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19, n° 1/2004
Jean-Louis Chandon
Professeur, IAE d’Aix-en-Provence
CEROG (Centre d’études et de recherche sur les organisations et la gestion)
Boris Bartikowski
Professeur assistant, EUROMED, Marseille
RÉSUMÉ
Cet article porte sur les problèmes de mesure de la satisfaction des consommateurs. Une étude empirique montrera comment
on peut identifier les énoncés décrivant les bornes de la zone d’indifférence. Nous présenterons une répartition des énoncés de la
littérature en énoncés d’insatisfaction, d’indifférence et de satisfaction. Sur la base de ces résultats une échelle de mesure de satis-
faction ordinale sera proposée. Les bornes supérieures des énoncés de l’échelle seront calculées en application d’une variante de
la loi des jugements catégoriels de Thurstone.
Mots clés : Satisfaction, échelle de mesure, zone d’indifférence, zone de tolérance, méthode des intervalles apparemment
égaux, loi des jugements catégoriels.
INTRODUCTION
directement, les chercheurs s’appuient sur des
échelles de mesure dont ils supposent qu’elles per-
mettent de suivre à la trace le construit. Cependant, le
test des hypothèses et la validation des modèles
Les recherches en matière de satisfaction du dépendent toujours de la qualité des mesures utili-
consommateur connaissent depuis quelques années sées. Il n’en reste pas moins que les recherches psy-
un développement extrêmement important. Comme chométriques autour des échelles de satisfaction sont
la satisfaction est un phénomène difficile à observer relativement rares.
Les auteurs remercient quatre lecteurs anonymes ainsi que le professeur Heribert Gierl de l’Université d’Augsbourg/Allemagne pour leurs sug-
gestions et commentaires à propos de cette recherche.
Ils peuvent être contactés aux adresses électroniques suivantes :
Jean-Louis.Chandon@iae-aix.com ; Boris.Bartikowski@euromed-marseille.com
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40 Jean-Louis Chandon, Boris Bartikowski
Les choix à effectuer entre une échelle à support d’une étude empirique, afin de détecter les énoncés
sémantique et une échelle de type Likert ou entre une décrivant les bornes de la zone d’indifférence (ZDI).
échelle mono-item et une échelle multi-items, ou Sur la base de ces résultats, nous proposerons une
encore entre une échelle ordinale ou une échelle d’in- nouvelle échelle de satisfaction ordinale, dont les
tervalle, sont rarement discutés. Le choix de l’échelle bornes supérieures des énoncés seront calculées en
retenue est souvent justifié par le fait qu’elle a été appliquant une variante de la loi des jugements caté-
utilisée par d’autres chercheurs, pour la plupart améri- goriels de Thurstone. Cette échelle permettra de classer
cains. Pras (1976), à la suite des travaux de Myers et les répondants en « satisfaits », « indifférents » et
Warner (1968), est l’un des premiers chercheurs à « insatisfaits ». Les limites de cette recherche et les
proposer une échelle d’intervalle à supports séman- voies de recherche futures seront ensuite explorées.
tiques calibrée pour un environnement francophone.
Il montre, en utilisant la méthode de Thurstone, qu’il
est possible de choisir des énoncés à peu près équidis-
tants et relativement stables d’un groupe social à un
autre afin d’évaluer des produits ou des publicités. REVUE DE LA LITTÉRATURE
En nous inscrivant dans le prolongement de ses tra-
vaux, nous souhaitons développer et calibrer une
échelle de satisfaction à support sémantique. Nous
nous intéressons aussi aux difficultés liées à la tra-
duction des échelles rédigées en anglais afin d’inciter La mesure de satisfaction
les chercheurs francophones à développer et à cali-
brer les échelles de satisfaction adaptées à notre Pour mesurer la satisfaction du consommateur, le
langue. À titre d’exemple, il est possible que pour les chercheur peut choisir entre des échelles de type
francophones l’adjectif « adéquat » exprime un Likert, sémantique différentiel, icônes, intervalles à
niveau de performance correspondant à une faible support sémantique, etc. Pour un aperçu des échelles
satisfaction alors que, pour les personnes parlant en général, on consultera par exemple Evrard, Pras et
anglais, cet adjectif correspondra à une performance Roux (1997, p. 258 sqq.). Dans le domaine de la
n’engendrant que l’indifférence. Par ailleurs, la satisfaction, on se reportera par exemple à Hausk-
concordance entre les supports sémantiques et les necht (1990), Faivre (1993), Danaher et Mattsson
niveaux de satisfaction peut varier selon la catégorie (1994), Gotlieb, Grewal et Brown (1994), Danaher et
sociale ou la fonction des répondants. Ainsi, en utili- Haddrell (1996), Vavra (1997) ou Vanhamme (2002).
sant également la méthode de Thurstone, Scipione D’une manière générale, on distingue les échelles
(1995) montre que la valeur numérique associée à mono et multi-items et les échelles ordinales et les
des évaluations telles que « virtually all », « significant échelles d’intervalle. Cependant, tous les types
majority », « about half », etc., diffère de manière d’échelle ne s’adaptent pas à toutes les probléma-
significative à l’intérieur d’une même langue selon la tiques du chercheur. Il est donc important de choisir le
fonction de la personne travaillant dans une entre- type d’échelle en fonction du but de l’étude. Ainsi,
prise. un chercheur peut vouloir classer les répondants en
Cette note de recherche comprend deux étapes : trois classes (satisfaits, indifférents et insatisfaits) ou
premièrement, elle présente une méthode pour le encore obtenir une mesure globale de satisfaction à
développement des échelles à supports sémantiques ; l’aide d’une seule question quand le nombre de ques-
deuxièmement, elle applique cette méthode à la tions à poser est sévèrement limité. Un autre but de
construction d’une échelle permettant de répartir les recherche peut être l’étude de la dimensionnalité, de la
répondants en trois classes : les personnes satisfaites, fiabilité interne ou de la validité convergente d’une
indifférentes ou insatisfaites. Nous commencerons échelle de satisfaction, sans trop de contraintes liées au
par une brève revue des techniques de mesure de nombre d’énoncés (Aurier et Evrard, 1998). D’autres
satisfaction du consommateur. Ensuite, nous présente- questions de recherche nécessitent la comparaison
rons la méthode des intervalles apparemment égaux. des notes moyennes de satisfaction par pays ou par
Nous appliquerons cette méthode, dans le cadre entreprise (Fornell, 1992 ; Fornell et alii, 1996) ou
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 41
utilisent des techniques de régression (Brandt et priori et non a posteriori, en fonction de la distribution
Scharioth, 1998 ou Ngobo, 1998), ce qui exige l’ap- des réponses obtenues, pour éviter que l’utilisateur
plication d’échelles de type intervalle. Toutes les ne choisisse le regroupement qui s’adapte le mieux à
échelles de satisfaction n’ont pourtant pas cette qualité. ses hypothèses. Pour permettre le regroupement en
Implicitement, les chercheurs acceptent souvent l’hy- trois classes, il est donc utile de disposer d’une
pothèse d’équidistance entre les échelons sans véri- échelle ordinale, spécialement conçue à cet effet.
fier si cette hypothèse peut être réellement confir-
mée. Il est pourtant possible de calculer les distances
entre des échelons sémantiques tels que « très mau- Le concept de la zone d’indifférence
vais », « mauvais » et « moyen », grâce à la méthode
des intervalles apparemment égaux, comme le fait La zone d’indifférence (souvent nommée « zone de
par exemple Pras (1976) pour l’échelle ci-dessous. tolérance » ou « zone de neutralité ») est l’un des
D’autres chercheurs préfèrent appliquer les thèmes qui intéresse vivement les chercheurs en
échelles de type Likert afin de mesurer la satisfaction matière de satisfaction comme en matière de qualité
(Westbrook et Oliver, 1981 ; Oliver et Bearden, des services (par exemple : Anderson, 1973 ; Woo-
1983). Pour ce type d’échelle, l’on peut penser que druff, Cadotte et Jenkins, 1983 ; Johnson, 1995).
l’hypothèse de l’équidistance entre les échelons est Rappelons brièvement quelques points centraux de
mieux respectée que pour certaines échelles à éche- ce concept.
lons sémantiques. Plusieurs auteurs soulignent qu’il On suppose qu’un consommateur est satisfait s’il
est délicat de mesurer la satisfaction par un seul perçoit une performance supérieure à la borne supé-
énoncé et qu’il est souhaitable, pour établir les qualités rieure de sa zone d’indifférence (ZDI). De même, on
psychométriques, de mesurer la satisfaction par des suppose que le consommateur est insatisfait s’il perçoit
échelles comportant plusieurs énoncés. Toutefois, le que la performance est inférieure à sa borne infé-
fait d’utiliser plusieurs énoncés peut alourdir l’en- rieure de la ZDI. Si le consommateur perçoit qu’une
quête tandis qu’une seule question à échelon séman- performance tombe à l’intérieur de la ZDI, alors il est
tique, à condition qu’elle soit préalablement étalon- indifférent. Les chercheurs estiment que le consom-
née, peut suffire. mateur indifférent ne présente pas des comporte-
On ne s’intéresse pas uniquement aux notes ments « extrêmes » en termes de fréquence de rachat
moyennes de satisfaction mais aussi à la répartition ou de bouche à oreille (par exemple, Johnston, 1995).
des répondants en insatisfaits, indifférents ou satis- Le schéma suivant illustre ce concept. La borne infé-
faits. Une telle répartition des répondants en trois rieure de la ZDI est définie par la notion de perfor-
groupes a fait l’objet de nombreux débats dans la litté- mance « adéquate » tandis que la borne supérieure de
rature (par exemple : Woodruff, Cadotte et Jenkins, la ZDI est définie par la notion de performance
1983 ; Kennedy et Thierkell, 1988 ; Parasuraman, « désirée » (cf. Figure 1).
Berry et Zeithaml, 1991 ; Strandvik, 1994 ou Johnston, Pour de nombreux auteurs, cette logique permet
1995). Pour effectuer ce classement en trois groupes, également de mesurer la ZDI (par exemple : Kettinger
on doit procéder à un regroupement des barreaux de et Lee, 1997 ; Le, 1999 ; Maertens, Lyth et Mallak,
l’échelle dès que celle-ci (Likert ou autre) comporte 2000 ; Gwyne, Devlin et Ennew, 2000). Ces auteurs
plus de trois modalités. Ce regroupement doit se faire a demandent aux répondants d’indiquer dans quelle
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zone de tolérance
mesure ils s’attendent à une performance « adéquate » Ainsi, Berry et Parasuraman (1991) pensent
et dans quelle mesure ils s’attendent à une perfor- qu’une performance supérieure à la performance
mance « désirée ». L’étendue de la ZDI est ensuite « comme désirée » exprime de la satisfaction tandis
donnée par soustraction de ces deux niveaux. Cepen- qu’une performance inférieure à la performance
dant, on peut douter de la qualité de cette mesure « adéquate » exprime de l’insatisfaction. En
pour les trois raisons suivantes : contraste, Johnston (1995) est de l’avis qu’une per-
a) les énoncés « adéquate » et « comme désirée »
formance « adéquate » tombe à l’intérieur de la ZDI,
ont été choisis arbitrairement (pour une discussion
qu’une performance « idéale » décrit la borne supé-
des énoncés alternatifs, voir Parasuraman, Zeithaml
et Berry, 1994) ; rieure et qu’une performance « minimum tolérable »
b) l’ordre hiérarchique des énoncés n’a pas été décrit la borne inférieure. La littérature propose un
confirmé ; grand nombre d’énoncés de satisfaction mais les
c) il n’est pas certain que tous les répondants interprétations sur leur ordre hiérarchique ainsi que
comprennent les énoncés choisis de façon équiva- sur la désignation des bornes de la ZDI divergent1.
lente. Ainsi, Oliver (1997) propose le modèle suivant :
Ideal (idéal)
Tolerance
Excellent (excellent) zone
Adequate (adéquat)
Intolerable (intolérable)
Figure 2. – Une hiérarchie des énoncés de satisfaction d’après Oliver (1997, p. 72)
1. Nous ne discuterons pas ici des similitudes et des différences conceptuelles entre la zone de tolérance et la zone d’indifférence ainsi que
des similarités et différences entre les concepts de satisfaction, performance perçue et qualité perçue (pour plus de détails le lecteur pourra
consulter Bitner, 1990 ; Carman, 1990, ou Nogbo, 1998).
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 43
LES OBJECTIFS DE CETTE ÉTUDE des expressions supposées pertinentes pour décrire
les divers niveaux du construit qu’on souhaite mesurer.
Ensuite, on demande à un échantillon de répondants de
classer les énoncés dans un certain nombre de catégo-
ries hiérarchiques (response scaling). Ici, conformé-
Dans notre étude, nous poursuivons deux objec-
ment à la méthode des intervalles apparemment
tifs : dans un premier temps, nous souhaitons identifier
égaux, telle que la présente Pras (1978), on fait l’hy-
les énoncés qui expriment une évaluation négative,
pothèse d’équidistance entre les catégories dans les-
neutre ou positive d’une performance perçue. À cette
quelles les répondants doivent ranger les énoncés.
fin, nous identifierons les énoncés qui peuvent être
Pour construire une échelle qui possède les qualités
considérés comme les bornes sémantiques de la ZDI.
d’une échelle de type intervalle, il est nécessaire de
Les énoncés qui se trouvent à l’intérieur de ces
ne retenir que les énoncés pour lesquels :
bornes peuvent être considérés comme expressions
d’indifférence et les énoncés qui sont en dehors • les notes moyennes sont approximativement
(inférieurs ou supérieurs à ces bornes) sont des équidistantes ;
expressions d’insatisfaction ou de satisfaction. Dans un • les notes moyennes, plus ou moins leurs écarts
deuxième temps nous souhaitons développer une types, ne se chevauchent pas ;
échelle ordinale de satisfaction, permettant de caté- • les évaluations varient peu (car on souhaite que
goriser les répondants en trois groupes : les per- les répondants comprennent clairement les énoncés).
sonnes insatisfaites, indifférentes et satisfaites. Il est à
Si l’on dispose d’un nombre important d’énon-
souligner que nous ne souhaitons pas mesurer l’éten-
cés, on peut alors construire une deuxième échelle
due de la zone d’indifférence, définie par Woodruff,
(une « échelle parallèle »), qui mesure, elle aussi, le
Cadotte et Jenkins (1983) comme zone de perfor-
même construit. Ceci peut permettre de tester la fiabi-
mance à l’intérieur de laquelle la personne n’est ni
lité des deux échelles.
satisfaite ni insatisfaite.
En résumé, la procédure permet d’attribuer à
chaque énoncé une valeur numérique (par exemple la
moyenne ou la médiane des évaluations) indiquant sa
position hiérarchique. De plus, le chercheur est en
mesure de juger de la « qualité sémantique » des
ÉTUDE EMPIRIQUE énoncés en éliminant les énoncés dont la perception
diverge parmi les répondants (c’est-à-dire les énon-
cés ayant une forte variance).
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 45
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statistiques afin de confirmer les choix proposés ci- rence, qui forment un même groupe selon le critère
dessus. Un énoncé constitue une borne idéale s’il est 2, nous effectuons un test bilatéral de différence entre
séparé significativement de l’énoncé qui le précède et les moyennes. Pour tester la séparation d’un énoncé
de l’énoncé qui le suit. De plus, nous nous attendons à borne, nous employons deux tests unilatéraux. En
ce que la dispersion des évaluations de cet énoncé effet, nous souhaitons que cet énoncé soit séparé, à la
soit relativement élevée, car les répondants n’identi- fois, de celui qui le précède et de celui qui le suit.
fient pas clairement dans quelle classe cet énoncé se Dans tous les cas de figure, une différence sera consi-
situe. Voici trois critères statistiques de séparation et de dérée significative au seuil de risque de 5 %. Les
regroupement, permettant d’identifier les bornes
résultats de ces comparaisons sont présentés dans le
sémantiques de la ZDI :
Tableau 4.
1. La borne sémantique inférieure de la ZDI se
Nous constatons que l’évaluation de l’énoncé
distingue significativement de l’énoncé d’insatisfac-
« mieux serait désirable » est significativement supé-
tion qui a la note la plus élevée. De même, elle se
distingue significativement de l’énoncé d’indiffé- rieure à l’énoncé d’insatisfaction qui le précède et
rence qui a la note la plus basse. significativement inférieure à l’énoncé d’indifférence
2. Les énoncés d’indifférence ne se distinguent qui le suit. Ce résultat correspond à notre premier cri-
pas entre eux. tère et indique que la borne sémantique inférieure de la
3. La borne sémantique supérieure de la ZDI se ZDI est bien l’énoncé « mieux serait désirable ». Les
distingue significativement de l’énoncé d’indiffé- évaluations des énoncés d’indifférence ne se distin-
rence qui a la note la plus élevée. De même, elle se dis- guent pas significativement entre elles, ce qui corres-
tingue significativement de l’énoncé de satisfaction pond à notre critère 2. Les énoncés d’indifférence
qui a la note la plus basse. sont donc « suffisant », « acceptable », « normal » et
Afin d’examiner, sur une échelle de 1 à 7, les dif- « nécessaire ». L’évaluation de l’énoncé « comme
férences entre les évaluations, nous utilisons le t-test attendu » est significativement supérieure à l’énoncé
pour mesures répétées. Pour les énoncés d’indiffé- d’indifférence qui le précède et significativement
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inférieure à l’énoncé de satisfaction qui le suit. Ce Ces résultats nous incitent finalement à considé-
résultat correspond à notre troisième critère et rer « mieux serait désirable » et « comme attendu »
indique que la borne supérieure de la ZDI est bien comme les bornes sémantiques de la ZDI en langue
l’énoncé « comme attendu ». française. Les énoncés qui se trouvent à l’intérieur de
Le Tableau 5, qui récapitule nos résultats, pré- ces bornes peuvent être considérés comme énoncés
sente les évaluations moyennes des dix-huit énoncés et d’indifférence et les énoncés qui sont en dehors sont
les bornes sémantiques de la ZDI. des énoncés d’insatisfaction ou de satisfaction. Il est
La dispersion des évaluations des énoncés permet remarquable que l’énoncé « normal » montre un
de juger leur « qualité sémantique ». Pour développer écart type très faible. La majorité des répondants
une échelle de mesure, il est utile d’exclure les énoncés comprennent cette expression comme une évaluation
dont l’écart type est élevé car un tel énoncé est peu neutre de performance perçue. Il semble que cet
clairement catégorisé par les répondants. Plus haut, énoncé s’adapte bien pour mesurer la confirmation
nous avons argumenté que la dispersion des évalua- des attentes, c’est-à-dire un écart non significatif
tions peut aussi être prise comme indicateur des entre la performance perçue et le standard de réfé-
bornes sémantiques de la ZDI car les énoncés décri- rence. Enfin, nos résultats montrent que les énoncés
vant ces bornes devraient être peu clairement catégo- « adéquat » et « comme désiré » sont perçus, dans un
risés par les répondants. Cette supposition est confir- environnement francophone, comme des énoncés de
mée par nos données comme le montre la Figure 4, faible satisfaction. Ces énoncés sont cependant les
qui présente en abscisse les évaluations moyennes mesures les plus souvent utilisées, dans un environ-
des énoncés (sur une échelle allant de 1 à 7) et en nement anglophone, pour déterminer l’étendue de la
ordonnée l’écart type correspondant. La figure ZDI par approche soustractive. La Figure 5 illustre
montre les bornes sémantiques de la ZDI (en gras) et nos propositions en les opposant à celles de Parasura-
les deux énoncés entourant chacune des bornes. man, Berry et Zeithaml (1991, cf. Figure 1).
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En résumé, nous pensons qu’une performance velle échelle ordinale de satisfaction semblable à
inférieure à « mieux serait désirable » entraîne l’insa- celle que proposent Gierl et Bartikowski (2001) pour
tisfaction et qu’une performance supérieure à les énoncés en langue allemande.
« comme attendu » entraîne la satisfaction du
consommateur. Nous observons, qu’en langue fran-
çaise, une performance « adéquate » ou « comme Développement d’une échelle ordinale de satisfaction
désirée » est perçue comme légèrement satisfaisante. Il
ne nous paraît donc pas possible de traduire directe-
Dans un premier temps, nous choisissons neuf
ment les bornes sémantiques de la ZDI, telles
qu’elles ont été proposées en langue anglaise par énoncés parmi les dix-huit précédemment décrits, de
Parasuraman, Berry et Zeithaml (1991). manière à avoir trois énoncés d’insatisfaction, trois
Nous avons identifié les descriptions sémantiques énoncés d’indifférence et trois énoncés de satisfac-
des bornes de la ZDI et nous avons déterminé les tion. Nous choisissons des énoncés positionnés relati-
énoncés qui expriment l’insatisfaction, l’indifférence vement loin l’un de l’autre, tout en montrant un écart
ou la satisfaction. Ce résultat sera utilisé en sélec- type relativement faible. De plus, nous souhaitons
tionnant certains énoncés afin de construire une nou- que les énoncés d’insatisfaction soient relativement
1,20
1,00
0,80
Écart type
0,60
nécessaire à
mes besoins
0,20
à peine satisfait
acceptable suffisant
0,00
0,0 1,0 2,0 3,0 4,0 5,0 6,0 7,0 8,0
Évaluation moyenne
zone d'indifférence
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 49
éloignés des énoncés d’indifférence ainsi que des les expressions à examiner soient considérées comme
énoncés de satisfaction. des catégories plus ou moins étroites.
Nous retenons comme énoncés d’insatisfaction Le Tableau 6 donne l’effectif des réponses obte-
« intolérable », « insatisfaisant » et « minimum tolé- nues. Les chiffres entre parenthèses montrent la pro-
rable », qui couvrent l’intervalle allant de 1,10 à 2,27 babilité cumulée d’appartenance des stimuli aux neuf
et dont l’écart type est inférieur à 0,80. Pour les catégories. Par exemple, la probabilité que le stimulus
énoncés d’indifférence, nous retenons « normal », « 1 » tombe dans la catégorie « intolérable » est de
« suffisant » et « acceptable », allant de 3,96 à 4,11 et 66 %. La probabilité que « 1 » soit perçu comme
dont l’écart type est inférieur à 0,81. Enfin, pour les inférieur ou égal à « minimum tolérable » est de
énoncés de satisfaction, nous choisissons « comme 100 %.
désiré », « idéal » et « excellent », allant de 5,27 à À partir de ces données, la loi des jugements
6,85 et dont l’écart type est inférieur à 0,88. catégoriels permet d’estimer les bornes supérieures
Jusqu’ici, nous avons examiné les évaluations des huit premières catégories d’énoncés. En suppo-
moyennes des énoncés. Maintenant, nous nous inté- sant que les variables X i (= perception du stimulus i) et
ressons aux bornes supérieures des énoncés (chaque Yc (= borne psychologique supérieure de la catégorie
énoncé étant considéré comme une catégorie de c) suivent une loi normale et qu’elles ne soient pas
réponse). Afin d’estimer les bornes supérieures des corrélées entre elles, on peut démontrer (Gierl, 2000,
neuf énoncés choisis, nous appliquons la loi des p. 9) que :
jugements catégoriels (Attneave, 1949 ; Sixtl, 1967 ;
Gierl, 2000). Cette procédure implique que les éche- pic = P(X i Yc ) = P(X i − Yc ) 0
lons de 1 à 7 (sur lesquels les individus ont noté les 0 − (µi − µc )
énoncés) soient envisagés comme des stimuli, et que = 2 (1)
σi + σc2
Catégories
Stimulus 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Somme
intolérable insatisfait mini. normale suffisant acceptable comme idéal excellente
tolérable désiré
1 219 84 27 0 0 0 0 0 0 330
(0,66) (0,92) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00)
2 18 141 116 3 0 0 0 0 0 278
(0,01) (0,57) (0,99) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00) (1,00)
3 2 15 89 53 71 13 2 0 0 245
(0,01) (0,07) (0,43) (0,65) (0,94) (0,99) (1,00) (1,00) (1,00)
4 1 0 5 139 83 188 52 2 0 470
(0,00) (0,00) (0,01) (0,31) (0,49) (0,89) (1,00) (1,00) (1,00)
5 0 0 3 40 85 37 127 12 1 305
(0,00) (0,00) (0,01) (0,14) (0,42) (0,54) (0,96) (1,00) (1,00)
6 0 0 0 5 0 1 56 38 35 135
(0,00) (0,00) (0,00) (0,04) (0,04) (0,04) (0,46) (0,74) (1,00)
7 0 0 0 0 0 0 2 188 204 394
(0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,01) (0,48) (1,00)
Effectif 240 240 240 240 239 239 239 240 240
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minimum comme
intolérable insatisfait suffisant normale acceptable idéale excellente
tolérable desirée
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 51
soit décrite par l’expression « mieux serait désirable » validité prédictive. Il faudra démontrer, dans des
et que la borne supérieure soit décrite par l’expres- recherches futures, que la répartition des répondants en
sion « comme attendu ». Ce résultat nous a permis de trois classes explique aussi bien que les échelles de
distinguer entre les expressions d’insatisfaction, d’in- Likert multi-items les conséquences attendues de la
différence et de satisfaction. La méthode que nous satisfaction telles que le rachat, la fidélité, le bouche à
avons utilisée pourrait être mise à profit pour d’autres oreille positif, etc. Finalement, une échelle mono-
construits chaque fois que l’on souhaite ordonner et item ne permet pas d’évaluer la cohérence interne
classer les répondants dans un nombre des groupes comme on le fait lorsqu’on utilise des échelles multi-
prédéterminés. Notre échelle sert à classer les répon- items, en vue de capter les diverses facettes d’un
dants en trois groupes : les personnes insatisfaites, construit.
indifférentes et satisfaites. Néanmoins, la procédure
que nous venons de présenter requiert une phase de
calibrage qui n’existe pas pour les échelles multi-
items habituellement utilisées.
Cette recherche comporte plusieurs limites. Tout RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
d’abord, nous n’avons étudié qu’une seule catégorie de
service. Ensuite, il serait utile d’analyser davantage
d’énoncés. On s’attend à ce que l’inclusion d’autres
énoncés puisse modifier les valeurs numériques attri- Anderson R.E. (1973), Consumer dissatisfaction. The
buées. Il est possible que l’on puisse trouver d’autres effect of disconfirmed expectancy on perceived product
performance, Journal of Marketing Research, 10, 1,
regroupements d’énoncés ; il est possible aussi que 38-44.
l’on observe une bonne stabilité de l’affectation des Attneave F. (1949), A method of graded dichotomies for
énoncés aux trois classes de satisfaction. Dans le the scaling of judgments, Psychological Review, 56, 3,
même ordre d’idées, il sera utile de tester la stabilité 334-340.
des énoncés par réplications auprès de groupes Aurier P. et Evrard Y. (1998), Élaboration et validation
d’une échelle de mesure de la satisfaction des consom-
sociaux contrastés (par exemple les évaluations de mateurs, Actes de la Conférence de l’Association Fran-
populations jeunes avec celles de populations adultes : çaise du Marketing, éd. B. Saporta, Bordeaux, IAE,
ce qui est « bien » pour les adultes est peut-être 51-71.
« génial » pour les jeunes). Notre étude n’a examiné Berry L.L. et Parasuraman A. (1991), Marketing services.
que les évaluations d’une population d’étudiants. On Competing through quality, New York, The Free Press.
Bitner M.J. (1990), Evaluating service encounters: the
peut se demander si une échelle mesure le même
effects of physical surroundings and employee res-
construit indépendamment de la population à ponses, Journal of Marketing, 54, 2, 69-82.
laquelle on l’applique. Dès que l’on mesure la rela- Boulding W., Kalra A., Staelin R. et Zeithaml V.A. (1993), A
tion entre un construit et un objet, la langue qu’utilise dynamic process model of service quality. From expec-
la population étudiée peut modérer les résultats. Pour tations to behavioral intentions, Journal of Marketing
Research, 30, 1, 7-27.
les études empiriques de type « baromètre de satis-
Brandt R.D. et Scharioth J. (1998), Attribute life cycle ana-
faction », il sera bon de vérifier que les divers publics lysis – alternatives to the Kano-method, Actes du 51e
enquêtés utilisent un langage commun. Dans ce Congrès ESOMAR, éd. ESOMAR, septembre, Berlin,
domaine, le calibrage des échelles pour diverses 413-429.
populations est un défi pour les recherches futures. Carman J.M. (1990), Consumer perceptions of service qua-
Ainsi, il sera important de vérifier empiriquement la lity: an assessment of the SERVQUAL dimensions,
Journal of Retailing, 66, 1, 33-55.
stabilité des bornes sémantiques de la ZDI dans Chandon J.-L. et Dano F. (1997), Analyses typologiques
d’autres langues que le français. Notons aussi que la confirmatoires : évaluation d’une partition hypothé-
méthode d’estimation, par régression non linéaire, tique issue d’une étude sémiotique, Recherches et
des frontières entre les énoncés présente une certaine Applications en Marketing, 12, 2, 1-24.
instabilité à cause du grand nombre de paramètres à Danaher P.J. et Mattsson J. (1994), Customer satisfaction
during the service delivery process, European Journal of
estimer et du faible nombre de degrés de liberté. Marketing, 28, 5, 5-16.
Enfin, la validation de notre échelle devra faire l’objet Danaher P.J. et Haddrell V. (1996), A comparison of question
de travaux futurs, notamment du point de vue de sa scales used for measuring customer satisfaction, Inter-
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52 Jean-Louis Chandon, Boris Bartikowski
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Une échelle ordinale permettant de classer les répondants en « satisfait », « indifférent » et « insatisfait » 53
a) Version sans support à manipuler b) Version avec les énoncés sur des cartes
Cochez le (ou les) énoncé(s) qui correspond(ent) le Choisissez la (ou les) carte(s) qui correspond(ent) le
mieux au service reçu. mieux au service reçu.
Acceptable
Comme désiré
Idéal
Excellent
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