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Explication linéaire n°15

Eléments de correction
Eléments d’introduction
•Ce texte a été écrit par Aimé Césaire, auteur emblématique du mouvement de la
Négritude, mouvement littéraire et politique regroupant des auteurs francophones
noirs, dont les revendications visent à défendre les valeurs et la culture noires. La
Négritude défend les valeurs des peuples noirs comme leur étant propres. Elle vise
à promouvoir la culture africaine, trop souvent victime du racisme engendré par le
colonialisme.
•Cet extrait est tiré de l’essai intitulé Discours sur le colonialisme, où l’auteur dresse
une critique du colonialisme en défendant l’idée que la colonisation n’est pas la
meilleure solution pour mettre en contact des peuples. Dans cet extrait précis, il
dénonce la violence de la colonisation. L’objectif de son discours est de persuader.
Eléments d’introduction (bis)

Problématique : Ainsi, nous nous demanderons comment le poète


Aimé Césaire, à travers une stratégie argumentative fondée sur la
persuasion, propose un pamphlet poétique et politique engagé.

Mouvements : Pour répondre à ce projet de lecture, nous diviserons le


texte en 3 mouvements :
- Lignes 1-6 : dénonciation des conditions des colonisés.
- Lignes 7-14 : la violence de la colonisation dans le rapport humain.
- Lignes 15 à la fin : Césaire, le porte-parole du peuple noir et de la
négritude.
Remarques essentielles pour le premier mouvement
•« Mais parlons des colonisés. (…) »

•Le texte s’ouvre sur la conjonction adversative « mais ». L’opposition est marquée d’emblée, et
Césaire s’apprête à nous mettre en face des yeux la réalité de ce qu’est le colonialisme. L’impératif
présent place le texte sous le signe de l’injonction, et donne le ton : l’auteur ordonne presque qu’on
aborde ce sujet. La métonymie « colonisés » permet aussi au lecteur de comprendre quel sera le
sujet : les victimes de la colonisation. Ce terme est fortement marqué par la dimension victimaire.
C’est en tant que victimes qu’il considère les personnes colonisées. C’est d’ailleurs tout le propos du
discours.

•« Sécurité ? Culture ? Juridisme ? »

•Cette énumération de courtes phrases interrogatives permet d’introduire les attentes que
pouvaient avoir les peuples colonisés. Ces courtes questions rhétoriques modalisent la déception.
Remarques essentielles pour le premier mouvement (bis)
•« En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et
colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la
formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires
subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes
nécessaires à la bonne marche des affaires. »
•Le participe présent produit un effet de déception. En effet, malgré les promesses faites,
les peuples colonisés sont toujours dans l’attente de changement. Les verbes de
perception et l’usage de la première personne du singulier font du poète Césaire un
spectateur de cette déception. Il y a donc une opposition entre les promesses faites et la
réalité.
Remarques essentielles pour le premier mouvement (ter)
•L’adverbe « partout » produit un effet de totalité et d’universalité. L’idée exprimée par Césaire est celle-ci : la
colonisation, où qu’elle ait eu lieu, est néfaste et mauvaise. La gradation ascendante produit un effet de
violence et témoigne de l’oppression dont sont victimes les colonisés. La montée en puissance dans la
gradation est ascendante : nous passons de la brutalité aux conséquences physiques de celle-ci, « le heurt
». Cette gradation ascendante permet de mettre l’accent sur l’atrocité de la colonisation. La deuxième
gradation ascendante crée un contraste avec la première. L’auteur évoque ici les attentes des colonisateurs :
former les peuples colonisés à divers métiers, pour encore plus les asservir. Le ton ironique, voire
sarcastique est perceptible dans ce texte, donnant ainsi un aperçu du point de vue de Césaire sur la
question. Il est dans une démarche de dénonciation : il dénonce l’oppression du colonialisme.
• Chaque argument, chaque promesse tenue (« Sécurité ? Culture ? Juridisme ? ») est réfutée ici par
l’auteur. Pas de sécurité mais de la violence, pas de culture mais une acculturation, pas de
juridisme mais la « formation hâtive » des peuples. Césaire est donc dans une stratégie
argumentative. Il démonte progressivement les arguments employés par les colonisateurs.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement
•« J’ai parlé de contact. »

•Le discours alterne entre phrases courtes et phrases longues. Après une phrase
complexe, réfutant les arguments des colonisateurs, l’auteur propose une phrase
simple pour introduire un autre pan de son argumentation. Ce choix de structure
des phrases peut faire référence à la tradition africaine de l’oralité. Par ce geste
littéraire, Césaire rend aussi hommage à sa culture.

•De plus le texte est découpé sous forme de strophes, ce que l’on pourrait
rapprocher de la poésie : démarche poétique au service du discours engagé.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement (bis)
• « Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée,
l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures
obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites
décérébrées, des masses avilies. »
• De nouveau une phrase longue. La négation restrictive met en avant l’affaiblissement de
la culture africaine, au profit de la culture européenne. Et Césaire dresse un constat
alarmant : la violence physique, morale et sociale règne. Le nom « corvée » fait
référence à l’époque de l’esclavagisme, et la condition servile des peuples noirs réduits
en esclavage par les européens. Il y a tout un champ lexical/énumération pessimiste qui
traduit le climat anxiogène et oppressant dans lequel vivent les colons. Le parallélisme
de construction produit un puissant effet, puisque Césaire poursuit son constat, qui est
fort sombre. De plus, nous pouvons remarquer des hyperboles : « des élites
décérébrées » : les colons européens ont un comportement qui, selon Césaire,
témoigne d’une potentielle ablation du cerveau. Toujours dans cette stratégie
argumentative, Césaire dénonce les injustices : les peuples colonisés sont réduits à une
basse condition. La paronomase « vol, viol » permet de jouer sur les sonorités pour
frapper l’esprit et provoquer l’adhésion. L’objectif est de persuader son lecteur.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement (ter)
•« Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme
colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument
de production. »

•Le déterminant indéfini « aucun » se pose comme étant l’affligeante conclusion de son observation : la
colonisation n’a pas permis de mettre en contact différents peuples. Le champ lexical de la servilité évoque
encore la condition des peuples noirs colonisés, au temps de l’esclavagisme. Ce champ lexical évoque le
temps passé, a priori révolu, mais qui pourtant perdure. Nous sommes face à une déshumanisation des
colonisateurs mais aussi des colonisés. Cela permet de défendre une idée forte : le colonialisme soumet le
colonisé, mais aussi le colonisateur. La stratégie argumentative de Césaire prend un autre tournant. L’argument
principal (oppression du colonialisme sur le colonisé) est élargi : le colonisateur se retrouve pris au piège de sa
propre entreprise.

•Cette violence et cette déshumanisation sont mises au service du geste poétique de Césaire. Le système
colonisateur est mauvais pour tout le monde, et chaque membre en devient un rouage.
Remarques essentielles pour le deuxième mouvement (quater)
•« À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. »

• Césaire résume ici, grâce à une formule mathématique, l’oppression mais surtout
la déshumanisation que produit le colonialisme. Invoquer une formule
mathématique, c’est invoquer un raisonnement et une logique irréfutables,
convaincants. Cette formule mathématique est, une fois de plus, un signe de la
stratégie argumentative et persuasive de Césaire. Le nom « chosification » produit
un effet déshumanisant.
Remarques essentielles pour le troisième mouvement
•« J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-
dessus d’eux-mêmes. »

•Nous avons ici une métaphore de la tempête pour évoquer le chaos à venir. De nouveau, une énumération des promesses faites.
Cependant, ces promesses sont reçues amèrement, et un ton où se mêlent sarcasme et déception est encore une fois perceptible.
•« Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de
religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. »

•L’emploi de la première personne vient contrebalancer le « on » de la phrase précédente. Césaire s’oppose aux « on dit », et
dresse un constat qui témoigne de son expérience et de ses sentiments. Constatons la série d’hypallages (figure de style qui
consiste à attribuer à certains mots d’une phrase ce qui convient à d’autres mots de la même phrase), qui vient accentuer l’impact
de la colonisation sur les peuples colonisés, et qui donne encore plus de poids à son discours. Le parallélisme de construction
avec la phrase supérieure permet aussi de faire une opposition entre les promesses faites par les colonisateurs, et le constat
désolant que dresse Césaire. Les hyperboles viennent mettre en avant la culture africaine, persécutée et mise à mal par la
colonisation. Ces hyperboles sont très vites rattrapées et cassées par ce champ lexical destructeur.

•De plus, nous retrouvons encore une longue énumération, propre à l’esthétique de Césaire, qui est mise au service de son
argumentation (donner plus de poids au discours).
Remarques essentielles pour le troisième mouvement (bis)
•« On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de
chemins de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan.»
•Nous pouvons ensuite relever une anaphore en « on » et en « moi je ». L’auteur continuera d’opposer les
idées colonialistes aux idées qu’il défend (anticolonialistes).
•« Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je
parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la
vie, à la danse, à la sagesse. »
•Omniprésence de la 1ère personne du singulier : le poète se pose en porte-parole. L’anaphore du verbe «
parler » montre aussi qu’il a le monopole de la parole ici, et qu’il cherche à user de ce pouvoir de la parole
pour dénoncer les idées colonialistes. Le groupe de mot « creuser à la main » souligne la pénibilité du
travail des personnes colonisées, et renvoie toujours à cette condition servile des peuples noirs,
anciennement esclaves. L’énumération qui vient clore le passage est propre à susciter l’empathie : le lecteur
est amené à compatir avec le peuple colonisé. Césaire joue sur le pathos : convoquer la compassion du
lecteur et évoquer les sentiments fait aussi partie de la stratégie argumentative pour persuader son lecteur.
Le participe passé joue aussi sur le pathos.
• De plus, l’énumération est assez forte et met l’accent sur la destitution des colonisés : tout leur a été retiré
(de leur croyance à leur terre, en passant par leur culture). Cette énumération conclut ce sombre passage
du discours : il ne reste rien aux peuples colonisés. La colonisation leur a tout pris.
Eléments de conclusion
• [Bilan] Ainsi, nous avons vu que dans ce texte écrit par Aimé Césaire, l’auteur dénonçait
les désastres engendrés par le colonialisme. Bien qu’étant un texte écrit, ce texte prend
la forme d’un discours, et la stratégie argumentative fondée sur la conviction
(détournement des arguments colonialistes) et la persuasion (sentiment, fibre poétique)
est mise au service de son objectif : faire valoir la culture africaine. Césaire nous propose
un pamphlet politique engagé, mais fait aussi preuve d’une prouesse poétique. Il y
dénonce la violence de la colonisation et les conditions de vie des colonisés. Et il se pose
comme le porte-parole de ce peuple, et comme figure emblématique de la Négritude
(apparaît en 1933), car il met en avant la culture africaine et se bat pour libérer le peuple
noir de l’oppression.

• [Ouverture] Pourquoi pas Léopold Sédar Senghor ? Cf. groupement de textes envoyé
pour le parcours associé « Ecrire et combattre pour l’égalité ». Sinon, Olympe de Gouges
!

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