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Victor Hugo

« Détruire la misère », Discours à l’Assemblée nationale, 9 Juillet 1849


Commentaire de texte

Auteur de romans (Les Misérables), poète (les Contemplations) voire pamphlétaire (Napoléon le petit), Victor
Hugo traverse le XIXe siècle par sa stature imposante dans le paysage littéraire, romantique notamment, ainsi que
grâce à son engagement politique (Les Châtiments). Période troublée de bouleversements sociaux, de révolutions
successives et d’agitation politique, le XIXe siècle verra nombre de figures littéraires s’investir dans le destin de leur
patrie. Pensons par exemple à la proclamation de la Deuxième République par Lamartine le 24 février 1848, après la
révolution qui avait mis fin à la monarchie de Juillet de Louis-Philippe. Monarchiste en sa jeunesse, Victor Hugo
deviendra peu à peu Républicain, et prendra même parti pour l'amnistie des communards : « Mauvais éloge d'un
homme que de dire : son opinion politique n'a pas varié depuis quarante ans. […] c'est préférer l'huître à l'aigle. ».
Donnant un discours à l’Assemblée nationale le 9 juillet 1849, l’auteur défend une proposition sociale du catholique
Armand de Melun. Dans quelle mesure la rhétorique de l’auteur s’adresse-t-elle à la fois à l’intellect et aux
sentiments des hommes politiques ? Il s’agira tout d’abord d’évoquer l’orateur hors pair qu’est Victor Hugo, avant
d’expliciter son programme humaniste.

I. Un orateur hors pair

1. Une voix dans l’hémicycle


Il s’agit tout d’abord d’un discours délibératif : il porte sur des mesures à prendre pour le bien public, dans le
futur. Victor Hugo s’adresse à son auditoire en son propre nom, d’où l’usage du pronom personnel « je », pour
s’impliquer dans son propre discours. Il interpelle l’audience par l’apostrophe « Messieurs », et le pronom personnel
« vous » de deuxième personne. La situation d’énonciation est claire, avec le présent d’énonciation : « Vous le voyez,
messieurs, je le répète en terminant ». Il s’agit d’ailleurs d’un véritable discours, prononcé à l’Assemblée nationale,
en témoignent le titre et la date précise, « le 9 juillet 1849 ». Nous pouvons déceler des marques d’oralité, par les
interjections et les exclamatives : « Eh bien ! ». Des italiques peuvent même transmettre les réactions orales de
l’auditoire, sous forme de discours direct : « Très bien ! Très bien ! » ; « C’est vrai ! c’est vrai ». On imagine aisément
l’actio qui était utilisée par l’orateur, appuyant de ses gestes chacun des mots prononcés. « L’orateur descend de la
tribune » : sa position est surplombante lors du discours.

2. Un rhéteur enflammé… (pathos)


Son ethos est très fort, Victor Hugo est déjà à l’époque un écrivain et un homme politique reconnu. Il n’est
pas qu’un homme de mots, puisqu’il s’exilera (à Jersey puis Guernesey) après le coup d’Etat de Napoléon III du 2
décembre 1851. Pensons aux Châtiments. Il emporte d’ailleurs la « Vive et unanime adhésion » du public. L’Elocutio
n’est pas en reste, grâce à l’utilisation de nombreuses figures de style. Par exemple, l’auteur dénonce le système
économique et son « usure », comparée par métaphore à un « monstre qui dévore nos campagnes » (métonymie).
Ou encore : « c’est l’anarchie qui ouvre les abîmes, mais c’est la misère qui les creuse » : métaphore filée du gouffre
(« ténèbres », « souterrainement »), permettant d’analyser les causes des déstabilisations politiques ; la phrase est
au présent gnomique. Son discours est emphatique par ses nombreuses répétitions : « Vous n’avez rien fait, rien
fait ». Son harangue utilise donc le pathos (émouvoir, movere), mais aussi le logos : « ce n’est pas seulement à votre
générosité que je m’adresse, c’est à votre sagesse », « réfléchir ». Il persuade et convainc tout à la fois en faisant
appel aux sentiments et à la raison.

3. … mais clair comme de l’eau de roche (logos)


La dispositio classique est parfaitement respectée. Son exorde compare tout d’abord la misère à une
maladie, « une lèpre », qu’il se propose de détruire : « comme je vous le disais tout à l’heure ». S’ensuit la
description de cette misère dans le peuple, avant la péroraison suivante (« je le répète en terminant »). Son
argumentation est directe, sa thèse explicite, et il présente ses arguments de façon claire, tout en les reformulant
par moments : « l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique » (l’histoire est vouée à se répéter si
rien n’est fait pour améliorer la condition des travailleurs) forme un parallélisme avec la formule suivante :
« l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux ».
II. « Détruire la misère »

1. Une polémique sans gêne…


Hugo commence par flatter – faussement – son auditoire (dyasirme, sans intention moqueuse de sa part
néanmoins ici) : « Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir » (parallélisme) ;
« avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toute les forces vives du pays » (gradation élogieuse) ;
« Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation
même. » (idem, gradation élogieuse, qui va jusqu’à l’hyperbole en évoquant la « civilisation » sauvée). Néanmoins, le
propos se veut polémique, il veut faire réagir l’Assemblée. Il utilise ainsi l’antithèse : « Vous avez fait une chose
considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait ! » (ensuite répété en anadiplose). Cela fonctionne, puisque sont
retranscrites les réactions du public grâce à des parenthèses dont la typographie se démarque du reste du discours
par l’italique, à la manière de didascalies : « (Mouvement) ». La dernière phrase sonne à la manière d’une
épiphrase (partie de phrase qui paraît ajoutée spécialement en vue d’indiquer les sentiments de l’auteur ou du
personnage) : « Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère ! » (opposition
passé composé / impératif de conseil pour le futur). C’est un impératif de conseil qu’il utilise alors, souhaitant
améliorer le sort du peuple français : « songez-y ».

2. … pour une politique plus humaine


Son anaphore avec « Vous n’avez rien fait » développe le point de vue de l’auteur sur la misère en France, et
l’obligation morale de l’Etat envers le « peuple » qui « souffre ». Il engage en ce sens le champ lexical de la
politique (« État », « le gouvernement légal », « les institutions », « l’anarchie », « les lois ») ; celui du
peuple (l’énumération « aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur »,
succession d’adjectifs mélioratifs pour qualifier le peuple) ; et celui de l’empathie : « générosité », « fraternelles »,
« évangéliques »., « cœur ». Répétant la locution conjonctive « tant que », il explique point par point les étapes à
franchir, les solutions à apporter avant de prétendre être parvenu à une véritable politique sociale. « (Bravos à
gauche.) » : Hugo vient d’évoquer le point essentiel de son argumentation, la souffrance du peuple, aussi cela trouve
un écho favorable à la gauche de l’hémicycle, au sein des socialistes. Des périphrases désignent le peuple travailleur :
« ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent », puis ceux qui sont en âge d’être en retraite : « ceux qui sont
vieux et qui ne peuvent plus travailler ». Ces deux tranches d’âge méritent toutes deux le « pain » puis « l’asile »,
métonymies désignant le juste fruit de leur labeur et le soin que toute société doit apporter à ses anciens. Ainsi Hugo
porte-il, comme souvent dans ses œuvres, une attention accrue aux classes basses, aux défavorisés. Tout son propos
est de faire comprendre que le seul terreau fertile pour une République stable, que les extrêmes politiques ne
viendront pas désorganiser et troubler, est celui qui traite convenablement son peuple, qui le nourrit, le loge,
entretient pour lui des conditions de vie décentes : « tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre
moral consolidé ». « tant que le peuple souffre » : la phrase est au présent d’actualité, d’énonciation. Un état de fait
misérable et indigne, qu’il espère modifier par la portée de sa parole.

Ouvertures
« J’aime l’araignée »

(Histoire)
« Je ne suis plus vendéen de coeur, mais d'âme seulement. ». Il sera donc, tour à tour, soutien exalté de la
monarchie légitime, sous Louis XVIII et Charles X. Puis, la monarchie de Juillet trouvera grâce à ses yeux, jusqu'à lui
faire franchir le pas de la politique active. C'est comme pair de France, nommé par Louis-Philippe, qu'il découvre et
éprouve ses talents d'orateur. Les dés roulent et la République, née de la Révolution de 48, le voit s'engager plus
avant et briguer avec succès les suffrages des électeurs. D'abord partisan de Louis-Napoléon Bonaparte, il soutient sa
candidature à l'élection présidentielle, avant le coup d’Etat qui verra son exil.
Révolte ouvrière des « Journées de Juin » en 1848, contre la fermeture des ateliers nationaux, matée dans le sang
par Cavagnac et la République.
Mars 1849 : Proudhon condamné à trois ans d’emprisonnement pour ses écrits contre Louis-Napoléon Bonaparte.
Mai 1849, victoire du parti de l’Ordre (droite) aux élection de l’assemblée législative.
Melun : catholique social.
Juin 1849, journées révolutionnaires à Paris, menées par Ledru-Rollin (contre l’aide apportée par la France au Pape
Pie IX contre le républicain Guiseppe Mazzini), écrasées par l’armée. Paris en état de siège.

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