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LÉGITIMISTE OU
RÉVOLUTIONNAIRE ?
› Robert Kopp
Lectures contradictoires
Il existerait donc deux Balzac : celui qui dit haut et fort ce qu’il
pense et celui qui parle sans savoir ce qu’il dit. Par conséquent, il y
a toujours eu deux lectures de Balzac, une qui fait de l’écrivain un
légitimiste, l’autre un révolutionnaire. L’une qui prend au pied de la
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lettre les intentions affichées par l’auteur dans ses préfaces ou dans ses
articles de journaux, l’autre qui cherche dans ses romans des aveux qui
auraient pu lui échapper malgré lui. Ce qui ne signifie aucunement
que tous les conservateurs auraient fait de Balzac leur porte-drapeau,
suivant l’exemple de Barbey d’Aurevilly, de
Robert Kopp est professeur de
Bourget ou de Maurras, ni que les progres- littérature française moderne à
sistes le reconnaissent unanimement comme l’université de Bâle. Dernières
un des leurs en l’annexant à leur cause, publications : Baudelaire, le soleil
comme font Engels, Lukacs et la critique noir de la modernité (Gallimard,
2004), Album André Breton
marxiste. Les oppositions sont à l’intérieur (Gallimard, coll. « Bibliothèque de
de chacun des camps : les conservateurs hos- la Pléiade », 2008), Un siècle de
tiles à Balzac sont aussi nombreux, à com- Goncourt (Gallimard, 2012).
› robert.kopp@unibas.ch
mencer par certains de ses contemporain,
comme Alfred Nettement, puis Paul Thureau-Dangin, l’historien de
la monarchie de Juillet, sans parler du Vatican, qui a mis la Comédie
humaine à l’index, que ne le sont les progressistes, Eugène Sue en tête,
reprochant à Balzac de ne pas « dire la cause de toutes ces infamies si
admirablement peintes par lui » (2).
Et chacun d’invoquer en faveur de sa thèse un certain nombre
de textes ou d’essayer de montrer que Balzac, malgré son apparente
« conversion » au légitimisme, au lendemain de la révolution de Juil-
let, n’a pas totalement renié le libéralisme de sa jeunesse, ni son intérêt
pour les saint-simoniens ou les fouriéristes, et que malgré les ruptures
et les reniements, il existe toujours aussi des continuités. Ce que per-
sonne, en revanche, ne met en doute, c’est que les idées politiques
affichées par Balzac aient évolué, que de révolutionnaires, elles soient
devenues réactionnaires et que l’écrivain ait pensé, un moment, à
devenir député, voire ministre, du parti légitimiste.
Certains critiques voient dans ce changement l’influence de
M d’Abrantès, de la marquise de Castres ou encore de Mme Hanska,
me
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Balzac sait que le cours de l’histoire est irréversible. Il sait aussi que
les idées, en politique, sont moins importantes que les rapports de
forces. Le grand homme politique, à ses yeux, est celui qui dure, celui
qui arrive à maintenir son pouvoir tout en assurant le bonheur public,
le bonheur général étant solidaire de l’ordre et l’ordre lui-même soli-
daire de la stabilité du pouvoir. Peu importe, au fond, que cet homme
s’appelle Napoléon ou Louis XVIII. Le rapprochement semble éton-
nant. Il illustre pourtant parfaitement la « conversion » du comte Fon-
taine, le vieux Vendéen du Bal de Sceaux, qui, « invariable dans sa
religion aristocratique » en avait « aveuglément suivi les maximes ».
Ayant refusé les avances de Napoléon, il sollicite toutefois vainement
Louis XVIII à son retour, qui, pour se maintenir sur le trône, ménage
d’abord les puissances nouvelles. Ce n’est qu’après les Cent-Jours qu’il
assouplit ses positions en devenant un des favoris du roi.
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Les principes au nom desquels Balzac fait ici l’éloge de Louis XVIII
sont les mêmes qui l’avaient conduit, dans Physiologie du mariage, à
faire l’apologie du machiavélisme de Metternich, qui déclarait :
Dans les Deux Rêves, Balzac va plus loin encore, puisqu’il justifie,
dans un récit fantastique, il est vrai, et par la bouche de ses person-
nages, à la fois la Saint-Barthélémy, la révocation de l’édit de Nantes
et la Terreur, trois « crimes » commis au nom de la raison d’État, afin
de refaire l’unité du royaume (12).
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Et parmi les grands noms figure à cette époque Balzac qui, de sur-
croît, est le romancier préféré des femmes. Girardin signe donc avec
lui pour trois études de femmes.
La Vieille Fille raconte l’histoire de Rose Cormon, une demoiselle
d’Alençon qui ne voulait pas manquer le dernier moment de se marier,
car « la nature l’avait faite pour enfanter plusieurs fois ». Elle hésite
entre le chevalier de Valois, « une belle image des vieux restes du siècle
de Louis XV », autrement dit un débris de l’ancienne France, et le
sieur du Bousquier, « une belle image des gens qui ont fait des affaires
sous la République et qui sont devenus des libéraux sous la Restaura-
tion », c’est-à-dire un débris de la France nouvelle. Ne sachant pas lire
les mythes qui pourtant « nous pressent de toutes parts », « servent
à tout » et « expliquent tout », elle fait le mauvais choix en épousant
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11. Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, Études analytiques, in Œuvres diverses, tome XI, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 1053.
12. Récit publié le 8 mai 1830 dans la Mode puis, en décembre 1830, dans la Revue des Deux Mondes,
sous le titre « Le Petit Souper. Conte fantastique », et enfin incorporé dans les Études philosophiques, où
il constitue la troisième partie de Sur Catherine de Médicis.
13. Honoré de Balzac, la Comédie humaine, in Œuvres diverses, tome XI, op., cit., p. 450.
14. Idem, p. 452.
15. Sur cet événement capital pour l’histoire culturelle, voir Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty, 1836.
L’an I de l’ère médiatique : étude littéraire et historique du journal la Presse d’Émile de Girardin, Nouveau
Monde Éditions, 2001.
16. Samuel-Henri Berthoud, « Lectures du soir », dans le Musée des familles, fondé par Émile de Girardin
en 1833 comme pendant au Journal des connaissances utiles et qui servait de banc d’essai à la nouvelle
littérature industrielle, avril 1834.
17. Pour une étude détaillée des mythes modernes mis en place dans la Vieille Fille, je me permets de
renvoyer à mon édition commentée, Gallimard, coll. « Folio », 1978.
18. Honoré de Balzac, le Curé de village, la Comédie humaine, in Œuvres diverses, tome IX, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 805.
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