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Jean-Claude Beacco

Les méthodologies d’enseignement :


le retour

Il est assez significatif que, à plus de trente ans de distance du Congrès Lend de Venise (octobre
1978), où ont été présentés les Niveaux seuils élaborés dans le cadre du Conseil de l’Europe, revien-
nent sur le devant de la scène des questions liées aux «bonnes» manières d’enseigner et donc aux
méthodologies d’enseignement. Curieusement, ce retour est à imputer à la diffusion d’un autre
instrument européen produit au sein du Conseil de l’Europe, le Cadre européen commun de réfé-
rence pour les langues (CECR, 1996 puis 2001) où, pourtant, les méthodologies d’enseignement ne
constituent pas une préoccupation principale.

Un nouveau contexte : l’exigence de clarification


Les causes de cette résurgence sont multiples et elles tiennent en général au nouveau contexte
sociétal dans lequel sont impliqués les enseignements de langue. Celui-ci est principalement carac-
térisé par le fait que la connaissance des langues n’est plus un signe de distinction aristocratique
et ou culturelle mais qu’elle est désormais banalisée en tant que composante clé de nombre de
professions. Cette nouvelle localisation des langues dans le capital professionnel a généré certaines
attentes de la part des utilisateurs, qui sont aussi souvent des clients ayant acheté des cours de
langues. Elle se traduit concrètement par une demande accrue d’efficience, laquelle a suscité la
création d’instruments de mesure comme les enquêtes PISA de l’OCDE (toujours très médiatisées
parce qu’elles prennent la forme finale d’un classement des états) ou de l’Indicateur européen qui
est destiné à évaluer les connaissances en langues des collégiens des états de l’Union européenne.
Elle a aussi amplifié la demande sociale de certifications en langues transparentes et équitables,
dans la mesure où les examens et les diplômes délivrés par les institutions éducatives ne permettent
pas d’appréhender aisément le degré de maîtrise des langues, car celui-ci est englobé dans un score
général et n’est pas établi, le plus souvent, suivant les normes et les procédures des certificateurs
professionnels. D’ailleurs, certains systèmes éducatifs font appel à des agences externes comme, par
exemple, le Goethe Institut, pour évaluer les compétences des élèves (dans cet exemple, la compé-
tence acquise en allemand par les élèves des collèges français).

Jean-Claude Beacco, xxxxx.

Les méthodologies d’enseignement : le retour 1


Cette exigence de fiabilité de l’évaluation des compétences en langues est, bien entendu, à
rapporter au marché de l’emploi mais elle peut aussi être interprétée dans une perspective moins
immédiatement fonctionnelle : une évaluation crédible ne peut être mise en place que si ce qui est
à évaluer est spécifié de manière aussi peu ambiguë que possible. Or, la clarification des objectifs
d’enseignement est aussi une condition de l’égalité des chances: elle devrait tendre à réduire les
disparités sociales qui se manifestent entre qui connaît l’agenda caché et qui l’ignore, si l’on admet,
après Bourdieu P. et. Passeron J.-C (1964) que l’école (en tout cas, l’école française) évalue aussi ce
qu’elle n’enseigne pas, ce qui est encore notable pour l’accès aux Grandes Écoles, où les étudiants
issus des milieux dits «défavorisés» réussissent moins bien, du fait de leurs résultats aux épreuves
de culture générale et de langues (résultats liés à la fréquentation des musées et aux séjours linguis-
tiques à l’étranger). L’absence de définition explicite des connaissances à acquérir et des résultats
à atteindre est source potentielle de discrimination. C’est cette préoccupation, cruciale pour les
enseignements de/en langue de scolarisation, qui a conduit, entre autres, à l’élaboration de la Plate
forme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle (2009). Elle est aussi
particulièrement sensible pour l’insertion des personnes migrantes adultes, dont les compétences
dans la langue du « pays d’accueil» mais aussi des connaissances et compétences de nature culturelle
sont susceptibles d’être évaluées pour l’obtention d’un titre de résidence ou pour l’accès à la citoyen-
neté: «[les instruments du Conseil de l’Europe] doivent être à même de garantir que les formations
[en langues destinées aux adultes migrants] sont effectives et qu’elles ne constituent pas une sorte
de concession faite, aux moindres frais, aux nouveaux arrivants. Ils devraient rendre plus difficile
que ces dispositifs conçus pour l’intégration ne soient détournés de leurs fins. Les langues fondent
un espace de communication humaine fondamental pour le vivre-ensemble démocratique et ce
serait plus que les pervertir que prétexter de leur diversité pour les instituer de facto en dispositifs
d’exclusion» (Beacco, 2008, p. 40).
Ces facteurs, dont la nature est pourtant bien différente (économique, politique ou éducative)
convergent. Ils tendent à interroger radicalement les enseignements de langues sur les relations
entre les buts fixés et les résultats atteints, que cette relation soit de l’ordre de la norme, du standard
ou de l’attente et donc sur la clarification de leurs objectifs. Cette exigence soulève de nombreuses
questions, s’agissant de connaissances et de compétences aussi complexes, multiformes et fluides
que la maîtrise d’une langue, et elle pousse donc les méthodologies d’enseignement dans leurs
retranchements.

La réception du CECR : innovations et inerties


Dans cette configuration la diffusion du CECR a donné une impulsion à la réflexion sur les
méthodologies d’enseignement, un peu assoupie sur quelques certitudes issues de la vulgate ordi-
naire de l’approche communicative. Mais cette dynamique s’est heurtée aux inerties habituelles des
pratiques d’enseignement établies.
On rappellera au préalable que le CECR n’est pas un dispositif réglementaire que les États sont
tenus d’utiliser. Il s’agit d’un instrument qui est proposé comme base pour assurer une meilleure
lisibilité des enseignements de langues. Il est à considérer comme un référentiel permettant l’éla-
boration de programmes différents mais comparables. Ni norme, ni modèle, le CECR décrit une «

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philosophie pratique» partagée pour l’élaboration des programmes et des parcours d’enseignement
et d’apprentissage des langues étrangères. La diffusion institutionnelle du CECR est ample mais
son adoption peut se réaliser de manière très variable. On peut se borner à s’y référer comme à un
ensemble de principes ou s’en prévaloir comme garant d’une certaine forme de qualité des manuels.

Niveau vs profil
L’emploi effectif du CECR consiste surtout en l’adoption de ses 6 niveaux (de A1 à C2), qui
ont été conçus pour constituer des repères permettant de baliser les parcours d’appropriation d’une
langue. Mais ceux-ci ont souvent été adoptés tels quels par les systèmes d’enseignement pour définir
les objectifs des programmes de formation, avec souvent le niveau B2 comme horizon à la fin du se-
cond cycle du secondaire en ce qui concerne la première langue étrangère apprise. Cette utilisation
apporte incontestablement de la clarté sur les connaissances et les compétences attendues et, en ce
sens, elle est une réponse à la demande sociale évoquée plus haut.
Mais ces choix standard ne sont pas totalement satisfaisants : ils privilégient la recherche d’une
maîtrise identique pour l’ensemble des compétences, alors que celles-ci ne s’acquièrent pas néces-
sairement au même rythme. Les compétences de production sont plus lentes à mettre en place que
celles de réception, tout comme celles qui relèvent de l’improvisation (interaction orale) par rapport
à celles qui impliquent de la planification (la production écrite, par exemple). Des utilisateurs/
apprenants-type A2, B1, B2… du français n’existent probablement pas si, par là, on définit des
apprenants disposant d’un degré de maîtrise identique pour toutes les compétences langagières et
culturelles concernées, ce qui peut s’avérer constituer une exception : la réalité sociale de la connais-
sance des langues montre plutôt que les locuteurs ne possèdent pas toutes les compétences et que
celles qu’ils possèdent ne le sont pas au même degré. Le locuteur A2 ou B2 est donc virtuel et le
niveau A2 ou B2 ne constitue pas nécessairement à lui seul, de manière compacte, un objectif de
formation.
De plus, le choix d’objectifs non diversifiés limite la souplesse curriculaire que cherche à promou-
voir le CECR (voir son chapitre 8 consacré aux scénarios curriculaires). Des objectifs spécifiés en
profil de compétences (comme A2 pour l’interaction orale, A1 pour la production écrite, B1 pour la
réception orale…) donnent de la souplesse aux programmes et ils légitiment des enseignements pour
lesquels peu de temps est disponible : pour un cours de 50 heures destiné à des débutants, un entraîne-
ment à la réception audiovisuelle est un objectif concevable alors qu’un niveau A1 intégral est le plus
souvent hors de portée. Et le CECR pose que toute forme de compétence, si minime et si sectorielle
soit-elle, est digne de reconnaissance sociale car elle est susceptible d’être définie.
Ces programmes par niveaux sont établis a priori sans que l’on ait pris soin de s’assurer empiri-
quement que les objectifs fixés sont atteignables dans le volume horaire prévu par l’institution. Les
niveaux du CECR tendent à être vidés de leurs contenus descriptifs précis et comme déréalisés : on
perd facilement de vue que la correction grammaticale en B2 est spécifiée par le descripteur suivant:
A un bon contrôle grammatical: des bévues occasionnelles, des erreurs non systématiques et de
petites fautes syntaxiques peuvent encore se produire mais elles sont rares et peuvent souvent être
corrigées rétrospectivement. (CECR, p. 90)

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On finit par les utiliser de manière lâche, en lieu et place des anciennes dénominations débu-
tant, moyen, avancé. Cette assimilation à des catégories bien installées chez les professionnels des
langues leur ôte bien évidemment toute pertinence.
Enfin, les niveaux du CECR se prêtent à surenchères qui les dénaturent. Ainsi le choix de B2
comme niveau à atteindre au terme du cycle secondaire peut résulter d’une analyse mais être tout
aussi bien produit par l’émulation avec l’institution concurrente ou le pays voisin. De la même
manière, les niveaux C1 et C2 proposés par les organismes de certification doivent être délivrés en
nombre suffisant, estiment les responsables de ces institutions, pour amortir leur coût de produc-
tion et surtout pour rendre manifeste qu’un apprenant peut « aller jusqu’au bout » et acquérir cette
compétence native qui est seule considérée comme satisfaisante, ceci en rupture avec la philosophie
éducative du CECR.
Une conception plus souple des programmes d’enseignement des langues aurait avantage à
tirer parti de la diversité des compétences à enseigner et des degrés de maîtrise à faire atteindre
dans celles-ci, de manière à organiser des parcours d’apprentissage des langues assez diversifiés pour
permettre une éducation plurilingue. Les emplois du CECR n’en sont pas encore là.

Une méthodologie actionnelle ?


À côté de ces persistances qui inscrivent les pratiques d’enseignement des langues dans la lon-
gue durée des évolutions culturelles, se font jour de pseudo nouveautés qui tendent à occuper le
devant de la scène. On entend dire qu’une nouvelle approche méthodologique serait née et que
cette approche méthodologique actionnelle, serait l’un des apports essentiels du CECR. C’est ignorer
ce que précise fort clairement le CECR lui-même: la perspective actionnelle n’est pas destinée à
donner naissance à une méthodologie d’enseignement car : «Le Conseil de l’Europe a pour principe
méthodologique fondamental de considérer que les méthodes à mettre en œuvre pour l’apprentis-
sage, l’enseignement et la recherche, sont celles que l’on considère comme les plus efficaces pour
atteindre des objectifs convenus en fonction des apprenants concernés dans leur environnement
social» (CECR, p. 110). Il n’y a donc pas d’ «enseignement selon le CECR» : la perspective action-
nelle est un cadre théorique général qui permet de décrire l’enseignement/apprentissage (et non les
méthodologies d’enseignement).
En fait, l’approche actionnelle se fonde essentiellement sur la notion de tâche, qui est une ca-
tégorie très large, servant à décrire des actions. Quand les tâches mettent en jeu du langage, elles
impliquent l’utilisation de stratégies spécifiques qui ont pour fonction d’assurer le traitement (en
réception, production, interaction, médiation) de textes oraux ou écrits: c’est l’ensemble tâches/
activités–stratégies–textes qu’il importe de ne pas dissocier pour organiser la classe de langue, puisque
toute tâche y implique des stratégies pour traiter les textes.
Le terme tâche comporte un sens de devoir faire, que ne comporte pas le terme activité. La néces-
sité de tâches langagières spécifiques se justifie alors par rapport à des besoins langagiers. Le CECR
continue la tradition de l’approche par tâche de l’enseignement (dite Task Based Langague Teaching
dans le domaine anglophone)1 qui est fondée sur des analyses de besoins langagiers. On ne disait
pas autre chose du temps de français fonctionnel (dans la période 1975-1985 environ): la définition
de tâches-cible à partir des utilisations prévisibles ou envisagées de la langue apprise permet de

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structurer les enseignements pour des publics spécialisés.
L’identification de telles tâches est malaisée dans bien des situations scolaires (enseignement obli-
gatoire). Pour que la réalisation de tâches fasse sens dans les contextes de type scolaire, il convient
d’adopter la pédagogie du projet (autre méthodologie éducative des années 80!), pédagogie de l’au-
tonomie qui vise à réduire les découpages disciplinaires, à créer de bonnes conditions d’exposition
et d’emploi de la langue en ne la fragmentant pas (grammaire, vocabulaire, prononciation...) et à
renoncer à l’enseignement organisé lui-même pour focaliser davantage sur l’accomplissement de la
tâche par un groupe.
On peut comprendre que les éditeurs de manuels de français langue étrangère aient fait un
sort particulier à cette «nouveauté», puisqu’ils sont à la recherche de slogans promotionnels. On
s’étonnera davantage que certains didacticiens aient cru bon de devoir surfer sur cette nouvelle
vague méthodologique.

Les genres de discours et l’approche par compétences


Le CECR n’apporte pas véritablement de nouveautés méthodologiques mais plutôt un re-
nouvellement de démarches déjà identifiées. Il pose que la compétence à communiquer dans une
langue étrangère n’est pas un ensemble indissociable, mais qu’elle est constituée d’éléments dis-
tincts, parmi lesquelles trois composantes englobantes sont retenues : une composante linguis-
tique (étendue et qualité des connaissances en langue: distinctions phonétiques, mémorisation…),
une composante sociolinguistique (régulations sociales d’utilisation de la langue (par ex.: politesse
verbale) et une composante pragmatique qui comporte elle-même une compétence fonctionnelle
(connaissance des scénarios d’échanges interactionnels, p. 98). Cette catégorie, à mettre en relation
avec celle décrite en 4.6.2 (p. 76), met en relief la centralité du texte (oral ou écrit) et de ses formes
: on n’apprend pas une langue mais on apprend à produire/recevoir des textes dans une langue.
Certaines typologies du CECR utilisent d’ailleurs cette catégorie : annonces publiques (p. 50),
exposés (p. 50), essais et rapports (p. 52), instructions (p. 58) conférences (p. 77)… Les genres de
discours ou genres discursifs, sont les formes prises par la communication telle qu’elle s’effectue dans
une situation sociale et une communauté de communication données. Ces dernières sont identi-
fiées comme telles par des paramètres (lieu, type de participants...) et y prennent place une ou des
formes discursives spécifiques comme : une conférence, un fait-divers, une anecdote, une dispute,
un mythe, une prière… Ces productions verbales tendent à se conformer aux régulations caracté-
risant ces situations (ou plutôt, ces événements de communication, au sens de D. Hymes) ainsi bien
dans leurs contenus que dans leur structure et leurs réalisations verbales, plus ou moins ritualisées
et contraintes. La spécification de compétence à communiquer langagièrement en compétence relative
aux genres de discours s’offre ainsi comme une catégorie plus à portée des utilisateurs, pour organiser
les programmes de langues et structurer leurs séquences d’enseignement.
Le principe de cette approche des méthodologies d’enseignement, qu’il m’a déjà été donné de
décrire (Beacco, 2007) sous le terme d’approche par compétences, est que la compétence en langue
est un ensemble différencié de (sous) compétences, solidaires mais relativement indépendantes les
unes des autres, et dont chaque élément est susceptible de relever d’un traitement méthodologique
particulier. Cette conception par objectifs spécifiques et par démarches d’enseignement différen-

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ciées, qui constitue l’interprétation méthodologique la plus forte de l’approche communicative,
s’oppose donc à la polyvalence de la méthodologie globaliste ordinaire2. Celle-ci en entrave la
diffusion et l’adoption, car l’enseignement du français comme langue étrangère, des langues étran-
gères en France et probablement aussi dans d’autres espaces éducatifs ailleurs, continue largement
à être organisé à partir :
• d’entrées thématiques (les jeunes, les vacances, l’argent…) qui tendent à privilégier une approche
lexicale ;
• Jean-Claude Beaccode scripts sociaux (aller au restaurant, utiliser les transports en commun à
Paris) qui ne répondent pas nécessairement à des besoins des apprenants et qui conduisent à
effacer la spécificité discursive des supports ;
• de contenus grammaticaux, traditionnels en ce que ces descriptions ne se nourrissent pas des
recherches « récentes» (depuis 1975 environ) en linguistique française ;
• de la notion attrape-tout d’acte de parole qui sert aussi bien à désigner des scripts [téléphoner],
des opérations énonciatives [situer dans le temps], [quantifier], de la morphosyntaxe [faire des
hypothèses] que du lexique [décrire une personne]…;
• des «documents authentiques» dont la supériorité par rapport aux documents fabriqués est érigée
en croyance, alors que l’authenticité sociolinguistique et discursive d’un échantillon peut consti-
tuer un obstacle à la constitution d’une exposition progressive aux faits de langue;
• de la comparaison entre les sociétés mises en contact par le biais des enseignements de langues,
ce qui constitue une interprétation très limitative de l’éducation interculturelle;
• […]

Le résultat constatable de ceci, à travers l’analyse des contenus d’enseignement de manuels de


français récents, destinés à des débutants3 est celui d’une sorte de dérégulation généralisée:
• les contenus morphosyntaxiques sont peu comparables d’un manuel à l’autre et paraissent ex-
trêmement ambitieux (impératives négatives avec en et y; connecteurs spatiaux comme au coin,
au centre de …);
• les actes de parole retenus sont eux aussi très variables (interagir à propos d’émotions et de sen-
timents) ou sont réalisés par un matériel linguistique lui-même très variable (une cinquantaine
d’adjectifs pour exprimer ses goûts, dans un manuel);
• les dénominations de ces actes de paroles sont erratiques dans un même ouvrage et entre eux
(identifier à côté de caractériser) et celles-ci sont confondues avec l’expression des notions géné-
rales (montrer des objets est donné comme une fonction tout autant que dire quel sport on fait) ou
de scénario de conversation (demander son chemin, téléphoner);
• Les notions spécifiques sont ou ne sont pas proposées en relation avec les fonctions discursives
et leur étendue est imprévisible (vingt formulations lexicales de la quantité dans une unité : une
rondelle de…, un sachet de…, une pochette de…);
• Il ne semble pas y avoir de répartition linéaire partagée des contenus.

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La clarification des objectifs, et avec elle de tout le processus d’enseignement/apprentissage est
bien rendue possible par les spécifications du CECR, la notion de profil et la structuration des
enseignements par genre, qui peuvent eux-mêmes être organisés selon des catégories situées à un
niveau assez englobant mais plus familières comme réception écrite, réception orale, production
écrite… (c’est-à-dire les activités de communication langagière du CECR décrites au chap. 4). Mais
elle n’est véritablement à l’œuvre que dans les certifications professionnelles, pour lesquelles c’est
une condition constitutive. On ne peut qu’espérer que celles-ci finiront par avoir une incidence sur
des pratiques d’enseignement. Personne ne souhaite mettre au pas les auteurs de manuels et de pro-
grammes et imposer des contenus absolument identiques et calibrés. Mais le laisser faire actuel n’est
plus vraiment compatible avec les nouvelles attentes sociales: un peu de cohérence globale pourrait
s’avérer face à la sympathique prolifération actuelle, censée motiver les apprenants.

Une méthodologie d’enseignement pour l’éducation plurilingue


Dans le même temps où la didactique des langues est travaillée par ces tensions, se constitue, de
manière encore discrète, une méthodologie visant à rendre concret le projet d’éducation plurilingue
et interculturelle dont le CECR demeure le moteur premier.
Cette dynamique va au-delà du CECR, qui est entièrement consacré aux langues étrangères.
Elle fédère des préoccupations antérieures comme la pédagogie intégrée d’E. Roulet (1980), les ac-
tivités de prise de conscience de la nature du langage humain et de la diversité des langues naturelles
élaborées dans le cadre de projet comme EVLANG (Candelier, 1998 et 2003) et EOLE (De Pietro,
1998) et, bien entendu, l’educazione linguistica.

Des progressions convergentes et réalistes


Elle prend des formes diverses dont certaines procèdent directement du CECR. Il en est ainsi
pour les référentiels de formes établis par niveau et langue par langue à partir des descripteurs des
chapitres 4 et 5 du CECR. Cette nouvelle génération de descriptions de référence (qui vont donc
par 6) cherche à identifier les formes d’une langue donnée (mots, grammaire...) dont la maîtrise
correspondrait aux compétences communicationnelles, sociolinguistiques, formelles... définies par
le CECR. Ces transpositions dans une langue donnée sont nommées: Descriptions des niveaux de
référence du CECR par langue (dites DNR). Ces nouveaux instruments ont d’abord été développés
pour la langue allemande : sous l’impulsion du Goethe Institut, un Profile deutsch4 a été élaboré par
une équipe d’auteurs allemands, autrichiens et suisses. Une équipe, française et internationale a pris
en charge la réalisation des niveaux de référence pour le français en commençant par le Niveau B2
(publié en 2004), d’autres ont suivi comme English Profile (voir site correspondant) ou Profilo della
lingua italiana élaboré à l’Università per stranieri de Perugia. Ces ouvrages n’ont pas été élaborés
suivant les mêmes protocoles comme les Niveaux-seuil à partir des années 1975, mais ils procèdent
de mêmes principes et sont convergents sur bien des points.
En particulier, sous l’influence des recherches en acquisition des langues, on cherche à mieux y
répartir dans la durée les objectifs morphosyntaxiques qui tendent traditionnellement à être massés
dans les débuts des apprentissages. Il est alors indispensable de n’enseigner que ce qui est à portée
des apprenants, lequel est fonction de leurs acquis effectifs et non du programme réalisé. Cela

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revient techniquement à considérer que les catégories linguistiques-grammaticales utilisées pour
décrire la langue cible (éléments décrits ensemble) ne sont pas nécessairement celles qu’il convient
d’utiliser pour enseigner ces formes (éléments enseignés ensemble), parce qu’elles sont rarement des
catégories d’apprentissage (éléments appris/acquis ensemble). On peut estimer que ces référentiels
par langue auront peut-être pour effet de mieux répartir les objectifs formels dans la durée et de
clarifier ainsi la nature des objectifs formels proposés par les programmes. En tout état de cause le
fait d’utiliser les typologies du CECR (en particulier celle des activités de communication) dans des
documents curriculaires constitue déjà une avancée notable vers l’éducation plurilingue (entendue
comme mise en convergence des enseignements langagiers, quels qu’ils soient) dans la mesure où
elle constitue une première forme de transversalité. Si l’on définit de la même manière la produc-
tion écrite en langue de scolarisation (langue comme matière), langue étrangère et discipline autres,
des circulations de matière scolaire à matière scolaire deviennent envisageables.

Les compétences réflexives et la contrastivité


La convergence entre les enseignements de langues peut être constituée de manière à rendre les
apprenants conscients de la nature plurielle de leur répertoire et du caractère métacognitif transver-
sal et de leurs activités métalinguistiques ou de leurs intuitions, quand ils les verbalisent. Partout
où cela est acceptable au regard des traditions éducatives, la présence d’activités réflexives/métalin-
guistiques relatives aux langues enseignées (d’allure comparatiste, à partir d’une approche réflexive
fondée sur les langues du répertoire) est donc une partie constitutive de l’éducation plurilingue:
«[...] la construction d’une compétence plurilingue et pluriculturelle favorise l’émergence
d’une conscience linguistique, voire de stratégies métacognitives qui permettent à l’acteur social de
prendre conscience et de garder contrôle de ses modes spontanés de gestion des tâches et notam-
ment de leur dimension langagière» (Coste D., Moore D & Zarate G., 1997, p. 13). La réflexion
métalinguistique devient ainsi un élément constitutif d’une didactique du plurilinguisme et peut
être spécifiée comme:
• développement de la capacité à réfléchir sur la langue
• capacité de décentration (pour passer du sens des énoncés à leur organisation mais aussi d’une
langue à d’autres)
• capacité à manipuler des formes.

La réflexivité fait ainsi un retour marqué comme activité métalinguistique, dont la finalité est
l’objectivation des intuitions des apprenants sur les fonctionnements des langues (en particulier les
jugements de « grammaticalité pour la langue première») et leur mise en relation avec les descriptions
savantes qui peuvent utiliser des catégories descriptives indépendantes des langues singulières (quan-
tification subjective, aspect, acte de langage…). De telles activités grammaticales où les apprenants ne
sont pas uniquement destinataires d’informations grammaticales mais aussi acteurs de leur construc-
tion peuvent conduire à comparer les langues (les langues étrangères entre elles, avec la langue de sco-
larisation principale) et à mieux faire prendre conscience de la variabilité intrinsèque de tout système
linguistique, des conditions qui commandent ces variations, au-delà des normes sociales (dont celles
de l’École) qui les figent. Ces compétences sont à développer par des activités métalinguistiques entre

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les apprenants, entre les apprenants et l’enseignant, entre les enseignements de langues.
Parmi ces activités, celles de nature contrastive sont valorisées dans l’éducation plurilingue
puisqu’elles mettent les langues en relation. Elles ont principalement pour objet de faire prendre
conscience aux apprenants de certains traits de langue cible dont l’expérience a appris aux ensei-
gnants qu’ils constituent des difficultés récurrentes d’apprentissage. Ces activités de «comparaison
contrastée» consistent en pratiques, quelle qu’en soit la nature (entre langue étrangère 1 et 2 par
exemple), mettant spécifiquement en regard des caractéristiques de la langue cible et de la lan-
gue première des apprenants qui demandent une focalisation particulière du fait de leur difficulté
d’appropriation. La présence ordinaire et continue du recours à la comparaison contrastée dans les
activités d’enseignement/apprentissage conduit à sélectionner, voire à privilégier des domaines de la
morphosyntaxe qui requièrent davantage d’autres activités d’observation et de réflexion grammati-
cale. De la sorte, on pourrait être amené à construire des programmes grammaticaux contextualisés.
On a montré pourquoi les questions de méthodologie d’enseignement ont refait surface et dans
quel nouveau contexte elles se posent désormais. On peut pronostiquer que ce retour ne fera pas
resurgir les vains débats sur la «meilleure méthodologie d’enseignement possible», dans la mesure
où la conscience accrue de la diversité des contextes d’enseignement et de la multiplicité des formes
de réalisation de l’éducation plurilingue disqualifie toute solution standard. C’est bien là le message
fondamental du CECR, trop souvent mis au service de l’homogénéisation.
NOTES
1
Développée, par exemple, par Long M.H., Norris J.N. ou Nunan D. dès les années 80.
2
Voir Beacco 2007, p. 39 et suiv.
3
Analyses de manuels de français pour débutants produits par des éditeurs allemands, anglais et français ; à paraître dans les
Etudes et documents pour le niveau A1 (Didier).
4
Langenscheidt, http://www.langenscheidt.de/profile/index.html

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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