Vous êtes sur la page 1sur 3

« Le Forgeron »

Comment cet extrait du poème « Le Forgeron » (vers 78 à 100), affirme-t-il la puissance du mouvement révolutionnaire et
populaire ?

Premier mouvement : v. 78-85 -> L’insurrection populaire :


« Et depuis ce jour-là » : depuis la prise de la Bastille, moment décisif après lequel rien ne fut plus jamais comme avant. Ce
premier hémistiche évoque l’événement déclencheur, le second, la transformation qui en découle : « nous sommes comme
fous ! ».

Une foule enthousiaste :


- Le forgeron utilise la première personne du pluriel, « nous », car il fait partie du peuple : c’est le peuple qui parle à travers ses
mots.
- La comparaison (« comme fous ») renforcée par la tournure exclamative témoigne de l’enthousiasme du peuple, de son
énergie inébranlable. On ne reconnaît plus le peuple naguère si sage et soumis (cf. vers 20).
- Le groupe nominal « le tas des ouvriers » désigne la foule de manière familière : on se mêle les uns aux autres, on forme un
« tas », plus rien ne peut distinguer les « ouvriers » les uns des autres. Ils font bloc.
L’expression « un tas de » peut paraître péjorative, mais Rimbaud veut rappeler le mépris des classes dominantes pour le peuple
considéré comme une meute d’animaux sauvages.
- L’utilisation du mot « ouvriers » nous rappelle qu’une véritable classe ouvrière est en train d’apparaître à l’époque de Rimbaud,
alors qu’en 1792, on aurait plus volontiers parlé de « tiers-état ».
- On attendait ensuite l’auxiliaire être : « est monté dans la rue » au lieu de « a monté ». L’auxiliaire « avoir » est utilisé pour un
phénomène et non pour une personne (L’eau du lac a monté. // L’enfant est monté sur le toit.) : peut-être Rimbaud veut-il
montrer que le soulèvement du peuple est comme un phénomène naturel contre lequel on ne peut rien… Le peuple forme une
vague révolutionnaire.
- Les verbes d’actions s’enchaînent : après « a monté » (v. 79), on relève « s’en vont ».
- Le processus hyperbolique s’accentue : le « tas des ouvriers » est devenu « foule toujours accrue / de sombres revenants ». Le
vers n’est plus assez long pour contenir toute la foule, d’où l’enjambement entre les vers 80 et 81 : « foule toujours accrue / de
sombres revenants ». Ce processus hyperbolique permet, entre autres, de considérer ce poème comme un poème épique.
- Après avoir présenté les ouvriers révoltés comme des « maudits », Rimbaud voit maintenant en eux de « sombres revenants ».
La misère s’est tellement acharnée sur eux pendant des siècles de soumission qu’ils semblent poursuivis par le mauvais sort
(« maudits ») – ou qu’ils semblent déjà morts (« revenants ») mais prêts désormais à venir hanter les vivants pour se venger.
Rimbaud se sent solidaires de ces parias : n’a-t-on pas dit, par la suite qu’il était un « poète maudit » ? Le peuple effrayant vient
frapper aux « portes des richards », terme argotique et péjoratif pour désigner les riches : Rimbaud adopte le langage du
forgeron qui jubile de voir que la peur a enfin changé de camp.

Le Forgeron :
Mise en évidence en début de vers du pronom tonique « Moi » qui vient renforcer le pronom « je » : le forgeron parle cette fois
en son nom, même s’il est toujours immergé dans la foule « avec eux » (groupe prépositionnel placé à la césure).
- Les verbes de mouvements sont à nouveaux nombreux : « je cours », « assommer », « je vais », « balayant » : la violence
éclate, au service de la révolution.
- Le forgeron choisit ses cibles : « les mouchards » (= les traîtres). Pour Rimbaud, la lutte des classes est simple. : il y a d'un côté
les pauvres, de l’autre les « richards », le niveau de langue utilisé indiquant clairement de quel côté se situe le locuteur. Puis,
entre ces deux classes, on trouve les mouchards et autres collaborateurs de l’ordre régnant. Les noms « richards » et
« mouchards » sont certainement à la rime pour montrer qu’ils sont dans le même camp.
- Le forgeron se décrit « noir, marteau sur l’épaule » puis par un rejet (v.84) « Farouche » : il a une apparence effrayante et
ressemble aux autres revenants
- Le « marteau sur l’épaule » : outil d’ouvrier devenu arme et métaphore de la force populaire.
LA force et la violence du forgeron :
- « Balayant quelques drôles » témoigne également de sa la puissance du forgeron, donc du peuple : personne ne peut lui
résister, ses ennemis ne sont que des « drôles » (cf. note de bas de page).
- Le passage se termine par une hypothèse provocatrice : le forgeron veut montrer jusqu’où il est capable d’aller. Le pronom
« tu » désigne évidemment son interlocuteur, le roi, mais, de manière plus générale, peut renvoyer à tout partisan de l’Ancien
Régime. La principale au présent du conditionnel « je te tuerais » n’est qu’une supposition mais le lecteur se souvient que, peu
de temps après, le roi a bien été guillotiné.
Deuxième mouvement : vers 86 à 95 – Le rejet du petit peuple et de ses
aspirations par la classe dominante.

L’armée du roi :
- Le tiret ainsi que le connecteur « puis » marquent une rupture dans le texte.
- C’est le futur (avec sa valeur de certitude) qui est maintenant employé (« tu feras ») : le forgeron sait déjà ce qui va se
passer ensuite : « tu peux y compter ». Il peut déjà prédire la réaction des dominants après l’insurrection populaire : le
roi (toujours interpellé directement, « tu ») fera semblant de tenir compte des doléances du peuple.
- Le roi mobilisera ses « hommes noirs » : le déterminant possessif « tes » souligne bien qu’ils sont à son service et lui
appartiennent. Les « hommes noirs » sont ses hommes de loi, ses magistrats qui enterrent les revendications du
peuple. L’adjectif « noirs » montre qu’ils sont tout aussi effrayants que les « revenants » qui occupaient la rue.
- « Requêtes » rime avec « raquettes » (et les deux termes sont associés par comparaison) pour bien montrer que le
pouvoir se moque des aspirations populaires et n’en tient jamais compte.
- Les vers suivants viennent illustrer ce propos en mettant en scène les dominants, cités au discours direct (« qu’ils sont
sots ») pour bien révéler leur mépris du peuple.

Le mépris des dominants :


- Accumulation de GP compléments circonstanciels de but (« Pour mitonner […], coller […], s’amuser ») qui dévoile les
objectifs des gouvernants : produire des « lois », des « décrets », de nouveaux impôts (« quelques tailles ») tout en
continuant à mépriser le peuple : « puis se boucher le nez quand nous marchons près d’eux » (nous = le peuple) ;
- Les gouvernants sont ridiculisés : l’élaboration des lois est assimilée à une vilaine cuisine : « mitonner des lois » ;
l’activité politique semble puérile (« coller de petits pots, pleins de jolis décrets roses », « s’amuser ») ou digne d’un
charlatan fabriquant de mauvais médicaments (« droguailles » et son suffixe -aille péjoratif). Ce passage est plein
d’ironie (registre satirique).
- « Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux » est placée entre tirets pour créer un effet de rupture et reprend
l’image de ceux qui se bouchent le nez et connotent la saleté du peuple. Cette antiphrase, construite grâce à l’adjectif
« doux », témoigne de la lucidité du forgeron qui ne se laisse pas éblouir par les tours de passe-passe des politiciens.
- Ce vers conclut l’accumulation illustrant la lâcheté des dominants (soulignée par la répétition de « rien ») qui se croient
invulnérables mais tremblent devant les « baïonnettes » de la foule révolutionnaire.

Troisième mouvement : vers 96-100 -> Le refus de la soumission

Moment de rupture :
- « C’est très bien » sonne comme une conclusion ironique du mouvement précédent. Puisque c’est ainsi, semble dire le
forgeron (puisqu’il n’y a rien à attendre de gouvernants méprisants et lâches), il n’y a plus qu’à rejeter leurs
mensonges : « foin de leur tabatière à sornettes ». La tabatière est un objet associé aux bourgeois, ce n’est pas un
hasard si ici, par métaphore, elle sert à produire des mensonges. Notons que le mot « sornettes » rime avec
« baïonnettes » : chacun ses armes !
- « Nous en avons assez, là » reprend « foin de » pour confirmer le rejet déjà exprimé. Le « nous » est de retour car le
forgeron parle à nouveau au nom du peuple lorsqu’il injurie les bourgeois (les deux expressions populaires « cerveaux
plats » et « ventres-dieux »).
- L’oralité est palpable dans ce passage avec l’adverbe « là » puis l’interjection « ah ! », les exclamatives ou encore
l’allitération en [S] (« ces/ce sont/ sers/sommes féroces/sceptres/crosses »).
- « les plats / que tu nous sers » : le GN qui enjambe les vers 97 et 98 rappelle la métaphore culinaire du vers 90
(« mitonner ») associée à l’élaboration des lois, présentée comme une cuisine peu ragoutante.

L’appel à la révolte :
- En utilisant le mot « bourgeois », à la césure du vers 99, le texte s’ancre davantage dans le contexte du XIXème siècle où
la noblesse a cessé d’être la classe dominante. C’est plus Rimbaud qui parle ici que le forgeron.
- Les deux propositions subordonnées conjonctives circonstancielles de temps (« quand nous sommes féroces,/ Quand
nous brisons déjà les sceptres et les crosses ») qui concluent le passage rappellent que les ouvriers refusent à présent
de se soumettre. L’adjectif « Féroce » rappelle « farouche » (vers 84) et la violence (presque animale) dont est capable
le peuple insurgé.
- « Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses » montre que cette violence a bien une dimension politique
puisqu’elle s’abat sur les symboles de la royauté (« les sceptres ») et de l’Eglise (« les crosses »).
Conclusion
Toute la puissance du mouvement révolutionnaire apparaît, dans les vers 78 à 100, à travers la verve populaire,
l’énergie et la combattivité du forgeron qui incarne le peuple.
En choisissant, comme cadre historique, la Révolution française, Rimbaud semble complètement abandonner le Second
Empire, mais ce choix lui permet en réalité de parler implicitement de sa propre époque. Louis XVI, ce « bon roi, debout sur son
ventre », qui « était pâle, pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet » (v.8-9 du poème « Le Forgeron »), ne ressemble-t-il
pas à l'Empereur de Rages de César, cet « homme pâle, le long des pelouses fleuries […] qui « chemine, en habit noir, et le cigare
aux dents » ?

Vous aimerez peut-être aussi