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LL12 Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869

Texte extrait de L’É ducation sentimentale, roman publié par Flaubert en 1869. Roman
d’apprentissage, qui met en scène Frédéric Moreau, jeune homme sensible, mais surtout
contemplatif. Dans cet extrait, le personnage est resté à Paris pendant les vacances d’été. Il se
laisse bercer par la langueur de la ville endormie dans la chaleur et le silence. Frédéric s’ennuie
et, passif, il contemple et arpente la capitale sans but, par pur désœuvrement, représentant
d’une jeunesse en perte de repères. Nous nous demanderons en quoi cet extrait montre
l’absence d’énergie d’un héros passif et d’une société languissante.

Le texte s’articule suivant deux grands mouvements :

1. La contemplation apathique1 du personnage (lignes 1 à 13 « …vers l’avenir »)


2. La déambulation dans une ville languissante (ligne 13 à la fin)

1er mouvement :
On relève le champ lexical de l’oisiveté et de la contemplation dès le début du texte (« ennui »,
« aucun travail », « désœuvrement », « tristesse »…) : Frédéric, passif, se contente d’observer la
ville (« regarder », ligne 3, « ses yeux délaissant », ligne 6) ; le basculement au point de vue
interne dès la ligne 3 nous permet de suivre le regard du personnage sur Paris.
Les locutions temporelles (« trois mois », « des heures », « toujours ») indiquent une longue durée
et cet effet est renforcé par l’emploi d’un grand nombre de verbes à l’imparfait à valeur
d’habitude (« renforçait », « passait », « se dirigeait »…). Ces indications temporelles et verbales
suggèrent un temps étendu, étiré, comme suspendu.
La longueur même des phrases lignes 3 à 11 semble refléter l’étirement des choses, la lenteur de
la contemplation du personnage, qui s’arrête sur de multiples détails : on relève de nombreux CC
de temps ou de lieu + PSR explicatives («qui coulait entre les quais », « où des gamins
s’amusaient… ») qui traduisent l’étirement des phrases. Les énumérations lignes 8 et 9
accentuent cette impression.
À l’image de la Seine, l’énergie de Frédéric semble se liquéfier ; le champ lexical de la saleté et les
termes à connotation péjorative (« quais grisâtres, noircis », « bavures des égouts », « dans la
vase », « vieux arbres »…) font de Paris une ville terne et vieillissante, triste et morne,
paradoxalement animée cependant par quelques figures secondaires (« blanchisseuses », « des
gamins », « un caniche »…) = autant d’éléments d’un décor servant de cadre à la tristesse du
personnage.
Ce décor est composé d’indications topographiques réelles (« Notre Dame, « le quai des Ormes »,
« port de Montereau », etc) : par l’énumération de tous ces lieux (lignes 6 à 9), Flaubert propose
une description réaliste de Paris ; ainsi, le décor reflète le monde réel.
Par un renversement surprenant, les monuments semblent d’ailleurs plus vivants que Frédéric
lui-même : la personnification / « se levaient », ligne 9, ou encore la comparaison méliorative
(« resplendissait […] comme une large étoile d’or », ligne 10) montrent que la contemplation de
Paris prend des allures poétiques. Les images cosmiques de la statue comparée à une étoile d’or
et de la masse bleue du dô me qui se détache sur le ciel enchantent la vision de la ville.
Symboliquement, les Tuileries (monarchie absolue) et la colonne de juillet (monarchie
constitutionnelle) se font face (lignes 10 et 11), sorte de confrontation théâ trale entre deux
forces politiques.

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Qui manque d’énergie ou de réactivité émotionnelle
Enfin, on comprend qu’une fois rentré chez lui, Frédéric rêve de passer à l’action (il
« s’abandonnait à [la] méditation… », l.12 + lexique du projet et accumulation : « plans d’ouvrage,
projets de conduite, élancements vers l’avenir »…). Mais sa méditation est sans ordre et n’obéit à
aucune rigueur. De fait, elle reste stérile et ses projets à l’état d’ébauche.
Ainsi, dans son rythme et ses images, le texte reflète l’apathie de Frédéric contemplant
oisivement Paris : l’image de la ville oscille entre monotonie et beauté des monuments.

Second mouvement :
Les deux CC de but et de manière (« pour se débarrasser de lui-même » / « au hasard ») traduisent
l’idée que la déambulation de Frédéric souligne son mal-être : le mouvement n’est en fait dû qu’à
la fuite de soi et il est dépourvu de véritable but.
On retrouve à nouveau le lexique de l’ennui (« désert », « étudiants […] partis », « silence », « plus
morne »…), voire du sommeil et de l’absence (« ronflement », « bâillait », « cafés solitaires ») : le
narrateur dépeint une ville endormie sous l’effet de la chaleur et du calme, dû à l’absence des
étudiants. Le décor reflète l’état d’â me du personnage apathique et nonchalant.
Par des références à l’ouïe et au toucher (« entendait », « bruits paisibles », « ronflement »…) +
énumérations lignes 18-19, Flaubert plonge le lecteur dans l’atmosphère tiède et silencieuse de
la ville. De même, la douceur des évocations (« paisibles », « battements d’ailes », « frissonnaient »,
« bouffées du vent tiède ») invite à la nonchalance qui prévaut dans la totalité de l’extrait.
On notera que les phrases complexes comptent des propositions majoritairement juxtaposées
(lignes 17 et 19) + rythme ternaire qui représente l’étirement du temps, comme au début du
texte, ainsi que la langueur du personnage, l’absence d’actions. Le narrateur juxtapose des
indications, donnant ainsi à voir une ville figée.
Ligne 22, le texte revient sur la figure de Frédéric par le retour du pronom personnel « il » qui se
réfère au jeune homme. Mais les verbes dont il est le sujet indiquent une limite, un abandon
(« s’arrêtait », « n’allait pas plus loin »). Le seul mouvement qu’il effectue lui est imposé par le
passage d’un omnibus (« Omnibus » sujet du verbe tandis que le pronom qui désigne Frédéric est
en position objet : « le faisait se retourner », lignes 23-24). En fait, Frédéric reste plus passif
qu’actif.
En étant le tableau de l’errance du personnage, la ville reflète bien l’état languissant de la fin de
la monarchie de juillet et l’apathie de Frédéric, personnage passif et mélancolique.

CCL/ Avec L’É ducation sentimentale, Flaubert signe l’un des romans d’apprentissage les plus en
phase avec l’époque et les circonstances qui entourent la jeunesse du XIXème siècle. Son
personnage principal, Frédéric Moreau incarne le jeune homme romantique, rêveur, épris d’un
idéal qu’il est incapable d’atteindre. Son errance illustre une perte d’énergie et l’incapacité d’agir
qui en découle. Symbole d’une société qui tente de trouver un équilibre dans un monde
malmené par l’instabilité politique du moment. Frédéric s’inscrit dans la lignée des héros du
XIXème, en quête de bonheur, à l’instar de Raphaël dans La Peau de chagrin.

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