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Le contexte politique
Les premiers mots du roman, « vers la fin du mois d’octobre dernier », en lien avec
l’allusion à la « révolution de juillet » au cours du banquet chez le banquier Taillefer,
nous permet de dater le début de l'action du roman, l’année 1830. Le récit
rétrospectif de Raphaël à Émile nous fait remonter, lui, trois ans en arrière, avant
même sa rencontre avec Fœdora, « La femme sans cœur ». C’est donc sous la
Restauration en un temps contemporain à celui de l’écriture que se situe le
roman. : il s’inscrit dans la situation politique perturbée du début du siècle.
La Révolution
L'Empire
L’Empire, qui s’est achevé en 1815 avec la chute de Napoléon, a laissé, lui, l’image
d’un temps glorieux : « Hé ! mon cher, au moins Napoléon nous a-t-il laissé de la
gloire ! criait un officier de marine qui n’était jamais sorti de Brest. » Mais, à
nouveau, la présentation du locuteur est ironique, et il ne reste que la désillusion
pour marquer le début du siècle : « — Ah ! la gloire, triste denrée. Elle se paye
cher et ne se garde pas. », lui riposte un autre convive.
La Restauration
La conséquence immédiate d’une constitution est l’aplatissement des intelligences. Arts, sciences,
monuments, tout est dévoré par un effroyable sentiment d’égoïsme, notre lèpre actuelle. Vos trois
cents bourgeois, assis sur des banquettes, ne penseront qu’à planter des peupliers. Le despotisme
fait illégalement de grandes choses, la liberté ne se donne même pas la peine d’en faire légalement
de très petites.
La monarchie de Juillet
Mais la limitation des libertés et des droits civiques conduit aux "Trois
Glorieuses", trois jours d’émeute en juillet 1830, qui font passer le pouvoir
royal aux mains de Louis-Philippe, le "roi-citoyen" qui promulgue une nouvelle
"Charte".
Aucun réel écho à cette révolution dans le roman, mais la place prise par l’argent
fait écho à la volonté du roi de favoriser l’enrichissement des notables et
d’établir une prospérité dans le pays, seule solution pour promouvoir la paix
sociale, reproduite par ce constat d'un convive : « Aujourd’hui, notre société, dernier
terme de la civilisation, a distribué la puissance suivant le nombre des combinaisons,
et nous sommes arrivés aux forces nommées industrie, pensée, argent, parole. Le
pouvoir n’ayant plus alors d’unité marche sans cesse vers une dissolution sociale qui
n’a plus d’autre barrière que l’intérêt. »
Le rôle de l’Église
L’Église, soutien de la monarchie absolue dite "de droit divin" et combattue lors de la
Révolution, a peu à peu regagné sa puissance aux côtés des « Ultras ». Sur ce point
aussi la position de Balzac est ambiguë. S’il a été éduqué dans un collège
religieux, sa famille n’accorde que peu de place à la religion, et lui-même s’affirme
d’abord athée et matérialiste.
— Nous devons au Pater noster, répondit Raphaël, nos arts, nos monuments, nos sciences peut-
être ; et, bienfait plus grand encore, nos gouvernements modernes, dans lesquels une société
vaste et féconde est merveilleusement représentée par cinq cents intelligences, où les forces
opposées les unes aux autres se neutralisent en laissant tout pouvoir à la civilisation, reine
gigantesque qui remplace le roi, cette ancienne et terrible figure, espèce de faux destin créé par
l’homme entre le ciel et lui. En présence de tant d’œuvres accomplies, l’athéisme apparaît comme
un squelette qui n’engendre pas. Qu’en dis-tu ?
— Je songe aux flots de sang répandus par le catholicisme, dit froidement Émile. Il a pris nos
veines et nos cœurs pour faire une contrefaçon du déluge. Mais n’importe ! Tout homme qui
pense doit marcher sous la bannière du Christ. Lui seul a consacré le triomphe de l’esprit sur la
matière, lui seul nous a poétiquement révélé le monde intermédiaire qui nous sépare de Dieu.
Cette conception est confirmée dans Le Médecin de campagne, en 1833 : « la religion
est le seul contrepoids vraiment efficace aux abus de la suprême puissance, si le
sentiment religieux périt chez une nation, elle devient séditieuse par principe, et le
prince se fait tyran par nécessité. » Mais alors même qu’il est terrifié par sa mort
proche, à aucun moment le héros de La Peau de chagrin ne fait appel à un
prêtre. Bien au contraire, face au portrait du Christ peint par Raphaël, loin de s’en
remettre à « la douce sérénité du divin visage », à laquelle il est pourtant sensible, le
personnage choisit la promesse matérialiste de la peau de chagrin. Et,
quand sa mort lui apparaît dans toute son horreur, ce n’est pas à un prêtre qu’il
s’adresse, mais aux savants, en vain d’ailleurs.
Le contexte social
Mais l’écart social est effacé dès lors qu’intervient l’argent, et dans le luxueux
hôtel particulier du banquier Taillefer se mêlent des jeunes gens issus de la noblesse
et d’autres, bourgeois, parfois artistes, souvent sans fortune : ils profitent de leur hôte
« qui dépense deux mille écus pour un dîner », dont Balzac décrit longuement le
faste, mets raffinés, vaisselle et verrerie précieuses, linge fin...
La table fut couverte d’un vaste surtout en bronze doré, sorti des ateliers de Thomire. De hautes
figures douées par un célèbre artiste des formes convenues en Europe pour la beauté idéale,
soutenaient et portaient des buissons de fraises, des ananas, des dattes fraîches, des raisins
jeunes, de blondes pêches, des oranges arrivées de Sétubal par un paquebot, des grenades, des
fruits de la Chine, enfin toutes les surprises du luxe, les miracles du petit-four, les délicatesses les
plus friandes, les friandises les plus séductrices. Les couleurs de ces tableaux gastronomiques
étaient rehaussées par l’éclat de la porcelaine, par des lignes étincelantes d’or, par les découpures
des vases. Gracieuse comme les liquides franges de l’Océan, verte et légère, la mousse couronnait
les paysages du Poussin, copiés à Sèvres. Le budget d’un prince allemand n’aurait pas payé cette
richesse insolente. L’argent, la nacre, l’or, les cristaux furent de nouveau prodigués sous de
nouvelles formes […]
Dans les mêmes salons, dans les mêmes théâtres, les lieux parisiens à la mode, se
retrouvent la baronne de Nucingen, la comtesse de Restaud, la comtesse Fœdora,
mais aussi les courtisanes sans naissance, Euphrosie et Aquilina, entretenues par de
riches amants. L’argent se dépense sans compter, l’essentiel est d’en
acquérir, par tous les moyens, comme l’explique Rastignac à Raphaël :
La dissipation, mon cher, est un système politique. La vie d’un homme occupé à manger sa
fortune devient souvent une spéculation ; il place ses capitaux en amis, en plaisirs, en protecteurs,
en connaissances. Un négociant risquerait-il un million ? pendant vingt ans il ne dort, ni ne boit,
ni ne s’amuse ; il couve son million, il le fait trotter par toute l’Europe ; il s’ennuie, se donne à tous
les démons que l’homme a inventés ; puis une liquidation le laisse souvent sans un sou, sans un
nom, sans un ami. Le dissipateur, lui, s’amuse à vivre, à faire courir ses chevaux. Si par hasard il
perd ses capitaux, il a la chance d’être nommé receveur-général, de se bien marier, d’être attaché
à un ministre, à un ambassadeur. Il a encore des amis, une réputation et toujours de l’argent.
Connaissant les ressorts du monde, il les manœuvre à son profit.