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Explication linéaire 24 premiers vers de « Zone »

Contextualisation : Guillaume Apollinaire publie ses premiers poèmes dans des revues dès le début
du XXe siècle mais devient également un critique d’art reconnu ; il fréquente ainsi de nombreux
jeunes artistes avec qui il partage l’enthousiasme d’un nouvel élan qui prendra forme sous le nom
d’« esprit moderne ».
Place de l’œuvre dans l'histoire littéraire : Alcools est un recueil qui contient des poèmes écrits sur
une longue période et qui vient manifester davantage l’engagement du poète dans la défense d’une
poésie renouvelée, par exemple en prenant le parti de ne ponctuer aucun des poèmes.
Situation du passage dans l’œuvre : « Zone » est le 1er poème du recueil, pourtant écrit
vraisemblablement en dernier. 1er titre = « Cri » qui évoque davantage la souffrance personnelle. Le
nouveau titre est plus énigmatique et plonge d’emblée le lecteur dans une ambiance citadine de
banlieue, mais aussi dans des espaces inconnus… espace délimité ? Frontière ? Délaissé ? À
défricher ?...

Unité du passage :
• thématique : art poétique qui fait l’éloge de la simplicité et de la modernité
• forme choisie : forme versifiée mais assez libre (strophes d’inégales longueurs, vers de
même)

Mouvement du texte => les différents moments du passage


• v. 1 – 10 : La revendication de la modernité
• v. 11-14 : La poésie dans la ville
• v. 15-24 : La ville devenue poétique

Piste de lecture : nous nous demanderons en quoi ce début de poème qui signe aussi l’ouverture du
recueil propose un art poétique qui préconise le mélange de la tradition et de la modernité.

Lecture linéraire :

1) v 1- 10 La revendication de la modernité

v.1 jeu de circularité qui se répète :


• 1ers mots (donc début du poème et aussi du recueil) évoquent « la fin »
• or, le dernier poème, « Vendémiaire » qui a de nombreux échos avec le 1er se termine sur « le
jour naissait à peine » donc un nouveau début
=> le lecteur est d’emblée plongé dans une spirale cyclique temporelle déroutante
• + « à la fin » = expression populaire (« ça suffit, à la fin ! ») qui redouble le sens de « être
las » expression soutenue
=> mélange des registres de langue étonnant
• + la « fin » (au début du vers) évoque le futur or le dernier mot du vers « ancien » évoque le
passé, ce qui vient troubler davantage les repères
• + rejet de la tradition exprimée clairement, mais ironiquement à travers un alexandrin, vers
traditionnel par excellence ! Attention diérèse : an-ci-en
• « tu » => interpellation au lecteur ? Celui-ci, pris à parti dès le début du poème est surpris
• 2e surprise quand le lecteur comprend que le poète se parle à lui-même comme à un autre
(référence à « Je est un autre » de Rimbaud ?)
• le démonstratif « ce » entraîne une forme de connivence puisqu’on est censé partager la
connaissance de « ce monde ancien » mais aussi crée un mystère tant qu’on ne l’a pas
totalement identifié
Le saut de ligne qui se répète 3 fois met en évidence les 3 1ers vers qui se retrouvent isolés :
• surprise et déstabilisation du lecteur
• parti pris de liberté

v. 2 :
• bcp plus long que le 1er => schéma de vers aléatoire, de même que les rimes = vers libre
=> parti pris de modernité
• métaphore étonnante (tjs l’esthétique de la surprise, cf conférence sur « L’esprit nouveau » :

Tradition Modernité
Bergère + moutons => référence au genre de la Tour Eiffel = très récente pour Apollinaire
pastorale, genre bucolique qui date de l’Antiquité ponts : certains datent du Moyen-Âge mais
et est très en vogue à la Renaissance d’autres (Le pont Mirabeau) viennent d’être
construits :
=> mélange ancien et moderne
ô lyrique = expression poétique d’admiration => mise à l’honneur des éléments de la ville, qui
mais qui fait l’éloge de la modernité (Tour Eiffel) ne devient un objet poétique que depuis
Baudelaire et son recueil intitulé Le Spleen de
Paris (Poète qui permet un tournant significatif
de la poésie vers la modernité).

• 1ère évocation sonore : « bêle »


=> cf « Art poétique » de Verlaine : « De la musique avant toute chose »

v. 3 :
• le « tu » reste équivoque (esthétique de l’ambiguité) => le lecteur est écarté mais l’absence
de ponctuation peut laisser penser qu’il s’agit d’une apostrophe à la Tour Eiffel
• reprise du vers 1 : « tu es las » => « tu en as assez » = on passe du registre soutenu (plutôt
traditionnel) au registre courant (moins fréquent en poésie)
• précision sur le monde ancien => « l’antiquité gréco-romaine » qui projette le lecteur dans
une époque effectivement très lointaine, sorte d’exagération pour montrer à quel point le
monde est ancien
• + la poésie antique = héritage de la Renaissance (XVIe siècle) et du classicisme (XVIIe
siècle) qui mettent en place les règles de la poésie traditionnelle française

Après ces trois vers mis en valeur par le saut de ligne,

tercet (v. 4-6) :


• la mention spatiale « ici » donne une impression de proximité entre le lecteur et le poète qui
semblent partager le même espace mais on ne sait pas exactement lequel => toujours
ambiguité et étonnement
• surtout que le « ici » en début de vers semble à priori en opposition avec le vers précédent,
or, de nouveau la critique de l’ancienneté apparaît
• vers 4 paradoxal puisqu’il y a une antithèse entre « automobiles » et « anciennes » mais le
paradoxe est minimisé par la comparaison « ont l’air de » => propos nuancé
• le vers 5 introduit néanmoins une nouvelle opposition implicite grâce à l’adjectif « seule »
• le découpage du vers qui ne recoupe pas la syntaxe met en valeur le Gn « la religion » qui se
retrouve répété en début et fin de vers, d’autant que si ce vers s’arrêtait là, on aurait une
trournue répétitive propre à l’oral
• mais le vers 6 permet de comprendre que le 2 e GN est aussi le sujet d’une nouvelle phrase
qui met en valeur une qualité chère à Apollinaire : la simplicitée.
• nouvelle comparaison qui provoque la surprise car le point commun aux deux éléments (la
religion et les hangars) n’est pas évident
• cette comparaison permet aussi l’éloge de la religion puisque à l’époque d’Apollinaire
l’aviation est toute récente et que c’est une invention qui le fascine
• amplifié par la rime « religion / aviation »

v. 7 :
• nouveau sens pour le pronom personnel « tu » qui permet l’apostrophe lyrique au
christiannisme
• la religion est donc identifiée clairement, personnifiée et magnifiée par la majuscule
• reprise de l’adjectif « seul », mis en valeur par la position initiale dans le vers et dans la
strophe => le christiannisme est à part et au-dessus des autres courants (selon Apollinaire
évidemment)
v. 8 :
• encore plus surprenant puisque le superlatif (« le plus ») caractérise un pape réputé s’e^tre
battu contre la modernité => est-ce de l’ironie ?
• le vouvoiement qui relaie le tutoiement montre le respect et semble montrer que Apollinaire
est sincère dans son éloge

v. 9 et 10 :
• retour du « tu » = le poète ou le lecteur ? Les deux ?
• personnification des « fenêtres » => amplifie le sentiment de malaise + image
d’innnombrables yeux dans la ville (// œil qui regarde Caïn?)
• contrerejet entre les deux vers : nouvelle surprise due à la coupure du vers qui ne correspond
pas à la coupure grammaticale
• le motif de « la honte » étonne le lecteur : pourquoi cette honte ? Est-ce un aveu de ne pas
être un pratiquant très assidu ? Est-ce un regret de la simplicité avec laquelle il allait peut-
être à l’église étant enfant ? Est-ce une difficulté d’assumer le fait d’être attaché à sa
religion ? (rappel : séparation église / état = 1905)

2) v 11 - 14 : La poésie dans la ville

3) v. 15 - 24 : La ville devenue poétique

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