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Guillaume-Siméon de la ROQUE- corrigé du commentaire (DM)

Le sonnet au 16e siècle constitue une sorte de laboratoire formel : il est le lieu privilégié, en poésie, de
l'expression d'une langue française stabilisée, on y met en œuvre le passage du décasyllabe à l'alexandrin et
s'y déploient aussi bien des textes lyriques qu'élégiaques ou satiriques.
A côté des grands du 16e (Scève, Du Bellay, Ronsard, Desportes), des auteurs plus confidentiels se
retrouvent : Rémy Belleau et Amadys Jamin proches de Ronsard, Pontus de Tyard,Jean de Sponde ou encore
Guillaume-Siméon de la Roque. Ce dernier, auteur de Stances et de poésies inspirées du Rinascimento italien
autant qu'empreintes d'Antiquité mythologique, publie ainsi les Amours de Phyllis .
En quoi ce sonnet est-il original ?
Voyons d'abord en quoi ce sonnet s'nanonce traditionnel puis examinons-en les écarts et nouveautés.

Ce sonnet est à bien des égards un sonnet typique de la Renaissance.


Le fond culturel choisi et délicat renvoie à la mythologie, celle d'Ovide par exemple. Chacune des trois
premières strophes contient son nom propre d'inspiration hellénisante : Narcisse aux quatrains, Echo au
premier tercet. Pour confirmer ce contexte charmant et bucolique, le champ lexical de la nature, typiquement
lyrique, s'affirme : « fleur » dès le vers liminaire, puis « tige », « onde » et « forestière ». Le lecteur est vite et
durablement plongé dans une atmosphère évocatrice et culturellement déjà établie.
La première impression est celle d'un dialogue amoureux intense, ainsi que le prouve l'énonciation,
avec un échange immédiat, explicite et régulièrement relancé entre le poète et sa muse : « Madame » en
apostrophe constitue le premier terme du poème, puis « vous » qui surgit au début du second quatrain et qui
est repris au dernier tercet. Le face à face se veut intime et direct.
L'intensité de la relation amoureuse et l'expression de la passion, fût-elle dépitée, se lit dans la
ponctuation émotive du huitième vers (fin du second tercet), quasiment à la pliure centrale, à la moitié du
sonnet de quatorze vers. Cette relation haletante nouée entre les deux protagonistes (locuteur et interlocutrice)
se retrouve dans un flot de paroles étiré, dilaté, qui se déverse au fil de des deux tercets puisque les deux
tercets couvrent une seule et même phrase dont le verbe principal « désire » n'arrive qu'au bout de quatre vers
déjà écoulés.

Pourtant, derrière cette apparent badinage, se cache une vision plus sombre, plus pessimiste de
l'amour et plus austère de l'existence. Ce sonnet, loin d'être exalté, consiste en vérité un jugement impitoyable
sur les relations humaines.
Derrière les références antiques feutrées, l'on voit la violence des relations pointer, avec des termes
connotés négativement ou ouvertement dépréciatifs, destinés à impressionner l'interlocutrice et à la raisonner,
voire à la prévenir (si ce n'est même menacer) ; chaque fois le poète fait résonner les termes se rapportant au
champ lexical du crime et de la fatalité funeste en fin de vers : « ruine », « malheur », « captivité » clôturent les
vers et l'exclamation porte justement sur le terme de « malheur ».
La vision du couple qui s'en dégage est celle d'une relation inégale pour ne pas dire vouée à la
dissociation franche tant les modalités d'expression pour désigner chacun des deux membres sont
contrastées : à l'action dont le poète locuteur se rend à répétition maitre (il est, en tant que locuteur, le sujet des
verbes « je vous offre», « je désire » et il est le sujet réel du participe présent « cherchant ») s'oppose la
passivité de la muse, associée au seul champ lexical de la vue et du spectacle dont on comprend qu'il signifie
la condamnation morale de la facilité et de l'inertie (« vous semblez », « un miroir », « apparence », et « vous
voyant »).
Enfin, le sonnet se pique de philosophie en proposant un mouvement de texte, autrement dit, une
évolution en forme de dégradation ou même en termes chrétiens en forme de chute : de la cristallisation en
« divine » du vers 6 l'on passe à la négation de l'humanité « inhumaine ». Le dernier mot du sonnet revient aux
« dieux » (vers de clôture). Allant de pair avec cette détérioration, la mise à distance des références antiques
(qui euphémisaient presque le propos, à les déplacer sur le terrain mythologique) en toute fin de sonnet : on ne
se cache plus derrière les figures de Narcisse et Echo, puisque c'est bien, au dernier tercet, la confrontation
entre les pronoms explicitement désignés « je » (vers 13) et « vous » (vers 12) que le poète donne à voir. Le
lustre antique et la patine littéraire se sont fissurés : ne reste que la froideur de la rancoeur, bien réelle, entre
deux êtres contemporains.

En conclusion, le sonnet sous ses dehors sages et policés, révèle souvent la noirceur des
sentiments et des expériences humaines : ici, le poète turbulent G. Siméon de la Roque en profite pour régler
ses comptes avec une muse ingrate mais aussi avec une certaine tradition lyrique, dont la douceur n'est que de
façade.
Ronsard avait fait un même usage satirique et incisif du sonnet en brandissant le spectre de la vieillesse
à Hélène (« Quand vous serez bien vieille... ») ce que fera à sa suite Baudelaire (« et le ver rongera ta peau »)
mais aussi ce qu'accomplira Rimbaud dans ses sonnets poignants consacrés à la guerre (« le Dormeur du val»,
« le mal »). Plus près de nous, Philippe Jaccottet (l'Effraie) ou Guy Goffette (La vie promise) utiliseront la
fulgurance du sonnet pour parler aussi bien d'amour que de mort.

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