crée un registre propice à la satire. La fiction orientale est un voile,
transparent, qui met en question les institutions et les mœurs françaises. 1712-
1720, fin du règne de Louis XIV, début de la régence de Philippe d’Orléans : les
deux Persans découvrent notamment une monarchie fragilisée.
L’Orient est à la mode à l’époque. Ce roman est aussi un roman du sérail, celui
d’Usbek. Ce sérail, qui soumet les femmes au despotisme du maître secondé par
ses eunuques, est une métaphore du despotisme. Mais les femmes se révoltent :
une ébauche de réflexion sur la condition de la femme se profile. 9
8206

Le mythe des Troglodytes. Cet apologue, raconté dans quatre lettres, présente la
6883

démocratie comme une société idéale, mais qui exige de trop grandes qualités
morales et civiques. Les hommes, pusillanimes, préfèrent abandonner leur liberté,
1.1:1

se laisser conduire par un roi, un « juste », qui gère leurs vies.


51.4

La portée de l’ouvrage. Ce roman, violent à l’encontre des autorités établies,


:41.2

s’attaque même aux personnes du roi et du pape, qualifiées de « magiciens », de


« charlatans ». Œuvre très irrévérencieuse, elle n’échappe à la censure que parce
3944

qu’elle est publiée sous la régence du libéral Philippe d’Orléans.


8891

De l’esprit des lois


056:
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Montesquieu travaille près de 20 ans à ce vaste ouvrage. Lorsqu’il le termine


(1748), il est presque aveugle.
:211

Un dessein original. De Platon à Locke la pensée politique défend surtout des


ncity

idéaux. Montesquieu, lui, observe les faits, la réalité politique dans toute sa
:Aiva

diversité, les analyse, en vue de dégager la logique des organisations sociales et


politiques. Une cohérence profonde, un « esprit », régit les lois.
x.com
larvo
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