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Discours de la servitude volontaire, La Boétie :

commentaire
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Par Amélie Vioux

Voici un commentaire d’un extrait de Discours de la servitude volontaire de La Boétie.

L’extrait analysé va de « “Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres” »


jusqu’à « “un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre” » .

Discours de la servitude volontaire, introduction :


La Boétie écrit Discours de la servitude volontaire en 1547, alors qu’il n ‘a que 18 ans.

L’année 1547 est une année de transition : François Ier, qui avait entrepris une œuvre de
centralisation monarchique, meurt et Henri II prend le pouvoir.

A travers son Discours sur la servitude volontaire, La Boétie souhaite envoyer des
recommandations à ce nouveau Prince pour l’engager à une conception nouvelle de la
monarchie.

Questions possibles sur Discours de la servitude volontaire à l’oral de


français :

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♦ En quoi ce texte relève-t-il du courant humaniste ?
♦ Discours de la servitude volontaire est-il un texte antimonarchique ?
♦ Comment pourrait-on définir la philosophie politique de La Boétie ?
♦ Dans quel but La Boétie utilise-t-il la rhétorique dans ce texte ?
♦ Que reproche La Boétie à la monarchie et que prône-t-il ?

I – Un réquisitoire contre la monarchie


La Boétie fait un véritable réquisitoire contre la monarchie qu’il juge injuste et confiscatoire.
Le monarque est un voleur (A) et la monarchie une tragédie (B)

(NB : un réquisitoire est un discours accusateur tenu par le procureur dans le cadre d’un
procès)

A – Le monarque, un voleur

Dans Discours de la servitude volontaire, le roi est déprécié.

Le roi, qui est censé être un être exceptionnel, n’est mentionné qu’à travers des pronoms
démonstratifs sans être nommé ou spécifié : « “celui-là », « celui pour qui… et pour la
grandeur duquel” ».

Son corps, considéré comme sacré au 16ème siècle, est ramené à un corps quelconque à
travers le registre réaliste « “deux yeux, deux mains, un corps” ».

Ce vocabulaire surprend car à cette époque, seul le registre épique est toléré pour évoquer
le roi et ce dernier ne peut être comparé qu’à des êtres mythologiques. Or ici, le registre
est réaliste et le roi est diminué à travers une tournure restrictive « “Ce maître n’a pourtant
que …” ».

La périphrase « “ce maître ”» est elle aussi dépréciative car elle ramène le roi à une
fonction, un métier alors que ce statut relève normalement de l’élection divine.

Mais La Boétie va envore plus loin : il dresse du roi le portrait d’un voleur.

Le champ lexical du vol est très présent : « “pauvres gens misérables », « enlever sous
vos yeux », « piller », « dépouiller », « rien n’est plus à vous », « la moitié de vos biens »,
« larron qui vous pille », « ses pilleries” ».

Ce champ lexical du vol est mis en valeur par la démultiplication de l’adjectif possessif de
la deuxième personne du pluriel qui marque la propriété : « “votre revenu », « vos
champs », « vos maisons », « vos ancêtres », « vos biens », « vos familles », « vos
vies” ».

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Ces propriétés sont évoquées à travers une gradation : le Roi confisque les biens de son
peuple à travers l’impôt (« “vos revenus”« ), mais il vole aussi des biens immatériels comme
la vie (« “vos vies”« ).

Ce texte s’apparente donc bien à un procès dans lequel La Boétie accuse le roi.

On retrouve d’ailleurs dans le texte une rhétorique judiciaire, comme par exemple le
rythme ternaire suivi d’un rythme binaire au début du texte : « “Pauvres gens misérables,
peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal (1) et aveugles à votre bien ”(2) ! » .
(1) Le rythme ternaire est un crescendo classique dans la rhétorique judiciaire partant des
individus pour s’élargir aux nations.
(2) Le rythme binaire met en balance le mal et le bien comme le ferait un juge.

B – La monarchie, une tragédie

Dans ce texte, le registre pathétique est très présent, à travers notamment le champ lexical
du malheur : « “dégâts », « malheur », « ruine », « mort », « détruire », « indignités” ».

Les déterminants démonstratifs rendent encore plus présents et réels les éléments
pathétiques : « “ces dégâts, ces malheurs, cette ruine” » .

Si quelques termes caractérisent le peuple de façon épique (« “courageusement »,


« grandeur », « vous offrir vous-mêmes à la mort” » ), ils sont déconstruits par le terme
« boucherie » qui souligne qu’il s’agit d’un héroïsme inutile dont le roi est indigne (« “pour
qu’il les mène à la guerre, à la boucherie” » ).

Mais le plus tragique réside dans le fait que c’est le peuple lui-même qui est à l’origine de
cette souffrance. C’est ce que montre l’analyse grammaticale des pronoms personnels
« vous » :

♦ « “Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire »
♦ « Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille, les
complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes”»

Dans ces phrases, le pronom « vous » est tantôt sujet tantôt objet. Cette alternance
souligne que le peuple est à la fois sujet et objet de son malheur. Il s’enferme lui-même dans
une circularité tragique – celle de la servitude volontaire.

Transition : Ce réquisitoire contre la monarchie s’inspire aussi de la rhétorique du sermon


(= des prédications réalisées au cours de la messe).

II – Un sermon

A – Une rhétorique ecclésiastique

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On trouve dans cet extrait une rhétorique ecclésiastique (= propre à l’Église).

Tout d’abord, la situation d’énonciation met en œuvre un « je » qui, comme un directeur de


conscience, s’adresse à un « vous » omniprésent.

L’auteur cherche à bousculer son auditoire comme en témoigne l’apostrophe dépréciative :


« “Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres” » et la modalité
exclamative et interrogative très présente dans le texte.

Ensuite, on retrouve les étapes clés d’un discours rhétorique :


♦ L’exorde (début du discours rhétorique) : il s’agit de l’apostrophe initiale.
♦ La narration (deuxième partie du discours rhétorique) qui rappelle comment le peuple en
est arrivé à cet état de servitude.
♦ La digression qui apparaît à travers les 6 questions impliquant l’auditoire dans le discours.
♦ La péroraison (conclusion du discours) dans laquelle La Boétie exhorte le peuple à se
révolter comme le montre l‘impératif au début du dernier paragraphe : « “Soyez résolus à
ne plus servir”» .

B – La Boétie, un directeur de conscience

La Boétie se transforme donc en directeur de conscience qui cherche à sauver les âmes.

Le rythme ternaire omniprésent inscrit la trinité dans la stylistique du texte :

♦ « “Pauvres gens misérables, / peuples insensés, / nations opiniâtres»


♦ « Et tous ces dégâts, / ces malheurs, / cette ruine”»

La rhétorique religieuse se retrouve aussi dans images choisies, proches des paraboles
évangéliques : « “vous semez vos champs », « vous nourrissez vos enfants” ».

Le texte prend en outre une dimension morale à travers le champ lexical du plaisir qui
évolue vers la luxure : « “mignarder », « délices », « vautrer », « sales plaisirs” ».

Le roi est coupable des péchés capitaux et La Boétie montre qu’en acceptant sa
domination, le peuple s’éloigne des valeurs évangéliques.

La Boétie veut donc montrer au peuple sa responsabilité dans cette servitude et faire germer
en lui la volonté de reprendre en main son destin (« “seulement de le vouloir” »).

III – La philosophie politique de La Boétie


A travers cette exhortation à la révolte populaire, La Boétie répond à une question de plus en
plus posée à l’époque : quel est le meilleur gouvernement possible ?

A – L’Etat monarchique, un monstre

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La Boétie donne de l’Etat une image monstrueuse.

L’Etat est comparé à Argus, le géant de la mythologie grecque aux cent yeux : « “D’où tire-
t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ?” ».

La comparaison « “tel un grand colosse dont on a brisé la base” » rappelle le colosse aux
pieds d’argile dans la Bible, (« Daniel ») dont l’invincibilité apparente cache une grande
fragilité.

Ces comparaisons mettent en valeur la monstruosité de l’Etat monarchique qui vampirise


son peuple, s’en nourrit en n’ayant pour seule fin que lui-même.

L’omniprésence des propositions subordonnées exprimant le but souligne que les sujets
ne sont que des moyens au service de la puissance du Roi :
♦ « “afin qu’il puisse assouvir sa luxure[…]
♦ pour qu’il en fasse des soldats […]
♦ pour qu’il les mène à la guerre[…]
♦ afin qu’il puisse se mignarder dans ses délices […] afin qu’il soit plus fort »”

Aveugle au bien commun, l’Etat monarchique ne sert donc que son seul intérêt.

Il serait hasardeux de penser que La Boétie rejette la monarchie. En revanche, il souhaite


une monarchie qui ne soit plus de droit divin mais qui soit fondée sur le respect mutuel
entre le monarque et ses sujets.

B – La théorie naissante du contrat social


A l’époque de la Boétie, le pouvoir politique venait de Dieu, de manière héréditaire, dans
le cadre d’une monarchie absolue de droit divin.

La Boétie sort de ce schéma en posant la question « “A-t-il pouvoir sur vous qui ne soit de
vous-mêmes ? ”».

En songeant à un pouvoir qui serait issu du peuple (et non de Dieu), La Boétie anticipe les
théories du contrat social qui seront développées par Hobbes (17ème siècle) et Rousseau
(18ème siècle) selon lesquelles la société politique naît d’un contrat entre les hommes qui
acceptent de renoncer à certaines libertés en échange d’une protection de l’Etat.

La Boétie, dans ce texte, passe d’une conception pyramidale et hiérarchisée du pouvoir à


une conception contractuelle (= le pouvoir envisagé comme un contrat entre le peuple et
celui qui gouverne).

Discours de la servitude volontaire, La Boétie, conclusion :


La Boétie écrit en 1547 un texte d’une fascinante précocité.

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Il pose, à 18 ans seulement, les fondements de la théorie du contrat social qui sera mise
en place par des auteurs comme Hobbes au 17ème siècle et par Rousseau au 18ème
siècle.

Mais le chemin est encore long : ce texte virulent, écrit en 1547, sera publié clandestinement
en 1576 et oublié pendant plusieurs siècles avant d’être redécouvert au 19ème et 20ème
siècle.

Tu étudies Discours de la servitude volontaire de La Boétie ? regarde


aussi :
♦ Montaigne, « Des cannibales » (analyse)
♦ Montaigne, « Des coches » (analyse)
♦ Damilaville, article Paix (analyse)
♦ Montesquieu, Lettres persanes 24 (analyse)

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