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Introduction 

Savinien Cyrano de Bergerac est un auteur libertin du XVII e siècle sa vie fut caractérisée par divers
déboires ainsi qu'une brève carrière militaire. Poète, dramaturge il a eu du mal de son vivant à faire
publier ses œuvres notamment ses deux romans d'anticipation (histoire comique des Etats et
empires de la lune et du soleil) ainsi que d'autres œuvres comme « L'histoire de l'étincelle ».
L’histoire comique des Etats et Empires de la lune et du soleil sont tous deux des romans
d'anticipation où l'exploration spatiale devient possible mais également cette œuvre et sous certains
aspects une utopie. Ces deux romans racontent l'histoire d'un voyageur qui va dans le premier roman
sur la lune et dans le second sur le soleil. Le récit se fait à la première personne. Dans ses œuvres
Cyrano se moque de sa société. Dans l’extrait qui est porté à notre analyse nous retrouvons le
personnage principal Dyrcona sur le soleil entrain de dialoguer avec une pie qui lui présente
l’organisation politique des oiseaux du soleil.

Problématique : De quelle manière Cyrano, au détour d’un apologue, présente une société
utopique ?

Cela nous amènera à voir dans un premier mouvement la critique acerbe de l’organisation politique
des hommes pour ensuite s’intéresser au modèle utopique des oiseaux du soleil ce qui nous amènera
dans un troisième et dernier mouvement à s’intéresser au pouvoir royal dans cette monarchie
utopique.

Mouvement 1 : Critique de l’organisation politique des hommes

Dès le début du texte, la pie et l’homme dialoguent. C’est une figure de style: la prosopopée. La pie
parle la même langue que l’homme puisqu’ils dialoguent, celle-ci est donc personnifiée. L’aigle est
également personnifié par le biais du verbe d’action « se vint asseoir ».

Nous remarquons donc que le début de cet extrait l’ancre dans le merveilleux. D’abord l’histoire se
déroule dans les « États et Empires du Soleil », étoile inexplorable du fait de son extrême chaleur, ici
plus précisément sur « les rameaux d’un arbre ». Le narrateur humain est en présence d’une pie et
d’un aigle. La pie et l’homme dialoguent. Le lecteur est donc plongé immédiatement dans la fiction.

L’intention spontanée du narrateur lorsqu’il rencontre l’aigle est de s’agenouiller devant lui. En effet
l’aigle est un symbole traditionnel de l’empire et de la force. Cette intention est exprimée par le
verbe de volonté « je voulus », le narrateur en donne clairement l’explication « croyant que ce fut le
roi ». Le participe présent « croyant » montre d’emblée l’erreur du narrateur.

La présence des guillemets et de l’incise contenant le verbe de déclaration indique que le récit fait
place au discours direct.

En bonne oratrice, la pie attise l’intérêt de son destinataire par le recours à une question rhétorique
qui lui permet de lancer sa longue interprétation.

Le champ lexical de l’erreur de jugement et du manque de lucidité se retrouve dans les termes : «
imagination », « cru » et « jugeant ». En effet la pie répond à sa question rhétorique en affichant son
mépris sans détour : par l’apostrophe « vous autres hommes » qui a une connotation péjorative, par
l’utilisation de l’adverbe insultant « sottement ». Par ailleurs nous pouvons noter que le pronom
personnel « vous » ne renvoie plus seulement à Cyrano mais le rend représentatif du genre humain.

Le narrateur critique ensuite explicitement: Le roi de France, par la gradation en rythme ternaire
constituée de trois superlatifs: « aux plus grands, aux plus forts, aux plus cruels ». Ce dernier adjectif
souligne le manque de justice du gouvernement français L’ethnocentrisme, par l’expression «
jugeant de toutes choses par vous » La loi du plus fort et de la soumission servile des Hommes, par «
que vous vous laissez commander aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels… »

« Mais », au début du deuxième paragraphe, est une conjonction de coordination qui exprime
l’opposition. Elle est employée également pour changer de paragraphe et exprimer une nouvelle
idée, un argument clair : « notre politique est bien autre ».

Mouvement 2 :L’organisation politique des oiseaux

Ici la conjonction « Mais » est renforcée par l’utilisation de l’adverbe d’insistance « bien », ce qui
différencie nettement le gouvernement terrestre de celui des États du Soleil. Il s’agit de montrer à
quel point les deux systèmes politiques sont opposés.

Pour mieux opposer les deux systèmes, la pie reprend la même structure de phrase mais remplace
chaque adjectif par son antonyme. Il s’agit ici d’un parallélisme antithétique de la présentation du
roi: d’un côté « plus grands », « plus forts », plus cruels » et de l’autre « plus faible », plus doux », «
plus pacifique ». Le contraste est d’autant plus frappant du fait de la proximité de ces deux
propositions.

À noter que la conjonction de coordination « car » annonce l’explication de la cause, de l’origine de


cette différence absolue. Les termes qui soulignent le pouvoir du peuple sont « nous le choisissons »,
« le changeons nous », « nous le prenons ». Même si l’on parle de « roi », on comprend alors qu’il
s’agit d’une démocratie républicaine car tout dépend du « nous ».

Le mandat de « six mois » du roi est une critique indirecte adressée à la monarchie absolue de droit
divin où le roi ne perd son titre qu’à sa mort. La pie explique l’adjectif « faible » prévoyant la question
du narrateur (ici porte-parole du lecteur étonné) grâce à la proposition subordonnée
circonstancielle de but introduite par « afin que ».

L’explication est surprenante car est donné la possibilité de se venger au peuple de tout tort subit
qui est d’ailleurs évoqué au conditionnel passé pour souligner l’hypothèse, l’irréel « aurait fait ».

Il y a deux figures de style dans la fin de la phrase: Une métaphore en apposition « canal de toutes
les injustices ». Une hyperbole: « toutes les injustices »

On perçoit d’abord un objectif moral: aucun sentiment négatif ne doit émaner du roi ou être tourné
vers lui. L’objectif premier ici est en réalité « d’éviter la guerre ». L’hyperbole « de toutes les
injustices » relevée précédemment montre un aspect utopique: supprimer la guerre ferait disparaître
le moindre souci d’équité dans le monde. Le pacifisme est donc lié à la justice et crée ainsi un
gouvernement idéal.

Le titre « gouvernement du bonheur » trouve ici son explication.


Mouvement 3 :Le roi, un citoyen comme les autres

La pie va dans ce dernier mouvement décrire précisément le fonctionnement du gouvernement.


D’abord une assemblée est convoquée dans la proposition « il tient ses états » (le jugement royal fait
donc partie intégrante de la politique intérieure de la République du Soleil) ainsi que sa périodicité «
chaque semaine ». L’importance de chaque individu est une nouvelle fois mise en valeur par
l’expression globalisante « tout le monde ». Chaque citoyen a la possibilité de dire ce qu’il pense du
roi, très régulièrement. La justice est la même pour tous, le roi subit la justice également. Il écoute les
plaintes et les critiques de tous les citoyens à son égard.

C’est le système démocratique qui est clairement évoqué ici avec la référence à une « élection ». Sur
tout un peuple, si « trois » sont « mal satisfaits », le roi est « destitué » de son « gouvernement ».
Une nouvelle fois l’accent est mis sur le pouvoir du peuple (désigné ici par le pronom indéfini « on »).
La faible marge d’erreur du roi est présente dans l’adverbe « seulement » et l’adjectif numéral «
trois ».

La description du positionnement du roi par les compléments circonstanciels de lieu « au sommet


d’un grand if sur le bord d’un étang » et le complément circonstanciel de manière « les pieds et les
ailes liés » permet de visualiser la scène et nous indique que le roi est privé de liberté du fait de ses
liens, il est exposé au jugement de ses sujets.

Nous assistons donc ici à la désacralisation de la personne du roi et à la démystification du pouvoir du


roi, qui n’est d’ailleurs jamais désigné avec la majuscule traditionnellement employée pour les
monarques européens. N’importe quel citoyen peut juger le roi coupable et le mettre à mort
immédiatement. L’expression globalisante « tous les oiseaux » montre une fois encore qu’aucun
citoyen n’est mis de côté. C’est une société ordonnée et respectueuse qui est présentée « l’un après
l’autre ». Un seul sujet du royaume peut accuser le roi du « dernier supplice ».

Les juges doivent être justes envers le roi. La justice n’est pas salie par les intérêts personnels. Tous
les citoyens apprennent à être aussi justes et aussi raisonnables que le roi. Notons que la « mort
triste » est une peine inconnue des Hommes et paraît obscure. La mort triste semble être un
pléonasme qui fait surgir des questions : la mort peut-elle ne pas être triste? Y aurait-il des formes de
mort plus tristes que les autres ?

Conclusion :

L’extrait présenté ici articule l’imaginaire et la réalité, la narration et la réflexion, il a la fonction de


l’apologue: par le détour de la fable, l’auteur rêve à un monde meilleur et critique le monde réel.
Cyrano de Bergerac critique alors le gouvernement de son époque et l’ethnocentrisme. C’est
pourquoi il nous présente l’utopie d’une république où tous les Hommes sont égaux, où chaque
citoyen a autant de poids que le roi.

Ce recours à des animaux personnifiés afin de critiquer indirectement la société contemporaine, le


pouvoir royal et la justice, fait évidemment penser aux Fables de La Fontaine.

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