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Commentaire Texte 3 (Dom Juan de Molière) : scène de l’hypocrisie (V,2)

Fiche d’identité
Genre : théâtre
Type de discours : tirade (discours de DJ)
Registre : polémique (argumentation)
Mouvement littéraire : Classicisme (mais Dom Juan = pièce empreinte de Baroque)
Thème : l’hypocrisie
Intention de l’auteur : régler ses comptes avec les dévots (qui, après avoir dénoncé L’Ecole des Femmes, ont fait
interdire Tartuffe)

En 1664, Molière écrit en quelques jours Dom Juan pour remédier à l’interdiction de Tartuffe, sa dernière pièce,
qui a provoqué l’indignation des dévots du Saint Sacrement. L’auteur n’invente pas le personnage du séducteur
impénitent, mais lui confère une force inédite, notamment dans cette scène, où Dom Juan explique à son valet Sganarelle
les vertus de l’hypocrisie.
Ainsi, Molière critique-t-il, par la voix de son personnage, les travers de son époque. Mais comment les dénonce-t-il ?
Comme dans d’autres tirades argumentatives de la pièce (à propos de l’inconstance amoureuse ou de la religion), Dom
Juan use d’un art rhétorique efficace, pour mieux critiquer la société de son temps.

Il est en effet indéniable que le maître de Sganarelle est un orateur adroit. Sa tirade est organisée : elle s’articule
autour de deux mouvements importants : ce n’est qu’après avoir fait l’éloge paradoxal de l’hypocrisie (de la ligne 1
à16), que Dom Juan affirme vouloir devenir Tartuffe (de la ligne 17 à la fin). L’utilisation du présent de vérité générale
pour la première partie et du futur simple dans la seconde illustre ce bipartisme.
Outre son organisation, la tirade est caractérisée par l’efficacité de sa parole. L’utilisation des pronoms
personnels nous le montre. Dans la première partie du texte, l’auteur associe le spectateur au groupe des hommes de
bonne foi, aux gens sincères, à l’aide du pronom impersonnel « on » : « quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire ».
Sganarelle, comme le spectateur ainsi concerné, sera convaincu de la perfidie des faux dévots, désignés par les pronoms
de troisième personne « ils ». Enfin, le pronom de première personne soutiendra le projet de Dom Juan : se faire
hypocrite. Le discours du personnage gagne aussi en efficacité grâce à des images frappantes, comme la personnification
de l’hypocrisie (qui « ferme la bouche à tout le monde ») ou à l’analogie qui associe la fausse dévotion à « un
bouclier ». Le personnage espère ainsi, par ces images étonnantes mais révélatrices, convaincre son valet, et par là-
même le spectateur.
Car il s’agit bien là d’une démonstration destinée à convaincre l’auditoire. Dom Juan use d’abord de nombreux
connecteurs logiques : des conjonctions de coordination (« et » est utilisée vingt-deux fois) articulent les propositions et
structures les différents mouvements de phrases. Souvent binaires dans la première partie (comme dans cette première
phrase faisant office de maxime « l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passe pour vertu »), les
phrases ont tendance à s’allonger dans la seconde partie du texte, où beaucoup sont ternaires (lignes 21 à 23). De même,
l’usage du présent de vérité générale (notamment dans la première partie, où le verbe « être » au présent est repris à neuf
reprises), de la tournure impersonnelle d’obligation (« il faut », à la fin du texte), ainsi que de tournures présentatives
(« C’est » répété quatre fois) visent à convaincre le spectateur de la véracité des observations de Dom Juan. La question
rhétorique des lignes 11 à 14 a également la même visée : affirmer l’existence en nombre des faux dévots, de manière
indiscutable.

Ainsi, grâce à une rhétorique efficace, Molière, par le biais de son personnage, critique la société de son époque.
Et en tout premier lieu les dévots. Dom Juan débute sa tirade par un éloge de l’hypocrisie, pourtant associée à un
« vice » (le terme est repris à quatre reprises) mais de manière paradoxale : c’est un vice « privilégié », qui « passe pour
vertu(s) ». Le ton ironique de l’auteur transparaît dans ce vice devenu soudainement vertueux, grâce à l’art de la
dissimulation : la métaphore filée qui associe les dévots aux comédiens (« personnage », « jouer », « grimaciers », …)
insiste sur le sens premier de « hypocrite » (à l’origine, « hypocrite » signifie « comédien, dissimulateur »). L’hypocrisie
devient, pour Dom Juan, une « profession », un « art » même, c’est-à-dire à une nouvelle façon de concevoir le monde.
La critique de Molière est ici très violente : l’hypocrisie devient manière de penser et de voir le monde.
Ainsi explique-t-il l’influence des « gens du parti », de la « cabale », autrement dit des faux dévots, qui ont fait
tellement de tort à l’auteur. La métaphore filée (sur les lignes 12 à 14) qui associe la religion à un vêtement est
audacieuse : « ont rhabillé adroitement » « manteau de la religion », « cet habit respecté ». Molière réduit la religion à un
objet utilitaire, également en lien avec le monde théâtral : elle devient le costume qui parfait le rôle que tiennent les
hypocrites. Les hyperboles présentes la fin du texte (« déchaîner contre eux des zélés », « crieront en public »,
« accableront d’injures » soulignent également la puissance souterraine, mais réelle, des faux dévots, à laquelle a été
confronté l’auteur.
Enfin, le dramaturge s’attaque à la société de son époque et plus particulièrement la société du XVIIème siècle,
dans laquelle « tous les vices à la mode passent pour vertus ». Le champ lexical de la justice (« censeur », « jugerai »,
« accuserai ») laisse penser que l’influence des faux dévots court sur la société entière, prompte à condamner si la cabale
le commande. L’antithèse de la pointe finale (opposant « vices » à « sage ») conclut la tirade sur un ton ironique. Dom
Juan justifie l’hypocrisie comme un habile stratagème visant à « profiter des faiblesses des hommes » et des « vices de
son siècle ».

Cette tirade, proche du dénouement de la pièce, est un véritable pamphlet contre les faux dévots. Pour justifier sa
conversion à la « tartufferie », Dom Juan dresse un éloge paradoxal de l’hypocrisie, qui le précipitera vers la sentence
finale. Cette condamnation de la fausse dévotion, dont a été victime l’auteur, fait l’originalité du personnage de Dom
Juan.
Aussi peut-on imaginer la résonnance que pouvait rencontrer cette tirade chez le spectateur contemporain de Molière,
qui pouvait entendre entre les lignes la critique violente de l’auteur à l’encontre de hauts personnages, convertis
brutalement et tardivement à une religion démonstrative et utile.

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