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CORRIGE DE LA DISSERTATION n°1

Sujet : « La surprise est le plus grand ressort du nouveau ».


Dans quelle mesure la modernité d'Alcools tient-elle à cette esthétique de la surprise ?

De prime abord, il est vrai que le recueil Alcools surprend, ce qui fait sa modernité.

D'abord, en effet, la structure du recueil est inhabituelle pour le lecteur de poésie de 1913.
Pas de classement chronologique des poèmes, alors que le sous-titre annonce « poèmes de
1898 à 1912 ». Bcp de textes déjà parus dans des revues. Alcools svt qualifié de recueil cubiste,
mvt pictural défendu par GA qui fréquente ses représentants comme Picasso, son ami. Comme
dans les tableaux cubistes, la composition d'Alcools se fonde sur le refus de toute unité et sur
l'éclatement volontaire des thèmes. GA choisit de rendre compte de ses expériences de manière
discontinue ce qui donne un objet poétique inédit, comme un puzzle. Ce n'est pas par hasard que
le frontispice de l'oeuvre est une gravure de Picasso, un portrait cubiste de GA. C'est le symbole de
ce que le poète veut faire, à savoir donner sa vision intérieure du monde, éclater les perspectives
pour exprimer la multiplicité des points de vue et le perpétuel mouvement des choses et des
sentiments. Par exemple, « Zone » et « Vendémiaire » ont été composés en 1912 après que GA a
assisté à une lecture publique de l'oeuvre de Cendrars, La prose du Transsibérien. Ce sont les
derniers poèmes composés , pourtant si « Vendemiaire » est bien à la fin du recueil, « Zone » est
placé en première position. Autre étonnement, ce poème commence par « A la fin ». De plus, il y
a un effet de cycle : cycle d'Annie, de Marie, composés de plusieurs poèmes dispersés dans le
recueil . Avec Annie Playden, GA a eu une relation entre 1901 et 1092 ; avec Marie Laurencin, la
liaison a duré de 1907 à 1912. Les deux ruptures ont profondément marqué le poète. Pourtant, les
deux histoires sont racontées mêlées dans Alcools. Ainsi « Le Pont Mirabeau », 3ème poème du
recueil, évoque le chemin emprunté par GA pour rejoindre Marie . Il est placé avant « La Chanson
du Mal-Aimé » qui relate les voyages à Londres de novembre 1903 et mai 1904 pour reconquérir
Annie. Ainsi, les époques se mélangent et se crée ainsi une figure symbolique celle d'un GA, mal
aimé, homme toujours blessé par l'amour qui garde pourtant espoir de voir l'amour renaître. Par
conséquent, le lecteur est surpris par cette structure totalement novatrice.

Ensuite, l'écriture poétique de GA étonne aussi. En effet, pas de ponctuation comme chez
Cendrars, ce qui est inhabituel et crée la polysémie ( cf cours sur « La Chanson du Mal Aimé » 1ère
strophe). De plus, pas de forme fixe . Ajoutons qu'il y a parfois des poèmes courts ( « Chantre » = 1
vers) , parfois très longs ( « Zone » = 155 v ; « Vendémiaire » = 174v.). En outre, GA préfère les vers
libres et les rimes assonancées ( cf cours) . Il rompt donc avec les codes tradionnels de la poèsie
repris par ses contemporains des mouvements néo-romantique et néo-classiques.

Enfin,Le vocabulaire de GA peut surprendre par son caractère de nouveauté en poésie.


En effet, vocabulaire nouveau pour célébrer la modernité architecturale de Paris comme la
mention de « la Tour Eiffel » dans « Zone » ou « Le Pont Mirabeau » qui donne son titre au 3ème
poème du recueil. Vocabulaire nouveau aussi pour célebrer les nouveaux moyens de transports
( cf « Zone » ou « Vendémiaire »pour des exemples) , l'électricité, l'industrie. GA amoureux de
Paris celèbre sa modernité et fait entrer les progrès techniques dans le vocabulaire de la poésie .
On peut aussi ajouter que le vocabulaire de GA étonne parfois par son niveau de langue familier
voire sa grossièreté. On est loin du vocabulaire très soutenu et des mots rares prisés par les poètes
de l'hermétisme, comme Mallarmé, de la fin du 19ème siècle ! Cf « La Synagogue », « Les
Cosaques Zaporogues » ou « Voie Lactée » v. 6-7 ,pour des exemples) . Tout devient matière
poétique : langage populaire, même ordurier, et vocabulaire technique sont employés pour dire le
monde moderne que GA admire et la variété de l'Humanité. But = créer la surprise en poussant +
loin encore la révolution voulue par Victor Hugo dans « Réponse à un acte d'Accusation » , son
poème des Contemplations ,véritable manifeste de la poésie romantique : « Plus de mot sénateur,
plus de mot roturier » . Ici, GA refuse de rejeter les « mots mal nés » , selon l'expression de V. Hugo
, et emploie tous les niveaux de langue ce qui peut étonner car , souvent, on assimile la poésie à
un art du langage complexe aux mots rares et soutenus.

Par conséquent, on peut comprendre le point de vue énoncé par GA dans la citation puisque
par la structure d'Alcools, recueil cubiste , par son écriture poétique, bien loin des précaunisations
de l'époque classique , et par son vocabulaire , le poète déconcerte ses lecteurs. Cependant , par
certains aspects , Alcools restent inscrit dans la tradition poétique.

En effet, chez Apollinaire, tout n'est pas nouveau et l'on retrouve dans le recueil des aspects
très traditionnels.

D'abord, GA est l'héritier d'une longue tradition poétique, puisque nous trouvons dans
Alcools des poèmes de forme libre, certes, mais aussi des poèmes de forme fixe comme la chanson
, avec le célèbre « Pont Mirabeau » mis en musique et chanté par Marc Lavoine, l' aubade dans
« l'Aubade chanté à Laetare l'an passé » , la fable avec « Les sept épées » , le dythirambe avec «Le
Larron », la complainte dans « A la Santé ». Le poète lui-même se vante de ce savoir dans
« l'Aubade chanté à laetare l'an passé » ( v.6 à 10) « Moi qui sais des lais pour les reines/ Les
complaintes de mes années/ Des hymnes d'esclave aux murènes/La romance du mal-aimé/et des
chansons pour les sirènes... ». De plus 13 poèmes du recueil sont écrits en alexandrins comme
« Nuit Rhénane » ; d'autres en octosyllabes comme « La Chanson du Mal-Aimé ». Ajoutons que
GA choisit parfois des rimes croisées comme dans « A la Santé » IV où il respecte l'alternance des
rimes féminines et masculines ; parfois ce sont des rimes suivies comme dans « « Clair de Lune » ;
parfois ce sont des rimes embrassées comme dans « Les Femmes » On trouve donc des poèmes à
la forme et à la versification classiques . On peut en conclure que tout n'est pas nouveau chez
Apollinaire, tout ne surprend pas.

Ensuite , le thème majeur d'Alcools n'est pas original puisque le recueil est une
autobiographie lyrique. GA héritier de la poésie du 19ème siècle où il est né ( tradition romantique
et symboliste) . Alcools raconte d'une certaine manière la vie de GA = ses amours ( Annie, Marie ; à
compléter par vos connaissances sur la vie de GA et par des exemples de textes) et son séjour en
prison dans la section « A la Santé » . Ce motif du poète en prison a déjà été traité par Verlaine
dans Sagesse ( à compléter par vos connaissances sur Verlaine). On reconnaît également
l'influence des Romantiques quand GA exprime les douleurs de l'amour et les « Rhénanes »
puisent leur inspiration au pays qui a vu naître ce mouvement dont on reconnaît les thèmes
majeurs : expression du moi, nature, paysage état d'âme dans « Mai ». Et la section « La Chanson
du Mal-Aimé » est entièrement consacrée à l'expression personnelle des sentiments douloureux
causés par la rupture avec Annie Playden. La Quête de GA dans Londres à la recherche de l'amour
perdu n'est pas sans évoqué même le mythe d'Orphée à l'origine même de la poésie lyrique ( Ceux
qui n'ont aucune idée de ce que j'évoque iront sur Wikipédia se documenter) car Apollinaire qui
erre dans la nuit de Londres n'est pas sans rappeler Orphée aux Enfers à la recherche de son
Eurydice et l'expression de la peine de l'auteur d'Alcools rappelle les chants désespérés du poète
Thrace. Apollinaire traite donc des motifs tout à fait traditionnels en poésie.
Pour terminer , on peut aussi voir que la poésie de GA est nourrie de sa culture classique. En
effet, on trouve dans le recueil de nombreuses références à la Bible comme dans la « Chanson du
Mal-Aimé » où il évoque le livre de l'Exode ( cf cours), « Salomé » ou « Le Larron ». Il y a aussi des
références à la mythologie gréco-romaine avec le personnage de Narcisse dans « Crépuscule » ou
d'Ulysse et l'allusion au Phénix dans « La Chanson du Mal-Aimé » On trouve aussi des références
au cycle arthurien et donc, à la littérature médiévale , dans « Merlin et la Vieille femme » par
exemple. Mais il y a aussi des références à une culture moins livresque, plus populaire avec les
légendes du Rhin présentes dans les « Rhénanes » avec la « Loreley » ou les Ondines de « Nuit
Rhénane ». Toutes ses références sont courantes en poésie. L'allusion aux mythes grecs servait
d'ornement savant aux poètes de la Pléïade au 16 ème siècle et les poètes romantiques de la fin du
18ème / début 19ème siècle ont popularisé les légendes germaniques . On songe à Heine ou aux
opéras de Wagner. Cette culture est celle des contemporains de GA qui ne sont donc nullement
surpris de lire de telles allusions.

Ainsi, nous avons montré que le recueil n'était pas totalement fondé sur la recherche de
Nouveau. GA est l'héritier des poètes qui l'ont précédé. Il connaît la versification et les formes les
plus classiques et il les emploie. Ses thèmes sont eux aussi très présents tout au long du 19ème
siècle et sa culture, encyclopédique, est celle des hommes de son temps qui ont les mêmes
références que lui et ne sont pas étonnés de les retrouver.
Dès lors, on peut se demander si le ressort de la modernité ne serait pas plutôt la liberté que
GA prend avec les codes habituels de la poésie.

On peut se demander si le ressort de la modernité n'est pas plutôt la liberté que prend GA
avec les codes habituels de la poésie d'abord, parce que les mythes que nous retrouvons sont
traités très différemment de ce que nous connaissons. Et c'est de cette liberté prise avec la
tradition que naît notre surprise. GA avait une parfaite connaissance de le Bible par ses études
chez les frères Marinistes, mais il choisit de réinventer l'histoire de « Salomé » ou celle du
« Larron ». De même, il ne reprend pas l'histoire de la Loreley telle qu'elle a été transmise par le
folklore rhénan depuis la nuit des temps, il la réécrit ( voir un commentaire de « Salomé » et de
«La Loreley » pour développer). A chaque fois, le sens du mythe en devient changé. Salomé et la
Loreley, dans Alcools, incarnent des figures de femme fatale comme dans la tradition, mais ici elles
se punissent elles-même de la perte de leur amant et deviennent ainsi des doubles de la figure
nouvelle du « Mal-Aimé » inventée par GA pour le représenter.
Puis, on peut constater dans Alcools, un art du mélange : les formes classiques, comme nous
l'avons vu, côtoient les formes libres . Parfois un même poème contient des vers classiques et des
vers libres comme « Zone » ( cf cours) ou « Vendémiaire ». Ces deux poèmes sont
programmatiques et GA annonce en préambule de son recueil son désir de faire dialoguer passé et
modernité . Il lui arrive aussi de reprendre des vers impairs comme on en trouve chez Verlaine , par
exemple dans « Clotilde » ou « Les Cloches ». Si le vers impair étonnait vers 1870 par sa
nouveauté, il surprend moins à la parution d'Alcools en 1913. Si GA a été fortement influencé par
le symbolisme dans sa jeunesse, il s'en écarte et crée un style unique qui mêle classicisme,
romantisme, symbolisme et l'influence de son contemporain Cendrars qui lui donne l'idée de
supprimer toute la ponctuation de son recueil. Par ces formes variées, GA cherche à exprimer la
multiplicité des facettes de sa personnalité et de la poésie ( cf citation faite de « l'Aubade chanté à
Laetare l'an passé » ). C'est sa recherche même qui est la matière du recueil.

Finissons en soulignant le caractère étonnants des images dans le recueil. Elle allie à la fois la
modernité et la tradition comme le montre le v. 2 de « Zone » et créent l'étonnement par le
rapprochement inattendu de la « Tour Eiffel » et du motif antique de la pastorale avec la
personnification de l'édifice en « bergère » gardant « le troupeau de [s]es ponts ». L'idée surprend
et interroge . Le même effet de surprise se trouve dans l'alliance des niveaux de langue dans « La
Chanson du Mal-Aimé » qui évoque le « cul des dames damascènes ». La forme de la comparaison
est très classique mais le rapprochement du cœur et du « cul », celui d'un mot familier - »cul » -
avec un mot rare - « damascène »- surprend par sa fantaisie. Enfin, la métaphore finale de « Zone »
, « Soleil cou coupé » annonce le surréalisme ( mot inventé par GA pour qualifier son drame Les
Mamelles de Tirésias) car on a là une « pure création de l'esprit » ce que doit être l'image pour
André Breton qui la définit ainsi dans le Manifeste du surréalisme. Les images de GA, créées par sa
fantaisie ,oblige le lecteur alors à regarder le monde différemment .

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