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Proposition de commentaire composé du poème 

: Les antiquités de Rome (1558) de Joachim Du


Bellay. Ecrit à partir du travail du « commentaire pas à pas » de Faustine Poussineau, Nicolas
Faucon, Gauthier Wagemans, Anaïs Pinto et Mila Pagotto.

La problématique était la suivante : Comment du Bellay met-il en perspective deux visions opposés
de Rome à deux moments distincts ?

La problématique mettait bien en lumière la particularité du poème. Cependant la formulation aurait


pu être plus explicite en montrant, en quoi ces deux visions opposées de Rome, permettent de
mettre en valeur le « Tempus fugit » et d' illustrer la dimension lyrique et mélancolique du poète.

Le plan proposé à travers ces trois grands axes était :

Axe 1 : La gloire passée de Rome

Axe 2 : La déception mélancolique du poète qui en découle.

Axe3 : Le lyrisme au service de l’expression de son idée. (ce constat d’une Rome du XVI ° siècle qui
ne reflète plus la gloire de la Rome Antique.)

La rédaction suivra les grandes lignes du plan, sans qu'il soit apparent.

«  Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome », c'est par ce décasyllabe où Du Bellay invite le
lecteur à ouvrir les yeux sur ce que Rome est devenue au XVI ° siècle, que s'ouvre Les antiquités de
Rome extraits des Regrets. ( 1558). Le constat que doit faire le lecteur serait le même que le poète de
la renaissance ( 1522-1560), à savoir que «  la ville éternelle », ne représente plus qu'une gloire qui
au moment de l'écriture serait définitivement révolue. Cette déception de l'écrivain est grande
puisque ses attentes en tant qu'artiste étaient démesurées. Rome, comme la plupart des grandes
villes italiennes porte en elle l'origine de toutes les références artistiques, dont s'inspirent les auteurs
de la renaissance. Si le regard du poète ne peut plus transcender la ville de Rome, alors son
inspiration et son art pourraient s'en trouver condamnés. Comment Du Bellay va se servir de ces
deux visions opposées de la ville de Rome à deux moments distincts, pour illustrer cette idée ?
Nous nous intéresserons donc à cette thématique de la ville de Rome, pour montrer qu'elle n'est
qu'un prétexte pour imager cette gloire passée, que l'on ne saurait séparer du temps de l'empire
romain. Un constat qui va alors déclencher chez le poète une immense déception, teintée d'une
profonde mélancolie ; un sentiment qui nous permettra de mettre en relief cette fois-ci la dimension
lyrique du sonnet entièrement au service de cette idée.
Le premier quatrain du sonnet s'ouvre sur la thématique de la ville de Rome, qui finalement n'existe
qu'à travers sa gloire passée. Si l'on observe le champ lexical qui définit la ville, il est connoté par des
adjectifs et des termes qui enracinent la cité dans son passé antique. Rome se définirait à travers ces
monuments, qui déjà à eux-seuls symbolisent ce temps écoulé, mais on a comme une redondance à
travers les adjectifs «  vieux palais » et «  vieux arcs » au V. 3 et «  vieux murs », comme si le poète
ironiquement parlait d'un lieu qui est passé de mode. Tout homme sait pourtant que la capitale
italienne est désormais inscrite dans l'histoire, et qu'elle échappe de part son appartenance à la
civilisation européenne à cette considération. Cependant, il insiste auprès du lecteur, en prolongeant
cette idée par le terme «  ruine » au V. 5, il souligne ce constat que doit faire le lecteur par l'impératif
du verbe voir, qui l'invite à épouser sa propre lucidité : «  Vois quel orgueil, quelle ruine […] » dans
le décasyllabe « orgueil « et « ruine » sont mis en parallèle pour souligner qu'il serait vain au XVI°
siècle de chercher dans les vestiges de Rome une quelconque représentation de sa grandeur . Sur un
niveau politique bien sûr mais également sur un plan artistique ce qui intéresse de surcroît notre
auteur.

Mais pour montrer cette grandeur définitivement révolue, même sur le plan artistique, il se sert de
références historiques, qui figent Rome dans un passé politique, que l'on ne peut détacher du
contexte de l'empire romain. Dans le deuxième quatrain au V. 6, il fait ressortir cette idée grâce ,non
seulement à l'enjambement au V.5, qui représentait Rome à travers la métonymie «  ruine », mais
également par la temporalité utilisée dans ce vers : «  Celle qui mit le monde sous ses lois » . Le
verbe « mettre » au passé simple, contraste avec l'énonciation poétique qui elle s'incarne au présent
de l'indicatif. De plus, ce temps du récit, pointe un événement du passé, qui s'est produit une fois,
ponctuellement, et qui marque une action achevée, contrairement à la temporalité de l'imparfait qui
illustre une action qui s'inscrit dans la durée. La personnification de la cité, qui fait d'elle un
véritable « sujet » fait ressortir cette renommée passée et renvoie dans un autre enjambement au V.
7 à une figure de l'histoire romaine, controversée : celle de Néron. «  Pour dompter tout, se dompta
quelquefois ». Le pronom « tout », englobe dans son sens et sa brièveté toute l'étendue de l'empire
romain, placé au rythme du décasyllabe à la quatrième syllabe. Rythme binaire qui donne la cadence
à tout le sonnet dans ce découpage : 4/6. La répétition du verbe «  Dompter » placer à des points
stratégiques du vers, renvoie au excès de pouvoir incarné par Néron. Tout du moins, il s'agit pour Du
Bellay de reprendre à son compte la mythologie qui entoure le personnage de l'empereur, qui aurait
sombré dans la folie, et aurait mis le feu à la ville romaine. On a jamais su, l'origine de ce terrible
incendie, qui a «  consumé » la capitale italienne et qui renvoie à cette image au V. 8 d'une Rome,
« proie » non des flammes mais du « temps, qui tout consomme ».

Pour finir, cette gloire de Rome est tellement enterrée que finalement même les pierres qui fondent
sa cité, ne permettent plus selon le poète d'en témoigner. Les deux dernières strophes du sonnet ( les
tercets) , où se fait toujours entendre la voix singulière de l'artiste, s'ouvrent sur cette idée au v. 9 : « 
Rome de Rome est le seul monument ». Le « e » sonore en début de vers, renvoie à cette grandeur
passée, seuls les souvenirs de Rome et sa représentation peuvent comme les grands mythes de
l'histoire être les garants de sa splendeur. Une chose est sûre, Du Bellay, refuse désormais d'être le
gardien de cette mémoire, les seules preuves de cette apogée romaine, serait un emplacement
géographique le «  Tibre », qui sous la plume de l'écrivain devient la métaphore de l'écoulement du
temps, V. 11 : «  Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, » Le verbe « s'enfuir » en position finale du
vers offrant la pulsation de ce rythme à deux temps du décasyllabe ; fait écho bien évidemment au « 
Tempus Fugit » . Cette loi, aussi implacable qu'elle est humaine est une source d'inspiration
inépuisable pour les poètes de la renaissance.

Cela nous conduit à nous intéresser autrement à cette thématique de Rome, qui serait un prétexte
littéraire pour traduire le sentiment de mélancolie qui s'empare de l'auteur au moment de l'écriture.
Lorsque Du Bellay envisage son séjour dans la ville de Rome, c' est pour y trouver un écrin qui soit à
la hauteur de son ambition politique et artistique. Tout dans ce sonnet, marque un décalage entre sa
représentation de la ville de Rome, et le constat qu'il fait lorsqu'il s'y rend en 1553. Il ne faut
cependant pas oublier que ce regard porté sur la ville de Rome, est une posture artistique, qui lui
permet d'exploiter la veine du «  Tempus Fugit ». Car s'il y a bien deux visions opposées de la ville
de Rome, entre la période antique et celle de de la renaissance, on peut également prouver que dans
les faits , le séjour à Rome, loin d'avoir seulement été une déception, lui a permis de rentrer fortuné
et apaisé pour finir ses jours dans la capitale Française. Cette vérité, n'est pas très « poétique », c'est
pourquoi il valait mieux pour l'écrivain la taire et forcer le trait sur ses frustrations, afin d'illustrer une
certaine forme de mélancolie.

Dès le premier quatrain, il cherche donc un complice pour partager cette tristesse persistante :V1« 
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome », ce tout premier vers donne le ton, impose la cadence
monotone, en deux temps, de ce sentiment mélancolique. L'énonciation poétique dans une
apostrophe placée en début de vers, force presque le lecteur à adopter son point de vue. Il impose
une vision de la ville de Rome, qui loin d'être figée dans l'histoire et dans les mémoires comme
modèle de prospérité, serait désormais réduite à des vestiges, qui ne représenteraient plus rien pour
l'homme de la renaissance. «  Et rien de Rome en Rome n'aperçois ». Dans l'enjambement du V.2, le
verbe «  aperçois » mis en correspondance à la rime avec « tu vois », traduit cette idée qu'il n'y a plus
rien à voir dans la cité romaine. Évidemment, on est dans l'exagération, pour illustrer la veine
mélancolique. Le sonnet a toujours une dimension lyrique et ce motif hyperbolique permet au poète
de développer ce registre, grâce à ce qu'on appelle actuellement la nostalgie : Le regret des choses
et des êtres disparus.

La ville de Rome devient donc une métaphore filée, pour illustrer cette condition humaine régit par
le temps et son écoulement vers une fin, qui rend toute vie « vaine », ainsi que toute civilisation
humaine, même la plus exemplaire. Finalement, « la ville éternelle », paradoxalement va servir de
motif littéraire pour illustrer la finitude de l'homme, son passage sur terre, toujours éphémère même
s'il se débat pour laisser une trace à travers les siècles : «  Vois quel orgueil, quelle ruine » ce v. 5,
déjà évoqué, par un jeu d'opposition entre « orgueil » et « ruine » montre que tous les efforts de
l'homme pour échapper à sa fragile condition, ne sont que pure vanité et l'on ne peut que songer à
la phrase dont la morale chrétienne s'est emparée : «  vanitas vanitatum et omnia vanitas » ,
« vanités des vanités tout est vanité », tout ce qui fait agir l'homme selon ce précepte serait futile et
inutile, et serait un manque de modestie vis à vis de Dieu.

La preuve selon Du Bellay, serait que la pierre des monuments de cette civilisation romaine, même
construite, pour témoigner d'une grandeur serait condamnée : «  Ce qui est ferme, est par le temps
détruit » / «  Et ce qui fuit, au temps fait résistance » , le chiasme des vers 13 et 14 concrétisent
cette idée en opposant les termes, «  ferme/détruit » , « fuit/résistance » pour mieux démontrer ce
travail du temps sur les civilisations. Finalement l'unique chose, qui pourrait préserver leur grandeur
serait toutes les formes de littérature et de mythologie, seules gardiennes de ce temps où elles
resplendissaient.

Du Bellay, montre donc par ce sonnet l'importance de la vision artistique, car le regard laissé par
l'artiste à travers le temps, influence nos représentations actuelles. Cela nous conduit tout
naturellement à terminer sur la dimension lyrique du sonnet, qui existe en dehors de toute
thématique et qui permet de mettre en avant une dimension cette fois-ci moins universelle, comme
nous avons tenté de le faire dans cette deuxième partie mais plus personnelle.
Cette dernière partie, sera donc la plus «  autobiographique » d'une certaine manière, et montrera
que ces deux visions opposées de la ville de Rome, traduit bien évidemment un état d'esprit de
l'artiste. Une volonté, d'exprimer certainement son propre rapport au temps qui passe, grâce à ce
motif littéraire et ce symbole qui parle à l'ensemble des hommes de la renaissance : Rome, mère de
la civilisation européenne.

Il ne faut pas oublier que Du Bellay était un humaniste, et que dans sa Défense et illustration de la
langue Française( 1549), l'écrivain avait le souci d'enrichir sa langue en allant chercher son
inspiration, dans les textes grecs et latins qu'il avait pour modèle. Son exil, en 1553, est habité
entièrement par ce regard « idéalisé » de la ville de Rome, qui a pu susciter des attentes déçues
envers la cité, mais cependant légitimes. Le lyrisme dans ce sonnet, comme dans l'ensemble du
recueil reflète une désillusion, qui non seulement l'atteint sur un plan patriotique, ( il était venu à
Rome comme secrétaire du Cardinal Jean Du Bellay) , mais aussi artistique. Car le poète à la
renaissance est un artiste qui incarne de par son art,la beauté de la langue nationale. Finalement le
constat qu'il fait est celui d'une Rome qui n'est plus qu'un mythe, une chimère. Dans le premier
quatrain des V.3 au v.4, l'enjambement, renforce cette idée que Rome n'existe plus que par ce qui l'a
précédé : «  Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois, / Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on
nomme. » L'énumération de l'adjectif «  vieux », porte en lui une connotation péjorative forte, qui
montre que même les monuments romains qui ne sont pas «  anciens » mais «  vieux », c'est à dire
« usés par le temps », ne garantissent plus la renommée de la capitale italienne.

Ce n'est pas un hasard, si Du Bellay choisit la forme du sonnet, dédiée habituellement à la prose
« amoureuse » pour parler de cette désillusion , ressentie dans ces murs où il a passé quatre ans de
son existence. C'est tout son être et sa démarche artistique qui sont remis en question, car il ne
trouve pas dans la ville de Rome la dimension humaniste qu'il était venu chercher. Ce n'est donc pas
finalement la cité qui le déçoit en elle-même mais bien les êtres qui la peuplent et qui ne reflètent
pas son état d'esprit. Il se sert donc du motif de la ville de Rome, pour montrer qu'il est en décalage
avec ses contemporains, la « Rome » décevante est donc la métonymie de tous les artistes et les
hommes qui sont censés incarner, celle de la renaissance.

Finalement, au-delà d'une simple déception personnelle, qui fait que Rome n'est plus une source
d'inspiration poétique, c'est un constat universel sur le fait que l'homme n'est que de passage sur
terre , et que ses plus grandes ambitions sont réduites à néant avec le temps,qui revisite même les
passés les plus glorieux : « Et Rome Rome a vaincu seulement. / Le Tibre seul, qui vers la mer
s'enfuit », la métaphore de ce temps qui change tout sur son passage est incarné par le Tibre, cœur
géographique de l'empire romain du temps de sa splendeur. Le rejet au V. 11, et le « e » sonore final
du fleuve en souligne l'unique importance, désormais.

L'exil géographique pour Du Bellay est donc aussi un exil poétique où ce dernier ne trouve plus
l'inspiration pour nourrir son art. C'est en tout cas, ce qu'il traduit à travers ses nombreux poèmes et
sonnets qui vont donner naissance au recueil des Regrets ( 1558). Cependant, l'ironie du sort a fait
que ce sentiment de désillusion qui est permanent chez Du Bellay de 1553 à 1557, va donner un
souffle nouveau et moderne à son œuvre, puisque qu'elle n'aura jamais été plus foisonnante,
lyrique, et personnelle, mais aussi plus « humaniste », offrant des inquiétudes et des réflexions sur
son écriture. Un terrien préoccupé par un trop bref séjour sur terre, et peut-être s'inquiétant de sa
propre postérité : «  ô mondaine inconstance ! » dit-il de manière exclamative faisant entendre sa
voix, et ouvrant ainsi la voie à nombre d'artistes plus modernes que seront les poètes lyriques et
romantiques. Peut-être que Du Bellay quel que soit l'endroit n'a jamais été «  Heureux qui comme
Ulysse ...», mais comme tout à chacun à la quête perpétuelle du bonheur.

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