Vous êtes sur la page 1sur 1

Intro : Cicéron est un des plus célèbres hommes politiques et écrivains de l’antiquité romaine.

Il a vécu au premier
siècle avant J.-C. Plus célèbre avocat de Rome, consul en 63 avant J.-C., il a écrit de nombreux ouvrages et s’est en
particulier intéressé au domaine dans lequel il excellait : l’art oratoire. C’est le cas dans le De Oratore, dialogue écrit
en 55 avant J.-C., à un moment où Cicéron privé d’action politique, utilise ses livres « comme une tribune » pour dire
comment il conçoit le rôle de l’orateur dans la cité. Dans le livre I, il donne la parole à Crassus, orateur célèbre de la
génération précédente, qui présente avec ampleur et enthousiasme sa vision de l’orateur. Nous nous demanderons en
quoi ce texte est un éloge de l’éloquence, à travers l’orateur lui-même, puis de façon plus générale.
I) Crassus insiste sur le fait que le rôle de l’orateur implique une supériorité sur le commun des hommes.:
n’est pas orateur qui veut : on le voit à l’emploi systématique des comparatifs : « rien n’est plus beau»
ligne 1 (pour désigner l’activité oratoire ) , et des comparatifs d’égalité avec l’anaphore d’ « aussi » lignes
6, 8,10, 13,18. Pour marquer ce caractère unique, Cicéron présente dans le discours de Crassus l’orateur
seul face à des collectivités : à la ligne 7, «un seul homme», avec l’adjectif « seul » répété juste après,
s’oppose à « une foule immense »l. 4 et « tous les hommes » l. 8. On remarque également à la ligne 11
« le discours d’un seul homme» qui s’oppose à l’énumération ternaire « peuple, juges, sénat » Dès lors,
l’orateur fait figure d’homme unique, ce qui confirme l’importance de l’art qu’il pratique :
paradoxalement, la parole a été donnée à tous, comme le souligne Crassus à la ligne 7-8 avec la
proposition relative à valeur adversative : «ce que la nature a pourtant donné à tous les hommes», mais
seul un homme se dresse pour l’exercer : le verbe« se détacher » ( en latin exsistere, qui porte une image
verticale) forme une image qui souligne la force et met en valeur le caractère unique de l’orateur, ce qui
se retrouve en écho à la ligne 30 ou est évoqué le fait de « l’emporter sur les autres hommes « . La
formule « seul ou presque» fait allusion au travail judiciaire, où plusieurs avocats forment une équipe au
service de leur client.
II) Ce caractère exceptionnel se double d’une mise en valeur de la puissance que confère l’art oratoire. A la
ligne 1 « par la parole » est un complément de moyen: c’est l’outil qui permet l’exercice du pouvoir de
l’orateur. L’énumération des infinitifs souligne ce pouvoir : captiver, séduire, entraîner, détourner. On a à
nouveau une énumération pour évoquer tous les publics sur lesquels l’orateur exerce son influence : le
peuple ( l. 12), les juges dans les tribunaux (l.12) et enfin le lieu par excellence du pouvoir dans la
République romaine : le Sénat (l. 13) .Les adjectifs valorisant l’art oratoire sont nombreux dans le texte :
« beau» l. 1, « florissant » l. 5, « dominateur » l. 5, « admirable »l.6, « agréable » l. 8, « puissant et
magnifique » l. 10 « royal, libéral, généreux » l. 13. Ces adjectifs valorisent tous la force de l’art oratoire
et font implicitement référence aux trois piliers de l’éloquence : delectare, probare, movere. Enfin,
l’image formée des lignes 19 à 22 avec les formules : « détenir des armes », « défier », attaques », est
clairement du domaine militaire et vise à assimiler de fait l’orateur à un général, fonction qui représente
pour les Romains ce qu’il y a de plus prestigieux. Enfin cette puissance oratoire est l’indice de sociétés
républicaines, libres, qui sont fières de ne pas être des tyrannies, comme on le remarque dans l’évocation
des lignes 4 et 5 avec le doublet « chez tout peuple » et « dans des cités vivant en paix et en tranquillité».
Le rôle dévolu à l’orateur semble implicitement être un signe d’évolution politique.
III) C’est ce point qui est ensuite tout particulièrement développé dans le dernier paragraphe, reprenant une
thématique chère à Isocrate et déjà utilisée dans un ouvrage de jeunesse. De Cicéron, le De Inventione, le
rôle de l’éloquence dans la civilisation humaine. La parole est présentée comme un marqueur d’humanité,
puisqu’elle nous distingue du monde animal, idée qui est répétée lignes 23-24 et ligne 29. Elle semble
caractériser deux activités essentielles à l’humanité : la communication et l’expression de notre intellect.
La valorisation de la parole passe par une question rhétorique, qui valorise encore le métier d’orateur et en
souligne l’attrait. L’opposition finale entre la vie rustique et sauvage des premiers hommes et la
civilisation est un topos cher aux anciens : l’élément charnière ici est justement la puissance et l’efficacité
de la parole, qui permettent ce passage. Celui-ci est marqué par des antithèses entre les adjectifs « sauvage
et rustique » et les deux noms de la phrase suivante « culture et civilisation ». Les mots les plus importants
aux yeux de Cicéron, ceux de la parole politique, terminent le passage : « lois, procédures judiciaires,
droit ». C’est une vision très valorisante et éminemment politique du rôle de la parole.

Ainsi, ces quelques lignes extraites du discours de Crassus représentent tout à fait les idées de l’orateur et du
philosophe Cicéron : par sa valorisation du rôle de l’orateur dans la cité, l’expression de sa puissance, mais aussi la
valeur fondatrice de l’éloquence, pour la société humaine et pour l’évolution politique, ce texte est un vibrant éloge de
l’éloquence, et donc des hommes capables de la mettre en œuvre. On devine qu’une telle puissance doit être liée à de
grandes responsabilités et à une grande exigence intellectuelle et déontologique, ce que Crassus va développer par la
suite, et que Cicéron lui-même a tenté d’incarner en son temps. Cette image de l’orateur et de son importance dans les
régimes républicains ne s’est pas démentie et conserve toute son acuité, même si elle comporte des aspects plus
complexes.

Vous aimerez peut-être aussi