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Zone, Alcools

Analyse linéaire des vers 1 à 24

Poème inaugurable du recueil Alcools d'Apollinaire, « Zone » est en fait le dernier poème
écrit par Apollinaire. Ainsi donc, sa position liminaire qui pourrait interpeller est signifiante.
« Zone » serait-il un manifeste poétique qui introduit le recueil du fait de sa place stratégique ? Il
apparaît dès l’observation de la structure qu’émerge une idée de modernité poétique. En effet, à
travers les 3 premiers vers, monostiches, suivis d’un tercet, d’un huitain puis d’un dizain s’affirme
une forme innovante, irrespectueuse de la métrique (vers libres) et de la rime semblant ainsi
annoncer une nouvelle esthétique que le titre même du poème à travers son étymologie et sa
sémantique paraîtrait confirmer. Ce mot de « Zone » dont l’étymologie provenant du latin zona
( venant du grec ζώνη, ceinture, de ζώννυμι, ceindre) signifie la ceinture puis par élargissement du
sens la ceinture d’une ville, de Paris, un espace de marge, marginal et pauvre sous-tend la
marginalité de ce poème qui s‘inscrit en marge de la tradition poétique explorant des zones
inattendues, du quotidien ou malfamées. « Zone » propose une exploration, une déambulation
physique et poétique dans un Paris et une poésie à la marge, modernes. Apollinaire qui explore les
limites, la « zone » incarne lui-même cette idée, « bâtard, métèque et fauché », il est un homme de
marge.

En quoi le début du poème présente-t-il le rapport singulier d'Apollinaire entre passé et présent ?
En quoi « Zone » constitue-t-il un art poétique ?

« Zone » est un poème fleuve dont nous allons étudier les vers 1 à 24.
3 Mouvements :
- v1 à v10 : la revendication de la modernité
- v11 à v14 : la poésie dans la ville
- v15 à v24 : la ville poétisée

I. Revendication de la modernité (v.1 à v.10)

v.1 : « »
scansion de ce premier vers qui porte à confusion
11 ou 12 pieds selon si on réalise ou non la diérèse : choix de faire ou non l'alexandrin dévolu au
lecteur, laissé à son appréciation
Confusion, forme ambigue avec ce possible alexandrin
Alexandrin : vers noble (remis au goût du jour par les poètes de la Pléiade qui délaissent le
décasyllabe, l'alexandrin était tombé en désuétude pendant deux siècles, alexandrin = vers originel
de la poésie française selon Fauchet )
Cette utilisation de l'alexandrin parait paradoxale « À la fin tu es las de ce monde ancien » du fait de
la lassitude suscité par le monde ancien et de la rime interne entre « fin » et « ancien ».
Pourquoi donc cette reprise de la forme ancienne qu'est l'alexandrin ?
Inauguration dès ce premier vers du caractère paradoxal et surprenant de la position du poète.
Ironie, aspect humoristique à travers ce paradoxe.

Ouverture du poème avec formule « à la fin » qui renforce l'aspect déroutant car ce sont les 1ers
mots du 1er vers du 1er poème du recueil.
Zone s'il est introduit comme le premier poème du recueil est pourtant une production plus tardive,
serait-il une ouverture esthétique et thématique, un manifeste poétique ?
Donc Zone comme poème bilan, aboutissement de la réflexion d'Apollinaire

Paradoxe qui se poursuit au vers 2 avec ce refus du monde ancien


Pourtant apparition du personnage de la Bergère, héroine des romans pastoraux du XVIIème siècle
Apposition avec la Tour Eiffel, nouvelle dans le paysage parisien 1889, incarnation de la modernité
(exposition universelle) avec un ô lyrique, une apostrophe traditionnelle
donc assimilation de la Tour Eiffel à cette bergère gardant « le troupeau des ponts »
Alternance systématique entre éléments anciens et modernes bergère/tour eiffel, troupeau/pont
Ville de Paris qui entremêle ces époques, les faisant coexister dans un même espace géographique
comme Apollinaire dans son vers (d'abord éléments apposés puis liés dans une même groupe
syntaxique, groupe nominal)
Cette coexistence est innovante. Métaphore filée des ponts et des moutons et allusion aux
automobiles, voitures qui bêlent.
Ville sonore, qui prend vie sous le vers poétique avec animalisation des voitures moutons et la
personnification de la Tour Eiffel

v.3 « »

Reprise du 1er vers avec la formule « tu en as assez » qui fait écho au « tu es las » du v1.
Comme reformulation moderne dans un langage commun, courant,actuel avec le monde ancien est
explicité en l'antiquité grecque et romaine.

v.4 « »
Inscription dans l'espace temps moderne avec l'adverbe "Ici" qui désigne Paris et la mention des
automobiles. Paradoxe de nouveau, flou temporel avec les automobiles qui "ont l'air d'être
anciennes" et avec l'utilisation du terme automobile qui renvoie directement à son étymologie
romaine auto/mobile soit qui se meut par soi même. Terme de voiture plus moderne.

v.5.6 « »
La religion est neuve, inscription dans le passé avec l'emploi du passé composé qui fait entendre
une vérité actuelle. Cette continuité est visible avec la répétition de "la religion" qui ouvre le vers 5
et que l'on retrouve à sa fin. Mise en valeur de la religion. L'enjambement qui nous mène au vers 6
montre la capacité de renouvellement de cette religion, renforcée par le parallèle entre la religion et
l'aviation avec la comparaison "comme les hangars de Port Aviation", Port Aviation (création 1909
aérodrome, champ de course)
Rapprochement curieux
Religion : élévation spirituelle
Aviation : élévation physique

v.7 « »
après phrase affirmative qui dit le caractère neuf, simple de la religion Double affirmation avec la
fome négative "tu n'es pas antique". Sens plus chronologique avec le christianisme qui marque du
point de vue temporel la sortie de l'Antiquité.

v.8 « L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X »


Toujours ambiguité
- simple assonance entre vers 7 et 8
- Désignateur périphrastique avec l'idée moderne d'Europe renforcée par le superlatif "le plus
moderne" qui renvoie au pape avec le présentatif « c'est vous »
- vouvoiement qui se substitue au tutoiement, marque de respect
- Mais Pape Pie X (1903-1914) , anti moderniste, a refusé toute adaptation de la religion à la
modernité
- référence à la bénidiction du pape de l'aviateur Beaumont, vainqueur de la course Paris-Rome
donc moderne en ce sens, n'a pas béni un roi mais une figure de la modernité en la personne d'un
aviateur.
- déférence et admiration pour le pape et la religion
v.9.10
« Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin »
- « toi » qui revient désignant Apollinaire lui même, pronom tonique qui désigne, qui fait ressortir
la honte avec l'apostrophe
- une hypallage qui amplifie la présence symbolique de Dieu avec la personnification des fenêtres et
le jeu de regard avec la vue en plongée qui écrase le personnage
- Rapport complexe de Apollinaire à la religion, élevé dans celle-ci mais crise de foi dans sa
jeunesse avec l'enjambement qui mime l'entrée dans l'église qui ne se fera pas
- besoin d'épanchement lyrique avec « confesser »
- Honte d'Apollinaire qui semble courir dans les vers avec l'enjambement du v.9 au v.10 et
s'acharner avec les 3 récurrences de la 2ème personne du singulier "toi", "te retient" et "t'y
confesser".
- l'utilisation du pronom de 2ème personne montrerait une volonté de mise à distance d'un « je »
ancien dans lequel le poète ne se reconnait plus. Il serait devenu étranger à lui même, coincé par la
tradition.
- « ce matin » : répétition en fin de vers (épiphore), donc à l'aube d'un jour nouveau bien que
toujours empêché à ce moment, enlisé encore.

II. La poésie dans la ville (vers 11 à 14)

v.11 « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut »

– simultanéité et discontinuité
– « tu lis » :
– « les prospectus les catalogues les affiches » : mouvement ternaire qui met en valeur des
nouvelles formes d'expression (association du texte et de l'IMAGE), éloge de la modernité
avec ces nouveaux supports. Plus d'éllitisme poétique ou de style sublime, la poésie est
partout, elle peut résider dans le commun, plus dans les mots seuls avec le caractère visuel,
l'importance de l'image avec le mouvement ternaire (voie des calligrammes
ouverte)(Voyelles de Rimbaud, « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles »)
– Absence de ponctuation dans le mouvement ternaire qui favorise le mélange de ces
différents fragments. Fusion des fragments pour une nouvelle esthétique (cubisme…)
– « qui chantent » : PSR qui dit le caractère poétique de ces formes nouvelles avec le verbe «
chanter » (tradition lyrique avec musique en poésie) et montre leur valeur par leur
personnification
– « tout haut » : CCM qui manisfeste la fierté de ces nouvelles formes poétiques et large
diffusion

v.12 « Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux »

- « Voilà la poésie» : et se proclament en tant que telles avec le présentatif, se désignent elles-même
- « ce matin » : répétition vers le début du vers, nouvelle ère, renouveau de la poésie.
- « et pour la prose il y a les journaux » : réflexion métapoétique avec nouvelle définition de prose
et poésie qui ont chacun leur moyen d'expression, séparation avec la conjonction de coordination «
et » qui sépare dans les deux parties du vers. ( Poésie présentatif « être » et prose « avoir » ??? à
creuser ! )
- « il y a » : expression prosaïque, langage courant

v.13 « Il y a les livraisons à vingt-cinq centimes pleines d'aventures policières »


– « il y a » : répétition de cette locution impersonnelle qui exprime la liste
– « les livraisons » : pluriel, foisonnement de cette production et engouement pour celles-ci
avec extension des transports (révolution industrielle)
– « à vingt-cinq centimes » : révolution industrielle qui rend accessible, explosion grâce à
presse mécanique, bas coût des journeaux. Modernité physique qui popularise. Inscription
de l'argent, moderne.
– « pleines d'aventures policières » : « pleines », adjectif qui renforce l'idée de profusion avec
le nouveau pluriel « aventures policières». Nouvelles formes littéraires (romans policiers)
«aventures policières» (Apollinaire, fan de Fantômas de Pierre Souvestre, publié 1911 à
1913, cinéma dès avril 1913)

v.14 « Portraits des grands hommes et mille titres divers »

– « Portraits des grands hommes » : périphrase de « biographie »


– « et » : conjonction de coordination qui par l'addition intensifie de nouveau la profusion.
Production abondante
– « mille titres divers » : hyperbole qui exalte la profusion encore renforcé par le pluriel et
l'adjectif « divers » qui dit aussi la diversité de production et clin d‘oeil aux « faits divers »
qui inspirent ces titres. Renouveau de toute la littérature pas seulement de la poésie.

III. La ville poétisée (v.15 à v.24)

v. 15 « J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom »


- « J'ai vu » : 1ère occurrence de « j' », poète qui s'est retrouvé, abandon du « tu », modernité
affirmée
- « j’ » : situation d’énonciation complexe de « tu » à « vous » à « j’ », fragments aussi, différentes
voix
- « ce matin » : nouvelle occurrence de ce matin mais pas présentatif ici « je » donc renouveau de sa
poésie personnelle
- « une jolie rue » : espace moderne de la rue, déambulation parisienne (suite de la promenade
initiée en début de poème), ville moderne devient sujet poétique mais aussi banalité comme sujet
poétique avec l’article indéfini « une »
- « dont j'ai oublié le nom » : PSR qui dit le caractère banale de la rue / devient aussi symbolique,
incarnant toutes les rues modernes de Paris

v.16 « Neuve et propre du soleil elle était le clairon »


- « Neuve et propre » : adjectifs mélioratifs, adjectif « neuve » qui dit la nouveauté de la rue pas en
tant que telle peut être mais en tant que sujet poétique
- « propre du soleil » : hypallage ou antéposition du CdN de « clairon » formant ainsi une
métaphore (absence de ponctuation (moderne) qui favorise l’ambiguité et les associations
incongrues
- « elle était le clairon » : « clairon » instrument de musique donc rue = clairon avec Attribut du
sujet.
Interprétez cet attribut !
Peut-être nouveau chant d’Apollon, le chant du soleil, chant tintamarresque ? Chant de la rue.

v.17 « Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes »


- « » : mouvement ternaire qui ancre le poème dans un cadre spatio-temporel avec métiers de la rue
et de la modernité (la Belle époque) avec les métiers du monde industriel. rue comme théâtre du
défilé des parisiens donc théâtre de la modernité
mouvement ternaire de poésie urbaine
- « belles » : adjectif qui qualifie peut être plus la modernité à travers le caractère moderne du
métier de sténo-dactylographes
- « sténo-dactylographes » : dernier mot du vers pour le mettre en avant et célébrer cette modernité
dans ce terme technique et nouveau

v.18 « Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent »
- « Du lundi matin au samedi soir » : inscription de la semaine des travailleurs, ancre dans la réalité
quotidienne avec balancement entre lundi/samedi et matin/soir qui font entrevoir les allées et
venues des gens qui partent et rentrent du travail
- « quatre fois par jour » : défilé, déambulation visible avec habitude de la vie courante, marquée
par l‘itération
- « y passent » : contemplation de ces gens avec aspect intransitif

v.19 « Le matin par trois fois la sirène y gémit »


- « Le matin » : nouvelle occurrence
- « par trois fois » : les 3 coups de théâtre, caractère symbolique du chiffre 3 mais ici temps de
travail qui débute
- « la sirène y gémit » : « sirène » qui évoque la tradition poétique à travers la sirène d’Ulysse et
son chant mais transformation de cette tradition avec polysémie de sirène qui est un appareil
technique émettant un son strident. Ici instrument marquant le début du temps de travail ou alarme.
Personnification de cette sirène avec le verbe « gémir », plus un chant, son désagréable. Glissement
opéré de la tradition à la modernité.

v.20 « Une cloche rageuse y aboie vers midi »


- « une cloche rageuse »
- « y aboie » : animalisation de la cloche, la rue devient espace sonore, prend vie dans des sons peu
harmoniques
- « vers midi » : temps de la pause, temps de travail donc espace temporel du travailleur de
l‘époque. Quotidien de l‘ouvrier poétisé.

v.21 « Les inscriptions des enseignes et des murailles »


- « les inscriptions » : écriture

- « des enseignes et des murailles » : profusion de noms dans ces vers… Images diverses…
Fragments… Supports plats… Peinture ET écriture

A vous d‘interprétez...
v.22 « Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent »

- « les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent » rue animée vivante avec cacophonie
visuelle et sonore avec un foisonnement de substantifs et de verbes sonores. Champ lexical d’une
musique moderne.

- « à la façon des » :

- « des perroquets criaillent » : animalisation qui poétise le quotidien, certaine dissonance, beauté du
criard et du discordant. Regard du poète qui transfigure le quotidien, transfiguration de la réalité.

v.23 « J'aime la grâce de cette rue industrielle »


- « j‘aime » : « j »
- « la grâce de cette rue industrielle » : antiphrase renforcée par la qualification de la rue qui est
« industrielle »

v.24 « Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes »


- « située à Paris » :
- « entre la rue Aumont-Thieville et l‘avenue des Ternes » :

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