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Dupont Florence. Le masque tragique à Rome. In: Pallas, 49/1998. Rome et le tragique. pp. 353-363;
doi : https://doi.org/10.3406/palla.1998.1527
https://www.persee.fr/doc/palla_0031-0387_1998_num_49_1_1527
Abstract
The Roman tragic mask, persona, hides the actor's face while allowing no glimpse of another face
in contrast with the Greek prosopon ; it is a face devoid of any singular identity even characterless,
without any mores or ethos. The Roman tragic mask is the rigid, anonymous expression of an
"emotion", of a motus animi. That motus animi is characteristic of the personage ; it is his tragic
attribute, ferox Medea, iratus Atreus. The motus animi of his mask prompts to the actor his voice
and gestures just as it prompted his words to the poet. Medea is not a ferox woman nor Atreus an
iratus man, each is the display of a unique "emotion" artificially isolated and recomposed as an
hypertrophiée ! image of itself through an editing of the voice and the gesture moulded on the
mask, persona.
Rome et le tragique, PALLAS, 49, 1998, pp. 353-365.
Florence DUPONT
(URA 884 Centre Louis Gernet)
Bien que le théâtre soit pour les Romains une importation d'origine grecque, et
bien que selon toute vraisemblance les masques portés par les acteurs de la tragédie
romaine aient été fabriqués à partir de masques hellénistiques contemporains à
l'introduction à Rome du théâtre à texte, au milieu du 3ème siècle av. n. è.1 , cependant il
n'y a rien de commun dans la conception et l'utilisation spectaculaire que les deux
cultures ont fait de ces masques sur scène. Cela apparaît clairement si l'on resitue le
masque tragique et les termes qui le désignent, dans le système grec et le système romain
de conception du visage.
Prosopon et persona
Comme l'a montré Françoise Frontisi-Ducroux2 , le terme grec qui sert à désigner
le masque théâtral est le même qui désigne le visage. Plus précisément le prosopon est un
visage: au théâtre ce prosopon se substitue au visage de l'acteur pour donner à voir le visage
du personnage. C'est ainsi que dans les représentations figurées d'acteurs masqués, ce
masque n'est jamais visible quand il est porté, car alors il devient un visage. Donc le
prosopon ne masque pas, il donne à voir, ce que confirment les emplois du mot en grec.
Au contraire le masque romain, désigné par le mot persona, masque le visage de
l'acteur, ce qui se voit sur les représentations figurées où le visage est bien présent sous le
masque (FIG. 1). Le terme persona d'ailleurs n'est jamais utilisé à Rome pour signifier
le visage, ses emplois en dehors du domaine du théâtre en font toujours "le rôle", le plus
souvent persona désigne la personne juridique ou la personne grammaticale, parfois le
rôle social. Quand les Romains lui donnent une étymologie, que les linguistes ne
retiennent pas, ils l'analysent à partir du verbe personare, qui signifie "faire résonner à
1 BernaboBrea, 1981.
2 Frontisi-Ducroux, 1996.
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travers": le masque est ainsi le lieu de passage de la voix de l'acteur3. Soulignons que le
masque est ainsi moins conçu comme "donnant à voir" que comme "donnant à entendre",
isolant la voix du visage, brisant cette unité voix- visage qu'implique le terme latin os
qui est à la fois la bouche, le visage et le regard.
Cependant, masquant le visage de l'acteur, la persona même si elle n'est pas un autre
visage comme dans le théâtre grec, reste un accessoire visible du spectacle. Dans ces
conditions ne donne-t-elle à voir que l'absence? Sinon que donne-t-elle à voir? Les
grands masques républicains (FIG. 2) présentent des faces énigmatiques: un nez, une
bouche en forme de trou dilaté, des yeux, des sourcils, et une abondance de barbe et de
cheveux composant une étrange et impersonnelle humanité.
3 Aulu-Gelle Nuits Attiques, V,7. Cette étymologie ne peut pas être retenue par les
philologues, car le ο de persona est long et celui de personare est bref. Pour les diverses
etymologies proposées cf. RE. s.v. "persona".
4 L'ouvrage le plus récent sur le sujet est Flower, 1996.
5 Sur la nature de Γ imago , cf. Dupont 1985, 1986, 1992 et 1998.
6 Bettini, 1996.
7 Isidore de Seville XI, 34. André, 1991 p. 27 et suiv.: les linguistes contemporains proposent
une étymologie à partir du verbe uoluere, ce qui rattache uultus à la notion de mouvement:
uultus serait ainsi "le visage mobile".
LE MASQUE TRAGIQUE À ROME 355
Le uultus de X orator
La persona tragique est portée par un acteur virtuose de la parole9 qui sert de
modèle à l'orateur, comme l'orateur lui sert de modèle. Il y a là un renvoi permanent de
l'un à l'autre, l'acteur et l'orateur se définissent mutuellement10. Donc pour reconstituer
comment fonctionnait la persona, nous nous proposons ici de passer par les textes des
traités de rhétorique qui définissent la place du uultus chez l'orateur "en action",
prononçant un discours réel. Et nous verrons ensuite les effets de son effacement, puisque
chez l'acteur la persona masque ce uultus, visage mobile de l'orateur.
L'action dans les traités de l'art oratoire romains se décompose en trois constituants:
la voix, uox, le visage, uultus, le geste, gestus11. Seules les techniques du geste et de la voix
donnent lieu à un apprentissage systématique. Ce découpage correspond à la perception
romaine et à la construction de l'identité dans le face à face social de la
communication. Le visage annonce l'identité morale de celui qui va parler12 :
8 Quelques contemporains ont trop rapidement et a priori assimilé l'un et l'autre (Wiles
1991, p. 129-130), or toute notre documentation prouve le contraire.
9 Nous ne parlons ici que du masque tragique, car on débat encore pour savoir à partir de
quand les comédiens romains ont porté des masques. En outre dans les scènes de canticum
les acteurs comiques sont muets, ils dansent pendant que le cantor chante leur rôle.
Le modèle de la parole tragique à Rome n'est pas la conversation - colloquium, sermo - mais
la parole éloquente oratio, destinée à un groupe.
10 Par exemple Cicéron, De oratore, I, 251, III, 214 et passim
11 cf. Ad Her. I, 3. Pronuntiatio est uocis, uultus, gestus moderatio cum uenustate.
12 Cicéron, De legibus I, 9, 27.
13 Cicéron, De oratore, III, 221.
356 Florence DUPONT
et
" consentiunt"
ordonne lesavec
deux
le visage
autresetconstituants
ses mouvements14
de Yactio,
: la voix et les gestes qui s'accordent
Dominatur autem maxime uultus. Hoc supplices, hoc minaces, hoc blandi, hoc titstes, hoc
hihres, hoc receti, hoc summissi sumus; hoc pendent homines, hune intuentur, hic spectatur
etiam antequam dicimus.
Mais c'est surtout le visage qui commande. C'est lui qui nous fait suppliants, menaçants,
caressants, tristes, joyeux, énergiques, résignés; c'est à lui qu'on est suspendu, lui vers quoi
on tourne le regard, lui qu'on contemple juste avant que les orateurs commencent à parler.
Animi est omnis actio et imago animi uultus. Nam haec est una pars corporis quae quot animi
motus sunt, tot significationes et commutations possit efficere.
Toute l'action relève de l'âme, et le visage est le miroir de l'âme. Car il est une partie du
corps qui à chaque mouvement de l'âme il peut faire correspondre un changement
d'expression.
Les mouvements du visage donnent donc à voir - sans la médiation d'une interprétation -
directement les mouvements de Y animus dont il est la face visible. Or ces mouvements
de l'âme sont la matière même de Yactio et l'on sait que l'éloquence romaine se donne
pour fin car c'est le secret de la persuasion, de faire bouger l'âme des auditeurs. Le
discours idéal est celui où l'âme elle-même de l'orateur agit directement par Yactio sur
les auditeurs17:
Hoc tamen scire oportet pronuntiarionem bonam id perficere ut res ex animo agi uideatur
II faut savoir ceci: une bonne action oratoire doit réussir à donner le sentiment que c'est
Γ animus qui plaide l'affaire
14 Quintilien, XI, 3, 72. On notera que les expressions du visage sont à la fois affectives et
actives.
15 Cicéron, Brutus, 153 et Quintilien XI, 3, 72 et 156-158.
16 Cicéron, de Oratore III, 223.
17 AdHerrenium 111,27.
LE MASQUE TRAGIQUE À ROME 357
"passion"
Rappelons
et quiicid'ailleurs
que le motus
sert aux
animi
Romains
des Romains,
à traduire
expression
le pathos souvent
des Grecs,
traduite
n'est pas
par
réductible à ce que nous appelons la passion, car Y animus est ce qui "anime" l'homme
libre en lui donnant une vie affective, morale et intellectuelle18; il est en quelque sorte
son identité éthique, en tant que capacité d'agir et de réagir. Par conséquent les
mouvements de l'âme qui sont les actions et les réaction de Y animus dans les échanges
sociaux, ne sont pas des attitudes passives, ce ne sont pas des pathè.
Rappeler que l'éloquence romaine est une éloquence des mouvements de l'âme ne
peut donc pas s'entendre comme une éloquence du pathos mais plutôt comme une
éloquence du sujet19. L'orateur bien loin de s'effacer derrière l'objet du discours20,
utilise une stratégie de la présentation de soi. L'orateur attend de ses auditeurs une
reconnaissance des vertus qu'il donne à voir: sa grandeur d'âme, sa force d'âme et tous ces
mouvements de l'âme qui contribuent à sa dignitas et donc son auctoritas. Aristote, au
contraire, dénonce toute forme de relations personnelles entre l'orateur et le juge,
relations affectives suscitées ou réveillées par le discours au moment de sa
prononciation, grâce aux mouvements de l'âme qu'ils partagent alors. La rhétorique
romaine prend donc en charge cette réalité sur laquelle tous les Romains s'accordent:
c'est à partir du spectacle sonore et visible de son animus que l'orateur remportera la
victoire. C'est pourquoi lorsque les Romains se cherchent des origines dans la
rhétorique grecque, ce n'est pas Aristote qu'ils revendiquent mais, paradoxalement, le
héros de l'éloquence démocratique, Démosthène21
Ainsi l'orateur est animé par les mouvements de son animus, ces mouvements sont
visibles par le changement d'expression de son visage, uultusr, ceux-ci commandent un
ton de voix, des gestes et des mots qui tous concourent à provoquer les mêmes
mouvements de l'âme chez le juge, destinataire de l'action. On peut représenter ceci par
un tableau:
uerba
motus animi-^· uultus ^ —► uoces ►^ motus animi
gestus
18 Cicéron, De officiis I 6& et suiv. L'équivalent de la passion grecque serait plutôt cupiditas.
19 Desbordes, 1998, p. 95 et suiv.
20 Aristote prône cette "objectivité" d'un discours réduit à l'exposé des idées, διάνοια,
Rhétorique, 1454a 11-26.
21 cf. Desbordes, 1995.
358 Florence DUPONT
Pour penser cette dynamique de Yoratio Cicéron compare l'homme en proie aux
mouvements de l'âme à un instrument de musique dont les cordes sont ébranlées par un
musicien22 :
Omnis enim motus animi suum qnemdam a natura habet uoltum et sonum et gestum, corpusque
totum hominis et eius omnis uoltus omnesque uoces ut nerui infidibus, ita sonant, ut motu animi
cuique sunt puUae.
Car chaque mouvement de l'âme a par nature son visage particulier, sa musicalité, sa
gestuelle; le corps tout entier d'un homme, tout son visage, toutes ses paroles résonnent
comme les cordes d'une lyre quand ils sont ébranlés par un mouvement de l'âme.
L'orateur, sa voix, son visage, son corps constituent un instrument à cordes qui vibrent
comme celles d'une lyre. Les techniques oratoires sont des techniques musicales qui
permettent à l'orateur de s'utiliser comme instrument23. Mais ces techniques ne sont pas
un art de la composition ni de la représentation, elles agissent à partir de la vérité de
l'orateur, de ses motus animi. Sentiments vrais dont le visage est l'interface, les donnant à
voir dans leur réalité, c'est-à-dire dans leur vérité.
Tout est faux au théâtre, disent Cicéron et Quintilien, et pourtant les motus animi
présents sur la scène sont plus forts et touchent plus fortement le public que ceux du
forum. Passer de l'orateur à l'acteur c'est aussi passer du visage au masque. L'orateur parle
à visage découvert et doit même se présenter en face de ceux qui Γ écoutent2*. L'acteur au
contraire a le visage couvert par un masque, l'acteur est un orateur sans visage. Cette
absence de visage détruit tout le système de renonciation oratoire que nous avons décrit
précédemment. Car la persona n'étant pas un visage mais une face anonyme, le personnage
de théâtre n'est donc pas l'imitation, au sens de la représentation, d'un orateur parlant. Et
c'est un tout autre système qui se reconstruit à partir de ce masque, système qui se déduit
de la pratique oratoire, mais sans la reproduire.
Ainsi, le face à face, entre l'acteur et le public, commence aussi par une attente,
créée par le masque. Le masque tient exactement la place du visage. Mais ce masque qui
n'est pas un vultus n'indique pas des mores, un caractère. En outre, ce masque, face
humaine immobile et anonyme, n'affiche aucun trait singulier mais donne à voir un
motus animi immobilisé26:
Itaque in iis quae ad scaenam componuntur fabulis, artifices pronuntiandi a personis quoque
adfectus mutuantur, ut sit Aerope in tragoedia tristis, atrox Medea, attonitus Aiax, truculentus
Hercules.
C'est pourquoi dans les pièces de théâtre, les acteurs tragiques empruntent leurs
sentiments aux masques: c'est ainsi qu'Aéropèe dans la tragédie est affligée, Médée est
sauvage, Ajax, fou, Hercule, farouche.
On remarquera que les héros tragiques sont définis par une épithète qui les
caractérise une fois pour toutes et que par ailleurs l'acteur ne passe pas par le texte de tel
ou tel poète mais par la contemplation du masque qu'il va porter pour jouer - agere - le
personnage. Ce jeu est une donnée de l'art dramatique et le poète et ses mots n'y
changeront rien. On pourrait dire qu'un acteur romain jouait un rôle, et non pas une
pièce, encore moins la pièce de tel ou tel poète. La voix de l'acteur ne se conforme pas
aux mots du personnage, ce sont les mots du poète qui devront se conformer à la voix du
personnage, elle-même dictée par le masque.
Donc le rapport entre les parties de l'action, le geste et la voix, et le visage reste
chez l'acteur le même qu'il était chez l'orateur avec cette différence que uultus est
remplacé par persona27:
Tragicus Aesopus fertur non prius ulhm suo capitt personam induisse antequam diu ex aduerso
contemplaret, ut pro personae uoltu gestum sibi capessere et uocem... (lacune du texte)
Le tragédien Aesopus passe pour n'avoir jamais enfilé son masque sans le contempler
longuement face à lui, pour (pouvoir?) prendre le geste et la voix correspondant à
l'expression du masque...
Le face à face du comédien avec son masque précède la face à face du public avec le
personnage, et l'effet en sera de même nature: le comédien reçoit du masque un
sentiment qu'il communiquera au public. L'acteur, comme l'orateur persuade son
public de juges, séduit son public de spectateurs, grâce à l 'actio. Séduire c'est faire
partager le même état d'âme28.
26 Quintilien XI, 3, 73: il vient de dire que le principal chez l'orateur était le vultus, cf. note
12.
27 Fronton.Di ebquentia, II, 253, 17.
2S Horace, Art poétique 1 0 1 - 1 03 .
360 Florence DUPONT
II ne suffît pas que les texte dramatiques soient beaux; il faut qu'ils séduisent, caressent
l'auditeur, et conduisent son âme là où ils veulent; sur les visages des hommes le rire
répond au rire, les larmes aux larmes; si tu veux que je pleure, il faut d'abord que toi-même
tu sois en proie à la douleur; alors seulement tes malheurs me feront souffrir, Télèphe et
Pelée.
Le personnage doit souffrir, mais non pas l'acteur évidemment, pour inspirer la
pitié, comme doit souffrir l'orateur. C'est cette souffrance que l'acteur doit donner à
voir en la recomposant à partir du masque du personnage. Car à la différence de
l'orateur dont l'action est agie par la vérité de son visage, l'acteur part d'une image fixe,
son masque, dont la puissance émotive est bien faible par rapport à celle qu'il produira
sur scène
Au théâtre la persona remplace le uultus dans le dispositif de X actio. Mais au lieu
que ce soit X animus d'un orateur, réellement concerné par un procès ou un débat
politique, qui lui dicte ses gestes et ses effets vocaux, ainsi que l'expression de son visage,
c'est le visage du personnage figé dans un habitus animi, autrement dit le masque qui lui
dicte ses gestes et ses effets vocaux, sans qu'il y ait le moindre contexte ni réel ni même
fictif":
introduis un personnage nouveau et qui n'appartient pas au répertoire dramatique, tel qu'il
était au début conserve-le jusqu'à la fin, surtout qu'il ne change pas.
Tous ces textes montrent que les personnages tragiques sont nantis de ce qu'on peut
appeler une épithète tragique, équivalant à l'épithète épique, qui est fixée dans la
tradition par le masque du personnage, la persona. Cette épithète tragique définit un
motus animi, un mode de relation aux autres, unique, qu'on ne peut ni assimiler à un
caractère ni réduire à une passion. Le personnage est comme sa persona, une image fixe,
un motus animi arrêté; le jeu de l'acteur, l'écriture du poète ne consistent pas à le faire
redémarrer sur le modèle de la vie, mais à développer cet arrêt, à l'animer comme on
anime un dessin, c'est-à-dire sans mouvement de Y animus ou plutôt sous l'effet répété
d'un même mouvement de l'âme. Ceci peut se schématiser dans un tableau déduit du
précédent:
poeta : uerba
persona acteur : uoces motus animi
acteur : gestus
L'acteur et le poète déduisent artificiellement les gestes, la voix, les mots qui
s'accordent avec le motus animi figé du masque tragique, dont ils proposent de multiples
variations. L'acteur n'incarne pas un personnage, car ce personnage n'est pas une personne
humaine, le corps et la voix de l'acteur, comme les mots du poète, sont des moyens mis au
service du masque, de la persona.
Par conséquent il convient de redéfinir la notion d'imitation à Rome, sans la
confondre avec une mimèsis. Certes l'acteur imite l'orateur, mais imiter n'est pas
reproduire le réel comme système, c'est décomposer le réel et en réutiliser certains
composants en les développant techniquement.
31 Sur la critique du masque comme catégorie anthropologique a priori cf. Calame, 1989,
p. 357-358.
362 Florence DUPONT
quelconque, le visage venu d'un au-delà ou d'un ailleurs de l'humanité, sinon d'une
altérité construite depuis l'humanité, à partir de la figure idéale de la culture romaine,
l'orateur.
En revanche la technique de l'acteur romain fait écho à d'autres pratiques
traditionnelles du masque. Giorgio Strehler, Dario Fo ou avant eux Edward Gordon
Craig s'accordent sur le fait que le masque libère l'acteur de sa personne, non seulement
de son caractère mais aussi de son humanité. A Rome, de fait, le masque libère
essentiellement la voix chez l'acteur tragique, le corps chez l'acteur comique. L'un et
l'autre cessent d'être leur voix ou leur corps, pour utiliser ceux-ci comme des moyens
anonymes et totalement maîtrisés. Les acteurs romains auraient mérité d'être qualifiés
de "surmarionettes" pour reprendre le mot de Craig. Cette surmarionette était
indispensable pour que la tragédie romaine réussît à donner à voir Ténigmatique du
monde sans le contester" selon la formulation de Nietzsche. Mais écho aussi avec des
théâtres traditonnels, comme le Tupeng de Bali32:
Le danseur regarde le masque, s'en imprègne totalement, ses propres traits se déforment
pour imiter le caractère du personnage, le transmettre à son corps. Lorsqu'il y a union totale
entre le masque et lui, il le met sur son visage et pose sur sa tête la couronne dorée et
fleurie. A ce moment son identité est perdue, il n'a plus rien à voir avec un acteur ni même
avec un être humain
Par conséquent le théâtre romain est, certes, un théâtre archaïque, puisqu'il s'agit
d'un rituel religieux, celui des jeux, et donc en-deça de notre théâtre moderne
psychologique ou sociologique, mais il se rencontre avec une post-modernité dont les
racines se trouvent dans les avant-garde du début du siècle aussi bien que dans les arts
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