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Florine Bragagnolo

Sartre en bref, une tentative

L’être et le néant (1943)

Introduction

Voici un petit résumé de quelques chapitres que j’ai pu lire et que je trouvais
pertinents de vous envoyer. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un résumé exhaustif de tout
le livre, car (1) je ne l’ai pas lu en entier, et (2), certaines choses risquent plus d’embrouiller
que d’éclairer. En clair, ce résumé vise à aborder, directement par le texte, des notions clés
chez Sartre, à vous montrer comment il les aborde et pourquoi, à quels problèmes il se
confronte. J’ai aussi pris la décision de ne pas trop expliquer, en plus de Sartre lui-même, au
risque d’introduire ma subjectivité, mon interprétation toute personnelle, qui pourrait
potentiellement vous induire en erreur. Les chapitres abordés ici se trouvent dans les deux
premières parties du livre, qui en pose à mon sens les bases pour comprendre la suite. Je
voulais aborder aussi la troisième partie, mais mes notes sont trop partielles et ma lecture pas
assez claire que pour vous en faire part ici. Aussi, j’ai hésité à vous donner également un
résumé de la 4e partie, mais comme il s’agit surtout du chapitre qu’il semble que nous allons
voir en semble, j’ai préféré ne pas spoiler1. Enfin, vous noterez que j’ai indiqué les parties et
chapitres, mais pas les sous-chapitres2, soyez donc vigilants à cela si vous voulez retourner
dans le texte de Sartre avec ces notes. J’espère que cette mini-synthèse des notions et motifs
sera utile et intéressante pour vous. Bonne lecture.

1
Cela dit, si vous le souhaitez, je peux rajouter mes notes de cette partie, je trouvais juste cela un peu dommage
si on focalise le travail là-dessus. J’ai bien évidemment supprimé ces lignes mais je peux les réécrire sans
problème.
2
Cela émane d’abord d’un simple oubli, qui s’est construit en décision, trouvant que cela multipliait trop le
nombre de sous-titres pour un document finalement plutôt court.

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Première partie : Le problème du néant

Chapitre I : L’origine de la négation

Sartre commence ce chapitre en se posant deux questions :

- Qu’est-ce que l’être-dans-le-monde ?

- Qu’est-ce que sont l’homme et le monde pour qu’un rapport soit possible entre eux ?

Toute question suppose un être qui questionne et un être qu’on questionne. Quand
j’interroge l’être, j’attends de lui qu’il se dévoile : il peut répondre oui ou non, affirmation ou
négation. À la 2e question qu’il se pose, on peut répondre une négation : il n’existe pas de
conduite qui révèle le rapport de l’homme au monde. Ainsi, on peut être face à l’existence
objective d’un non-être. « Ainsi, la question est un pont jeté entre deux non-êtres : non-être
du savoir en l’homme, possibilité de non-être dans l’être transcendant. […] C’est la
possibilité permanente du non-être, hors de nous et en nous, qui conditionne nos questions sur
l’être. Et c’est encore le non-être qui va circonscrire la réponse : ce que l’être sera s’enlèvera
nécessairement sur le fond de ce qu’il n’est pas3. »

La négation n’existe que par des opérations psychiques, elle n’est pas par soi ; son
esse réside dans son percipi. Le néant n’a pas de réalité. La négation n’est pas constitutive du
monde, le néant n’apparait que s’il est posé comme possibilité. Du problème de l’être, on
passe à une question, qui nous fait aller vers le problème de l’être de la négation. Or Sartre
nous dit de suite que l’homme est le seul être à pouvoir produire du néant, à pouvoir détruire,
car il est transcendance qui peut saisir un être comme destructible. « Un être est fragile s’il
porte en son être une possibilité définie de non-être 4. » L’homme pose des choses, il les crée.
En les créant, il crée des mesures de protection. Et c’est parce qu’il y a ces mesures que ces
choses peuvent être détruite. « Et le sens premier et le but de la guerre sont contenues dans la
moindre édification de l’homme5. »

Le non-être n’existe pas primitivement comme l’être. Chez Sartre, par définition, par
principe, le non-être est postérieur à l’être car il suppose l’être pour le nier. Il n’existe donc
pas de chaos primitif duquel sortirait l’être car il y a toujours d’abord de l’être. L’être est la
3
J.-P. Sartre, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 39, 40.
4
Ibid., p. 42.
5
Ibid., p. 43.

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condition de possibilité du non-être, l’inverse n’est pas vrai. Et vu qu’il est postérieur, le non-
être hante l’être. C’est parce qu’il y a de l’être que le néant peut surgir. Toutefois, il faut faire
une remarque de la plus haute importance : quand le néant surgit, il ne conserve pas en lui de
l’être. C’est le sens de la citation : « Le néant n’est pas, il se néantise 6. » De plus, c’est ce
néant lui-même qui permet de dépasser l’être. En effet, Sartre tire de Heidegger l’idée que le
dasein peut toujours se trouver en face du néant : « L’homme est toujours séparé de ce qu’il
est par toute la largeur de ce qu’il n’est pas7. » Et c’est de cette constatation que nait
l’angoisse. La naissance de ce néant est aussi la naissance de la question : « pourquoi y a-t-il
quelque chose plutôt que rien ? ». C’est la prise de conscience de la contingence du monde,
de sa gratuité.

Alors, peut-on dire de l’être-en-soi produit le néant ? Surtout pas ! L’en-soi est pleine
positivité. La question se repose alors : d’où vient le néant ? Il doit y avoir un être particulier
par lequel ce néant vient au monde. De part ce qui a déjà été dit, on sait qu’il faut bien un être
qui produise ce néant. Cet être doit forcément être un être de sorte qu’il est dans cet être
question du néant de son être. Sartre revient en arrière. On a vu que la négation vient au
monde par la question. Or toute question suppose un questionneur. En ce cas, c’est l’homme
qui produit le néant. Mais Sartre se demande aussitôt : « que doit-être l’homme en son être
pour que par lui le néant vienne à l’être 8 ? » Selon lui, la réalité-humaine ne peut modifier
l’être en lui-même, mais elle peut modifier son rapport à cet être. Pour anéantir un existant, il
faut donc qu’elle s’anéantisse elle-même. Or, cette capacité à produire du néant, c’est ce que
Sartre, comme d’autres, ont appelé la liberté. Ainsi, la réponse à sa question est ceci : l’être
de l’homme doit être la liberté pour que le néant vienne à l’être par lui. En ce sens, la liberté
n'est pas une propriété de la réalité-humaine, ce n’est pas son essence étant donné qu’elle la
précède. La liberté, c’est l’être de l’homme, c’est l’homme, si bien que être-homme, c’est
être-libre.

Mais qu’est-ce donc que la conscience de liberté alors ? C’est l’angoisse. C’est par
elle que l’homme prend conscience de sa liberté ; Cette angoisse provient du néant qui sépare
l’homme de son essence. Et l’essence, « c’est ce qui a été9 ». Or, face à cette angoisse, il est
fréquent de développer des conduites de fuite (tel le déterminisme psychologique, qui
valorise l’excuse, faisant de forces antagonistes les raisons de nos actes).
6
Ibid., p. 52.
7
Ibid., p. 52.
8
Ibid., p. 59.
9
Ibid., p. 70.

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Chapitre II : La mauvaise foi

Il commence ce chapitre en affirmant que l’homme peut prendre des attitudes


négatives vis-à-vis de lui-même. Or, ces attitudes négatives font surgir la question : « que doit
être l’homme en son être pour qu’il lui soit possible de se nier 10 ? » Cette attitude de négation
de soi n’est autre que la mauvaise foi. Il embraye ensuite directement sur la question du
mensonge car certes, la mauvaise foi en est une forme. Il faut cependant rejoindre Sartre dans
ses subtilités, car la mauvaise foi n’est pas n’importe quelle forme de mensonge. Le
mensonge implique toujours un menteur et une victime. Or, dans la mauvaise foi, ces deux
personnes sont réunies en une seule. C’est à elle-même que la personne de mauvaise foi se
ment. Ainsi, la conscience « s’affecte elle-même de mauvaise foi11 », elle n’est pas subie. En
ce sens, la mauvaise foi est un projet. Le projet de me mentir, donc. Et en tant qu’elle n’est
pas subie mais est un projet, la mauvaise foi a conscience d’elle-même, ou plutôt, la personne
qui s’affecte de mauvaise foi a conscience de sa mauvaise foi. Cette idée reste toutefois
complexe et paradoxale. C’est pourquoi pour expliquer ces attitudes, la psychanalyse a été
précieuse en ce qu’elle a permis de rétablir la dualité du trompeur. En somme, ce n’est pas le
trompeur qui se ment à lui-même, c’est son inconscient. « Je suis moi, mais je ne suis pas
ça 12», voici la dualité. Sartre ajoute tout de même que le procédé psychanalytique n’est pas si
simple. Il faut en effet intégrer la censure, qui est une conscience autonome située entre le
conscient et l’inconscient, qui choisit de ne pas faire remonter certaines informations vers la
conscience. C’est une conscience particulière qui est conscience de ce qu’elle doit refouler
pour n’en être pas conscience, qui est le mode de la mauvaise foi. Sartre conclut là-dessus
que la psychanalyse, en cherchant à évincer la mauvaise foi, l’a rétablie non par une dualité,
mais par une « trinité13 ».

À la suite de cette première définition de la mauvaise foi comme mensonge à soi,


Sartre prend quelques exemples de cette conduite, qui sont par ailleurs passés à la postérité.
Ainsi nous parle-t-il de la coquette qui, à un rendez-vous galant, n’accepte ni ne refuse de
donner sa main à son compagnon qui l’a pourtant prise. La coquette fait de sa main une chose
inerte, inengagée, elle recule le moment de la décision d’abandonner sa main à son amant ou

10
Ibid., p.82.
11
Ibid., p. 83.
12
Ibid., p. 85. En italiques dans le texte.
13
Ibid., p. 87.

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à la retirer, chacune de ces décisions impliquant, bien sûr, leurs conséquences. Mais faisant
cela, elle se sépare de son corps, « elle se réalise comme n’étant pas son propre corps14 ».

La réalité humaine comporte une facticité (faits objectifs sur une personne) et une
transcendance (possibilité de dépasser ces faits objectifs), qui doivent se coordonner. Le
problème de la mauvaise foi, c’est lorsque ces deux aspects, au lieu d’être coordonnés sont
confondus. Ainsi, « je suis ma transcendance sur le mode d’être de la chose15. » Là où ma
transcendance est censée me faire bouger, elle m’immobilise.

Ensuite, Sartre prend le fameux exemple du garçon de café, dont la conduite semble
montrer qu’il joue à un jeu. Mais quoi ? Eh bien à être le garçon de café. Il joue ce qu’il doit
être, il « joue avec sa condition pour la réaliser 16. » Et finalement, il s’enferme dans ce jeu.
Pour comprendre cet exemple, il faut distinguer l’être au sens de la facticité, qui peut toujours
bouger, et l’être au sens de la chose, fixe. Il ne peut certes pas être au sens de la chose le
garçon de café, car la réalité humaine n’est pas ce qu’elle est et est ce qu’elle n’est pas, mais
il peut jouer à l’être. Comment ? En posant se posant comme un analogon de la visée
imaginaire « garçon de café ». Ses gestes sont des analogons de cette image figée, de cette
chose en-soi.

D’autres exemples sont pris dans ce chapitre, comme la tristesse (se faire triste) et la
sincérité (prétendre être ce qu’on est). Il termine la deuxième partie de ce chapitre en
répondant à sa question de départ : ce que doit être l’homme dans son être pour pouvoir être
de mauvaise foi, c’est que dans l’intrastrcuture du cogito préréflexif, la conscience soit ce
qu’elle n’est pas et ne soit pas ce qu’elle est. Mais pour résumer et compléter ce léger
compte-rendu d’un chapitre qui nécessiterai bien plus d’explications, on peut dégager trois
conditions de possibilités de la mauvaise foi, dont la première a déjà été énoncée :

- Synthèse confusionnelle du couple transcendance/facticité : « je suis ma


transcendance sur le mode d’être de la chose. »17 = ambigüité nécessaire de la
mauvaise foi.

14
Ibid., p. 91. En italiques dans le texte.
15
Ibid., p. 92.
16
Ibid., p. 94.
17
Ibid., p. 92.

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- Synthèse désagrégative de mon être-pour-autrui et de mon être-pour-moi-même :


« permet un jeu d’évasion perpétuelle du pour-soi au pour-autrui et
inversement. »18

- Synthèse confusionnelle des ex-stases temporelles : « je suis ce que j’ai été et je ne
suis pas ce que j’ai été. »19

Deuxième partie : l’être-pour-soi

Chapitre I : Les structures immédiates du pour-soi

Le pour-soi est en tant qu’il apparait dans une condition qu’il n’a pas choisie.
L’homme n’est pas fondateur de sa présence au monde, il y est jeté de manière complètement
gratuite. C’est sa facticité. La facticité est par ailleurs un synonyme de passé (cf. Chapitre II
de la deuxième partie).

Ensuite, Sartre examine la notion de possible. L’idée générale est que le pour-soi est
constitué d’un manque. Ce manque n’est rien d’autre que le possible du pour-soi. Mais
qu’entend-t-on par possible ? Chez Leibniz, c’est « un événement qui n’est point engagé dans
une série causale existante, telle qu’on puisse le déterminé à coup sûr, et qui n’enveloppe
aucune contradiction, ni avec lui-même, ni avec le système considéré 20. » Chez Spinoza, en
revanche, le possible n’évanouit avec l’ignorance. Mais chez Sartre, le possible existe car la
réalité humaine est ce qu’elle n’est pas et n’est pas ce qu’elle est, autrement dit, « Le possible
est ce de quoi manque le pour-soi pour être soi21. »

Chapitre II : La temporalité

La temporalité est chez Sartre une structure organisée de 3 éléments (passé, présent,
avenir). Le temps ne peut être appréhendé que comme une totalité ; il refuse en bloc l’idée
que le temps est une succession de maintenant et prend un exemple de ce que cela donnerait
si c’était le cas. « Ainsi toute la série s’anéantit et dédoublement, puisque le ‟maintenant”

18
Ibid., p. 92.
19
Ibid., p. 93.
20
Ibid. p. 133.
21
Ibid., p. 139.

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futur, par exemple, est un néant en tant que futur qui se réalisera en néant lorsqu’il passera à
l’état de ‟maintenant” présent22. »

Après une brève introduction générale sur la temporalité, Sartre examine directement
le passé, en le connectant à l’image, au souvenir. Il se positionne contre l’idée générale selon
laquelle le passé n’est plus. Selon cette idée, si le souvenir existe, c’est comme modification
présente de notre être, une trace actuelle. Or, on ne peut distinguer perception et image, sinon,
on fait de celle-ci une perception renaissante. Ainsi, on ne peut constituer le passé avec des
éléments empruntés exclusivement au présent.

Faisons maintenant un petit bon dans ce chapitre pour rejoindre Sartre dans l’idée que
le passé vient au monde par le pour-soi. Lorsqu’on dit « était », on opère un saut ontologique
du présent vers le passé. Le pour-soi, en quelque sorte, est son passé. Autrement dit, pour
Sartre, la réalité-humaine n’a pas un passé, elle l’est. Et ce passé, on ne peut s’en arracher,
c’est un en-soi qui nous colle. Car en effet, à mesure que le passé passe, le pour-soi crée
derrière lui un en-soi, car le passé est opaque, il ne contient pas de trou, il est fait et n’est plus
a faire. Aucune possibilité de néantiser le passé, donc. Le passé « a consumé ses
possibilités23. »

Toutefois, bien que je sois mon passé, il faut préciser quelque chose, c’est que je ne le
suis pas. Je le suis en effet, il me colle à la peau, je ne peux m’en désolidariser. Mais surtout,
je l’étais, je ne le suis plus. Alors bien que je ne puisse l’arracher de moi, je peux dévier par
rapport à lui. C’est l’idée même de changement, qui est rendue possible par rapport à l’être du
pour-soi, qui a la possibilité de néantiser.

Le passé, nous l’avons déjà énoncé, est un synonyme de la facticité, qui est,
rappelons-le, la contingence de l’en-soi que j’ai à être sans possibilité de ne l’être pas. Le
passé peut également être l’objet visé par un pour-soi qui veut réaliser sa valeur et fuir
l’angoisse que lui donne la perpétuelle absence de soi.

22
Ibid., p. 142.
23
Ibid., p. 151.

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A. Le présent

Le passé est en soi, le présent est pour soi. Il y a une antinomie du présent :

- Il est en opposition avec le futur et le passé qui ne sont pas. Le futur n’est pas
encore, le passé n’est plus.

- Si on le recoupe par rapport au passé et futur, on arrive à un instant infinitésimal.


Husserl dit qu’une division poussée à l’infini conduit à un néant.

Le présent, c’est la présence à. Le présent est présence à tout l’être-en-soi. Sa facticité


détermine la perspective selon laquelle se réalise la présence à la totalité. Le 3 e terme dans la
relation pour-soi/en-soi, c’est le pour-soi qui est son propre témoin de coexistence. C’est
l’existant qui existe comme témoin de son existence. « Les êtres se dévoilent comme
coprésents dans un monde où le pour-soi les unit avec son propre sang […]. Le pour-soi est
présent à l’être s’il est intentionnellement dirigé hors de soi sur cet être. 24 » Le pour-soi est
présent à l’être est présence en tant qu’il n’est pas, il est témoin de lui-même comme n’étant
pas l’être.

Du pour-soi en tant que tel, on ne saurait jamais dire : il est, au sens où l’on dit, par exemple :
il est neuf heures c'est-à-dire au sens de la totale adéquation de l’être avec soi-même qui pose
et supprime le soi et qui donne les dehors de la passivité. Car le pour-soi a l’existence d’une
apparence couplée avec un témoin d’un reflet qui renvoie à un pour-soi n’a pas d’être parce
que son être est toujours à distance : là-bas dans le reflétant ; si vous considérez l’apparence,
qui n’est apparence ou reflet que pour le reflétant ; là-bas dans le reflet, si vous considérez le
reflétant qui n’est plus en soi que pure fonction de refléter ce reflet. Mais en outre, en lui-
même, le pour-soi n’est pas l’être, car il se fait être explicitement pour-soi comme n’étant pas
l’être25.

Le pour soi se constitue à partir de la chose comme négation de cette chose. C’est un
existant dispersé. Le présent n’est pas, le pour-soi est présent à l’être sous forme de fuite. Ce
qu’on nomme présent, c’est l’être à quoi le présent est présence. Le présent n’est pas, il se
présentifie sous forme de fuite. En tant que pour soi, le présent à son être hors de lui, devant
ou derrière26.

24
Ibid., p. 157.
25
Ibid., p. 158.
26
Ibid., p. 158.

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B. Le futur

C’est également par le pour-soi que le futur arrive dans le monde. Rien dans l’en-soi
n’est en puissance, tout est en acte. Seul un être qui a à être son être peut avoir un avenir. Si
le pour soi était borné dans son présent, comment pourrait-il se représenter l’avenir ? Le futur
est ce que j’ai à être en tant que je peux ne pas l’être. Sartre revient ici encore sur le thème du
manque, en ce qu’il traduit un possible qui montre la distance du pour-soi à l’être. « Tel être
ne peut être pour soi que dans la perspective d’un pas-encore car il se saisit lui-même comme
un néant, c'est-à-dire comme un être dont le complément d’être est à distance de soi 27. Je suis
présent dans le futur comme un autre que je serai. Le futur, c’est moi en tant que je m’attends
comme présent à être par-delà l’être. Je me projette vers le futur pour m’y fondre avec ce
dont je manque.

Passé Facticité
Présent Pour-soi
Avenir Possible

Cependant, le futur ne se réalise pas. C’est ce que Sartre nomme la déception ontologique. La
projection de moi-même dans le futur se fait en tant que futur. Je suis mon futur en tant que je
ne le serais pas. De là, également, l’angoisse, car « je ne suis pas assez ce futur que j’ai à être
et qui donne son sens à mon présent28. » Le pour soi ne peut être que problématiquement son
futur car il en est séparé par un néant. Il est libre et sa liberté est à elle-même sa propre
limite : condamné à être libre. Le futur n’est pas, il se possibilise. Question de la hiérarchie et
des trous des possibles29.

La temporalité est « l’intrastructure de l’être qui est sa propre néantisation, c’est-à-


dire le mode d’être propre à l’être-pour-soi. Le pour soi est l’être qui a à être son être sous la
forme diasporique de la temporalité30. »

27
Ibid., p. 162.
28
Ibid. p. 164.
29
Ibid., p. 164.
30
Ibid., p. 178. En italiques dans le texte.

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Chapitre III : La transcendance

Sartre revient ici sur le type de présence du pour-soi, comme présence à l’en-soi, qui
lui-même ne peut jamais être présence car « l’être-présent, en effet, est un mode d’être ek-
statique du pour-soi31. » Il articule ensuite ce terme de présence au thème du reflet et de la
négation, en associant la présence à l’intentionnalité (« toute conscience est conscience de
quelque chose ») dans un extrait un peu long qui mérite toutefois de se voir cité.

On sait que le pour-soi est fondement de son propre néant sous la forme de la dyade fantôme  :
reflet-reflétant. Le reflétant n’est que pour refléter le reflet et le reflet n’est reflet qu’en tant
qu’il renvoie au reflétant. Ainsi, les deux termes ébauchés de la dyade pointent l’un vers
l’autre et chacun engage son être dans l’être de l’autre. Mais si le reflétant n’est rien d’autre
que reflétant de ce reflet et si le reflet ne peut se caractériser que par son «  être-pour se
refléter dans ce reflétant », les deux termes de la quasi-dyade, accotant l’un contre l’autre
leurs deux néants, s’anéantissent conjointement. Il faut que le reflétant reflète quelque chose
pour que l’ensemble ne s’effondre pas dans le rien. Mais si le reflet, d’autre part, était quelque
chose, indépendamment de son être-pour-se-refléter, il faudrait qu’il fût qualifié non en tant
que reflet, mais en-soi. Ce serait introduire l’opacité dans le système « reflet-reflétant » et
surtout parachever la scissiparité ébauchée. Car dans le pour-soi, le reflet est aussi le reflétant.
Mais si le reflet est qualifié, il se sépare du reflétant et son apparence se sépare de sa réalité  ;
le cogito devient impossible. Le reflet ne peut être à la fois « quelque chose à refléter » et rien
que s’il se fait qualifier par autre chose que lui ou, si l’on préfère, s’il se reflète en tant que
relation à un dehors qu’il n’est pas. Ce qui définit le reflet pour le reflétant, c’est toujours ce à
quoi il est présence32.

Cette réflexion indique le fait que le pour-soi n’existe qu’en se reflétant ce qu’il n’est
pas. Ensuite, il fait la distinction entre deux types de négations :

- Négation externe : « la table n’est pas la chaise ». Elle se dit des objets de l’en-soi
et ne leur enlève aucune propriété à ces êtres qui sont toujours ce qu’ils sont. C’est
un « pur lien d’extériorité établi entre deux êtres par un témoin.33 » Ce témoin est
bien évidemment le pour-soi.

- Négation interne : « je ne suis pas beau ». Celle-ci appartient au pour-soi et il


s’agit de nier une qualité positive que ce pour-soi pourrait avoir (j’ai dans mon
être un – ne pas être beau). C’est « une relation telle entre deux êtres que celui qui
est nié de l’autre qualifie l’autre, par son absence même, au cœur de son
essence34. »

31
Ibid., p.209.
32
Ibid., p. 209.
33
Ibid., p. 211.
34
Ibid., p. 211.

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Ce chapitre vise en fond à aborder le problème de la connaissance, qu’il définit par


ailleurs comme justement cette présence du pour-soi à l’en-soi, ajoutant que rien ne sépare le
connaissant du connu. Cependant, ne sera pas abordé plus en détails ici les développements
sartriens relatifs à la connaissance35.

Dans la deuxième partie, Sartre commence par se demander à quoi le pour-soi est
présence. Il pose d’abord que le pour-soi ne peut être présent un tel objet ou à un autre, qu’il
appelle « celui-ci » ou « celui-là », car c’est justement cette présence du pour soi qui intègre
la singularité des objets, c’est une « présence réalisante36 ». Le pour-soi est une « totalité
détotalisée qui se temporalise dans un inachèvement perpétuel 37. » Voilà une citation qui
définit bien le pour-soi comme la négation qu’il est, n’oublions pas en effet que le pour-soi
fonctionne sur le mode d’être ce qu’il n’est pas et de ne pas être ce qu’il est.

Il place ensuite la notion de « négation radicale » qui à avoir avec le fait que l’être est
tout ce que le pour-soi n’est pas et inversement, le pour-soi est le tout de la négation et la
négation du tout. Ensuite, il explique que c’est quand le pour-soi surgit que le sens d’être
surgit. C’est que la négation apparait, que l’être apparait (très hégélien). Attention, il ne s’agit
pas de solipsisme. L’être est et cela avant le surgissement de la négation. Cependant, l’être
prend son sens, grâce à l’apparition de la subjectivité qu’est le pour soi, qui va considérer
l’être soit comme totalité, soit comme singularité.

Il aborde ensuite la question de l’espace dont il dit qu’il n’est pas un être. Il est un
« rapport mouvant entre des êtres qui n’ont aucun rapport 38. » Mais c’est le pour-soi qui
ramène l’espace en tant qu’il est présence à ces êtres qui n’ont aucun rapport. C’est le pour-
soi qui réalise également l’espace comme totalité. Autrement dit, l’espace n’est pas une
forme a priori. L’espace est un rien. Tout comme l’en-soi. Certes, Sartre ne cesse de dire que
l’en-soi est un plein d’être, opaque, etc. Pourtant il est surtout un rien. L’en-soi est
entièrement déterminé, contrairement au pour-soi. Mais la détermination elle-même est un

35
Néanmoins, au passage, je vous glisse un petit extrait qui clôt cette première partie de chapitre et qui s’attarde
sur le terme de réalisation, très répandu dans l’œuvre sartrienne. « C’est pourquoi le terme qui nous parait le
mieux signifier ce rapport interne du connaitre et de l’être est le mot de "réaliser", que nous utilisions tout à
l’heure, avec son double sens ontologique et gnostique. Je réalise un projet en tant que je lui donne de l’être,
mais je réalise aussi ma situation en tant que je la vis, que je la fais être avec mon être, je "réalise" la grandeur
d’une catastrophe, la difficulté d’une entreprise. Connaitre, c’est réaliser aux deux sens du terme. C’est faire
qu’il y ait de l’être en ayant à être la négation reflétée de cet être : le réel est réalisation. Nous appellerons
transcendance cette négation interne et réalisante qui dévoile l’en-soi en déterminant le pour-soi dans son être.  »
(Ibid., p. 216.)
36
Ibid., p. 217.
37
Ibid., p. 216.
38
Ibid., p. 220.

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Florine Bragagnolo

rien. Sartre reprend ici Hegel qui lui-même avait repris Spinoza : « Omnis determinatio est
negatio39 ». Il donne un exemple : « C’est bien parce que l’encrier n’est pas la table – ni non
plus la pipe ni le verre, etc. – que nous pouvons le saisir comme encrier. Et pourtant, si je
dis : l’encrier n’est pas la table, je ne pense rien. Ainsi la détermination est un rien qui
n’appartient à titre de structure interne ni à la chose ni à la conscience, mais dont l’être est
d’être-cité par le pour-soi à travers un système de négations internes dans lesquelles l’en-soi
se dévoile dans son indifférence à tout ce qui n’est pas soi40. »

39
Ibid., p. 221.
40
Ibid., p. 222.

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